ENTRE :
HOLY ALPHA AND OMEGA CHURCH OF TORONTO
et
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2009
Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE RYER
Dossier : A-214-08
Référence : 2009 CAF 265
EN PRÉSENCE DU JUGE RYER
ENTRE :
HOLY ALPHA AND OMEGA CHURCH OF TORONTO
demanderesse
et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] Un avis d'intention de révoquer l'enregistrement a été signifié le 10 avril 2008 en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR) à la Holy Alpha and Omega Church of Toronto (l’organisme de bienfaisance) pour faire connaître à cette dernière l’intention du ministre de révoquer son enregistrement en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré au sens du paragraphe 248(1) de la LIR (l’organisme de bienfaisance enregistré).
[2] L’organisme de bienfaisance a demandé à notre Cour, en vertu de l’alinéa 168(2)b) de la LIR, une ordonnance prorogeant le délai de 30 jours mentionné dans cette disposition et interdisant en conséquence au ministre de publier l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement dans la Gazette du Canada tant et aussi longtemps que l’organisme de bienfaisance n’aurait pas épuisé ses droits d’opposition et d’appel en ce qui concerne la révocation proposée de son enregistrement d’organisme de bienfaisance.
[3] L’avis d'intention de révoquer l'enregistrement faisait suite à la vérification comptable dont l’organisme de bienfaisance avait fait l’objet relativement à ses années d’imposition 2003 et 2004 de la part de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). La vérification a été entreprise parce que l’ARC craignait que des personnes chargées de préparer les déclarations de revenus aient vendu des reçus pour dons de bienfaisance de l’organisme de bienfaisance à des contribuables qui seraient ensuite en mesure de réclamer des déductions ou de crédits d’impôt relativement à des dons qui n’avaient jamais été faits à l’organisme de bienfaisance.
[4] Par suite de la vérification en question, l’ARC a, le 27 novembre 2007, écrit ce qu’on appelle une lettre d’équité administrative à l’organisme de bienfaisance. Cette lettre faisait part à l’organisme de bienfaisance de certains problèmes que la vérification avait permis de mettre au jour et invitait l’organisme de bienfaisance à expliquer pourquoi son enregistrement d’organisme de bienfaisance ne devait pas être révoqué.
[5] On peut résumer comme suit les manquements aux obligations prévues par la LIR dont l’ARC faisait état dans sa lettre d’équité administrative en ce qui concerne l’enregistrement des organismes de bienfaisance :
a) Tenue de registres et de livres de comptes : En 2003, environ 678 858 $ sur 742 553 $, et, en 2004, environ 1 619 011 $ sur 1 696 069 $, en dépenses totales effectuées par l’organisme de bienfaisance n’étaient appuyés d’aucune pièce justificative. En raison de l’absence de pièces à l’appui, il était impossible pour l’ARC de confirmer que les dépenses de l’organisme de bienfaisance avaient été effectuées à des fins de bienfaisance. De même, une importante partie des recettes déclarées par l’organisme de bienfaisance n’avaient pas été déposées dans son compte bancaire.
b) Contingent des versements : En raison de l’absence de pièces à l’appui, il était impossible pour l’ARC de déterminer si l’organisme de bienfaisance avait consacré son contingent de versements requis à ses activités de bienfaisance.
c) Direction et contrôle sur les ressources : En 2003 et 2004, des sommes en espèces de 224 520 $ et de 557 776 $ respectivement ont été transférées au cours d’une série de remises en mains propres. De plus, au cours des années visées par l’évaluation, des marchandises évaluées respectivement à 153 296 $ et à 324 952 $ ont été expédiées par conteneurs. Toutefois, aucun contrat de mandat ou document à transmettre au fisc n’ont été produits au sujet de ces transferts et de ces livraisons. Il était donc impossible pour l’ARC de déterminer si les fonds et les marchandises expédiées étaient assujettis au contrôle et à la direction de l’organisme de bienfaisance ou s’ils avaient servis à des fins de bienfaisance.
