CANADA
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Federal Court of Appeal
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[TRADUCTION FRANÇAISE]
En présence de madame la juge Sharlow
ENTRE :
ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
et
Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.
Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2009.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE SHARLOW
CANADA
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Federal Court of Appeal
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Date : 20090925
Dossier : A-316-09
Référence : 2009 CAF 275
En présence de Madame la juge Sharlow
ENTRE :
LE COMMISSAIRE AUX BREVETS
ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
appelants
et
SYDNEY H. BELZBERG
intimé
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] Le commissaire aux brevets et le procureur général du Canada (collectivement, la « Couronne ») ont demandé un sursis à l’exécution de l’ordonnance rendue par la juge Simpson le 23 juin 2009, jusqu’à ce que l’appel interjeté à l’encontre de cette ordonnance soit tranché. L’intimé Sydney H. Belzberg s’oppose à la requête. Les motifs de l’ordonnance de la juge Simpson sont énoncés dans la décision Belzberg c. Commissaire aux brevets, 2009 CF 657.
[2] Les faits à l’origine du litige ne semblent pas être contestés. M. Belzberg a présenté une demande de brevet en 1994. Sa demande d’examen accéléré a été accueillie en 1996. Le processus d’examen des brevets a donné lieu, en 2002, à un « rapport de la décision finale » selon lequel la demande de brevet contenait des irrégularités. Une audience de la Commission d’appel des brevets a été convoquée en 2005 pour que le refus de la demande soit passé en revue. En janvier 2007, la Commission a conclu qu’aucune prétendue irrégularité n’était fondée et elle a recommandé que « la décision de l’examinateur portant rejet de la demande soit infirmée et que la demande soit renvoyée à l’examinateur pour qu’il en poursuive l’instruction conformément à cette recommandation ». À la lumière des documents au dossier, il est difficile d’établir comment la Commission, le cas échéant, a envisagé de poursuivre l’instruction. Le commissaire a rendu une décision dans laquelle il souscrit à la décision de la Commission voulant que la demande soit renvoyée à l’examinateur « pour réexamen conformément à la recommandation de la Commission ». D’autres examens ont ainsi été effectués et d’autres demandes ont été présentées relativement à des questions qui avaient été soulevées au cours de l’examen précédent, mais qui n’ont pas été soulevées dans le rapport de la décision finale ni examinées par la Commission.
[3] En 2008, M. Belzberg a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire. Au paragraphe 2 des motifs de la juge Simpson, la question soulevée par M. Belzberg est énoncée dans les termes suivants :
[...] savoir si le commissaire peut reprendre l’examen d’une demande de brevet après s’être prononcé sur toutes les irrégularités alléguées dans le refus de l’examinateur intitulé « Décision finale » suivant l’article 30 des Règles sur les brevets, DORS/96‑423.
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[4] La juge Simpson a accueilli la demande de contrôle judiciaire, a infirmé la décision et a accordé des mesures de réparation accessoires, y compris l’ordonnance suivante :
Le commissaire doit rendre sans délai une décision accordant le brevet relativement à la demande de brevet en vertu de l’article 27 de la [Loi sur les brevets], telle qu’elle a été modifiée par [M. Belzberg] dans la modification volontaire.
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[5] L’article 27 de la Loi sur les brevets, L.R. (1985), ch. P-4, est ainsi libellé [non souligné dans l’original] :
[6] Au risque de simplifier à outrance, il me semble, à la lumière des motifs de la juge Simpson, que cette dernière devait se demander si l’article 27 de la Loi sur les brevets impose au commissaire l’obligation exécutoire de délivrer un brevet lorsque le processus réglementaire atteint un certain point. Ayant conclu qu’une telle obligation exécutoire était imposée, elle devait établir si le processus réglementaire avait atteint le point critique lorsque le commissaire, plutôt que d’accorder le brevet, a pris la décision contestée par M. Belzberg, qui a eu pour effet de prolonger le processus d’examen des brevets. Elle a conclu que la décision contestée avait été rendue après que le point critique ait été atteint, ce qui l’a amenée à rendre l’ordonnance visée par l’appel.
[7] L’appel de la Couronne est fondé principalement sur la position de cette dernière selon laquelle les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets devraient être interprétées comme empêchant le demandeur d’un brevet de demander un contrôle judiciaire de toute décision du commissaire prise avant la décision d’accorder ou de refuser d’accorder un brevet.
