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Dossier : 2014-1875(IT)G

ENTRE :

LANCAN INVESTMENTS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 27 janvier 2015, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Mark Tonkovich

Avocats de l’intimée :

Me Luther P. Chambers, c.r.

Me Martin Beaudry

 

Ordonnance

attendu que l’appelante a présenté une requête sollicitant l’ordonnance suivante :

[traduction]

1.         en vertu de l’article 53 des Règles, que certains passages et paragraphes offensants de la réponse de l’intimée, datée du 30 septembre 2014, soient radiés, car ils constituent un recours abusif à la Cour ou ils peuvent compromettre ou retarder l’instruction équitable du présent appel;

2.         subsidiairement au redressement demandé au titre du paragraphe qui précède, que l’intimée fournisse des précisions comme le prévoit l’article 52 des Règles en réponse à la demande de précisions de l’appelante, datée du 27 octobre 2014, notamment une ordonnance enjoignant à :

l’intimée de fournir des précisions complètes concernant tous les faits sur lesquels elle s’appuie à l’heure actuelle et qu’elle a l’intention de prouver afin de montrer que la non‑résidente résidait au Liechtenstein pendant toute la période pertinente pour appuyer la nouvelle cotisation portée en appel;

3.         les dépens de la présente requête soient fixés à 9 000 $ et payés immédiatement, quelle que soit l’issue de la cause;

4.         toute autre ordonnance ou directive qui est juste et équitable dans les circonstances.

ET Après avoir entendu les observations des parties;

La cour ordonne :

1.       Il est enjoint à l’intimée de fournir les précisions demandées concernant les questions 2 et 3 de la demande de précisions de l’appelante, datée du 27 octobre 2014, dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance. Si une réponse modifiée est déposée dans le délai de 60 jours et radie l’allégation relative à la résidence, l’intimée n’a pas alors à fournir les précisions.

2.       L’intimée paie à l’appelante des dépens fixés à 8 000 $, quelle que soit l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2015.

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de juillet 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 27

Date : 20150203

Dossier : 2014-1875(IT)G

Entre :

LANCAN INVESTMENTS INC.,

appelante,

et

Sa Majesté la reine,

intimée.

[Traduction française officielle]

motifs de l’ordonnance

Le juge Pizzitelli

[1]             L’appelante a interjeté appel à l’encontre d’une nouvelle cotisation qui augmentait en fait de 5 % à 15 % ses obligations de retenir et de verser les retenues d’impôt exigées par la partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à son rachat d’actions d’une entité étrangère présumée résider aux Pays‑Bas. Selon l’intimée, l’entité étrangère était une fiducie plutôt qu’une société et, par conséquent, aux termes du traité applicable, elle est assujettie à des retenues d’impôt plus élevées. Subsidiairement, l’intimée a fait valoir que l’entité étrangère résidait au Liechtenstein, qui est assujettie à une retenue d’impôt de 25 % que l’appelante serait chargée de verser aux autorités fiscales. Ainsi, l’appel devrait être rejeté parce que cette obligation est de fait plus élevée que le montant de la nouvelle cotisation, nonobstant le fait que l’intimée ne demande pas le montant supplémentaire. La présente requête porte sur cette prétention subsidiaire.

[2]             L’appelante présente une requête en radiation du paragraphe 9 de la réponse de l’intimée, datée du 30 septembre 2014 (l’« allégation relative à la résidence ») qui est rédigé ainsi :

[traduction]

9. Subsidiairement, il déclare que, pendant toute la période pertinente, Palfinvest Reg. Trust était une résidente de la Principauté du Liechtenstein, parce qu’elle était gérée et contrôlée dans ce ressort, plutôt qu’une résidente des Pays‑Bas.

[3]             L’appelante présente la requête en radiation susmentionnée en vertu des alinéas 53(1)a) et c) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), qui sont rédigés en ces termes :

53. (1) La Cour peut, de son propre chef ou à la demande d’une partie, radier un acte de procédure ou tout autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document :

a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel;

[…]

c) constitue un recours abusif à la Cour;

[…]

[4]             Subsidiairement, l’appelante sollicite une ordonnance enjoignant à l’intimée de fournir des précisions conformément à l’article 52 des Règles pour répondre à sa demande de précisions datée du 27 octobre 2014, notamment une ordonnance selon laquelle :

[traduction]

l’intimée fournit des précisions complètes concernant tous les faits sur lesquels elle s’appuie à l’heure actuelle et qu’elle a l’intention de prouver afin de montrer que la non‑résidente résidait au Liechtenstein pendant toute la période pertinente pour appuyer la nouvelle cotisation portée en appel;

[5]             Conformément à la demande de précisions susmentionnée en ce qui a trait à l’allégation relative à la résidence, l’appelante a posé trois questions à l’intimée, qui a répondu ce qui suit :

[traduction]

Q1. Quelle est la « période pertinente » visée par l’intimée?

