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Dossier : 2014-2087(EI)

ENTRE :

CANHORIZON INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LIHUA ZHENG,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 28 novembre 2014, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Enming Wang

Avocats de l’intimé :

Me Tony Cheung

Mme Heather Thompson (étudiante en droit)

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

 

JUGEMENT

L’appel est rejeté, sans frais, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de janvier 2015.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’avril 2015.

C. Laroche


Référence : 2015 CCI 19

Date : 20150123

Dossier : 2014-2087(EI)

ENTRE :

CANHORIZON INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LIHUA ZHENG,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

Les faits

[1]             Il s’agit d’un appel de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre »), qui a confirmé la décision de l’agent des décisions relatives au RPC et à l’AE, à savoir que Lihua Zheng (la « travailleuse ») n’exerçait pas un emploi assurable auprès de l’appelante parce que les deux avaient entre elles un lien de dépendance au sens de l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). Le ministre a conclu que, sans ce lien de dépendance, les parties n’auraient pas eu une relation de travail à peu près semblable. La période visée par l’appel s’étend du 1er décembre 2012 au 31 décembre 2013.

[2]             L’appelante est une société constituée en personne morale qui, depuis sa création le 3 juillet 2002, a pour entreprise de fournir des services de consultation en technologies de l’information au moyen d’activités de formation dispensées sur le Web. L’époux de la travailleuse, Enming Wang, est l’unique actionnaire de cette société et il en contrôlait la totalité des opérations ainsi que des activités commerciales courantes. La travailleuse et M. Wang se sont mariés le 13 mai 2011, et la travailleuse a quitté la Chine pour le Canada le 1er mai 2012. M. Wang possédait une maison à Mississauga (Ontario), qui était la résidence personnelle du couple, ainsi que l’adresse commerciale et l’emplacement de l’entreprise de l’appelante. C’est à partir de ce même endroit que la travailleuse exécutait la totalité de ses fonctions de nature professionnelle.

[3]             Avant son arrivée au Canada, la travailleuse possédait et exploitait en Chine sa propre entreprise de technologies en marketing. Elle a deux diplômes d’études supérieures, l’un en génie chimique et l’autre en gestion des ressources humaines. Selon la preuve, la travailleuse avait en Chine un vaste éventail de contacts en tant que « chasseuse de têtes », et la liste de ces contacts totalisait entre 800 000 et 1 million de noms. En 2012, la société appelante s’est lancée dans une activité commerciale additionnelle, qui incluait le recrutement d’étudiants chinois pour des collèges canadiens. L’intimé a soutenu que l’appelante avait créé le poste de recrutement expressément pour la travailleuse à l’arrivée de celle-ci au Canada. M. Wang, s’exprimant au nom de l’appelante, a soutenu que l’entreprise avait effectué des travaux préparatoires dans ce secteur avant l’arrivée de la travailleuse, dès 2010. La travailleuse a été embauchée, dans le cadre d’une entente verbale, pour agir comme recruteuse d’étudiants et agente de liaison auprès d’étudiants chinois et de leurs familles. Elle a suivi un peu de formation et, en fin de compte, elle s’est occupée de tenir le site Web de l’appelante, de distribuer des brochures promotionnelles et d’aider des étudiants chinois à remplir les demandes.

[4]             L’appelante n’a pas cherché activement de candidats pour pourvoir ce poste en menant des entrevues ou en faisant des annonces sur le marché. Dans son témoignage, M. Wang a déclaré que l’entreprise n’aurait pas pu attirer pour ce poste des personnes qualifiées parce qu’elles n’effectueraient pas les heures de travail que la travailleuse était tenue d’accomplir, du fait du décalage horaire entre le Canada et la Chine. Il y avait aussi peu de chances que ces personnes acceptent le même salaire de base que celui que l’appelante payait à la travailleuse. Il aurait fallu que n’importe quelle personne embauchée pour le poste parle couramment le chinois et comprenne les exigences particulières des étudiants chinois.

[5]             La preuve n’indiquait pas la date exacte à laquelle avait débuté l’emploi de la travailleuse. Le mieux que l’on a pu tirer des témoignages et de la documentation est que cela avait eu lieu en novembre ou en décembre 2012. Selon le relevé d’emploi (« RE »), le premier jour de travail de la travailleuse a été le 1er décembre 2012. Cependant, dans son témoignage, M. Wang a déclaré qu’à son avis, la date aurait dû être le 1er novembre 2012.

