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Dossier : 2012-3692(IT)G

ENTRE :

568864 B.C. LTD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 2, 3, 4, 5 et 6 juin 2014, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Thomas M. Boddez

Avocat de l’intimée :

Me Bruce Senkpiel

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que l’appelante a droit à une perte finale de 3 871 057 $ par suite de la disposition d’un bien de la catégorie 14.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de décembre 2014.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de juin 2015

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

Référence : 2014 CCI 373

Date : 20141229

Dossier : 2012-3692(IT)G

ENTRE :

568864 B.C. LTD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Rip

[1]             La société 568864 B.C. Ltd., c’est-à-dire l’appelante, affirme que, en 2005, elle a acquis des brevets, un bien de la catégorie 14, à l’occasion d’une procédure de faillite, pour la somme de 3 500 000 $ et que, lorsqu’elle a vendu les brevets en 2007, l’année visée par l’appel, pour la somme de 1 $, elle a subi une perte finale aux sens du paragraphe 20(16) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)[1]. La Couronne rejette cette thèse. Selon elle, l’appelante n’a pas acquis les brevets en 2005 et, dans le cas contraire, elle ne les a pas acquis en vue de gagner un revenu. Par conséquent, les brevets n’étaient pas des biens amortissables [alinéa 1102(1)a) du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »)], et l’appelante ne peut déduire une perte finale. L’intimée a établi la cotisation de l’appelante pour l’année 2007 en considérant que l’appelante a disposé d’une immobilisation non amortissable qui donnait lieu à une perte en capital. Une ordonnance de la Cour datée du 16 mai 2014 autorisait l’intimée à produire une réponse modifiée modifiée à l’avis d’appel – trois semaines avant le procès – pour que soit retirée la présomption du ministre du Revenu national selon laquelle la vente des brevets avait eu lieu en 2007; selon la nouvelle thèse de l’intimée, le titre et l’intérêt effectifs afférents aux brevets ont été acquis par l’appelante en 2010[2].

[2]             Pour que le contribuable puisse déduire une somme en tant que perte finale, il doit avoir engagé des dépenses en capital pour l’acquisition de la propriété effective de biens amortissables d’une catégorie réglementaire. En l’espèce, l’appelante soutient que les brevets constituaient à l’origine une sûreté portant sur un prêt de 3 500 000 $ et que, une fois le prêt devenu irrécouvrable, elle s’est vu attribuer la propriété effective des brevets : paragraphes 79.1(2) et 79.1(6) de la Loi.

[3]             Dans le présent appel, je dois répondre à deux questions essentielles :

1)    l’appelante a-t-elle acquis la propriété effective des brevets avant septembre 2007, moment auquel elle affirme avoir vendu les brevets? Si la réponse est négative, alors l’appel doit être rejeté;

2)    si la réponse à la question 1 est affirmative, alors je dois rechercher si l’appelante a acquis les brevets en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[4]             Pour répondre à ces questions, en particulier à la question 2, je crois malheureusement devoir faire un examen assez détaillé des faits de l’affaire.

[5]             Lorsqu’il a établi la cotisation de l’appelante pour l’année 2007, le ministre n’a pas posé comme hypothèse que l’appelante avait acquis la propriété effective des brevets en 2010. L’intimée doit donc étayer son allégation selon laquelle l’appelante n’a acquis la propriété effective des brevets qu’en 2010.

Faits

[6]             L’appelante fait partie d’un groupe de sociétés connues, et désignées, sous l’appellation Woodtone Group, ou Woodtone, sociétés qui sont contrôlées par M. Jim Young et des membres de sa famille.

[7]             M. Young a obtenu un M.B.A. de l’Université de Washington après avoir obtenu un diplôme de premier cycle à l’Université Simon Fraser. En 1977, lui-même et un associé ont fait l’acquisition d’une scierie de bardeaux et de bardeaux de fente en cèdre, et, plus tard, en 1989, il a acheté la société Woodtone Industries Inc., à Abbotsford (C.-B.), une entreprise dont l’activité à l’époque était le resciage final du cèdre. Comme les affaires étaient florissantes, de nouvelles sociétés, ainsi que des fiducies, furent établies pour aboutir à ce que l’on finit par appeler le Woodtone Group of Companies.

[8]             La société exploitante du Woodtone Group est W.I. Woodtone Industries Inc. (W.I.). Toutefois, M. Young a expliqué qu’il emploie l’appellation « Woodtone » lorsqu’il négocie avec l’industrie du bois, quelle que soit la société concernée, plutôt que la dénomination de telle ou telle société du groupe. Ainsi, bien qu’il puisse porter la casquette de président de l’appelante, il emploie [traduction] « en langage courant » l’appellation « Woodtone ».

[9]             La principale source de revenus de W.I. depuis les années 1990 est la fabrication d’une gamme de planches de garniture extérieure destinées aux constructions résidentielles neuves, planches généralement appelées planches de bordure ou planches de gouttière. La planche posée derrière une gouttière de métal, autour d’une fenêtre ou sur le coin extérieur d’une habitation est une planche de gouttière, comme l’a expliqué M. Young. Selon M. Young, W.I. est une entreprise de planches de garniture extérieure qui n’utilise que du bois véritable. L’entreprise fabrique aussi des produits connexes pour fenêtres, portes, coins d’habitations, c’est-à-dire des planches de garniture extérieure et des produits de parement [traduction] « tous faits sur commande, classés selon l’aspect visuel, tous apprêtés et peints sur commande, prêts à l’utilisation sur des constructions nouvelles partout en Amérique du Nord[3] ».

[10]        Le rôle de l’appelante elle-même, selon M. Young, consiste à assurer, moyennant rémunération, des services de gestion à W.I. et à détenir des actifs [traduction] « qu’il ne convient pas, à notre avis, de conserver au sein de [W.I.], bien qu’ils soient utilisés par [W.I.] et que nous les louons [à W.I.] contre paiement ».

[11]        M. Young a expliqué que, si les fonctions de l’appelante et celles de W.I. sont distinctes, c’est parce que W.I. verse des primes à ses employés en fonction des résultats de l’entreprise, primes qui sont fondées uniquement sur les profits ou les pertes résultant des activités de l’entreprise. [traduction] « Je ne veux pas que les profits d’années antérieures investis dans quelque chose… conduisent à des pertes, car alors tout le monde subit une perte pour l’année et aucune prime n’est versée… [à cause de] mon erreur stratégique en tant que directeur. » Le rôle de l’appelante [traduction] « consistait à détenir des actifs de valeur et à faire d’autres investissements… au nom du Woodtone Group pouvant être rentables ou non, mais la société exploitante ne paie pas le prix ni ne recueille le bénéfice de cette décision. »

[12]        M. Young a également qualifie l’appelante de [traduction] « en réalité le directeur général » de W.I.

[13]        Un accord de gestion conclu entre les deux sociétés porte la date du 23 juillet 1998. Voici le deuxième attendu de l’accord:

[traduction]

B.        À la demande de Woodtone, la société 568864 B.C. Ltd. assurera des services d’exploitation, des services de gestion et des services financiers à Woodtone pour garantir la bonne gestion de l’usine, comme il est énoncé à l’annexe A;

[…]

ANNEXE A

SERVICES QUI SERONT FOURNIS

Les services qui seront assurés par le directeur seront les services qui doivent normalement être assurés par tout directeur d’une entreprise de fabrication et de vente en gros de parements et de planches de bordure, à savoir la surveillance générale des activités de commercialisation, de production ainsi que de gestion du personnel, et les services comprendront notamment ce qui suit :

1.         établir les priorités touchant les ventes, la production, le contrôle de la qualité et la maintenance;

2.         gérer, de façon générale, la production;

3.         obtenir et livrer les produits;

4.         gérer les relations avec la clientèle;

5.         recruter, superviser et gérer le personnel;

6.         assurer la planification stratégique et établir le budget des investissements;

7.         superviser les équipes des ventes et du marketing, tenir les comptes importants et participer aux réunions hebdomadaires de l’équipe des ventes;

8.         surveiller et gérer les finances de la société;

9.         établir et superviser les territoires de vente;

10.       surveiller les principaux comptes;

11.       établir des formules de calcul des quotas et des prix de revient;

12.       passer en revue les travaux achevés et l’analyse de rentabilité;

13.       établir les budgets des ventes;

14.       développer des stratégies de marketing.

[14]        M. Young a confirmé que l’appelante a fourni ces services à W.I.

Produits

[15]        C’est le genre de planches que fabrique W.I. en vue de les vendre qui a donné lieu au présent appel. W.I. veut acheter [traduction] « de belles planches », ainsi que les a qualifiés M. Young. Le bois de charpente que W.I. achète en général dans les scieries présente les dimensions de 2 po x 4 po, 2 po x 6 po et 2 po x 8 po. W.I. ne veut pas de trous ni de fentes dans le bois; elle ne veut pas de défauts dans l’apparence, elle veut des planches qui sont classées selon l’aspect visuel, non classés selon la structure. Les planches d’apparence supérieure commandent des prix plus élevés.

[16]        Les constructeurs d’habitations veulent de [traduction] « belles planches », mais ils veulent aussi de longues planches. Comme l’a expliqué M. Young [traduction] « […] s’ils doivent placer une planche de bordure sur 30 pieds, ils n’ont aucun intérêt à en poser une de 10 pieds pour l’abouter à une autre de 10 pieds, puis abouter cette dernière à une troisième de 10 pieds […] Ils veulent le moins de joints possible ». Moins il y a de joints, plus sont limités les risques d’humidité et de moisissures.

