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Dossier : 2012-2967(IT)G

ENTRE :

BING ZHU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 3 octobre 2014, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Judith Woods

Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Diana Aird

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 est rejeté. Chaque partie assumera ses propres frais.

Signé à Toronto (Ontario), ce 20e jour de janvier 2015.

« J. M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de juillet 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 16

Date : 20150120

Dossier : 2012-2967(IT)G

ENTRE :

BING ZHU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

[1]             Le présent appel interjeté au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») concerne des pertes subies par l’appelant, Bing Zhu, à la vente d’actions qui avaient été acquises au moyen de la levée d’options d’achat d’actions accordée à des employés. La question est de savoir si les pertes, qui s’élèvent à 1 247 657 $ au total, sont déductibles du revenu réalisé dans la même année, y compris celui découlant de la levée des options.

[2]             Dans l’année d’imposition 2008, le ministre a établi une cotisation à l’égard de M. Zhu en tenant pour acquis qu’il avait un revenu d’emploi de 1 667 070 $ découlant de la levée des options d’achat d’actions. Le ministre a également admis une déduction de la moitié de ce montant en application de l’alinéa 110(1)d) de la Loi.

[3]             M. Zhu s’est également vu refuser une déduction pour les pertes qui avaient été subies lorsque les actions avaient ultérieurement été vendues. Le ministre a estimé que les pertes étaient imputables au capital et ne pouvaient pas être déduites d’un autre revenu, y compris le revenu d’emploi découlant de la levée des options.

[4]             M. Zhu, qui agissait pour son propre compte à l’audience, a soutenu que les pertes devraient être déductibles. Premièrement, il a avancé qu’il était inéquitable de considérer le revenu et les pertes d’une manière différente. Deuxièmement, il a affirmé que les pertes étaient des pertes d’entreprise et non des pertes en capital.

[5]             En ce qui concerne l’argument selon lequel les pertes n’étaient pas des pertes en capital, M. Zhu soutient qu’il était opérateur pour ce qui est de ces actions. Il précise qu’il était directeur financier et administrateur de son employeur, la société Canadian Solar Inc. (la société « CSI »), et qu’il s’occupait de l’admission à la cote du NASDAQ des actions ordinaires de la société CSI. Il déclare qu’il utilisait les connaissances spécialisées qu’il avait obtenues dans son emploi en vue de réaliser une vente à profit rapide des actions. Il affirme que ses projets ont été contrecarrés par la crise financière mondiale imprévue, qui a occasionné une vente à perte des actions.

[6]             La Couronne ne souscrit pas à l’affirmation selon laquelle M. Zhu détenait des actions à titre d’actif commercial. Toutefois, la Couronne a également estimé que la déduction des pertes devrait être refusée en tout état de cause parce que M. Zhu était un non‑résident du Canada pendant toute la période où les actions étaient détenues et que les pertes n’avaient pas été subies à l’égard d’une entreprise exploitée au Canada.

Le contexte factuel

[7]             Certains faits et certaines questions sont tirés de l’exposé conjoint des faits et des points en litige qui a été déposé à la Cour.

[traduction]

1.         De 2005 au 6 juin 2008, l’appelant était directeur financier de la société Canadian Solar Inc. (la société « CSI »).

2.         Le 6 juin 2008, l’appelant a démissionné de la société CSI.

3.         Après le 6 juin 2008, l’appelant a cessé d’être un résident du Canada pour les besoins de l’impôt sur le revenu.

4.         Au cours de son emploi auprès de la société CSI, l’appelant s’est vu accorder l’option d’achat de 116 000 actions.

