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Dossier : 2014-1244(IT)G

 

ENTRE :

GLEN FRENCH, ET TOUTES LES PERSONNES ÉNUMÉRÉES À L'ANNEXE « A » CI‑JOINTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


 

Requête entendue le 27 novembre 2014, à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me A. Christina Tari

Me Leonard Puterman

 

Avocats de l'intimée :

Me John Grant

Me Arnold H. Bornstein

Me Lindsay Beelen

 

ORDONNANCE

          Conformément aux motifs ci‑joints, la Cour ordonne :

1.       Les passages suivants qui figurent dans l'avis d'appel de Glen French, ainsi que tous les passages identiques figurant dans les avis d'appel des appelants énumérés à l'annexe A, peu importe que les numéros de paragraphe soient différents, sont par la présente radiés :

a)       les références faites au Code civil du Québec et à la Loi d'interprétation, au paragraphe 18;

b)      les paragraphes 23, 24, 25 et 26;

c)       le passage [TRADUCTION] « ou, subsidiairement, au motif que l'appelant était en droit de déduire la partie des crédits d'impôt attribuable à la partie des dons excédant tout avantage ou rémunération que l'appelant a reçu pour ces dons », à la page 6 de l'avis d'appel modifié.

2.       L'intimée déposera la réponse dans les 30, 60 ou 90 jours suivant la décision définitive sur la présente requête, selon le délai indiqué à l'annexe A; cette décision définitive sera la décision ultime que rendra la Cour, la Cour d'appel fédérale ou la Cour suprême du Canada.

3.       L'intimée a droit à des dépens d'un montant global de 2 500 $, inclusion faite des débours, dans les 45 jours suivant la décision définitive sur la présente requête, comme définie ci‑dessus.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de février 2015.

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juillet 2015.

Yves Bellefeuille, réviseur



ANNEXE A

No

Appelant ou appelante

No du dossier de la Cour

Délai de réponse

1

AGOZZINO, Giovanni

2014-2774(IT)G

30 jours

2

ARNOLD, Mark

2014-3347(IT)G

60 jours

3

BERNSTEIN, Harry

2014-3423(IT)G

90 jours

4

BERNSTEIN, Martin

2014-3422(IT)G

90 jours

5

BERTOLACCI, Maria

2014-3588(IT)G

60 jours

6

BERTOLACCI, Paolo

2014-3590(IT)G

60 jours

7

BRAGANZA, Christabel G.

2014-2879(IT)G

30 jours

8

BROWN, David

2014-3083(IT)G

30 jours

9

CAVANAGH-WILLIAMS, Suzanne

2014-2880(IT)G

30 jours

10

CLARK, David

2014-2878(IT)G

30 jours

11

CLARK, Elena

2014-3432(IT)G

90 jours

12

COOK, Steve

2014-1243(IT)G

30 jours

13

CORVINELLI, Michael

2014-3433(IT)G

90 jours

14

COUTURE, Daniel

2014-1384(IT)G

30 jours

15

ELLIS, John K.

2014-3498(IT)G

60 jours

16

FRENCH, Glen

2014-1244(IT)G

30 jours

17

GAZDIK, Theodore

2014-1242(IT)G

30 jours

18

GOLDMAN, Barry

2014-3288(IT)G

60 jours

19

HAMILTON, Alan J.

2014-1375(IT)G

30 jours

20

HENNICK, Darryl

2014-3431(IT)G

90 jours

21

HUNTER, Ronald

2014-3428(IT)G

90 jours

22

KADEY, Moss

2014-3289(IT)G

60 jours

23

KHUBYAR, Edna

2014-3427(IT)G

90 jours

24

LABERGE, Sirkka

2014-2652(IT)G

30 jours

25

LIBURDI, Joseph

2014-3346(IT)G

60 jours

26

MacINTOSH, Ronald E.