[17]        Malheureusement, a dit M. Young, les scieries ne font pas uniquement des bois longs. Elles en font de toutes longueurs. Il a expliqué que [traduction] « le bois d’œuvre ayant les dimensions 2 po x 4 po se présente dans ce qu’il est convenu d’appeler du bois débité allant de 8 pieds à 20 pieds[4]. Ainsi, en fin de compte, quand on sort la production de la scierie, celle-ci a scié 100 billes. » Il y a beaucoup de planches mesurant 8 pieds ou 10 pieds, mais moins mesurant 14 pieds, 16 pieds, 18 pieds et 20 pieds. Cependant, les clients de W.I. préféreraient des planches de 20 pieds, et les scieries ne veulent pas vendre exclusivement ce type de planches, c’est-à-dire celles que M. Young appelait le bois débité allant de 8 pieds à 20 pieds. [traduction] « On doit prendre une certaine quantité de bois court pour en avoir du long. C’est toujours un combat […] [pour] obtenir le plus de bois long possible. »

Technologie d’Interact et relations d’Interact avec l’appelante

[18]        Au tournant du siècle, Interact Wood Products Ltd. (Interact) a développé et fait breveter une nouvelle technologie permettant de produire des planches de presque n’importe quelle longueur ou largeur. Grâce au procédé d’Interact, les planches pouvaient être aboutées par entures multiples pour ce qui est de la longueur et lamellées pour ce qui est de la largeur. Les brevets et demandes de brevets appartenaient au principal actionnaire d’Interact, M. Eric Cable. M. Young a expliqué ce que faisait Interact :

[traduction]

[…] Elle appliquait une technologie assez classique, qu’on appelle l’aboutage, et qui consiste à utiliser les petites chutes d’éboutage provenant des grandes scieries lorsqu’elles éboutent par chiffres pairs, 10 pieds, 12 pieds, 14 pieds. Elle assemble ces chutes d’éboutage, dont la longueur est inférieure à 2 pieds, et les aboute par entures multiples pour faire une longue planche. Cela a déjà été fait, mais ce qu’Interact y a ajouté, ce sont deux ou trois choses qui consistent simplement à prendre cette longue planche ainsi aboutée et à en aligner plusieurs côte à côte, en les collant ensemble d’une manière originale, ce qui permet d’obtenir un grand panneau de bois. On obtiendra donc des planches aboutées par entures multiples sortant de la ligne d’aboutage, les extrémités courtes étant aboutées, puis introduites dans une longue presse, ce qui donne une planche de 60 pieds de longueur. Or, aucune scierie ne scie des planches de cette taille.

Donc, au départ, on a une longueur qui n’existe pas en bois massif. On peut maintenant obtenir une planche pouvant aller jusqu’à 60 pieds de longueur en ayant recours à l’aboutage par entures multiples. On pourrait prendre cette pièce ainsi aboutée, telle quelle, et simplement la couper pour en faire trois planches de 20 pieds. On peut faire cela toute la journée, et on ajoute alors une production de 100 pour cent en planches de 20 pieds. Exactement ce que demandent mes clients.

Ensuite, Interact prenait cette pièce de 60 pieds de longueur et en mettait une autre à côté, puis une autre, et une autre, et une autre encore, pour arriver finalement à cet énorme panneau, de 20 pieds sur 60 pieds. Elle avait alors une méthode, je n’entrerai pas dans les détails, elle avait un genre de scies, on les appelle des scies volantes, qui permettent d’arracher du bloc n’importe quelle largeur souhaitée. On pouvait dès lors avoir une planche de 60 pieds de longueur et de n’importe quelle largeur.

[19]        M. Young a déclaré que la possibilité de se procurer des planches de toute longueur ou largeur auprès d’Interact permettrait à W.I. de disposer d’une source de bois où elle pourrait trouver toutes les longueurs et largeurs qu’elle souhaitait. Elle n’avait pas à acquérir des tailles dont elle n’avait pas besoin ou qu’elle ne voulait pas. Pour M. Young, c’était là un procédé qui [traduction] « changeait la donne ».

[20]        W.I. achetait du bois d’œuvre chez Interact. M. Young a cependant ajouté qu’Interact connaissait des difficultés et avait besoin d’argent. M. Young négociait personnellement l’achat des planches chez Interact pour le compte de l’appelante. Même si c’est l’appelante qui recevait les planches, Interact envoyait les factures à W.I., l’acheteur. Les copies de trois factures envoyées par Interact à « Woodtone » en octobre et novembre 2004 font état de longueurs de planches allant de 16 pieds à 20 pieds. On ne sait pas si les planches vendues aux autres clients d’Interact présentaient ou non les mêmes longueurs ou la même qualité que celles vendues à Woodtone. M. Young a dit que Woodtone était en mesure d’acheter chez Interact [traduction] « toutes les tailles que nous voulions ». Il considérait la possibilité d’acquérir ces planches plus longues comme un avantage concurrentiel, même si Interact avait aussi d’autres clients.

Prêt de l’appelante à Interact

[21]        À l’automne 2003, d’après les souvenirs de M. Young, Interact [traduction] « avait fait état de ses difficultés à obtenir l’argent dont elle avait besoin pour étendre ses activités, perfectionner la technologie, accéder aux familles nos 2 et 3 (brevets)[5], construire une usine plus grande, produire davantage de bois […] ». Interact avait sollicité l’aide financière de Woodtone, et l’appelante lui avait finalement avancé la somme de 3 500 000 $. M. Young en a gardé le souvenir :

[traduction]

Nous avons examiné ce qu’ils demandaient, ou ce qui, d’après eux, était nécessaire comme soutien financier. Nous leur avons en réalité avancé beaucoup plus [que ce qu’ils voulaient], parce que, selon notre analyse, la somme inférieure était tout au plus un palliatif, et ils avaient besoin de pas mal plus de fonds que cela. Et, comme j’étais si intéressé par leur technologie, et si désireux de fournir ce bois au Woodtone Group, sans compter l’avantage qu’en tirerait le Woodtone Group, 568 (l’appelante) a pris le risque d’investir cette somme de trois millions et demi de dollars à l’automne 2003.

[22]        M. Young a expliqué que l’appelante était, au sein du Woodtone Group, la société le mieux à même d’accorder le prêt, car il ne souhaitait pas qu’une société exploitante inscrive [traduction] « un investissement risqué dans ses livres ».

[23]        Une « liste de conditions » datée du 17 octobre 2003 a été rédigée par Interact puis soumise à l’examen de M. Young. M. Young a dit que ce n’était pas la première proposition, ni la dernière, mais que c’était la première proposition officielle portant sur le prêt de 3 500 000 $.

[24]        M. Young a déclaré que, dans le cadre du prêt, le Woodtone Group fournirait aussi [traduction] « des conseils commerciaux d’ordre général » à Interact en contrepartie de [traduction] « 3 500 000 options assorties d’un prix d’exercice de 1 $ », dans l’hypothèse où Interact [traduction] « a en circulation 30 millions d’actions ordinaires avec droit de vote […] ». Dans le cas où Interact deviendrait une société ouverte dont la valeur serait inférieure à 30 000 000 $, ou si Interact [traduction] « est encore une société fermée au bout de trois ans » et que sa valeur est inférieure à 30 000 000 $, des rajustements seraient apportés au prix d’exercice.

[25]        M. Young n’a pas souscrit à la « liste de conditions », mais les négociations se sont poursuivies avec Interact, qui, selon M. Young, a continué de lui envoyer des listes de conditions. Il considérait l’activité d’Interact comme [traduction] « un processus itératif […] dont l’objet était d’obtenir plus de fonds ». Cependant, il ne peut se souvenir s’il a signé une liste de conditions, bien qu’il ait en sa possession certaines copies non signées.

[26]        M. Young s’est souvenu qu’au cours des négociations, M. Cable et son épouse avaient demandé une aide à court terme, prétendant qu’Interact était [traduction] « fauchée ». Comme il était [traduction] « fasciné par la technologie [d’Interact] et par la promesse du bois d’œuvre qu’il pourrait acheter à Interact, apportant de la sorte un avantage certain au Woodtone Group », il a pris des dispositions pour que W.I. prête à Interact la somme de 500 000 $ le 17 octobre 2003, et la somme de 250 000 $ le 2 décembre 2003, la première somme de 500 000 $ étant à l’époque avancée sans être assortie d’une sûreté.

[27]        M. Young a affirmé que, si c’est W.I., et non l’appelante, qui a prêté les sommes de 500 000 $ et de 250 000 $, c’est parce que W.I. avait les fonds dans son compte bancaire à l’époque, ce qui n’était pas le cas de l’appelante. Par des écritures comptables, les deux prêts ont été transférés du compte de W.I. à celui de l’appelante, de sorte qu’ils étaient tous deux inscrits en tant que prêts faits par l’appelante à Interact.

[28]        À l’époque où Interact avait pris contact avec M. Young pour obtenir un prêt, Interact avait déjà emprunté des fonds à d’autres personnes à titre de [traduction] « financement-relais », à des taux d’intérêt [traduction] « d’environ 30 p. 100 » et de 51 p. 100, selon M. Young.

[29]        Le 4 décembre, Interact a signé un contrat de sûreté en faveur de W.I. pour la somme de 750 000 $.

[30]        Également le 4 décembre, Interact a rédigé et signé un additif à la liste de conditions du 17 octobre (en précisant qu’il s’agissait là de la onzième ébauche). Les signataires étaient Interact et l’appelante.

[31]        Le 19 décembre 2003, un accord de prêt portant sur la somme de 3 500 000 $ a finalement été signé. Le taux d’intérêt annuel était de 18 p. 100. M. Young voulait s’assurer qu’Interact rembourse les prêts-relais garantis antérieurs portant intérêt aux taux de 30 p. 100 et de 51 p. 100. Comme il trouvait que le prêt de l’appelante à Interact était [traduction] « risqué », il a exigé [traduction] « une charge de premier rang sur tout ». Le solde du prêt [traduction] « servirait à étendre les activités, à terminer la première usine, à faire démarrer la production, et c’est ce dont a besoin 568 », c’est-à-dire une entreprise prospère capable d’approvisionner en bois le Woodtone Group. En contre-interrogatoire, M. Young a confirmé que la somme de 2 000 000 $ [traduction] « environ » serait appliquée au remboursement des prêts-relais, une autre de 500 000 $ aux comptes créditeurs, au fonds de roulement de l’usine d’Interact à Golden (C.-B.), ainsi qu’aux coûts de portage afférents à son usine de Vavenby, et le solde serait appliqué à divers postes. La somme avancée par l’appelante le 19 décembre se chiffrait à 2 700 000 $; il y avait une [traduction] « retenue » pour l’intérêt sur les prêts antérieurs consentis par Woodtone[6].

[32]        Le prêt comportait une sûreté constituée notamment par une garantie du principal et des intérêts, garantie accordée par M. Cable et Interact Holdings, une société qu’il contrôlait, et également une sûreté constituée par la promesse d’Interact d’hypothéquer, grever et concéder en faveur de l’appelante une sûreté fixe et spécifique portant sur tous biens meubles, actifs, droits et entreprises, y compris les sommes à recevoir, le matériel et les agencements, et d’autres actifs. M. Cable offrirait aussi, comme sûreté pour le prêt, les brevets dont il était personnellement propriétaire.

