ENTRE :
et
Appel entendu le 30 janvier 2015, à Toronto (Ontario).
Devant : L’honorable juge David E. Graham
Comparutions :
M. Stephen Crawford (stagiaire en droit) |
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JUGEMENT
L’appel interjeté des avis de cotisation de l’appelante pour les années d’imposition se terminant les 31 mars 2010, 2011 et 2012 est accueilli avec dépens, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, étant entendu que l’impôt en main remboursable au titre de dividendes de l’appelante était de 193 746 $ à la fin de son année d’imposition se terminant le 31 mars 2005, de 322 103 $ à la fin de son année d’imposition se terminant le 31 mars 2006 et de 431 336 $ à la fin de son année d’imposition se terminant le 31 mars 2007.
Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mars 2015.
Traduction certifiée conforme
ce 28e jour de juillet 2015.
François Brunet, réviseur
ENTRE :
PRESIDENTIAL MSH CORPORATION,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
[traduction française officielle]
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] L’appelante a versé des dividendes imposables au cours de chacune de ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006. Au moment de produire ses déclarations de revenus pour ces années, elle a demandé des remboursements aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu national les a refusés compte tenu du fait que l’appelante n’avait pas produit ses déclarations de revenus dans les trois ans suivant la fin de chacune de ces années, comme l’exige le paragraphe 129(1). L’appelante ne conteste pas ce refus.
[2] Dans le calcul du solde de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (l’« IMRTD ») de l’appelante à la fin de ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007 selon le paragraphe 129(3), le ministre a déduit le montant des remboursements visés au paragraphe 129(1) que l’appelante avait demandés, mais non reçus, pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006 respectivement.
[3] L’appelante a versé des dividendes imposables au cours de chacune de ses années d’imposition 2010, 2011 et 2012. Au moment de produire ses déclarations de revenus pour ces années, elle a demandé des remboursements aux termes du paragraphe 129(1). Le ministre en a refusé une partie compte tenu du fait que l’appelante n’avait pas un solde suffisant d’IMRTD. Si le ministre n’avait pas déduit le montant des remboursements visés au paragraphe 129(1) demandés, mais non reçus, par l’appelante pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006, l’appelante aurait eu un solde suffisant d’IMRTD pour absorber les remboursements demandés pour ses années d’imposition 2010, 2011 et 2012. L’appelante a fait appel du refus du ministre de lui accorder ces remboursements pour ses années d’imposition 2010, 2011 et 2012[1].
Question en litige
[4] La question à trancher dans le présent appel est de savoir si le ministre a commis une erreur en déduisant les remboursements visés au paragraphe 129(1) demandés, mais non reçus, par l’appelante pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006, au moment d’établir son solde d’IMRTD à la fin de ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007 en application du paragraphe 129(3).
Textes législatifs
[5] Le paragraphe 129(3) définit l’expression « impôt en main remboursable au titre de dividendes ». Il énonce un calcul détaillé. Aux fins du présent appel, seul le préambule du paragraphe 129(3) nous intéresse ici. On peut y lire que le montant par ailleurs obtenu à la suite du calcul doit être réduit du « remboursement au titre de dividendes [de la société] pour son année d’imposition précédente ». La question clé soulevée dans le présent appel concerne donc le sens de l’expression « remboursement au titre de dividendes ». Cette expression est définie à l’alinéa 129(1)a).
[6] L’alinéa 129(1)a) dispose:
Lorsque la déclaration de revenu d’une société en vertu de la présente partie pour une année d’imposition est faite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :
a) peut, lors de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année, rembourser, sans que demande en soit faite, une somme (appelée « remboursement au titre de dividendes » dans la présente loi) égale à la moins élevée des sommes suivantes :
(i) le tiers de l’ensemble des dividendes imposables que la société a versés sur des actions de son capital-actions au cours de l’année et à un moment où elle était une société privée,
(ii) son impôt en main remboursable au titre de dividendes, à la fin de l’année; […]
Sommaire des positions des parties
[7] L’intimée soutient que l’expression « remboursement au titre de dividendes » signifie simplement la somme qui est obtenue par application de la formule énoncée à l’alinéa 129(1)a). Elle conclut ainsi au motif que la définition commence par les mots « une somme » et se termine à la fin du sous-alinéa (ii). Elle soutient que le « remboursement au titre de dividendes » du contribuable peut donc être établi sans égard à la question de savoir si la somme est ou non effectivement remboursée au contribuable. Elle conclut donc que le ministre a validement retranché, sur l’IMRTD de l’appelante, les sommes qui ont été calculées en application de l’alinéa 129(1)a) en 2004, en 2005 et en 2006, bien que ces sommes n’aient jamais été remboursées à l’appelante.
[8] L’appelante soutient que l’expression « remboursement au titre de dividendes » signifie le remboursement de la somme obtenue par application de la formule énoncée à l’alinéa 129(1)a). Elle conclut ainsi au motif que la définition commence par le mot « rembourser » et se termine à la fin du sous-alinéa (ii). Elle soutient que le « remboursement au titre de dividendes » d’un contribuable est donc soit nul, soit indéterminable si aucune somme n’est effectivement remboursée au contribuable. Elle soutient par conséquent que le ministre a commis une erreur en retranchant, sur son IMRTD, les sommes qui ont été calculées en application de l’alinéa 129(1)a) en 2004, en 2005 et en 2006, parce que ces sommes ne lui ont jamais été remboursées.
Vue d’ensemble
[9] Cette question a été analysée en profondeur par le juge Hogan, à l’occasion de l’affaire Tawa Developments Inc. c. La Reine[2]. Le juge Hogan a fait une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, puis a conclu que les remboursements visés au paragraphe 129(1) qui avaient été demandés mais non reçus ne réduisaient pas l’IMRTD d’un contribuable. Selon l’appelante, je dois suivre l’enseignement de la décision du juge Hogan. Selon l’intimée, en revanche, cet enseignement du juge Hogan était une opinion incidente et, en tout état de cause, je ne dois pas le suivre.
[10] Je retiens la conclusion générale du juge Hogan. Toutefois, les parties m’ont présenté des observations qui ne semblent pas avoir été présentées au juge Hogan. Je ferai donc ma propre analyse.
Analyse textuelle
[11] Les parties m’ont instamment invité à examiner le sens ordinaire du mot « remboursement », l’emploi du mot « remboursement » dans l’expression définie « remboursement au titre de dividendes » et le rôle que joue le préambule du paragraphe 129(1) dans l’interprétation de l’expression définie.
Sens ordinaire du mot « rembourser »
[12] Selon l’appelante, le mot « rembourser », dans son sens ordinaire, se rapporte à la somme qui est rendue à un contribuable[3]. L’appelante soutient que l’expression définie doit donc s’entendre d’une somme qui a été remboursée.
