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Dossiers : 2010-128(IT)G

2009-3619(GST)G

ENTRE :

EDWARD KLEMEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 


Demande tranchée suivant l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

Observations écrites :

 

Avocat de l’appelant :

Me Sanjaya R. Ranasinghe

Avocate de l’intimée :

Me Cynthia Isenor

 

ORDONNANCE

          Attendu qu’un jugement a été rendu le 29 juillet 2014;

          Attendu que les parties devaient fournir des observations écrites sur la question des dépens;

          Attendu que des observations écrites ont été déposées et prises en considération;

          La Cour ordonne que des dépens de 20 000 $, auxquels s’ajoutent les débours, soient adjugés à l’appelant, conformément aux motifs ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de décembre 2014.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de février 2015.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2014 CCI 369

Date : 20141216

Dossiers : 2010-128(IT)G

2009-3619(GST)G

ENTRE :

EDWARD KLEMEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Hogan

I.       Aperçu

[1]             Dans mon jugement tranchant les appels, j’ai invité les parties à me présenter des observations sur les dépens. Les deux parties ont présenté leurs observations écrites, et je suis maintenant disposé à trancher la question des dépens.

[2]             L’appelant demande le paiement d’une somme forfaitaire de 50 000 $ au titre des dépens, plus les débours, pour les deux appels. Il affirme que ce montant représente environ 75 % des frais avocat‑client effectivement engagés de 66 647,50 $ et que, des 50 000 $ demandés, 35 000 $ sont attribuables à l’appel concernant l’impôt sur le revenu et 15 000 $ le sont à l’appel concernant la taxe sur les produits et services (la « TPS »).

II.      Contexte factuel

[3]             Les dépens demandés par l’appelant sont considérablement plus élevés que ceux prévus par le tarif, qui seraient d’environ 5 000 $, en l’espèce, pour la partie ayant obtenu gain de cause.

[4]             Les appels ont été entendus sur preuve commune le 28 avril 2014. Quatre questions avaient été soulevées dans ces appels :

a)                 La seconde nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2004 était‑elle frappée de prescription?

b)                Le produit de la disposition de l’équipement en 2005 par l’appelant constituait‑il un gain réalisé à titre de capital ou à titre de revenu?

c)                 Quel était le prix de base rajusté (le « PBR ») de l’équipement?

d)                Quel montant de TPS, le cas échéant, l’appelant était‑il tenu de payer à l’égard du transfert de l’équipement?

[5]             L’appelant a obtenu gain de cause à l’égard des deux premières questions. L’intimée a eu raison sur le troisième point. Le résultat était partagé pour la quatrième question : l’appelant était tenu de payer de la TPS, mais le montant à verser était moins élevé que celui qui était réclamé par l’intimée.

[6]             L’intimée prétend que les parties ont obtenu un succès partagé au procès et que, par conséquent, aucune ordonnance ne devrait être rendue quant aux dépens. Elle prétend également que, si pareille ordonnance était rendue en faveur de l’appelant, un seul mémoire de frais devrait lui être accordé, suivant le tarif B, catégorie B.

III.     Analyse

[7]             Comme le juge Campbell Miller l’a souligné dans la décision Henco Industries Limited v. The Queen[1], [traduction] « la Cour canadienne de l’impôt est tout à fait disposée à écarter le tarif pour privilégier une analyse plus approfondie fondée sur les facteurs énoncés au paragraphe 147(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) ».

[8]             Les dispositions pertinentes de l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) sont rédigées de la façon suivante :

147(1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

[…]

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

 

a) du résultat de l’instance;

b) des sommes en cause;

c) de l’importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection,

 

i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

                        (i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le                              droit,

 

(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

 

A.      Le résultat de l’instance

[9]             Tel qu’il a été mentionné précédemment, l’appelant a obtenu gain de cause pour deux des quatre questions, ses arguments ont été rejetés sur un point, et le résultat était partagé pour la quatrième question. Toutefois, les questions à l’égard desquelles l’appelant a obtenu gain de cause visaient une partie très importante de toute la somme en cause. Dans l’ensemble, l’appelant a obtenu plus de succès dans les appels.

[10]        La jurisprudence révèle que la question de l’adjudication des dépens ne devrait pas dépendre du résultat des différents arguments avancés, mais bien du résultat global[2].

[11]        Compte tenu du fait que l’appelant a en bonne partie obtenu gain de cause dans ses appels, ce facteur penche fortement en faveur de l’adjudication de dépens au moins équivalents à ceux qui sont prévus par le tarif.

B.      Les sommes en cause

[12]        Les observations des parties concernant les dépens n’indiquent pas de façon parfaitement claire quel est le montant en cause.