2014-1373(IT)G

30 jours

27

MARTEL, Jean

2014-3287(IT)G

60 jours

28

MASON, Wesley

2014-1382(IT)G

30 jours

29

MATHESON, Brian

2014-1383(IT)G

30 jours

30

McCORMICK, John

2014-1904(IT)G

30 jours

31

McCORMICK, Mary

2014-2649(IT)G

30 jours

32

McMILLAN, Shane

2014-1376(IT)G

30 jours

33

PEDDIE, Melvin

2014-3424(IT)G

90 jours

34

PEMBERTON, Arthur

2014-3348(IT)G

60 jours

35

PITCH, Harvin

2014-3349(IT)G

60 jours

36

PRUTIS-MISTERSKA, Krystyna

2014-2299(IT)G

30 jours

37

RASHID, Suleiman

2014-3430(IT)G

90 jours

38

REDMOND, Andrew

2014-1380(IT)G

30 jours

39

RINGEL, Ian

2014-1379(IT)G

30 jours

40

ROSS, Stephen

2014-2773(IT)G

30 jours

41

RUSSET, James P.

2014-1378(IT)G

30 jours

42

SAUGSTAD, Gregory

2014-1177(IT)G

30 jours

43

SOLWAY, Stephen H.

2014-3429(IT)G

90 jours

44

TABAC, Ivan

2014-2651(IT)G

30 jours

 



Référence : 2015 CCI 35

Date : 20150211

Dossier : 2014-1244(IT)G

ENTRE :

GLEN FRENCH, ET TOUTES LES PERSONNES ÉNUMÉRÉES À L'ANNEXE « A » CI‑JOINTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 [TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge C. Miller

[1]             La présente requête, que l'intimée dépose en vertu de l'alinéa 53(1)d) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »), a trait à la totalité des appelants, soit M. Glen French et toutes les personnes énumérées à l'annexe « A » ci‑jointe. Lorsque je ferai référence aux paragraphes d'un avis d'appel modifié, il s'agira de l'avis d'appel modifié de M. Glen French. L'intimée sollicite :

[TRADUCTION]

1.         une ordonnance radiant les passages suivants de l'avis d'appel modifié du 30 mai 2014, et ce, sans autorisation de modification :

a)         les références faites au Code civil du Québec et à la Loi d'interprétation, au paragraphe 18;

b)         les paragraphes 23, 24, 25 et 26;

c)         le passage [TRADUCTION] « ou, subsidiairement, au motif que l'appelant était en droit de déduire la partie des crédits d'impôt attribuable à la partie des dons excédant tout avantage ou rémunération que l'appelant a reçu pour ces dons », à la page 6 de l'avis d'appel modifié;

2.         une ordonnance prorogeant à trente jours à compter de la date de la décision définitive sur la présente requête le délai dans lequel l'intimée peut déposer sa réponse à l'avis d'appel modifié;

3.         les dépens de la présente requête;

4.         tout autre redressement que l'avocat peut demander et que la Cour considère comme juste.

[2]             Les appels dont il est question en l'espèce portent tous sur la même question, soit le droit des appelants à des crédits d'impôt en lien avec de prétendus dons versés à Ideas Canada Foundation, un organisme de bienfaisance enregistré. Le droit à un don semblable que Mme Kossow avait versé à Ideas Canada Foundation a été refusé par la Cour canadienne de l'impôt, dont la décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale (Kossow c. La Reine, 2013 CAF 283) (l'« appel Kossow »). Les appelants ont ajouté dans leurs avis d'appel des prétentions que Mme Kossow n'avait pas présentées, et ils souhaitent qu'on leur donne la possibilité de les invoquer. L'une des prétentions est celle que l'intimée souhaite voir radiée au motif qu'il est évident et manifeste qu'elle n'a aucune chance de succès.

[3]             Les passages des avis d'appel qui comprennent la prétention que l'on souhaite voir radiée sont des références au Code civil du Québec et à la Loi d'interprétation (la « Loi ») (articles 8.1 et 8.2) ainsi que les paragraphes qui suivent :

[TRADUCTION]

23.       Subsidiairement, l'appelant devrait avoir droit à une déduction pour la partie de chacun des dons qui excédait la valeur de tout avantage ou rémunération tiré de chacun des dons (exclusion faite de la valeur de tout avantage fiscal).

24.       Selon le droit civil, l'article 1810 du CCQ prévoit expressément que « [l]a donation rémunératoire [...] vaut donation [...] pour ce qui excède la valeur de la rémunération [...] ». En conséquence, dans la mesure où les prêts ou un aspect quelconque de ceux‑ci pouvaient constituer une rémunération pour l'appelant, les dons moins la rémunération constituaient une « donation » au Québec par l'application des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation.