La « période pertinente » mentionnée au paragraphe 9 de la réponse de l’intimée est la période pertinente pour le rachat des actions que détenait l’appelante dans Palfinvest Reg. Trust.

Q2. Qui exerçait la gestion et le contrôle de Palfinvest Reg. Trust (« Palfinvest ») pendant la période pertinente?

La personne ou les personnes qui exerçaient la gestion et le contrôle de Palfinvest Reg. Trust pendant la période pertinente est une question de preuve qui sera présentée à l’instruction et à l’égard de laquelle aucune précision ne peut être exigée pour les besoins de l’acte de procédure.

Q3. De quelle manière la gestion et le contrôle de Palfinvest étaient‑ils exercés pendant la période pertinente?

La manière selon laquelle la gestion et le contrôle de Palfinvest Reg. Trust étaient exercés pendant la période pertinente est une question de preuve qui sera présentée à l’instruction et à l’égard de laquelle aucune précision ne peut être exigée pour les besoins de l’acte de procédure.

[6]             L’appelante sollicite également des dépens de 9 000 $ quelle que soit l’issue de la cause ainsi que toute autre réparation qui est juste et équitable dans les circonstances.

[7]             J’examinerai la requête en radiation et je me pencherai ensuite sur la demande de précisions et les dépens.

La requête en radiation

[8]             Les questions de la requête en radiation et de la demande de précisions sont liées dans la présente affaire; il s’agit des deux côtés d’une même médaille. L’appelante soutient que l’intimée n’a fourni aucun fait important à l’appui de l’allégation relative à la résidence et que l’omission de l’intimée de fournir des précisions, tant dans ses actes de procédure qu’en réponse à la demande de précisions, donne à penser que son allégation relative à la résidence n’a aucun fondement factuel. Enfin, l’intimée tente de constituer un fondement pour une [traduction] « recherche à l’aveuglette » irrégulière à l’étape de l’interrogatoire préalable. Selon l’appelante, il s’agit donc d’un recours abusif qui l’oblige à consacrer de grands efforts et à supporter des dépenses importantes pour explorer tous les scénarios possibles dont elle n’a aucune connaissance. Cette situation lui cause donc un préjudice et peut retarder l’instruction de façon déraisonnable. Par conséquent, cette allégation relative à la résidence devrait être radiée. L’intimée soutient qu’il n’existe aucun motif de radier l’allégation parce que, s’il est vrai que Palfinvest résidait au Liechtenstein, elle aurait gain de cause, et fait valoir que l’appelante a elle-même connaissance des faits.

[9]             Les parties s’entendent sur les principes généraux de droit applicables aux questions en l’espèce. Suivant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, qui a été invoqué dans la décision Satin Finish Hardwood Flooring (Ontario) Limited v The Queen, 96 DTC 1402, à la page 1404, il est bien établi en droit que :

Le critère qu’appliquent les tribunaux aux requêtes visant à faire radier un avis d’appel consiste à déterminer s’il est « évident » et « manifeste » que l’action ne peut être couronnée de succès même si les faits allégués dans l’avis d’appel sont exacts.

[10]        Comme cela a été mentionné plus haut, il est clair que, dans le sens le plus général de l’allégation relative à la résidence, si Palfinvest résidait au Liechtenstein, le ministre aurait gain de cause. Je reconnais que l’appelante s’est appuyée sur des décisions telles que Kinglon Investments Inc. v The Queen, 2014 DTC 1128, et O’Dwyer v The Queen, 2012 TCC 261, 2012 DTC 1215, dans lesquelles la Cour a radié des actes de procédure parce que l’on avait omis d’alléguer des faits suffisants. Je constate cependant que, dans les deux cas, le juge qui présidait à l’audience s’était dit préoccupé par le fait que, même si la plus grande crédibilité était accordée aux faits, ceux-ci ne seraient pas suffisants pour établir les éléments nécessaires pour justifier les cotisations et, ainsi, n’avaient aucune chance raisonnable de succès, plus particulièrement dans le contexte de l’alinéa 58(1)b) en ce qui concerne la décision O’Dwyer et dans le contexte de l’alinéa 53(1)d) en ce qui concerne la décision Kinglon, deux dispositions des Règles qui ne sont pas en cause en l’espèce. Dans la présente affaire, prise dans son sens le plus large, la simple déclaration selon laquelle la gestion et le contrôle de la partie en cause sont au Liechtenstein révélerait des motifs raisonnables de contester l’appel, si elle était exacte.