[6]             L’appelante possédait l’ordinateur et le téléphone cellulaire dont la travailleuse se servait dans le cadre de ses fonctions professionnelles. L’appelante payait les frais liés au compte téléphonique, ainsi que toutes les fournitures nécessaires.

[7]             La totalité des fonctions de la travailleuse était exécutée à la résidence personnelle, située sur le croissant Cambournem, à Mississauga. Elle travaillait environ huit heures par jour, quarante heures par semaine, mais c’était elle qui décidait quelles heures de la journée elle travaillerait en vue d’exécuter ses fonctions. Aucun relevé n’était tenu de ses heures de travail. L’intimé a toutefois fait remarquer que, dans une lettre datée du 1er mars 2014 qu’il a envoyée à l’agent des appels (pièce R‑1, onglet 7), M. Wang avait précisé que, bien que la travailleuse ait convenu d’effectuer une semaine de travail de quarante heures, il arrivait parfois qu’elle en fasse davantage. Il avait déclaré qu’elle n’était pas tenue de faire des heures supplémentaires et qu’elle n’était pas rémunérée pour ces dernières, sauf dans la mesure où cela pouvait donner lieu à des commissions supplémentaires si l’on recrutait davantage d’étudiants.

[8]             Dans son témoignage, M. Wang a déclaré que, bien que le questionnaire d’appel (pièce R‑1, onglet 6) indique que les heures de travail quotidiennes de la travailleuse s’étendaient de 7 h à 10 h, de 13 h à 15 h et de 19 h à 22 h, cet horaire était flexible en vue de répondre aux besoins des clients situés en Chine. Par exemple, la travailleuse pouvait être tenue de travailler jusqu’à 2 h du matin, mais elle pouvait commencer à travailler plus tard le lendemain matin.

[9]             L’appelante payait à la travailleuse un salaire de base mensuel de 2 000 $. Dans son témoignage, M. Wang a déclaré que la travailleuse devait également toucher une part de 40 % sur toute commission versée par les écoles à la suite d’un placement. Tant M. Wang que la travailleuse ont déclaré qu’aucun document n’étayait leur entente quant au fractionnement des commissions et que, pendant la période visée par l’appel, et jusqu’à la date de l’audience, la travailleuse n’avait jamais reçu un paiement quelconque à cet égard. Ni l’appelante ni le questionnaire de la travailleuse ne font état de ce fractionnement des commissions. L’intimé a soutenu que la travailleuse touchait nettement moins que ce que des consultants en éducation gagnaient dans la région de Toronto, mais M. Wang a déclaré dans son témoignage que la travailleuse n’avait pas une très bonne connaissance de la langue anglaise et que cela l’empêcherait de gagner l’équivalent du salaire d’un consultant en éducation. De plus, a-t-il déclaré, l’intimé faisait abstraction de leur entente verbale au sujet du fractionnement des commissions. Il a ajouté que l’entreprise payait un faible taux de rémunération parce qu’il s’agissait d’une activité nouvelle et que le salaire de base mensuel de 2 000 $ était tout ce qu’elle pouvait se permettre de payer.

[10]        L’intimé a tenu pour acquis que la rémunération de la travailleuse était parfois retardée à cause des problèmes de liquidités de l’appelante et que c’était la situation financière de cette dernière, à quelque moment que ce soit, qui dictait à la fois la fréquence des paiements de la travailleuse ainsi que le moment de leur versement. M. Wang a convenu que le salaire de la travailleuse était irrégulier et que son paiement avait été retardé à quelques reprises en raison de problèmes de liquidités et de faibles marges de profit. Il a reconnu qu’il était pris par d’autres projets et que, même s’il aurait pu payer à temps, il [traduction] « […] n’y accordai[t] pas beaucoup d’attention » (transcription, page 17). Il a également déclaré : [traduction] « [p]arfois, je tarde un peu à faire ses chèques de paye » (transcription, page 44). Il a admis que le fait de retarder les paiements dus à la travailleuse ne l’inquiétait pas parce qu’elle était son épouse. Dans son témoignage, il a déclaré ceci : [traduction] « [s]’il s’agissait d’une personne différente, d’une étrangère, je l’aurais dans ce cas payée […] Je ne laisserais pas une autre personne attendre deux mois. » (Transcription, page 71.)