d) Reçus officiels pour dons de bienfaisance : Les reçus officiels pour dons de bienfaisance qui ont été remis pour les cadeaux en nature reçus par la demanderesse ne précisaient pas les renseignements de base se rapportant au cadeau qui avait été fait. De plus, dans certains cas, il y avait des reçus officiels pour dons de bienfaisance manquants ou non comptabilisés, dont un bloc d’environ 2 500 reçus.
e) Conseil d’administration : Il semble que, sur les quatre personnes que comptait le conseil d’administration de l’organisme de bienfaisance, deux avaient un lien de dépendance entre elles, ce qui allait à l’encontre de l’obligation voulant que plus de la moitié des administrateurs n’aient aucun lien de dépendance.
[6] L’ARC a convenu d’accorder à l’organisme de bienfaisance jusqu’à la mi-février 2008 pour répondre à la lettre d’équité administrative, mais l’organisme de bienfaisance n’a pas respecté cette échéance, vraisemblablement en raison des difficultés qu’il avait eues à obtenir de l’aide professionnelle.
[7] Au début de mars 2008, un conseiller dont les services avaient été retenus par l’organisme de bienfaisance a écrit à l’ARC pour lui relater les progrès accomplis par l’organisme de bienfaisance en vue de répondre aux préoccupations exprimées par l’ARC dans sa lettre d’équité administrative. Cette lettre n’a toutefois pas convaincu l’ARC.
[8] L’avis d'intention de révoquer l'enregistrement a été signifié le 10 avril 2008. Le ministre y déclarait son intention de révoquer l’enregistrement de la demanderesse en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré pour les raisons exposées dans la lettre d’équité administrative.
[9] Le délai de 90 jours dans lequel l’organisme de bienfaisance avait, en vertu du paragraphe 168(4) de la LIR, le droit de déposer un avis d’opposition à l’avis d'intention de révoquer son enregistrement a commencé à courir à la date de la signification de l’avis d'intention de révoquer l'enregistrement.
[10] Le 8 mai 2008, l’organisme de bienfaisance a déposé la demande dont la Cour est aujourd’hui saisie. L’organisme de bienfaisance n’a toutefois pas respecté l’échéance de la mi‑juillet 2008 qui lui avait été fixée pour déposer un avis d’opposition.
[11] Le 22 septembre 2008, l’organisme de bienfaisance a tenté de déposer tardivement un avis d’opposition en demandant au ministre de consentir à cette mesure. Le ministre a d’abord refusé d’accepter l’avis d’opposition mais il semble que ce ne soit plus le cas et que l’avis d’opposition ait été soumis à la Direction des appels de la Direction des organismes de bienfaisance.
LA DEMANDE
[12] Les parties ont précisé que la présente demande devait être examinée à la lumière du critère à trois volets énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Conformément à la jurisprudence récente de notre Cour, je suis disposé à l’examiner de cette manière (voit les arrêts International Charity Association Network c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 114, et Choson Kallah Fund of Toronto c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 311).
[13] Pour obtenir l’ordonnance prévue à l’alinéa 168(2)b) de la LIR sur le fondement du critère posé dans l’arrêt RJR-MacDonald, l’organisme de bienfaisance doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger, qu’il subira un préjudice irréparable si l’ordonnance n’est pas prononcée et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du prononcé de cette ordonnance.
Question sérieuse
[14] Sa Majesté a choisi de ne pas contester cet élément du critère de l’arrêt RJR-MacDonald.
Préjudice irréparable
[15] Pour établir l’existence d’un préjudice irréparable au sens du critère de l’arrêt RJR‑MacDonald, il faut faire la preuve d’un préjudice qui, de par sa nature, ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou d’un préjudice auquel il ne peut être remédié. En l’espèce, la demanderesse conteste la constitutionnalité des dispositions législatives qui régissent sa capacité d’annoncer ses produits en vente et elle affirme, dans sa demande, que les dispositions législatives en question ont porté préjudice à ses intérêts commerciaux.
