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Dossier : 2011-3489(IT)G

Entre :

George Weston LimitÉE,

appelante,

et

Sa Majesté la reine,

intimée.

[Traduction française officielle]

Appel entendu les 18, 19, 20 et 21 août 2014, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Salvatore Mirandola

Me Patrick Lindsay

Avocates de l’intimée :

Me Elizabeth Chasson 

Me Alexandra Humphrey

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») à l’égard de l’appelante pour son année d’imposition 2003 en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») est accueilli et la nouvelle cotisation est déférée au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que le produit que l’appelante a reçu au cours de cette année à l’égard de la résiliation d’accords de crédits croisés dont le total s’élève à 316 932 896 $ CA est un gain en capital, dont la moitié (158 466 448 $ CA) est un gain en capital imposable suivant l’article 38 de la LIR. Les dépens sont adjugés à l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 2015.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d’octobre 2015.

François Brunet, réviseur


Référence : 2015 CCI 42

Date : 20150219

Dossier : 2011-3489(IT)G

Entre :

George Weston LimitÉE,

appelante,

et

Sa Majesté la reine,

intimée.

[Traduction française officielle]


motifs du jugement

La juge en chef adjointe Lamarre

Introduction

[1]             Au cours de son année d’imposition terminée le 31 décembre 2003, l’appelante, George Weston Limitée (« GWL »), a reçu à la résiliation de crédits croisés (les « crédits croisés ») un produit s’élevant à 316 932 896 $ CA. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2003, GWL a traité ce montant comme imputable au capital et a déclaré un gain en capital imposable de 158 466 448 $ CA. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de GWL au motif que le montant de 316 932 896 $ CA était imputable au revenu et a ajouté le montant total au revenu de GWL, d’où le présent appel.

[2]             GWL est une société canadienne cotée en bourse et est la société de portefeuille mère de filiales au Canada et à l’étranger. Une partie importante des actifs détenus par le groupe d’entreprises GWL et des entreprises que ce groupe exploite se trouve aux États-Unis.

[3]             Dans son avis d’appel, GWL a déclaré qu’elle avait eu recours aux crédits croisés afin de préserver les capitaux propres du bilan consolidé et de se protéger contre les fluctuations du taux de change du dollar canadien et du dollar américain qui seraient source de la volatilité dans les capitaux propres du bilan consolidé. Dans les observations qu’elle a présentées devant la Cour, GWL a exposé des précisions. Elle a affirmé qu’elle exploitait diverses entreprises existantes et nouvellement acquises aux États-Unis dans le domaine des produits de boulangerie, utilisant la monnaie américaine, par l’entremise de filiales détenues indirectement (appelées « établissements étrangers autonomes » ou « établissements aux États‑Unis ») et que c’était la raison pour laquelle GWL était touchée par les fluctuations du taux de change du dollar canadien et du dollar américain. Ces fluctuations avaient une incidence sur les capitaux propres consolidés de GWL, qui quant à eux avaient une incidence sur le ratio emprunts/capitaux propres. Ainsi, les fluctuations avaient une incidence sur la valeur des investissements directs dans d’autres sociétés du groupe d’entreprises GWL et sur la structure du capital même de GWL.

[4]             Au final, GWL a retenu la thèse selon laquelle le produit qu’elle a reçu en 2003 lorsqu’elle a mis fin aux crédits croisés auxquels elle avait eu recours en 2001 était un gain en capital en raison de l’appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain entre 2001 et 2003.

[5]             L’intimée est d’avis que les montants reçus suivant la liquidation d’un instrument dérivé comme les crédits croisés ne sont imputables au capital aux fins de l’impôt sur le revenu que s’il est possible de démontrer que l’instrument dérivé est rattaché, au fond, à une opération d’achat ou de vente d’une immobilisation, de remboursement d’une dette exprimée en monnaie étrangère ou d’investissement de capitaux oisifs, conformément à ce que la jurisprudence appelle le « principe du rattachement ». De l’avis de la Couronne, si l’instrument dérivé n’est pas rattaché à une telle opération, le bénéfice ou la perte à la liquidation de l’instrument dérivé résulte de la spéculation ou, par défaut, de l’entreprise habituelle du contribuable, et est, par conséquent, réputé avoir été reçu à titre de montant imputable au revenu. En l’espèce, l’intimée fait valoir qu’étant donné que les crédits croisés n’étaient rattachés à aucune opération ni créance de l’appelante exprimée en monnaie étrangère qui a été effectuée pour son propre compte, le montant reçu par l’appelante lorsqu’elle a liquidé les crédits croisés est considéré comme faisant partie de l’entreprise de l’appelante et est donc un bénéfice tiré de son entreprise qui est imposable à titre de revenu.

Faits

[6]             Les parties se sont entendues sur plusieurs faits pertinents dans un exposé conjoint partiel des faits (pièce A‑7), joint à la fin des présents motifs du jugement.

Interprétation donnée aux faits par l’appelante

[7]             Dans sa déclaration d’ouverture et ses observations écrites, l’appelante a exposé sa propre appréciation des faits importants. Je les résumerai ci-après.

[8]             GWL est une importante société de portefeuille canadienne cotée en bourse qui, pendant toute la période pertinente, possédait des filiales directes et indirectes qui exploitaient des entreprises de transformation des aliments ou de distribution alimentaire au Canada et aux États-Unis.

[9]             Avant 2001, GWL exploitait une entreprise de produits de boulangerie aux États-Unis par l’entremise d’une société appelée Weston Foods Inc. (« WFI US ») et de ses filiales. WFI US était une filiale indirecte de la société canadienne Weston Foods Inc. (« WFI Can »), qui quant à elle était une filiale directe de GWL.

[10]        En 2001, le groupe d’entreprises GWL a acquis une autre entreprise de produits de boulangerie exerçant principalement ses activités aux États-Unis appelée Bestfoods Baking (« Bestfoods »), ainsi que ses filiales et ses marques de commerce connexes. Cette acquisition a considérablement augmenté le placement net du groupe d’entreprises GWL dans les établissements aux États‑Unis, lequel est passé d’environ 800 millions de dollars américains à bien au-delà de deux milliards de dollars américains.

[11]        L’acquisition de Bestfoods a été financée entièrement au moyen d’emprunts, par des prêts consentis par des banques canadiennes à GWL (2,1 milliards de dollars canadiens et 400 millions de dollars américains). Par conséquent, en 2001, le ratio emprunts/capitaux propres de GWL a augmenté bien au-delà de sa politique d’entreprise interne, qui était d’avoir un ratio de 1 pour 1 ou moins. GWL a investi les fonds empruntés dans ses filiales, qui ont ensuite acquis Bestfoods pour un montant de 1,765 milliard de dollars américains, comme l’expose en détail l’exposé conjoint partiel des faits.

[12]        À titre de société canadienne cotée en bourse, GWL dressait des états financiers en dollars canadiens, en conformité avec les principes comptables généralement reconnus (les « PCGR »). Dans ses états financiers, elle combinait l’actif et le passif des filiales qu’elle contrôlait, y compris les établissements aux États‑Unis. Lors de la conversion en dollars canadiens de la valeur de son placement net dans les établissements aux États‑Unis, les fluctuations du taux de change ont eu une incidence sur la rubrique des capitaux propres du bilan consolidé de GWL (habituellement constatées au poste « redressement cumulatif au titre de la conversion des devises » — ci‑après appelé « poste conversion des devises » ou « PCD »). En effet, lorsque la valeur du dollar canadien augmentait par rapport au dollar américain, les capitaux propres consolidés de GWL diminuaient et lorsque la valeur du dollar canadien diminuait, les capitaux propres consolidés de GWL augmentaient.

[13]        En raison des niveaux historiquement bas du dollar canadien en 2001, GWL craignait une remontée substantielle par rapport au dollar américain, qui donnerait lieu à l’érosion de ses capitaux propres consolidés et à l’aggravation du ratio emprunts/capitaux propres, ce qui pouvait par la suite avoir une incidence sur sa cote de solvabilité et le coût du capital.

[14]        Après l’acquisition de Bestfoods en 2001, le placement dans les établissements aux États‑Unis exposé au risque de change est passé de 666 millions de dollars américains (placement de 816 millions de dollars américains dans WFI au 31 décembre 2000, moins le recours à des crédits croisés de 150 millions de dollars américains en 2000) à environ deux milliards de dollars américains.

[15]        Pour se protéger contre ce risque, GWL a décidé de couvrir l’augmentation du risque de change en dollars américains. À la suite de la conclusion de la transaction relative à Bestfoods, GWL a eu recours à plusieurs crédits croisés auprès d’institutions financières (les « contreparties ») principalement pour des durées de dix à 15 ans à titre de couverture ou de protection contre les fluctuations monétaires touchant la valeur déclarée des anciens établissements aux États‑Unis et de ceux nouvellement acquis (pièces A‑7, paragraphe 27, et transcription, volume 1, page 211).

[16]        La valeur nominale en dollars américains des crédits croisés se rapprochait étroitement du placement net total dans les établissements aux États‑Unis qui était exposé au risque de change. Selon Mme Lisa Swartzman, qui a occupé les postes de trésorière adjointe, de trésorière et de vice-présidente trésorière de GWL à divers moments pendant les années en cause, c’est GWL, plutôt que les filiales, qui a recouru aux crédits croisés parce que les contreparties souhaitaient faire affaire avec la société mère. De plus, la cote de solvabilité de GWL était plus élevée que celles des filiales, ce qui a donné lieu à une réduction du coût des crédits croisés (transcription, volume 1, page 216).

[17]        L’appelante a soutenu qu’elle avait recouru aux crédits croisés uniquement à titre de couverture. Les crédits croisés diminuaient l’exposition de GWL aux fluctuations du taux de change parce que les changements dans la valeur des crédits croisés en raison de ces fluctuations variaient de manière inverse au changement dans la valeur du placement net dans les établissements aux États‑Unis convertie en dollars canadiens, en raison des mêmes fluctuations de taux de change, donc le compensait. D’ailleurs, une fois les crédits croisés en place, si le dollar canadien s’appréciait, l’augmentation de la valeur des crédits croisés compensait la diminution de la valeur convertie en dollars canadiens du placement net en dollars américains de GWL dans les établissements aux États‑Unis qui figurait au bilan consolidé. À l’inverse, si le dollar canadien se dépréciait, la diminution de la valeur des crédits croisés compensait l’augmentation de la valeur convertie en dollars canadiens du placement net en dollars américains de GWL dans les établissements aux États‑Unis qui figurait au bilan consolidé.

[18]        L’appelante a déclaré que les capitaux propres du bilan de GWL étaient protégés et, étant donné que GWL était la société mère des établissements aux États‑Unis, les crédits croisés protégeaient la valeur du placement de GWL dans ses propres filiales.

[19]        Dans les états financiers consolidés, les « crédits croisés [constituaient] une couverture à l’égard des effets des fluctuations des taux de change sur le placement net libellé en dollars américains de [GWL] dans les établissements étrangers autonomes avec les redressements des taux de change matérialisés et non-matérialisés sur les crédits croisés compris dans le redressement cumulatif de l’opération de change » (notes afférentes aux états financiers consolidés de 2002, pièce A‑1, onglet 2, page 125). Cela était conforme à une note de service interne diffusée le 10 avril 2001, dans laquelle GWL reconnaissait que l’achat de Bestfoods exposerait directement GWL à un risque accru. Dans cette note de service, GWL décrivait les crédits croisés comme une couverture, précisant que, si elle recourait à suffisamment de crédits croisés, le ratio emprunts/capitaux propres serait protégé contre les fluctuations de taux de change (pièce A‑9, onglet 1).

[20]        D’ailleurs, les agences d’évaluation du crédit ont fait des observations sur l’exposition au risque de GWL. Le 20 février 2001, le site Global Credit Portal de Standard & Poor’s a publié un rapport intitulé [traduction] « Les cotes A de [GWL] mises sous surveillance négative en raison de l’achat de l’actif d’Unilever ». Le rapport précise que l’acquisition de Bestfoods ferait l’objet d’un financement bancaire et que [traduction] « [l’]effet net [...] [nuirait] à la structure du capital de Weston compte tenu d’un [...]  niveau d’endettement global beaucoup plus élevé » (pièce A‑8).

[21]        Selon les lignes directrices internes de GWL, le ratio emprunts/capitaux propres ne devait pas être inférieur à 1:1 (transcription, volume 1, page 80, et rapports trimestriels de GWL, pièce A‑3, onglet 12, page 1021, et onglet 14, page 1050). Après la transaction relative à Bestfoods, le ratio s’est détérioré bien au-delà du ratio souhaité. La situation était particulièrement préoccupante parce que toute dévaluation du dollar américain donnerait lieu à une détérioration plus grande du ratio, ce qui pourrait avoir un effet défavorable sur la structure du capital si les cotes de solvabilité devaient être abaissées. Il en était ainsi parce que, lorsque le dollar américain se dépréciait, le placement indirect de GWL dans les établissements aux États‑Unis, libellé en dollars canadiens, diminuait de valeur et, par conséquent, le placement direct de GWL dans les filiales, libellé en dollars canadiens, diminuait également de valeur, donnant lieu pour GWL à une perte au titre des capitaux propres du bilan (transcription, volume 1, pages 167 et 168).

[22]        En 2002, certaines filiales américaines indirectes de GWL ont vendu certains actifs des établissements aux États‑Unis pour un produit de 200 millions de dollars américains plus élevé que ce qui avait été prévu. En conséquence, GWL a mis fin à environ 200 millions de dollars américains de crédits croisés afin que la valeur nominale en dollars américains des crédits croisés ne soit pas supérieure à ce qui était nécessaire pour pleinement couvrir les établissements aux États‑Unis. La conservation de crédits croisés dont la valeur dépassait ce qui était nécessaire pour couvrir le placement dans les établissements aux États‑Unis était contraire aux facilités de crédit et à la politique d’entreprise de GWL (témoignage de Lisa Swartzman, transcription, volume 1, pages 221 et 222).