[11]        Deux RE ont été produits en preuve (pièce R‑1, onglets 3 et 4). Dans le premier, la date de début inscrite était le 1er décembre 2012, et la date de cessation d’emploi, le 31 janvier 2013. La date de début inscrite dans le second était le 1er avril 2013. Entre les mois de février et d’avril 2013, la travailleuse a passé un certain temps en Chine en congé. Cependant, durant son séjour dans ce pays, elle a participé à un salon de l’éducation à Shanghaï pour le compte de l’appelante, et ce, même si cette dernière ne l’employait pas ou ne la rémunérait pas pour ses services.

[12]        M. Wang a précisé que, bien que la demande d’assurance-emploi et les deux RE aient indiqué que le congé avait duré du 1er février au 31 mars, il s’agissait en fait du 1er mars au 30 avril. Durant leur témoignage, tant M. Wang que la travailleuse ont déclaré que cette dernière avait fait un peu de travail pour l’appelante en participant au salon de l’éducation et en établissant quelques contacts, mais que le voyage était principalement un congé.

[13]        La travailleuse n’a pas été rémunérée pour le mois de novembre 2013. M. Wang n’a pas pu expliquer ce fait et il n’était pas sûr si les paiements faits à la travailleuse le 29 janvier et le 19 février 2014 s’appliquaient au mois de novembre 2013 plutôt qu’au mois de janvier 2014. Comme il est indiqué dans son RE, le dernier jour de travail de la travailleuse a été le 31 décembre 2013. Cependant, la preuve n’indique pas clairement si elle a continué de travailler pour l’appelante au cours du mois de janvier 2014. L’intimé a soutenu qu’elle a continué à travailler pour l’appelante à titre bénévole après la naissance de son enfant, en février 2014. La preuve confirme qu’elle a eu quelques activités après son départ en congé de maternité. M. Wang a déclaré dans son témoignage qu’étant donné que la travailleuse possédait le réseau de contacts en Chine, d’éventuels clients communiquaient encore avec elle. Dans leur témoignage, tous deux ont déclaré qu’elle orientait ces personnes vers M. Wang pour qu’il s’occupe du suivi.

[14]        Aucun remplaçant n’a été embauché quand la travailleuse est partie en congé de maternité, car, d’après M. Wang, il n’a pu trouver un remplaçant qualifié. L’intimé a soutenu qu’aucune personne qualifiée n’accepterait de travailler aux mêmes conditions que celles que la travailleuse avait acceptées. À un autre moment dans son témoignage, M. Wang a soutenu qu’il n’avait pas embauché un remplaçant, car il n’en avait plus besoin, maintenant qu’il avait en main toutes les informations concernant les contacts de la travailleuse.

Le point en litige

[15]        Le point en litige consiste à savoir si la décision du ministre ‒ la travailleuse n’exerçait pas un emploi assurable parce qu’elle était exclue aux termes de l’alinéa 5(2)i) ‒ est raisonnable. Il incombe à l’appelante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la décision du ministre ne peut être justifiée dans les circonstances de l’appel.

Analyse

[16]        Les dispositions applicables de la Loi sont les suivantes :

5. (2) Restriction – N’est pas un emploi assurable :

[…]

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

5. (3) Personnes liées – Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[17]        L’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu indique ce qui suit au sujet des « personnes liées » :

251. (1) Lien de dépendance– Pour l’application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

[…]

(2) Définition de « personnes liées » – Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage, de l’union de fait ou de l’adoption;

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d’un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

[…]

[18]        Le rôle que joue la Cour, pour ce qui est de trancher les appels de cette nature, a été examiné et analysé en détail dans la jurisprudence. Aux paragraphes 11 et 12 des motifs que j’ai rendus dans la décision Porter c M.R.N., 2005 CCI 364, [2005] ACJ no 266, j’ai passé en revue les décisions de la Cour ainsi que celles de la Cour d’appel fédérale, notamment l’arrêt Légaré c Canada, [1999] ACF no 878. Dans cet arrêt, au paragraphe 4, le juge Marceau explique quel est le critère à appliquer pour contrôler la décision que rend le ministre au titre du paragraphe 5(3) :

[…] La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[19]        Dans la décision Birkland c M.R.N., 2005 CCI 291, [2005] ACJ no 195, le juge Bowie résume la jurisprudence et conclut, au paragraphe 4 :