[13] Selon l’intimée, en revanche, le mot « rembourser », à l’alinéa 129(1)a), est un verbe et ce verbe se rapporte à ce que le ministre peut faire plutôt qu’à la nature de la somme qui est définie. L’intimée soutient donc que le sens ordinaire du mot « rembourser » ne doit jouer aucun rôle dans l’interprétation de l’expression définie.
[14] À mon avis, les arguments des deux parties sont circulaires. En réalité le sens du mot « rembourser » n’est pas controversé entre les parties. Il y a simplement controverse sur la question de savoir si ce mot fait ou non partie des mots qui constituent l’expression définie. L’appelante soutient que le mot « rembourser » fasse partie de la définition et insiste donc sur son inclusion dans les mots qui, selon elle, forment la définition. Selon l’intimée, le mot « rembourser » ne doit pas faire partie de la définition et insiste donc sur son rôle en dehors des mots qui, selon elle, forment la définition. Aucune de ces interprétations ne règle la question, car aucune ne me dit quels sont en fait les mots qui composent la définition, simplement quels sont les mots que chacune des parties voudrait voir dans la définition.
Emploi du mot « remboursement » dans l’expression définie
[15] Selon l’appelante, il ressort de la décision du législateur d’employer le mot « remboursement » dans l’expression définie « remboursement au titre de dividendes » qu’il voulait que la définition englobe non seulement la somme obtenue par application de la formule, mais aussi le remboursement de cette somme. Elle soutient que, si l’on veut respecter les bonnes pratiques de rédaction, les mots choisis pour une expression définie ne doivent pas donner un sens artificiel ou forcé à cette expression.
[16] Selon l’intimée, le législateur peut choisir les mots qu’il veut pour une expression définie, et c’est la définition elle-même qui prime, non l’expression définie[4].
[17] La thèse défendue par l’appelante présente un certain attrait logique comme moyen de choisir entre deux interprétations rivales, mais, à mon avis, le simple fait d’inclure le verbe « rembourser » dans l’expression définie ne m’autorise pas à conclure que le sens de la définition est clair selon une interprétation fondée sur le sens ordinaire du texte.
Rôle du préambule du paragraphe 129(1)
[18] Selon l’appelante, la définition figurant à l’alinéa 129(1)a) ne joue que si le contribuable remplit la condition énoncée dans le préambule du paragraphe 129(1), selon laquelle il doit avoir produit sa déclaration de revenus pour l’année dans les trois ans suivant la fin de son année d’imposition. Elle ajoute que, si le contribuable n’a pas respecté cette condition, alors la définition de « remboursement au titre de dividendes » est inopérante.
[19] Selon l’intimée, puisque l’expression définie est qualifiée d’expression jouant aux fins de la Loi, elle joue sans égard à la question de savoir si la condition énoncée dans le préambule est remplie ou non.
[20] Là encore, les arguments des deux parties sont circulaires. L’appelante part du principe que le mot « rembourser » fait partie de la définition et donc, sans surprise, elle conclut que la définition est inopérante si le préambule ne permet pas qu’un remboursement soit effectué. Pareillement, l’intimée part du principe que le mot « rembourser » ne fait pas partie de la définition et donc, sans surprise, elle conclut que la définition est applicable même si le préambule ne permet pas qu’un remboursement soit effectué. Encore une fois, aucune de ces interprétations n’est utile, car aucune ne me dit quels sont en fait les mots qui composent la définition, simplement quels sont les mots que chacune des parties voudrait voir dans la définition.
[21] Je relève que les thèses défendues par les deux parties comportent aussi d’autres lacunes. La thèse défendue par l’appelante n’est pas très solide parce qu’elle suppose que le législateur ne pourrait jamais insérer, dans un article d’application étroite, une définition d’application large. Rien n’empêche le législateur d’agir ainsi, même si ce serait là une technique de rédaction loin d’être idéale. Quant à la thèse défendue par l’intimée, elle n’est pas très solide parce que, même si l’interprétation proposée par l’appelante était juste, la définition pourrait quand même jouer aux fins de la Loi. Elle aboutirait simplement à une somme « néant » si la condition énoncée dans le préambule n’était pas remplie.
Conclusion
[22] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que le sens ordinaire de l’alinéa 129(1)a) est équivoque. Il pourrait soit signifier que le « remboursement au titre de dividendes » est le remboursement de la somme obtenue par application de la formule énoncée à l’alinéa, soit signifier qu’il s’agit simplement de la somme en question, remboursée ou non. Les deux interprétations sont défendables. Il ressort de l’emploi du mot « remboursement » dans l’expression définie « remboursement au titre de dividendes » que la meilleure interprétation est sans doute celle que propose l’appelante, mais cela ne m’autorise pas à conclure avec certitude que l’interprétation proposée par l’appelante est juste. Je dois donc effectuer une analyse contextuelle et une analyse téléologique.
Analyse contextuelle
[23] Chacune des parties a soutenu que le contexte précis dans lequel est employée, dans certaines dispositions de la Loi, l’expression définie « remboursement au titre de dividendes » va dans le sens de sa thèse.
[24] L’intimée soutient que l’expression définie vise une « somme ». L’appelante soutient pour l’essentiel que l’expression définie vise un « remboursement de la somme ». Dans l’analyse ci-après, j’ai placé tour à tour les deux sens proposés de l’expression définie aux endroits dans la Loi où l’expression définie est employée, afin de voir laquelle des significations proposées a du sens sur les plans grammatical et logique. J’ai aussi examiné des passages de la Loi où l’expression définie n’est pas employée, afin de rechercher si son absence donne des indices sur sa signification. Comme je l’ai exposé en détail ci-dessous, les résultats sont malheureusement peu concluants.
Alinéa 129(1)b)
[25] Le passage de la Loi le plus indiqué pour un examen du contexte de l’alinéa 129(1)a) est le reste du paragraphe 129(1). L’emploi de l’expression « remboursement au titre de dividendes », à l’alinéa 129(1)b), milite fortement en faveur de la thèse défendue par l’appelante. Le paragraphe 129(1) est ainsi rédigé :
Lorsque la déclaration de revenu d’une société en vertu de la présente partie pour une année d’imposition est faite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :
a) peut, lors de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année, rembourser, sans que demande en soit faite, une somme (appelée « remboursement au titre de dividendes » dans la présente loi) égale à la moins élevée des sommes suivantes :
[…]
b) doit effectuer le remboursement au titre de dividendes avec diligence après avoir envoyé l’avis de cotisation, si la société en fait la demande par écrit au cours de la période pendant laquelle le ministre pourrait établir, aux termes du paragraphe 152(4), une cotisation concernant l’impôt payable en vertu de la présente partie par la société pour l’année si ce paragraphe s’appliquait compte non tenu de son alinéa a).
[Non souligné dans l’original.]
[26] L’alinéa 129(1)b) est dénué de sens si l’on retient l’interprétation proposée par l’intimée. Comment le ministre peut-il « effectuer la [somme] »? En revanche, l’alinéa a un sens si l’on retient l’interprétation préconisée par l’appelante. Manifestement, le ministre peut « effectuer le [remboursement de la somme] ».