[8] La Cour suprême du Canada a utilisé un critère en trois étapes pour établir si un sursis devrait être accordé (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311). En général, le demandeur doit démontrer qu’il existe une question sérieuse à juger, qu'un préjudice irréparable sera subi si le sursis n'est pas accordé et que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi d’un sursis.
[9] L’avis d’appel établit un fondement suffisant permettant de conclure que l’appel soulève une question de droit qui n’est ni frivole ni vexatoire. Par conséquent, le premier critère est respecté.
[10] La question du préjudice irréparable est problématique en l’espèce. Le préjudice irréparable est une question de fait, mais la Couronne n’a présenté aucun affidavit. Pour comprendre pourquoi aucun affidavit n’a été présenté, il faut tenir compte d’une partie de l’historique procédural de l’affaire.
[11] Lorsqu’elle a déposé le dossier de la requête, la Couronne a demandé que la requête soit tranchée après une audience orale. Dans une ordonnance datée du 3 septembre 2009, la juge Trudel a rejeté la demande. Son ordonnance est ainsi libellée :
[TRADUCTION] |
[12] La Couronne ne s’est pas conformée à cette ordonnance, ce qui, à mon avis, constitue un motif suffisant pour rejeter la requête. Cependant, je vais d’abord examiner la lettre du 9 septembre 2009 adressée à la Cour par l’avocat de la Couronne, et je vais ensuite établir si l’absence d’un affidavit entraînerait de toute façon le rejet de la requête en sursis présentée par la Couronne.
[13] La lettre du 9 septembre 2009 se lit en partie comme suit :
[TRADUCTION] |
[14] Je fais trois observations au sujet de cette lettre. Premièrement, l’avocat de la Couronne a présumé à tort que, même si on lui a ordonné de déposer un affidavit, la Couronne n’a pas à respecter l’ordonnance, et est libre de « choisir » de ne pas le faire. Deuxièmement, l’avocat de la Couronne a présumé à tort qu’il est approprié, après avoir reçu une ordonnance de la Cour à laquelle il s’oppose, d’exprimer l’opposition par lettre plutôt que par une requête en réexamen ou en modification de l’ordonnance. Troisièmement, la Couronne n’a pas compris que l’ordonnance de la juge Trudel était en réalité favorable à la Couronne, parce qu’elle permettait de corriger ce qui pourrait être une lacune majeure dans le dossier de requête de la Couronne (voir, par exemple, Procureur général du Canada c. J.P., 2009 CAF 211).
[15] En présumant que la requête n’est pas rejetée sommairement pour défaut de se conformer à une ordonnance d’un tribunal, je vais maintenant voir si le dossier de requête de la Couronne dans sa forme actuelle fournit un motif qui me permettrait de prendre une décision sur la question du préjudice irréparable en faveur de la Couronne.
[16] Les observations écrites de la Couronne, aux paragraphes 33 à 37, sont censées porter sur la question du préjudice irréparable, mais ces paragraphes cherchent à démontrer que M. Belzberg ne peut prétendre avoir subi un préjudice irréparable à la suite de la décision du commissaire qu’il a contestée avec succès devant la Cour fédérale. Elles n’abordent pas la question de savoir si un préjudice irréparable serait causé à la Couronne ou à l’intérêt public si le sursis n’était pas accordé.
[17] Les paragraphes 16 à 22 des observations de la Couronne, qui portent sur l’intérêt public lié à l’octroi d’un sursis pendant un appel en instance, énoncent la position de la Couronne, selon laquelle, lorsqu’un organisme public demande un sursis en exécution d’une ordonnance pendant un appel en instance, l’intérêt public supérieur justifie que la Cour prenne une décision en faveur de la Couronne sur la question du préjudice irréparable. Cette position est fondée principalement sur l’extrait suivant de RJR-MacDonald (paragraphe 71) :
À notre avis, le concept d'inconvénient doit recevoir une interprétation large dans les cas relevant de la Charte. Dans le cas d'un organisme public, le fardeau d'établir le préjudice irréparable à l'intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l'organisme public et, en partie, de l'action qu'on veut faire interdire. On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés. Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public.
