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Dossier : 2014-2454(IT)G

 

ENTRE :

J.G. GUY SIMARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Requête entendue le 19 novembre 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me Guy DuPont, Ad.E.

Me Michael H. Lubetsky

Me Mouna Aber

 

Avocat de l'intimée :

Me Louis L'Heureux

 

 

ORDONNANCE

          Attendu que le 21 novembre 2014, la Cour a rendu en l'espèce une ordonnance faisant droit à la requête présentée par l'appelant au titre des alinéas 53(1)a), b) et c) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) en vue d'obtenir la radiation du paragraphe 76 de la réponse à l'avis d'appel de l'intimée;

 

          Et attendu que l'avocat de l'appelant a demandé que les dépens sur la base avocat‑client soient adjugés à l'appelant en l'espèce;

 

          Et attendu que les avocats des parties ont présenté des observations relativement à la demande de l'avocat de l'appelant en vue d'obtenir les dépens sur la base avocat‑client;

 

          Et ayant examiné les observations des parties;

 

          La Cour ordonne que les dépens soient accordés à l'appelant sur la base avocat‑client pour un seul avocat et sur la base partie‑partie pour tout autre avocat qui aurait normalement droit aux dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de janvier 2015.

« Gerald J. Rip »

Le juge Rip

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mai 2015.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2015 CCI 2

Date : 20150106

Dossier : 2014-2454(IT)G

 

ENTRE :

J.G. GUY SIMARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Rip

[1]             L'appelant a demandé à la Cour de lui accorder les dépens de la présente requête sur la base avocat‑client. Il avait présenté une requête en vue d'obtenir la radiation du paragraphe 76 de la réponse à l'avis d'appel de l'intimée en application des alinéas 53(1)a) et c) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »).

[2]             Le paragraphe 76 de la réponse était rédigé ainsi :

[TRADUCTION]

76.       Le sous‑procureur général se fonde sur les faits supplémentaires suivants :

a) en avril 2014, par suite d'une enquête menée par la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») concernant l'abri fiscal XXX, les dirigeants et les représentants de XXX et d'ABC [...] ont été accusés des infractions suivantes relativement à leurs activités liées à l'abri fiscal XXX :

                     fraude dont la valeur de l'objet dépasse 5 000 $, au titre de l'alinéa 380(1)a) du Code criminel;

                     complot en vue de commettre une fraude dont la valeur de l'objet dépasse 5 000 $, au titre de l'alinéa 465(1)c) du Code criminel;

                     recyclage des produits de la criminalité, au titre du paragraphe 462.31(1) du Code criminel;

                    infraction au profit d'une organisation criminelle, au titre de l'article 467.12 du Code criminel.

[3]             Les accusations énoncées aux deuxième et troisième points n'ont pas en réalité été portées contre les dirigeants et les représentants de XXX.

[4]             J'ai accueilli la requête présentée par l'appelant en vue d'obtenir la radiation du paragraphe 76 des actes de procédure de l'intimée compte tenu du fait que le contenu du paragraphe était scandaleux et constituait un recours abusif à la Cour, aux termes des alinéas 53(1)b) et c) des Règles, et qu'il pouvait compromettre ou retarder l'instruction équitable de l'instance, aux termes de l'alinéa 53(1)a) des Règles.

[5]             En bref, les personnes mentionnées au paragraphe 76 de la réponse ont été accusées d'infractions au Code criminel, mais n'ont été déclarées coupables d'aucune infraction. Au cas où les accusations portées contre les dirigeants de XXX et d'ABC feraient l'objet d'un procès et que les personnes seraient reconnues non coupables, les allégations figurant au paragraphe 76 ne seraient pas véridiques. Et le fait de formuler les allégations, pour autant que je puisse en juger, ne pouvait servir qu'à entacher ou à fausser la preuve de façon à favoriser l'intimée.

[6]             L'avocat de l'intimée a soutenu que les allégations mentionnées au paragraphe 76 de la réponse ont été faites à la suite de déclarations figurant dans un affidavit souscrit par Wayne Vanderlaan, [TRADUCTION] « un enquêteur principal qui avait été détaché auprès de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») dans le seul but d'aider celle‑ci relativement à l'enquête » concernant le stratagème fiscal allégué.

[7]             L'avocat de l'intimée affirme également que, lorsqu'il s'était rendu compte du fait que les accusations énoncées aux deuxième et troisième points du paragraphe 76 de la réponse n'avaient pas été portées contre les personnes, il avait communiqué avec l'avocat de l'appelant et avec la Cour pour les aviser de cette situation et pour consentir à ce que ces points soient supprimés du paragraphe 76 de la réponse.

[8]             L'avocat de l'intimée a aussi déclaré qu'il n'était pas au courant du fondement d'une affirmation faite dans l'affidavit de M. Vanderlaan selon laquelle les accusations avaient été portées contre les personnes concernées le 16 avril 2014; les renseignements fournis par un agent de la GRC indiquent que les accusations ont été portées contre les personnes le 24 mars 2014.

[9]             La réponse à l'avis d'appel a été déposée le 19 septembre 2014. La requête de l'appelant visant à obtenir la radiation a été déposée le 17 octobre 2014. C'est le 14 novembre 2014, le même jour où j'ai radié le paragraphe 76 de la réponse à l'avis d'appel, que Sarah Escoffery, une assistante juridique au ministère de la Justice, a souscrit un affidavit auquel elle a annexé une copie de la dénonciation concernant les accusations criminelles visant les personnes, que lui avait envoyée un certain caporal Wong de la GRC, ainsi qu'une copie d'un communiqué de presse de la GRC du 26 mars 2014. Le caporal Wong lui a confirmé, le 14 novembre 2014, que les renseignements figurant dans le communiqué de presse étaient exacts. Les accusations formulées aux deuxième et troisième points du paragraphe 76 n'étaient pas mentionnées dans le communiqué de presse.

