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Référence : 2015CCI7

Date : 20150113

Dossier : 2014‑408(IT)I


ENTRE :

THUY T. NGUYEN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience par conférence téléphonique à Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2014)

La juge V.A. Miller

[1]             Il s’agit d’un appel d’une nouvelle cotisation établie pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008 de l’appelante dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus, respectivement, les montants de 64 271 $, de 16 248 $ et de 44 465 $ dans le revenu de l’appelante à titre d’avantages aux actionnaires. Le ministre a également imposé des pénalités pour faute lourde pour chacune des années en cause.

[2]             Au cours de la période visée, l’appelante était l’unique actionnaire de deux sociétés. Elle a exploité NDT Indoor & Outdoor Garden Supplies and Equipments Ltd. de 2003 à 2008, année à laquelle elle a vendu l’entreprise. Le 1er octobre 2005, l’appelante a constitué Pho Hoa Nam Vietnamese Noodle House Inc. (la « société »). L’appel porte sur cette société, qui exploitait un restaurant à Ottawa.

[3]             L’exercice financier de la société se terminait le 30 septembre.

[4]             Dans son témoignage, l’appelante a déclaré que, pour ouvrir le restaurant, elle avait utilisé son propre argent, à savoir ses économies personnelles, sa marge de crédit et des prêts contractés auprès d’amis et de membres de sa famille. Le restaurant n’a ouvert ses portes que le 8 mars 2006. Tout l’argent investi dans le restaurant avant le 8 mars 2006 lui appartenait personnellement. Elle a porté ces montants au crédit du compte de prêt d’actionnaire. Elle soutenait qu’elle devrait être autorisée à retirer l’argent de ce compte en franchise d’impôt, car cet argent lui appartenait.

[5]             L’appelante a présenté quatre documents comptables de la société qu’elle avait préparés. Ces documents sont les suivants :

1.       La pièce A‑1 est le sommaire du « compte de prêt d’actionnaire » pour la période du 31 décembre 2005 au 30 septembre 2007. Selon ce document, pendant la période s’échelonnant de mai 2005 au 30 septembre 2006, l’appelante a injecté 138 996,07 $ dans la société et a effectué des retraits de 64 399,94 $ du compte de la société. Au cours de l’année d’imposition 2007 de la société, elle a prétendument injecté 74 926,30 $ dans la société et a effectué des retraits de 16 119,85 $. Le montant porté au crédit du compte de prêt d’actionnaire en 2007 comprenait un salaire de 44 875,94 $ gagné par l’époux de l’appelante.

2.       La pièce A‑2 est le sommaire des « décaissements » effectués en 2005 et de janvier jusqu’au 31 juillet 2006.

3.       La pièce A‑3 était intitulée « rapprochement des charges ayant un effet sur la trésorerie » pour 2007, 2008 et 2009. Selon la première page de cette pièce, les montants dus à l’appelante s’élevaient à 130 702,18 $, à 60 095,17 $ et à  (220,35 $) en 2006, en 2007 et en 2008 respectivement. L’appelante a déclaré qu’elle avait préparé cette pièce lorsqu’elle faisait l’objet d’une vérification de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »). Cette pièce comptait sept pages.

4.       La pièce A‑4 était le « sommaire des décaissements » du compte TD dont le numéro se terminait par 590 pour la période s’échelonnant du 1er octobre 2005 au 28 septembre 2006. Selon l’appelante, il s’agissait du document comptable qu’elle utilisait pour le compte bancaire de la société.

[6]             L’appelante a déclaré que, pendant la période visée, lorsqu’elle achetait des aliments pour sa consommation personnelle, elle en achetait également pour le restaurant. Elle avait entièrement mis en commun ses dépenses et ses fonds personnels avec ceux du restaurant. Il s’agissait d’un petit restaurant familial et elle ne pouvait pas effectuer chaque jour le rapprochement des encaissements et des décaissements. Elle était d’avis que tous les propriétaires d’une petite entreprise effectuaient, comme elle, ce type de rapprochement annuellement.