[11]        Je prends également en compte le renvoi de l’avocat de l’appelante à la décision de l’ancien juge en chef Rip dans l’affaire Cameco Corp. v The Queen, 2010 TCC 636. Dans cette affaire, plusieurs paragraphes ont été radiés compte tenu du fait qu’ils contenaient uniquement de simples affirmations qui ne précisaient pas les éléments factuels sous-jacents des allégations contestées. Toutefois, dans cette affaire, les principales allégations concernant les prix de transfert n’ont été radiées qu’après que le juge en chef eut donné à l’intimée l’autorisation de modifier les actes de procédure contestés. Il a été conclu que l’intimée n’avait pas effectué la modification, créant ainsi un abus de procédure. Je prends connaissance d’office de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Yacyshyn c La Reine, [1999] ACF no 196, 99 DTC 5133, sur lequel je me suis appuyé dans la décision Cameco c La Reine, 2014 CCI 367, une décision que j’ai rendue et que l’avocat de l’appelante a invoquée dans son argumentation. Dans cet arrêt, le juge Létourneau a déclaré ce qui suit au paragraphe 18 :

[…] le rejet d’un appel est une solution draconienne et un recours ultime réservé aux cas exceptionnels ou à ceux pour lesquels il n’existe pas de solution de rechange ou de redressement moins rigoureux.

[12]        En l’espèce, je ne suis pas convaincu que l’appelante a satisfait à la norme élevée consistant à montrer que l’allégation relative à la résidence serait vouée à l’échec pas plus que je ne peux conclure que sa non‑radiation causerait un préjudice à l’appelante à cette phase peu avancée de la procédure et ne pourrait pas être indemnisée par des dépens ou ne pourrait pas être réparée par des moyens moins draconiens. L’affaire est à une phase peu avancée du litige et je ne dispose d’aucun élément de preuve donnant à penser que la non‑radiation de l’allégation entraînerait des retards importants. À vrai dire, comme il ressort de la décision Cameco ci-dessus, s’il est justifié d’ordonner des précisions, la démarche visant à accorder l’autorisation de modifier les actes de procédure serait la solution privilégiée dans le cadre d’une demande en première instance comme en l’espèce. En fait, une ordonnance enjoignant de fournir des précisions est le redressement subsidiaire que demande l’appelante et que j’aborde maintenant.

La demande de précisions

[13]        L’appelante soutient que l’intimée n’a invoqué aucun fait important à l’appui de l’allégation relative à la résidence, qui, selon elle, est une question mixte de droit et de fait. Pour sa part, l’intimée soutient que cette allégation est l’expression d’un fait en lui-même et une question de « résidence » clairement définie, et que l’appelante demande en réalité des éléments de preuve à l’appui d’une telle allégation, ce qui est inapproprié. Selon l’intimée, l’appelante a connaissance des faits et, ainsi, des précisions supplémentaires sont inutiles.

[14]        Premièrement, permettez-moi d’examiner la position de l’intimée selon laquelle l’appelante a connaissance du fait que la gestion et le contrôle de Palfinvest sont situés au Liechtenstein. L’intimée s’appuie sur la décision Obonsawin v Canada, [2001] OJ No. 369, pour affirmer que la fourniture de précisions ne sera pas ordonnée dans les cas où la partie qui les demande en a connaissance. Cela est bien établi en droit et examiné également dans la décision Mastronardi v The Queen, 2010 TCC 57, 2010 DTC 1066, à la page 5, qui renvoie à la décision Zelinski v The Queen, 2002 DTC 1204, au paragraphe 4.