[23]        En 2003, le dollar canadien s’était apprécié à ce que GWL estimait être son plus haut niveau des dernières années par rapport au dollar américain, et GWL a décidé que son risque de change diminuait. GWL avait refinancé ou remboursé le financement initial de l’acquisition de Bestfoods et elle prévoyait que cette situation, conjuguée à d’autres mesures, ferait diminuer son ratio emprunts/capitaux propres. GWL avait besoin de fonds, notamment pour racheter certaines actions de son actionnaire majoritaire (transcription, volume 1, pages 228 à 232, 237 et 238). Ainsi, GWL et ses contreparties ont convenu de mettre fin aux crédits croisés. En raison de l’appréciation du dollar canadien entre 2001 et 2003, les contreparties ont dû verser à GWL des remboursements nets de principal et ces remboursements constituent le montant en cause dans le présent appel.

Faits ajoutés par l’intimée

[24]        L’intimée a ajouté le fait selon lequel, avant la conclusion de la transaction relative à Bestfoods et le recours à d’autres crédits croisés en 2001, l’appelante détenait environ 150 millions de dollars américains de crédits croisés pour compenser une partie de l’actif net de l’entreprise de produits de boulangerie de GWL, dont la valeur s’élevait à environ 816 millions de dollars américains.

[25]        L’intimée a reconnu que l’appelante avait eu recours à des crédits croisés après l’acquisition de Bestfoods pour compenser les fluctuations du poste conversion des devises (« PCD ») au bilan consolidé. Elle a également reconnu qu’un redressement négatif à ce poste entraînerait une augmentation du ratio emprunts/capitaux propres et qu’une diminution des capitaux propres aurait une incidence négative sur ce ratio, faisant en sorte que l’appelante irait au-delà de sa ligne directrice d’un ratio de 1:1 (argument de l’intimée, paragraphe 7).

[26]        L’intimée a cependant évoqué les mesures que l’appelante a prises en 2002 et en 2003 pour diminuer le passif en refinançant la dette à court terme, en augmentant les bénéfices non répartis au moyen des bénéfices des filiales exploitées, en vendant des actifs pour diminuer des dettes et en obtenant des capitaux sur les marchés publics par l’émission d’actions privilégiées. Ces mesures ont eu une incidence positive sur le ratio emprunts/capitaux propres et ont permis à l’appelante de respecter le ratio prévu par la ligne directrice à cet égard (argument de l’intimée, paragraphe 8).

[27]        L’intimée a ajouté qu’à compter du premier trimestre de 2003, le dollar canadien s’était apprécié par rapport au dollar américain et que le taux de change était substantiellement plus élevé en 2003 qu’il ne l’avait été en octobre 2001, lorsque l’appelante avait eu recours aux crédits croisés (argument de l’intimée, paragraphe 9).

[28]        Selon l’intimée, en 2003, l’appelante a pris une décision de gestion selon laquelle elle mettait fin aux crédits croisés et a réalisé un bénéfice de près de 317 millions de dollars canadiens, soit le montant en cause dans le présent appel. Les actifs de Bestfoods qui étaient exposés aux fluctuations au PCD n’ont pas été vendus en 2003. Ce n’est qu’en janvier 2009 que la filiale indirecte de GWL, Dunedin Holdings s.a.r.l, une société du Luxembourg, a vendu une partie des actifs de Bestfoods (transcription, volume 1, page 152, et pièce A‑3, onglet 9, page 959).

[29]        L’intimée a signalé que l’écart au titre de PCD est un montant nominal de référence qui n’est pas inclus dans l’état des résultats de la société mère. S’appuyant sur son expert en comptabilité, le professeur Chlala, elle a déclaré que le risque de change existe parce que les PCGR exigent la conversion de la valeur de l’actif net des filiales en dollars canadiens aux fins de l’établissement des états financiers consolidés. Selon l’intimée, le risque de « conversion » de devises n’a aucune incidence sur les flux de trésorerie ou les bénéfices d’une société. Il n’est pas constaté dans les états financiers de l’entité juridique, c’est-à-dire les états financiers non consolidés de GWL. Par contraste, le risque lié aux « opérations » conclues en monnaie étrangère découle d’une obligation légale libellée en monnaie étrangère et n’a pas d’incidence sur les flux de trésorerie ou les bénéfices d’une société. Ce risque est constaté à la fois dans les états financiers non consolidés et les états financiers consolidés (rapport d’expert du professeur Chlala, pièce R‑1, pages 21 à 24 et 30).

[30]        Ainsi, les états financiers non consolidés déposés aux fins de l’impôt sur le revenu au Canada constatent uniquement le revenu gagné et l’actif et le passif détenus directement par l’appelante. En conséquence, la liste des placements de l’appelante dans les états financiers non consolidés n’inclut pas d’actions de Bestfoods, puisque l’appelante n’a pas acquis les actions de cette société. Les actions de Bestfoods ont été acquises par Weston Acquisition Inc. (« WAI »). Seul le placement dans une filiale directe est constaté, à son coût d’origine (un chiffre qui ne fait donc pas l’objet de fluctuations) en dollars canadiens, dans les états financiers de l’entité juridique. 

Questions en litige

[31]        L’appelante a soulevé trois questions à examiner pour trancher la question de savoir si le produit reçu de la liquidation des crédits croisés doit être qualifié de gain en capital ou de revenu d’entreprise.

—      Les crédits croisés constituaient-ils une couverture?

—      Dans l’affirmative, quelle est la nature de l’élément qui a incité à recourir à la couverture et cet élément était-il de la nature d’une immobilisation, de sorte que le produit tiré des crédits croisés doit être considéré comme étant imputable au capital?

—      Peu importe la question de savoir si les crédits croisés constituaient une couverture, les crédits croisés se rapportaient‑ils à la structure du capital de GWL, de sorte que le produit est imputable au capital, ou faisaient-ils plutôt partie du processus générateur de revenus de GWL, de sorte que le produit est imputable au revenu?

[32]        L’intimée a avancé trois arguments à l’appui de la décision selon laquelle le bénéfice réalisé s’élevant à 316 932 869 $ CA est imputable au revenu :

—      Les crédits croisés n’étaient pas rattachés à une opération en capital sous-jacente libellée en devises ou à une créance libellée en devises qui exposait l’appelante à un risque de change. En conséquence, le bénéfice réalisé à la résiliation des crédits croisés est considéré comme faisant partie du revenu d’entreprise de l’appelante.

—      En décidant de mettre fin aux crédits croisés lorsqu’ils étaient [traduction] « dans le cours » entre les mains de l’appelante (c’est‑à‑dire que le dollar canadien s’était apprécié au moment de la résiliation des crédits croisés et que l’appelante a reçu de l’argent des contreparties), l’appelante faisait de la spéculation sur devises ou répondait à un besoin d’argent pour la société. Ainsi, le bénéfice réalisé est un projet comportant un risque de caractère commercial.

—      Les crédits croisés ne sont pas des immobilisations et le paiement qu’a reçu l’appelante à la résiliation n’est pas un produit de disposition d’immobilisations.

Arguments de l’appelante

i)   Les crédits croisés constituaient une couverture

[33]        L’appelante a déclaré qu’aucun élément ne permettait raisonnablement à l’intimée de nier que les crédits croisés constituaient une couverture. Pour tirer une telle conclusion, elle a mentionné les éléments de preuve suivants :

—      Dans son interrogatoire préalable, l’intimée a reconnu que GWL n’avait pas eu recours aux crédits croisés à des fins de spéculation (pièce A‑13, onglet 1, réponse à l’engagement no 13).

—      GWL possédait une politique officielle relative aux instruments dérivés, et les facilités de crédit de GWL lui interdisaient de faire de la spéculation à l’égard d’instruments dérivés (transcription, volume 1, pages 51 à 54, accord de crédit avec différents prêteurs, pièce A‑4, onglet 22, page 1230, article 6.6 – contrats de couverture).

—      Les rapports annuels de GWL publiés à la même époque confirment publiquement que GWL utilisait les crédits croisés à titre de couverture et non à des fins de spéculation (pièce A‑1, onglet 1, page 51, onglet 2, page 125, et onglet 3, pages 223 et 224).

—      Il ressort clairement et de manière cohérente des registres d’entreprise pertinents que GWL avait l’intention d’avoir recours à des crédits croisés pour couvrir le risque associé au placement dans les établissements aux États‑Unis et que c’est ce qu’elle a fait; ce risque a été constaté au PCD (pièce A‑9, onglets 1 à 8).

—      La décision d’avoir recours aux crédits croisés a été prise avec soin et de manière systématique, compte tenu de la volatilité prévue au PCD et de l’érosion de ce poste en raison du risque de change associé au placement dans les établissements aux États‑Unis et de l’effet de ce risque de change sur le ratio emprunts/capitaux propres de GWL (pièce A‑9, onglets 3 et 6, et témoignage de Richard Mavrinac, vice‑président principal des finances de GWL en 2001, et chef de la direction financière de GWL en 2002 et en 2003, et de Lisa Swartzman, transcription, volume 1, pages 59 à 61 et 167 à 179).

—      Mme Joyce Frost, qui a témoigné à titre d’expert sur la signification commerciale d’une couverture, a expliqué que l’utilisation de crédits croisés à des fins spéculatives était inappropriée (pièce A‑11, rapport Riverside, page 24, alinéa 73 d.).

—      Mme Frost était d’avis que, d’un point de vue commercial, les crédits croisés [traduction] « constituaient des couvertures qui atténuaient le risque de change compris dans l’actif net en dollars américains sensible de GWL » (pièce A‑11, rapport Riverside, page 9, paragraphe 31).

—      L’intimée a convenu que GWL n’exerçait pas des activités visant le recours à des crédits croisés et leur résiliation (pièce A‑13, onglet 1, réponse à l’engagement no 3).

—      Le montant nominal de référence des crédits croisés était établi en fonction du montant nécessaire correspondant à la valeur totale du placement dans les établissements aux États‑Unis qui était assujetti au risque de change. GWL a pris des mesures pour veiller à ne pas posséder des crédits croisés au-delà de ce qui était nécessaire pour couvrir cette valeur (exposé conjoint partiel des faits, paragraphes 20, 21 et 33, et témoignage de Mme Swartzman, transcription, volume 1, pages 221 et 222).

—      GWL a mis fin aux crédits croisés parce qu’elle a conclu que le risque de change associé au placement dans les établissements aux États‑Unis diminuait et que le ratio emprunts/capitaux propres de GWL reviendrait aux niveaux souhaités indépendamment des crédits croisés (témoignage de M. Mavrinac et de Mme Swartzman, transcription, volume 1, pages 80 et 81 et 228 à 232).

—      Du point de vue de la comptabilité, les crédits croisés ont été considérés comme une couverture et dûment constatés en tant que tel dans les états financiers consolidés de GWL, conformément aux PCGR (rapport d’expertise comptable rédigé par le professeur Daniel B. Thornton, pièce A‑12, page 7, paragraphe 14).

[34]        L’appelante a ensuite soutenu qu’elle avait eu recours aux crédits croisés pour couvrir le risque de change relativement à son placement net dans les établissements à l’étranger, lequel risque était principalement assumé par elle, la société mère. Elle a agi ainsi parce que les investisseurs en actions ou les agences de notation voient d’un mauvais œil la volatilité des capitaux propres en raison des changements dans les taux de change. De plus, les baisses de capitaux propres causées par des pertes de change pouvaient donner lieu à la violation d’un engagement relatif à un prêt ou inciter les investisseurs à vendre les actions (témoignage de Mme Frost et pièce A‑11, rapport Riverside, pages 10 et 13, paragraphes 34, 35 et 40).

[35]        L’appelante a ajouté que, si GWL n’avait pas recouru aux crédits croisés pour couvrir le risque accru, une dévaluation du dollar américain aurait fait baisser le chiffre de capitaux propres figurant au bilan consolidé. Cela aurait entraîné l’érosion du ratio emprunts/capitaux propres de GWL, une réduction de sa cote de solvabilité, la détérioration de sa structure du capital et une incidence défavorable sur le prix des actions de GWL. Les experts appelés par l’appelante ont conclu que les placements nets en dollars américains sous-jacents étaient hautement et directement sensibles au risque de change de GWL (rapport Riverside (Mme Frost), pièce A‑11, pages 10, 13, 17 et 18, paragraphes 34, 53 et 54, et rapport Thornton, pièce A‑12, paragraphes 73 à 75).

[36]        Étant donné que la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») ne définit pas l’opération de couverture (sauf à l’article 20.3 dans le contexte de prêts en devise faible), l’appelante a analysé la signification d’une opération de couverture selon son sens commercial et comptable, de même que selon le sens que lui a attribué la jurisprudence que j’examine dans mon analyse. Elle a conclu que GWL avait véritablement des placements exposés au risque de change et qu’elle avait couvert ce risque en recourant à des crédits croisés et en désignant expressément ces crédits croisés dans ses états financiers consolidés comme étant des couvertures à l’égard des placements de GWL dans les établissements étrangers autonomes.

ii)  L’élément qui a incité à recourir à la couverture était de la nature d’une immobilisation et, par conséquent, le produit tiré de la liquidation de la couverture devait être considéré comme étant imputable au capital

[37]        Contrairement à l’intimée, l’appelante est d’avis qu’il n’est pas nécessaire que l’élément sous-jacent auquel l’instrument dérivé (les crédits croisés) se rattache soit une opération distincte lorsque l’instrument dérivé lui-même, comme c’est le cas en l’espèce, donne directement lieu au gain ou à la perte. En l’espèce, l’appelante a soutenu qu’il ressort des preuves un lien solide entre les crédits croisés et le placement dans les établissements aux États‑Unis. Les documents qu’a présentés GWL pour 2001 et 2003 (pièce A‑9, onglets 3 et 6) confirment qu’il n’existe aucune intention de rattacher les crédits croisés aux activités commerciales ou de réaliser un bénéfice sur les marchés financiers.