[7]             Selon son témoignage, pendant la période visée, elle élevait quatre enfants et venait en aide à sa mère handicapée. Elle a fait de son mieux pour tenir les livres de la société à jour. Elle ne déposait pas quotidiennement les gains en argent liquide du restaurant. Elle utilisait plutôt l’argent liquide pour acheter des fournitures pour le restaurant et des articles personnels pour elle‑même. Elle rajustait le compte provisoire de l’encaisse chaque mois. Elle consignait alors les fournitures achetées et débitait le compte de prêt d’actionnaire pour ses dépenses personnelles. À la fin du mois, elle déposait l’argent qu’il lui restait.

[8]             L’appelante a déclaré que son époux travaillait régulièrement dans la cuisine du restaurant, mais qu’il n’était pas rémunéré. Son salaire est inscrit au crédit du compte de prêt d’actionnaire. Il s’élevait à 20 000 $, à 35 000 $ et à 24 000 $ en 2006, en 2007 et en 2008. Son époux a déclaré ces montants comme revenus dans chacune des années et a payé de l’impôt sur ces montants. Lorsqu’il travaillait dans la cuisine, il n’avait aucun autre emploi. L’appelante a reçu un dividende imposable de 25 000 $ de la société, qu’elle a déclaré comme revenu en 2008.

[9]             L’appelante soutient que les montants de 64 271 $, de 16 248 $ et de 44 465 $ inclus dans son revenu comprennent le salaire déclaré par son époux. Le salaire de celui‑ci devrait être soustrait des montants inclus dans le salaire de l’appelante, car il a payé de l’impôt sur ces montants.

[10]        Tanya Wilson était l’agente des appels de l’ARC responsable du dossier de l’appelante. Elle a déclaré qu’elle avait travaillé au dossier de l’appelante et à celui de la société. Elle a accordé à la société des dépenses supplémentaires qui avaient été rejetées par la section de la vérification de l’ARC, mais elle a confirmé le bien‑fondé de la nouvelle cotisation établie par l’ARC pour les années 2006, 2007 et 2008 de l’appelante. Elle a affirmé que les relevés bancaires de la marge de crédit de l’appelante étaient les seuls documents sources que celle‑ci lui avait transmis. Cependant, Mme Wilson n’était pas en mesure d’établir de lien entre les retraits effectués dans la marge de crédit et la société. Elle avait demandé à l’appelante de lui fournir des documents qui lui permettraient de retracer les investissements que l’appelante aurait faits dans la société ou de faire un rapprochement connexe. L’appelante ne lui a transmis aucun document de la sorte.

Analyse

[11]        Comme il a déjà été précisé, les éléments de preuve documentaire de l’appelante comprenaient des documents comptables qu’elle avait préparés. Je n’ai reçu aucun document source à l’appui des entrées faites dans les documents comptables. L’appelante a déclaré qu’elle avait utilisé sa marge de crédit pour payer certaines dépenses de la société avant l’ouverture du restaurant. Toutefois, elle n’a fourni aucun document prouvant que les retraits effectués dans sa marge de crédit ont servi à payer les dépenses de la société. À l’audience, elle a également affirmé qu’elle avait emprunté de l’argent à des membres de sa famille et à des amis pour ouvrir le restaurant. Cependant, le seul prêt personnel qu’elle a mentionné à l’ARC lorsque son dossier se trouvait à l’étape de l’opposition était un prêt de 9 500 $ que lui avait accordé sa mère. Aucun document n’appuie l’existence qu’un quelconque prêt de sa mère ou d’amis.

[12]        D’après le témoignage de l’appelante et la pièce A‑4, la société a reçu un prêt de financement des petites entreprises du Canada en 2005. Selon la pièce A‑4, les produits de ce prêt se chiffrent à 128 750 $. Cependant, j’ignore le montant exact du prêt ou la date à laquelle la société a reçu tous les produits du prêt. L’appelante n’a donné aucun détail sur ce prêt.

[13]        La pièce A‑4 présentée par l’appelante était le document comptable associé au compte bancaire de la société. Il aurait été préférable d’avoir les relevés bancaires originaux. Cependant, le document de l’appelante révèle que les ventes au comptant du restaurant n’ont pas été déposées dans le compte de la société en mai, en juin, en juillet, en août ni en septembre 2006. Selon ce même document, 1 624,42 $ ont été versés à l’époux de l’appelante en juillet 2006.