25.       Si l'appelant avait résidé au Québec lors des années d'imposition, il aurait sans aucun doute eu droit, en vertu de l'article 118.1 de la Loi, à la déduction de la partie des dons qui excédait la rémunération.

26.       Le législateur n'a pas envisagé que l'article 118.1 de la Loi produise, pour les contribuables du Québec, des résultats radicalement différents qui ne s'appliqueraient pas aux contribuables du reste du Canada.

[4]             Aucun des appelants n'a versé les présumés dons au Québec.

[5]             Il ressort clairement de la jurisprudence que, pour radier un acte de procédure en application du paragraphe 53(1) des Règles de la Cour, il doit être évident et manifeste que cet acte de procédure n'a aucune chance de succès.

[6]             Fait partie intégrante de la présente affaire l'invocation des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation :

8.1       Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

8.2       Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes.

[7]             En bref, l'intimée estime qu'étant donné que le mot « don » n'est pas défini dans la Loi de l'impôt sur le revenu, il est nécessaire de se tourner vers les règles de droit en matière de propriété et de droits civils d'une province qui régiraient la notion d'un don. Avec l'introduction des articles 8.1 et 8.2 de la Loi en 2001, par l'adoption de la Loi d'harmonisation, il est évident, d'après le principe de la complémentarité, que le mot « donation », tel qu'il est défini au Québec, doit s'appliquer à cette province à l'égard de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et que le mot « don », tel qu'il est défini dans les ressorts de common law, doit s'appliquer à ces ressorts à l'égard de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. En bref, la définition codifiée d'une donation, au Québec, ne peut s'appliquer au reste du Canada, et vice‑versa.

[8]             Cela reconnaît la possibilité qu'une loi fédérale peut avoir des résultats différents dans des ressorts différents. Même avant l'adoption des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation, les tribunaux avaient reconnu cette possibilité, comme en fait foi le commentaire du juge Décary dans l'arrêt St‑Hilaire c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 63, [2001] 4 C.F. 289, au paragraphe 49 :

C'est la Constitution même du Canada qui prévoit que des lois fédérales aient des effets qui soient différents selon qu'elles trouvent application au Québec ou dans les autres provinces. En assurant la perpétuité du droit civil au Québec et en encourageant, à l'article 94, l'uniformisation des lois des provinces autres que le Québec en ce qui concerne la propriété et les droits civils, la Loi constitutionnelle de 1867 consacre au Canada le principe fédéral selon lequel une loi fédérale qui recourt à une source de droit privé externe ne s'appliquera pas nécessairement de façon uniforme à travers le pays. C'est ignorer la Constitution que d'associer de manière systématique toute législation fédérale et common law.

[9]             Il n'est nul besoin, selon moi, d'examiner plus avant l'argument de l'intimée : il est évident que les articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation sont, de l'avis de l'intimée, une réponse complète.

[10]        La position des appelants est que l'intimée, si elle veut faire radier des actes de procédure, doit surmonter un fardeau très élevé. Elle doit en fait montrer que la position des appelants est sans espoir. L'avocat des appelants soulève un certain nombre de points pour faire valoir qu'il existe un argument qui est loin d'être sans espoir. Je souhaite analyser plus en détail l'argument des appelants car, à première vue, je trouve la position de l'intimée inattaquable.