[16] Lorsque la demande à l’examen est présentée en vertu de l’alinéa 168(2)b) de la LIR, l’établissement de cet élément du critère est rendu plus difficile par le fait qu’en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré, la demanderesse a essentiellement pour objet d’acquérir des biens pour ensuite en faire le don. Par contraste, une entreprise commerciale est par définition motivée par la volonté d’acquérir des biens et, du moins dans une certaine mesure, d’accumuler des profits.
[17] Il s’ensuit donc, à mon avis, que lorsque le demandeur est un organisme de bienfaisance enregistré, on est justifié d’interpréter de façon un peu plus large les conditions d’application du deuxième volet du critère de l’arrêt RJR-MacDonald. Plus particulièrement, il y a lieu de se demander si des personnes ou des organismes qui dépendent de la demanderesse subiraient un préjudice irréparable si la demanderesse devait réduire les dons qu’elle leur fait par suite de la perte de son statut d’organisme de bienfaisance enregistré. Le juge en chef Rip, de la Cour canadienne de l’impôt, a adopté une approche similaire dans l’affaire International Charity Association Network c. Sa Majesté la Reine, 2008 CCI 3, dans laquelle il a appliqué le critère de l’arrêt RJR-MacDonald dans le cadre d’une demande présentée en vertu du paragraphe 188.2(4) de la LIR en vue de faire reporter la suspension d’un an, par le ministre, du pouvoir d’un organisme de bienfaisance de délivrer des reçus officiels pour dons de bienfaisance
[18] Dans l’arrêt Choson Kallah, j’ai estimé que le volet du critère portant sur le préjudice irréparable n’avait pas été établi parce qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant qu’un tel préjudice serait causé au demandeur ou à une personne ou à une organisation spécifique dont on pouvait démontrer qu’elle dépendait du demandeur. Plus particulièrement, j’ai jugé que la possibilité que le demandeur reçoive moins de dons s’il n’était plus en mesure de remettre des reçus fiscaux officiels aux donateurs n’était pas en soi suffisante pour établir que l’élément du critère portant sur le préjudice irréparable était rempli.
[19] À l’audience, l’avocate de l’organisme de bienfaisance m’a exhorté à réexaminer cette dernière conclusion en faisant valoir qu’on ne sait pas avec certitude si l’organisme de bienfaisance serait en mesure d’obtenir des dommages-intérêts pour les dons qu’il perdrait advenant le cas où la révocation de son enregistrement en tant qu'organisme de bienfaisance serait annulée par suite d’un examen sur le fond de la révocation. À mon avis, cet argument est mal fondé.
[20] Toute préoccupation quant à une éventuelle incertitude au sujet de la capacité de l’organisme de bienfaisance d’obtenir des dommages-intérêts pour les dons perdus par suite de la révocation de son enregistrement en tant qu'organisme de bienfaisance avant tout examen sur le fond de la révocation suppose nécessairement que l’organisme de bienfaisance est effectivement en mesure d’établir qu’il a subi un préjudice par suite de la perte de dons.
[21] À mon avis, le fait que l’organisme de bienfaisance recevrait moins de dons signifierait simplement qu’il disposerait de moins d’argent pour faire des dons ou pour remplir ses obligations. Je ne vois pas quel préjudice subirait l’organisme de bienfaisance du simple fait qu’il a moins d’argent à donner. L’existence d’un préjudice pourrait toutefois être établie si l’on présentait des éléments de preuve démontrant que l’organisme de bienfaisance ne serait pas en mesure de s’acquitter de certaines de ses obligations parce qu’il aurait reçu moins de dons. En l’espèce, l’organisme de bienfaisance n’a fourni aucun élément de preuve portant sur de telles obligations. D’ailleurs, il semble qu’on ne trouve au dossier aucun état financier qui dresserait le portrait de la situation financière de l’organisme de bienfaisance, dans la mesure où ces éléments pourraient être pertinents en ce qui concerne la révocation proposée de son enregistrement en tant qu'organisme de bienfaisance.
