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Dossier : 2012-1424(IT)G

ENTRE :

PAUL LIVINGSTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 20 février 2014, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge K. Lyons


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Gordon R. McClellan

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

 

JUGEMENT

L’appel relatif à la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006 est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 2015.

« K. Lyons »

Juge Lyons

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’août 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 24

Date : 20150129

Dossier : 2012-1424(IT)G

ENTRE :

PAUL LIVINGSTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lyons

[1]             Il s’agit d’un appel de Paul Livingston – l’appelant – à l’encontre d’une nouvelle cotisation concernant son année d’imposition 2006, relativement à une majoration du gain en capital imposable sur la vente de son intérêt dans un terrain, appelé « partie 1 », situé à Brampton, en Ontario. Le ministre du Revenu national a établi la nouvelle cotisation après avoir déterminé que des actifs agricoles (biens de nature non foncière), acquis à la suite de la vente de l’intérêt susmentionné, ne constituaient pas un « bien de remplacement » au sens du paragraphe 44(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »).

[2]             L’appelant, qui est agriculteur, exploitait l’entreprise agricole, une ferme laitière, située sur ce que l’on peut appeler le terrain agricole familial avec sa mère, avant le décès de cette dernière. Tous deux possédaient un intérêt de moitié dans ce terrain. L’appelant et ses six frères et sœurs ont conclu des ententes avec les fiduciaires de la succession de sa mère (la « succession ») en vue de régler cette succession.

[3]             Le terrain agricole familial a par la suite été scindé en trois parties pour faciliter la vente de la partie 1 (l’« ensemble du terrain vendu ») à un promoteur immobilier tiers en vue de régler la succession. L’ensemble du terrain vendu comprenait une superficie de huit acres dont l’appelant était le propriétaire bénéficiaire. Sur ces huit acres, il s’est servi du produit de la vente d’un intérêt de 3,2 acres (le « terrain agricole », également appelé la « partie excédentaire »), en vue de s’acquitter du billet à ordre qu’il avait donné à la succession de façon à acheter l’intérêt d’un tiers restant dans l’entreprise agricole[1].

[4]             L’entreprise agricole comprenait du bétail, du matériel agricole, des aliments, du grain, des cultures, le compte bancaire et le quota de lait (les « actifs »), qui étaient tous utilisés dans l’entreprise agricole à l’époque où il l’exploitait avec sa mère[2].

[5]             L’appelant a choisi, en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi, de reporter le gain en capital réalisé sur la vente du terrain agricole, lequel gain aurait été par ailleurs inclus dans son revenu, et il soutient que les actifs constituent un « bien de remplacement ».

[6]             La question qui se pose dans le présent appel est de savoir si les actifs que l’appelant a acquis constituent un « bien de remplacement », au sens du paragraphe 44(5) de la Loi, pour le terrain agricole vendu.

I.                   Les faits

[7]             Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. Les parties ont fourni un exposé conjoint des faits, et les faits convenus sont les suivants :

[traduction]

Exposé conjoint des faits

A.        CONTEXTE

Le terrain agricole familial

1.         Kathleen Livingston (« Kathleen ») et Armous Livingston (« Armous »), la mère et le père, respectivement, du contribuable, ont fait l’acquisition d’un terrain en 1952, ou aux environs de cette date, d’une superficie d’environ 97,02 acres1 sur le territoire de la Ville de Brampton, en Ontario (le « terrain agricole familial »). Armous et Kathleen étaient les propriétaires du terrain agricole familial le 31 décembre 1971.

2.         Le 25 août 1999, Kathleen et Armous ont transféré au contribuable2 un intérêt indivis d’un tiers (1/3) dans le terrain agricole familial, conformément au paragraphe 73(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). Par suite de ce transfert, le terrain agricole familial appartenait à parts égales à Armous, à Kathleen et au contribuable à titre de tenants conjoints, tous avec droit de survie.

3.         Le 13 avril 2001 ou aux environs de cette date, Armous est décédé, et le contribuable et Kathleen sont devenus les propriétaires du terrain agricole familial, détenant chacun un intérêt indivis de moitié (1/2) à titre de tenants conjoints. Ce résultat était dû à l’application automatique de la loi par suite du décès d’Armous, en vertu de la tenance conjointe.

4.         Conformément à un choix fait en vertu de l’alinéa 70(9.01)b) de la LIR, Armous a été réputé avoir disposé de son intérêt indivis d’un tiers (1/3) dans le terrain agricole familial juste avant son décès, à un prix de 574 760 $3.

5.         Le 27 novembre 2001, Kathleen a signé un transfert de son intérêt dans le terrain agricole familial d’elle-même à elle-même dans le but de scinder la tenance conjointe avec le contribuable4. Cette mesure a été prise par Kathleen afin d’empêcher que, à son décès, le contribuable devienne le propriétaire exclusif du terrain agricole familial, du fait de l’application automatique des règles de droit attribuables à la tenance conjointe. Sans cette mesure, elle aurait, en fait, déshérité le reste de ses héritiers en les privant de toute participation au droit de propriété du terrain agricole familial.

6.         Après le transfert, le contribuable et Kathleen ont continué de posséder chacun un intérêt indivis de moitié (1/2) dans le terrain agricole familial, sauf qu’ils étaient maintenant tenants communs et non conjoints. L’intérêt indivis de moitié (1/2) que possédait Kathleen à titre de tenante commune avec le contribuable est appelé ci-après l’« intérêt foncier de la mère ». L’intérêt indivis de moitié (1/2) du contribuable est appelé ci‑après l’« intérêt foncier du contribuable ».

L’entreprise agricole

7.         Kathleen et Armous ont possédé et exploité de manière continue une ferme laitière sur le terrain agricole familial du début des années 1950 jusqu’en 1992 (l’« entreprise agricole »). La ferme laitière incluait, et continue d’inclure, la totalité des actifs habituels qui sont nécessaires pour exploiter légitimement une entreprise de production de lait. Les actifs de l’entreprise agricole, au 3 juin 2005, sont ceux qui sont décrits à l’annexe A. Les actifs de l’entreprise agricole, dont la majeure partie n’est pas amortissable, ont été, pendant toute la période pertinente, essentiellement les mêmes que ceux qui sont décrits à l’annexe A, et ces actifs ont tous été utilisés, et continuent d’être utilisés, exclusivement pour l’exploitation de l’entreprise agricole.

8.         En 1992, Kathleen et Armous ont fait don au contribuable d’un intérêt d’un tiers (1/3) dans l’entreprise agricole.