Brevets

[33]        C’est un peu avant le 19 décembre que M. Young avait appris que les brevets sur la propriété intellectuelle appartenaient à M. Cable. Il était donc nécessaire d’obtenir le cautionnement personnel de M. Cable pour le prêt, y compris, en particulier, une sûreté constituée des brevets, [traduction] « le seul actif de valeur » selon M. Young. Ainsi qu’il l’expliquait : [traduction] « Si des difficultés devaient surgir à la suite de ce prêt… alors au minimum… nous voudrions récupérer notre argent. Mais si nous n’y réussissons pas… nous voudrons évidemment mettre la main sur les brevets donnés comme sûretés afin de pouvoir les utiliser dans la production de bois pour le Woodtone Group. »

[34]        M. Cable a signé un contrat, daté du 19 décembre 2003, (le « contrat de sûreté ») qui garantissait le prêt de 3 500 000 $ consenti par l’appelante à Interact et qui notamment grevait et concédait en faveur de l’appelante une sûreté constituée des biens incorporels suivants décrits à l’annexe A du contrat de sûreté :

[traduction]

Inventions ou améliorations décrites et revendiquées dans :

1.         la demande de brevet des États-Unis 09/892,142, déposée le 26 juin 2001;

2.         la demande PCT/CA02/00981 déposée au titre du Traité de coopération en matière de brevets le 26 juin 2002, demande désignant tous les États parties au Traité de coopération en matière de brevets, ainsi que toutes demandes constituant une entrée en phase nationale ou régionale de ladite demande PCT.

et tous droits, titres et intérêts afférents à ces inventions ou améliorations et à ces demandes, et toutes continuations, toutes divisions, tous renouvellements ou tous remplacements de ces demandes, ainsi que relativement à toutes lettres patentes qui pourraient être accordées par rapport à ce qui précède, et toutes redélivrances de ces lettres patentes dans quelque pays que ce soit.

[35]        Le brevet ou les brevets (le « brevet », les « brevets » ou la « propriété intellectuelle ») recensés à l’annexe A du contrat de sûreté ont parfois été appelés durant l’audition de l’appel brevets et demandes de brevets de la « famille no 1 », et plus tard ont été qualifiés de brevets portant sur un système d’encollage et de serrage du bois. Le brevet américain était en attente le 19 décembre et concernait le procédé évoqué par M. Young plus haut dans les présents motifs. M. Young a ajouté que ces brevets, les brevets de la famille no 1, comportaient une partie secondaire, à savoir une couche qui, si je comprends bien, accroît la solidité de la planche. Au fil des ans, jusqu’en 2007, après que l’appelante eut pris le contrôle des brevets de la famille no 1, des demandes de brevets ont été présentées dans d’autres pays, dont le Canada, la Russie, la Chine, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, l’Australie, ainsi qu’en Europe.

[36]        Le contrat de sûreté a été rédigé par les avocats de l’appelante, qui l’ont soumis à l’examen et aux observations d’un avocat spécialisé en brevets, Me Hilton Sue.

[37]        Me Sue a confirmé que, d’après la base de données des cessions du bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis, le contrat de sûreté signé par M. Cable le 19 décembre 2003 avait été enregistré en faveur de l’appelante à l’encontre de tous les brevets et demandes de brevets de M. Cable. On y trouve notamment une description de l’entrée concomitante en phase nationale aux États‑Unis de la demande PCT et de la demande divisionnaire. M. Young a produit des copies de la cession pertinente de brevets qui provenaient du bureau des brevets et des marques des États-Unis et qui confirmaient que les enregistrements requis avaient été faits le 14 janvier 2004. La demande concomitante enregistrée de brevets des États-Unis au titre du Personal Property Security Act de la Colombie‑Britannique a été enregistrée le 24 décembre 2003.

[38]        En outre, par accord daté du 19 décembre, Interact a concédé à la James Young (RMH) Trust le droit, évoqué plus haut, d’acheter 3 960 000 actions avec droit de vote de catégorie A pour le prix de 1 $ l’action[7]. L’accord est signé par M. Cable, au nom d’Interact, et par M. Young, en qualité de fiduciaire. Selon M. Young, l’option a été placée en fiducie [traduction] « pour des raisons de planification stratégique ».

[39]        De l’avis de M. Young, l’option d’achat des actions s’expliquait en partie [traduction] « par l’attribution du prêt », outre l’intérêt de 18 p. 100 sur le prêt. Il a dit qu’il espérait tirer quelque avantage dans l’avenir si Interact devenait une société ouverte, mais, à ses yeux, l’option n’était [traduction] « pas très importante ». Je relève qu’il avait auparavant déclaré que les options d’achat d’actions étaient une contrepartie pour les consultations d’Interact auprès de l’appelante.

[40]        En contre-interrogatoire, on a renvoyé M. Young à une proposition subséquente datée du 10 janvier 2005, faite par Woodtone à propos d’un possible refinancement d’Interact. L’avocat de l’intimée s’est intéressé aux observations, insérées dans la proposition, selon lesquelles Woodtone espérait que la somme de 3 500 000 $ produirait des intérêts mensuels et comptait sur le remboursement du principal [traduction] « pour ensuite attendre que les bons de souscription prennent peu à peu une valeur accrue, jusqu’à ce que l’option conférée par les bons puisse être exercée à l’occasion d’une crise de liquidité. » M. Young a déclaré que le document avait été rédigé pour Interact [traduction] « afin de lui montrer combien elle était loin du compte. » Il avait [traduction] « vu un assez grand nombre de ces petites entreprises… pour croire que cela [c’est-à-dire l’augmentation de valeur des bons de souscription] serait le cas. » M. Young a maintenu que les bons de souscription avaient été offerts à Woodtone à titre de prime sur le prêt et qu’ils ne constituaient pas une contrepartie essentielle de l’octroi du prêt. L’objet premier du prêt était [traduction] « que Woodtone acquière le bois et que l’appelante facture des frais de gestion à Interact ». Il a répété qu’il tenait à ce que Woodtone obtienne [traduction] « toutes les pièces de bois requises » une fois qu’Interact aurait accru sa production grâce au prêt consenti.

Les difficultés financières d’Interact

[41]        Interact n’a pas payé les intérêts sur le prêt comme elle le devait. Un versement d’intérêts sur le prêt de 750 000 $ était exigible en janvier 2004, et il n’a pas été effectué. Des intérêts sur le [traduction] « prêt principal » étaient exigibles le 31 janvier 2004, mais ils n’ont pas été payés [traduction] « de sorte que nous avons appris très rapidement que ce Eric Cable… n’était nullement un homme de parole. On ne peut pas emprunter trois millions et demi de dollars en décembre et ne pas être en mesure de verser des intérêts de 10 000 $ sur ce prêt deux semaines plus tard… Il avait l’argent… il n’avait pas l’intention de payer. »

[42]        M. Young a affirmé s’être adressé à maintes reprises à M. Cable et à son épouse pour exiger le paiement des intérêts, mais la plupart du temps en vain. Il observait ce qui se passait sur le site d’Interact et constatait que l’entreprise s’agrandissait, [traduction] « du point de vue des immobilisations, plus rapidement que ce que [M. Cable] produisait en liquidités pour les financer […] il consacrait des sommes folles aux acquisitions d’immobilisations. » M. Young a reconnu avoir reçu [traduction] « un petit versement d’intérêts en février. »

[43]        Les affaires d’Interact n’allaient pas bien. M. Young avait ses propres idées sur la manière de faire prospérer Interact et il espérait [traduction] « faire renaître » l’entreprise. En avril 2004, il était en pourparlers avec des sociétés qui finançaient des entreprises afin d’établir un programme qui pourrait être [traduction] « suggéré à Interact ».

[44]        À la suite d’une rencontre avec M. Glen Johnson, un ami de M. Young et directeur de Glace Capital Corporation, M. Greg Vezina, d’Edgemark Capital Inc, qui avait représenté Interact dans de précédentes opérations de financement, M. Young et son fils, Chris, une proposition a été rédigée aux fins de discussion. La proposition, dont une copie a été envoyée à M. Cable, envisageait notamment la restructuration en actions d’une partie du prêt de l’appelante et l’abaissement du taux d’intérêt sur le prêt, un investissement additionnel et une réduction de la participation de M. Cable dans Interact. La proposition a été rejetée par M. Cable.

[45]        En juin 2004, Interact était en défaut d’exécution de ses obligations envers l’appelante. Interact avait besoin de fonds additionnels et a négocié un prêt de 800 000 $ auprès de Nacan Products Ltd. (« Nacan »). Nacan fournissait [traduction] « les colles de polyuréthane qui sont indispensables dans le procédé breveté permettant l’aboutage par entures multiples des planches et le lamellage sur rives, et pour l’aspect spécialement structurel » des brevets, selon M. Young, et Nacan voulait être le fournisseur exclusif des colles à Interact en contrepartie du prêt. L’une des conditions du prêt était que l’appelante subordonnerait certaines de ses sûretés — non les brevets — à celles de Nacan, et M. Young y a consenti, étant donné [traduction] « [qu']il était essentiel pour Interact d’avancer » sous peine de devoir se soumettre [traduction] « demain à la LACC[8]. »

[46]        Le 7 juin 2004, l’appelante voulait qu’Interact trouve [traduction] « un important nouvel investisseur disposé à injecter plus de deux millions de dollars » et, en échange, l’appelante subordonnerait sa sûreté au nouveau prêt et ramènerait l’intérêt sur le prêt à un taux de 6 p. 100 à 9 p. 100.

[47]        Rien n’est advenu, si ce n’est que, selon M. Young, Interact [traduction] « s’efforçait d’emprunter à droite et à gauche » et a effectivement emprunté de nouveau auprès de prêteurs antérieurs à des taux de 30 p. 100, mais l’appelante n’a subordonné aucune de ses sûretés en faveur de tels prêts. Pendant ce temps, de l’avis de M. Young, Interact continuait d’essuyer les pertes.

[48]        Au début de 2005, M. Young s’était rendu compte que l’investissement de l’appelante dans Interact était un [traduction] « désastre ». W.I. n’obtenait pas le bois qu’elle voulait chez Interact et le prêt de 3 500 000 $ était en péril. M. Young se souvenait que lui et son fils avaient passé des semaines et des semaines à rédiger un plan d’affaires pour Interact. Le plan passait en revue l’historique d’Interact, ses ventes, ses opérations de financement, son revenu, et recommandait ce qui suit : une nouvelle participation de 3 000 000 $ par l’appelante, un versement de 1 000 000 $ à M. Cable, le transfert par M. Cable à l’appelante de 70 p. 100 de ses actions ordinaires, la réduction à 8 p. 100, par l’appelante, du taux d’intérêt sur son prêt, l’embauche d’un nouveau directeur des ventes, le renvoi d’un certain employé, etc. M. Young n’avait aucune confiance dans la direction d’Interact et croyait que, si la direction actuelle était maintenue, l’appelante n’aurait d’autre choix que d’exiger le remboursement de toutes les sommes qui lui étaient dues même si cela avait pour effet de conduire Interact à la faillite.