[22] J’estime enfin que si l’on retenait l’argument que la réception de dons moins élevés constitue nécessairement une preuve de préjudice irréparable au sens du critère de l’arrêt RJR‑MacDonald, on supprimerait effectivement ce volet du critère dans le cas de toute demande qui serait présentée en vertu de l’alinéa 168(2)b) de la LIR, ce qui, à mon avis, serait inacceptable.
[23] L’organisme de bienfaisance soutient également que la révocation proposée causerait un préjudice irréparable à sa réputation, bien que son avocate ait admis à l’audience que l’organisme de bienfaisance n’avait présenté aucune preuve démontrant que la révocation nuirait à sa réputation et bien que le dossier ne renferme aucun élément de preuve en ce sens.
[24] L’avocate de l’organisme de bienfaisance affirme qu’on pourrait nuire à la réputation de sa cliente si l’ARC devait déclarer publiquement que l’organisme de bienfaisance a été impliqué dans la vente de reçus officiels pour dons de bienfaisance avant que le sort de la demande ne soit connu à l’issue de l’audience sur le fond. En réponse à cette préoccupation, l’avocate de Sa Majesté a promis de donner, et a effectivement donné, un engagement, dont la forme a été acceptée par l’organisme de bienfaisance, par lequel elle promettait de ne faire aucune déclaration publique en ce sens.
[25] Hormis les arguments susmentionnés, l’organisme de bienfaisance n’a pas invoqué d’autres moyens pour prétendre qu’il subirait lui-même un préjudice irréparable si l’ordonnance demandée n’était pas accordée. On trouve néanmoins au dossier des éléments de preuve démontrant que Holy Alpha Academy (l’Académie), du Ghana, a reçu d’importants dons de la part de l’organisme de bienfaisance. Suivant l’affidavit souscrit par M. James Wells de l’ARC, l’organisme de bienfaisance a remis à l’Académie, au Ghana, de l’argent comptant et des marchandises pour une valeur approximative de 376 816 $ en 2003 et de 882 728 $ en 2004. Le dossier indique par ailleurs que, pour les années 2003-2004 et 2004-2005 de l’Académie, les dons reçus de l’organisme de bienfaisance représentaient un pourcentage important du total des dons reçus par l’Académie (dossier de la demanderesse, aux pages 70 et 71). Ces éléments de preuve indiquent que l’Académie dépendait fortement de l’organisme de bienfaisance au cours des années en question. On ne trouve toutefois au dossier aucune preuve provenant de l’Académie ou de l’organisme de bienfaisance qui indiquerait les raisons pour lesquelles l’Académie dépendait à ce point de l’organisme de bienfaisance au cours des années en question ou qui permettrait de savoir si cette dépendance se poursuivrait probablement les années suivantes. En conséquence, à défaut de preuve en ce sens, je ne suis pas convaincu que l’Académie, en tant qu’organisme potentiellement dépendant de l’organisme de bienfaisance, subira un préjudice irréparable si l’ordonnance demandée n’était pas prononcée. Il s’ensuit que l’organisme de bienfaisance n’a pas établi le second élément du critère de l’arrêt RJR-MacDonald.
Prépondérance des inconvénients
[26] Comme l’organisme de bienfaisance n’a pas réussi à établir le volet du préjudice irréparable du critère de l’arrêt RJR-MacDonald, il n’est pas nécessaire que j’examine le troisième volet du critère.
DISPOSITIF
[27] Pour les motifs qui ont été exposés, la demande sera rejetée avec dépens.
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-214-08
INTITULÉ : Holy Alpha and Omega Church
of Toronto c. Procureur général du Canada
DATE DE L’AUDIENCE : le 9 septembre 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : le juge Ryer
DATE DES MOTIFS : le 15 septembre 2009
COMPARUTIONS :
POUR LA DEMANDERESSE
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ottawa (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR
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