9.         Le contribuable a exploité l’entreprise agricole sous le nom de « Goreridge Farm », de pair avec Kathleen et Armous jusqu’à leur décès respectif, et il a continué d’exploiter cette entreprise pendant toute la période visée par le présent appel.

10.       Au décès d’Armous le 27 novembre 2001, le contribuable a reçu l’intérêt d’un tiers (1/3) d’Armous dans l’entreprise agricole. Il s’est donc retrouvé à détenir les deux tiers (2/3) de l’entreprise agricole, et Kathleen le tiers (1/3) restant. L’intérêt de Kathleen dans l’entreprise agricole est appelé ci-après les « actifs de l’entreprise agricole de la mère ».

B.        DÉCÈS DE KATHLEEN LIVINGSTON

Testament de Kathleen

11.       Kathleen est décédée le 3 juin 2005. Selon les dispositions de son testament, joint ci-après en tant qu’annexe B, le reliquat de sa succession (« la succession »), qui incluait, mais sans y faire expressément référence, l’intérêt foncier et les actifs de l’entreprise agricole de la mère, devait être transféré à ses enfants autres que le contribuable (les « bénéficiaires de Kathleen »). Aucun des bénéficiaires de Kathleen n’avait jamais détenu un droit de propriété sur le terrain agricole familial ou sur l’entreprise agricole.

12.       Pour ce qui est de l’administration de la succession, le total des actifs de l’entreprise agricole était évalué à 1 250 666 $ (la « valeur de l’entreprise agricole »), dont une somme d’environ 416 889 $, soit le 1/3 de la valeur de l’entreprise agricole, était attribuable aux actifs de l’entreprise agricole de la mère.

13.       Le contribuable ne souhaitait pas posséder ou exploiter l’entreprise agricole avec les bénéficiaires de Kathleen.

14.       Dans le cadre de l’administration de la succession, l’intérêt indivis de moitié (1/2) de Kathleen dans le terrain agricole familial a été cédé aux fiduciaires de la succession de Kathleen5. En vertu de la transmission, le terrain agricole familial a été dévolu à la succession et au contribuable personnellement, sous la forme d’un intérêt indivis de moitié (1/2), respectivement, à titre de tenants communs.

C.        OFFRE D’ACHAT D’UNE PARTIE DU TERRAIN AGRICOLE FAMILIAL

Convention de vente d’une partie du terrain agricole familial

15.       Le contribuable et la succession ont reçu une offre non sollicitée de la part d’un tiers en vue d’acheter une partie du terrain agricole familial.

16.       La succession souhaitait se départir de la totalité de son intérêt dans le terrain agricole familial, mais pas le contribuable. Ce dernier a souscrit à la vente d’une partie du terrain agricole familial, sous réserve des conditions suivantes, imposées par lui :

(i)         toute convention d’achat et de vente d’une partie du terrain agricole familial serait soumise à la condition que la succession et le contribuable concluent une convention d’achat d’actifs aux termes de laquelle la succession conviendrait de vendre – et le contribuable conviendrait d’acheter – les actifs de l’entreprise agricole de la mère;

(ii)        le terrain agricole familial serait scindé en deux (2) parties inégales, comme suit :

a)         une partie, désignée partie 3 du plan R et comprenant une superficie de 16,958 hectares, serait enregistrée exclusivement au nom du contribuable, qui en serait le propriétaire bénéficiaire (le « terrain conservé par le contribuable »), à la suite de la scission décrite au paragraphe 17;

b)         l’autre partie, désignée partie 1 du plan R et comprenant une superficie de 23,561 hectares (l’« ensemble du terrain vendu »), demeurerait enregistrée au nom des fiduciaires de la succession et du contribuable; elle serait soumise aux dispositions de la convention d’achat d’actifs et comprendrait une superficie de 3,301 hectares (le « terrain vendu par le contribuable ») dont le contribuable serait le propriétaire bénéficiaire. L’ensemble du terrain vendu serait vendu au tiers.

(iii)       la convention d’achat et de vente concernant l’ensemble du terrain vendu devait contenir une disposition obligeant l’acheteur à conclure un bail (le « bail à ferme ») qui permettrait au contribuable de continuer d’exploiter le terrain en question jusqu’à ce que la totalité de ce dernier soit prête à être aménagée. Cela autorisait le contribuable à continuer d’exploiter le terrain agricole familial tout comme ses parents et lui-même l’avaient fait depuis le début, indépendamment de la vente de l’ensemble du terrain vendu.

La séparation du terrain agricole familial

17.       Pour que le terrain agricole familial puisse être légalement vendable, il a fallu le séparer (la « séparation du terrain »). Pour ce faire, il a été nécessaire de convenir de transférer une partie du terrain à la Corporation de la Ville de Brampton pour qu’elle serve de réserve routière.

18.       Par la voie d’une convention d’achat et de vente prenant effet le 19 avril 2006 (la « convention de vente de la succession »), jointe ci‑après en tant qu’annexe C, la succession, de pair avec le contribuable, à titre de covenantant à d’autres fins, a convenu de vendre l’ensemble du terrain vendu à Edenfield Developments Inc. (« Edenfield »), une partie sans lien de dépendance.

19.       La convention de vente de la succession était soumise à la condition que, dans les quatre (4) mois suivants, le vendeur obtienne la séparation du terrain. Celle-ci a été obtenue, et le terrain agricole familial a été séparé en trois (3) parties, soit la partie 1, la partie 2 et la partie 3 inscrites sur le plan 43R‑31133 (le « plan R »), dont une copie est jointe ci-après en tant qu’annexe D. La disposition des trois (3) parties du plan R s’est déroulée comme suit :

(i)         l’instrument no PR1176017 est un transfert par représentant personnel, enregistré le 28 novembre 2006, aux termes duquel les fiduciaires de la succession et le contribuable ont transféré la partie 2 inscrite sur le plan R, soit une superficie de 0,13 hectare, à la Corporation de la Ville de Brampton à titre de réserve routière, en vue de satisfaire à la condition de séparation mentionnée au paragraphe 17;

(ii)        l’instrument no PR1176018 est un transfert par représentant personnel, enregistré le 28 novembre 2006, aux termes duquel les fiduciaires de la succession et le contribuable ont transféré conjointement au contribuable la partie 3 inscrite sur le plan R, soit une superficie de 16,95 hectares;

(iii)       l’instrument no PR1179557, enregistré le 4 décembre 2006, est le transfert de la partie 1 inscrite sur le plan R, aux termes duquel l’ensemble du terrain vendu a été transféré à Richmead par le contribuable et les fiduciaires de la succession, conformément à la convention de vente de la succession.