[49]        M. Young a rencontré M. Cable et son épouse ainsi que leur [traduction] « entourage » pour discuter de la proposition, mais M. Cable l’a rejetée. Selon M. Young, M. Cable voulait conserver le contrôle total. M. Young a démenti l’accusation de M. Cable selon laquelle il voulait prendre le contrôle de l’entreprise. M. Young disait [traduction] « avoir voulu acquérir une part convenable du capital‑actions de l’entreprise et être ainsi en mesure d’en modifier la direction… afin d’ajouter nos talents à ceux de Cable et de restructurer cette entreprise pour l’avantage des deux parties… » M. Young [traduction] « supposait » qu’Interact se dirigeait vers la faillite et il voulait maintenir l’entreprise en vie et [traduction] « obtenir du bois pour Woodtone, qui en a besoin, qui le veut et qui peut en tirer un bénéfice, et [recouvrer] les frais de gestion. »

Faillite d’Interact et de M. Cable

[50]        En avril 2005, Interact a demandé d’être protégée contre ses créanciers aux termes de la LACC, puis s’est déclarée en cessation de paiements en juillet 2005. M. Cable a fait faillite en août 2005. C’est le cabinet Price Waterhouse Cooper (« PWC ») qui était le syndic dans les deux faillites[9].

[51]        Durant cette période, M. Young discutait avec des gens de l’industrie d’un possible investissement, avec Woodtone, dans Interact ou, après la faillite, d’une possible acquisition de la totalité ou d’une partie des actifs d’Interact, en particulier les brevets. M. Ken McClelland, vice‑président de Luxor Industrial Corporation (« Luxor »), à l’époque une entreprise produisant du bois d’ingénierie à Langley (C.‑B.), s’est rendu avec M. Young sur le bien-fonds d’Interact, à Vavenby (C.-B.), pour voir l’emplacement qu’Interact avait acheté en vue d’y établir une nouvelle usine. Dans un courriel du 2 août 2005 adressé à M. Young, M. McClelland écrivait qu’il ne voyait aucun avenir pour une quelconque activité industrielle à Vavenby. Il suggérait notamment qu’Interact déclare faillite, après quoi ils pourraient faire l’acquisition de la scierie d’Interact à Golden (C.-B.), ainsi que les actifs liés aux brevets. En fait, selon M. Young, M. McClelland confirmait ce qu’il pensait déjà. Une coentreprise avec Luxor après l’acquisition d’actifs dans une vente aux enchères après faillite était une possibilité. Les discussions et les visites des usines d’Interact se sont poursuivies en 2006. M. Young emmenait aussi à Vavenby des représentants d’autres sociétés qui eux aussi conclurent que [traduction] « l’usine de Vavenby n’allait jamais être opérationnelle au sens économique ».

[52]        Le 9 septembre 2005, la société Canadian Forest Products Ltd. (« CanFor ») a écrit à PWC à Calgary, syndics de faillite dans l’actif d’Interact, pour l’informer qu’elle souhaitait acquérir non seulement les biens d’Interact, mais également la propriété intellectuelle qui [traduction] « accompagne les actifs en question ». M. Young, qui était inspecteur dans la faillite de M. Cable, était tenu au courant de la faillite d’Interact. M. Richard Pallen, premier vice‑président de la division de l’insolvabilité de PWC et syndic de faillite, était chargé de la faillite de M. Cable pour PWC, il représentait PWC, présidait les réunions d’inspecteurs et signait les documents pour PWC en qualité de syndic de l’actif de M. Cable.

[53]        M. Pallen a déclaré que lorsque CanFor s’est rendu compte que la propriété intellectuelle, à savoir les brevets, appartenait à M. Cable et que l’appelante détenait une sûreté sur celle‑ci, elle a cessé de s’intéresser à Interact. L’intérêt de CanFor s’est également dissipé parce que la conjointe de fait de M. Cable, Patricia Melchior, avait engagé une action en justice par laquelle elle soutenait que M. Cable n’avait aucun droit d’offrir la propriété intellectuelle comme sûreté, puisqu’il existait en sa faveur à elle une fiducie réversive se rapportant aux brevets et que M. Cable s’était enrichi injustement, sans compter qu’elle avait dans le brevet une fiducie constructoire. À l’époque, M. Pallen avait jugé [traduction] « douteuse » la thèse de Mme Melchior. Ce n’est que le 29 janvier 2007 que le juge Masuhara, de la Cour suprême de Colombie‑Britannique[10], a rejeté les actions de Mme Melchior, tout en limitant la sûreté de l’appelante à une charge de premier rang sur le brevet et les demandes de brevets de la famille no 1.

[54]        Plus tard, par accord daté du 2 novembre 2005, PWC, en qualité de séquestre de l’actif d’Interact, a vendu à une société à numéro de la Colombie‑Britannique (la « société de la C.-B. »), une filiale de Matco Capital Ltd. (« Matco »), le prêteur débiteur-exploitant à Interact selon la LACC, les biens d’Interact, y compris [traduction] « la propriété intellectuelle […] appartenant à Interact (et excluant explicitement Eric Cable) […] » La Cour supérieure de la C.‑B. a approuvé la vente par ordonnance datée du 22 novembre 2005, faisant observer que, dans la mesure où l’appelante ou Mme Melchior détenait un droit sur les brevets de M. Cable, la sûreté de l’appelante ou tout intérêt fiduciaire de Mme Melchior aurait préséance sur le droit de la société de la C.-B. et de certaines autres sociétés, et que l’appelante aurait le loisir de donner effet à sa sûreté à l’encontre de tout intérêt qu’Interact pouvait avoir sur les brevets[11].

[55]        Le 18 novembre 2005, M. Young avait envoyé à un avocat représentant Matco un courriel concernant l’acquisition par la filiale de Matco et concernant les délais que risquait d’entraîner le procès de Mme Melchior pour ce qui est de l’obtention des droits sur les brevets. Il voulait être aidé dans l’obtention des brevets, offrant de s’associer à Matco pour la vente [traduction] « de la totalité » des biens de Matco ainsi que [traduction] « de notre propriété intellectuelle » à CanFor [traduction] « pour une somme qui puisse nous convenir », ou de s’associer à Matco et de [traduction] « faire redémarrer l’entreprise ». Il n’en a rien résulté. M. Young a répété qu’il n’existait [traduction] « aucune volonté » de vendre à CanFor.

Transfert des brevets à l’appelante

[56]        Le 23 novembre 2005, les inspecteurs concernés par la faillite de M. Cable ont pris la résolution de céder à l’appelante (et à CVM Holdings Ltd.), la propriété intellectuelle, ce qu’ils firent, à savoir les brevets de la famille no 1, [traduction] « à charge pour elle de rendre compte finalement du produit de la disposition ». Les inspecteurs ont également évoqué l’appel formé par Mme Melchior. M. Young a témoigné que la réunion des inspecteurs avait pour objet de faire en sorte que l’appelante [traduction] « puisse mettre la main sur la propriété intellectuelle, car elle en était le propriétaire légitime ». C’est sur la remise des brevets à l’appelante que porte le présent appel.

[57]        Les mots [traduction] « à charge pour elle de rendre compte finalement du produit de la disposition » ont fait l’objet de débats animés entre les avocats, celui de l’intimée faisant valoir que cette expression invalidait toute thèse de l’appelante selon laquelle elle était devenue le propriétaire effectif des brevets le 23 novembre. M. Pallen a témoigné avoir inséré ces mots dans la résolution parce qu’il [traduction] « s’efforçait d’être tant soit peu prudent », ajoutant que, si M. Young pouvait trouver [traduction] « quelqu’un à Dubaï » disposé à supporter tous les frais de M. Young, les intérêts [traduction] « et les sommes en amont, j’aimerais obtenir quelque chose avant de me présenter à nouveau devant les créanciers non garantis », mais il doutait que cela se produise. Il avait conclu que [traduction] « le secteur du bois massif était très mal en point et mobilisait très peu d’investissements de capitaux partout dans le monde », y compris en Europe et en Asie. M. Pallen a expliqué que l’appelante était un créancier garanti pour 3 500 000 $. PWC [traduction] « ne pouvait imaginer que la propriété intellectuelle puisse conduire à une réalisation supérieure à… [3 500 000 $]… » Il croyait aussi que [traduction] « il y avait là un puits profond où continuer de jeter de l’argent dans cette aventure ». À son avis, [traduction] « le procès [de Mme Melchior] était impossible à maîtriser », après 16 jours. [traduction] « Les emplois [dans les scieries] avaient disparu. » Il a ajouté que l’appelante avait financé l’actif pour régler la question des brevets. PWC (en qualité de syndic) n’avait plus aucun intérêt économique dans la propriété intellectuelle et il n’y avait plus rien pour les créanciers non garantis. Il a dit que le syndic consacrait à cette affaire beaucoup de temps et d’argent.

[58]        D’après ce que MSue croyait comprendre, les procès-verbaux de la réunion des inspecteurs du 23 novembre, et plus précisément l’obligation de rendre compte de tout produit d’une disposition, [traduction] « [l’appelante] prendrait le contrôle et la propriété effective de la propriété intellectuelle à l’époque […] »

[59]        Par la suite, M. Pallen a écrit à l’avocat qui intervenait à titre d’agent de brevets pour PWC, l’informant que les brevets avaient été transférés à l’appelante et le priant de communiquer avec M. Young pour se faire confirmer d’éventuelles directives. Cependant, PWC demeurait le propriétaire en common law des brevets, puisque, vu sa qualité de syndic de l’actif de M. Cable, le titre sur les brevets lui était dévolu. Cependant, croyant que le titre effectif sur les brevets avait été transféré à l’appelante en 2005, M. Young était d’avis que l’appelante supportait tous les risques et coûts, y compris le financement de toutes les mesures de protection visant à préserver les droits sur les brevets, dont la protection des droits de l’appelante dans le contentieux de Mme Melchior, et c’est ce qu’a fait l’appelante.