5.         L’option d’achat des actions a expiré 90 jours suivant la cessation d’emploi de l’appelant chez CSI.

6.         L’appelant a levé son option d’achat d’actions en 2008.

7.         Au moment de la levée d’option par l’appelant, le prix d’exercice était de 2,12 $US l’action.

8.         Le 19 mai 2008, l’appelant a acheté 5 100 actions et les a immédiatement vendues.

9.         Le 4 septembre 2008, l’appelant a acheté 53 150 actions. Il a vendu ces actions en novembre 2008.

10.       Le 4 septembre 2008, les actions de la société CSI se négociaient à environ 27,55 $US l’action.

11.       L’appelant a vendu les 53 150 actions en deux opérations :

i)          Le 17 novembre 2008, il a vendu 25 000 actions au prix de 5,9065 $US l’action;

ii)         Le 18 novembre 2008, il a vendu 28 150 actions au prix de 5,3658 $US l’action.

12.       La seule question à trancher est de savoir si, pour le calcul de son impôt sur le revenu canadien pour l’année d’imposition 2008, l’appelant a le droit de déduire une perte de 1 247 657,44 $ relativement aux actions de la société CSI qu’il a vendues en novembre.

Résumé des conclusions

[8]             Je suis arrivée à la conclusion que les pertes ne peuvent pas être déduites d’autres types de revenus, peu importe que les actions soient détenues au titre du revenu d’entreprise ou au titre du capital.

[9]             Premièrement, la Cour n’a pas compétence pour accorder un redressement simplement pour des raisons d’équité. C’est une question qui relève du législateur, non des tribunaux.

[10]        Deuxièmement, si les actions sont détenues au titre du capital, la Loi ne permet pas que les pertes soient déduites d’autres types de revenus.

[11]        Enfin, si les pertes sont des pertes d’entreprise, elles ne peuvent pas être déduites parce que M. Zhu était un non‑résident du Canada et que les pertes ne découlaient pas d’une entreprise exploitée au Canada par M. Zhu.

[12]        Compte tenu des conclusions qui précèdent, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si les actions étaient détenues au titre du capital ou au titre du revenu d’entreprise. Je ne me propose pas d’examiner cette question.

Le redressement fondé sur l’équité

[13]        M. Zhu soutient qu’il est inéquitable d’accorder un traitement fiscal différent au revenu provenant de la levée des options et aux pertes découlant de la disposition des actions. Par conséquent, il estime que les pertes devraient être déductibles.

[14]        Il est compréhensible que M. Zhu adopte un tel point de vue, mais la Cour n’a simplement pas le pouvoir de lui accorder un redressement sur ce fondement. Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale par lequel la Cour canadienne de l’impôt est liée, à savoir Chaya c La Reine, 2004 CAF 327, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a formulé les observations suivantes :

[4]        Le demandeur soutient que la loi est inéquitable et il demande à la Cour de faire une exception pour lui. Toutefois, la Cour n’a pas le pouvoir de faire droit à sa demande. La Cour doit appliquer la loi telle qu’elle est. Elle ne peut pas déroger aux dispositions législatives pour des raisons liées à l’équité. S’il estime que la loi est inéquitable, le demandeur doit avoir recours au Parlement et non pas à la Cour.

Les pertes en capital ne sont pas déductibles d’autres revenus

[15]        Si les pertes sont des pertes en capital, elles ne peuvent pas être déduites à l’encontre d’autres revenus. Je ne me propose pas d’examiner ce point plus en profondeur étant donné que M. Zhu ne l’a pas contesté. La disposition pertinente est l’article 3 de la Loi.

Les pertes d’entreprise doivent être des pertes subies par une entreprise canadienne

[16]        M. Zhu soutient que les pertes sont des pertes d’entreprise et que, par conséquent, la restriction concernant la déduction des pertes en capital ne s’applique pas.

[17]        Le problème qui se pose à l’égard de cette observation, c’est que M. Zhu n’était pas un résident du Canada tout au long de la période pendant laquelle les actions étaient détenues. En l’espèce, une perte d’entreprise ne peut être déduite que si elle découle d’une entreprise que le contribuable exploite au Canada.

[18]        Les dispositions pertinentes sont les articles 114 et 115 de la Loi.

