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Date : 20090922

Dossier : A-560-08

Référence : 2009 CAF 270

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

AGENCE DU REVENU DU CANADA

appelante

et

SLAU LIMITED

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE SEXTON

                                                                                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

 


 

Date : 20090922

Dossier : A-560-08

Référence : 2009 CAF 270

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

AGENCE DU REVENU DU CANADA

appelante

et

SLAU LIMITED

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RYER

 

[1]               L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a interjeté appel d’une décision (2008 CF 1142) par laquelle le juge Kelen de la Cour fédérale (le juge de première instance) a accueilli une demande de contrôle judiciaire présentée par Slau Limited (Slau) pour obtenir l’annulation d’une décision du ministre du Revenu national (le ministre), qui a refusé d’annuler des intérêts et pénalités payables par Slau en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire faisait suite à une demande présentée par Slau en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR. Cette disposition, introduite en 1991 dans le cadre de ce qu’on appelle couramment le « Dossier Équité », confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler des pénalités et intérêts payables par un contribuable. Elle est rédigée comme suit :  

220(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

220(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

CONTEXTE

[3]               Slau exploitait une entreprise de restauration à Ottawa durant ses années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Selon ses déclarations de revenus pour ces années, produites en retard, l’intimée n’a gagné aucun revenu imposable au cours de ces années.

 

[4]               À la suite d’une vérification effectuée en 1992, l’ARC a établi de nouvelles cotisations dans lesquelles elle a déterminé un montant d’impôt sur le revenu, des intérêts et des pénalités pour déclaration tardive pour chacune des années d’imposition 1988, 1989 et 1990.

[5]               Slau s’est opposée aux nouvelles cotisations et, en 1996, est parvenue à conclure avec l’ARC une entente à l’amiable qui a donné lieu à la signature, le 16 décembre 1996, d’un accord intitulé [traduction] Règlement de l’appel sur consentement (l’accord de règlement).

 

[6]               Dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1991, 1992 et 1993, également produites en retard, Slau a réclamé certaines pertes autres que des pertes en capital, au sens du paragraphe 111(8) de la LIR (les pertes), dont la validité n’est pas remise en cause dans le présent appel.

 

[7]               L’accord de règlement ne traitait pas des pertes, bien que la question du report rétrospectif des pertes sur les années d’imposition 1988, 1989 et 1990 ait pu être discutée dans les négociations qui ont précédé la signature de l’accord de règlement.

 

[8]               En exécution de l’accord de règlement, Slau a produit des états financiers révisés pour ses années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Parallèlement, elle a produit des documents intitulés [traduction] « Rajustements à l’état des résultats de 1988 », « Rajustements à l’état des résultats de 1989 » et « Rajustements à l’état des résultats de 1990 », dans lesquels le report rétrospectif de certains montants de pertes (le report rétrospectif des pertes) était précisé.

 

[9]               Le 12 février 1997, l’ARC a établi de nouveaux avis de cotisation conformément à l’accord de règlement, sans toutefois donner effet au report rétrospectif des pertes. En conséquence, les nouveaux avis de cotisation indiquaient que Slau devait 134 462,44 $ en impôt sur le revenu, intérêts et pénalités pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Entre parenthèses, la Cour constate que la Province d’Ontario a accepté et mis à exécution la demande de Slau pour que les pertes subies au cours de ses années d’imposition 1991 à 1993 soient reportées sur les années antérieures aux fins de l’impôt sur le revenu de l’Ontario.

 

[10]           À la suite des nouvelles cotisations du 12 février 1997, Slau a communiqué par écrit avec l’ARC au sujet du report rétrospectif des pertes et, le 20 mars 2003, a présenté le formulaire T2A(E) de l’ARC pour demander ce report. Dans sa communication, Slau a rappelé qu’elle avait demandé le report rétrospectif des pertes au moment de la mise en œuvre de l’accord de règlement.