[27] Cette analyse de l’alinéa 129(1)b) est appuyée par une comparaison avec le paragraphe 164(1). Ce paragraphe vise les remboursements généraux effectués au titre de la Loi. Lui aussi comporte un préambule selon lequel le contribuable qui n’a pas promptement produit sa déclaration de revenus ne peut prétendre à un remboursement, et lui aussi permet au ministre d’effectuer un remboursement dans un cas et l’oblige à en effectuer un dans un autre cas. Le paragraphe 164(1) dispose :
Si la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition est produite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :
a) peut faire ce qui suit :
[…]
(iii) au moment de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année ou par la suite, rembourser tout paiement en trop pour l’année, dans la mesure où ce paiement n’est pas remboursé en application des sous-alinéas (i) ou (ii);
b) doit effectuer le remboursement visé au sous-alinéa a)(iii) avec diligence après avoir envoyé l’avis de cotisation, si le contribuable en fait la demande par écrit au cours de la période pendant laquelle le ministre pourrait établir, aux termes du paragraphe 152(4), une cotisation concernant l’impôt payable en vertu de la présente partie par le contribuable pour l’année si ce paragraphe s’appliquait compte non tenu de son alinéa a).
[Non souligné dans l’original.]
[28] Le texte du paragraphe 129(1) et celui du paragraphe 164(1) sont très semblables. La principale différence est qu’il n’y a aucune expression définie visant le remboursement effectué au titre du sous-alinéa 164(1)a)(iii). Ainsi, à l’alinéa 164(1)b), quand il faut revenir sur ce remboursement, il est nécessaire d’employer les mots « visé au sous-alinéa a)(iii) ».
[29] Le fait que, en l’absence d’une définition, le législateur ait choisi d’employer des mots qui renvoient au remboursement visé au sous-alinéa 164(1)a)(iii) plutôt qu’à la somme indiquée dans ce sous-alinéa milite fortement en faveur de la position préconisée par l’appelante.
[30] En d’autres termes, si le paragraphe 164(1) avait été rédigé comme le paragraphe 129(1), il se présenterait ainsi[5] :
Si la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition est produite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :
a) peut faire ce qui suit :
[…]
(iii) au moment de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année ou par la suite, rembourser tout paiement en trop pour l’année, dans la mesure où ce paiement n’est pas remboursé en application des sous-alinéas (i) ou (ii) (appelé dans la présente Loi « remboursement du paiement en trop »);
b) doit effectuer le remboursement
visé au sous-alinéa a)(iii) remboursement du paiement en trop avec diligence après avoir
envoyé l’avis de cotisation, si le contribuable en fait la demande par écrit au
cours de la période pendant laquelle le ministre pourrait établir, aux termes
du paragraphe 152(4), une cotisation concernant l’impôt payable en vertu
de la présente partie par le contribuable pour l’année si ce paragraphe s’appliquait
compte non tenu de son alinéa a).
Paragraphe 129(1.1)
[31] L’emploi de l’expression « remboursement au titre de dividendes » au paragraphe 129(1.1) est compatible avec l’une ou l’autre des interprétations préconisées. La partie pertinente du paragraphe 129(1.1) est ainsi formulée :
Dans le calcul du remboursement au titre de dividendes pour une année d’imposition se terminant après 1977 d’une société donnée, aucun montant ne peut être inclus en vertu du sous-alinéa (1)a)(i) à l’égard d’un dividende imposable versé à un actionnaire : […]
[Non souligné dans l’original.]
[32] Avec l’interprétation préconisée par l’intimée, ce paragraphe serait ainsi formulé : « Dans le calcul de [la somme] pour une année d’imposition ». Avec l’interprétation préconisée par l’appelante, il se présenterait ainsi : « Dans le calcul du [remboursement de la somme] pour une année d’imposition ». Ces deux interprétations sont logiques.
Paragraphe 129(1.2)
[33] L’emploi de l’expression « remboursement au titre de dividendes » au paragraphe 129(1.2) milite en faveur de l’interprétation préconisée par l’appelante. Le paragraphe 129(1.2) dispose :
Pour l’application du paragraphe (1), le dividende versé sur une action du capital-actions d’une société est réputé ne pas être un dividende imposable si l’actionnaire a acquis l’action — ou une action qui lui est substituée — par une opération, ou dans le cadre d’une série d’opérations, dont un des principaux objets consistait à permettre à la société d’obtenir un remboursement au titre de dividendes.
[Non souligné dans l’original.]
[34] Ce paragraphe 129(1.2) est illogique si l’on utilise l’interprétation de « remboursement au titre de dividendes » préconisée par l’intimée. Pourquoi l’un des principaux objets d’une opération devrait-il consister à permettre à la société de faire établir une somme? Les sociétés veulent des remboursements, non des calculs. Le paragraphe 129(1.2) a beaucoup plus de sens selon l’interprétation préconisée par l’appelante. Selon cette interprétation, la société tente « d’obtenir un [remboursement de la somme] ».
Paragraphe 129(2)
[35] L’absence de l’expression « remboursement au titre de dividendes », au paragraphe 129(2), produit une incohérence interne et ne va dans le sens de nulle des interprétations préconisées. Le paragraphe 129(2) dispose :
Au lieu d’effectuer le remboursement qui pourrait autrement être fait en vertu du paragraphe (1), le ministre peut, lorsque la société est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi, ou est sur le point de l’être, imputer sur cette autre obligation la somme qui serait par ailleurs remboursable et en aviser la société.
[36] Selon l’appelante, l’expression « remboursement au titre de dividendes » signifie « remboursement de la somme ». Par conséquent, si l’interprétation préconisée par l’appelante est juste, le paragraphe 129(2) devrait pouvoir être formulé ainsi :
Au lieu d’effectuer le
remboursement au titre de dividendes qui pourrait autrement être fait
en vertu du paragraphe (1), le ministre peut, lorsque la société est tenue
de faire un paiement en vertu de la présente loi, ou est sur le point de l’être,
imputer sur cette autre obligation la somme qui serait par ailleurs
remboursable et en aviser la société.
[37] Le fait que le législateur n’ait pas employé de cette manière l’expression définie quand il était si facile de le faire milite contre l’interprétation préconisée par l’appelante.
[38] Selon l’intimée, l’expression « remboursement au titre de dividendes » signifie « somme ». Par conséquent, si l’interprétation préconisée par l’intimée est correcte, alors le paragraphe 129(2) devrait pouvoir être rédigé ainsi :
Au lieu d’effectuer le
remboursement qui pourrait autrement être fait en vertu du paragraphe (1), le
ministre peut, lorsque la société est tenue de faire un paiement en vertu de la
présente loi, ou est sur le point de l’être, imputer sur cette autre obligation
la somme le remboursement au titre de dividendes qui
serait par ailleurs remboursable et en aviser la société.