La convention d’achat des actifs

20.       Conformément aux exigences du contribuable, la convention de vente de la succession concernant l’ensemble du terrain vendu a été soumise à la condition que, avant le 20 mai 2006, le contribuable et la succession concluent une convention d’achat d’actifs mutuellement acceptable aux termes de laquelle le contribuable achèterait de la succession les actifs de l’entreprise agricole de la mère.

21.       a)         La succession et le contribuable ont conclu une convention d’achat d’actifs établie en date du 19 avril 2006 (la « convention d’achat des actifs »), dont une copie est jointe ci-après en tant qu’annexe E, relativement à l’achat, par le contribuable, des actifs de l’entreprise agricole de la mère. Est jointe en tant qu’annexe F une copie de l’acte de vente daté du 1er juin 2006 et signifié par la succession pour donner effet au transfert au contribuable des actifs de l’entreprise agricole de la mère.

b)         La convention d’achat des actifs prévoit ce qui suit :

(i)         le contribuable a convenu de fournir une contrepartie à la conclusion de la convention pour l’achat fait par lui des actifs de l’entreprise agricole de la mère, et ce, sous la forme d’un billet à ordre (le « billet à ordre »), dont une copie est jointe ci-après en tant qu’annexe G;

(ii)        l’ensemble du terrain vendu comprendra les terres décrites dans la convention d’achat des actifs comme étant le « terrain restant », dont la succession est la propriétaire bénéficiaire, et la « partie excédentaire » et la « superficie additionnelle »6, dont le contribuable est le propriétaire bénéficiaire dans les deux cas;

(iii)       le produit de la vente de l’ensemble du terrain vendu serait réparti comme suit :

a)         le produit attribuable au terrain restant serait conservé par la succession à titre de bien exclusif;

b)         le produit attribuable à la partie excédentaire serait conservé par la succession en paiement intégral du billet à ordre;

c)         la succession recevrait le produit (net de toute commission de courtage immobilier et de la taxe sur les produits et services) attribuable à la superficie additionnelle à titre de nu‑fiduciaire du contribuable.

Répartition du produit de la vente

22.       Le prix de vente de l’ensemble du terrain vendu a été d’environ 7 628 850 $, et la part du contribuable, soit les montants attribuables à la partie excédentaire et à la superficie additionnelle, s’est élevée à 1 003 088 $ (le « produit de vente du contribuable »). Le produit de vente du contribuable a été réparti comme suit :

(i)         la somme de 423 555 $, qui était attribuable à la vente de la partie excédentaire, a été conservée par la succession en paiement intégral du billet à ordre;

(ii)        la somme de 579 533 $, qui était attribuable à la vente de la superficie additionnelle, a été payée par la succession au contribuable en tant que bien lui appartenant à titre absolu et exclusif.

23.       À la clôture de la convention de vente de la succession, Edenfield a demandé que le titre de propriété de l’ensemble du terrain vendu soit enregistré au nom de Richmead Developments Inc. (« Richmead »), qui est devenue la propriétaire enregistrée de ce terrain.

Le bail à ferme

24.       L’une des conditions de la convention de vente de la succession était que Richmead, à titre de locatrice, conclue un bail avec le contribuable, à titre de locataire, (le « bail à ferme ») qui permettrait à ce dernier de continuer d’exploiter la partie 1 inscrite sur le plan R, sans loyer à payer, jusqu’à ce que l’on approuve une ébauche de plan de lotissement résidentiel sur ce terrain et que Richmead commence à aménager la partie 1 inscrite sur le plan R en vue de l’installation de routes et de services. Le bail à ferme a été dûment signé et enregistré à l’égard de la partie 1 inscrite sur le plan R le 4e jour de décembre 2006 en tant qu’instrument no PR1180033, dont une copie est jointe ci-après en tant qu’annexe H; une copie du bail à ferme est jointe ci-après en tant qu’annexe I.

25.       Depuis la signature du bail à ferme, et pendant toute la période visée par le présent appel, le contribuable a continué d’utiliser le terrain agricole familial pour les besoins de l’entreprise agricole, et ce, exactement de la même façon qu’il l’avait fait à l’époque où Kathleen et lui la possédaient et l’exploitaient.

26.       Le contribuable a déclaré le gain en capital suivant sur la disposition de son intérêt dans le terrain agricole familial :

Prix de vente                                                1 003 088 $

PBR                                                                69 779

Total partiel                                                   933 309

Dépenses et charges                                        37 093

    896 216 $

27.       Le contribuable avait une somme de 6 658 $ de pertes en capital nettes et inutilisées subies lors d’années antérieures, et cette somme a été déduite de son gain en capital imposable sur la vente de son intérêt dans le terrain agricole familial.

Toutes les notes de bas de page auxquelles il est fait référence dans l’exposé conjoint des faits qui précède sont reproduites à l’annexe « A » ci-jointe.

[8]             L’exposé conjoint des faits a été complété par le témoignage de l’appelant à l’audience. Ce dernier s’est exprimé avec franchise. Il a opté pour le mode de vie agricole, et ses six frères et sœurs ont décidé de se lancer dans d’autres occupations. Il avait établi un plan de succession avec ses frères et sœurs au sujet de l’intérêt de moitié de sa défunte mère dans le terrain agricole familial ainsi que de l’intérêt d’un tiers qu’elle détenait dans l’entreprise agricole. Il a déclaré que la vente de toute partie du terrain agricole familial était subordonnée à la condition qu’il fasse l’acquisition des actifs de façon à acquérir la propriété complète de l’entreprise agricole. C’est ce que confirment les conventions qui ont été produites en preuve à l’audience. Il s’est finalement servi du produit de la vente du terrain agricole familial pour acquitter le billet à ordre qu’il avait fourni pour acheter les actifs[3].

[9]             L’appelant a demandé au promoteur immobilier de lui louer l’ensemble du terrain vendu afin qu’il puisse continuer de s’en servir pour la ferme laitière – comme dans le passé – et y faire pousser des cultures fourragères et mettre le bétail au pâturage. Selon les conventions produites en preuve, l’une des conditions de l’appelant était que le promoteur immobilier conclue le bail à ferme pour lui permettre de continuer d’exploiter l’ensemble du terrain vendu, y compris les terres agricoles, de la même façon que ses parents et lui l’avaient fait. Le promoteur a convenu de le faire moyennant la somme de 1 $ par année jusqu’à ce qu’il commence à retirer la terre de surface à des fins d’aménagement. Cette entente de location était toujours en vigueur à la date de l’audience.