[60]        Cela a été confirmé par Me Sue, qui a déclaré que, selon ce qu’il croyait savoir, un titre enregistré sur les brevets ne change pas quand le titre effectif sur les brevets change, ajoutant que le propriétaire effectif de la propriété intellectuelle aurait le droit de faire transférer le titre en common law quand il le voudrait. En outre, une fois l’appelante devenue propriétaire effectif des brevets, il lui incombait de financer les mesures ultérieures nécessaires de préservation de la propriété intellectuelle [traduction] « et de la faire progresser ». L’appelante est devenue propriétaire de la propriété intellectuelle et, à ce titre, elle s’attribuait le droit s’y rapportant. À l’évidence, cela peut très bien constituer un avis juridique de Me Sue en réponse aux questions de l’avocat de l’appelante, mais ses observations ne se sont heurtées à aucune objection de l’avocat de l’intimée.

[61]        Les brevets étaient encore enregistrés au nom de M. Cable à la fin de 2005. La propriété enregistrée des brevets devait être transférée au Bureau des brevets des États-Unis. M. Young s’est souvenu que son avocat, Me Dennis Fitzpatrick, avait obtenu le brevet états-unien effectif et que, le 13 janvier 2006 ou vers cette date, l’avait déposé dans le coffre-fort de son cabinet, où il se trouvait encore à la date du présent appel. Une copie du brevet avait été remise à M. Young par son avocat. Ce n’est qu’en 2010, comme il est exposé plus loin dans les présents motifs, que le titre en common law a été transféré par PWC, en sa qualité de syndic de l’actif de M. Cable, à l’appelante. La Couronne dit que le titre effectif a lui aussi été transféré à cette époque.

Les efforts de l’appelante à propos des brevets

[62]        En novembre 2005, M. Young savait que l’appelante avait perdu 3 500 000 $, [traduction] « beaucoup d’argent ». Il était dès lors indispensable, selon M. Young, de préserver la mainmise sur les brevets et de chercher un partenaire de coentreprise, de se regrouper, de produire le bois de charpente pour Woodtone et de faire en sorte que l’appelante encaisse des honoraires auprès de la coentreprise grâce à des redevances pour l’utilisation des brevets ou, peut-être, par la gestion de la coentreprise, selon la structure de celle-ci. Mais, M. Young a affirmé que, pour disposer des outils permettant l’exploitation d’une coentreprise et pour trouver quelqu’un disposé à se joindre à la coentreprise, il fallait les brevets, que l’appelante avait obtenus en 2005, il fallait l’équipement qui permettait l’exploitation des brevets, et que l’appelante avait acheté en 2006, et il fallait faire rejeter les prétentions de Mme Melchior, ce qui a été fait en 2007.

[63]        M. Young s’est rappelé qu’en 2006, Woodtone discutait d’une coentreprise avec plusieurs sociétés, dont Synergy Pacific Engineered Timber Ltd. (« SP »), une société qui fabriquait des poteaux de balcon avec du bois d’œuvre en utilisant un procédé guère différent de celui de W.I. dans sa manière d’usiner le bois d’œuvre. SP semblait le partenaire le plus prometteur parmi les diverses sociétés auxquelles s’était adressé M. Young. Woodtone avait des relations d’affaires avec SP depuis déjà 2000, année durant laquelle SP avait commencé ses activités, lesquelles se sont poursuivies jusqu’à la date du procès. Woodtone est l’un des principaux clients de SP pour les poteaux de bois structurés.

[64]        En juin 2006, alors que les directeurs de Woodtone et de SP menaient de sérieuses négociations, l’appelante a acheté, pour la somme de 165 000 $, lors d’une vente aux enchères, l’équipement d’Interact nécessaire à l’exploitation des brevets de la famille no 1. Elle a également dépensé 48 000 $ pour démonter l’équipement et le mettre en sécurité dans les installations de SP.

[65]        M. Young a affirmé que M. Morris Douglas, administrateur général de SP, était [traduction] « l’un des rares dans l’industrie à tenir un journal quotidien », et il a prié M. Douglas en 2011 de faire un compte rendu des diverses réunions des directeurs de W.I. et de SP, ainsi que de leurs visites des installations d’Interact, entre autres choses. Des extraits du journal de M. Douglas sont joints à sa lettre du 22 octobre 2011 adressée à M. Young. M. Douglas y expose, en style télégraphique, les réunions et discussions des directeurs de Woodtone et de SP à partir du 20 septembre 2005 et jusqu’au 19 janvier 2007. Dans sa lettre, M. Douglas fait état de l’intérêt de SP pour Interact. Deux anciens employés clés d’Interact, Adrian et Steven, qui travaillaient chez SP, avaient informé M. Douglas des brevets d’Interact, et Adrian [traduction] « l’encourageait vivement » à examiner le procédé d’Interact, vu que ce procédé pouvait être prometteur pour les activités de SP. SP ne faisait pas d’argent à l’époque, et M. Douglas trouvait que l’entreprise avait besoin d’une nouvelle gamme de produits. Il [traduction] « s’est mis à étudier le potentiel qu’offrait le procédé » dans l’usine de SP. De février 2006 à janvier 2007, [traduction] « nous échangions constamment avec Jim et Chris Young, chez Woodtone, sur une possible coentreprise », écrivait M. Douglas dans sa lettre, propos qu’il a répétés devant la Cour.

[66]        L’actionnaire principal de SP, M. Michael Holzhey, a rencontré le personnel de Woodtone à plusieurs reprises en 2006 pour étudier le procédé d’Interact en ce qui concerne SP et Woodtone. M. Holzhey a dit que M. Douglas voulait aller de l’avant. En prévision d’une réunion le 9 août avec M. Young, SP a rédigé une proposition globale portant sur une coentreprise qui nécessiterait des dépenses en immobilisations estimatives de 1 500 000 $, somme que, il en était sûr, l’appelante avancerait. Les réunions entre le personnel de Woodtone et celui de SP se sont poursuivies tout au long de l’année 2006.

[67]        M. Douglas écrivait dans sa lettre de 2011 que [traduction] « le marché du bois d’œuvre s’était dégradé durant 2006, et, au dernier trimestre, il était devenu par trop évident que ce n’était pas le meilleur moment pour procéder à cet investissement […] [et] nous avons alors convenu d’attendre que la conjoncture s’améliore pour réexaminer l’idée le moment venu. » M. Douglas notait que, en octobre 2011, le marché ne s’était pas redressé, et il concluait que [traduction] « nous avons subi le plus long ralentissement du marché du bois d’œuvre depuis la dépression des années 1930. »

[68]        M. Young a confirmé la dégradation du marché du bois d’œuvre résineux en Amérique du Nord. Les affaires avaient été [traduction] « formidables » en 2005 et [traduction] « acceptables » durant l’été 2006. C’était à la fin de 2006 et en 2007 que le recul s’était concrétisé; c’était, de dire M. Young, [traduction] « le début de la baisse la plus marquée des mises en chantier dans l’histoire des États-Unis. » Woodtone fait environ la moitié de son chiffre d’affaires aux États‑Unis. M. Young estimait que les ventes de Woodtone avaient connu un recul de 40 p. 100. Il a produit des tableaux de chiffres commerciaux illustrant les mises en chantier aux États-Unis pour le mois de juin[12] des années 2005 à 2010. Ci‑dessous figurent les chiffres du mois de juin de chacune de ces années, ainsi que le nombre de mises en chantier pour chaque année :

 

JUILLET

ANNUEL

 

2005

          187 600

          2 068 100

2006

          160 900

          1 800 900

2007

          127 900

          1 355 100

2008

          86 700

          905 500

2009

          56 800

          553 900

2010

          51 500

          586 900

[69]        Vu les chiffres ci-dessus des nouvelles constructions résidentielles, il aurait été absurde de vouloir construire une nouvelle usine, a déclaré M. Young. Il croit que le nombre [traduction] « idéal » de nouvelles habitations aux États-Unis au cours d’une année pour son entreprise est 1 500 000.

[70]        M. Young a affirmé que le recul de la construction de maisons aux États‑Unis s’est traduit par une baisse [traduction] « considérable » du prix du bois d’œuvre. Le bois d’ingénierie, produit que permettraient de fabriquer les brevets d’Interact, fait concurrence au bois massif et [traduction] « n’a pas le luxe de pouvoir connaître un repli [… car]… le coût des intrants n’est pas le même ». Autrement dit, si je comprends bien, le prix du bois massif, du bois naturel, a le [traduction] « luxe », selon le mot employé par M. Young, de pouvoir connaître un recul; le bois d’ingénierie serait, vu son prix, déconnecté du marché et serait très difficile à vendre. C’est l’une des raisons pour lesquelles une éventuelle coentreprise n’était pas envisageable à la fin de l’été 2007.

[71]        En outre, M. Young a expliqué que, durant un recul des mises en chantier, les scieries de la C.-B. arrêtent leurs activités faute de commandes, et les chutes d’éboutage dont a besoin Woodtone ne sont plus disponibles.

[72]        De 2005 à 2007, l’appelante a présenté des demandes de brevets de la famille no 1 dans d’autres pays, dont le Canada, la Russie, le Japon, la Nouvelle‑Zélande, le Mexique, l’Australie, ainsi qu’en Europe.

[73]        Selon M. Young, malgré les sommes dépensées par l’appelante pour obtenir les brevets, acheter l’équipement d’Interact et défendre ses intérêts dans les brevets à l’encontre de Mme Melchior, sans oublier le temps et les frais divers que Woodtone a consacrés au projet, la situation qui avait cours en 2007 ne permettait pas de consacrer davantage de temps ni d’argent au projet. Il était évident que l’appelante ne pouvait pas construire une nouvelle usine par elle-même ni au moyen d’une coentreprise pour fabriquer d’une manière rentable du bois d’ingénierie en appliquant le brevet obtenu de M. Cable. Les choses n’allaient pas s’améliorer, a conclu M. Young.