[15]        Je ne puis trouver aucun élément de preuve dans les actes de procédure ou dans l’affidavit de P.L., le représentant de l’appelante, déposé à l’appui de la requête de l’appelante, que cette dernière reconnût que la résidence de Palfinvest était située ailleurs qu’aux Pays‑Bas ou le savait. L’intimée elle-même a résumé la déclaration de l’affidavit, et il n’y a aucune indication ni mention que la résidence était située au Liechtenstein. L’intimée n’a pas déposé d’affidavit dans la présente affaire ni n’a demandé l’autorisation de contre‑interroger le déposant. Aucun autre élément de preuve ne m’a donc été présenté concernant la connaissance de l’appelante.

[16]        Au paragraphe 46 de ses observations, l’intimée soutient ce qui suit :

[traduction]

46. À moins d’une indication contraire, une personne supposerait habituellement qu’une entité établie par la loi réside dans le ressort dans lequel elle a été créée. À la lumière de cette hypothèse, la résidence de Palfinvest serait située dans la Principauté du Liechtenstein, parce qu’elle y a été constituée […]

[17]        Dans son argument, l’intimée suppose que l’appelante devrait présumer que la résidence de Palfinvest est située à l’endroit où elle a été constituée. En toute franchise, cela ne constitue guère une preuve de la connaissance de l’appelante et, à vrai dire, cela est en contradiction avec l’hypothèse de l’intimée dans son argument principal, selon laquelle la résidence est située aux Pays-Bas. Je souscris à la prétention de l’avocat de l’appelante, selon laquelle l’intimée semble tenter de qualifier ses observations d’éléments de preuve. Elles n’en sont pas.

[18]        Je ne crois pas que l’on puisse dire que l’appelante peut être au courant que la résidence pouvait être située ailleurs qu’aux Pays-Bas. Par conséquent, sa connaissance ne peut pas faire obstacle aux précisions concernant l’allégation relative à la résidence.

[19]        Deuxièmement, je désire examiner la prétention de l’intimée selon laquelle l’appelante demande véritablement des éléments de preuve à l’appui de l’allégation.

[20]        Les parties ne contestent pas le fait que l’appelante n’a pas le droit d’obtenir la preuve de l’intimée à l’étape des actes de procédure. Dans la décision Embee Electronic Agencies Ltd. c Agence Sherwood Agencies Inc. et al. [1979] ACF no 1131, le juge Marceau a déclaré ce qui suit au paragraphe 3 :

[…] Il ne devrait pas être permis à un défendeur d’utiliser une requête pour détails pour fureter dans le dossier de son adversaire dans l’espoir de découvrir l’étendue de la preuve qui pourrait être produite contre lui au procès ni pour faire une « recherche à l’aveuglette » afin de découvrir des moyens de défense qu’il ignore encore. À ce stade préliminaire, un défendeur a le droit d’obtenir tous les détails qui lui permettront de mieux saisir la position du demandeur, de savoir sur quoi se fonde l’action contre lui et de comprendre les faits sur lesquels elle s’appuie, afin de pouvoir répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense, mais il n’a pas le droit d’aller plus loin et d’en demander plus.

[21]        Bien que je souscrive entièrement à la règle selon laquelle une partie n’a pas le droit d’obtenir des éléments de preuve à l’étape des actes de procédure, je ne suis pas d’accord pour dire que l’appelante demande des éléments de preuve. L’allégation relative à la résidence n’est aucunement accompagnée de faits pertinents selon lesquels la gestion et le contrôle de Palfinvest sont situés au Liechtenstein. Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que la question du lieu où se situent la gestion et le contrôle d’une partie est une question mixte de fait et de droit. Comme les juges Iacobucci et Major l’ont déclaré dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, au paragraphe 26, pour distinguer les questions mixtes de fait et de droit des conclusions factuelles, « [l]es questions mixtes de fait et de droit supposent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits ». Au paragraphe 33, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit : « La question qui consiste “à déterminer si les faits satisfont au critère juridique” est une question mixte de droit et de fait ». La Cour suprême a ensuite donné comme exemple d’une question mixte de fait et de droit la question de savoir si certaines personnes étaient les âmes dirigeantes d’une société.

