Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2012-466(IT)G

ENTRE :

JIM BRASSARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu les 19 et 20 janvier 2015, à
Prince George (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

 

JUGEMENT

CONFORMÉMENT AUX motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de l’avis de cotisation no 787285, daté du 17 novembre 2009, est rejeté.

LES DÉPENS SONT ADJUGÉS en faveur de l’intimée et fixés à 2 500 $, sauf si, comme il est décrit dans les motifs du jugement, la Cour reçoit par ailleurs des observations dans les 30 jours suivant le présent jugement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2015.

« R. S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juillet 2015.

François Brunet, réviseur


Référence : 2015 CCI 29

Date : 20150206

Dossier : 2012-466(IT)G

ENTRE :

JIM BRASSARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. Introduction

[1]             L’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») interdit aux contribuables débiteurs de transférer des biens à une partie liée, sauf si ces biens sont cédés à leur juste valeur marchande pour une contrepartie adéquate. La Loi atteint cet objectif en autorisant le ministre à tenir à la fois la partie qui transfère les biens et leur bénéficiaire conjointement responsables de la dette fiscale de l’auteur du transfert. En général, selon l’article 160 de la Loi, il y a quatre exigences à réunir pour pouvoir établir avec succès une cotisation :

1.                 l’existence de la dette fiscale;

2.                 le fait qu’un transfert a eu lieu;

3.                 l’existence d’un lien quelconque entre les parties;

4.                 les parties sont conjointement responsables dans la mesure où la somme payée par le bénéficiaire à l’auteur du transfert est inférieure à la juste valeur marchande des biens au moment du transfert.

[2]             Dans la présente affaire, c’est la dernière exigence qui fait l’objet d’un appel devant la Cour. L’appelant conteste la présomption du ministre concernant la juste valeur marchande du bien à la date du transfert et son exactitude. Le second motif d’appel consiste à savoir si l’appelant a payé pour le bien une contrepartie supérieure à la juste valeur marchande et, dans l’affirmative, de combien.

II. Faits

[3]             L’affaire dont la Cour est saisie concerne deux frères : l’appelant, Jim Brassard (« Jim »), et le débiteur fiscal, Victor Brassard (« Victor »). En mars 2002, Jim a transféré à Victor un terrain, désigné ainsi : 16065, chemin Grunerud, Prince George (Colombie-Britannique) (le « terrain de Grunerud »). La valeur marchande indiquée du terrain, au moment du transfert, était de 50 000 $.

[4]             Au cours de l’année 2003, Jim a fait l’objet d’une requête en faillite, et il a été libéré de sa faillite en 2004. La même année, il a fait l’achat d’une maison mobile d’une valeur d’environ 25 000 $. Le 20 octobre 2005, Victor, propriétaire du terrain de Grunerud depuis que Jim le lui avait transféré en 2002, a transféré de nouveau ce terrain à Jim. Dans le document de transfert foncier proprement dit, la juste valeur marchande du terrain qui y était inscrite s’élevait à 50 000 $.

[5]             Malheureusement, au moment du transfert, Victor était redevable au ministre du Revenu national d’une somme d’environ 49 703,36 $. À la date de la cotisation, quand le ministre a établi à l’endroit de Jim la cotisation fondée sur l’article 160, le montant de la dette fiscale, des pénalités et des intérêts à payer en vertu de la partie 1 de la Loi que Victor devait au ministre s’élevait à 66 264,37 $ (la « dette fiscale ayant fait l’objet d’une cotisation »).

[6]             Entre l’année 2002 (où Jim a d’abord transféré le terrain à Victor) et la date de la cotisation, en 2009, de nombreuses améliorations ont été apportées au terrain de Grunerud :

1.                 la construction d’un hangar/d’une installation d’entreposage;

2.                 les agencements et les améliorations liées à la mise en place d’une maison mobile habitable et fixe;

3.                 la construction d’autres dépendances;

4.                 la réalisation d’autres travaux d’aménagement paysager, dont une route d’accès plus convenable.

III. Droit applicable

[7]             L’arrêt clé portant sur l’article 160 est Canada c. Livingston, 2008 CAF 89 (« Livingston »), dans lequel figure, au paragraphe 17, le résumé suivant :

Étant donné la signification claire des termes du paragraphe 160(1), les critères dont dépend le déclenchement de son application se révèlent évidents :

1)         L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

2)         Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon.

3)         Le bénéficiaire du transfert doit être :

i.          soit l'époux ou conjoint de fait de l'auteur du transfert au moment de celui‑ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

ii.         soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

iii.        soit une personne avec laquelle l'auteur du transfert avait un lien de dépendance.

4)         La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

[8]             L’application de l’article 160 a été interprétée de façon à la fois générale et claire. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait intention d’éluder ou de retarder l’impôt, ou de frauder le ministre : Sa Majesté la Reine c. Rose, 2009 CAF 93, au paragraphe 28. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un avantage à tirer de l’opération : Bergeron-Fontaine c. Sa Majesté la Reine, 88 DTC 1624, au paragraphe 11.