[74]        C’est pourquoi, par un accord [traduction] « conclu avec prise d’effet le 30 septembre 2007 », l’appelante a vendu à Young Financial Ltd., une société appartenant à Christopher Young, le fils de M. Young, l’intérêt effectif dans la propriété intellectuelle dont fait état l’annexe A du contrat de sûreté, dans lequel M. Cable garantissait le prêt de l’appelante consenti à Interact[13], c’est-à-dire les brevets de la famille no 1, moyennant la somme de un dollar, [traduction] « pour l’heure la meilleure estimation de la valeur marchande du bien » selon l’accord. Dans sa déclaration de revenus pour 2007, l’appelante a déduit une perte finale calculée ainsi :

[traduction]


568 BC Ltd.

Brevet – Historique du coût capitalisé

 

Fin d’exercice

 

Description

 

Montant

 

30 sept 2006

 

Ancien prêt accordé à Interact Wood Products

 

3 500 000,00

 

30 sept 2006

 

 

Frais juridiques supportés pour obtenir le brevet/la propriété intellectuelle

 

 

300 596,92

 

 

 

Coût capitalisé total au 30 septembre 2006

 

 

3 800 596,92

 

 

30 sept 2007

 

Frais juridiques supportés pour obtenir/défendre le brevet

 

70 460,38

 

 

 

Total partiel

 

3 871 057,30

T2, annexe 8, catégorie 14

 

30 sept 2007

 

Vente à Young Financial Ltd. pour la somme de 1 $

 

 

 

Produit de 1 $, et perte finale

 

 

Coût capitalisé total au 30 septembre 2007

 

 

(3 871 057,30)

 

30 sept 2008

 

Frais additionnels payés à l’avocat

 

24 159,00

(24 159,00)

                      

T2, annexe 9, catégorie 14, addition et perte finale

[75]        Trois ans plus tard, par accord daté du 24 août 2010 (l’« accord de transfert juridique »), PWC, en qualité de syndic de l’actif de M. Cable, a vendu, cédé et transféré à l’appelante l’intégralité des [traduction] « droits, titres » de M. Cable sur les brevets de la famille no 1 portant sur un [traduction] « système d’encollage et de serrage du bois », et aux demandes de brevets, outre le droit de demander des brevets sur l’invention dans tous pays au nom du cessionnaire ou de ses successeurs ou ayants droit. L’appelante a réduit de 1 000 000 $ sa créance garantie, en contrepartie de la cession du titre en common law.

[76]        Quand PWC a transféré le titre en common law sur les brevets à l’appelante le 24 août, M. Pallen ne savait pas que l’appelante avait transféré le titre effectif sur les brevets à Young Financial Ltd. en 2007[14].

[77]        C’est Me Sue qui a rédigé l’accord de transfert juridique. Selon lui, les mots [traduction] « l’intégralité des droits, titres » constituaient [traduction] « une expression fourre-tout destinée à englober tout droit qu’aurait à ce moment-là M. Cable sur cette propriété intellectuelle, y compris le titre en common law… de sorte que rien ne puisse rester au nom de M. Cable ». Il croyait que, nonobstant le transfert de l’intérêt sur les brevets à l’appelante en 2005, M. Cable avait encore le titre en common law. Au moment de rédiger la cession du 24 août 2010, Me Sue n’était pas au courant lui non plus que l’appelante avait transféré le titre effectif sur la propriété intellectuelle à Young Financial Ltd. le 30 septembre 2007. Il a reçu la lettre d’accord entre l’appelante et Young Financial Ltd. quelques jours avant le procès.

[78]        Me Sue a enregistré le titre en common law sur les brevets au Bureau des brevets du Canada en septembre 2010, et au Bureau des brevets des États-Unis en août 2010, au nom de l’appelante. Il a affirmé que [traduction] « en droit des brevets, il est en réalité très courant pour un titre en common law et un titre effectif d’être enregistré au nom de deux entités distinctes ». Le fait que l’appelante avait déjà transféré le titre effectif en 2007 ne changeait rien, selon lui, à sa légalité et « ne fait pas obstacle au transfert du titre en common law d’Eric Cable à [l’appelante] ».

[79]        Dans sa réponse modifiée, l’intimée alléguait que, [traduction] « même si les brevets répondaient à la définition d’un bien amortissable, ils ne pouvaient pas être utilisés par l’appelante, et aucune somme ne peut donc être incluse à leur égard dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital de cette catégorie de biens amortissables ». Je ne puis que supposer que la conclusion de l’intimée selon laquelle les brevets ne pouvaient pas être utilisés par l’appelante était que l’appelante ne disposait pas de l’équipement requis pour exploiter les brevets, comme il ressort des motifs exposés par le juge Masuhara en réponse à la requête de M. Cable pour obtenir une libération absolue de la faillite[15]. Au paragraphe six de ses motifs, le juge Masuhara a écrit que le syndic de faillite [traduction] « relève que d’importants équipements informatisés ont été rendus inutilisables par l’effacement du disque dur, ce qui a rendu inutilisable l’équipement [visé par les demandes de brevets] ». Plus loin, au paragraphe 22, le juge a déclaré que les données techniques essentielles contenues dans le disque dur avaient disparu et que le syndic n’avait pas été en mesure de les récupérer. L’avocat de la Couronne a donc demandé à M. Young s’il [traduction] « savait si le disque dur avait ou non été rendu inutilisable par suite de l’effacement ». Ce fait, entre autres allégations, a lui aussi été retenu comme présomption de fait par l’intimée dans l’établissement de la cotisation, mais l’avocat de l’intimée a estimé que ces passages des motifs du juge Masuhara appuyaient l’allégation de l’intimée selon laquelle, sans les données figurant sur le disque dur, l’appelante ne pouvait pas exploiter son entreprise en utilisant les brevets.

[80]        M. Young a déclaré que ses associés et lui [traduction] « avaient fait ce qu’ils avaient à faire » et que la personne à avoir été le mieux à même d’expliquer la perte de données essentielles dans le disque dur de l’ordinateur était M. Douglas, qui avait témoigné le jour précédent. Pour ce qui est de M. Young, [traduction] « tout cela n’était que rumeurs et insinuations de la part de M. Cable ». Il s’est souvenu qu’Adrian, l’une des personnes qui avait montré de l’intérêt pour les brevets et qui avaient travaillé chez Interact, [traduction] « [l’]avait informé que tout cela n’était que du vent et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. C’est moi [c’est-à-dire Adrian] qui l’ai programmé d’ailleurs, et non Eric Cable, et je pourrais le reprogrammer même si c’est bien ce qui est arrivé. »

Analyse

[81]        Si je conclus que l’appelante était le propriétaire effectif des brevets de la famille no 1 le 30 septembre 2007, date à laquelle elle a vendu les brevets à Young Financial Ltd., il ne m’est pas nécessaire d’examiner l’argument de l’intimée selon lequel la propriété effective n’a été transférée qu’en 2010.

[82]        L’importance du transfert de propriété effective à l’appelante, au vu des faits dont je suis saisi, ressort du paragraphe 79.1(2) de la Loi :

Sous réserve du paragraphe (2.1) et pour l’application du présent article, un bien est saisi par une personne relativement à une dette lorsque les conditions suivantes sont réunies :

Subject to subsection (2.1) and for the purpose of this section, a property is seized at any time by a person in respect of a debt where

a) la propriété effective du bien est acquise ou acquise de nouveau, au moment de la saisie, par la personne;

(a) the beneficial ownership of the property is acquired or reacquired at that time by the person; and

b) l’acquisition ou la nouvelle acquisition fait suite au défaut d’une autre personne de lui payer tout ou partie du montant déterminé de la dette.

(b) the acquisition or reacquisition of the property is in consequence of another person’s failure to pay to the person all or part of the specified amount of the debt.

[83]        Le créancier saisit le bien lorsqu’il acquiert la propriété effective du bien; c’est-à-dire la propriété effective de la totalité du bien. On notera que l’expression « propriété effective », en français, est rendue par « beneficial ownership » en anglais.

[84]        L’appelante a-t-elle saisi les brevets afin d’acquérir la propriété effective des brevets en novembre 2005? Que disent la jurisprudence et les dictionnaires sur le sens courant des mots « propriété effective »? Je n’ai pu trouver aucune définition de l’expression « propriété effective », bien qu’il existe une définition pour chacun des deux mots pris séparément.

[85]        Le Shorter Oxford English Dictionary[16] inclut dans le mot « owner » (propriétaire) :

[traduction] quiconque a un droit ou un titre légitime sur une chose

[86]        Le New Shorter Oxford Dictionary[17] définit ainsi l’adjectif « beneficial » :

[traduction] se rapportant ou ayant trait à la jouissance d’un bien, etc., ou ayant la jouissance d’un bien, etc.

[87]        Le Petit Robert I[18] définit ainsi l’adjectif « effectif, ive » :

Concret, positif, réel, tangible […] réels (et non simplement inscrits sur les rôles.)

[88]        Selon Le Petit Robert I, le mot « réel », par opposition au mot « imaginaire », qualifie une chose qui est certaine ou authentique.

[89]        Dans l’arrêt Succession Jodrey[19], la Cour suprême du Canada a entériné le sens donné aux mots « propriétaire bénéficiaire » par le juge Hart dans la décision Mackeen v. Nova Scotia, où il s’exprimait ainsi :

[traduction] Il me semble que le sens courant de l’expression « propriétaire bénéficiaire » est celui de véritable propriétaire ou propriétaire réel du bien. Le bien peut être enregistré à un autre nom ou détenu en fiducie pour le véritable propriétaire, mais le « propriétaire bénéficiaire » est celui qui, en dernier ressort, exerce les droits de propriété sur le bien.

[90]        Antérieurement, à l’occasion de l’affaire Wardean Drilling Ltd. c. M.N.R.[20], le juge Cattanach exprimait l’avis que, pour ce qui est de la fraction non amortie du coût en capital :

[traduction] […] le critère à appliquer pour savoir à quel moment un bien est acquis doit se rapporter au droit de propriété, ou aux attributs normaux du droit de propriété, réels ou présumés, tels que la possession, l’usage et le risque.

[…]

Comme je l’ai mentionné ci-dessus, je suis d’avis qu’un acheteur a acquis des biens d’une catégorie visée par l’annexe B lorsqu’il y a eu transfert du titre de propriété, en tenant pour acquis que les biens existaient à ce moment-là, ou lorsque l’acheteur dispose de tous les attributs du droit de propriété, tels que la possession, l’usage et le risque de la chose, même si le vendeur conserve le titre en common law comme sûreté à l’égard du prix d’achat, comme le veut la pratique commerciale dans le domaine des contrats de vente conditionnelle. À mon avis, c’est là le véritable critère pour déterminer s’il y a eu acquisition d’un bien décrit à l’Annexe B du Règlement de l’impôt sur le revenu.

[91]        La Cour d’appel fédérale a confirmé le critère des « attributs du droit de propriété » à l’occasion des affaires Wardean Drilling Co. c. M.R.N.[21], Hewlett Packard (Canada) Ltd. c. R.[22] et Morin c. R.[23].