[10]        L’appelant a déclaré qu’il pousse du fourrage de bonne qualité sur le terrain agricole familial et qu’il est impossible d’en acheter auprès d’autres agriculteurs. Il a décrit l’interdépendance du matériel servant à travailler la terre. Ce matériel servait à produire du fourrage et le fourrage récolté était mis dans des silos en vue de nourrir les vaches qui produisaient le lait nécessaire pour respecter le quota de lait quotidien à fournir à Dairy Farmers of Ontario, de façon à ce que l’entreprise puisse vendre le lait par l’entremise de cette organisation.

[11]        Quand on a demandé à l’appelant, en contre‑interrogatoire, s’il pouvait produire des cultures sur le tracteur, il a déclaré que la totalité de l’équipement (actifs) acheté avait pour but de permettre à l’exploitation agricole de produire des cultures et que tout tournait autour de la production du fourrage destiné au troupeau laitier. Il a reconnu que le droit de vendre du lait (le quota laitier) est l’actif d’une ferme laitière qui a le plus de valeur. Il a convenu avoir acheté le matériel et ce droit à titre d’actifs amortissables, qu’il avait amortis. Il a indiqué qu’à part le fait qu’il a acquis la propriété entière de l’entreprise agricole, il n’y a eu aucun changement dans l’utilisation des terres agricoles ou des actifs dans le cadre de la production du fourrage.

II.                Les dispositions législatives applicables

[12]        Les passages pertinents du paragraphe 44(1) sont les suivants :

44(1) Échanges de biens. Lorsque, au cours d’une année d’imposition (appelée « année initiale » au présent paragraphe), une somme est devenue un montant à recevoir par un contribuable à titre de produit de disposition d’une immobilisation qui n’est pas une action du capital-actions d’une société (l’immobilisation étant appelée « ancien bien » au présent article), mais qui est :

[…]

bsoit un bien qui était immédiatement avant qu’il en soit disposé, un ancien bien d’entreprise du contribuable,

et lorsque le contribuable a acquis :

[…]

ddans les autres cas, avant le dernier jour de la première année d’imposition suivant l’année initiale ou, s’il est postérieur, le jour qui suit de 12 mois la fin de l’année initiale,

une immobilisation en remplacement de son ancien bien […].

[13]        Le terme « bien de remplacement » est défini au paragraphe 44(5) :

44(5) Bien de remplacement. Pour l’application du présent article, une immobilisation d’un contribuable est un bien servant de remplacement à un ancien bien dont il était propriétaire si les conditions suivantes sont réunies :

a) il est raisonnable de conclure qu’il l’a acquise en remplacement de l’ancien bien;

a.1) elle a été acquise par lui et est utilisée par lui […] pour un usage identique ou semblable à celui qu’il a fait de l’ancien bien […]

b) dans le cas où le contribuable […] utilisait l’ancien bien en vue de tirer un revenu d’une entreprise, l’immobilisation a été acquise en vue de tirer un revenu de cette entreprise ou d’une entreprise semblable […] à cette fin;

[14]        Le terme « ancien bien d’entreprise » est défini au paragraphe 248(1) :

« ancien bien d’entreprise » Immobilisation d’un contribuable utilisée par lui ou par une personne qui lui est liée principalement en vue de tirer un revenu d’une entreprise et qui était un bien immeuble ou réel du contribuable, ou un intérêt du contribuable sur un bien réel ou un droit du contribuable sur un immeuble, ou un bien qui fait l’objet du choix prévu au paragraphe 13(4.2), à l’exclusion toutefois :

a) d’un bien locatif du contribuable;

b) du fonds de terre sous-jacent à un bien locatif du contribuable;

c) du terrain contigu au fonds de terre visé à l’alinéa b) et qui sert de parc de stationnement, de voie d’accès, de cour, de jardin ou qui est par ailleurs nécessaire pour l’usage du bien locatif visé à cet alinéa;

d) d’une tenure à bail sur tout bien décrit aux alinéas a) à c).

[…]

III.             L’analyse

[15]        L’article 44 est une exception à la règle normale qui s’applique aux gains en capital, à savoir qu’il y a habituellement un montant d’impôt à payer lors de la disposition d’une immobilisation. Le paragraphe 44(1) permet à un contribuable de procéder à un roulement du prix de base du bien et de reporter le gain en capital accumulé qui est tiré de la disposition d’une immobilisation (qui a été volée, détruite ou expropriée et payée par une assurance ou qui était un « ancien bien d’entreprise ») si le produit est réinvesti dans un « bien de remplacement » et que ce dernier est acquis dans un délai déterminé. Le contribuable doit faire un choix dans sa déclaration de revenus pour l’année dans laquelle le bien de remplacement a été acquis.

[16]        Il incombe au contribuable de satisfaire à toutes les exigences de la disposition d’exemption en vue de respecter la définition d’un « bien de remplacement » qui figure au paragraphe 44(5) de la Loi. Dans le présent appel, seuls les alinéas 44(5)a), a.1) et b) sont en litige; les alinéas c) et d) ne le sont pas. Les dispositions sont rédigées de façon conjonctive.

[17]        Le bien de remplacement dont il est question au paragraphe 44(5) est une immobilisation que le contribuable acquiert en vue de remplacer l’ancien bien dont il a disposé, si l’acquisition :

1.       a pour but de remplacer l’ancien bien (alinéa a));

2.       vise un usage identique ou semblable à celui que le contribuable a fait de l’ancien bien (alinéa a.1));

3.       a pour but de tirer un revenu de la même entreprise ou d’une entreprise semblable (alinéa b)).

[18]        Dans le cas présent, l’« ancien bien » était juste avant la disposition un « ancien bien d’entreprise », au sens de l’alinéa 44(1)b), et ce dernier est défini plus loin, au paragraphe 248(1), comme un bien immeuble ou réel ou un intérêt sur un tel bien.

[19]        La formulation de la méthode d’interprétation législative appropriée – laquelle exige une analyse textuelle, contextuelle et téléologique – a été reformulée par la Cour suprême dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601 :

10. Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50.  L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. […]

13. La Loi de l’impôt sur le revenu demeure un instrument dominé par des dispositions explicites qui prescrivent des conséquences particulières et commandent une interprétation largement textuelle[4]. […]

L’analyse textuelle

[20]        Dans le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., le mot anglais « replace » (« remplacer » en français) est défini ainsi :

[traduction]

Remplacer 1 remettre en place..2 prendre la place de; succéder à; se substituer à. 3 trouver ou fournir un substitut à. 4 […] occuper la place de. 5 […] être remplacé ou faire occuper sa place par un autre; être supplanté.