[10]        Dans un affidavit du 4 décembre 2014, Mme Candida Garisto‑Cardillo, également assistante juridique au ministère de la Justice, a notamment déclaré que, le 10 juillet 2014, elle avait demandé qu'un huissier se présente à la Cour supérieure de justice de l'Ontario pour chercher une copie d'un dossier de demande du 10 juin 2014. Ce dossier concernait une demande présentée par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel en vue d'obtenir des documents saisis par la GRC au cours de l'enquête menée relativement au stratagème fiscal XXX.

[11]        Le dossier de demande comportait l'affidavit de M. Vanderlaan que l'intimée, croyant qu'il ne présentait aucun élément inexact, a repris au paragraphe 76 de la réponse à l'avis d'appel. Ce n'est que le 14 novembre 2014, le jour de l'audition de la requête en radiation de l'appelant, que l'avocat de l'intimée s'est rendu compte que les accusations énoncées aux deuxième et troisième points du paragraphe 76 n'avaient pas réellement été portées contre les personnes et qu'il a communiqué avec l'avocat de l'appelant.

[12]        Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée sur le fait qu'une adjudication de dépens sur la base avocat‑client n'est ordonnée que dans des cas rares et exceptionnels, et généralement dans le seul cas d'une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante des parties. J'avais précisé plus tôt qu'à mon avis, le contenu du paragraphe 76 était scandaleux, même si les deuxième et troisième points devaient être supprimés sur consentement. L'allégation faite dans un acte de procédure selon laquelle une personne est accusée d'une infraction criminelle, si l'accusation n'a pas été prouvée, n'a pas de fin légitime. Si, avant l'audition de l'appel, les personnes sont déclarées coupables des accusations portées contre elles, l'intimée peut alors envisager de modifier sa réponse en conséquence.

[13]        Des allégations non fondées en matière criminelle ont amené les tribunaux à accorder des dépens. Dans l'arrêt Hamilton c. Open Window Bakery Ltd.[1], la Cour suprême du Canada a cité l'observation suivante formulée par la juge McLaughlin (tel était alors son titre) dans l'arrêt Young c. Young[2], selon laquelle les dépens avocat‑client :

[...] ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties. [...]

[14]        La Cour suprême du Canada a ajouté ce qui suit :

[...] La tentative infructueuse d'établir, selon la prépondérance des probabilités, l'existence de fraude ou de malhonnêteté n'amène pas forcément à conclure que la partie déboutée doit être tenue de verser des dépens avocat‑client, étant donné que les tentatives de ce genre ne seront pas toutes considérées, à juste titre, comme une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante ». Toutefois, les allégations de fraude et de malhonnêteté sont graves et peuvent être fort dommageables pour ceux et celles qui sont accusés de supercherie. Lorsque, comme en l'espèce, une partie formule en vain de telles allégations au procès et qu'elle a accès à des renseignements qui lui permettent de conclure que l'autre partie a simplement fait montre de négligence et n'est coupable ni de malhonnêteté ni de fraude (comme l'a conclu le juge Wilkins), il convient d'accorder des dépens avocat‑client : voir, d'une manière générale, M. M. Orkin, The Law of Costs (2e éd. (feuilles mobiles)), par. 219.

[15]        En l'espèce, nous ne sommes pas en présence d'allégations calomnieuses présentées par un avocat ni d'observations diffamatoires formulées par la Couronne à l'égard de qui que ce soit. Nous sommes en présence d'allégations non fondées en matière criminelle reposant sur une preuve par affidavit, qui ont occasionné des frais non nécessaires à l'appelant en raison de la requête en radiation qu'il a dû présenter. Lorsqu'ils préparent leurs actes de procédure, les avocats doivent faire preuve de prudence et éviter d'avancer des allégations qui ne sont pas exactes (en ce qui concerne les deuxième et troisième points) et qui peuvent être très préjudiciables, qu'elles soient fondées sur une preuve par affidavit ou autre.

[16]        J'ai conclu que les allégations énoncées au paragraphe 76 de la réponse à l'avis d'appel sont scandaleuses. Comme je l'ai mentionné à l'avocat à l'audience de la présente requête, j'ai été indigné lorsque j'ai lu pour la première fois le paragraphe 76 de la réponse, et celui‑ci m'a rappelé les accusations formulées dans les années 1950 par le sénateur américain Joseph McCarthy du Wisconsin.

[17]        Les dépens sont accordés à l'appelant sur la base avocat‑client pour un seul avocat et sur la base partie-partie pour tout autre avocat qui aurait normalement droit à des dépens. À mon avis, il s'agit d'une décision raisonnable compte tenu des circonstances.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de janvier 2015.

« Gerald J. Rip »

Le juge Rip

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mai 2015.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2015 CCI 2

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2014-2454(IT)G

                                                         

INTITULÉ :                                      J.G. GUY SIMARD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 19 novembre 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    L'honorable juge Gerald J. Rip

 

DATE DE L'ORDONNANCE :        Le 6 janvier 2015

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me Guy DuPont, Ad.E.

MMichael H. Lubetsky

MMouna Aber

 

Avocat de l'intimée :

Me Louis L'Heureux

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :                     

 

Nom :                                   Guy DuPont, Ad.E.

 

Cabinet :                                        Davis Ward Phillips et Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l'intimée :                           William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]           2004 CSC 9, [2004] 1 R.C.S. 303, au paragraphe 26.

 

[2]           1993 CanLII 34, [1993] 4 R.C.S. 3, à la page 134.

 

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