[14]        Au cours du contre‑interrogatoire, l’appelante a déclaré que tout l’argent ayant servi à payer les dépenses du restaurant avant l’ouverture de celui‑ci lui appartenait personnellement. Cependant, c’est manifestement faux. La société a reçu les produits d’un prêt pour les petites entreprises avant l’ouverture du restaurant.

[15]        Je n’ai reçu aucun élément de preuve indiquant que l’appelante avait des revenus ou des économies qui lui auraient permis de réaliser les soi‑disant investissements.

[16]        En matière fiscale, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités. Le contribuable a le fardeau initial de « démolir » les hypothèses de fait sur lesquelles se fonde le ministre. J’estime que l’appelante ne s’est pas acquittée de ce fardeau initial. Elle a présenté des documents comptables qu’elle avait préparés, mais rien pour valider les montants figurant dans ces documents. Ses documents ne sont en réalité que des chiffres dans un tableur Excel. Les documents comptables ne créent pas la réalité, mais devraient la refléter : VanNieuwkerk c La Reine, 2003 CCI 670, au paragraphe 6. Lorsque des documents comptables sont mis en doute, le contribuable devrait disposer des documents sources pour prouver l’exactitude des documents comptables lorsqu’une transaction a été effectuée.

[17]        L’appelante ne m’a donné absolument aucun élément de preuve objectif à l’appui de son allégation, à savoir qu’elle aurait prêté de l’argent à la société. L’appelante a livré un témoignage contradictoire et je ne l’ai pas trouvée crédible.

Pénalités

[18]        Le ministre a le fardeau de présenter des éléments de preuve justifiant l’imposition de pénalités pour faute lourde. Dans la décision DeCosta c R, 2005 DTC 1436, le juge Bowman, tel était alors son titre, a examiné certains facteurs à prendre en compte dans les cas où des pénalités pour faute lourde sont imposées. Il s’est exprimé en ces termes :

Pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l’importance de l’omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l’erreur, ainsi que le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qui convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve.

[19]        En l’espèce, la preuve était la suivante.

[20]        L’appelante était l’unique actionnaire de la société. Contrairement à ce qu’elle a affirmé dans son témoignage, elle avait de l’expérience et des connaissances considérables en comptabilité. Elle a obtenu un baccalauréat en commerce de l’Université McMaster. Elle a travaillé pendant au moins huit ans au sein du service de comptabilité de deux entreprises différentes. En 2008, elle a reçu son titre de CGA.

[21]        L’appelante a perdu son titre de CGA en 2014, car elle a été reconnue coupable d’introduction par effraction et de recel. Cependant, lorsque je lui ai demandé pourquoi elle avait perdu son titre, elle m’a raconté une histoire qui ne concordait pas vraiment avec les faits établis dans la décision du tribunal ayant examiné cette question mettant en cause une CGA.

[22]        En l’espèce, l’appelante était l’unique responsable de l’argent du restaurant et des livres de la société.

[23]        En raison de ses études et de son expérience de travail, l’appelante connaissait l’importance de tenir adéquatement les livres et les documents d’une société. Elle a tout de même omis de tenir des documents exacts. Elle a mis en commun son argent personnel avec celui de la société et n’a pas tenu de documents détaillés et ordonnés qui auraient permis de vérifier ses documents comptables. Elle a fait en sorte que la société porte des sommes à son crédit, ce qui lui a procuré des avantages considérables pour trois années, et aucune de ces sommes ne pouvait être vérifiée. Je conclus que les documents peu soignés de la société, l’absence de documents sources adéquats et la mise en commun des fonds personnels et des fonds de la société sont des circonstances équivalant à une faute lourde.

[24]        L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2015.

« V.A. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mars 2015.

S. Tasset


RÉFÉRENCE :

2015CCI7

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014‑408(IT)I

INTITULÉ :

THUY T. NGUYEN c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 novembre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Valerie Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 novembre 2014

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

Le 13 janvier 2015

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Gabrielle White

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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