[38]        De plus, GWL a eu recours aux crédits croisés au cours de la même période que l’achat de Bestfoods, achat qui a grandement augmenté le placement dans les établissements aux États‑Unis et, en conséquence, le risque de change de GWL. La plupart des crédits croisés faisaient partie de la planification de GWL dans le cadre de l’acquisition de Bestfoods et ont été mis en œuvre relativement à cette acquisition importante et en raison de celle-ci. Il y avait une corrélation directe entre le montant des crédits croisés auxquels GWL a eu recours et le placement dans les établissements aux États‑Unis : on avait fait correspondre le plus étroitement possible le montant nominal de référence des crédits croisés et le montant du placement net de GWL dans les établissements américains autonomes (rapport Thornton, pièce A‑12, paragraphe 19). Il y avait une corrélation suffisante entre les crédits croisés et le placement qui était assujetti au risque de change. De plus, le fait que GWL a mis fin aux crédits croisés en 2003 ne modifie pas de façon rétroactive l’intention qu’elle avait lorsqu’elle a eu recours aux crédits croisés en 2001. En effet, GWL avait uniquement l’intention de couvrir les établissements aux États‑Unis pendant que le risque de change qui y était associé dépassait les niveaux acceptables.

[39]        Enfin, l’appelante a déclaré que le placement dans les établissements aux États‑Unis, l’élément qui l’a incité à recourir à la couverture, était de la nature d’une immobilisation et qu’en conséquence, le produit provenant de la liquidation des crédits croisés était imputable au capital. Selon l’appelante, il en est ainsi que l’on considère qu’il s’agit d’un placement direct pour GWL ou qu’il s’agit d'un placement indirect.

[40]        D’une part, il est possible de prendre en compte la valeur du placement direct de GWL dans les sociétés du groupe de sociétés de GWL (qui détient directement ou indirectement les établissements aux États‑Unis), qui fluctue nécessairement en fonction de la valeur du placement dans les établissements aux États‑Unis. De ce point de vue, c’est la valeur de ces établissements aux États‑Unis qui est utilisée pour établir le montant de couverture nécessaire pour protéger la valeur de l’investissement direct de GWL.

[41]        D’autre part, il existe une autre approche selon laquelle les établissements aux États‑Unis constituent un investissement effectué par des filiales indirectes de GWL, qui sont toutes au bout du compte la propriété exclusive de GWL, au sommet de la chaîne de sociétés. Les changements de la valeur en dollars canadiens de ces filiales indirectes ont une incidence directe sur la structure du capital de GWL (le ratio emprunts/capitaux propres). De ce point de vue, GWL couvre un investissement indirect qui a une incidence directe sur la structure du capital de GWL.

[42]        L’appelante a soutenu que, quelle que soit l’approche retenue, GWL, en qualité de société de portefeuille, détenait des filiales à titre d’investissement. Dans son témoignage, M. Mavrinac a affirmé que GWL avait acquis Bestfoods avec l’intention de la détenir à long terme (à l’exception d’une composante de l’entreprise qui devait être vendue), ce qui correspondait aux antécédents de GWL en ce qui a trait à la détention à long terme de Loblaws et de ses actifs de produits de boulangerie américains (transcription, volume 1, page 61). GWL finançait ses filiales au moyen de prêts ou de placements en actions qui étaient ensuite utilisés pour acquérir le contrôle des établissements aux États‑Unis. Ces dépenses sont de la nature d’une immobilisation (Neonex International Ltd. v. The Queen, [1978] C.T.C. 485; 78 DTC 6339; Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477). GWL ne faisait pas de spéculation, et ses activités commerciales ne consistaient pas à avoir recours à des crédits croisés et à y mettre fin.

[43]        L’appelante a également mis en doute l’approche de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») suivant laquelle le critère relatif au rattachement exige l’existence d’une vente ou d’une vente proposée d’un élément sous-jacent détenu directement par le contribuable. Cette interprétation restrictive exclut la possibilité de couvrir un placement (i) qui n’est pas destiné à être vendu ou (ii) qui est détenu indirectement par l’entremise de filiales.

[44]        L’appelante a soutenu que cette interprétation restrictive ne reposait sur aucun fondement juridique et qu’elle n’était pas logique du point de vue commercial. Parmi la jurisprudence citée par l’intimée, l’appelante a signalé l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Selon son point de vue, la Cour suprême du Canada n’y a fait aucune déclaration compatible avec la position de l’ARC. Au contraire, selon l’appelante, cet arrêt enseigne que le produit tiré d’une opération de couverture est imputable au capital si l’élément visé par la couverture (qu’il s’agisse d’un actif, d’un passif ou d’une opération) est de la nature d’une immobilisation. De plus, à l’occasion de l’affaire Neonex, précité, la Cour d’appel fédérale a attribué le caractère de capital des immobilisations de la filiale au placement de la société mère dans sa filiale. La Cour d’appel fédérale a alors décidé qu’un prêt conclu exclusivement dans le but de renflouer le fonds de roulement d’une filiale qui avait acquis le contrôle d’une autre société était une dépense en capital.

iii) Peu importe si les crédits croisés constituaient une couverture, le produit tiré de leur résiliation faisait partie de la structure du capital de GWL et est imputable au capital

[45]        L’appelante a examiné les facteurs pris en compte par la jurisprudence lorsqu’il faut qualifier un montant [traduction] « inhabituel » soit comme faisant partie de la structure du capital soit comme faisant partie du processus générateur de revenus. L’appelante a conclu que le produit tiré des crédits croisés était reçu comme faisant partie de la structure du capital de GWL et qu’il était donc imputable au capital.

[46]        L’appelante a soutenu que le produit tiré des crédits croisés était analogue à une somme accordée à titre d’indemnité et à un paiement de résiliation de contrat. Elle a fait valoir qu’un tel produit était imputable au capital lorsque l’élément sous‑jacent était plus étroitement lié à la structure du capital qu’au processus générateur de revenus (Tsiaprailis c. Canada, 2005 CSC 8, aux paragraphes 7 et 15, [2005] 1 R.C.S. 113, et Imperial Tobacco Canada Limitée c. La Reine, 2011 CAF 308, au paragraphe 29, 2012 DTC 5003).

[47]        De manière plus générale, l’appelante a décrit le critère relatif aux gains en capital par opposition aux revenus à l’extérieur du contexte des instruments dérivés. La Cour suprême du Canada a formulé le critère de la manière suivante : [traduction] « les dépenses ont‑elles été engagées à l’égard de l’entreprise qui devait générer les profits ou faisaient‑elles partie du processus générateur de revenus? » (Johns-Manville Canada c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, à la page 57 (Lexum, au paragraphe 14), citant l’arrêt du Conseil privé dans B.P. Australia Ltd v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224). De plus, à l’occasion de l’affaire Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 196, la Cour suprême du Canada a donné d’autres précisions sur la distinction entre le revenu et le gain en capital, dans le contexte d’un paiement d’incitation à la location. La Cour suprême a conclu que le « paiement a clairement été reçu dans le cadre d’activités commerciales ordinaires et, dans les faits, il était inextricablement lié à ces activités » (paragraphes 24, 25, 30 et 33).

[48]        L’appelante a déclaré que la jurisprudence prenait souvent en compte les facteurs suivants pour opérer la distinction entre le revenu et le capital : (1) l’intention, (2) l’avantage, (3) la durée, (4) la récurrence et (5) les rapports financiers (Vern Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax (Taxnet Pro, 2014), ch. 7.I.D, et voir le Bulletin d’interprétation IT‑479R, « Transactions de valeurs mobilières » (février 1984)). Un examen de la jurisprudence a été présenté à l’égard de chaque rubrique et je ne la résumerai pas ici. 

[49]        L’appelante a soutenu que la common law examine souvent un élément sous-jacent lorsqu’elle tente de qualifier, aux fins fiscales, un montant reçu à titre de revenu ou de capital. Selon l’appelante, selon ce critère, on tire à la même conclusion que précédemment. Le produit tiré des crédits croisés a été reçu relativement à la structure du capital de GWL et était par conséquent imputable au capital.

Les arguments de l’intimée

[50]        L’intimée a soutenu que la nature des gains ou des pertes provenant d’opérations de couverture était établie en fonction de l’opération sous-jacente à laquelle se rattache la couverture. Si la couverture ne peut être rattachée à une opération sous-jacente qui est imputable au capital, elle doit être considérée comme imputable au revenu.

[51]        L’intimée a reconnu qu’en raison de l’exigence de dresser des états financiers consolidés, la conversion de la monnaie locale des états financiers des filiales de GWL en dollars canadiens donnait lien à un risque de change qui était constaté au PCD, ce qui avait une incidence directe sur les capitaux propres consolidés des porteurs d’actions. Elle est cependant d’avis que la décision de recourir à des crédits croisés était une décision de gestion découlant de la préoccupation selon laquelle une fluctuation défavorable du PCD pouvait avoir une incidence importante sur le ratio emprunts/capitaux propres que le bilan à lui seul ne pourrait absorber. En conséquence de la désignation des crédits croisés comme couverture suivant les règles de comptabilité de couverture prévues par les PCGR, l’incidence qu’avaient les fluctuations de devises sur les crédits croisés était l’opposé de l’incidence des fluctuations de devises sur la conversion de l’actif net. Les crédits croisés stabilisaient donc le solde du PCD, alors que GWL employait d’autres méthodes pour ramener le ratio emprunts/capitaux propres à 1 pour 1, conformément à sa ligne directrice interne. Pendant cette période de transition, les crédits croisés ont permis à GWL de maintenir sa solvabilité, ce qui a eu une incidence sur le coût d’emprunt, et toutes ces décisions faisaient partie des activités commerciales ordinaires de la gestion d’une société ouverte.

[52]        De l’avis de l’intimée, le fait que l’appelante a eu recours à des crédits croisés pour couvrir le compte de conversion et qu’elle a suivi la comptabilité de couverture dans ses états financiers consolidés n’aide pas à établir si les crédits croisés constituaient une couverture à des fins fiscales. La comptabilité de couverture est un choix que les contribuables font dans leurs états financiers. L’intimée a soutenu qu’aux fins de l’impôt, la question de savoir si les crédits croisés constituaient une couverture ou non était fonction de l’existence ou non d’un lien avec une opération sous-jacente effectuée par l’appelante pour son propre compte.

[53]        En l’espèce, bien que l’appelante ait financé l’acquisition au moyen d’un emprunt pour son propre compte, les crédits croisés n’étaient pas rattachés à cet emprunt et l’emprunt n’a pas donné lieu à une exposition à un risque de change. L’appelante a fait une série de prêts libellés en dollars canadiens à quatre de ses filiales et y a effectué des placements en actions.

[54]        Selon l’intimée, aux fins de l’impôt, il ne suffit pas de couvrir le placement net dans des filiales étrangères au moyen d’une opération de couverture du PCD sans une intention de vendre ce placement, car il n’y a pas de position de compensation à laquelle les gains ou les pertes provenant du contrat peuvent correspondre. L’intimée a ajouté qu’aux fins de l’impôt, l’appelante ne pouvait pas rattacher ces instruments dérivés au risque d’un autre contribuable. Elle a conclu qu’en l’espèce, il n’y avait pas de couverture aux fins de l’impôt sur le revenu.

[55]        De plus, elle a soutenu que les crédits croisés n’étaient pas rattachés à l’acquisition de Bestfoods. La valeur des crédits croisés était supérieure à la valeur de la transaction relative à Bestfoods, mais correspondait à la valeur combinée de la transaction relative à Bestfoods et à l’entreprise américaine préexistante de produits de boulangerie. Ainsi, l’appelante ne pouvait pas, aux fins de l’impôt, rattacher les crédits croisés à quelque opération en devises ou créance libellée en devises.

[56]        L’intimée s’est reportée à la jurisprudence Salada Foods Ltd. c. The Queen, 74 DTC 6171 (CFPI) et à la jurisprudence Saskferco Products ULC c. La Reine, 2008 CAF 297, 386 N.R. 276, et a déclaré que la jurisprudence avait rejeté l’argument invoqué par l’appelante. La couverture de placements nets du point de vue de la comptabilité, c’est-à-dire la couverture du risque de change, n’est tout simplement pas suffisamment liée aux actions ou à l’actif d’une filiale pour être traitée comme du capital. Une telle couverture au titre du change vise le placement net de la société mère dans une filiale selon la valeur comptable (incluant les bénéfices non répartis) et non le risque d’une opération (Shawn D. Porter et Kenneth J.A. Vallillee, « Tax and Accounting Aspects of Treasury Operations », Report of Proceedings of the Fifty‑Second Tax Conference, 2000 Conference Report, Toronto, Fondation canadienne de fiscalité, 2001, 20:1-51 à 20:26).

[57]        Selon la thèse de l’intimée, bien qu’il soit possible pour le contribuable d’établir un lien entre un contrat de couverture de devises et le placement net dans une filiale étrangère, un lien à des fins fiscales peut uniquement être établi si le contribuable avait l’intention de vendre la filiale, s’il détenait la filiale directement et s’il était probable que la vente ait lieu. En l’espèce, les crédits croisés n’étaient pas rattachés à une opération en capital sous-jacente qui exposait l’appelante à un risque de change.

[58]        De plus, l’appelante n’était exposée à aucun risque de change découlant de ses propres créances, puisque le prêt de 2,1 milliards de dollars canadiens était libellé et remboursable en dollars canadiens.