 

[21]        Dans le Black’s Law Dictionary, 7e éd., le mot « replace » (« remplacer ») est défini ainsi :

[traduction]

Remplacer. Remettre en place; rétablir à un état antérieur. […] ce terme, dans son sens courant et ordinaire, signifie substituer par quelque chose d’équivalent.

 

[22]        L’interprétation textuelle des mots figurant à l’alinéa 44(5)a), à savoir qu’une immobilisation est un bien de remplacement si elle a été acquise en remplacement d’un ancien bien, sous‑entend que ce bien de remplacement doit être le même type de bien. Dans la présente affaire, un terrain agricole doit être remplacé par un terrain agricole.

[23]        La thèse de l’appelant est que les actifs constituent un « bien de remplacement » pour le terrain agricole vendu, car ces actifs sont inextricablement liés à l’entreprise agricole, à savoir la ferme laitière. Cela est démontré par le fait que la vente du terrain agricole et l’achat des actifs agricoles étaient interreliés en ce qui concerne la vente ainsi que par l’obligation qu’avait la succession de vendre les actifs à l’appelant. De plus, l’article 44 n’exige pas explicitement qu’un ancien bien d’entreprise soit remplacé par le même type de bien; il faut toutefois qu’il s’agisse d’une immobilisation.

[24]        La thèse de l’intimée est que les actifs – dont la nature est fondamentalement différente de celle du terrain agricole – ne peuvent pas être considérés comme un « bien de remplacement », car les mots « en remplacement », au sens de l’alinéa 44(5)a), signifient, dans le présent appel, la substitution directe d’un terrain par un terrain. Il est donc déraisonnable de conclure que les actifs ont été acquis en vue de remplacer le terrain agricole. De plus, étant donné que ce terrain, compris dans l’ensemble du terrain vendu, a été aussitôt loué à l’appelant par le promoteur immobilier, il n’y a pas eu de changement ou de substitution pour le terrain agricole.

[25]        Aucun des deux avocats n’a pu citer une affaire mettant en cause les dispositions relatives à un bien de remplacement dans laquelle les immobilisations qui avaient fait l’objet d’une acquisition et d’une disposition étaient d’une nature ou d’un type différents. L’avocat de l’intimée a déclaré qu’à part les définitions des dictionnaires, il lui a été impossible de trouver des indications utiles pour interpréter l’article 44 de la Loi dans les circonstances du présent appel.

[26]        Malgré l’interprétation textuelle, il est concevable que la question de savoir si une immobilisation doit être remplacée par une immobilisation du même type suscite une certaine ambiguïté, ce qui étaye donc plus d’une interprétation possible. Dans de tels cas, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il est nécessaire de se référer au contexte et à l’objet[5].

[27]        Passons donc à l’analyse contextuelle pour interpréter la disposition de la Loi comme formant un tout harmonieux.

L’analyse contextuelle

[28]        Un élément implicite de l’analyse contextuelle est que l’aspect grammatical et ordinaire d’une disposition n’en détermine pas le sens. C’est la raison pour laquelle la Cour s’inspire du libellé et du contexte plus général de la disposition pour déterminer l’intention du législateur.

[29]        L’examen de dispositions semblables peut être utile à l’analyse contextuelle, tout comme un examen de l’évolution de la Loi, qui peut apporter des éclaircissements sur l’intention qu’avait le législateur au moment de modifier une loi ou d’y faire des ajouts.

[30]        L’article 44 a été ajouté à la Loi à l’époque de la mise en œuvre de l’impôt sur les gains en capital, en 1972[6]. Dans son rapport, la Commission Carter a indiqué que l’article 44 prévoyait un roulement pour les biens en immobilisation expropriés ou détruits. Cependant, le libellé de l’article 44, inspiré du paragraphe 20(5a), ne contenait pas une [traduction] « disposition de remplacement par un bien semblable » équivalente, similaire à l’alinéa 20(5a)i) antérieur, qui avait été introduit en 1955 et qui prévoyait un roulement dans les cas où le produit d’assurance reçu pour la perte ou la destruction d’un bien amortissable était réinvesti dans la même catégorie de biens amortissables[7].

[31]        L’expression « bien de remplacement » a été utilisée, mais non définie, à l’article 44 avant avril 1978. L’article 44 a été modifié à deux reprises en 1978. La première modification a restructuré cet article pour lui donner la forme qu’il a aujourd’hui, ce qui a mené à l’ajout des éléments suivants :

1.       un roulement volontaire pour le remplacement d’un bien‑fonds, à l’alinéa 44(1)b);

2.       la définition d’un « ancien bien d’entreprise » au paragraphe 248(1);

3.       la définition d’un « bien servant de remplacement » au paragraphe 44(5).

[32]        Le ministre des Finances a décrit l’objet du roulement volontaire comme étant un moyen d’aider les contribuables à agrandir leurs entreprises. Comme il l’a fait remarquer[8] :

Pour que ces dispositions s’appliquent, il doit s’agir d’un bien‑fonds et le remplacement doit avoir lieu avant la fin de l’année qui suit celle de la vente.

[33]        Dans le cadre de la première modification, le paragraphe 44(5) exigeait que le bien de remplacement soit acquis pour les « mêmes » fins que l’ancien bien et qu’il soit utilisé dans la même entreprise[9]. Il a été signalé que le mot « même » était problématique parce que:

En fait, [la définition] était trop limitée et si un agriculteur produisait du grain, le ministère du Revenu national avait décidé dans certains cas que l’argent devait être réinvesti dans les terres produisant du grain. Nous avons élargi cette définition afin qu’une personne puisse vendre une exploitation céréalière et acheter une ferme d’élevage ou une exploitation agricole d’un autre genre, au lieu d’appliquer l’interprétation étroite du Revenu national[10].

[34]        La seconde modification a été apportée rapidement, ajoutant le mot « semblable » aux deux critères énoncés aux alinéas 44(5)a.1) et b). Le libellé a été revu pour ajouter les mots « un usage […] semblable » et « ou d’une entreprise semblable » en vue de tirer un revenu, respectivement. L’objectif qu’avait le législateur en introduisant la seconde modification était d’assurer une application plus large de ces dispositions, qui offrait aux agriculteurs un roulement libre d’impôt lors de disposition de biens pourvu qu’ils « continuent d’œuvrer dans le domaine agricole[11] ».