[…] Si je comprends bien ces arrêts, le rôle de la Cour canadienne de l’impôt consiste à mener un procès au cours duquel les deux parties peuvent produire des éléments de preuve concernant les modalités aux termes desquelles l’appelant était employé, les modalités aux termes desquelles des personnes sans lien de dépendance, effectuant le même travail que l’appelant, étaient employées par le même employeur et les conditions d’emploi prévalant dans l’industrie pour le même genre de travail, au même moment et au même endroit. Des éléments de preuve relatifs à la relation existant entre l’appelant et l’employeur peuvent évidemment être produits également. À la lumière de tous ces éléments de preuve et de l’opinion du juge sur la crédibilité des témoins, la Cour doit ensuite déterminer si le ministre aurait pu raisonnablement, en ayant connaissance de l’ensemble de cette preuve, ne pas conclure que l’employeur et une personne avec laquelle il n’avait pas de lien de dépendance auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable. Si je comprends bien, c’est là le degré de retenue judiciaire accordé à l’avis du ministre du fait de l’emploi, par le législateur, de l’expression « […] si le ministre du Revenu national est convaincu […] » à l’alinéa 5(3)b).

[20]        Au paragraphe 13 de mes motifs dans la décision Porter, je résume ainsi le rôle que joue la Cour et la fonction qu’elle exerce lorsqu’elle entend un appel de cette nature :

[13] En résumé, le rôle de la Cour consiste à vérifier l’existence et l’exactitude des faits sur lesquels le ministre se fonde, à examiner tous les faits mis en preuve devant elle, notamment tout nouveau fait, et à décider ensuite si la décision du ministre paraît toujours « raisonnable » à la lumière des conclusions de fait tirées par la Cour. Elle doit accorder une certaine déférence au ministre dans le cadre de cet exercice.

[21]        Nul ne conteste que l’appelante et la travailleuse sont liées au sens de l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu. La société appelante, qui est l’employeur/payeur de la travailleuse, est entièrement possédée et contrôlée par l’époux de cette dernière, Enming Wang. Dans ce contexte, l’appelante et la travailleuse sont réputées entretenir un lien de dépendance. L’alinéa 5(2)i) exclut de telles relations de travail des emplois assurables, sauf si le ministre considère que les parties n’entretiennent pas un tel lien parce que, eu égard aux circonstances de l’emploi, il est convaincu qu’il serait raisonnable de conclure que les parties, s’il n’y avait pas entre elles un lien de dépendance, auraient conclu un contrat d’emploi à peu près semblable. Pour examiner les circonstances de l’emploi, le ministre est tenu de prendre en considération la rémunération versée au travailleur, les modalités de la relation d’emploi, la durée de cette relation, ainsi que la nature et l’importance du travail accompli.

[22]        Si l’on applique les principes tirés de la jurisprudence, il incombe à l’appelante d’établir des faits nouveaux ou supplémentaires dont le ministre ne disposait pas au moment où la décision a été rendue, ou dont il disposait, mais qui ont été mal compris.

[23]        Après avoir passé en revue les facteurs appliqués par le ministre pour arriver à la décision concernant l’emploi de la travailleuse, de même que les nouveaux faits que l’appelante a présentés à l’audience, il me faut conclure que la décision du ministre est raisonnable dans les circonstances.

[24]        Pour ce qui est de la rémunération de la travailleuse, il a été admis que cette dernière n’était pas payée à intervalles réguliers parce qu’elle était son épouse. Cela était dû à des problèmes de liquidités au sein de l’entreprise. M. Wang a admis qu’il n’aurait pas été capable de retenir le paiement du salaire si la travailleuse n’avait pas été son épouse. Il a également admis qu’il arrivait parfois que la travailleuse ne soit pas payée du tout pour certaines tâches qu’elle avait accomplies, tant au cours qu’en dehors de la période visée par l’appel. La travailleuse était rémunérée à des tarifs inférieurs à ceux du marché, et sûrement pas d’une manière qui concordait avec ses compétences et son expérience. Même si l’appelante a soutenu que les paiements de commission auraient gonflé le salaire de base de la travailleuse, aucune preuve ne m’a été présentée, à l’exception des témoignages, à l’appui d’une obligation quelconque de l’appelante de payer à la travailleuse une part des commissions touchées. En fait, à la date de l’audience, la travailleuse n’avait jamais reçu un tel paiement.

