ENTRE :
et
Audience tenue à Québec (Québec), le 14 décembre 2009.
Jugement rendu à l’audience à Québec (Québec), le 14 décembre 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR: LE JUGE LÉTOURNEAU
Date : 20091214
Dossier : A-558-08
Référence : 2009 CAF 370
CORAM : LE JUGE EN CHEF BLAIS
LE JUGE LÉTOURNEAU
LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
GUY PICARD
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l’audience à Québec (Québec), le 14 décembre 2009)
[1] L’appelant, qui se représente seul, conteste une décision du juge Bédard (juge) de la Cour canadienne de l’impôt. Par cette décision, le juge confirmait les nouvelles cotisations émises par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (Loi). Les cotisations visaient les années d’imposition 1999, 2000 et 2001.
[2] Le juge a conclu que les revenus non déclarés de l’appelant étaient des biens assujettis à l’impôt parce qu’il ne s’agissait pas de biens situés sur la réserve au sens de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.
[3] Pour parvenir à cette conclusion, le juge a appliqué aux faits de l’espèce les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, ainsi que les facteurs de rattachement à la réserve analysés par notre Cour dans l’affaire Southwind c. Canada, [1998] A.C.F. no 15 (QL).
[4] Sa conclusion en est donc une mixte de fait et de droit à laquelle il nous faut appliquer la norme de l’erreur manifeste et dominante. En d’autres termes, nous ne pouvons intervenir pour annuler ou modifier cette conclusion que si elle est entachée d’une telle erreur : voir Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.
[5] Nous sommes d’avis que le juge s’est bien instruit quant à la règle de droit applicable en l’espèce. Nous sommes également d’avis que la preuve devant le juge supportait sa conclusion que le revenu ajouté par le ministre n’était pas du revenu gagné sur la réserve.
[6] Les services rendus par l’appelant le furent au lieu d’affaires de son client situé à l’extérieur de la réserve, où, selon la preuve, il avait son bureau et y œuvrait à raison d’au moins huit (8) heures par jour, tous les jours ouvrables. Il n’était ni erroné, ni déraisonnable pour le juge de conclure que les revenus avaient été gagnés hors réserve. Nous sommes d’accord avec le juge que le fait que l’appelant résidait sur la réserve et qu’il possédait son bureau dans sa résidence n’a pas pour effet d’oblitérer les deux importants facteurs qu’il a retenus pour son analyse quant à cette partie du revenu ajouté à la déclaration de revenus de l’appelant.
[7] Une autre part des revenus en litige était constituée de revenus dits passifs. Dans un cas il s’agissait d’une appropriation par l’appelant, à titre d’actionnaire, de fonds appartenant à l’entreprise. Dans l’autre, le revenu passif provint du non-remboursement par l’appelant d’un prêt que lui avait fait l’entreprise. Dans les deux cas l’entreprise, qui était la même, était située, tel que déjà mentionné, à l’extérieur de la réserve de même que sa clientèle.
[8] L’appelant a fourni comme explication de l’appropriation qu’il s’est faite en tant qu’actionnaire qu’il s’agissait d’un paiement pour des services rendus lors de la transaction initiale. Or, il a admis qu’à cette occasion il n’avait rendu aucun service à l’entreprise : voir la transcription au dossier d’appel, aux pages 36, 42 et 53.
[9] Il soumet à l’audience que, puisqu’il n’a pas rendu les services et n’a pas touché le montant en litige, ce montant ne pouvait être ajouté à son revenu. Il s’agit en fait d’un montant pris à même les fonds de l’entreprise pour acquérir des actions de ladite entreprise. Des factures d’honoraires émises par l’appelant pour services prétendument rendus avaient pour but de réduire ou d’annuler la dette due par ce dernier à l’entreprise. Le juge n’a pas eu tort de conclure que l’appelant avait en conséquence reçu un avantage en tant qu’actionnaire.
[10] Même si ce point n’apparaissait pas dans son avis d’appel, l’appelant a exprimé une crainte de partialité de la part du juge du fait qu’il a entendu, à un jour d’intervalle, sa cause et celle de son associé avec qui il avait des rapports conflictuels.