[35]        Les notes techniques concernant les modifications apportées en 1991 aux alinéas 44(5)a) [aujourd’hui a.1)] et 44(5)b), en vue d’étendre la disponibilité et l’avantage du roulement aux parties liées au contribuable (un aspect qui n’est pas pertinent dans le présent appel), donnent un exemple dans lequel il est question d’un terrain remplacé par un terrain[12].

[36]        En 1998, le paragraphe 44(5) a été modifié pour que l’alinéa 44(5)a) existant soit déplacé à l’alinéa (a.1) et un nouvel alinéa 44(5)a) a été ajouté pour qu’un bien soit considéré comme un bien de remplacement s’il était raisonnable de conclure que le contribuable l’avait acquis en remplacement de l’ancien bien[13].

[37]        Les bulletins d’interprétation peuvent être pris en compte par les tribunaux en cas de doute à propos du sens d’une disposition législative. À l’époque où ont eu lieu l’acquisition et la disposition des biens dont il est question dans le présent appel, le bulletin d’interprétation pertinent portait le numéro IT‑259R4 et la date du 23 septembre 2003. Celui‑ci indique, au paragraphe 15 :

Remplacement de l’ancien bien

15.     Les exigences prévues à l’alinéa 14(7)a) et aux alinéas 13(4.1)a) et 44(5)a) (décrits aux points 14a)(i) et 14b)(i) ci-dessus) sont respectées lorsqu'il est raisonnable de conclure que le bien a été acquis en remplacement de l'ancien bien. À cet égard, il doit y avoir une certaine corrélation ou une directe substitution, c'est-à-dire une relation de cause à effet entre la disposition d'un ancien bien et l'acquisition du nouveau bien ou des nouveaux biens. Lorsqu'il est difficile de déterminer si un bien est effectivement remplacé par un autre, le bien nouvellement acquis ne sera pas considéré comme un bien de remplacement de l'ancien bien.

[38]        Ce bulletin d’interprétation fait mention d’une « directe substitution » de l’ancien bien par le bien acquis. Un thème récurrent dans les bulletins d’interprétation, à mesure que l’article 44 a évolué, a été le besoin, de l’avis du ministre, que la description physique du bien acquis soit généralement la même que celle de l’ancien bien (comme un terrain remplacé par un terrain)[14].

[39]        Le législateur a également créé des règles parallèles, dont le traitement et les exigences étaient semblables à ceux de l’article 44, pour des types plus précis de biens. En adoptant cette démarche, l’intention vraisemblable du législateur était que les biens en immobilisation faisant l’objet d’une disposition et acquis, dans le contexte de l’article 44, allaient aussi devoir être du même type[15].

[40]        Quand l’alinéa 44(5)a) a été ajouté aux exigences que comportait déjà le paragraphe 44(5), il y a été précisé qu’il fallait qu’il soit raisonnable de conclure que le bien acquis remplacerait l’ancien bien. Plus précisément, dans le cas présent, un observateur objectif et bien informé, doué de jugement, conclurait-il que les actifs ont été achetés en directe substitution du terrain agricole?

[41]        L’appelant fait valoir qu’il suffit d’avoir une certaine corrélation ou interrelation entre les actifs et le terrain agricole, lesquels sont inextricablement liés parce que les actifs sont utilisés dans la même ferme laitière en vue de gagner un revenu. La vente du terrain agricole et l’achat des actifs étayent cette interrelation. L’argument de l’appelant sur cet alinéa est plus général et expansif et confond les exigences énoncées dans chacun des alinéas 44(5)a) et a.1) et vraisemblablement b), sans mettre davantage l’accent sur les éléments qu’il comporte.

[42]        À mon avis, vu les différences qui existent entre les actifs et le terrain agricole et compte tenu du contexte plus général de l’évolution historique de la disposition ainsi que du régime législatif prévoyant des règles précises pour des types précis de biens, les mots « en remplacement » qui figurent à l’alinéa 44(5)a) signifient que le législateur envisageait une substitution directe, de sorte qu’il faudrait qu’il s’agisse du même type d’immobilisation pour que le bien acquis constitue un bien de remplacement pour l’ancien bien. Je suis d’avis qu’on ne peut pas raisonnablement conclure que les actifs avaient pour but de remplacer le terrain agricole au sens de l’alinéa 44(5)a) de la Loi.

[43]        Le mot « utilisée » à l’alinéa 44(5)a.1) a été interprété comme voulant dire : « une utilisation réelle à une certaine fin[16] ».

[44]        La thèse de l’appelant est que l’utilisation en question visait à gagner un revenu et que les actifs ont été acquis – et utilisés – au sein de la même entreprise agricole dans laquelle il utilisait le terrain agricole, deux éléments qui étaient inextricablement liés à l’objectif consistant à faire fonctionner la ferme et à produire un revenu. Dans son témoignage, l’appelant a expliqué que son processus agricole commençait par l’ensemencement au printemps et la récolte des cultures durant les mois d’été. Il faisait pousser du fourrage de bonne qualité sur les terres agricoles faisant partie du terrain agricole familial et il entreposait ce fourrage en vue de nourrir les vaches afin qu’elles produisent du lait.

[45]        Si le contribuable peut montrer qu’il y a plus qu’un semblant de ressemblance entre l’objet ou l’utilisation de l’ancien bien et du bien de remplacement, les deux biens devraient être considérés comme semblables pour l’application de l’alinéa 44(5)a.1)[17].

[46]        L’avocat de l’appelant fait valoir que l’utilisation et l’objet du terrain agricole étaient la production laitière et qu’il y a lieu de donner une large portée au mot « semblable » lorsqu’on interprète l’alinéa 44(5)(a.1). C’est-à-dire que le terrain a servi à faire pousser les récoltes et à faire paître le bétail. Les tracteurs ont servi à tirer du matériel. La herse et le râteau ont servi à préparer le terrain. Préparer le terrain en vue d’y faire pousser de l’herbe, cela ressemble beaucoup à faire pousser de l’herbe. L’objet demeure le même — la production et la vente de lait — et l’utilisation est très semblable.

[47]        Dans le même ordre d’idées, ajoute-t-il, si le terrain sert à nourrir et à faire paître les vaches qui produisent le lait, le quota de lait est utilisé pour avoir accès au marché et vendre le lait. Sans quota de lait, il n’y aurait pas de ferme laitière. L’objet du quota de lait demeure le même que celui du terrain : la production et la vente de lait. De plus, il n’y a eu aucun changement dans l’utilisation de l’un quelconque des actifs ou dans l’objet pour lequel ceux-ci ont été utilisés dans la même entreprise agricole en vue de gagner un revenu. Toutes ces activités étaient exercées de concert en vue de la production de lait dans l’entreprise agricole. L’exigence de l’alinéa 44(5)a.1) est donc remplie. À son avis, il serait artificiel de décortiquer les différents aspects de l’entreprise agricole. Je ne suis pas d’accord.