[39] Le fait que le législateur n’a pas employé de cette manière l’expression définie quand il était si facile de le faire milite contre l’interprétation préconisée par l’intimée.
Paragraphe 129(2.1)
[40] La présence ou l’absence de l’expression « remboursement au titre de dividendes », au paragraphe 129(2.1), n’est pas incompatible avec l’une ou l’autre des interprétations préconisées, ni ne leur est spécialement favorable. Le paragraphe 129(2.1) dispose :
Lorsque le montant d’un remboursement au titre de dividendes pour une année d’imposition est payé à une société, ou imputé sur une somme dont elle est redevable, le ministre paie ou impute sur ce montant des intérêts calculés au taux prescrit pour la période allant du dernier en date des jours suivants jusqu’au jour où le montant est payé ou imputé :
[Non souligné dans l’original.]
[41] L’emploi du mot « montant » par lui-même, au milieu et à la fin du paragraphe, est source d’une certaine ambiguïté, car il semble, par esprit de contradiction, être destiné à englober à la fois des montants qui sont et ne sont pas remboursés. Il semble que le mot « montant » est censé renvoyer à la fois aux montants payés (c’est-à-dire les sommes effectivement remboursées au titre du paragraphe 129(1)) et aux montants imputés sur des sommes dont la société est redevable (c’est-à-dire aux montants qui autrement seraient des remboursements, mais qui sont plutôt imputés à des sommes dont la société est redevable au titre du paragraphe 129(2)). Je ne crois pas que l’on puisse avancer utilement en examinant de manière plus détaillée ce paragraphe.
Paragraphe 129(2.2)
[42] L’emploi de l’expression « remboursement au titre de dividendes » au paragraphe 129(2.2) milite fortement en faveur de l’interprétation préconisée par l’intimée. L’expression est employée régulièrement dans tout le paragraphe. Le paragraphe 129(2.2) est ainsi formulé :
Lorsque, à un moment donné, des intérêts ont été, en application du paragraphe (2.1), payés à une société, ou imputés sur une somme dont elle est redevable, relativement à un remboursement au titre de dividendes et qu’il est établi ultérieurement que le montant du remboursement était inférieur au montant à l’égard duquel les intérêts ont été ainsi payés ou imputés, les règles suivantes s’appliquent :
a) l’excédent des intérêts ainsi payés ou imputés sur le montant ultérieurement établi comme étant le montant du remboursement au titre de dividendes est réputé être un montant (appelé « montant payable » au présent paragraphe) devenu payable par la société au moment donné en vertu de la présente partie; […]
[43] Pour que l’interprétation préconisée par l’appelante soit la bonne, il faudrait, afin de tenir compte de la situation décrite au paragraphe 129(2) lorsqu’un montant qui serait autrement remboursé est imputé à une somme dont la société est redevable, que le paragraphe 129(2.2) soit formulé ainsi :
Lorsque, à un moment donné, des intérêts ont été, en application du paragraphe (2.1), payés à une société, ou imputés sur une somme dont elle est redevable, relativement à un remboursement au titre de dividendes effectué à la société, ou relativement au montant qui serait par ailleurs remboursable et qui est imputé sur une somme dont la société est redevable, et qu’il est établi ultérieurement que le montant du remboursement ou le montant imputé était inférieur au montant à l’égard duquel les intérêts ont été ainsi payés ou imputés, les règles suivantes s’appliquent :
a) l’excédent des intérêts ainsi payés ou imputés sur le montant ultérieurement établi comme étant le montant du remboursement au titre de dividendes ou le montant qui serait par ailleurs remboursable est réputé être un montant (appelé « montant payable » au présent paragraphe) devenu payable par la société au moment donné en vertu de la présente partie; […]
[44] Par ailleurs, la version française tend aussi à réfuter l’interprétation préconisée par l’appelante. La version anglaise emploie deux fois, dans le préambule, l’expression définie « dividend refund ». En revanche, la version française emploie l’expression définie « remboursement au titre de dividendes » la première fois, mais passe à l’expression « le montant du remboursement » la deuxième fois. Cette dernière expression signifie en anglais « the amount of the refund ». Telle est l’interprétation défendue par l’appelante. Il ressort du fait que cette expression apparaisse, dans la version française, si près de l’expression définie et que ce ne soit pas plutôt l’expression définie qui est employée que l’expression définie a une signification différente des mots « le montant du remboursement » (c’est‑à‑dire la signification défendue par l’intimée).
Paragraphes 157(3) et (3.1)
[45] Les paragraphes 157(3) et (3.1) militent fortement en faveur de l’interprétation préconisée par l’appelante pour l’expression « remboursement au titre de dividendes ». Ces paragraphes portent sur le calcul des acomptes provisionnels. L’expression « remboursement au titre de dividendes » apparaît aux alinéas 157(3)b) et 157(3.1)b). En termes simples, ces textes prévoient que le montant qu’une société doit avoir payé à titre d’acomptes provisionnels pour l’année est réduit d’une somme égale au montant du remboursement au titre de dividendes de la société. L’emploi de l’expression « remboursement au titre de dividendes », dans ces alinéas, s’accorde, sur le plan grammatical, tant avec l’interprétation préconisée par l’intimée et qu’avec celle préconisée par l’appelante. Cependant, l’interprétation préconisée par l’intimée aboutit à un résultat absurde.
[46] Si était retenue l’interprétation préconisée par l’intimée, le contribuable se verrait accorder une dispense de l’obligation d’avoir versé des acomptes provisionnels lorsque la somme obtenue par application de la formule de l’alinéa 129(1)a) pour l’année d’imposition est une somme positive, bien que le contribuable n’ait pas en réalité reçu de remboursement parce qu’il a produit tardivement sa déclaration de revenus. Pourquoi le législateur voudrait-il accorder au contribuable qui produit tardivement sa déclaration de revenus une dispense à propos d’un remboursement que le contribuable n’est même pas fondé à recevoir?
[47] L’avocat de l’intimée explique ainsi la position défendue par l’intimée. Les acomptes provisionnels sont effectués au cours d’une année d’imposition au titre de l’impôt qui sera dû pour cette année‑là. Par conséquent, le contribuable doit pouvoir calculer ses acomptes provisionnels au cours de l’année. L’intimée soutient que si était retenue l’interprétation défendue par l’appelante, le contribuable ne serait pas en mesure de bien calculer ses acomptes au cours de l’année parce que tout remboursement qui deviendrait payable ne serait payé qu’après la fin de l’année (peut-être jusqu’à trois ans plus tard). Ainsi, l’intimée affirme que le contribuable ne bénéficierait d’aucun crédit pour de tels remboursements potentiels. En revanche, l’intimée ajoute que l’interprétation qu’elle préconise permettrait au contribuable de calculer ses acomptes au cours de l’année parce que la déduction porterait sur la somme obtenue par application de la formule, non sur la somme remboursée. Par conséquent, l’intimée dit que la seule conclusion logique est que les acomptes provisionnels doivent être réduits de la somme obtenue par application de la formule du paragraphe 129(1), non du montant d’un quelconque remboursement.