[25]        Pour ce qui est des modalités de l’emploi de la travailleuse, celle‑ci effectuait des heures de travail irrégulières, ce qui était possible parce qu’elle travaillait à partir de sa résidence personnelle. Elle ne tenait pas compte de ses heures de travail, pas plus qu’elle n’était rémunérée pour ses heures supplémentaires ou qu’elle ne touchait une autre forme de rémunération pour ces heures-là.

[26]        Quant à la nature et à l’importance du travail, M. Wang a fait valoir que l’entreprise s’était lancée, avant l’arrivée de la travailleuse au Canada, dans la nouvelle activité commerciale qu’était le recrutement d’étudiants, mais rien dans la documentation n’étayait cet argument. Il ressort de la preuve que l’entreprise était incapable sur le plan financier de soutenir une telle activité, à en juger par l’admission concernant les problèmes de liquidité, la rémunération irrégulière et le taux de rémunération inférieur à celui du marché. Cela amène à inférer que le poste a été créé en vue de procurer un emploi à la travailleuse à son arrivée au Canada, comme l’a soutenu l’intimé. De plus, l’appelante a été incapable d’embaucher un remplaçant quand Mme Zheng est partie en congé de maternité. M. Wang a indiqué que personne d’autre que son épouse n’aurait été disposé à accepter des modalités d’emploi semblables.

Conclusion

[27]        L’appelante n’a pas présenté de faits nouveaux qui n’avaient pas été soumis au ministre au moment où la décision a été rendue, pas plus qu’il n’existe une preuve quelconque qui justifierait que je modifie la conclusion du ministre parce que ce dernier aurait mal saisi les faits sur lesquels reposait la décision. En conséquence, compte tenu de la totalité des éléments de preuve dont je disposais, on ne m’a pas convaincue que la décision du ministre est déraisonnable. Rien ne justifie une conclusion contraire.

[28]        L’appel est rejeté, sans frais, car je suis convaincue que la conclusion du ministre, à savoir que les parties n’auraient pas conclu un contrat d’emploi à peu près semblable si elles n’avaient pas entre elles un lien de dépendance, est raisonnable.

[29]        J’ai quelques brefs commentaires à faire à propos des arguments qu’a invoqués Me Tony Cheung lors des observations finales. Le dossier de l’intimé a été mené par Heather Thompson, étudiante en droit au service du ministère de la Justice. Cependant, Me Cheung a traité du statut d’employée de la travailleuse au début des observations finales de Mme Thompson.

[30]        Au paragraphe 20 de la réponse à l’avis d’appel, l’intimé déclare ce qui suit :

[traduction]

Il [le ministre] soutient qu’il n’y a pas de litige au sujet de la question de savoir si la travailleuse était employée dans le cadre d’un contrat de louage de services auprès de l’appelante, au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE, au cours de la période. Les deux parties conviennent, pour les besoins du présent appel, que la travailleuse a exercé son emploi aux termes d’un contrat de louage de services auprès de l’appelante au cours de la période.

[31]        Il s’agit manifestement d’une admission faite par l’intimé et contenue dans les actes de procédure. De plus, à la page 35 de la transcription, Mme Thompson fait référence à cette admission en ces termes :

[traduction

Mme THOMPSON : Madame la juge, le fait de savoir qu’elle était employée ou non n’est pas une question que le ministre conteste. Cela importe peu.

En faisant cette remarque, Mme Thompson se fondait vraisemblablement, et à juste titre, sur la teneur de la réponse. Cependant, à la page 107 de la transcription, après les observations de Me Cheung, elle a semblé revenir sur sa déclaration antérieure :

[traduction]

Mme THOMPSON : […] Il y a peut-être un problème quant à la question de savoir si elle était une employée […]

En tant qu’étudiante en droit à qui l’on avait confié la tâche de mener l’affaire, Mme Thompson se sentait sans aucun doute contrainte de suivre le changement équivoque et manifestement erroné de son avocat principal quant aux tactiques et à l’approche à appliquer pour l’appel.