[48]        Premièrement, la Loi fait régulièrement des distinctions entre des catégories différentes de biens. C’est le cas, par exemple, des paragraphes 13(4), relativement à un bien amortissable d’une catégorie prescrite, et 14(6), relativement à une immobilisation admissible, de pair avec les règles connexes sur les « biens de remplacement » qui figurent aux paragraphes 13(4.1) et 14(7), respectivement. Deuxièmement, la portée n’est pas aussi vaste que le sous‑entend l’appelant lorsqu’il dit qu’il suffit, pour l’application de l’alinéa 44(5)a.1), que les actifs soient utilisés pour le même objet général, qui consiste à tirer un revenu d’une ferme laitière. Cet alinéa, selon moi, requiert une portée plus étroite, de même qu’une analyse comparative de l’utilisation réelle des biens acquis et des biens ayant fait l’objet d’une disposition pour déterminer si les actifs ont été acquis et utilisés en vue d’une utilisation qui est « identique ou semblable à » celle que l’appelant a faite du terrain agricole.

[49]        L’avocat de l’intimée fait valoir que l’utilisation réelle du terrain agricole consistait à faire pousser de l’herbe et à faire paître le bétail et que l’objet de cette utilisation était la production et la vente de lait. Même si les actifs ont été utilisés pour aider à faire pousser l’herbe et à faire paître les vaches, l’utilisation qui a été faite du terrain agricole était différente. Préparer la terre à l’aide d’un tracteur, ce n’est pas la même chose que de produire des cultures sur une terre, pas plus que l’on ne peut produire des cultures sur un tracteur. Le quota de lait s’éloigne encore plus de la production de cultures ou du pâturage du bétail. Ce quota était le principal actif de la ferme, dans le cadre de la production et de la vente de lait, et il offrait un droit d’accès au système de gestion de l’approvisionnement établi en vue de réglementer le prix du lait. L’avocat de l’intimée a déclaré que les actifs n’ont pas été acquis en vue d’être utilisés – et n’ont pas été utilisés – pour un objet « identique » à celui pour lequel l’appelant avait exploité le terrain agricole.

[50]        Je ne conviens pas avec l’avocat de l’intimée qu’il doit s’agir d’une utilisation « identique ». Comme il a été signalé, la loi a été modifiée en vue de permettre également une utilisation « semblable ». À part cela, je conviens que la production de cultures et le pâturage du bétail sur le terrain agricole ne sont pas des activités identiques ni, selon moi, semblables à l’utilisation que l’on a faite des actifs matériels et du quota de lait. Comme l’a signalé l’avocat de l’intimée, les actifs ont simplement aidé à accomplir le processus plus général. Je conclus que les actifs n’ont pas été acquis pour une utilisation « identique ou semblable » à celle que l’on a faite du terrain agricole.

[51]        Pour ce qui est l’alinéa 44(5)b), la question consiste à savoir si l’acquisition des actifs avait pour objet de tirer un revenu d’une entreprise qui était identique ou semblable à l’entreprise exploitée sur le terrain agricole. À part le fait que l’appelant a obtenu l’entière propriété des actifs et le fait que le terrain agricole a été loué, l’appelant a continué d’utiliser les mêmes actifs dans le cadre de la même entreprise sur le terrain agricole.

[52]        Pour les motifs indiqués plus tôt, les exigences que comporte chacun des alinéas 44(5)a) et a.1) ne sont pas remplies. Je conclus que les actifs ne peuvent pas être un « bien de remplacement » pour le terrain agricole au sens du paragraphe 44(5) de la Loi.

[53]        L’appel est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 2015.

« K. Lyons »

Juge Lyons

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’août 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE « A »

Renvois à des notes de bas de page dans l’exposé conjoint des faits

1          Soit la partie du lot 14, concession 11 ND Toronto Gore, comme dans RO572989, sauf la partie 1, 43R17212; deuxièmement, partie du lot 14, concession 11 ND Toronto Gore, désignée comme partie 3, 43R17212, Brampton, toutes décrites comme étant le NIP no 14213-0262(LT).

2          Par transfert enregistré comme suit : instrument no LT1980008.

3          Le choix initial a été exercé en vertu du paragraphe 70(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le numéro de cette disposition est devenu 70(9.01) à compter du 1er mai 2006. Le choix initial a fixé le produit de la disposition d’Armous à l’égard de son intérêt dans le terrain agricole familial à 323 333 $. Cependant, l’Agence du revenu du Canada a par la suite fait droit à une demande d’allègement pour le contribuable en vue de modifier ce choix. Le choix modifié a fait augmenter le produit de la disposition à 574 760 $.

4          Par transfert enregistré comme suit : instrument no PR171194.

5          Instrument no PR1064368, enregistré le 19 mai 2006.

6          Au sens de la convention d’achat d’actifs.


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 24

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1424(IT)G

INTITULÉ :

PAUL LIVINGSTON et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 février 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge K. Lyons

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 janvier 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

MeGordon R. McClellan

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

            Pour l’appelant :

Nom :

Gordon R. McClellan

 

Cabinet :

Tanzola & Sorbara

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]              L’appelant s’est servi du produit de vente du « terrain additionnel » restant, d’une superficie de 4,8 acres, à des fins non liées au terrain agricole. La partie excédentaire fait partie des 23,561 hectares vendus au promoteur immobilier et décrits comme étant l’ensemble du terrain vendu à la partie 1 du plan R.

[2]              Pièce R-1, Onglet E, Annexe B, [traduction] Les actifs commerciaux – pages 14 et 15.

[3]           L’appelant a fourni un billet à ordre sans intérêt à la clôture de la transaction relative aux actifs et avant la conclusion de la transaction relative à la convention de vente de la succession, et l’avocat a retenu la somme de 432 000 $ pour exécuter l’obligation relative au billet.

[4]              Voir aussi Placer Dome Canada Ltd. c Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 RCS 715 (Placer Dome).