[48] L’argument de l’intimée traduit une méconnaissance du mode de fonctionnement des acomptes provisionnels. Les obligations du contribuable en matière d’acomptes provisionnels ne sont pas établies à l’avance. Elles le sont après la fin de l’année, lorsqu’est connue la totalité des revenus du contribuable pour l’année. Le contribuable verse des acomptes provisionnels pendant l’année en se fondant sur sa meilleure estimation des acomptes provisionnels dont il s’attend à devoir s’acquitter d’ici la fin de son année actuelle[6]. Si, quand le contribuable produit finalement sa déclaration de revenus, il se trouve qu’il n’a pas versé des acomptes provisionnels suffisants, il est, selon le paragraphe 161(2), tenu de payer des intérêts sur les acomptes provisionnels manquants. Ainsi, tant que le contribuable prévoit recevoir un remboursement au titre du paragraphe 129(1) à la fin de l’année, il lui est possible d’intégrer ce remboursement dans son estimation de chacun des acomptes qu’il lui faudra payer. Il n’est pas nécessaire qu’il ait effectivement reçu le remboursement au moment de payer ses acomptes provisionnels. Si le contribuable produit sa déclaration tardivement et ne reçoit donc pas son remboursement prévu, alors il paie des intérêts sur la partie impayée des acomptes.
[49] En fait, c’est exactement ce qui est arrivé dans le cas de l’appelante. En déterminant les obligations de l’appelante en matière d’acomptes provisionnels pour 2005 et 2006, le ministre n’a accordé à l’appelante aucune dispense pour les remboursements visés au paragraphe 129(1) auxquels elle n’avait pas droit. Le ministre a donc imposé à l’appelante des intérêts sur acomptes provisionnels pour ces années[7]. Autrement dit, le ministre s’est servi de l’interprétation préconisée par l’appelante quand il lui a imposé, pour 2005 et 2006, des intérêts sur acomptes provisionnels, alors qu’il a écarté cette interprétation quand il a refusé des remboursements au titre du paragraphe 129(1) pour 2010, 2011 et 2012. Je ne prête aucune mauvaise foi au ministre sur ce point[8]. Je constate cependant que c’est là une illustration frappante du fait que toute autre interprétation de l’expression « remboursement au titre de dividendes » à l’article 157 est absurde au point que, logiquement, on ne songerait pas à la suivre.
Paragraphe 186(1)
[50] Le paragraphe 186(1) porte sur le calcul de l’impôt de la partie IV. L’expression « remboursement au titre de dividendes » apparaît à l’alinéa 186(1)b). En termes simples, ce texte oblige la société qui reçoit un dividende d’une société payante qui lui est rattachée à inclure un certain pourcentage du remboursement au titre de dividendes de la société payante pour l’année au moment de calculer son impôt de la partie IV. L’emploi de l’expression « remboursement au titre de dividendes » au paragraphe 186(1) s’accorde, sur le plan grammatical, tant avec l’interprétation préconisée par l’appelante et qu’avec celle préconisée par l’intimée.
[51] Toutefois, l’intimée soutient que le sens proposé par l’appelante aboutirait à un résultat absurde. Elle soutient que le contribuable qui a reçu un dividende au cours de son année d’imposition serait dans l’impossibilité de calculer le montant de l’impôt de la partie IV dû à l’égard de ce dividende tant que la société payante n’a pas produit effectivement sa déclaration de revenus et reçu un remboursement. L’intimée dit que cela aboutirait à un résultat absurde parce que le contribuable risquerait de ne pas pouvoir déterminer son impôt de la partie IV avant sa date d’exigibilité du solde pour l’année au cours de laquelle il a reçu le dividende si la société payante a produit sa déclaration de revenus tardivement.
[52] Je reconnais qu’il y a une incertitude. Cependant, je crois qu’une incertitude similaire résulte aussi de l’interprétation préconisée par l’intimée. Même si l’expression « remboursement au titre de dividendes » signifie le montant obtenu par application de la formule de l’alinéa 129(1)a), pour que la société bénéficiaire connaisse le montant du remboursement au titre de dividendes de la société payante, il lui faudrait pouvoir déterminer l’IMRTD de la société payante pour l’année d’imposition. Afin de pouvoir déterminer l’IMRTD de la société payante pour une année d’imposition, il faudrait que la société bénéficiaire connaisse, entre autres, le revenu de placement total de la société payante pour l’année et son revenu imposable pour l’année. Ni l’un ni l’autre de ces revenus ne sont des montants que la société bénéficiaire serait en mesure de déterminer avant la fin d’exercice de la société payante. Ainsi, si la société payante avait une fin d’exercice tombant après la fin d’exercice de la société bénéficiaire, alors la société bénéficiaire serait dans l’impossibilité de déterminer à temps ses obligations fiscales au titre de la partie IV même si la société payante a produit à temps sa déclaration de revenus.
[53] En résumé, que l’on retienne l’interprétation préconisée par l’appelante ou celle préconisée par l’intimée, la société bénéficiaire d’un dividende risque de ne pas être en mesure de déterminer ses obligations fiscales au titre de la partie IV avant la date limite de production de sa déclaration de revenus. Il m’est impossible de tirer une conclusion fondée sur cette incertitude.
Sommaire
[54] Dans la loi, il y a incohérence quant à la présence ou l’absence de l’expression définie « remboursement au titre de dividendes ». Sa présence dans trois passages favorise l’interprétation défendue par l’appelante, sa présence dans un passage favorise l’interprétation défendue par l’intimée, et sa présence dans deux passages favorise les deux interprétations. En outre, l’absence de l’expression dans un passage de la Loi favorise quelque peu l’une et l’autre des interprétations, mais son absence dans un autre passage ne favorise ni l’une ni l’autre. Vu l’incohérence de cette rédaction, il m’est impossible d’être suffisamment conforté par l’analyse contextuelle pour tirer une conclusion. L’interprétation à retenir dépendra donc de l’analyse téléologique.
Analyse téléologique
[55] Dans la décision Tawa, aux paragraphes 38 à 50, le juge Hogan a fait une analyse téléologique très approfondie du paragraphe 129(1) de la Loi. Son analyse appuie l’interprétation préconisée par l’appelante. Je souscris à l’analyse du juge Hogan et la fais mienne. Je ne vois pas l’utilité de paraphraser son analyse. Par souci de commodité, j’ai reproduit à l’annexe B des présents motifs les paragraphes pertinents de son analyse.
[56] Dans un souci d’exhaustivité, j’examinerai brièvement un argument particulier soulevé par l’intimée, qui n’a pas été explicitement examiné à l’occasion de l’affaire Tawa. L’intimée fait valoir que le paragraphe 129(1) prévoit un délai de prescription de trois ans destiné à garantir [traduction] « stabilité et certitude fiscale[9] ». Je reconnais que tel est l’objet du délai de prescription. Si le contribuable n’a pas produit sa déclaration de revenus dans le délai de trois ans, alors il ne peut pas obtenir un remboursement pour l’année en question. Les comptes sont clos pour l’année, et la stabilité ainsi que la certitude fiscale sont assurées.