[13]        Dans les observations de l’intimée, la seule information concernant le montant en cause est la note de bas de page suivante : [traduction] « le total des sommes en cause avant l’audience se chiffrait à 77 985,42 $, y compris les sommes ayant fait l’objet d’un règlement avant l’audience et celles pour lesquelles l’intimée a obtenu gain de cause[3] ». Toutefois, il ressort de la jurisprudence que, lorsque le tribunal doit tenir compte des sommes en cause pour l’adjudication des dépens, il ne doit pas inclure les sommes ayant fait l’objet d’un règlement avant l’instruction[4].

[14]        L’appelant affirme simplement que le montant d’impôt sur le revenu qu’il devait a été réduit de 81 511,95 $ (sans les intérêts) et que le montant de TPS qu’il devait a été réduit de 10 533 $ (ou de 19 541,77 $ avec les intérêts courus et les pénalités) dans la nouvelle cotisation établie à la suite de l’instruction par rapport à celle qui l’avait été initialement. On peut supposer que ces chiffres incluent également les sommes ayant fait l’objet d’un règlement avant le procès, mais ils ne nous renseignent pas sur les sommes en cause à l’instruction.

[15]        M’appuyant sur les observations des parties et les motifs du jugement de la présente affaire, j’ai réussi à tirer les conclusions suivantes :

a)                 Questions 1 et 2 : si l’on se fie à ses observations, l’appelant a obtenu une réduction d’impôt sur le revenu de 81 511,95 $ à la suite de l’instruction par rapport à la nouvelle cotisation qui avait été établie initialement. Cela inclurait les sommes économisées en raison du succès obtenu pour les deux premières questions soulevées à l’instruction, ainsi que celles économisées par suite des règlements conclus avant l’instruction. Il se peut donc que le total des sommes économisées soit plus élevé que les sommes qui étaient en cause à l’instruction pour les deux premières questions. Toutefois, étant donné que ces questions étaient binaires (autrement dit, de l’impôt était payable ou non), la somme en cause pour ces questions ne pouvait pas être plus élevée que le total des sommes économisées par suite de la conclusion favorable tirée à l’endroit de l’appelant.

b)                Question 3 : l’appelant affirme que, s’il avait obtenu gain de cause concernant le PBR de l’équipement, il aurait économisé 14 867 $.

c)                 Question 4 : pour la quatrième question, qui concerne la TPS exigible pour les années 2004 et 2005, le montant dû aurait pu se situer entre zéro et 16 582 $[5]. Ainsi, la somme en cause à cet égard s’établit à 16 582 $.

[16]        Par conséquent, le total des sommes en cause se chiffre à tout au plus 112 961 $ (soit le total des sommes précisées précédemment). Les dépens demandés par l’appelant, sans compter les débours, totalisent environ 44 % du montant maximal en cause.

[17]        Ce facteur penche en faveur de l’adjudication de dépens additionnels pour l’appelant, mais non de la totalité de ceux qui ont été demandés.

C.      L’importance des questions en litige

[18]        L’appelant avance qu’étant donné que les questions soulevées en appel revêtaient, pour lui, beaucoup d’importance sur le plan financier, ce facteur milite en faveur d’une adjudication de dépens plus élevés à son endroit. Toutefois, la jurisprudence semble indiquer que la question n’est pas de savoir à quel point les questions soulevées sont importantes pour le contribuable (on pourrait s’attendre à ce qu’un contribuable qui interjette appel devant la Cour canadienne de l’impôt considérerait sa cause comme revêtant une importance capitale sur le plan personnel), mais bien de savoir si la décision concernant les questions soulevées aura une valeur jurisprudentielle importante. Par exemple, voir les décisions Henco[6] et General Electric Capital Canada Inc. v. The Queen[7].

[19]        Les questions soulevées dans ces affaires n’ont pas une valeur jurisprudentielle importante. Par conséquent, ce facteur ne penche pas en faveur de l’adjudication de dépens plus élevés à l’appelant.

D.      L’offre de règlement

[20]        L’appelant a présenté plusieurs offres de règlement à l’intimée, mais aucune n’était tout à fait égale ou supérieure au résultat obtenu à l’instruction. Par conséquent, le paragraphe 147(3.1) ne s’applique pas et l’appelant ne peut avoir droit aux dépens indemnitaires substantiels. Cependant, il faut considérer les offres de règlement dans le contexte de tous les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) pour décider si des dépens plus élevés doivent être accordés.

[21]        L’intimée soutient que, comme les deux parties ont présenté des offres de règlement par écrit et se sont employées activement à régler les questions en litige avant l’instruction, ce facteur ne devrait pas pencher en faveur d’une adjudication de dépens plus élevés.

[22]        L’appelant soutient que ses dernières offres de règlement étaient très proches du résultat obtenu à l’instruction et que, compte tenu de cela, il devrait avoir droit à des dépens plus élevés.

[23]        Compte tenu du fait que les offres de règlement de l’appelant sont assez proches du résultat définitif, il semble approprié d’accorder des dépens additionnels sur la base des offres de règlement, mais non les dépens indemnitaires substantiels que l’appelant demande.