[11]        Les appelants disent tout d'abord qu'il s'agit d'un argument nouveau, c'est‑à‑dire que la Cour canadienne de l'impôt peut se tourner vers le droit québécois pour aider à définir ce qu'est un don dans les ressorts de common law, si ce terme n'est pas clairement défini. Ils ajoutent que cela est particulièrement opportun lorsque le domaine juridique en cause est en voie d'évolution, ce qui est le cas des répercussions du bijuridisme en général. Ils renvoient à des décisions datant d'avant l'adoption des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation (R. c. Littler, [1978] C.T.C. 235, [1978] F.C.J. No 124 (QL), et Gervais c. La Reine, 85 D.T.C. 5004), lesquelles dénotent que les tribunaux sont disposés à opter pour un traitement fiscal équitable d'un bout à l'autre du pays. Ils font également référence à des commentaires du professeur David Duff sur cette question précise. Enfin, ils sont d'avis que l'on peut faire valoir que le changement légal qu'a apporté le gouvernement le 20 décembre 2002 clarifie que le législateur a toujours voulu que la définition québécoise d'une donation rémunératoire s'applique à l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[12]        Je traiterai en premier lieu de la prétention des appelants selon laquelle les tribunaux ne doivent pas rester sourds aux arguments nouveaux. Ils citent l'affaire Dudley c. Colombie‑Britannique, 2013 BCSC 1005, à titre d'exemple de la disposition d'un tribunal à retenir des arguments nouveaux. Il était question dans cette affaire d'une déclaration fondée sur l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés qu'une mère souhaitait obtenir au nom de sa fille décédée. Elle s'était fondée sur de la jurisprudence étrangère et internationale en matière de droits de la personne ainsi que sur l'évolution de la jurisprudence portant sur l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés pour faire valoir que les tribunaux pouvaient réexaminer des décisions jurisprudentielles. La Cour a qualifié cet argument de nouveau, mais défendable, et elle n'a pas radié l'acte de procédure qui était en litige.

[13]        Ceci étant dit avec égards, la situation à laquelle j'ai affaire est différente. La position des appelants est peut‑être nouvelle, mais je suis d'avis que le fait de se fonder sur des lois du Québec pour interpréter la common law, quand cette dernière est claire, n'est pas défendable. Vers la fin du siècle dernier, le bijuridisme était un projet fédéral important, et il a effectivement mené à la Loi sur l'harmonisation qui a permis d'adopter les articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation. Il n'est pas demandé de réexaminer ces dispositions. Ce que l'on souhaite obtenir, c'est une interprétation de ces dispositions et au nom, peut‑être, de la complémentarité, une interprétation qui va carrément à leur encontre. J'ai lu les articles du professeur Duff et de Marc Cuerrier, de Sandra Hassan et de Marie‑Claude Gaudreault et je conclus que la complémentarité n'est pas synonyme d'uniformité, ce qui, en fait, est le résultat que les appelants souhaitent obtenir. Le professeur Duff dit clairement que les nouvelles règles (les articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation) ont pour but de veiller à ce que l'on n'applique pas le droit du Québec au reste du Canada, et que l'on n'applique pas la common law au Québec, dans les cas où entrent en jeu des concepts de droit privé des deux régimes juridiques, ce qui est exactement le cas en l'espèce. Le professeur Duff indique explicitement aussi que des affaires telles que Littler et Gervais, qu'invoquent les appelants, sont [TRADUCTION] « des décisions dans lesquelles les tribunaux ont dissocié le sens du mot “don” dans la Loi de l'impôt sur le revenu de celui que donne à ce terme le droit civil du Québec [...] et il n'y a donc pas lieu de les entériner ».

[14]        Je n'ai rien lu dans ce que les appelants m'ont fourni qui donne à penser, indépendamment peut‑être des attentes des contribuables, que l'uniformité est un principe du bijuridisme. Cela n'est pas son objectif et rien de ce qui m'a été présenté ne dénote que l'évolution du bijuridisme s'oriente dans cette direction. La prétention des appelants selon laquelle le législateur n'envisageait pas que l'article 118.1 de la Loi produise des résultats radicalement différents n'a tout simplement aucun fondement dans la loi, même si cela peut sembler conforme au bon sens. Il ne s'agit pas d'un argument.

[15]        Les appelants cherchent appui dans le préambule de la Loi d'harmonisation :

Attendu :

que tous les Canadiens doivent avoir accès à une législation fédérale conforme aux traditions de droit civil et de common law;

que la tradition de droit civil de la province de Québec, qui trouve sa principale expression dans le Code civil du Québec, témoigne du caractère unique de la société québécoise;

qu'une interaction harmonieuse de la législation fédérale et de la législation provinciale s'impose et passe par une interprétation de la législation fédérale qui soit compatible avec la tradition de droit civil ou de common law, selon le cas;

que le plein épanouissement de nos deux grandes traditions juridiques offre aux Canadiens des possibilités accrues de par le monde et facilite les échanges avec la grande majorité des autres pays;

que, sauf règle de droit s'y opposant, le droit provincial en matière de propriété et de droits civils est le droit supplétif pour ce qui est de l'application de la législation fédérale dans les provinces;

que le gouvernement du Canada a pour objectif de faciliter l'accès à une législation fédérale qui tienne compte, dans ses versions française et anglaise, des traditions de droit civil et de common law;

qu'en conséquence, le gouvernement du Canada a institué un programme d'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec pour que chaque version linguistique tienne compte des traditions de droit civil et de common law,