[11] Plus précisément, son associé, M. Gravil, qui avait été assigné comme témoin par l’intimée, avait une jeune étudiante en droit en salle d’audience qui prenait des notes pour lui alors qu’il avait lui-même été exclu de l’audience comme témoin. Ce fait fut découvert et M. Gravil fut libéré comme témoin. Il a alors quitté les lieux sans avoir témoigné. Il n’en est donc résulté aucun préjudice pour l’appelant.
[12] L’appelant craint toutefois que le juge qui a pris sa cause en délibéré n’ait été influencé par les témoignages entendus dans la cause de M. Gravil.
[13] Au plan juridique, il n’y a rien qui s’oppose à ce qu’un juge tienne une seconde audience qui peut être interreliée avec la première. Dans l’affaire Arthur c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94, à la page 102, le juge MacGuigan citait les propos du Président Jackett dans l’affaire Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft et al. v. The Queen et al., [1968] 1 R.C.E. 443, aux pages 457 et 458 :
[TRADUCTION] À mon avis, il y a lieu d'aborder la question comme l'a fait, à mon sens, le juge Hyde dans l'arrêt Barthe v. The Queen [(1964) 41 C.R. 47], lorsqu'il a affirmé que «la capacité de rendre jugement dans une affaire en s'appuyant uniquement sur la preuve admissible présentée est une partie essentielle du processus judiciaire». À mon avis, l'on ne saurait craindre qu'un juge ait un parti pris simplement parce qu'il a exprimé, dans le cours de ses fonctions judiciaires, les conclusions auxquelles il est arrivé en se fondant sur la preuve dont il avait connaissance. S'il doit statuer sur les mêmes questions de fait dans une autre affaire, il est tenu de le faire à partir de la preuve présentée dans cette affaire, après avoir dûment tenu compte des arguments afférents qu'auront présentés les parties en l'espèce. Dans un tel cas, un juge aurait tout à fait tort de tenir compte de «connaissances personnelles» dérivées d’«un souvenir de la preuve» dont il aurait pris connaissance dans l'affaire antérieure. Il n'est pas raisonnable de craindre, selon «une réelle probabilité», qu'un juge négligera ses fonctions au point de statuer dans une affaire en s'appuyant en tout ou en partie sur une preuve entendue dans une affaire précédente.
Si je puis me permettre cette remarque, l'on semble craindre, en réalité, que le juge saisi d'une affaire qui soulève une question de fait sur laquelle le même tribunal a récemment statué ne puisse tout de même pas faire abstraction de la décision antérieure; en effet, il ne peut ignorer que des décisions apparemment contradictoires peuvent éventuellement miner la confiance en l'administration de la justice. Cependant, à mon sens, un juge qui participe aux deux décisions est mieux à même d'apprécier et d'expliquer les résultats distincts qui découlent de preuves distinctes, ou de manières distinctes de les présenter et de plaider qu'un juge qui n'a pas participé à l'instance antérieure. Je ne veux pas dire par là qu'à mon avis, le même juge devrait toujours instruire les deux affaires. Je veux plutôt dire qu'à mon sens, une telle situation ne cause pas nécessairement de préjudice à la partie qui a le fardeau d'arriver à un certain résultat, dans la seconde affaire, résultat qui est apparemment en conflit avec la décision antérieure.
[14] En outre, rien dans le jugement rendu en l’espèce ou au dossier ne permet de conclure, même de croire, que le juge a fait usage de faits établis, d’une preuve entendue ou de connaissances personnelles acquises dans le dossier de M. Gravil.
[15] Pour ces motifs, l’appel sera rejeté avec dépens.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
(APPEL D’UNE DÉCISION DU JUGE PAUL BÉDARD, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, DU 7 OCTOBRE 2008, NO DE DOSSIER 2006-1070(IT)G.)
DOSSIER : A-558-08
INTITULÉ : GUY PICARD c. SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L’AUDIENCE : Québec (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 14 décembre 2009
MOTIFS DU JUGEMENT LE JUGE EN CHEF BLAIS
DE LA COUR : LE JUGE LÉTOURNEAU
PRONONCÉS À L’AUDIENCE : LE JUGE LÉTOURNEAU
COMPARUTIONS :
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L’APPELANT SE REPRÉSENTANT SEUL
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POUR L’INTIMÉE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada |
POUR L’INTIMÉE |