E.      La charge de travail

[24]        L’avocat de l’appelant a déposé un historique de la facturation intitulé [traduction] « Ed Klemen – objet : nouvelle cotisation 2004 – 2005[8] », qui révèle que 244,70 heures de travail ont été facturées au dossier, pour un total de 66 647,50 $.

[25]        La charge de travail exigé de l’avocat de l’appelant dans la présente affaire s’est considérablement accrue en raison du défaut de l’appelant de tenir des registres satisfaisants et des problèmes de communication survenus entre l’appelant et son avocat.

[26]        De plus, l’historique de la facturation produit par l’appelant ne comporte aucune ventilation des tâches accomplies durant les 244,70 heures de travail, et l’intimée souligne qu’une partie indéterminée de ce travail peut être attribuable à un chevauchement des tâches, l’appelant ayant changé d’avocat, ou à des questions réglées avant l’instruction.

[27]        Ce facteur ne penche pas en faveur d’une adjudication de dépens additionnels.

F.      La complexité des questions en litige

[28]        Les questions soulevées en l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes. L’appelant fait état du nombre de ces questions et des difficultés éprouvées pour rassembler les documents. Toutefois, ces éléments doivent être pris en considération pour le facteur de la charge de travail, et non pour celui de la complexité des questions.

[29]        Ce facteur ne penche pas en faveur de l’adjudication de dépens additionnels.

G.      La conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance

[30]        L’appelant allègue que l’intimée n’a pas bien évalué le bien‑fondé de l’affaire au début de l’instance ou avant l’instruction et que cela a prolongé inutilement l’instance. Selon lui, si l’intimée s’était montrée plus raisonnable lors des négociations menées en vue d’un règlement, la tenue d’un procès n’aurait peut‑être pas été nécessaire. Il affirme essentiellement que l’intimée aurait dû faire des concessions sur certaines questions avant l’instruction et que son omission de le faire constituait une conduite qui a prolongé inutilement l’instance.

[31]        L’intimée n’a pas formulé d’observations précises à ce sujet, mais j’hésite beaucoup à établir une pratique d’adjudication de dépens plus élevés fondée sur une appréciation rétrospective. Comme le juge Campbell Miller l’a souligné dans la décision Henco, [traduction] « [p]our que ce facteur soit déterminant, il doit être évident […] qu’une partie s’est conduite de manière déraisonnable[9] ». Le simple fait que l’intimée n’a pas obtenu gain de cause sur certaines questions à l’instruction ne signifie pas qu’il était déraisonnable de soulever ces questions.

IV.     Conclusion

[32]        Les autres facteurs énoncés au paragraphe 147(3) ne s’appliquent pas en l’espèce. Les facteurs applicables ne justifient pas le pourcentage des dépens avocat‑client demandés par l’appelant, mais ils justifient cependant l’adjudication de dépens plus élevés que ceux qui sont prévus par le tarif. L’appelant a demandé un montant équivalant à 75 % des dépens avocat‑client, plus les débours. Un montant équivalant à environ 30 % des dépens avocat‑client, auxquels s’ajoutent les débours, semble approprié en l’espèce. Pour tous ces motifs, je conclus que l’appelant a droit à une somme forfaitaire de 20 000 $ plus les débours.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de décembre 2014.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de février 2015.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 369

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2010-128(IT)G

2009-3619(GST)G

 

INTITULÉ :

EDWARD KLEMEN c. LA REINE

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 16 décembre 2014

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Avocat de l’appelant :

Me Sanjaya R. Ranasinghe

Avocate de l’intimée :

Me Cynthia Isenor

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Pour l’appelant :

 

 

Nom :

Sanjaya R. Ranasinghe

 

Cabinet :

Felesky Flynn LLP

Edmonton (Alberta)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] 2014 CCI 278, au paragraphe 2.

[2] SWS Communication Inc. c. La Reine, 2012 CCI 377, [2012] G.S.T.C. 107 (CCI).

[3] Observations écrites de l’intimée sur la question des dépens, note de bas de page 10.

[4] Amherst Crane Rentals Limited v. Perring, 2004 DTC 6584 (C.A. Ont.). Je souligne que cet arrêt a été rendu par la Cour d’appel de l’Ontario, en vertu de l’article 57.01 des Règles de procédure civile de l’Ontario (l’équivalent de l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale)), et qu’il est invoqué pour le principe mentionné dans l’édition courante de l’ouvrage de Robert McMechan et de Gordon Bourgard intitulé Tax Court Practice.

[5] Klemen c. Le Reine, 2014 CCI 244, 2014 DTC 1170, au paragraphe 20.

[6]   Précitée, note de bas de page 1, aux paragraphes  7 à 11.

[7] 2010 CCI 490, 2010 DTC 1353, aux paragraphes 32 et 33.

[8]   Observations écrites de l’appelant sur la question des dépens, annexe A.

[9] Henco, précitée, note de bas de page 1, au paragraphe 20.

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