[22]        De toute évidence, la question de savoir qui sont les âmes dirigeantes de Palfinvest peut être un élément du critère juridique relatif à l’exercice de la gestion et du contrôle. En fait, il peut y avoir plusieurs critères pour déterminer la question de savoir s’il s’agit d’un contrôle exercé de droit ou de fait ou par des groupes connexes, pour ne mentionner que quelques exemples. L’appelante doit obtenir des précisions de l’intimée pour comprendre les choix possibles sur lesquels cette dernière s’appuie et être en mesure d’y répondre. Autrement, la déclaration est ambiguë.

[23]        Le juge Bowie a bien énoncé le principe général relatif à l’objet des actes de procédure dans la décision Zelinski v The Queen, 2002 DTC 1204, une décision confirmée par la Cour d’appel fédérale (2002 DTC 7395) et sur laquelle la Cour s’est appuyée dans de nombreuses décisions, notamment la décision Mastronardi. Voici ce qu’a déclaré le juge Bowie au paragraphe 4 :

[4] L’acte de procédure a pour but de définir les questions faisant l’objet du litige entre les parties aux fins de production et de communication préalable ainsi qu’en prévision du procès. Il incombe aux parties de présenter un exposé concis des faits pertinents sur lesquels elles se fondent. Les faits pertinents sont ceux qui, dans l’éventualité où ils sont établis au cours du procès, concourront à démontrer que la partie ayant déposé l’acte de procédure a droit au redressement demandé […]

[24]        Dans la décision Mastronardi, précitée, la juge Campbell s’est aussi appuyée sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Gulf Canada Ltd. c Le remorqueur Mary Mackin, [1984] 1 CF 884, sur lequel s’est appuyée l’intimée. Cet arrêt déclarait que [TRADUCTION] « […] le but d’une demande de détails est d’obliger une partie à donner des précisions sur les points qu’elle a essayé de soulever dans ses plaidoiries écrites de manière à ce que la partie adverse soit en mesure de se préparer à l’instruction en procédant à un interrogatoire préalable ou d’une autre façon », en réalité de « permettre à la partie qui les demande de savoir à quels arguments elle aura à faire face à l’instruction, d’éviter ainsi des dépenses inutiles et d’empêcher que les parties soient prises par surprise. »

[25]        Il est évident que les actes de procédure guident les étapes suivantes du processus judiciaire comme l’interrogatoire préalable et la préparation de la preuve pour le procès. En conséquence, je ne peux souscrire à la prétention de l’avocat de l’intimée selon laquelle l’appelante ne devrait pas obtenir des précisions concernant l’allégation relative à la résidence maintenant, mais elle devrait procéder à l’interrogatoire préalable et demander des précisions par la suite si elles sont nécessaires. Une telle position est contraire à l’objet même des actes de procédure.

[26]        Dans l’arrêt Mary Mackin, précité, sur lequel s’appuie l’intimée, la Cour d’appel fédérale conclut que l’allégation relative à la négligence en cause dans cette affaire [traduction] « englobe, du point de vue linguistique, des omissions non précisées et permet un éventail de sens » et poursuit en donnant quelques exemples. L’intimée elle-même a reconnu au paragraphe 37 de ses observations concernant l’allégation susmentionnée que [traduction] « […] [c]et éventail de sens non précisés était trop vaste et imprécis pour cerner les questions à trancher. » L’intimée précise par la suite au paragraphe 38 de ses observations que l’allégation relative à la résidence en l’espèce est [traduction] « claire et non équivoque ». Avec égards pour l’intimée, l’allégation relative à la résidence est beaucoup trop large et imprécise ici aussi pour cerner la question de la « résidence » de manière appropriée. Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’examen de la question de la résidence en l’espèce englobe l’examen de plusieurs scénarios, comme le contrôle de droit ou de fait, pour ne nommer que ceux-là, et les nombreux éléments que comportent leurs analyses.