[59]        Il n’a jamais été prévu que les crédits croisés soient en place pour une longue période. En effet, ils n’étaient que temporaires en ce que l’appelante a pris d’autres mesures pour ramener son ratio emprunts/capitaux propres à 1 pour 1. Ainsi, les crédits croisés n’offraient pas d’avantages à long terme.

[60]        De surcroît, selon l’intimée, lorsque le conseil d’administration a décidé de mettre fin aux crédits croisés et d’utiliser les espèces à une autre fin, il y a eu un changement d’intention, qui est passée de la couverture du PCD à la spéculation. Ayant prédit que le dollar canadien ne se raffermirait pas et que le bilan pouvait absorber toute fluctuation du PCD, l’appelante a décidé que le moment était opportun pour concrétiser sa position et elle a liquidé les crédits croisés à un moment où l’entreprise avait besoin d’espèces. En conséquence, le bénéfice réalisé était un revenu tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

Analyse

Question préliminaire

Admissibilité du témoignage d’expert de l’appelante, présentée par Mme Joyce Frost, sur l’utilisation d’instruments dérivés pour couvrir un risque commercial et financier

[61]        L’intimée s’est opposée au témoignage de Mme Frost au motif qu’il était très préjudiciable (en ce que son opinion était fondée sur ses 25 ans d’expérience anecdotique dans le domaine de la gestion des risques), n’était pas pertinent pour la question à trancher, n’était pas nécessaire pour aider le juge des faits à analyser la preuve qui est de nature technique et était assujetti aux règles d’exclusion (R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, à la page 20; R. c. Sekhon, [2014] 1 R.C.S. 272).

[62]        J’ai rejeté cette objection. Je rejette la thèse portant que l’opinion de Mme Frost était anecdotique. Il n’est pas possible de comparer son opinion fondée sur une expérience professionnelle de 25 ans dans le domaine de la gestion des risques au témoignage d’un policier se prononçant quant à la mens rea d’un défendeur particulier dans une affaire pénale comme c’était le cas dans l’arrêt Sekhon, invoqué par l’intimée. En ce qui a trait à la pertinence et à la nécessité, la présente affaire en est une pour laquelle je trouve particulièrement utile d’avoir l’éclairage d’un expert du domaine de la gestion des risques, étant donné qu’il est directement lié à l’une des questions en litige entre les parties, c’est-à-dire la question de savoir si les crédits croisés constituaient une couverture. La LIR ne définit pas la couverture dans le contexte d’une situation comme celle qui existe en l’espèce. Il est donc approprié d’examiner, entre autres choses, le contexte commercial des opérations de couverture, gardant à l’esprit que les principes bien reconnus des affaires commerciales peuvent servir de guide à cet égard (Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, aux paragraphes 42 et 43). Je souligne également que le témoignage d’expert sur les pratiques de l’industrie et les principes de comptabilité qui s’y rapportaient a été déclaré pertinent dans la décision Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, 1992 CarswellNat 323, aux paragraphes 15 à 17, [1992] 3 C.F. 707, aux pages 713 et 714, une affaire dans laquelle la Cour fédérale devait notamment décider si des contrats de vente à terme relatifs à l’argent constituaient une couverture destinée à réduire le risque lié à d’importantes fluctuations de prix.

[63]        De plus, je ne puisse dire que Mme Frost tentait, par son témoignage, d’usurper ma mission de juge des faits car je m’appuyerai sur son expertise uniquement afin de mieux comprendre le monde des opérations de couverture, qui en lui-même n’est pas nécessairement un domaine de connaissances courantes. Finalement, j’estime que le témoignage de Mme Frost n’est pas assujetti aux règles d’exclusion invoquées par l’intimée. Je conviens avec l’appelante que son rapport porte sur le contexte commercial entourant l’utilisation d’instruments dérivés et que son témoignage est pertinent quant à la question dont je suis saisie. En conséquence, je conclus que son opinion ne viole pas le paragraphe 145(7) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), puisque je ne partage pas l’avis de l’intimée selon lequel son témoignage n’a pas de lien avec une question à trancher dans le présent appel. En ce qui concerne le paragraphe 98(3), qu’invoque également l’intimé et qui vise l’obligation de divulgation continue, l’appelante a informé la Cour que le rapport de Mme Frost avait été envoyé à l’intimée trois mois avant l’instruction. L’intimée ne peut donc pas soutenir maintenant que l’appelante a omis de respecter l’exigence en matière de communication de l’information suivant cette disposition.

L’existence d’une couverture

[64]        La LIR ne contient aucune définition de l’opération de couverture, sauf en matière de dettes en devise faible, au paragraphe 20.3(1). Cette définition ne joue pas en l’espèce, mais elle offre indirectement une indication. Elle exige que l’instrument dérivé ait été conclu principalement pour réduire le risque du contribuable et que le contribuable ait précisé qu’il s’agissait d’une opération de couverture.

[65]        Dans ses observations écrites, au paragraphe 19, l’intimée fait allusion à la définition d’une couverture dans la politique sur les instruments dérivés de GWL, qui prévoit que la couverture est l’instrument ou la stratégie utilisé pour compenser les risques relatifs à un actif, à un passif, à un revenu ou à une dépense par la prise d’une position contraire (pièce A‑6, onglet 62, page 1840).

[66]        L’appelante a produit quelques définitions commerciales de la couverture. Elle est définie comme étant, entre autres choses, la stratégie utilisée pour compenser un risque de placement (Dictionary of Finance and Investment Terms, 5e éd., Barron’s Financial Guides), dont il est question dans le rapport Riverside, pièce A‑11, page 8, paragraphe 26 et note de bas de page 1). Dans son rapport, Mme Frost a défini la couverture comme l’action ou l’inaction intentionnelle qui donne lieu à un résultat qui limite ou élimine les issues défavorables des risques (pièce A‑11, page 8, paragraphe 25). Elle a déclaré que, dans la terminologie relative à la couverture, il y a la couverture et il y a l’élément couvert. La couverture est l’instrument (le contrat d’instruments dérivés) et l’élément couvert est l’élément de l’organisation qui est touché défavorablement par le risque (par exemple, les flux de trésorerie, les revenus ou les dépenses, la valeur de l’actif, du passif ou des capitaux propres) (pièce A‑11, page 8, paragraphe 28).

[67]        Dans l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des finances), [2006] 1 R.C.S. 715, à la page 719, au paragraphe 1, la Cour suprême du Canada déclare qu’elle est appelée à interpréter le mot « couverture » figurant dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière de l’Ontario. Il ne s’agissait pas d’une affaire opposant un gain en capital à un revenu. La Cour suprême devait plutôt trancher la question de savoir si les bénéfices tirés de programmes de « couverture » concernant des activités d’exploitation minière destinés à gérer l’exposition au risque de fluctuation du prix au comptant de l’or étaient imposables aux termes de cette loi.

[68]        La Cour suprême a néanmoins fait des observations qui sont intéressantes aux fins de la présente espèce. Selon elle, le terme « couverture » désigne généralement les opérations destinées à compenser un risque financier, tel le risque de prix ou de change. À la page 731, au paragraphe 29, la Cour suprême a présenté un aperçu de ce qu’est la couverture au sens qu’on lui donne dans les PCGR. De manière générale, les instruments financiers dérivés sont des contrats dont la valeur devient fonction de celle d’un actif, d’un taux de référence ou d’un indice qui lui est sous-jacent. Il y a essentiellement deux raisons de conclure un contrat de cette nature : la spéculation ou la couverture. Il y a opération de couverture lorsque les éléments d’actif ou de passif de la partie qui l’effectue sont véritablement exposés aux fluctuations du marché, alors que la spéculation est « [traduction] “la mesure dans laquelle l’opérateur en couverture effectue des opérations dérivées dont la valeur nominale excède le risque couru” : voir B. W. Kraus, “The Use and Regulation of Derivative Financial Products in Canada” (1999), 9 W.R.L.S.I. 31, p. 38. »

[69]        De plus, à la page 732, au paragraphe 31, la Cour suprême a observé que selon les PCGR, les contrats dérivés peuvent non seulement avoir un dénouement par la livraison physique, mais également par le règlement en espèces ou la conclusion d’un contrat symétrique. À la page 741, au paragraphe 49, la Cour suprême a réitéré que, même si les principes commerciaux et comptables reconnus doivent jouer un rôle secondaire par rapport à des règles de droit claires, en l’absence de définition légale ou en présence d’une définition légale incomplète, « il ne serait pas sage que le droit renonce aux indications précieuses qu’offrent des principes commerciaux bien établis » : voir Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au paragraphe 35.

[70]        À mon avis, l’appelante a montré qu’elle avait eu recours aux crédits croisés comme couverture et non avec l’intention de spéculer. Les motifs que l’appelante a présentés ci-dessus dans ses observations (aux paragraphes 33 et 42 des présents motifs) sont suffisamment convaincants. À mon avis, il ressort clairement des preuves que la transaction relative à Bestfoods a donné lieu à la décision de protéger la valeur déclarée de tous les établissements aux États‑Unis contre les fluctuations du taux de change. En effet, il s’agissait d’une transaction importante. Selon Mme Frost, [traduction] « [l’]acquisition de Bestfoods représentait une augmentation de 26 % de l’actif total de GWL et la multiplication par deux de son endettement total » (rapport Riverside, page 19, paragraphe 57). Cette transaction a donné lieu à une augmentation importante des placements exposés au risque de change. De fait, la valeur de ces placements est passée de 666 millions de dollars américains à 2,031 milliards de dollars américains, ce qui, selon mes calculs, se traduit par une augmentation de plus de 200 %. La valeur nominale en dollars américains des crédits croisés correspondait étroitement à la totalité des placements nets dans les établissements aux États‑Unis qui étaient exposés au risque de change.

[71]        Le fait que GWL n’a pas eu recours à tous les crédits croisés en même temps que l’acquisition de Bestfoods n’est pas fatal, puisque qu’elle il y a eu recours au cours d’une période assez rapprochée de la date de la transaction (Atlantic Sugar Refineries Ltd. v. Minister of National Revenue, [1949] S.C.R. 706, aux pages 711 et 712).

[72]        De plus, le fait que l’appelante avait eu recours aux crédits croisés relativement aux établissements aux États‑Unis dirigés par ses filiales ne modifie pas ma conclusion selon laquelle les crédits croisés constituaient une couverture pour l’appelante (Echo Bay Mines, précitée, aux pages 730 et 731 (C.F.), au paragraphe 61 CarswellNat). L’appelante a établi un parallèle avec les faits de l’arrêt Neonex, précitée. La Cour d’appel fédérale a conclu à l’occasion cette affaire qu’un prêt contracté exclusivement aux fins de renflouer le fonds de roulement d’une filiale qui avait acquis le contrôle d’une autre société était une opération en capital. La société mère avait fait un emprunt en dollars américains et avait prêté l’argent à sa filiale. Lorsque la société mère a remboursé son prêt en dollars américains, elle a fait un gain de change qui, selon la Cour fédérale, était un gain en capital. Pour tirer cette conclusion, la Cour fédérale a attribué le caractère d’immobilisation de la filiale au prêt de la société mère à sa filiale.

[73]        En l’espèce, je conclus qu’il ressort des preuves qu’en ayant recours à des crédits croisés, l’appelante agissait en consultation étroite avec ses filiales et pour leur compte afin de protéger les capitaux propres de l’ensemble du groupe Weston, comme le révèlent les états financiers consolidés. Comme l’ont déclaré Mme Frost et M. Thornton, les placements nets en dollars américains étaient directement extrêmement réactifs au risque de change de GWL. En effet, je conviens avec l’appelante que les fluctuations des placements en dollars américains avaient une incidence sur la structure du capital même de GWL et avaient une incidence sur la valeur des placements directs de GWL dans ses filiales.

[74]        L’intimée a soutenu que le risque de change existait uniquement parce que les PCGR exigeaient que la valeur des actifs nets des filiales soit convertie en dollars canadiens aux fins de l’établissement des états financiers consolidés. À son avis, ce risque de change n’avait aucune incidence sur les flux de trésorerie ou sur les bénéfices de l’appelante. Mme Frost ne semble pas partager ce point de vue. Selon elle, même s’il n’y avait pas d’effet périodique sur les espèces, GWL était quand même exposée au risque que des changements dans les taux de change puissent avoir une incidence défavorable sur la valeur comptable de ses capitaux propres et ce risque pouvait être particulièrement préjudiciable pour les parties prenantes de GWL. À son avis, les investisseurs en actions ou les agences de notation ne voient pas d’un bon œil la volatilité dans les capitaux propres en raison de changements des taux de change (paragraphe 34 de son rapport, pièce A‑11). J’en déduis que le risque de change mentionné par l’intimée avait de fait une incidence sur les flux de trésorerie et les bénéfices de l’appelante, qui aurait pu perdre sa capacité d’emprunt si elle n’avait pas eu recours à une couverture pour atténuer ce risque. D’ailleurs, Standard and Poor’s a lancé un avertissement en ce qui avait trait à la cote de solvabilité de GWL après la décision de GWL de recourir au financement bancaire pour l’acquisition de Bestfoods.

[75]        De surcroît, l’argument de l’intimée ne tient pas compte de l’existence d’un risque réel pour les activités de GWL après l’acquisition de Bestfoods, peu importe les exigences des PCGR ou la déclaration de la valeur « nominale » avant la résiliation des crédits croisés. Ce risque a été constaté au PCD, en conformité avec les PCGR, mais cela ne change pas le fait que GWL était exposée au risque de change associé à une augmentation du ratio emprunts/capitaux propres découlant de l’élargissement de ses avoirs indirects dans des actifs américains. Ce risque a abouti à des conséquences concrètes, comme les a précisées Mme Frost et comme le montre la surveillance de la solvabilité par Standard & Poor’s, tel que cela a été mentionné plus tôt. Cela a amené la direction à couvrir le risque en recourant à des crédits croisés qui étaient directement liés à la valeur des actifs américains de GWL.