[16]        Comme je l'ai mentionné, rien dans ce préambule n'invite quiconque, à titre d'interprète d'une loi fédérale, à écarter la common law en faveur du droit civil, ou vice-versa : en fait, c'est tout le contraire.

[17]        L'argument des appelants repose sur le principe selon lequel, s'il y a incertitude dans la common law, il est possible de se tourner vers le droit civil. Aucune source qui laisse entendre cela ne m'a été fournie. Quoi qu'il en soit, cela repose sur la perception des appelants qu'un « don », même s'il est clairement défini en droit civil, est ambigu en common law. Là encore, ceci étant dit avec égards, je ne souscris pas à cette idée. Le simple fait que le régime de common law n'ait pas de définition codifiée d'un don ne veut pas dire que ce mot n'a pas été clairement défini. Il existe une foule de décisions de common law qui ont très clairement établi ce que requiert un don en common law, et c'est la décision R. c. Friedberg, [1991] A.C.F. no 1255 (QL), 92 D.T.C. 6031 (C.A.F.), qui a été adoptée dans un arrêt plus récent, Maréchaux c. La Reine, 2010 CAF 287, qui l'énonce de la manière la plus succincte qui soit :

[...] un don est le transfert volontaire du bien d'un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d'avantage ni de contrepartie. [...]

[18]        Il n'y a pas d'incertitude. Il n'y a pas d'ambiguïté. Il n'est pas nécessaire de chercher assistance auprès de ressorts de droit civil, au Québec ou ailleurs, même si un tel principe existait. Là encore, je ne vois aucun argument à invoquer.

[19]        D'après les appelants, la common law reconnaît depuis longtemps le concept du fractionnement des reçus (voir, par exemple, Woolner c. La Reine, [1997] A.C.I. no 1395 (QL)). Je présume que l'on invoque cet argument pour me convaincre du caractère nébuleux de la notion de don en common law. Le fait de se fonder sur la décision Woolner ne justifie pas que l'on se tourne vers le droit québécois, et cela est davantage lié à l'opinion qu'ont les appelants du bien‑fondé des arrêts Maréchaux, Kossow, et R. c. Berg, 2014 CAF 25. Là encore, cela ne m'amène certes pas à conclure que le sens d'un « don » en common law suscite une incertitude quelconque.

[20]        L'avocat des appelants soutient qu'il existe un argument fondé sur les principes de l'équité horizontale et verticale, citant à cet effet l'arrêt de la Cour suprême du Canada Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 738 :

Sur ce dernier point, je tiens à faire remarquer qu'à l'intérieur d'un régime fiscal orienté, au moins en partie, vers le maintien d'une équité verticale et horizontale (l'équité horizontale exige simplement que les « égaux » soient traités également; le terme « égaux » étant l'égalité quant à la capacité de payer et [TRADUCTION] « l'équité verticale exige simplement que l'incidence du fardeau fiscal repose davantage sur les riches que sur les pauvres » : V. Krishna, « Perspectives on Tax Policy » dans Essays on Canadian Taxation [...]

[21]        Ce concept ne découle toutefois pas du bijuridisme. On confond à tort les principes en laissant entendre que l'équité horizontale signifie que les résidants de Gatineau, soumis au droit civil québécois, doivent être traités de la même façon que les résidants d'Ottawa, soumis à la common law, à la condition que leur capacité de payer soit égale. Cet argument esquive tout simplement la question du bijuridisme. Il présuppose que les circonstances sont semblables, alors qu'elles ne le sont pas : elles sont régies par deux systèmes juridiques différents. C'est de cela dont il est question.

[22]        Je ne vois rien qui justifierait un argument qui étendrait la définition d'une donation en droit civil à l'avantage des contribuables soumis à la common law pour les besoins du crédit d'impôt pour don de bienfaisance. La position des appelants à l'égard de cet argument est sans espoir.