[19]        L’article 114 de la Loi s’applique à des particuliers comme M. Zhu qui ont résidé au Canada pour une partie de l’année d’imposition et qui étaient non‑résidents pour une autre partie. En général, l’article 114 a pour effet d’appliquer les dispositions pertinentes de la Loi concernant les résidents et les non-résidents aux parties particulières de l’année qui correspondent à la résidence.

[20]        M. Zhu était un non‑résident du Canada tout au long de la période pendant laquelle les actions étaient détenues. Les actions ont été acquises le 4 septembre 2008 et ont été vendues en novembre de la même année. M. Zhu était un non‑résident du Canada après le 6 juin 2008.

[21]        Selon le sous‑alinéa 114a)(i) de la Loi, une perte d’entreprise ne peut être déduite que si elle satisfait aux exigences énoncées à l’alinéa 115(1)c) de la Loi. Cette disposition porte qu’une perte d’entreprise n’est déductible du revenu que si elle résulte d’une entreprise exploitée au Canada.

[22]        Les parties pertinentes des articles 114 et 115 de la Loi sont les suivantes :

114 Particulier résidant au Canada pendant une partie de l’année seulement Malgré le paragraphe 2(2), le revenu imposable pour une année d’imposition du particulier qui réside au Canada tout au long d’une partie de l’année mais qui, tout au long d’une autre partie de l’année, est un non-résident correspond à l’excédent éventuel du montant visé à l’alinéa a) :

ale montant qui correspondrait au revenu du particulier pour l’année s’il n’avait, pour la partie de l’année tout au long de laquelle il était un non‑résident, que le revenu ou les pertes suivants :

(i) le revenu ou les pertes visés aux alinéas 115(1)a) à c),

[…]

(1) Revenu imposable [gagné] au Canada des non‑résidents – Pour l’application de la présente loi, le revenu imposable gagné au Canada pour une année d’imposition d’une personne qui ne réside au Canada à aucun moment de l’année correspond à l’excédent éventuel du montant qui représenterait son revenu pour l’année selon l’article 3 :

]

csi les seules pertes pour l’année visées à l’alinéa 3d) [déduction de pertes d’entreprise] étaient des pertes résultant des fonctions d’une charge ou d’un emploi que la personne exerce au Canada et d’entreprises (sauf des entreprises protégées par traité) qu’elle y exploite et des pertes déductibles au titre de placements d’entreprise relatives à des biens dont la disposition donnerait naissance à des gains qui, par l’effet du présent paragraphe, seraient inclus dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada,

[…]

[23]        Les dispositions susmentionnées portent un coup fatal à la demande de déduction de pertes d’entreprise de M. Zhu, parce qu’il est manifeste que les pertes ne résultent pas de l’exploitation d’une entreprise au Canada.

[24]        Il ressort de la preuve que la source des pertes subies à la vente des actions de la société CSI n’était pas au Canada. M. Zhu a déclaré dans son témoignage qu’il habitait en Chine tout au long de la période pendant laquelle les actions étaient détenues, et qu’il avait eu recours aux services d’un courtier aux États‑Unis pour la vente. M. Zhu a reconnu qu’il n’avait exploité aucune entreprise au Canada relativement aux pertes.

[25]        Par conséquent, si les pertes sont des pertes d’entreprise, elles ne peuvent pas être déduites d’autres revenus.

[26]        Ce qui précède suffit pour trancher le présent appel, mais j’aimerais signaler dans la section suivante, certaines questions de procédure.

Les questions de procédure

[27]        Premièrement, M. Zhu affirme que la Couronne a soutenu une thèse incohérente en ce qui concerne la présentation de nouveaux éléments de preuve dans les observations écrites après l’audience. En particulier, il avance que la Couronne s’oppose à la présentation de nouveaux éléments de preuve et, pourtant, la Couronne a introduit de nouveaux documents dans ses propres observations écrites.