Qualification du gain de couverture

[76]        L’intimée a soutenu qu’en l’absence d’un lien avec une opération en capital ou une créance libellée en devises qui exposait l’appelante à un risque de change, le gain de change est assimilé à un revenu d’entreprise. Elle a ajouté qu’aux fins de l’impôt sur le revenu, il ne suffit pas de couvrir un placement net dans des filiales étrangères au moyen d’une couverture du PCD sans avoir l’intention de vendre ce placement, puisqu’il n’existe pas de position de compensation à laquelle les gains ou les pertes découlant du contrat pouvaient correspondre.

[77]        L’intimée s’est d’abord appuyée sur la jurisprudence Atlantic Sugar Refineries Ltd., précité, et sur la jurisprudence Tip Top Tailors Ltd. c. Minister of National Revenue, [1957] S.C.R. 703. Dans les deux cas, la Cour suprême du Canada a conclu que les bénéfices provenant d’instruments dérivés liés à l’achat ou à la vente de marchandises ou de fournitures (du sucre brut dans le premier cas et du tissu dans le deuxième) se rattachaient à l’entreprise et devaient être considérés comme un revenu d’entreprise. En l’espèce, GWL ne conteste pas que les bénéfices tirés d’instruments dérivés rattachés à des marchandises doivent être considérés comme un revenu d’entreprise. En l’espèce, les crédits croisés n’étaient pas rattachés à l’achat ou à la vente de marchandises. GWL a eu recours aux crédits croisés pour stabiliser la valeur des actifs en dollars américains exposés au risque de change sur le bilan. 

[78]        L’intimée a ensuite cité la jurisprudence Salada Foods, précitée. Dans cette affaire, Salada Foods avait tiré un bénéfice de l’achat et de la vente de devises au moyen d’un contrat de vente à terme avec une banque. Salada Foods soutenait que le contrat de vente à terme avait été conclu exclusivement aux fins de protéger son placement dans ses filiales du Royaume‑Uni et que le gain était compensé par la perte découlant de ce placement par suite de la dévaluation de la livre. Ainsi, selon Salada Foods, le gain était imputable au capital et ne découlait ni d’une opération conclue dans le cours de ses opérations commerciales ni d’un projet comportant un risque de caractère commercial. La Couronne a fait valoir que les livres de la société ne faisaient état d’aucune perte réalisée et qu’il s’agissait uniquement d’une perte théorique. La Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait peu ou pas de lien entre le gain de Salada Foods tiré de son contrat de vente à terme et sa perte réelle au titre d’un placement découlant de la dévaluation de la livre. Pour tirer cette conclusion, la Cour fédérale a fait remarquer que Salada Foods n’avait pas produit de preuves dont il ressortait un lien entre le produit et l’investissement dans les filiales. La Cour fédérale a également conclu que Salada Foods ne faisait qu’acheter et revendre des devises en vue de faire un profit, et la société a reconnu que l’opération relevait entièrement de la spéculation (page 6175).

[79]        Comme l’a souligné GWL, dans l’affaire Salada Foods, précitée, la Cour fédérale a été influencée par le fait que Salada Foods spéculait régulièrement sur des devises. De plus, la Cour fédérale a souligné l’absence de preuves concernant la valeur des actifs et donc l’absence d’un lien suffisant entre les instruments dérivés et l’investissement. La Cour fédérale n’a pas réellement dit qu’il était impossible de couvrir une immobilisation.

[80]        Dans l’affaire Shell, précitée, que l’intimée a également citée, Shell a contracté une dette en monnaie étrangère dans une devise faible. Les fonds empruntés ont été utilisés à des fins d’immobilisations. Au même moment, Shell a conclu un contrat de change à terme pour le même montant que le principal de la dette pour couvrir son exposition aux fluctuations de change lors du remboursement de la dette. Shell a réalisé un gain de change sur le remboursement de la dette. Elle a également réalisé un gain de change sur le règlement du contrat de change à terme lorsqu’elle a remboursé la dette. Même si le gain à l’échéance du contrat de change à terme a eu lieu lorsque Shell a remboursé la dette au titre du capital, la Cour suprême du Canada a retenu la thèse le fait qu’il y avait deux gains de change distincts issus de deux opérations distinctes avec deux parties sans lien de dépendance distinctes (page 652, paragraphe 65). La Cour suprême a qualifié le gain tiré du remboursement de la dette de gain en capital parce que l’objet de l’opération sous‑jacente, les contrats d’achat de débentures, était de procurer à Shell un fonds de roulement pour une durée de cinq ans. Il s’agissait d’une dette contractée au titre du capital (page 654, paragraphe 69). En ce qui a trait à la qualification à titre de revenu ou de gain en capital du gain de change provenant du contrat de couverture, la Cour suprême a déclaré qu’elle dépendait de la qualification de la dette à laquelle se rapportait l’opération de couverture (page 654, paragraphe 70). La Cour suprême a déclaré que Shell n’aurait pas conclu les contrats d’achat de débentures sans le contrat de change à terme. Étant donné que le gain provenant des contrats d’achat de débentures était un gain en capital, il en était de même pour le gain provenant du contrat de change à terme.

[81]        L’appelante a signalé que la Cour suprême du Canada n’avait pas déclaré que l’instrument dérivé devait nécessairement être rattaché à une opération distincte, comme le soutient l’intimée en l’espèce. Selon l’appelante, la Cour suprême a plutôt déclaré que, pour qualifier le produit d’une opération dérivée, il était nécessaire de déterminer l’élément sous-jacent ayant créé le risque (dans l’arrêt Shell, la dette) auquel l’instrument dérivé se rattache (lequel élément ne doit pas être nécessairement une opération). J’abonde dans le même sens. La Cour suprême a reconnu l’existence de deux opérations, mais n’a pas déclaré que le gain ou la perte provenant d’une opération dérivée doit nécessairement être rattaché à un gain ou à une perte découlant d’une autre opération, comme le soutient l’intimée. Il est important de déterminer le risque auquel l’opération dérivée est liée et d’établir si l’élément lié qui est exposé au risque (qu’il s’agisse d’une dette ou de placements étrangers) relève du capital ou du revenu. Je suis donc disposée à accepter la thèse de l’appelante selon laquelle tout gain provenant de l’instrument dérivé sera imputable au capital si je conclus que l’instrument dérivé a été utilisé pour couvrir un investissement.

[82]        L’intimée a également cité une jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale, Saskferco Products ULC c. La Reine, précitée. La Cour a alors rejeté l’application des principes de comptabilité de couverture de manière à annuler, aux fins de l’impôt, les pertes et les gains de change de Saskferco découlant du remboursement de prêts et de ventes libellées en dollars américains respectivement (paragraphe 6). Dans cette affaire, Saskferco soutenait qu’un prêt en dollars américains utilisé pour financer la construction d’une usine avait été obtenu comme couverture naturelle à l’égard des recettes des ventes en dollars américains. Saskferco prévoyait que les recettes en dollars américains seraient utilisées pour rembourser le prêt libellé en dollars américains. La baisse du dollar canadien par rapport au dollar américain a entraîné des pertes de change à l’égard des paiements de remboursement du principal de Saskferco relativement au prêt en dollars américains. Au même moment, Saskferco a fait des gains de change sur les recettes de ses ventes en dollars américains. La Cour d’appel a conclu que l’opération sous-jacente était le prêt libellé en devises (et non la couverture des recettes des ventes en dollars américains) et a conclu que les pertes de change étaient imputables au capital. La Cour d’appel a souligné que, dans ce cas, le prêt contracté par Saskferco visait un but commercial indépendant (le financement de la construction de l’usine, une immobilisation) qui n’avait aucun lien avec les contrats de vente (paragraphes 24 et 29).

[83]        L’appelante a observé que, dans l’affaire Saskferco, il n’existait aucune corrélation entre l’opération de couverture (le prêt libellé en dollars américains) et l’élément qui aurait été couvert, les recettes des ventes en dollars américains. Par contraste, en l’espèce, l’appelante a soutenu que les crédits croisés n’étaient pas une opération commerciale indépendante et qu’il n’y avait pas absence de corrélation.

[84]        L’intimée s’est également appuyée sur la jurisprudence Ethicon Sutures Ltd. c. The Queen, 85 DTC 5290, [1985] 2 C.T.C. 6 (CFPI), pour illustrer une autre application du principe de rattachement. Dans cette affaire, la contribuable a réalisé un gain de change sur des fonds placés dans des dépôts à terme libellés en dollars américains. Une partie des fonds a été utilisée pour effectuer des dépenses en capital et une autre partie pour effectuer des achats de stocks. La Cour fédérale a déclaré qu’il était nécessaire d’examiner la nature de l’opération sous-jacente donnant lieu au gain afin de décider s’il s’agissait d’un gain en capital ou d’un revenu (DTC, page 5293; C.T.C., page 10). La Cour fédérale a conclu que la contribuable avait principalement l’intention d’utiliser les fonds en cause à une fin de la nature d’une immobilisation, mais qu’il existait une intention secondaire d’avoir des fonds disponibles pour faire des paiements de stocks (DTC, pages 5292, 5293 et 5294; C.T.C., pages 8, 9 et 11). Pour être assimilés à des gains en capital, les fonds doivent être un surplus et doivent être utilisés exclusivement pour des dépenses en capital : [traduction] « il doit s’agir d’une affectation ferme et définitive et il n’est pas suffisant que les fonds soient “principalement réservés” pour un objet donné » (DTC, page 5294; C.T.C., page 11).

[85]        L’appelante a souligné que la jurisprudence Ethicon ne visait pas une couverture et qu’elle n’appuyait pas l’approche restrictive du ministre à l’égard du principe de rattachement. Je conviens que la jurisprudence Ethicon ne précise pas que le principe de rattachement est limité de la manière soutenue par l’intimée.

[86]        L’appelante a soutenu que rien dans la présente affaire ne donne à penser que les crédits croisés étaient liés à un élément sous-jacent qui relevait du compte de revenu (comme les coûts de production ou de stocks ou les recettes de ventes). Par ailleurs, il ne ressort d’aucun élément de preuve que GWL avait l’intention de réaliser un profit sur les marchés financiers lorsqu’elle a eu recours aux crédits croisés. De fait, les facilités de crédit de GWL, tout comme sa politique d’entreprise, lui interdisaient de faire de la spéculation (GWL était uniquement autorisée à conclure des contrats de couverture afin de gérer ses risques d’une manière compatible avec la politique de gestion des risques des instruments dérivés approuvée par le conseil d’administration (voir par exemple : pièce A‑4, onglet 22, page 1230, paragraphe 6.6 d’un contrat de crédit avec la Banque canadienne impériale de commerce signé le 25 juillet 2001; les rapports annuels de 2001, de 2002 et de 2003 de GWL, pièce A‑1, onglet 1, page 51, onglet 2, page 125 et onglet 3, pages 223 et 224; le procès-verbal du conseil d’administration, pièce A‑9, onglet 2, pages 14 à 19).

[87]        L’appelante a ajouté que GWL avait réaffirmé son intention exclusive en matière de couverture en 2002 lorsque le prix de vente de Bestfoods West a été plus élevé que prévu, à la suite de quoi elle avait mis fin à un nombre correspondant de crédits croisés pour veiller à ce que le montant de crédits croisés ne soit pas supérieur aux placements en dollars américains nets.

[88]        Par ailleurs, l’appelante a ajouté que la résiliation par GWL des crédits croisés en 2003 était compatible avec cette intention parce que GWL visait uniquement à couvrir les établissements aux États‑Unis pendant que le risque de change qui y était associé dépassait des niveaux acceptables. Après que GWL eut conclu que le risque avait diminué en 2003, en ce que son ratio emprunts/capitaux propres était revenu au niveau souhaité, elle n’avait plus besoin des crédits croisés qui restaient pour protéger la structure du capital et elle y a mis fin. Le règlement des contrats d’instruments dérivés avant leur date d’échéance ne fait pas en sorte que ces opérations ne sont pas une couverture (Echo Bay, précitée, pages 730 et 731, C.F., et paragraphe 61, CarswellNat; observations écrites de l’appelante, paragraphes 79, 84 et 98).

[89]        J’abonde dans le sens de l’appelante. Selon ma perception de l’ensemble de l’affaire, d’un point de vue commercial, GWL n’aurait pas recouru aux crédits croisés en cause en l’absence de la transaction relative à Bestfoods. Avant cette acquisition, GWL avait eu recours à quelques crédits croisés pour couvrir une partie de son actif aux États-Unis. Outre ce cas, la politique de GWL n’était pas de négocier des instruments dérivés ou de spéculer sur les fluctuations de change. Je retiens l’idée que, lorsqu’elle a eu recours aux crédits croisés, GWL avait l’intention de couvrir le placement dans les établissements aux États‑Unis, qui l’exposait à un risque de change en ce qu’il avait une incidence sur ses placements et sur la structure du capital. Le placement indirect de GWL dans les établissements aux États‑Unis, tout comme son placement direct dans ses filiales, était de la nature d’une immobilisation. Par conséquent, je conclus que GWL a eu recours aux crédits croisés pour couvrir un investissement.