[9]             Par conséquent, d’après le sommaire le plus récent présenté dans l’arrêt Livingston, si la contrepartie payée ou offerte est inférieure à la juste valeur marchande du bien transféré, le bénéficiaire est donc redevable au ministre du moindre de la dette fiscale ou de la différence entre la contrepartie payée et la juste valeur marchande du bien transféré.

IV. Observations de l’appelant

[10]        Devant la Cour, Jim conteste la juste valeur marchande du terrain de Grunerud qui, d’après la présomption du ministre, s’élève à 120 600 $ à la date du transfert. De plus, il conteste le montant de la contrepartie payée pour ce bien à la date du transfert.

[11]        Plus précisément, en ce qui concerne la juste valeur marchande, Jim conteste la cotisation au motif que cette valeur est inférieure au montant de 120 600 $ présumé par le ministre. À son avis, l’évaluation est erronée, car la personne qui l’a faite, et qui a témoigné à titre d’experte au procès :

1.                 n’était pas de la région;

2.                 ne connaissait pas suffisamment les terrains qu’elle avait utilisés comme éléments de comparaison dans le cadre de l’évaluation;

3.                 a utilisé un rôle d’évaluation sous-jacent qui indiquait la valeur de l’année suivante;

4.                 a commis des erreurs à propos du nombre de maisons mobiles qui se trouvaient sur place en 2011 quand elle a examiné matériellement le terrain de Grunerud depuis la réserve pour chemin adjacente, mais sans se rendre sur les lieux.

[12]        Deuxièmement, en ce qui concerne la juste valeur marchande, Jim soutient que l’évaluation sous-jacente de l’Autorité évaluatrice de la Colombie-Britannique est erronée, car le calcul inclut la valeur de la maison mobile de Jim qui est située sur le terrain, à un moment où cette maison mobile n’appartenait pas au propriétaire du terrain, Victor.

[13]        Pour ce qui est de la contrepartie réelle que Jim a payée à Victor, contrepartie qui, d’après le ministre, n’était pas supérieure à 50 000 $, Jim a exposé devant la Cour les observations suivantes pour montrer que la contrepartie payée était supérieure à ce montant :

1.                 Jim a payé le prêt hypothécaire sur le terrain de Grunerud avant son transfert;

2.                 Jim a effectué de nombreux milliers de dollars d’améliorations au terrain de Grunerud entre le moment où il l’a transféré à Victor et celui où Victor le lui a transféré de nouveau, des améliorations à l’égard desquelles des reçus suffisants ont été fournis pour justifier cette hausse de la contrepartie;

3.                 Jim a détruit la totalité des autres reçus qu’il détenait sur les dépenses faites à l’égard du terrain de Grunerud, présumant, d’après les conversations qu’il avait eues avec des représentants de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), que toutes les questions liées à la cotisation fondée sur l’article 160 avaient été réglées.

V. Analyse

[14]        L’appel est rejeté, et ce, par les motifs qui suivent.

[15]        Selon l’évaluation exacte qu’a faite Kathryn Kettner, évaluatrice en poste à l’ARC, a déterminé avec exactitude que le terrain de Grunerud avait une juste valeur marchande de 175 000 $. En faisant état de ses présomptions dans l’avis de cotisation, le ministre a accordé à Jim un crédit de 54 400 $ pour sa maison mobile et les améliorations connexes effectuées sur le terrain. C’est ce qu’illustre la présomption du ministre selon laquelle la valeur du terrain et des améliorations, exclusion faite de la maison mobile, propriété de Victor à la date du transfert, était de 120 600 $. La thèse selon laquelle la maison mobile située sur les lieux a été incluse dans cette valeur n’est tout simplement pas logique, car elle a été expressément et délibérément exclue par le ministre dans l’évaluation qui a servi à établir la cotisation fondée sur l’article 160.

[16]        Pour ce qui est de l’évaluation que l’Autorité évaluatrice de la Colombie‑Britannique (l’« AECB ») a faite du terrain de Grunerud, il a été clairement prouvé à la Cour que l’évaluation relative au terrain transféré en 2005 a été incluse dans l’évaluation faite par l’AECB en 2006, un an en retard. Elle indique donc avec raison que le terrain et les améliorations (exclusion faite de la maison mobile) avaient une valeur d’environ 126 000 $ en 2005. Par ailleurs, le ministre avait prévu une réduction additionnelle de la juste valeur marchande de 5 400 $, ce qui donnait une valeur présumée finale, en 2005, de 120 600 $ pour le terrain transféré.