[92]        Le propriétaire effectif d’un bien est donc la personne qui est le propriétaire réel du bien, la personne qui est en possession du bien, la personne qui pourrait tirer un revenu du bien ou autrement l’utiliser, et qui est la personne qui subira une perte si le bien est endommagé ou détruit. Le propriétaire effectif est la seule personne qui puisse disposer du bien à sa guise, sans entrave.

[93]        L’intimée fait valoir que l’appelante n’a pas obtenu la propriété effective des brevets en 2005, que la propriété effective a été cédée à l’appelante quand la propriété en common law lui a été transférée en 2010. Les mots [traduction] « à charge pour elle de rendre compte finalement du produit de la disposition », dans la résolution des inspecteurs transférant les brevets à l’appelante, limitaient le droit de l’appelante à la propriété réelle ou effective des brevets[24]. L’appelante n’a obtenu une sûreté sur les brevets qu’en 2005. Elle devait rendre compte au syndic de tout produit de la vente dans les brevets qui dépassait 3 500 000 $. Un droit de rachat, L’avocat de l’intimée a prétendu[25] qu’un droit de rachat en equity appartenait au syndic, nonobstant la prétendue remise des brevets à l’appelante.

[94]        L’avocat de l’intimée a rappelé la cession du titre en common law sur les brevets à l’appelante en 2010, ajoutant que ce qui avait été cédé était [traduction] « l’intégralité des droits, titres » sur les brevets, et que cela comprenait à la fois la propriété en common law et la propriété effective.

[95]        M. Pallen, qui a témoigné en qualité de représentant du syndic de faillite, a dit qu’en novembre 2005, PWC entendait transférer le titre effectif sur les brevets à l’appelante et que l’appelante entendait acquérir ce titre. C’est ce qui ressort incontestablement des témoignages de MM. Pallen et Young, témoignages qui portaient sur la manière dont ils avaient agi après que PWC eut cédé à l’appelante les droits sur les brevets. L’appelante avait l’utilisation, la jouissance et la possession absolues des brevets. Elle détenait les documents se rapportant aux brevets et elle avait le droit d’exploiter les procédés protégés par les brevets. M. Pallen a confirmé à l’agent de brevets que l’appelante, par l’entremise de M. Young, était la personne qui à l’avenir lui donnerait ses instructions. L’appelante a pris à sa charge tous les risques liés aux brevets. Elle a pris à sa charge le risque du propriétaire, par exemple les coûts liés à la propriété, et il lui revenait de défendre ses droits de propriété sur les brevets à l’encontre des prétentions de l’épouse de M. Cable. Le syndic ne s’est pas immiscé dans la manière dont l’appelante utilisait les brevets ou en jouissait. En bref, le 23 novembre 2005, l’appelante avait acquis tous les attributs du titre effectif : la possession, l’usage et le risque. Elle avait le droit légitime sur les brevets et elle était la seule personne à pouvoir véritablement prendre des mesures à l’égard des brevets en tant que propriétaire. En 2007, l’appelante avait aussi acheté l’équipement qui lui permettrait d’exploiter les brevets et, en 2007, elle avait faire échouer les prétentions de Mme Melchior aux brevets. L’appelante était le propriétaire effectif des brevets et, comme tout autre propriétaire effectif, elle avait le droit de vendre les brevets à Young Financial Ltd. en 2007.

Les brevets

[96]        Les brevets pouvaient être utilisés par l’appelante dès leur acquisition en 2005. Ce que l’appelante a fait après l’acquisition avait pour but d’affirmer et d’exercer son contrôle et son droit de propriété sur les brevets.

[97]         À l’occasion de l’affaire Gartry (W.C.) c. Canada[26], le juge Bowman (alors juge de la Cour) expliquait à quel moment l’on devient propriétaire d’un bien amortissable :

[...] quand un contribuable [...] a suffisamment de contrôle sur un bien amortissable pour commander, après s’être engagé à acheter le bien, qu’on y apporte des modifications correspondant aux fins particulières qu’il vise et quand il supervise et paie ces travaux, même si la transmission du droit de propriété est différée jusqu’à la réception du paiement intégral [...], ce contribuable a acquis un intérêt suffisant dans le bien et suffisamment de droits accessoires à la propriété du bien pour que celui-ci représente un bien amortissable appartenant au contribuable [...][27]

[98]        L’appelante a exercé les attributs d’un véritable propriétaire, elle a acquis l’équipement permettant de fabriquer le bois au moyen des brevets, elle a mis l’équipement en sécurité à ses frais et, entre autres choses, elle a payé pour préserver son droit de propriété sur les brevets. L’appelante a acquis un droit suffisant sur les brevets et suffisamment de droits accessoires à la propriété des brevets, à savoir le titre effectif sur les brevets, pour que ces brevets deviennent entre ses mains un bien amortissable. Elle n’était pas propriétaire en 2005 de l’équipement permettant d’exploiter les brevets, mais cela n’est pas pertinent, puisque l’appelante aurait pu concéder par licence les brevets à d’autres personnes qui auraient pu acquérir l’équipement. Elle avait donc l’utilisation des brevets dès 2005 par acquisition, ou pas plus tard que 2007, quand elle avait acquis l’équipement et triomphé des prétentions de Mme Melchior.

Biens acquis en vue de tirer un revenu

[99]        L’alinéa 1102(1)c) du Règlement dispose que, pour que les brevets soient inclus à titre de biens de la catégorie 14, les brevets doivent avoir été acquis par le contribuable aux fins de gagner ou de produire un revenu. La thèse principale de l’intimée en ce qui concerne l’alinéa 1102(1)c) est que l’appelante n’a pas acquis les brevets pour gagner un revenu, puisqu’aucune entreprise n’était exploitée ni n’avait commencé à exerces des activités au moment de l’acquisition des brevets. En réalité, W.I. exploitait une entreprise à l’époque, dont l’appelante était la directrice. Et c’est pour des raisons commerciales que l’appelante s’est trouvée mêlée à cet imbroglio.

[100]   À l’occasion de l’affaire Hickman Motors c. La Reine[28], la juge McLachlin (tel était alors son titre) définissait ainsi, au paragraphe 4, l’objet de l’alinéa 1102(1)c) du Règlement :

[…] L’exclusion [dans l’alinéa 1102(1)c)] vise à s’assurer que l’élément d’actif à l’égard duquel est réclamée la déduction est relié à la production d’un revenu, par opposition à un élément d’actif acquis à des fins non génératrices de revenu, par exemple, le loisir ou les besoins personnels.

[101]   Il m’apparaît évident que ce qui a joué fortement contre M. Young, c’est sa décision, ou plutôt la décision de l’appelante, d’accorder le prêt, un prêt que n’a pu rembourser Interact. Une période de dix ans, depuis la date du prêt consenti à Interact jusqu’à la date de l’audition du présent appel, ne favorise pas un bon souvenir des événements ayant eu lieu au cours des premières années, et, souvent, ce que rapportent les témoins englobe des incidents qui ne sont que le produit de leur imagination. Néanmoins, bien que j’aie conclu, au cours du procès, que certains des témoignages de M. Young peuvent être taxés d’exagération et être le produit de souvenirs involontairement favorables, j’ai trouvé qu’il était un témoin crédible et un homme d’affaires pragmatique. Ainsi, je crois qu’il a sans doute minimisé l’importance que les bons de souscription d’actions d’Interact ont eue dans le prêt consenti à Interact. Mais la raison première qu’avait l’appelante de prêter 3 500 000 $ à Interact était de donner à Interact le moyen d’exploiter les brevets, de telle sorte que l’appelante puisse obtenir les tailles de planches qu’elle voulait, quand elle le voulait, et en tirer un revenu. Et, quand l’appelante a acquis les brevets en 2005, elle les a acquis en songeant aux revenus qu’elle pourrait en tirer par l’exercice d’activités rentables consistant à mettre à profit les brevets par la mise sur pied, avec quelqu’un d’autre, d’une coentreprise ou d’un partenariat auquel une société du Woodtone Group se joindrait, et auquel l’appelante concéderait par licence les brevets en vue d’en tirer un revenu. L’appelante a agi conformément à des principes d’affaires et à des pratiques commerciales raisonnablement acceptables[29].

[102]   C’est l’appelante qui a avancé les fonds à Interact pour les raisons évoquées par M. Young : le Woodtone Group voulait pouvoir se procurer des planches de tailles idéales, et l’appelante était le moyen dont il disposait pour y parvenir. Selon M. Young, la raison pour laquelle il avait choisi l’appelante pour jouer ce rôle était que l’appelante avait déjà auparavant acquis des biens qu’elle louait ou donnait à bail à Woodtone pour que Woodtone puisse produire, et l’opération dont il s’agit ici n’était en rien différente. Le prêt consenti à Interact était garanti par le bien même qui avait motivé le prêt. Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire prouvant le contraire.

[103]   Après la faillite d’Interact et de M. Cable, l’objectif de l’appelante n’avait pas changé : elle voulait encore exploiter les brevets. Les longs témoignages font état des efforts faits par M. Young pour qu’Interact améliore ses activités afin de pouvoir vendre sa marchandise à W.I. Il a échoué et Interact a déclaré faillite, et il s’est alors efforcé – ainsi que l’appelante – de faire en sorte que l’appelante ou une société du Woodtone Group tire parti des brevets au moyen d’une coentreprise ou d’un partenariat avec d’autres personnes, moyennant une redevance pour l’utilisation des brevets et le versement de frais de gestion afférents à la coentreprise ou au partenariat. L’appelante s’efforçait de pouvoir utiliser les brevets d’une manière ou d’une autre, d’abord par elle-même, et plus tard en tentant d’établir un partenariat ou une coentreprise, pour que le Woodtone Group puisse se procurer le bois dont il avait besoin. L’appelante ne considérait pas les brevets différemment d’autres biens qu’elle avait acquis par le passé, puis loués ou concédés par licence à Woodtone. Avant même que l’appelante devienne le propriétaire effectif des brevets, M. Young s’était mis en quête d’autres personnes de l’industrie susceptibles de se joindre à l’appelante pour exploiter les brevets dans un but lucratif. Au moment d’établir la cotisation, le ministre a présumé que l’appelante avait recherché, dès septembre 2005, de possibles partenaires en vue d’une exploitation commune des brevets, et, pour la période postérieure à l’acquisition des brevets en novembre 2005, ce point a été confirmé par M. Douglas. D’une manière ou d’une autre, en concédant par licence les brevets à W.I. seulement, au moyen d’un partenariat ou d’une coentreprise, et en gagnant par surcroît des frais de gestion, l’appelante pourrait tirer un revenu des brevets.