[90]        De plus, je retiens également l’idée qu’en 2003, lorsque l’appelante a décidé de mettre fin aux crédits croisés, son intention n’avait pas changé. L’appelante a conclu que son risque de change associé aux placements dans les établissements aux États‑Unis avait diminué, en partie parce que GWL avait remboursé une partie de sa dette. M. Mavrinac et Mme Swartzman ont tous deux déclaré qu’il était prévu que le ratio emprunts/capitaux propres serait ramené au niveau de 1 pour 1, niveau prévu par la ligne directrice interne GWL, d’ici la fin de cette année‑là et que le bilan des états financiers consolidés était maintenant suffisamment solide pour que GWL soit en mesure d’absorber le risque de change en raison des fluctuations de devises associées à un PCD non couvert. Ainsi, les crédits croisés n’étaient plus requis pour l’objet qui avait initialement incité GWL à y recourir (transcription, volume 1, témoignage de M. Mavrinac, pages 80 et 81, et témoignage de Mme Swartzman, pages 228 à 232). La décision de mettre fin aux crédits croisés plus tôt était liée à la nouvelle évaluation des risques mêmes qui avaient tout d’abord incité GWL à y recourir en premier lieu. Il ne ressort d’aucun élément de preuve que la résiliation découlait de la spéculation ou d’un changement d’intention de sorte que l’intention était maintenant de tirer avantage du marché des instruments dérivés.

[91]        Compte tenu des éléments de preuve produits par les représentants de l’appelante, du témoignage et des rapports des experts, de même que de la jurisprudence, je conclus que les instruments financiers dérivés sont, en règle générale, « des contrats dont la valeur devient fonction de celle d’un actif, d’un taux de référence ou d’un indice qui lui est sous‑jacent » (Placer Dome, précité, au paragraphe 29). De tels instruments dérivés sont utilisés pour atténuer un risque financier (couverture), comme c’était le cas par exemple dans les affaires Placer Dome et Shell, précitée, ou à des fins de spéculation, comme c’était le cas dans l’affaire Salada Foods, précitée.

[92]        Il est vrai que les méthodes comptables ne constituent pas, en elles-mêmes, de règles de droit en matière d’impôt sur le revenu (Shell, au paragraphe 73). La jurisprudence enseigne aussi qu’une couverture comptable peut ne pas être appropriée à des fins fiscales en l’absence d’une corrélation entre l’opération de couverture et l’élément de risque à couvrir (Saskferco, précité). Je conclus toutefois, comme il ressort de la jurisprudence Placer Dome, que la définition de la couverture selon des principes d’affaires reconnus, notamment les PCGR, est pertinente, plus particulièrement dans une situation comme celle en l’espèce, où la LIR est muette et ne définit pas ce qu’est la couverture aux fins de l’impôt (sauf, comme je l’ai signalé plus tôt, au paragraphe 20(3.1) de la LIR en matière de prêts en devise faible; définition qui ne joue toutefois pas ici).

[93]        Dans son rapport d’expert (pièce A‑12, aux paragraphes 77 à 88), le professeur Thornton a conclu que l’appelante satisfaisait aux exigences des PCGR pour que les crédits croisés soient assimilés à une couverture : 1) elle a, de façon crédible, désigné les crédits croisés à l’avance comme une couverture dans les états financiers consolidés; 2) la corrélation entre les gains et les pertes au titre des crédits croisés et les gains et les pertes au titre du PCD était très étroite et la corrélation s’est maintenue tout au long de la période pendant laquelle la couverture était en place.

[94]        Le professeur Chlala, l’expert de l’intimée, a convenu que l’appelante inscrivait avec raison les crédits croisés comme couverture dans ses états financiers consolidés (rapport d’expert du professeur Chlala, pièce R‑1, page 4). Le professeur Chlala était toutefois d’avis que la désignation des crédits croisés à titre d’instrument de couverture comptable relevait du choix de l’appelante. Selon ses dires, l’appelante aurait pu déclarer [traduction] « les gains ou les pertes au titre de ces instruments dérivés dans le compte de revenu de la même manière que si l’entité avait fait de la spéculation » (pages 30 et 31 de son rapport). En fait, le gain obtenu à la liquidation des crédits croisés (en cause en l’espèce) a été déclaré dans les frais d’exploitation de l’état des résultats des états financiers de l’entité juridique de GWL (les états financiers non consolidés) pour l’année 2003 (pièce R‑1, onglet 1, et transcription, volume 3, pages 115 à 117). Le professeur Chlala a en même temps déclaré qu’un ensemble d’états financiers (consolidés ou non consolidés) n’était pas plus fiable qu’un autre pour déclarer les bénéfices à la liquidation des crédits croisés. Il a également signalé que les états financiers de l’entité juridique n’étaient pas appropriés pour les investisseurs (transcription, volume 3, pages 120 et 121). À son avis, [traduction] « les gains ou les pertes à l’égard [des crédits croisés ne devaient pas] être interprétés exclusivement à la lumière de leur présentation dans des états financiers consolidés dans lesquels les règles de comptabilité de couverture ont été appliquées comme le permettent les [PCGR] » (page 4 de son rapport). En contre‑interrogatoire, il a toutefois dû admettre qu’il n’était pas un expert en matière d’interprétation du traitement fiscal des gains ou des pertes découlant de la liquidation de crédits croisés suivant la LIR (transcription, volume 3, pages 140 à 143).

[95]        Je constate également que, même si le choix de recourir à la comptabilité de couverture existait, une fois le choix fait, il fallait respecter les règles strictes des PCGR prévues pour la comptabilité de couverture. Avant de recourir aux crédits croisés, GWL a pris la décision de recourir à la comptabilité de couverture et elle était par conséquent tenue de respecter les règles rigoureuses qui s’y rapportaient[1] (rapport Thornton, paragraphes 24 à 26 et 78 à 80). L’expert de l’intimée l’a reconnu également, déclarant que [traduction] « [l]es conditions requises pour la comptabilité de couverture sont rigoureuses et exigent beaucoup de temps et de ressources » (rapport d’expert du professeur Chlala, pièce R‑1, paragraphe 56 et page 4).

[96]        Je conclus que l’appelante a recouru aux crédits croisés et les a à juste titre déclarés à titre de couverture dans ses états financiers consolidés aux fins comptables et fiscales. Comme l’a relevé le professeur Thornton dans son rapport, les états financiers consolidés constituent les états financiers de GWL (pièce A‑12, paragraphe 49 et note de bas de page 15). Je conclus que l’appelante ne se livrait pas à la spéculation et que la spéculation au moyen d’instruments dérivés n’était pas sa politique. Il a été démontré que le montant de crédits croisés correspondait le plus étroitement possible au montant du placement net dans des établissements américains autonomes (rapport Thornton, pièce A‑12, paragraphe 19).

[97]        Je rejette également le raisonnement de l’intimée, selon lequel le produit tiré d’un contrat de couverture ne peut pas être imputé au capital en l’absence de vente ou d’une vente proposée de l’élément sous-jacent couvert (voir l’opinion publiée de l’ARC sur la question, reproduite au paragraphe 110 des observations de l’appelante). Je conviens avec l’appelante que cette opinion n’a aucun fondement juridique et qu’elle est une mauvaise interprétation de la jurisprudence. Dans l’affaire Salada Foods, aucun élément de preuve ne rattachait le produit tiré de l’instrument dérivé à l’investissement dans les filiales et l’instrument dérivé était nettement de nature spéculative. À l’occasion de l’affaire Shell, il a été conclu que le produit de couverture est imputé au capital si l’élément couvert est une immobilisation. La Cour suprême n’a pas établi de règle qui pourrait aller dans le sens de l’approche restrictive de l’intimée. Dans les affaires Atlantic Sugar et Tip Top Tailors, les instruments dérivés ont été utilisés pour couvrir ce qui était nettement des opérations imputables au revenu. En ce qui a trait aux affaires Placer Dome et Echo Bay, aucune d’elles ne visait la qualification de capital par opposition au revenu. Dans l’affaire Ethicon, une intention secondaire a été établie et une partie des fonds a clairement été utilisée pour des opérations imputables au revenu.

[98]        En résumé, la présente affaire vise une situation sur laquelle la jurisprudence n’est jamais encore penchée, du moins à ma connaissance. Après mûre réflexion, l’appelante a pris la décision commerciale de recourir à des crédits croisés afin de protéger les capitaux propres consolidés de son groupe. Elle connaissait mieux que quiconque les conséquences de l’exposition de son placement net au risque de fluctuations de change. Les crédits croisés sont des instruments commerciaux dérivés conçus expressément pour contourner ce genre de risque. Comme l’a déclaré Mme Frost, les crédits croisés ne constituaient pas des opérations spéculatives. Il s’agissait d’opérations de couverture sur le marché financier. Une fois le risque écarté, il n’était plus nécessaire de conserver les crédits croisés. En l’espèce, GWL avait conclu que les crédits croisés n’étaient plus nécessaires à la suite de la réduction significative du risque relatif au placement net. Elle a donc décidé de liquider les crédits croisés. J’ai conclu que GWL avait recouru aux crédits croisés pour protéger un investissement et que ceux‑ci étaient par conséquent rattachés à une immobilisation. En l’absence d’un risque inacceptable à l’égard de ces immobilisations, les crédits croisés devaient prendre fin, puisque la raison pour laquelle ils existaient n’était plus d’actualité, et le gain ou la perte découlant de la liquidation des crédits croisés doit, à mon avis, être considéré comme étant imputable au capital. Les crédits croisés n’étaient rattachés en aucune manière à un revenu d’entreprise comme tel.

Projet comportant un risque de caractère commercial

[99]        Ce moyen subsidiaire qu’a soulevé l’intimée ne tient pas.

[100]   J’ai conclu que l’appelante n’a pas recouru aux crédits croisés à des fins de spéculation. J’ai également conclu que l’intention initiale de l’appelante n’avait pas été remplacée par une intention ultérieure fondée sur la spéculation lorsqu’elle a pris la décision de liquider les crédits croisés. Le risque qui existait lorsque l’appelante avait recouru aux crédits croisés avait diminué et il n’était plus nécessaire de les conserver. En guise d’analogie, l’investisseur qui achète des actions pour son portefeuille peut décider de les vendre s’il est en mesure d’obtenir un bon prix. Cela ne signifie pas qu’il fait de la spéculation. Il en va de même en l’espèce. Le fait que l’appelante a saisi l’occasion de mettre fin aux crédits croisés lorsqu’ils étaient [traduction] « dans le cours » ne transforme pas automatiquement l’opération de couverture en spéculation donnant lieu à un projet comportant un risque de caractère commercial pourvu qu’une explication valable existe pour mettre fin à la couverture. 

[101]   L’appelante a cité la décision que j’ai rendue à l’occasion de l’affaire Les propriétés Belcourt Inc. c. La Reine, 2014 CCI 208, [2014] DTC 1182, qui contient au paragraphe 30, la liste suivante de facteurs, énoncés dans la décision Happy Valley Farms Ltd. v. The Queen, [1986] 2 C.T.C. 259, à suivre pour trancher la question de savoir si une opération constitue un projet comportant un risque de caractère commercial :

Plusieurs critères, dont un bon nombre sont semblables à ceux qui ont été énoncés par la Cour dans l’arrêt Taylor, ont été utilisés par les tribunaux afin de déterminer si un gain constitue un revenu ou s’il est imputable au capital. Mentionnons, entre autres choses, les critères suivants :

1.  La nature du bien qui est vendu. Presque tous les biens, quels qu’ils soient, peuvent être acquis pour qu’on en fasse le commerce, mais certains genres de biens, comme les produits manufacturés, qui sont en général commercialisés seulement, font rarement l’objet d’un investissement. Il y a plus de chances pour qu’un bien qui ne rapporte à son propriétaire aucun revenu ou qui ne lui procure aucune satisfaction personnelle du simple fait qu’il lui appartient soit acquis afin d’être vendu que le bien qui rapporte pareille [sic] revenu ou procure pareille satisfaction.

2.  La durée de la possession. En règle générale, les biens destinés à faire l’objet d’un commerce sont convertis en espèces peu de temps après avoir été acquis. Néanmoins, il existe de nombreuses exceptions à cette règle générale.

3.  La fréquence ou le nombre d’opérations similaires effectuées par le contribuable. Si des biens d’une catégorie particulière ont été vendus à maintes reprises pendant un certain nombre d’années ou si plusieurs ventes ont eu lieu vers la même époque, on peut présumer qu’il s’agissait d’opérations commerciales.

4.  Les améliorations faites sur le bien converti en espèces ou se rapportant à pareil bien. Si le contribuable s’efforce de mettre le bien dans un état qui lui permettre [sic] de le vendre plus facilement pendant qu’il en est propriétaire, ou s’il fait un effort particulier afin de trouver ou d’attirer des acheteurs (par exemple, en ouvrant un bureau ou en faisant de la publicité), la chose tend à prouver l’existence d’une opération commerciale.

5.  Les circonstances qui ont entraîné la vente du bien. Il peut exister certaines explications, comme un cas urgent ou une occasion nécessitant de l’argent en espèces, qui feront qu’il sera impossible de conclure que le bien a initialement été acquis à des fins commerciales.

6.  Le motif. Dans tous les cas de ce genre, le motif du contribuable est toujours pertinent. L’intention au moment de l’acquisition d’un bien, déduite à partir des circonstances et de la preuve directe, constitue l’un des éléments les plus importants aux fins de la détermination de la question de savoir si un gain constitue un revenu ou s’il est imputable au capital.

[102]    Dans ma décision rendue à l’occasion de l’affaire Belcourt, précitée, je citais l’arrêt Canada Safeway Ltd. c. La Reine, 2008 CAF 24, 2008 DTC 6074, dans lequel la Cour d’appel fédérale a souligné, au paragraphe 43, que le facteur le plus déterminant est l’intention qu’avait le contribuable au moment de l’acquisition du bien. Si cette intention révèle l’existence d’un plan visant la réalisation de bénéfices, l’opération est un projet comportant un risque de caractère commercial.