[57] Cependant, l’intimée voudrait que j’aille plus loin dans cette quête de stabilité et de certitude fiscale et elle m’invite à conclure que l’objet du paragraphe 129(1) est d’assurer stabilité et certitude fiscale en empêchant le contribuable contrevenant de jamais demander un remboursement au titre de l’IMRTD pertinent. L’intimée ne m’a cependant pas expliqué la raison pour laquelle il devrait en être ainsi.
[58] Le système tout entier de l’IMRTD comporte une incertitude fiscale. Pour tout contribuable, le ministre n’a aucun moyen de savoir quand et si un remboursement devra être effectué tant que le contribuable n’a pas à la fois déclaré un dividende et produit une déclaration. Il n’y a pas de limite à la période de temps pendant laquelle un contribuable peut conserver un solde d’IMRTD. L’interprétation que donne l’appelante du paragraphe 129(1) n’a pas pour effet d’accroître ce niveau d’incertitude. Le ministre ne sait encore pas si un remboursement devra être effectué ultérieurement tant que le contribuable n’aura pas à la fois déclaré un dividende et produit une déclaration. Si le contribuable ne produit pas de déclaration, le ministre ne se trouve pas dans une position fiscale pire que celle dans laquelle il se trouverait si l’appelante n’avait tout simplement déclaré aucun dividende. En fait, il se trouve dans une meilleure position fiscale puisqu’il peut utiliser l’impôt de la partie IV payé par le contribuable et l’impôt personnel payé par l’actionnaire sur le dividende, sans avoir encore été tenu d’effectuer le remboursement.
[59] Il est clair que le législateur a conçu le système de l’IMRTD pour favoriser l’intégration de l’impôt des sociétés et de l’impôt des particuliers. Il est clair aussi que le législateur a conçu le paragraphe 129(1) pour sanctionner les contribuables qui produisent tardivement leur déclaration de revenus. L’interprétation que donne l’appelante du paragraphe 129(1) permet d’atteindre ces deux objectifs. En revanche, l’interprétation préconisée par l’intimée oblige à sacrifier l’objectif d’intégration pour atteindre un niveau plus élevé de sanction. En l’absence d’une raison impérieuse pour le législateur de vouloir agir ainsi, je suis d’avis que l’interprétation préconisée par l’appelante est plus en harmonie avec l’objet de la Loi.
Conclusion
[60] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que l’expression « remboursement au titre de dividendes » à l’alinéa 129(1)a) s’entend du remboursement du montant obtenu par application de la formule qui apparaît dans cet alinéa. Par conséquent, l’appel est accueilli avec dépens, et l’affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que l’IMRTD de l’appelante était de 193 746 $ à la fin de son année d’imposition 2005, de 322 103 $ à la fin de son année d’imposition 2006 et de 431 336 $ à la fin de son année d’imposition 2007.
Recommandation
[61] Malgré ma conclusion sur le sens de l’expression « remboursement au titre de dividendes », un manque de clarté subsiste pour ce qui concerne les paragraphes 129(2), (2.2) et, dans une certaine mesure, (2.1). J’espère que le législateur jugera opportun de combler cette lacune rédactionnelle au lieu de laisser les contribuables conjecturer le sens de ces paragraphes.
Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mars 2015.
« David E. Graham »
Juge Graham
Traduction certifiée conforme
ce 28e jour de juillet 2015.
François Brunet, réviseur
ANNEXE « A »
[traduction]
EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
1. L’appelante est une société de portefeuille qui exerçait auparavant ses activités sous la dénomination sociale « The Martin Schmerz Holding Corporation ». Elle a changé sa dénomination le 18 novembre 2011.
2. À toutes les époques pertinentes, l’appelante était une société privée.
3. À toutes les époques pertinentes, la fin de l’exercice financier de l’appelante était le 31 mars.
Années d’imposition 2004 à 2006
4. Au cours de chacune de ses années d’imposition 2004 à 2006, l’appelante a gagné des revenus de placement. Le « revenu de placement total » de l’appelante pour l’application du paragraphe 129(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi ») était de 5 780 $, de 20 238 $ et de 11 496 $ pour les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 respectivement.
5. Au cours de chacune de ses années d’imposition 2004 à 2006, l’appelante a reçu des dividendes intersociétés qui étaient assujettis à l’impôt prévu par la partie IV de la Loi. L’impôt exigible de l’appelante au titre de la partie IV était de 79 334 $, de 108 734 $ et de 125 291 $ pour les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 respectivement.
6. La partie remboursable de l’impôt de la partie I sur le « revenu de placement total » qu’elle a reçu et l’impôt de la partie IV exigible pour ses années d’imposition 2004 à 2006 ont été ajoutés à l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (l’« IMRTD ») de l’appelante selon la définition de cette expression au paragraphe 129(3) de la Loi, à la fin de chacune de ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006.
7. L’appelante a versé des dividendes imposables de 249 000 $, de 340 336 $ et de 405 125 $ au cours des années d’imposition 2004, 2005 et 2006 respectivement.
8. Les déclarations de revenus de l’appelante pour 2004 et 2005 ont été produites auprès du ministre du Revenu national (le « ministre ») le 17 février 2010, et la déclaration de revenus de l’appelante pour 2006, le 11 juin 2009.
9. L’appelante a demandé des remboursements au titre de dividendes se chiffrant à 80 234 $, à 113 445 $ et à 128 358 $ dans ses déclarations de revenus de 2004, de 2005 et de 2006 respectivement.
10. Le ministre a établi à l’encontre de l’appelante :
a) par avis de cotisation daté du 12 avril 2010, un impôt de la partie I se chiffrant à 1 208 $, un impôt de la partie IV se chiffrant à 79 334 $, une pénalité selon le paragraphe 162(1) se chiffrant à 13 692,14 $, et des intérêts sur arriérés se chiffrant à 48 043,53 $ pour l’année d’imposition 2004 de l’appelante;
b) par avis de cotisation daté du 12 avril 2010, un impôt de la partie I se chiffrant à 6 411 $, un impôt de la partie IV se chiffrant à 108 734 $, une pénalité selon le paragraphe 162(1) se chiffrant à 19 574,65 $, des intérêts sur acomptes se chiffrant à 46,07 $ et des intérêts sur arriérés se chiffrant à 56 305,11 $ pour l’année d’imposition 2005 de l’appelante. L’appelante n’a pas versé d’acomptes provisionnels en 2005;
c) par avis de cotisation daté du 28 juillet 2009, un impôt de la partie I se chiffrant à 4 360 $, un impôt de la partie IV se chiffrant à 125 291 $, une pénalité selon le paragraphe 162(1) se chiffrant à 22 040,67 $, des intérêts sur acomptes se chiffrant à 203,26 $ et des intérêts sur arriérés se chiffrant à 41 516,53 $ pour l’année d’imposition 2006 de l’appelante. L’appelante n’a pas versé d’acomptes provisionnels en 2006.