Requêtes

[104]   Le 6 mai 2014, suivant une requête de l’intimée, la Cour a rendu une ordonnance modifiant sa réponse modifiée à l’avis d’appel, afin de a) corriger (et donc réfuter) la présomption du ministre selon laquelle l’appelante avait vendu les brevets à Young Financial Ltd. le 30 septembre 2007; et b) affirmer que PWC, en qualité de syndic de l’actif de M. Cable, avait vendu à l’appelante, le 24 avril 2010, l’intégralité des droits et titres afférents aux brevets. L’appelante a également été autorisée à faire valoir que, compte tenu de la réclamation de créanciers garantis antérieurs, les seuls biens que l’appelante pouvait saisir à l’égard des prêts non remboursés étaient les brevets reçus aux termes du contrat de sûreté conclu avec M. Cable; que, si les brevets étaient vendus, alors ils ne constituaient pas un bien amortissable; et que, s’ils constituaient un bien amortissable, ils ne pouvaient pas être utilisés par l’appelante, et par conséquent aucune somme ne peut être incluse dans le calcul du coût en capital rajusté d’un bien amortissable.

[105]   Par la suite, à l’ouverture du procès, l’appelante a sollicité une ordonnance portant irrecevabilité des quatre documents produits par l’intimée, au motif que l’intimée ne les avait pas inclus dans sa liste de documents, en application de l’article 89 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »). L’intimée souhaitait produire ces documents sans en avoir fait état sur une liste obligatoire de documents, parce qu’ils avaient été produits au cours d’un interrogatoire préalable de l’appelante le 5 septembre 2013. On ne sait pas comment l’intimée a obtenu ces documents, que ce soit au cours de l’interrogatoire préalable d’un témoin de l’appelante ou autrement. L’intimée a fait valoir que le fait de déclarer irrecevables ces documents aurait pour effet l’invalidation de l’ordonnance de la Cour datée du 6 mai 2014. J’ai réservé mon jugement jusqu’après l’instruction de l’appel, bien que les documents en question aient été produits.

[106]   L’article 89 des Règles dispose :

(1) Sauf directive contraire de la Cour, ou sauf si les autres parties ont renoncé au droit d’obtenir communication de documents ou ont consenti par écrit à ce que des documents soient utilisés en preuve, aucun document ne doit être utilisé en preuve par une partie à moins, selon le cas :

(1) Unless the Court otherwise directs, except with the consent in writing of the other party or where discovery of documents has been waived by the other party, no document shall be used in evidence by a party unless

 

a) qu’il ne soit mentionné dans les actes de procédure, ou dans une liste ou une déclaration sous serment déposée et signifiée par une partie à l’instance;

(a) reference to it appears in the pleadings, or in a list or an affidavit filed and served by a party to the proceeding,

b) qu’il n’ait été produit par l’une des parties, ou par quelques personnes interrogées pour le compte de l’une des parties, au cours d’un interrogatoire préalable;

(b) it has been produced by one of the parties, or some person being examined on behalf of one of the parties, at the examination for discovery, or

c) qu’il n’ait été produit par un témoin qui n’est pas, de l’avis de la Cour, sous le contrôle de la partie.

(c) it has been produced by a witness who is not, in the opinion of the Court, under the control of the party.

(2) Sauf directive contraire de la Cour, le paragraphe (1) ne s’applique pas au document utilisé uniquement comme fondement ou comme partie d’une question dans un contre-interrogatoire ou en réinterrogatoire.

(2) Unless the Court otherwise directs, subsection (1) does not apply to a document that is used solely as a foundation for or as part of a question in cross-examination or re-examination.

[107]   Il ne fait aucun doute que l’intimée ne s’est pas conformée à l’article 89 des Règles. Une ordonnance autorisant une partie à modifier un acte de procédure pour y alléguer des faits nouveaux et y avancer des arguments nouveaux ne soustrait pas, ni ne saurait soustraire, cette partie aux exigences de l’article 89. La demande de l’appelante est donc accueillie. Les documents controversés sont radiés du dossier.

Conclusion

[108]   L’appel est donc accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que l’appelante a droit à une perte finale de 3 871 057 $ par suite de la disposition d’un bien de la catégorie 14 pour l’année d’imposition en cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de décembre 2014.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de juin 2015

 

 

François Brunet, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 373

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-3692(IT)G

INTITULÉ :

568864 B.C. LTD c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 2, 3, 4, 5 et 6 juin 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Gerald J. Rip

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 décembre 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Thomas M. Boddez

 

Avocat de l’intimée :

Me Bruce Senkpiel

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Thomas M. Boddez

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           La perte finale déduite se chiffre à 3 871 057 $, soit 3 500 000 $ plus 371 057 $ en frais de justice.

[2]           Voir les paragraphes 93 et 94.

[3]           W.I. exerce ses activités dans ce qui est communément appelé le marché du bois d’œuvre résineux, et les participants de l’industrie canadienne du bois d’œuvre résineux sont souvent « en conflit » avec leurs concurrents des États-Unis. Périodiquement, les États‑Unis imposent des droits de douane sur le bois d’œuvre résineux canadien.

[4]           Les chiffres énoncés s’entendent de la longueur en pieds, tandis que les chiffres inférieurs, par exemple 2 x 4, s’entendent de la largeur et de la profondeur en pouces.

[5]           M. Young a expliqué la différence caractérisant chaque famille de brevets. La famille no 1, celle qui l’intéressait le plus, était une méthode permettant de fabriquer un produit selon l’aspect visuel, la famille no 2 permettait de fabriquer un produit selon la structure et la famille no 3 décrivait la manière dont le lamellage sur rives favorisait une [traduction] « grande travée ». La famille no 1 représentait le seul brevet existant le 19 décembre 2003. Plus tard, Interact a demandé d’autres brevets qui constituent la famille no 2 et la famille no 3, brevets dont on a estimé qu’ils n’étaient pas compris dans la sûreté se rapportant au prêt subséquent consenti à Interact, parce qu’ils n’étaient pas [traduction] « suffisamment développés à l’époque. » Voir les paragraphes 35 et 36 des présents motifs.

[6]           Les sommes globales que l’appelante a dans les faits avancées à Interact étaient 2 700 000 $ + 500 000 $ + 250 000 $, pour un total de 3 450 000 $.

[7]           L’accord du 15 décembre 2003 fait état de 3 960 000 actions, mais des accords subséquents font état du droit d’acquérir 3 500 0000 actions. Une modification ultérieure datée du 4 juin 2004 fait passer le nombre de bons de souscription à 4 600 000 actions.

[8]           Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (la « LACC »).

[9]           PWC était au départ contrôleur des procédures intentées sous le régime de la LACC pour Interact Holdings et Interact elle-même. Peu de temps après l’introduction des procédures, M. Cable a déposé auprès de PWC un avis de son intention de déclarer faillite. Les procédures de faillite finalement intentées pour les deux sociétés ont été prises en charge par le bureau de PWC à Calgary, étant donné que le siège d’Interact, à Golden (C.‑B.), était moins éloigné de Calgary que du bureau de PWC à Vancouver. C’est le bureau de Vancouver de PWC qui s’est occupé de la proposition et de la faillite de M. Cable. Le personnel de PWC à Calgary et celui de Vancouver se tenaient mutuellement informés de l’évolution des dossiers respectifs relevant de la LACC, à savoir la mise sous séquestre et la faillite.

[10]          Melchior v. Cable (Trustee of), [2007] B.C.J. No. 158, 2007 BCSC 136 (l’arrêt « Melchior »).

[11]          Il est signalé dans plusieurs documents, par exemple dans l’ordonnance du 22 novembre 2005, que l’appelante et CVM avaient une charge de second rang sur les brevets en contrepartie de l’avance des fonds à Interact en 2004. CVM s’est finalement désistée de la protection de son droit à la sûreté.

[12]          C’est en juillet 2006 que l’appelante a acheté l’équipement à Interact. Selon un tableau du Bureau du recensement des États-Unis, les mises en chantier de nouvelles constructions résidentielles ont connu leur niveau le plus faible en 2009, puis ont commencé à augmenter en 2012 pour atteindre environ 1 000 000 de mises en chantier en 2013, et l’on prévoit 1 200 000 mises en chantier cette année.

[13]          Voir le paragraphe 36 des présents motifs.

[14]          Au cours de l’été de 2010, l’appelante a acquis les brevets des familles no 2 et no 3, brevets dont elle est encore propriétaire.

[15]          2007 BCSC 1004 (la décision Cable).

[16]          Clarendon Press, Oxford, 1993, 3e édition.

[17]          Oxford University Press, 1993.

[18]          Le Petit Robert 1983.

[19]          Covert c. Nouvelle-Écosse (Ministre des Finances), [1980] A.C.S. n° 101 (QL), [1980] 2 R.C.S. 774, à la page 784, citant la décision MacKeen Estate v. Nova Scotia, [1977] C.T.C. 230 (Cour suprême de la Nouvelle-Écosse), au paragraphe 46. Le lecteur pourra aussi se référer à la décision Prevost Car Inc. c. La Reine, 2008 CCI 231, [2008] A.C.I. n168 (QL), aux paragraphes 72 à 100, pour un examen de l’expression « propriétaire bénéficiaire (ou effectif) dans le contexte de l’interprétation des traités.

[20]          69 DTC 5194 (C. Éch.), aux pages 5197 et 5198.

[21]          [1978] A.C.F. n° 50 (QL), 1978 CarswellNat 189.

[22]          2004 CAF 240, 2004 DTC 6498.

[23]          2006 FCA 25, 2006 DTC 6057 (anglais seulement).

[24]          Voir les paragraphes 63 et 64. [À confirmer dans l’ébauche finale]

[25]          Cette thèse a été avancée presque à la toute fin de l’audience et, à la requête de l’avocat de l’appelante, j’ai ordonné la présentation de conclusions écrites sur la question de savoir si l’intimée était fondée à soulever la question du droit de rachat en equity pour ainsi dire au terme des plaidoiries, alors qu’il ne semblait y avoir dans les actes de procédure de l’intimée aucun élément ni aucune allégation à l’appui. Il ne s’agissait pas là d’une présomption de fait invoquée par le ministre lorsqu’il a établi la cotisation en cause.

[26]          94 DTC 1947, [1994] 2 C.T.C. 2021.

[27]          Décision Gartry, précitée, au paragraphe 33.

[28]          97 DTC 5363 (CSC).

[29]          Arrêt Hickman Motors, précité, au paragraphe 65.

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