[103]   Par la décision Salada Foods, précitée, la Cour fédérale a également donné des précisions à propos de cette question. Se reportant à l’arrêt de la Cour de l’Échiquier rendue à l’occasion de l’affaire M.N.R. c. James A. Taylor, 1956 CarswellNat 222, [1956] C.T.C. 189, plusieurs facteurs négatifs et positifs ont été recensés. Le plus pertinent aux fins du présent appel est l’un des facteurs positifs : [traduction] « si la manière dont une personne traite la marchandise qu’elle a achetée de la même manière qu’un négociateur de telles marchandises le ferait ordinairement, une telle opération est un projet comportant un risque de caractère commercial » (Salada Foods, précitée, à la page 6174).

[104]   Par la décision Ethicon Sutures, précité, la Cour fédérale a déclaré que, [traduction] « dans le cas où l’opération est une opération de spéculation effectuée dans l’espoir de réaliser un bénéfice, elle sera considérée comme un projet comportant un risque de caractère commercial [...] » (DTC, page 5293, C.T.C., page 10).

[105]   Comme je l’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs, au moment de recourir aux crédits croisés, l’intention de GWL était de couvrir le risque de change associé à l’augmentation du ratio emprunts/capitaux propres découlant de la conversion de ses actifs américains. Une fois le ratio emprunts/capitaux propres revenu à des niveaux acceptables, la direction a conclu que les crédits croisés n’étaient plus nécessaires. Même si l’entreprise avait besoin d’argent au moment de la liquidation des crédits croisés, la preuve montre que le risque de change non couvert était acceptable pour la direction, compte tenu de l’amélioration du ratio emprunts/capitaux propres en 2003. Autrement dit, en 2003, la direction a estimé que la volatilité d’un PCD non couvert n’écarterait pas GWL de sa ligne directrice interne relative au ratio emprunts/capitaux propres. GWL ne s’est pas transformée en spéculatrice sur les marchés d’instruments dérivés, violant ainsi ses politiques internes et ses accords de crédits, simplement parce que les crédits croisés étaient [traduction] « dans le cours » lorsqu’elle y a mis fin.

[106]   De plus, GWL n’a pas exercé l’activité de négociatrice d’instruments dérivés. Mme Frost a conclu que les opérations sur instruments dérivés de GWL étaient incompatibles avec la spéculation sur le marché des changes. Elle a déclaré que, si GWL avait véritablement voulu spéculer sur les marchés des changes, [traduction] « elle aurait vraisemblablement recouru aux marchés des changes au comptant ou aux marchés d’options, qui sont plus liquides et qui seraient des outils de spéculation beaucoup plus efficaces. » Il en est ainsi parce que les crédits croisés, plus particulièrement les crédits croisés à long terme, coûtent très cher et sont assortis de coûts de transaction élevés (rapport Riverside, alinéa 73d), et transcription, volume 2, pages 185 à 187). De surcroît, la direction n’a exprimé aucune opinion quant la direction future du taux de change du dollar américain en dollar canadien. L’analyse se concentrait sur le risque de change et sur son incidence sur le bilan (rapport Riverside, alinéa 73e), et pièce A‑9, onglets 3 et 6). Par conséquent, la nature même des crédits croisés en faisait des moyens inefficaces de réaliser un bénéfice sur le marché des instruments dérivés libellés en devises et GWL n’avait pas la qualité de négociatrice de crédits croisés.

[107]   En ce qui concerne la durée de la possession, GWL a recouru aux crédits croisés pour des périodes s’étalant principalement sur dix à 15 ans, engageant ainsi des coûts de transaction associés aux crédits croisés à long terme. Même si les crédits croisés ont pris fin de façon anticipée, les circonstances menant à la résiliation étaient liées à l’évaluation d’un risque commercial, non à la spéculation sur le taux de change.

[108]   Pour paraphraser l’enseignement de l’arrêt Shell, précité, au paragraphe 75, GWL n’a pas agi comme négociateur lorsqu’elle a recouru ou mis fin aux crédits croisés. Les crédits croisés étaient utilisés pour couvrir un risque dans son entreprise. GWL ne spéculait en aucune façon sur les instruments dérivés pas plus qu’elle n’était engagée dans un projet comportant un risque commercial.

Question subsidiaire : si les crédits croisés ne constituent pas une couverture

[109]   En raison de ma conclusion selon laquelle les crédits croisés constituaient une couverture pour protéger un investissement et que, par conséquent, le gain provenant de la résiliation des crédits croisés est un gain en capital, il n’est pas nécessaire d’examiner la troisième question soulevée par les parties, c’est‑à‑dire celle de savoir si le produit doit être considéré comme un gain en capital ou un revenu, peu importe si les crédits croisés constituaient ou non une couverture.

Décision

[110]   Par les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli avec dépens en faveur de l’appelante.

Signée à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 2015.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d’octobre 2015.

François Brunet, réviseur


Référence :

2015 CCI 42

No dU dossier de la Cour :

2011-3489(IT)G

Intitulé :

George Weston LimitÉe c. Sa Majesté la Reine

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 18, 19, 20 et 21 août 2014

Motifs du jugement :

L’honorable juge en chef adjointe Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 février 2015

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Salvatore Mirandola

Me Patrick Lindsay

Avocates de l’intimée :

Me Elizabeth Chasson 

Me Alexandra Humphrey

Avocats inscrits au dossier :

Pour l’appelante :

Nom :

Salvatore Mirandola

Patrick Lindsay

 

Cabinet :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 


[traduction]

2011-3489(IT)G

cour canadienne de l’impôt

e n t r e :

GEORGE wESTON LIMITÉE

appelante,

et

Sa Majesté la reine

intimée.

Exposé conjoint partiel des faits

Les parties conviennent de ce qui suit uniquement aux fins de la présente instance :

L’identification de l’appelante et de certaines filiales

1.         L’appelante (« GWL ») est une société constituée sous le régime des lois du Canada. Le siège social de GWL est situé à Toronto.

2.         Pendant la période pertinente, les actions ordinaires et les actions privilégiées de GWL étaient cotées et négociées à la Bourse de Toronto.

3.         Pendant la période pertinente, GWL était la société de portefeuille mère de filiales au Canada, aux États-Unis (« É.-U. »), à Gibraltar, en Hongrie, au Luxembourg et aux Pays‑Bas.

4.         Pendant la période pertinente, les filiales de l’appelante incluaient deux filiales directes canadiennes en propriété exclusive : Weston Foods Inc. (« WFI Canada ») et Megargy Holdings Inc. (« Megargy Holdings »).

5.         Au 30 juillet 2001 :

a)         Weston Foods, Inc. (« WFI US »), une société américaine, possédait des filiales directes en propriété exclusive qui exploitaient des entreprises dans le domaine des produits de boulangerie, des produits laitiers et des produits de la mer aux États-Unis;

b)         les actions de WFI US étaient détenues par une société luxembourgeoise, Dunedin Holdings Sàrl (« Dunedin Holdings »);

c)         les actions de Dunedin Holdings étaient détenues par une société gibraltarienne, Dicoa Holdings Limited (« Dicoa »);

d)         les actions de Dicoa étaient détenues par une société néerlandaise, Dicoa BV, WFI Canada et GWL.

6.         Au 31 décembre 2000, la valeur des actifs nets des entreprises des États-Unis du groupe de sociétés GWL, constitués en grande majorité des actif nets de WFI US et de ses filiales, s’élevait à environ 816 millions de dollars américains.

7.         À titre de société cotée en bourse, GWL levait des fonds sur les marchés publics. GWL empruntait également des fonds à des institutions financières et faisait des émissions obligataires sur les marchés publics.

L’acquisition de Bestfoods

            La convention relative à Bestfoods

8.         Le 18 février 2001, GWL a conclu une convention d’achat d’actions et d’éléments d’actif (la « convention relative à Bestfoods ») avec Bestfoods (une société américaine) (« Bestfoods »), Bestfoods Baking Co., Inc. (une société américaine) (« Bestfoods Baking ») et Thomas Trademark Holding BV (une société de droit néerlandais) (« Thomas Trademark »).

9.         Avant le 18 janvier 2001, Bestfoods Baking possédait en propriété exclusive plusieurs filiales qui exploitaient des entreprises dans le domaine des produits de boulangerie aux États‑Unis.

10.       Conformément à la convention relative à Bestfoods, GWL a convenu d’acheter ou d’enjoindre à une ou à plusieurs de ses filiales d’acheter ce qui suit :

a)         de Bestfoods, toutes les actions de Bestfoods Baking;

b)         de Thomas Trademark, une partie des marques de commerce, des licences et du savoir-faire utilisés dans le cadre des entreprises exploitées par les filiales de Bestfoods Baking dans le domaine des produits de boulangerie (les « marques de commerce de Thomas »).

11.       Le 1er juin 2001, GWL a cédé son droit d’acquérir les actions de Bestfoods Baking à une société américaine, Weston Acquisition Inc. (« WAI »), dont les actions appartenaient à Dicoa à cette date.

12.       Le 1er juin 2001, GWL a cédé son droit d’acquérir les marques de commerce de Thomas à une société hongroise, Megargy Licensing Company Kft (« Megargy Licensing ») dont les actions appartenaient à Megargy Holdings à cette date.

13.       Le 30 juillet 2001, la transaction énoncée dans la convention relative à Bestfoods (l’« acquisition de Bestfoods ») a été effectuée de la manière suivante :

a)         WAI a acheté toutes les actions de Bestfoods Baking pour un prix d’achat d’environ 1,42 milliard de dollars américains;

b)         Megargy Licensing a acheté les marques de commerce de Thomas pour un prix d’achat d’environ 345 millions de dollars américains.

14.       Immédiatement après l’acquisition de Bestfoods, la raison sociale Bestfoods Baking est devenue George Weston Bakeries Inc.

Le financement de l’acquisition de Bestfoods

15.       Afin de financer l’acquisition de Bestfoods, GWL a emprunté environ 2,1 milliards de dollars canadiens et 400 millions de dollars américains auprès d’un consortium bancaire conformément à un contrat de crédit daté du 25 juillet 2001 (la « facilité de crédit »).

16.       GWL a utilisé environ 2,1 milliards de dollars canadiens pour acheter des dollars américains.

17.       Entre le moment de la signature de la convention relative à Bestfoods et la conclusion de l’acquisition de Bestfoods, GWL a conclu divers contrats sur instruments dérivés, tels que des contrats à terme et des options, pour fixer le prix qu’elle serait tenue de payer pour convertir son emprunt de 2,1 milliards de dollars canadiens en dollars américains en juillet 2001.

L’achat des marques de commerce de Thomas

18.       Le 30 juillet 2001 :

a)         GWL a souscrit 500 000 actions ordinaires de Megargy Holdings pour un prix de souscription libellé comme étant l’équivalent en dollars canadiens de 345 151 000 $ US, soit 539 609 073 $ CA;

b)         GWL a transféré à Megargy Holdings l’équivalent en dollars américains de 539 609 073 $ CA, soit 345 151 000 $ US, en règlement du prix de souscription en dollars canadiens;

c)         Megargy Holdings a utilisé le montant de 345 151 000 $ US qu’elle a reçu de Megargy Holdings pour effectuer des placements en actions dans Megargy Licensing;

d)         Megargy Licensing a transféré 345 000 000 $ US à Unilever Capital Corporation pour acheter les marques de commerce de Thomas.

L’acquisition des actions de Bestfoods Baking

19.       Le 30 juillet 2001 :

Investissement de GWL dans Weston LLC

a)         GWL a utilisé les 400 000 000 $ US qu’elle avait empruntés aux termes de la facilité de crédit pour effectuer un apport de capital dans Weston LLC en échange de 8 001 actions de Weston LLC;

Prêt de Weston LLC à WAI

b)         Weston LLC a acheté de WAI des billets à escompte de premier rang, série A, représentant un principal total de 640 226 000 $ CA;

c)         Weston LLC a convenu d’acheter les billets à escompte de premier rang, série A, de WAI à un escompte d’émission initiale de 95,591 %, représentant environ 612 000 000 $ CA;

d)         Weston LLC a acheté les billets à escompte de premier rang, série A, de WAI en transférant l’équivalent en dollars américains de 612 000 000 $ CA, soit 400 000 000 $ US;

e)         le prêt était remboursable à Weston LLC en dollars canadiens;

f)         GWL et WAI ont eu recours à des crédits croisés aux termes desquels GWL a convenu de payer 612 000 000 $ CA et WAI a convenu de payer 400 000 000 $ US à leur résiliation;

g)         en novembre 2001, WAI a remboursé une partie du prêt à Weston LLC;

h)         Weston LLC a rapatrié les fonds qu’elle a reçus de WAI en novembre 2001 par voie de remboursement de capital à GWL;

i)          le solde du prêt a été remboursé à Weston LLC en janvier 2002;

j)          Weston LLC a alors remis ces fonds à GWL;

k)         GWL a utilisé les fonds reçus de Weston LLC pour rembourser la facilité de crédit de 400 000 000 $ US;

Prêt de GWL à WAI

l)          GWL a prêté 305 000 000 $ US à WAI et, par conséquent, elle a cédé 305 000 000 $ US à WAI;

m)        WAI a émis un billet à ordre de 305 000 000 $ US à GWL en contrepartie du prêt;

n)         le prêt de GWL à WAI était exposé aux fluctuations des taux de change;

o)         le prêt était remboursable à GWL en dollars américains;

p)         le prêt a été remboursé à GWL avant le 1er janvier 2003;

            Prêt de GWL à WFI Canada

q)         GWL a prêté à WFI Canada un montant exprimé comme étant l’équivalent en dollars canadiens de 692 351 000 $ US, soit 1 082 421 552 $ CA;

r)          suivant cet accord de prêt, GWL a transféré 692 351 000 $ US à WFI Canada;

s)         WFI Canada a émis à GWL un billet à ordre libellé comme étant l’équivalent en dollars canadiens de 692 351 000 $ US;

t)          le prêt était remboursable à GWL en dollars canadiens;

Investissement de WFI Canada dans Dicoa

u)         WFI Canada a souscrit des actions ordinaires de Dicoa pour un prix de souscription de 692 351 000 $ US;

v)         WFI Canada a payé le prix de souscription des actions de Dicoa en transférant à Dicoa les 692 351 000 $ US qu’elle avait reçus de GWL conformément au prêt consenti par GWL;

Investissement de Dicoa dans WAI

w)        Dicoa a utilisé 200 000 000 $ US du produit de souscription reçu de WFI Canada pour souscrire des actions de WAI;

x)         Dicoa a utilisé le solde du produit de souscription reçu de WFI Canada, ainsi que des fonds en caisse dont elle disposait, pour souscrire d’autres actions de Dunedin Servicing Company Rt (« Dunedin Servicing »), une de ses filiales en propriété exclusive située en Hongrie, à un prix de souscription total de 565 000 000 $ US;

Prêt de Dunedin Servicing à WAI

y)         Dunedin Servicing a prêté à WAI le produit de souscription de 565 000 000 $ US reçu de Dicoa;

WAI achète les actions de Bestfoods Baking

z)         WAI a utilisé 1,42 milliard de dollars américains des fonds reçus de GWL, de Dicoa et de Dunedin Servicing pour acheter les actions de Bestfoods Baking et, par conséquent, a transféré 1,42 milliard de dollars américains à Unilever Capital Corporation.