[27]        J’aimerais également faire une observation à l’égard de l’affirmation de l’intimée concernant les préoccupations, à son avis non fondées, de l’appelante voulant que celle-ci se dise préoccupée par [traduction] la « recherche à l’aveuglette » de l’intimée parce que l’intimée n’a pas invoqué de faits importants. L’intimée a soutenu que, puisque son allégation était claire et non équivoque, elle avait en fait alors [traduction] « carte blanche pour effectuer une recherche à l’aveuglette ». Compte tenu de ce qui précède, il me semble évident que les paramètres de la [traduction] « recherche à l’aveuglette » sont et doivent être fixés à l’intérieur des questions alléguées de façon appropriée et des faits pertinents; en d’autres mots, avec des précisions suffisantes qui définissent les questions de manière claire et précise. Pour cette raison, [traduction] « [i]ls [les détails] enlèvent toute liberté d’action à la partie qui, sans autorisation, ne peut examiner les questions qui n’en font pas partie », comme l’a déclaré la juge Campbell dans la décision Mastronardi, précitée, au paragraphe 10. Je souscris entièrement à la position de l’appelante à l’égard de cette question, puisque l’allégation relative à la résidence est trop vaste et imprécise, susceptible de comporter différents sens et d’englober différents éléments factuels nécessaires pour satisfaire à des critères juridiques possiblement différents. La laisser telle quelle sans précisions équivaudrait à autoriser la [traduction] « recherche à l’aveuglette sans restrictions » plutôt que de fixer les paramètres de la recherche.

[28]        À mon avis, la demande de précisions de l’appelante n’était pas prématurée, comme l’a soutenu l’intimée, et l’appelante a le droit de connaître les détails de ce que veut dire l’intimée lorsqu’elle déclare que la gestion et le contrôle de Palfinvest sont situés au Liechtenstein.

[29]        Les questions posées par l’appelante et reproduites au début des présents motifs sont des questions pertinentes. L’appelante a le droit de savoir qui, selon les allégations de l’intimée, a exercé la gestion et le contrôle, de même que la manière selon laquelle cette personne ou ce groupe de personnes a exercé cette gestion et ce contrôle, qu’il s’agisse d’un contrôle de droit ou de fait ou autrement. Les réponses de l’intimée aux questions 2 et 3, selon lesquelles des précisions ne seront pas fournies parce que l’appelante n’a pas le droit d’obtenir des éléments de preuve, ne sont pas des réponses satisfaisantes. Il est enjoint à l’intimée de fournir les précisions demandées par l’appelante aux questions 2 et 3 dans les 60 jours, à moins que, pendant cette période, elle modifie sa réponse pour radier l’allégation relative à la résidence.

[30]        En ce qui a trait à la question 1, je conclus que l’intimée y a répondu en déclarant en fait que la « période pertinente » était la période pertinente pour le rachat d’actions. Ce rachat d’actions donne évidemment lieu à un dividende réputé selon la Loi, donnant ainsi naissance à l’obligation de retenue de l’appelante qui est en cause en l’espèce. Il m’apparaît clairement que la période pertinente donnant lieu au dividende réputé est la période de rachat d’actions.

[31]        En ce qui a trait aux dépens dans la présente affaire, l’appelante sollicite la somme de 9 000 $, quelle que soit l’issue de la cause, même si, au cours des débats, elle a mentionné que le montant de ses frais jusqu’à maintenant concernant la présente requête s’élevait à un total d’environ 20 000 $. L’intimée n’a pas contesté ce montant précis demandé au cours de l’argumentation. Bien que je souscrive entièrement à l’argument de l’appelante selon lequel la présente requête n’aurait pas été nécessaire si l’intimée avait dûment fourni les précisions demandées, l’appelante a également sollicité et fait valoir sans succès, à titre de redressement radical, la radiation de l’allégation subsidiaire en cause. Même si, en fin de compte, l’appelante a connu un succès mitigé, je souligne le fait que l’appelante a clairement déclaré au début de la présente requête qu’elle n’irait pas de l’avant si le ministre acceptait de fournir les précisions demandées. L’intimée a refusé de le faire, à mon avis, sans justification raisonnable, rendant ainsi la présente requête nécessaire. L’appelante a clairement établi que les précisions demandées étaient tout ce qu’elle souhaitait. Le droit en matière de précisions est bien établi et clair, et les arguments de l’intimée allant à l’encontre de ce droit étaient, à vrai dire, très peu convaincants. En conséquence, j’ordonne que l’intimée verse à l’appelante des dépens fixés à 8 000 $, quelle que soit l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2015.

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de juillet 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 27

No dU dossier DE LA COUR :

2014-1875(IT)G

Intitulé :

Lancan Investments Inc. c. La Reine

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 janvier 2015

Motifs de l’ordonnance :

L’honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 3 février 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Mark Tonkovich

Avocats de l’intimée :

Me Luther P. Chambers, c.r.

Me Martin Beaudry

Avocats inscrits au dossier :

Pour l’appelante :

Nom :

Mark Tonkovich

 

Cabinet :

Baker & McKenzie LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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