[32]        Me Cheung a suggéré qu’il y avait en l’espèce trois issues possibles, selon le cas :

a)     l’appel est rejeté au motif que la décision du ministre est raisonnable, auquel cas il n’est pas nécessaire de tenir un procès de novo;

b)    l’appel est accueilli au motif que la travailleuse et l’appelante auraient conclu un contrat à peu près semblable s’il n’y avait pas entre elles un lien de dépendance et, de ce fait, la travailleuse exerçait un emploi assurable;

c)     il est établi que la travailleuse était une entrepreneure indépendante, et non une employée.

[33]        La conclusion que je tire dans le présent appel, soit de rejeter l’affaire en me fondant sur les faits que connaissait le ministre au moment de rendre la décision ainsi que sur les éléments de preuve présentés devant la Cour, n’exigeait pas je passe à une seconde étape d’examen. Cependant, si j’étais arrivée à une conclusion différente à la première étape, j’aurais été liée par l’admission faite par l’intimé dans ses actes de procédure ainsi que devant la Cour. En fait, non seulement la réponse, au paragraphe 20, contient-elle une admission, mais elle fait également référence à une entente entre les parties au sujet du statut d’employée de la travailleuse (et donc pas du statut d’entrepreneure indépendante). Me Cheung a laissé entendre que, si j’avais conclu que la décision du ministre était déraisonnable compte tenu des circonstances, il aurait fallu dans ce cas soit poursuivre l’affaire devant la Cour à une date ultérieure, en vue d’entendre des observations sur la question de savoir si la travailleuse était une employée ou une entrepreneure indépendante, soit demander aux parties de présenter des observations par écrit ou par téléphone sur la question. Essentiellement, Me Cheung suggérait que je rouvre l’audience d’une certaine façon. Il a invoqué la décision de la juge Woods dans l’affaire Khaila c M.R.N., 2013 CCI 370, [2013] ACJ no 325, à l’appui de son argument selon lequel il n’y avait aucune directive sur la manière d’aborder la question du procès de novo.

[34]        Il existe quelques affaires qui suggèrent une approche contraire, mais, comme elle l’a fait remarquer dans l’affaire Khaila, la juge Woods a suivi la décision que le juge Bowie avait rendue dans l’affaire Birkland. Je renvoie les avocats à la décision que j’ai récemment rendue dans l’affaire Payne c M.R.N., 2014 CCI 178, [2014] ACJ no 132, où j’analyse cette même question, y compris la décision rendue dans l’affaire Khaila, et où j’ai réitéré l’approche que j’avais adoptée, à l’instar de nombreux autres juges, dans de telles affaires. Même sans l’admission de l’intimé au sujet du statut d’employée, l’approche de Me Cheung mènerait potentiellement à un résultat absurde, dans lequel les parties pourraient avoir à se présenter à nouveau devant la Cour pour rouvrir l’affaire à un moment quelconque dans l’avenir devant le juge saisi de l’appel, plutôt que de passer sans délai à l’analyse de la seconde étape, en prenant pour base la totalité des éléments de preuve soumis au juge présidant le procès.

[35]        Aucune requête n’a été présentée pour modifier la réponse. Au cours de l’instance, il n’y a jamais eu d’indication, avant l’étape des observations, que le statut d’employée de la travailleuse était en litige. La seule question litigieuse consistait à savoir si la travailleuse et l’appelante auraient conclu un contrat à peu près semblable si elles n’avaient pas entretenu un lien de dépendance, ce qui reviendrait à dire que la travailleuse exerçait un emploi assurable. Les avocats ne peuvent pas souscrire au fait que l’on présente au tribunal des actes de procédure qui contiennent des admissions et des renvois à des ententes sur ce qui est susceptible de constituer un litige en matière d’assurance-emploi et décider ensuite, vers la fin de l’audience, qu’ils ont changé d’avis et qu’ils ont le droit, d’une certaine façon, de changer d’approche. Cela est particulièrement déplaisant dans les cas où la partie appelante se représente elle-même. Il s’agit là d’un écart par rapport au bon sens, qui va à l’encontre de ce qui est équitable et juste du point de vue procédural.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de janvier 2015.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’avril 2015.

C. Laroche

 



 

RÉFÉRENCE :

2015 CCI 19

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-2087(EI)

INTITULÉ :

CANHORIZON INC. et M.R.N. et LIHUA ZHENG

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 novembre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 janvier 2015

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

M. Enming Wang

Avocats de l’intimé :

Me Tony Cheung

Mme Heather Thompson (étudiante en droit)

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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