[17]        De plus, Jim n’a pas présenté de preuve contraire concernant d’autres évaluations, menées au cours de la période de 2005 ou à la date de transfert, qui donneraient à penser que le terrain de Grunerud, exclusion faite de la maison mobile, valait moins que 120 600 $. Sur le plan factuel, la preuve anecdotique que Jim a produite avait trait à des cotisations établies en 1998 et en 2002, soit les années où il avait acheté et transféré pour la première fois le terrain de Grunerud. Il convient de signaler qu’à ces dates de transfert, indépendamment du fait qu’elles remontaient à plusieurs années plus tôt, ces évaluations ne tenaient pas compte - et ne pouvaient pas tenir compte - des présumées améliorations effectuées au terrain de Grunerud par Jim après 2002, mais avant la date du transfert.

[18]        Pour ce qui est de la deuxième thèse, à savoir que la contrepartie payée par Jim était supérieure à 50 000 $, il n’a été produit aucun élément de preuve tendant à établir qu’il avait payé une hypothèque enregistrée n’a été produite. Quant aux nombreux milliers de dollars que Jim prétend avoir payés pour des améliorations apportées au terrain de Grunerud entre 2002 et la date du transfert, les reçus produits devant la Cour ne totalisent qu’une somme d’au plus 13 067,90 $. En fait, la Cour a calculé ces mêmes dépenses et a conclu que sur cette somme de 13 067,90 $, il est vraisemblable qu’une somme de plus de 11 267,00 $, soit la grande majorité de ces dépenses, avait trait à des améliorations concernant la maison mobile que Jim avait fait mettre en place sur le terrain à la fin de 2004. Comme il a été indiqué, le prix d’achat de la maison mobile s’élevait à 25 000 $ et le ministre a ajouté un montant équivalent pour les améliorations relatives à cette maison. Cette somme de 54 400 $ a ensuite été déduite de la valeur marchande présumée du bien à la date de transfert. Il semble donc que Jim ait compté en double une part importante des montants apparaissant dans les reçus produits.

[19]        Il y avait une preuve que Jim avait payé à Victor la somme de 27 000 $ par voie de traites bancaires aux environs de la date de transfert pour le terrain de Grunerud. Après avoir accordé à Jim un crédit pour cette somme de 27 000 $ et aussi la somme susmentionnée de 13 067,90 $, et après avoir déduit ces sommes de la valeur marchande de 120 600 $, il reste un déficit de contrepartie de 80 532,10 $. La Cour signale que les montants que Jim a suggérés, 27 000 $ et 13 067,90 $, comme contrepartie payée pour laquelle il existe des reçus sont nettement inférieurs aux 50 000 $ de contrepartie que le ministre lui a crédités au moment de calculer et d’établir la cotisation fondée sur l’article 160. En conséquence, après avoir accordé le meilleur poids possible à la propre preuve documentaire de Jim, on peut dire que le déficit de contrepartie payée est supérieur à la dette fiscale établie par la cotisation fondée sur l’article 160. Fait tout aussi important, ce déficit est nettement supérieur à la dette fiscale initiale qui était à payer à la date du transfert, soit 49 703,36 $.

[20]        Enfin, la thèse de Jim selon laquelle le fait qu’il ait détruit d’autres reçus lui a été préjudiciable, après s’être fondé sur les assurances données par des agents de l’ARC qu’il n’y aurait pas d’autres mesures au sujet de l’article 160, est tout simplement indéfendable. Il n’a été produit élément de preuve objectif au procès ni de reconnaissance de la part de témoins de l’ARC qu’il y avait eu une conversation quelconque, encore moins en ce sens. La Cour ne peut donc pas considérer que la décision de Jim de détruire des reçus qui, prétend-il, auraient été une preuve de dépenses additionnelles concernant le terrain de Grunerud, est une preuve de l’existence des reçus ou du montant de la contrepartie.

VI. Conclusion et dépens

[21]        Au vu de ce qui précède, la Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve qui réfute les présomptions du ministre selon lesquelles la juste valeur marchande du bien transféré, au 20 octobre 2005, n’était pas inférieure à 120 600 $, ou que la contrepartie payée par Jim à Victor était supérieure à 50 000 $. De ce fait, la cotisation fondée sur le paragraphe 160(1) et datée du 17 novembre 2009 qui s’applique à la dette fiscale est maintenue, et l’appel rejeté.

[22]        Comme aucun interrogatoire n’a eu lieu en l’espèce et compte tenu de la manière relativement simple dont le contentieux a été mené par l’appelant, les dépens sont adjugés à l’intimée, mais fixés à 2 500 $. L’une ou l’autre des parties aura le droit de présenter à la Cour des observations écrites supplémentaires sur les dépens dans les 30 jours qui suivront.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2015.

« R. S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juillet 2015.

François Brunet, réviseur.


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 29

No DE DOSSIER DE LA COUR :

2012-466(IT)G

INTITULÉ :

JIM BRASSARD ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Prince George (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 19 et 20 janvier 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 février 2015

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.