 

[11]           Le 6 juin 2003, le ministre a écrit à Slau, déclarant :

[traduction] On m’a informé que Mme Aline Landry, directrice du bureau des services fiscaux d’Ottawa, a accepté votre demande de report rétrospectif des pertes autres que des pertes en capital subies durant les années d’imposition 1991, 1992 et 1993. Par conséquent, les pertes autres que des pertes en capital seront appliquées aux années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Je crois comprendre que les pénalités et intérêts correspondants seront annulés à compter de décembre 1996; de ce fait, la dette fiscale de Slau Limited sera réduite en conséquence.

 

 

[12]           Dans les nouvelles cotisations établies par la suite le 20 janvier 2004, le ministre a appliqué le report rétrospectif des pertes, ce qui a eu pour effet d’éliminer toute dette d’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990, mais qui a néanmoins laissé un solde impayé d’intérêts et de pénalités découlant des montants des cotisations établies pour ces années conformément à l’accord de règlement.

 

[13]           Les 3 mars 2004 et 17 août 2004, Slau a écrit au ministre pour lui demander de renoncer à tous les intérêts et pénalités établis contre elle dans les nouvelles cotisations du 20 janvier 2004 relativement à ses années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Dans cette lettre, Slau a précisé qu’elle avait prévu subir des pertes au cours des années d’imposition 1988, 1989 et 1990, ce qui explique pourquoi elle n’a pas versé d’acomptes provisionnels au cours de ces années. Elle a de plus avancé que le ministre aurait dû appliquer le report rétrospectif des pertes lorsque les pertes ont été subies, dans les années d’imposition 1991, 1992 et 1993, plutôt qu’en décembre 1996.

 

[14]           Le 7 octobre 2004, le ministre a refusé d’accéder à la demande de renonciation complète à tous les intérêts et pénalités, mais a décidé que le montant dû par Slau correspondait au montant dû en date du 1er décembre 1996 plutôt qu’en date du 16 décembre 1996. En refusant par ailleurs la demande, le ministre a déclaré que le report rétrospectif des pertes ne pouvait être appliqué avant que le contribuable n’en fasse la demande par écrit. De plus, le ministre a indiqué qu’une renonciation aux intérêts et pénalités fondée sur le paragraphe 220(3.1) de la LIR ne pouvait être accordée sur la base d’une erreur ou d’une hypothèse erronée de la part du contribuable.

 

[15]           Par lettre en date du 13 décembre 2005, l’avocat de Slau a présenté une deuxième demande de renonciation aux intérêts et pénalités pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990 de Slau. Dans sa lettre, l’avocat a soutenu que puisque le report rétrospectif des pertes annule complètement les montants d’impôt sur le revenu exigibles pour ces années, il serait illogique et inéquitable que Slau doive payer des intérêts et des pénalités au regard de cet impôt sur le revenu. L’avocat a aussi affirmé que lorsque Slau a produit ses déclarations fiscales pour 1988, 1989 et 1990, lesquelles faisaient état d’un solde nul, aucun impôt n’était payable puisqu’il n’y avait aucun revenu imposable. 

 

[16]           Le 6 juillet 2006, le ministre a réitéré sa décision du 7 octobre 2004. Il a décidé que le montant dû en date du 1er décembre 1996 représentait les intérêts et pénalités accumulés avant l’application du report rétrospectif des pertes à cette date, et que tous les intérêts imputés après cette date étaient calculés sur le montant dû à cette date.  

 

[17]           Une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision du 6 juillet 2006 a été accueillie sur consentement. Le 7 février 2007, la juge Mactavish a annulé cette décision et ordonné que la demande de renonciation visant les montants de pénalité et d’intérêts liés à l’imposition de Slau pour les années 1988, 1989 et 1990 soit renvoyée au ministre pour réexamen par des personnes qui ne s’étaient pas déjà occupées de cette affaire.