Bestfoods West

20.       Au moment où GWL a conclu la convention relative à Bestfoods, GWL voulait faire en sorte que Bestfoods Baking (devenue George Weston Bakeries Inc.) vende ses entreprises dans l’ouest des États-Unis (« Bestfoods West ») et prévoyait que le produit de la vente s’élèverait à environ 400 millions de dollars américains.

21.       Le 4 mars 2002, Bestfoods Baking (dont la raison sociale était devenue George Weston Bakeries Inc.) et certaines de ses filiales ont vendu Bestfoods West pour un prix de vente d’environ 610 millions de dollars américains.

Les crédits croisés

22.       Le 19 juin 2000 ou aux environs de cette date, GWL a eu recours à trois crédits croisés aux termes desquels elle convenait avec ses contreparties d’échanger un total de 150 000 000 $ US pour la somme de 220 875 000 $ CA à l’échéance ou à la résiliation anticipée des crédits croisés.

23.       Avant le 19 juin 2000, GWL n’avait pas eu recours à des crédits croisés en vue de les utiliser pour gérer des risques de change associés à la conversion de la valeur des actifs nets exprimés en dollars américains de ses établissements étrangers autonomes en dollars canadiens pour les besoins de ses états financiers consolidés.

24.       Le 30 juillet 2001 ou aux environs de cette date, GWL a eu recours à deux autres crédits croisés aux termes desquels elle convenait avec ses contreparties d’échanger un total de 164 816 000 $ US pour la somme de 253 816 640 $ CA à l’échéance ou à la résiliation anticipée des crédits croisés.

25.       Le 10 octobre 2001 ou aux environs de cette date, GWL a eu recours à six autres crédits croisés aux termes desquels elle convenait avec ses contreparties d’échanger un total de 860 000 000 $ US pour la somme de 1 348 136 000 $ CA à l’échéance ou à la résiliation anticipée des crédits croisés.

26.       Le 24 octobre 2001 ou aux environs de cette date, GWL a eu recours à neuf autres crédits croisés aux termes desquels elle convenait avec ses contreparties d’échanger un total de 900 000 000 $ US pour la somme de 1 393 607 871 $ CA à l’échéance ou à la résiliation anticipée des crédits croisés.

27.       Entre 2000 et 2001, GWL a eu recours aux crédits croisés suivants :

 

Date de commencement

 

Montant à échanger par GWL

à l’échéance / à la résiliation

($ US)

Montant à échanger par les contreparties

 à l’échéance /à la résiliation

($ CA)

1

19 juin 2000

50 000 000 

73 625 000 

2

19 juin 2000

50 000 000 

73 625 000 

3

19 juin 2000

50 000 000 

73 625 000 

4

30 juill. 2001

102 000 000 

157 080 000 

5

30 juill. 2001

62 816 000 

96 736 640 

6

10 oct. 2001

225 000 000 

352 710 000 

7

10 oct. 2001

225 000 000 

352 710 000 

8

10 oct. 2001

180 000 000 

282 168 000 

9

10 oct. 2001

100 000 000 

156 760 000 

10

10 oct. 2001

99 000 000 

155 192 400 

11

10 oct. 2001

31 000 000 

48 595 600 

12

24 oct. 2001

180 000 000 

282 168 000 

13

24 oct. 2001

175 000 000 

269 473 925 

14

24 oct. 2001

146 000 000 

224 818 246 

15

24 oct. 2001

125 000 000 

192 481 375 

16

24 oct. 2001

100 000 000 

153 985 100 

17

24 oct. 2001

75 000 000 

115 488 825 

18

24 oct. 2001

35 200 000 

55 179 520 

19

24 oct. 2001

34 800 000 

54 552 480 

20

24 oct. 2001

29 000 000 

45 460 400 

 

 

2 074 816 000 

3 216 435 511 

28.       Chaque crédit croisé comportait les caractéristiques suivantes :

a)         à la date de commencement du crédit croisé, GWL était considérée comme ayant échangé avec la contrepartie un montant stipulé en dollars canadiens pour un montant stipulé en dollars américains;

b)         les montants stipulés étaient calculés en fonction du taux de change du dollar canadien en dollar américain à la date de commencement;

c)         dans la plupart des cas, les montants stipulés n’étaient pas réellement échangés à la date de commencement;

d)         à compter de la date de commencement jusqu’à la date d’échéance ou de résiliation du crédit croisé, GWL était tenue d’échanger périodiquement avec la contrepartie un montant calculé en appliquant un taux d’intérêt variable en dollars américains au montant stipulé en dollars américains à l’égard d’un montant calculé en appliquant un taux d’intérêt variable en dollars canadiens au montant stipulé en dollars canadiens (les « montants périodiques »);

e)         ces paiements périodiques n’étaient pas échangés au moyen de deux paiements simultanés;

f)         un paiement net était plutôt effectué par la partie dont la valeur du montant périodique était supérieure à la date de paiement (le « paiement périodique »);

g)         le paiement périodique correspondait à la différence entre la valeur du paiement périodique supérieur et la valeur du paiement périodique inférieur;

h)         à la date d’échéance ou de résiliation anticipée du crédit croisé (« résiliation »), GWL était tenue d’échanger le montant stipulé en dollars américains contre le montant stipulé en dollars canadiens;

i)          les montants stipulés à échanger à la résiliation n’étaient pas échangés au moyen de deux paiements simultanés;

j)          un paiement net était plutôt effectué par la partie dont la valeur du montant périodique était supérieure compte tenu du taux de change du dollar canadien en dollar américain à la date de résiliation comparativement au taux de change du dollar canadien en dollar américain à la date de commencement;

k)         le paiement de règlement net correspondait à la différence entre la valeur du montant stipulé ayant la plus grande valeur à la date de résiliation et la valeur du montant stipulé ayant la valeur plus faible à la date de résiliation;

l)          si la valeur du dollar canadien comparativement au dollar américain était supérieure à la date d’échéance ou de résiliation anticipée qu’elle ne l’avait été à la date de commencement du crédit croisé, le montant en dollars canadiens que la contrepartie de GWL était tenue de fournir à l’échéance ou à la résiliation anticipée était supérieur à l’équivalent en dollars canadiens du montant en dollars américains que GWL était tenue de fournir et, par conséquent, la contrepartie de GWL devait effectuer le paiement net à GWL;

m)        si la valeur du dollar canadien comparativement au dollar américain était inférieure à la date d’échéance ou de résiliation anticipée qu’elle ne l’avait été à la date de commencement du crédit croisé, le montant en dollars américains que GWL était tenue de fournir à l’échéance ou à la résiliation anticipée était supérieur à l’équivalent en dollars américains du montant en dollars canadiens que la contrepartie de GWL était tenue de fournir et, par conséquent, GWL devait effectuer le paiement de règlement net à sa contrepartie;

n)         les crédits croisés pouvaient uniquement prendre fin à leur date d’échéance respective ou de manière anticipée si GWL et la contrepartie pertinente y consentaient;

o)         les crédits croisés ne pouvaient pas être négociés sur un marché d’instruments dérivés.

Les swaps de taux d’intérêt

29.       Étant donné que les montants périodiques que GWL devait échanger avec sa contrepartie aux termes des crédits croisés étaient calculés en fonction des taux d’intérêt variables américains et canadiens, GWL est devenue exposée aux fluctuations de l’écart entre les taux d’intérêt variables américains et canadiens.

30.       À la fin de 2002, GWL a eu recours à des swaps de taux d’intérêt pour gérer le risque lié au taux d’intérêt créé par les crédits croisés encore en vigueur à ce moment-là.

31.       GWL n’a pas eu recours aux swaps de taux d’intérêt susmentionnés pour gérer les frais d’intérêt associés aux fonds qu’elle avait empruntés pour financer l’acquisition de Bestfoods.

32.       Aux termes des swaps de taux d’intérêt, GWL et ses contreparties n’étaient pas tenues d’échanger de montant en principal à la date de commencement ou à la date d’échéance de ces swaps. Les swaps de taux d’intérêt prévoyaient plutôt l’échange entre GWL et ses contreparties de montants calculés en fonction de taux d’intérêt fixes et variables à l’égard de montants nominaux de référence en dollars canadiens et en dollars américains.

La résiliation des crédits croisés et des swaps de taux d’intérêt

33.       En 2002, GWL a mis fin à trois crédits croisés à l’égard d’un montant nominal de référence global de 200 016 000 $ US / 308 996 160 $ CA.

34.       Plus précisément, GWL a mis fin aux crédits croisés suivants en 2002 :

a)         deux des crédits croisés auxquels elle avait eu recours le 30 juillet 2001 : un dont le principal s’élevait à 102 000 000 $ US / 157 080 000 $ CA, et un dont le montant nominal de référence s’élevait à 62 816 000 $ US / 96 736 640 $ CA (les crédits croisés nos 4 et 5 dans le tableau qui précède, respectivement);

b)         un des crédits croisés auxquels elle avait eu recours le 24 octobre 2001, dont le principal s’élevait à 35 200 000 $ US / 55 179 520 $ CA) (le crédit croisé no 18 dans le tableau qui précède).

35.       À la suite de la résiliation des trois crédits croisés en 2002, les autres crédits croisés en cours s’élevaient à un montant nominal de référence global de 1 874 800 000 $ US / 2 907 439 351 $ CA.

36.       En septembre et en octobre 2003, GWL a mis fin aux autres crédits croisés auxquels elle avait eu recours en 2000 et en 2001.

37.       À la résiliation des crédits croisés, le total des montants en dollars canadiens que les contreparties de GWL devaient fournir était supérieur au montant équivalent en dollars canadiens des montants en dollars américains que GWL devait fournir, les dépassant d’un montant de 316 932 896 $ CA, et par conséquent, GWL a reçu ce montant total de la part des contreparties.

38.       GWL a mis fin aux swaps de taux d’intérêt auxquels elle avait eu recours à la fin de 2002 approximativement au même moment où elle a mis fin aux autres crédits croisés en 2003.

39.       À aucun moment avant le 31 décembre 2003 WAI n’a vendu les actions de Bestfoods Baking (devenue George Weston Bakeries Inc.).

40.       À aucun moment avant le 31 décembre 2003 Bestfoods Baking (devenue George Weston Bakeries Inc.) n’a vendu les actions qu’elle détenait dans l’une des filiales qui exploitaient les entreprises dans le domaine des produits de boulangerie aux États-Unis, bien que, tel qu’il est mentionné plus haut, l’entreprise Bestfoods West ait été vendue en mars 2002.

41.       À aucun moment avant le 31 décembre 2003 Megargy Licensing n’a vendu les marques de commerce de Thomas.

Rapports financiers

42.       Pendant toute la période pertinente, la monnaie utilisée dans les rapports financiers de GWL était le dollar canadien.

43.       Pendant toute la période pertinente, GWL a dressé des états financiers consolidés trimestriels et des états financiers annuels vérifiés qui incluaient GWL et ses filiales (les « états financiers consolidés »). Les états financiers consolidés étaient exprimés en dollars canadiens.

44.       Pendant toute la période pertinente, GWL et ses comptables ont déterminé que WFI US et les filiales de WFI US et WAI et les filiales de WAI étaient des « établissements étrangers autonomes » aux fins comptables.

Déclarations fiscales et cotisation

45.       Par sa déclaration de revenus à l’égard de l’année d’imposition 2003, GWL a considéré que le montant de 316 932 896 $ CA était un gain en capital. GWL a donc déclaré un gain en capital imposable de 158 466 448 $ CA.

46.       Par avis de cotisation de société daté du 30 novembre 2010, l’intimée a établi une nouvelle cotisation à l’égard de GWL au motif que le montant de 316 932 896 $ CA était imputable au revenu. L’intimée a donc refusé le gain en capital imposable déclaré de GWL et a ajouté au revenu de GWL le montant total de 316 932 896 $ CA.

47.       Par opposition datée du 24 février 2011, GWL s’est dûment opposée à la nouvelle cotisation.

48.       Par avis de ratifié du ministre, daté du 12 août 2011, l’intimée a ratifié la nouvelle cotisation.



[1]           Le professeur Thornton a déclaré que [traduction] « [l’]exigence relative à la déclaration de l’intention de recourir à la comptabilité de couverture à l’avance empêche [...] la sélection des meilleurs éléments [parmi les pertes], qui est parfois appelée la gestion du résultat » (rapport Thornton, paragraphe 79).

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