[23]        La loi fédérale a été modifiée le 20 décembre 2002 par l'ajout des paragraphes 248(3) à (32) à la Loi de l'impôt sur le revenu, faisant ainsi droit à un crédit d'impôt pour certains « dons » qui ne seraient pas valides selon le droit privé uniquement parce que le contribuable aurait reçu un avantage pour les avoir faits. Cette situation reflète plus clairement le concept québécois de la donation rémunératoire. Cela dissocie du point de vue légal le sens d'un don en common law de la loi fédérale. Si l'on applique l'article 8.1 de la Loi d'interprétation à ce nouveau régime, on peut maintenant se fonder sur les mots « sauf règle de droit s'y opposant », comme la Loi le prescrit maintenant. Avant le 22 décembre 2002, ce n'était pas le cas, ce qui confirme la futilité de l'argument des appelants. Comme l'a fait remarquer l'intimée, si le législateur veut garantir des résultats uniformes, il peut déroger au droit privé provincial, ce qui est exactement ce qu'il a fait avec les modifications de 2002. Il n'appartient pas à la Cour d'imposer une uniformité, pas même dans les cas où celle‑ci est fondée sur des attentes non déraisonnables de contribuables, quand les règles d'interprétation prescrivent clairement le contraire.

[24]        Le dernier point que soulèvent les appelants est que ces modifications clarifient le droit existant plutôt que de le modifier. Là encore, il n'y a pas d'argument. Même dans ses propres notes explicatives sur les modifications, le ministère des Finances reconnaît qu'une vente à un prix inférieur à la juste valeur marchande pourrait être traitée en partie comme un don en droit civil, mais non en common law. Les modifications ont clairement changé le droit en faisant état des situations dans lesquelles le crédit d'impôt pour don de bienfaisance sera disponible, même si le contribuable donateur a reçu un avantage.

[25]        Selon les appelants, le simple nombre de décisions et de documents présentés lors de la requête ne peut mener qu'à la conclusion qu'il doit exister un argument quelconque, que la position n'est pas sans espoir. C'est le fond qui est en cause, et non la quantité. J'ai indiqué au départ qu'à mon avis, à première vue, la position de l'intimée était inattaquable. Je n'ai pas changé d'avis. Il n'est pas nécessaire selon moi de se lancer dans des motifs complexes ou exhaustifs, qui ne feraient qu'alimenter cet aspect de l'argument des appelants.

[26]        On ne prend jamais à la légère la décision de radier un argument. Comme la règle le prescrit, on ne le fait que dans les cas où il serait inefficace et futile de laisser une affaire se poursuive. On gaspillerait sûrement le temps de la Cour, de l'intimée et des appelants, et on susciterait de faux espoirs. Aurais‑je perçu une lueur de fondement juridique sur lequel appuyer un argument, j'aurais rejeté la requête, mais cette lueur, je ne l'ai pas vue.

[27]        La requête est accueillie et les passages pertinents des avis d'appel modifiés sont radiés. J'adjuge des dépens d'un montant global de 2 500 $, inclusion faite des débours, à payer dans les 45 jours suivant la décision définitive sur la présente requête. Par « décision définitive sur la présente requête », j'entends la décision ultime, qu'elle soit rendue par la présente Cour, la Cour d'appel fédérale ou la Cour suprême du Canada. L'intimée déposera la réponse dans les 30, 60 ou 90 jours, selon le délai indiqué à l'annexe A jointe aux présents motifs et, là encore, ce délai s'étendra à partir de la décision définitive sur la présente requête, comme je viens de la définir.

[28]        Avant de conclure la présente affaire, je tiens à traiter des préoccupations dont j'ai fait part aux avocats lors d'une conférence téléphonique tenue le 30 janvier 2015. Je suis bien conscient qu'un autre groupe d'appels portant sur une question semblable est en cours et a également invoqué ce que j'ai appelé la question bijuridique. La Couronne n'a pas déposé une requête semblable dans ces autres appels à cause des dispositions concernant les nouvelles mesures, pas plus que les appelants en cause dans ces autres appels ne sont intervenus dans la présente requête. Cela est regrettable, mais ce n'est pas une raison pour que je m'abstienne de rendre une décision sur la présente requête, qui a été débattue devant moi de bonne façon et de manière complète. Je suis juge et non stratège en matière de litige.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de février 2015.