 

[18]           En conformité avec cette ordonnance et au nom du ministre, Mme Lucie Bergevin, directrice du bureau des services fiscaux de l’ARC à Ottawa, a examiné tous les faits du dossier, y compris un rapport externe sur les dispositions d’allègement pour les contribuables, daté du 11 octobre 2007 (le nouveau rapport d’examen au deuxième palier), préparé et révisé par des fonctionnaires de l’ARC, ainsi que les arguments présentés pour le compte de Slau. Dans une lettre du 6 novembre 2007, par laquelle la demande de Slau était à nouveau refusée, Mme Bergevin déclare :

[traduction]

Selon mon examen, rien n’indique qu’une erreur ou un retard de l’ARC, ou des circonstances hors de votre contrôle, auraient entraîné des montants additionnels d’arriérés d’intérêts ou de pénalités relativement aux années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Par conséquent, j’ai conclu qu’il ne serait pas approprié d’annuler la pénalité et les intérêts portés au compte de votre client pour ces années d’imposition.

 

[. . .]

 

Au regard de l’alinéa 161(7)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, aux fins du calcul des intérêts, les pertes reportées sur une année antérieure ont été correctement appliquées au 1er décembre 1996. Tout arriéré d’intérêts accumulés après le 1er décembre 1996 se compose d’intérêts sur les acomptes et de pénalités pour production tardive établis pour chaque année, ainsi que d’intérêts sur l’impôt de la Partie I non payé, courus depuis la date d’exigibilité jusqu’au 1er décembre 1996.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[19]           Slau a contesté cette décision (la décision) dans une demande de contrôle judiciaire déposée à la Cour fédérale le 7 décembre 2007.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[20]           Le juge de première instance a décidé que la norme de contrôle applicable à la décision est celle de la raisonnabilité.

 

[21]           Le juge a rejeté l’argument de Slau portant que par suite du report rétrospectif des pertes, Slau ne devait aucun montant d’impôt pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Il a toutefois retenu, du moins en partie, l’argument additionnel de Slau selon lequel le retard de l’ARC à accéder à sa demande de report rétrospectif des pertes a entraîné l’imposition d’une partie des intérêts exigés de Slau.  

 

[22]           Le juge de première instance a relevé que selon le dossier, Slau a demandé le report rétrospectif des pertes dès décembre 1996. Il a ensuite fait référence à une partie de la décision dans laquelle le ministre déclare qu’aucune erreur ni retard de la part du ministre n’a entraîné l’imposition à Slau d’intérêts ou de pénalités additionnels. Le juge de première instance s’est dit d’avis que l’ARC avait bel et bien tardé à appliquer le report rétrospectif des pertes; il déclare à cet égard, au paragraphe 42 de ses motifs :  

[42] L’ARC a toutefois effectivement commis l’erreur de refuser d’abord la demande de report rétrospectif des pertes ou, du moins, elle a attendu six ans avant de décider d’autoriser le report rétrospectif des pertes et d’éliminer la dette fiscale de la demanderesse pour 1988, 1989 et 1990.

 

 

[23]           Le juge de première instance a estimé que le montant payable par Slau en date du 1er décembre 1996 était approprié. Toutefois, il a conclu que si la demande de report rétrospectif des pertes avait été accordée dès sa présentation initiale, en décembre 1996, les intérêts sur le montant payable à cette date auraient pu ne jamais commencer à courir.

 

[24]           Après avoir fait remarquer que certains formulaires et certaines lettres de l’ARC prêtaient à confusion et que Slau n’avait pas pu facilement obtenir des éclaircissements sur les calculs de l’ARC, le juge est parvenu à la conclusion suivante, au paragraphe 47 de ses motifs :

[47] La Cour doit conclure que la seule façon raisonnable pour le Comité d’équité d’appliquer la justice et l’équité en l’espèce consisterait à appliquer le raisonnement suivi par l’ARC pour annuler les pénalités et les intérêts accumulés sur les impôts à compter de décembre 1996 à tous les intérêts accumulés jusqu’à maintenant. Suivant les renseignements que les parties ont communiqués depuis la clôture de l’audience, la demanderesse devrait donc au total 71 195,44 $ en intérêts et pénalités.