Dans les cotisations, le ministre a refusé les demandes de l’appelante portant sur des remboursements au titre de dividendes pour les années d’imposition 2004, 2005 et 2006, compte tenu du fait que les déclarations de revenus de l’appelante pour les années 2004, 2005 et 2006 n’avaient pas été produites dans les trois ans suivant la fin de l’année, comme le requiert le paragraphe 129(1) de la Loi.
11. Dans le calcul de l’IMRTD de l’appelante à la fin de ses années d’imposition 2005 et 2006, le ministre a retranché le montant du remboursement au titre de dividendes demandé par l’appelante, mais non reçu par elle, pour les années d’imposition 2004 et 2005 respectivement.
Années d’imposition 2007 à 2009
12. Durant son année d’imposition 2007, l’appelante a gagné un « revenu de placement total » de 26 256 $ pour l’application du paragraphe 129(1) de la Loi. L’appelante n’avait aucun « revenu de placement total » pour ses années d’imposition 2008 ou 2009.
13. Pour les dividendes intersociétés reçus, l’appelante devait payer un impôt de la partie IV se chiffrant à 102 231 $, à 150 881 $ et à 141 641 $ pour ses années d’imposition 2007, 2008 et 2009 respectivement.
14. L’appelante a versé des dividendes imposables de 322 443 $, de 362 352 $ et de 434 403 $ au cours de ses années d’imposition 2007, 2008 et 2009 respectivement.
15. Les déclarations de revenus de 2007, de 2008 et de 2009 de l’appelante ont été produites auprès du ministre le 11 juin 2009, le 30 avril 2010 et le 7 mai 2010 respectivement.
16. L’appelante a demandé et reçu des remboursements au titre de dividendes, calculés en application de l’alinéa 129(1)a) de la Loi, et se chiffrant à 107 481 $, à 120 784 $ et à 144 801 $ pour ses années d’imposition 2007, 2008 et 2009 respectivement.
17. Dans le calcul de l’IMRTD de l’appelante à la fin de son année d’imposition 2007, le ministre a déduit le montant du remboursement au titre de dividendes demandé par l’appelante, mais non reçu par elle, pour son année d’imposition 2006.
Années d’imposition 2010 à 2012
18. L’appelante n’a pas gagné de « revenu de placement total » au cours de ses années d’imposition 2010, 2011 ou 2012.
19. Au cours de son année d’imposition 2010, l’appelante a reçu, au total, 303 700 $ en dividendes imposables de sociétés rattachées, dividendes à l’égard desquels les sociétés payantes avaient droit à des remboursements au titre de dividendes. En conséquence, un impôt de la partie IV se chiffrant à 101 234 $ aurait été exigible de l’appelante cette année-là. Cependant, l’impôt de la partie IV par ailleurs exigible a été réduit d’un montant correspondant à la déduction de pertes autres que des pertes en capital de l’année en cours, suivant l’alinéa 186(1)c) de la Loi. Après la déduction de ces pertes, aucun impôt net de la partie IV n’était exigible de l’appelante pour son année d’imposition 2010.
20. Au cours de son année d’imposition 2011, l’appelante a reçu, au total, 323 350 $ en dividendes imposables de sociétés rattachées, dividendes à l’égard desquels les sociétés payantes avaient droit à des remboursements au titre de dividendes. En conséquence, un impôt de la partie IV se chiffrant à 100 167 $ aurait été exigible de l’appelante cette année-là. Cependant, l’impôt de la partie IV par ailleurs exigible a été réduit d’un montant correspondant à la déduction de pertes autres que des pertes en capital de l’année en cours, suivant l’alinéa 186(1)c) de la Loi. Après la déduction de ces pertes, un impôt net de la partie IV se chiffrant à 7 617 $ était exigible de l’appelante pour son année d’imposition 2011.
21. Au cours de son année d’imposition 2012, l’appelante a reçu, au total, 291 000 $ en dividendes imposables de sociétés rattachées, dividendes à l’égard desquels les sociétés payantes avaient droit à des remboursements au titre de dividendes. En conséquence, un impôt de la partie IV se chiffrant à 97 001 $ aurait été exigible de l’appelante cette année-là. Cependant, l’impôt de la partie IV par ailleurs exigible a été réduit d’un montant correspondant à la déduction de pertes autres que des pertes en capital d’années précédentes, suivant l’alinéa 186(1)d) de la Loi. Après la déduction de ces pertes, aucun impôt net de la partie IV n’était exigible de l’appelante pour son année d’imposition 2012.
22. L’appelante a versé des dividendes imposables de 319 503 $, de 358 851 $ et de 354 501 $ au cours de ses années d’imposition 2010, 2011 et 2012 respectivement.
23. L’appelante a produit ses déclarations de revenus de 2010, de 2011 et de 2012 auprès du ministre le 29 octobre 2012, le 15 octobre 2012 et le 7 novembre 2012 respectivement.
24. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2010, l’appelante a demandé un remboursement au titre de dividendes se chiffrant à 106 501 $. Par avis de cotisation daté du 11 décembre 2012, le ministre a établi à l’égard de l’appelante une cotisation accordant à celle-ci un remboursement au titre de dividendes se chiffrant à 28 754 $, compte tenu du fait que l’IMRTD de l’appelante était insuffisant pour autoriser le remboursement au titre de dividendes demandé par l’appelante.
25. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2011, l’appelante a demandé un remboursement au titre de dividendes se chiffrant à 119 617 $. Par avis de cotisation daté du 11 décembre 2012, le ministre a établi à l’égard de l’appelante une cotisation accordant à celle-ci un remboursement au titre de dividendes se chiffrant à seulement 7 617 $, compte tenu du fait que l’IMRTD de l’appelante était insuffisant pour autoriser le remboursement au titre de dividendes demandé par l’appelante.
26. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2012, l’appelante a demandé un remboursement au titre de dividendes se chiffrant à 118 167 $. Par avis de cotisation daté du 11 décembre 2012, le ministre a refusé le remboursement au titre de dividendes compte tenu du fait que l’appelante n’avait aucun IMRTD à la fin de son année d’imposition 2012.
27. Si l’IMRTD de l’appelante à la fin de ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007 n’avait pas été réduit de la somme correspondant aux remboursements au titre de dividendes demandés, mais non reçus, pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006, l’appelante aurait eu à la fin de ses années d’imposition 2010, 2011 et 2012 un IMRTD suffisant pour autoriser le remboursement au titre de dividendes demandé pour chacune de ces années.
28. L’appelante a déposé des avis d’opposition aux avis de cotisation mentionnés aux paragraphes 24, 25 et 26 (les « cotisations »), et le ministre a ratifié les cotisations par lettre datée du 16 octobre 2013.