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[18] L’énoncé cité de RJR–Macdonald a été fait dans le contexte d’une contestation de la validité d’une loi, dans le cadre de laquelle une partie touchée par un règlement pris en application de la loi désirait être dispensée de l’obligation onéreuse de respecter le règlement tant que la contestation ne serait pas réglée. En l’espèce, la Couronne demande un sursis à l’exécution d’une ordonnance qui ne mettait en cause aucune contestation de la validité d’une loi, mais seulement un différend quant à son interprétation.
[19] Je ne considère pas que RJR-MacDonald fait autorité pour la proposition selon laquelle, lorsque la Couronne demande un sursis en exécution d’une ordonnance pendant un appel en instance, elle est dispensée de l’obligation de présenter des éléments de preuve relatifs au préjudice irréparable causé, sinon à la Couronne elle-même, du moins pour l’application ordonnée de la loi. Il peut être facile de satisfaire à cette obligation dans certains cas, mais je n’accepte pas le fait que l’obligation soit automatiquement satisfaite simplement parce que la Couronne demande un sursis.
[20] L’avocat de la Couronne avait peut-être à l’esprit la question de l’application ordonnée de la Loi sur les brevets lorsqu’il a écrit, au paragraphe 22 des observations de la Couronne, que [TRADUCTION] « le fait de ne pas accorder de sursis pendant l’appel en instance entraînerait de la confusion, des délais additionnels et un traitement incohérent des demandes de brevets dans un domaine du droit qui est déjà très litigieux ». À mon avis, c’est le genre d’observation qui ne peut être évaluée sans un fondement factuel, car elle exige une connaissance pratique de l’examen des brevets, un sujet sur lequel je ne suis pas en mesure d’accepter d’office une telle observation. La Couronne soutient qu’il est important de préserver le « statu quo administratif et procédural » sans essayer d’expliquer ce qu’est le « statu quo administratif et procédural » (à part son argument selon lequel l’ordonnance portée en appel est erronée en droit).
[21] Il pourrait être utile de savoir, par exemple :
a) s’il est courant et accepté que le commissaire prenne des décisions comme celle contestée en l’espèce, ou si les faits en cause sont uniques;
b) s’il est courant et accepté qu’une demande de brevet soit renvoyée pour examen après une audience de la Commission qui semble favoriser le demandeur sur le fond;
c) si une période d’examen d’un brevet de 13 à 15 ans est considérée comme normale;
d) s’il est possible de déterminer combien d’autres demandeurs de brevets pourraient être en mesure de soulever une ou plusieurs des questions que la juge Simpson a tranchées en faveur de M. Belzberg et, le cas échéant, combien d’autres cas potentiels pourraient se présenter.
[22] Il serait également utile d’avoir un fondement factuel pour les observations de la Couronne selon lesquelles la décision en appel devrait entraîner de la confusion, des délais additionnels et des incohérences. Qui est susceptible d’être confus en raison de la décision? Qui est obligé d’agir de façon incohérente à cause de la décision, et de quelle façon? Aucun élément de preuve n’a été présenté pour ces questions factuelles, et la décision en appel et la loi ne me permettent pas de discerner les réponses.
[23] En l’absence d’éléments de preuve établissant qu’un préjudice irréparable sera causé si le sursis n’est pas accordé, je serais contrainte de rejeter la requête en sursis de la Couronne.
[24] La requête en sursis de la Couronne est rejetée pour défaut de se conformer à l’ordonnance du 3 septembre 2009 de la juge Trudel.
[25] L’intimé a demandé des dépens avocat-client. Je conviens que les dépens avocat-client sont justifiés. Une ordonnance sera rendue en conséquence. La Couronne a fait valoir que le commissaire ne peut être tenu de payer des dépens. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas, mais je n’ai pas besoin de prendre une décision à ce sujet. L’ordonnance prévoit que, quelle que soit l’issue de l’affaire, les dépens seront payables par le procureur général du Canada.
« K. Sharlow »
j.c.a.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-316-09
INTITULÉ : Le commissaire aux brevets et al.
c. Sydney H. Belzberg
REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE SHARLOW
DATE DES MOTIFS : Le 25 septembre 2009
OBSERVATIONS ÉCRITES
POUR LES APPELANTS
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Paul V. Lomic
Jeff M. Tracey
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POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Sous-procureur général du Canada
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POUR LES APPELANTS
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Toronto (Ontario)
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POUR L'INTIMÉ
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