 

 

 

 

QUESTION EN LITIGE

[25]           La question, dans le présent appel, est de savoir si le ministre a commis une erreur en refusant la demande présentée par Slau en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR pour obtenir l’annulation de la totalité ou d’une partie des intérêts et pénalités payables par Slau par suite des nouvelles cotisations du 20 janvier 2004.

 

NORME DE CONTRÔLE

[26]           Dans le cadre du contrôle en appel d’une décision judiciaire statuant sur le contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif, la cour d’appel doit déterminer si le tribunal judiciaire qui a procédé au contrôle a retenu la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement. (Voir l’arrêt Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23, aux paragraphes 18 et 19.) Aussi, dans les circonstances du présent appel, la Cour est libre de substituer son jugement à celui du juge de première instance si elle conclut soit que ce dernier n’a pas retenu la norme de contrôle appropriée, soit qu’il n’a pas appliqué correctement la norme de contrôle appropriée. En réalité, la Cour doit procéder à son propre examen de la décision en appliquant la norme de contrôle appropriée.

 

[27]           Dans Telfer, notre Cour a conclu que la norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire du ministre sous le régime du paragraphe 220(3.1) de la LIR est celle de la raisonnabilité. L’arrêt Telfer fournit aussi des indications quant à la voie à suivre pour l’application de la norme de la raisonnabilité. Au paragraphe 25 de cet arrêt, le juge Evans expose :

[25] Lors d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la raisonnabilité, le juge doit examiner le processus décisionnel (y compris les raisons avancées pour justifier la décision) afin de s’assurer qu’il offre une « justification » rationnelle de la décision, qu’il est transparent et qu’il est intelligible. De plus, le tribunal d’appel doit déterminer si la décision en soi appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au paragraphe 47).

 

 

ANALYSE

Introduction

[28]           Le dossier indique que Slau a versé approximativement 159 974 $ au titre des pénalités et intérêts pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Le ministre, dans la décision, a refusé d’accéder à la demande de Slau pour que soit annulée la totalité de ce montant, que l’on peut considérer comme composé de deux éléments : environ 71 195 $ d’intérêts et pénalités dus au 1er décembre 1996 (la dette du 1er décembre 1996), et environ 88 779 $ d’intérêts courus sur ce montant depuis le 1er décembre 1996 jusqu’à la date du paiement (les intérêts courus après le 1er décembre 1996).

 

[29]           Bien que le juge de première instance ait statué qu’il annulait la décision parce qu’elle était déraisonnable, dans les faits il l’a en partie maintenue en précisant dans son ordonnance que le ministre, dans le cadre du réexamen, devrait n’annuler que les intérêts courus après le 1er décembre 1996. 

 

[30]           Dans le présent appel, la Couronne prétend que le refus du ministre d’annuler tant la dette du 1er décembre 1996 que les intérêts courus après le 1er décembre 1996 était raisonnable et devrait être rétabli. Slau, par contre, accepte la décision du juge de première instance, dont l’effet serait de l’obliger à payer la dette du 1er décembre 1996, mais non les intérêts courus après le 1er décembre 1996.

 

[31]           Pour ma part, je ne vois pas pourquoi la décision ne pourrait être considérée comme une décision comportant plus d’un volet, par laquelle le ministre a refusé d’annuler aussi bien la dette du 1er décembre 1996 que les intérêts courus après le 1er décembre 1996. Suivant cette approche, l’appel se résume en fait à la question du caractère raisonnable de la décision du ministre de ne pas annuler les intérêts courus après le 1er décembre 1996, puisque Slau ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision du ministre de ne pas annuler la dette du 1er décembre 1996.