[28]        Le problème que pose l’argument susmentionné, c’est que la Couronne n’a pas introduit de nouveaux éléments de preuve après l’audience. Les nouveaux documents fournis par la Couronne étaient des décisions judiciaires et non des éléments de preuve. Il n’y a rien de mal à cela.

[29]        Deuxièmement, j’aimerais formuler des observations en ce qui concerne la résidence de M. Zhu. Celui‑ci a produit une déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2008 en tenant pour acquis qu’il était un résident du Canada jusqu’au 6 juin 2008 et qu’il était un non‑résident pour le reste de l’année.

[30]        À l’audience, M. Zhu a déclaré dans son témoignage qu’il était établi en Chine tout au long de 2008 et, effectivement, tout au long de la période où il travaillait pour la société CSI. Il affirme que sa situation n’a pas changé durant l’année d’imposition 2008.

[31]        Si l’on tire une conclusion logique de cet argument, des doutes sont soulevés quant à la question de savoir si M. Zhu était un résident du Canada pendant la période où il était employé par la société CSI. Il est évident que M. Zhu a choisi de ne pas soulever cette question, et il ne serait pas indiqué que je l’examine.

[32]        Troisièmement, la réponse de la Couronne comporte certaines lacunes en ce qui concerne l’argument relatif aux articles 114 et 115 de la Loi. La question est de savoir si ces lacunes ont entraîné un préjudice pour M. Zhu. Aucune partie n’a soulevé cette question à l’audience.

[33]        L’argument de la Couronne relatif aux articles 114 et 115 de la Loi est mentionné dans la réponse en tant que moyen invoqué, mais il n’a pas été en soi énoncé comme question à trancher. Il est manifeste que cet argument est une question différente de la seule question en litige soulevée, qui est de savoir si les actions sont détenues au titre du revenu ou au titre du capital.

[34]        Un autre problème qui se pose à l’égard de la réponse, c’est qu’elle comporte un renvoi inexact à la disposition applicable de l’article 115 de la Loi. La réponse mentionne le sous‑alinéa 115(1)a)(ii) de la Loi, qui porte sur le revenu. La disposition exacte est l’alinéa 115(1)c) de la Loi, qui a trait aux pertes. J’aimerais souligner que les observations écrites de la Couronne fournies à l’audience mentionnaient bel et bien la disposition exacte, mais il ne s’agit pas là d’une réponse complète.

[35]        Si M. Zhu avait été représenté par un avocat compétent, les lacunes figurant dans la réponse auraient été négligeables et n’auraient vraisemblablement pas donné lieu à un préjudice. Toutefois, M. Zhu a agi pour son propre compte. Il semble être un homme d’affaires intelligent et avisé, mais il n’est ni avocat ni expert en droit fiscal canadien.

[36]        Si l’on considère les faits dans leur ensemble, je suis convaincue que M. Zhu n’a subi aucun préjudice.

[37]        Il est manifeste que M. Zhu a généralement compris la thèse de la Couronne sur cette question dès le début de l’audience. Toutefois, il a effectivement manifesté des inquiétudes en ce qui concerne la compréhension des dispositions légales pertinentes. Cela étant, on a donné l’occasion à M. Zhu de présenter d’autres observations écrites sur la question après l’audience. Cela lui a donné la possibilité d’analyser davantage les observations écrites de la Couronne qui renvoient effectivement aux dispositions légales exactes. Par la suite, M. Zhu a bel et bien fourni d’autres observations écrites. Je suis convaincue que toute lacune figurant dans la réponse n’a pas entraîné d’iniquité dans la procédure judiciaire.

Décision

[38]        L’appel sera rejeté, mais j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas accorder les dépens à la Couronne, compte tenu des lacunes que comporte la réponse.

       Signé à Toronto (Ontario), ce 20e jour de janvier 2015.

« J. M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de juillet 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 16

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-2967(IT)G

INTITULÉ :

BING ZHU et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 octobre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 janvier 2015

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Diana Aird

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

s/o

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

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