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juillet 2015.

Yves Bellefeuille, réviseur


ANNEXE A

No

Appelant ou appelante

No du dossier de la Cour

Délai de réponse

1

AGOZZINO, Giovanni

2014-2774(IT)G

30 jours

2

ARNOLD, Mark

2014-3347(IT)G

60 jours

3

BERNSTEIN, Harry

2014-3423(IT)G

90 jours

4

BERNSTEIN, Martin

2014-3422(IT)G

90 jours

5

BERTOLACCI, Maria

2014-3588(IT)G

60 jours

6

BERTOLACCI, Paolo

2014-3590(IT)G

60 jours

7

BRAGANZA, Christabel G.

2014-2879(IT)G

30 jours

8

BROWN, David

2014-3083(IT)G

30 jours

9

CAVANAGH-WILLIAMS, Suzanne

2014-2880(IT)G

30 jours

10

CLARK, David

2014-2878(IT)G

30 jours

11

CLARK, Elena

2014-3432(IT)G

90 jours

12

COOK, Steve

2014-1243(IT)G

30 jours

13

CORVINELLI, Michael

2014-3433(IT)G

90 jours

14

COUTURE, Daniel

2014-1384(IT)G

30 jours

15

ELLIS, John K.

2014-3498(IT)G

60 jours

16

FRENCH, Glen

2014-1244(IT)G

30 jours

17

GAZDIK, Theodore

2014-1242(IT)G

30 jours

18

GOLDMAN, Barry

2014-3288(IT)G

60 jours

19

HAMILTON, Alan J.

2014-1375(IT)G

30 jours

20

HENNICK, Darryl

2014-3431(IT)G

90 jours

21

HUNTER, Ronald

2014-3428(IT)G

90 jours

22

KADEY, Moss

2014-3289(IT)G

60 jours

23

KHUBYAR, Edna

2014-3427(IT)G

90 jours

24

LABERGE, Sirkka

2014-2652(IT)G

30 jours

25

LIBURDI, Joseph

2014-3346(IT)G

60 jours

26

MacINTOSH, Ronald E.

2014-1373(IT)G

30 jours

27

MARTEL, Jean

2014-3287(IT)G

60 jours

28

MASON, Wesley

2014-1382(IT)G

30 jours

29

MATHESON, Brian

2014-1383(IT)G

30 jours

30

McCORMICK, John

2014-1904(IT)G

30 jours

31

McCORMICK, Mary

2014-2649(IT)G

30 jours

32

McMILLAN, Shane

2014-1376(IT)G

30 jours

33

PEDDIE, Melvin

2014-3424(IT)G

90 jours

34

PEMBERTON, Arthur

2014-3348(IT)G

60 jours

35

PITCH, Harvin

2014-3349(IT)G

60 jours

36

PRUTIS-MISTERSKA, Krystyna

2014-2299(IT)G

30 jours

37

RASHID, Suleiman

2014-3430(IT)G

90 jours

38

REDMOND, Andrew

2014-1380(IT)G

30 jours

39

RINGEL, Ian

2014-1379(IT)G

30 jours

40

ROSS, Stephen

2014-2773(IT)G

30 jours

41

RUSSET, James P.

2014-1378(IT)G

30 jours

42

SAUGSTAD, Gregory

2014-1177(IT)G

30 jours

43

SOLWAY, Stephen H.

2014-3429(IT)G

90 jours

44

TABAC, Ivan

2014-2651(IT)G

30 jours


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 35

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-1244(IT)G

INTITULÉ :

GLEN FRENCH, ET TOUTES LES PERSONNES ÉNUMÉRÉES À L'ANNEXE « A » CI‑JOINTE c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 27 novembre 2014

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

L'honorable juge Campbell J. Miller

DATE DE L'ORDONNANCE :

Le 11 février 2015

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelant :

Me A. Christina Tari

Me Leonard Puterman

 

Avocats de l'intimée :

Me John Grant

Me Arnold H. Bornstein

Me Lindsay Beelen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

            Pour l'appelant :

Noms :

Me A. Christina Tari

Me Leonard Puterman

 

Cabinet :

Richler and Tari

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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