 

Choix de la norme de contrôle

[32]           Le juge de première instance a décidé que la norme de contrôle applicable à la décision du ministre est la raisonnabilité. Je suis d’avis, à la lumière de l’arrêt Telfer, que cette détermination est correcte.

 

Application de la norme de la décision déraisonnable

[33]           Dans la décision, le ministre a affirmé qu’aucune erreur ni retard de la part du ministre n’est à l’origine de l’obligation de Slau de payer des arriérés d’intérêts ou des pénalités pour ses années d’imposition 1988, 1989 et 1990. On peut interpréter cette déclaration, à juste titre, ce me semble, comme signifiant que si une erreur ou un retard du ministre se traduit pour le contribuable par l’obligation de payer des intérêts ou pénalités, il est indiqué pour le ministre d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la LIR et d’annuler les intérêts ou pénalités en cause ou d’y renoncer, dans la mesure où ils sont attribuables à l’erreur ou au retard du ministre.

 

[34]           À cet égard, la question de savoir si le ministre a commis une erreur ou a occasionné un retard est en grande partie une question de fait. Comme il a été mentionné, le juge de première instance a conclu que la demande visant le report rétrospectif des pertes a été faite en décembre 1996 et que le ministre a commis une erreur ou occasionné un retard en n’acceptant pas et en n’appliquant pas la demande dès ce moment. La Couronne soutient que le juge de première instance a commis une erreur en tirant ces conclusions de fait. Avec égards, je ne puis souscrire à ce point de vue.

 

[35]           À la page 2 de la décision, le ministre déclare que les pertes reportées sur une année antérieure [traduction] « ont été correctement appliquées au 1er décembre 1996 ». À mon avis, cette déclaration signifie que compte tenu des documents examinés à la suite de l’ordonnance rendue par la juge Mactavish à l’issue du premier contrôle judiciaire, le ministre a conclu que Slau a en fait demandé le report rétrospectif des pertes le 1er décembre 1996 ou avant cette date. Cette conclusion est compatible avec une déclaration d’un fonctionnaire de l’ARC consignée à la page 9 du nouveau rapport d’examen au deuxième palier (page 256 du dossier d’appel); dans ce document, qui compte parmi les documents examinés par le ministre avant que soit prise la décision, le fonctionnaire déclare :   

      [traduction]

·         Aucune demande écrite antérieure à décembre 1996 ne figure au dossier. Le représentant du contribuable, M. Au-Yeung, reconnaît que la demande de report rétrospectif des pertes n’a été présentée qu’en décembre 1996, au moment du règlement. L’ARC n’avait aucune trace de cette demande jusqu’en mars 2003. Toutefois, certains indices dans nos dossiers donnent à penser qu’une demande de cette nature aurait pu être faite au moment du règlement, et l’ARC a donné le bénéfice du doute au contribuable et accepté qu’une demande a été faite en décembre 1996 – le 1er décembre 1996. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           À mon sens, ces déclarations suffisent amplement à étayer les conclusions de fait du juge de première instance, à savoir que la demande de report rétrospectif des pertes a été faite en décembre 1996 et que le ministre a commis une erreur ou occasionné un retard en refusant d’accepter la demande et de lui donner effet au moment où elle a été présentée. En outre, ces déclarations sont incompatibles avec la prétention de la Couronne, qui a affirmé à l’audience que le choix de la date du 1er décembre 1996 comme date d’application effective du report rétrospectif des pertes découlait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR.

 

[37]           La conséquence de l’omission du ministre de donner suite à la demande de report rétrospectif des pertes présentée par Slau en 1996 est évidente. Cette omission a entraîné l’accumulation des intérêts courus après le 1er décembre 1996. Ces intérêts n’auraient vraisemblablement pas commencé à courir, ou du moins ils n’auraient probablement pas, et de loin, atteint le niveau du montant qui a été versé par Slau, si le ministre avait donné suite à la demande de report à l’époque de sa présentation initiale, en 1996. 