[5]              Dans l’arrêt Placer Dome, précité, la Cour suprême a conclu que les contribuables ont le droit de s’en remettre au sens clair des dispositions fiscales pour organiser leurs affaires. Lorsque le texte d’une loi est précis et non équivoque, il joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Lorsque le texte d’une loi peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il peut devenir nécessaire de se référer davantage au contexte et à l’objet de la Loi. L’objet de la loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë. Voir aussi l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559. La méthode moderne d’interprétation législative reconnaît le rôle important que joue le contexte dans l’interprétation du texte d’une loi.

[6]              En 1972, l’alinéa 20(5a) a été déplacé au paragraphe 13(4) et a été étendu de façon à englober les montants payables à titre de compensation à l’égard de biens d’une catégorie prescrite pris en vertu d’une loi.

[7]              La Commission royale d’enquête sur la fiscalité (la « Commission Carter ») a recommandé d’imposer les gains en capital et aussi de créer un roulement semblable pour couvrir les gains en capital découlant de dispositions involontaires, et incluant les paiements d’assurance, les expropriations et les accidents, car les entreprises auraient normalement à réinvestir ce produit « afin d’assurer la continuité de l’entreprise », ce qui accorderait un allègement dans les cas où une disposition serait déclenchée par un fait involontaire. Elle a déclaré que le roulement devrait exiger que le bien de remplacement soit semblable à l’ancien bien, mais elle a formulé une mise en garde contre le fait de prévoir un roulement sur les dispositions volontaires même si le produit était réinvesti dans une entreprise à cause de « sérieux problèmes de définition » et d’une certaine incertitude.

[8]              Ministre des Finances, Jean Chrétien, Débats de la Chambre des communes, 30e Législature, 3e session (1er décembre 1977), à la page 1458.

[9]           Lors du débat entourant cette disposition au Parlement, l’Opposition a fait remarquer que son libellé était vague et incertain. Des commentaires critiquant cette disposition ont été lus à voix haute en vue de faire ressortir les problèmes; selon ces commentaires, cette disposition allait causer sans aucun doute des problèmes d’interprétation et, s’était-on demandé, à quel point fallait-il que l’usage soit le « même »?

[10]             Ministre des Finances, Jean Chrétien, Débats de la Chambre des communes, 30e Législature, 3e session (12 juin 1978), à la page 6321.

[11]          Secrétaire parlementaire du ministre des Approvisionnements et Services, Aideen Nicholson, Débats de la Chambre des communes, 30e Législature, (25 avril 1978), à la page 4875.

[12]          C’est-à-dire le terrain loué à une partie liée qui utilise ce terrain dans le cadre d’une entreprise.

[13]             La note technique accompagnant l’alinéa 44(5)a) n’indique pas quel est le problème que règle cette modification. Dans ses observations en réponse, l’avocat de l’appelant a fait valoir que l’alinéa 44(5)a) était destiné à faire obstacle aux expansions d’entreprise et qu’il n’était pas question, en l’espèce, d’une telle expansion. Avant 2002, c’était là la position de l’Agence du revenu du Canada. Depuis ce temps, elle est revenue sur cette position et a supprimé de telles références du bulletin d’interprétation.

En 2001, le paragraphe 44(1) a été modifié une fois de plus pour indiquer que cette règle relative aux roulements ne s’appliquait pas aux actions du capital‑actions d’une société. Un roulement relatif aux actions a été créé à l’article 44.1.

[14]             Bulletins d’interprétation IT‑259 daté du 3 novembre 1975, au point 7(b), IT‑259R daté du 29 décembre 1980, aux paragraphes 18 et 22, IT‑259R2 daté du 30 septembre 1985, au paragraphe 16, IT‑259R2 daté du 1er décembre 1994, au paragraphe 11, IT‑259R3 daté du 4 août 1998, au paragraphe 17 et IT‑259R4 daté du 23 septembre 2003, au paragraphe 17.

Le bulletin d’interprétation IT‑259R2 daté du 30 septembre 1985, indique ce qui suit au paragraphe 4 : « [l]orsque plus d’un bien en immobilisation a fait l’objet d’une disposition et que les circonstances sont telles que le paragraphe 44(1) s’applique, les dispositions de ce paragraphe s’appliquent à chacun de ces biens, ainsi qu’à son bien de remplacement. Dans le cas d’un fonds de terre et des bâtiments érigés sur celui-ci, ce terme est réputé englober le fonds de terre et chaque bâtiment érigé sur celui-ci individuellement et, aux fins de ce paragraphe, le gain en capital réalisé à l’égard de chacun de ces biens doit être calculé séparément. Toutefois, depuis le 31 mars 1977, un contribuable peut modifier l’attribution du produit de la disposition d’un ancien bien d’entreprise composé d’un fonds de terre ou de plusieurs bâtiments entre le fonds de terre et les bâtiments. » Cette possibilité de modifier l’attribution figure au paragraphe 44(6) de la Loi.

[15]          Le paragraphe 13(4) autorise le roulement d’un coût en capital non amorti aux fins d’une déduction pour amortissement lorsqu’un bien amortissable est acquis (à cause d’une disposition involontaire) en vue d’éviter la récupération visée au paragraphe 13(1). Le paragraphe 14(6) autorise le roulement d’une immobilisation admissible dans le cas d’une disposition involontaire ou volontaire; il s’agit d’un sous‑ensemble de biens bénéficiant d’un traitement spécial et qui inclut en général des biens intangibles non amortissables tels que l’achalandage, et des droits précis, tels que les quotas. Dans chaque cas, le contribuable est autorisé à reporter un gain en capital et, pour le bien amortissable, il peut aussi y avoir un gain à titre de revenu. À l’alinéa 44(1)a), il est fait référence au paragraphe 13(21) ainsi qu’au produit d’une disposition.

[16]             Le juge Bowman (plus tard juge en chef) a analysé le mot « utilisé » dans la décision Glaxo Wellcome Inc. v. The Queen, 96 DTC 1159. Dans l’arrêt Glaxo Wellcome Inc. v. Canada, [1999] 4 CTC 371 (CAF), la Cour d’appel fédérale a souscrit à l’interprétation du juge Bowman. Dans la décision DePaoli v. The Queen, 96 DTC 1820, [1996] 3 CTC 2640, le juge Hamlyn a appliqué la définition du juge Bowman en vue de déterminer des biens agricoles qui étaient utilisés de la même façon que les anciens biens et qui constituaient donc un bien de remplacement. Il a été conclu que le fait d’entretenir le fonds de terre en le tenant propre était important, de même que l’usage que l’on avait fait du fonds de terre, plutôt que la manière dont il avait été entretenu (loué par d’autres agriculteurs).

[17]             Glaxo Wellcome Inc., précité.

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