 

[38]           Quel est dès lors l’effet de cette omission sur la décision du ministre de ne pas annuler les intérêts courus après le 1er décembre 1996? En substance, le juge de première instance a estimé que la décision de ne pas annuler les intérêts courus après le 1er décembre 1996 était déraisonnable et il a en conséquence infirmé cette décision. À mon avis, cette conclusion est justifiable.

 

[39]           Dans la décision, le ministre a déclaré que l’ARC n’avait commis aucune erreur ni causé aucun retard qui soit à l’origine de l’obligation de Slau de payer quelque partie que ce soit des intérêts courus après le 1er décembre 1996. Or, le juge de première instance a conclu que cette prémisse factuelle, sur laquelle est fondée la décision, est erronée, et je suis d’avis qu’aucun motif justifiant de modifier cette conclusion n’a été établi dans le présent appel. Il me paraît évident qu’une décision fondée sur une prémisse factuelle aussi importante ne saurait répondre au critère de « justification » ou d’« intelligibilité » défini dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, alors que cette prémisse a été jugée erronée. Partant, je suis d’avis que la décision du ministre de refuser d’annuler les intérêts courus après le 1er décembre 1996 était déraisonnable, et à cet égard, je partage l’avis du juge de première instance.

 

La décision du juge de première instance

[40]           Après avoir conclu que la décision était déraisonnable, le juge de première instance a estimé qu’elle devait être annulée. Jusque‑là, je suis d’accord avec cette décision. Toutefois, le juge, se fondant sur le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi sur les Cours fédérales), a ensuite donné instruction au ministre d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la LIR d’une manière très précise, statuant que le ministre ne pouvait exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire que d’une seule façon. Sur ce point, je dois, avec égards, exprimer mon désaccord avec le juge de première instance.

 

[41]           Devant notre Cour, la Couronne soutient que le juge de première instance a outrepassé la compétence que lui reconnaît le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales en ordonnant au ministre de faire une chose que n’exige pas le paragraphe 220(3.1) de la LIR. La Couronne fait valoir, à mon avis avec justesse, que cette disposition de la LIR exige seulement que le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire qu’elle lui confère, mais n’impose aucun résultat particulier au ministre à cet égard. Contrairement au juge de première instance, j’estime que, dans le contexte factuel de l’espèce, l’exercice du pouvoir discrétionnaire que confère au ministre le paragraphe 220(3.1) de la LIR pourrait mener à des résultats autres que celui qu’il a énoncé. En conséquence, je conclus que le juge de première instance a commis une erreur en imposant un résultat unique au ministre au terme du réexamen de sa décision.  

 

Conclusion

[42]           Étant donné ma conclusion selon laquelle le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la partie de la décision du ministre portant refus d’annuler les intérêts courus après le 1er décembre 1996 était déraisonnable, mais a commis une erreur dans l’ordonnance qu’il a rendue à la suite de cette conclusion, je suis d’avis qu’il suffit d’annuler simplement cette partie de la décision et de renvoyer cette question au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen conformément aux présents motifs.

 

DISPOSITIF

[43]           Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance du juge de première instance et, rendant l’ordonnance qui celui-ci aurait dû rendre, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du ministre en date du 6 novembre 2007 et je renverrais l’affaire au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen conformément aux présents motifs. Étant donné que les deux parties obtiennent partiellement gain de cause dans le présent appel, je n’adjugerais aucuns dépens.

 

 

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

Carolyn Layden-Stevenson »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                      A-560-08

 

(APPEL D’UN JUGEMENT (2008 CF 1142) DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 8 OCTOBRE 2008)

 

INTITULÉ :                                                                     Agence du revenu du Canada c.

                                                                                          Slau Limited

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                              Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                             Le 8 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                          Le juge Ryer

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                       Le juge Sexton

                                                                                          La juge Layden‑Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                                                    Le 22 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joanna Hill

POUR L’APPELANTE

 

Matthew Mostyn

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Radnoff Pearl

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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