29. Le 8 janvier 2014, l’appelante a déposé un avis d’appel à l’égard de ses années d’imposition 2010, 2011 et 2012.
30. Un sommaire de l’IMRTD de l’appelante, calculé par l’appelante et par le ministre, figure à l’annexe A du présent exposé conjoint des faits.
Les parties conviennent que le présent exposé conjoint des faits n’empêche ni l’une ni l’autre de produire des éléments de preuve en complément des faits reconnus ici, pour autant que ces éléments ne contredisent pas les faits ainsi reconnus.
Annexe A [de l’exposé conjoint des faits]
[traduction]
Année d’imposition |
Ajouter : impôt remboursable au titre de la partie I |
Ajouter : impôt exigible au titre de la partie IV |
Ajouter : IMRTD à la fin de l’année précédente (selon l’appelante) |
Ajouter : IMRTD à la fin de l’année précédente (selon le ministre) |
Déduire : remboursement au titre de dividendes pour l’année précédente (selon l’appelante) |
Déduire : remboursement au titre de dividendes pour l’année précédente (selon le ministre) |
Solde de l’IMRTD en fin d’année (selon l’appelante) |
Solde de l’IMRTD en fin d’année (selon le ministre) |
2004 |
900 $ |
79 334 $ |
$ |
$ |
$ |
$ |
80 234 $ |
80 234 $ |
2005 |
4 778 $ |
108 734 $ |
80 234 $ |
80 234 $ |
$ |
80 234 $ |
193 746 $ |
113 512 $ |
2006 |
3 066 $ |
125 291 $ |
193 746 $ |
113 512 $ |
$ |
113 445 $ |
322 103 $ |
128 424 $ |
2007 |
7 002 $ |
102 231 $ |
322 103 $ |
128 424 $ |
$ |
128 358 $ |
431 336 $ |
109 299 $ |
2008 |
$ |
150 881 $ |
431 336 $ |
109 299 $ |
107 481 $ |
107 481 $ |
474 736 $ |
152 698 $ |
2009 |
$ |
141 641 $ |
474 736 $ |
152 698 $ |
120 784 $ |
120 784 $ |
495 593 $ |
173 555 $ |
2010 |
$ |
$ |
495 593 $ |
173 555 $ |
144 801 $ |
144 801 $ |
350 792 $ |
28 754 $ |
2011 |
$ |
7 617 $ |
350 792 $ |
28 754 $ |
106 501 $ |
28 754 $ |
251 908 $ |
7 617 $ |
2012 |
$ |
$ |
251 908 $ |
7 617 $ |
119 617 $ |
7 617 $ |
132 291 $ |
$ |
ANNEXE « B »
[38] Une analyse téléologique de la disposition, eu égard à son historique législatif, favorise également la thèse de l’appelante. Le remboursement au titre de dividendes et le programme de l’IMRTD ont d’abord été adoptés en 1972 lors des grandes réformes fiscales qui ont suivi les conclusions tirées en 1966 par la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (la « Commission Carter ») et les recommandations formulées en réponse au Livre blanc de 1969. Les recommandations découlant des conclusions de la Commission Carter n’ont pas toutes été mises en œuvre; cependant, un des principaux changements législatifs mis en œuvre consistait à intégrer pleinement l’impôt des sociétés et l’impôt des actionnaires, en réponse à un problème urgent27. Avant 1972, la Loi offrait aux actionnaires un crédit d’impôt pour dividendes relativement à une partie des impôts de la société, mais ce crédit était nettement inférieur à l’impôt que la société avait payé sur ses bénéfices avant distribution. Il y avait donc une double imposition importante. L’adoption de l’article 129 faisait partie des modifications qui visaient à éliminer la double imposition et à favoriser l’intégration.
[39] C’est un parcours très sinueux qui a mené à la réforme fiscale de 1972. La lecture des rapports des comités de la Chambre des communes et du Sénat qui, de la fin des années 1960 à 1972, ont analysé et débattu les recommandations de la Commission Carter de 1966 et du Livre blanc de 1969 révèle que les recommandations étaient contestées et que les résultats finalement atteints étaient sensiblement différents des mesures recommandées à l’origine.
[40] L’avocate du ministre insiste sur la proposition du Livre blanc visant à limiter à deux ans et demi la période au cours de laquelle les dividendes doivent être payés pour que l’actionnaire soit admissible à un crédit d’impôt pour dividendes28. Cependant, l’avocate semble ignorer que cette proposition, comme de nombreuses autres qui avaient été formulées lors de la réforme, est restée lettre morte.
[41] Ainsi, en septembre 1970, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a souligné, dans son Rapport sur le Livre blanc des propositions de réforme fiscale, l’opposition dont le programme d’intégration faisait apparemment l’objet, notamment parce qu’une des propositions du programme consistait à exiger que les dividendes soient versés dans les deux ans et demi suivant la fin de l’exercice de réception des gains de la société, faute de quoi les actionnaires perdraient leur crédit d’impôt pour dividendes29 :
[1] [...] Presque sans exception, tous les contribuables qui ont témoigné se sont opposés fortement au régime de l’intégration, et les rares exceptions qui se disaient en faveur de ces propositions, ont insisté sur les modifications profondes à apporter au régime proposé pour le rendre acceptable.
[2] [...] Pour compliquer les choses, les propositions parlent de reporter à plus tard le paiement de crédits fiscaux [les dividendes doivent être versés dans les deux ans et demi suivant la réception du revenu de la société] et établissent une distinction que le comité juge artificielle, entre des corporations ouvertes et des corporations fermées. Le Livre blanc obligerait toutes les sociétés à tenir une comptabilité complexe de comptes fiscaux très détaillés, non seulement quant aux montants, mais aussi quant à l’ancienneté.
[3] En somme, ces propositions doteraient le Canada d’un régime en vertu duquel les sociétés, par leur conseil d’administration, seraient soumises aux pressions de leurs actionnaires insistant pour une distribution accrue des dividendes afin que les avoirs fiscaux ne deviennent pas périmés. La direction et les administrateurs ne seraient plus en mesure de déterminer objectivement les besoins à long terme de leurs sociétés [...]30.
[42] Au cours de ses délibérations du 28 janvier 1970, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a discuté de la péremption et l’a comparée à une disposition semblable de l’ancienne Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, qui permettait au ministre d’exiger le paiement de dividendes :
Il y a un certain nombre d’années, le fameux article 13 de l’ancienne loi de l’impôt de guerre sur le revenu habilitait le ministre du Revenu national à exiger que les compagnies versent des dividendes, si le paiement en était indûment retenu, et sans aucune cause légitime31.
Apparemment, cette disposition a été abrogée parce que le ministre ne pouvait déterminer quelles étaient les sociétés qui avaient besoin de conserver leurs profits pour soutenir leur expansion et quelles agissaient simplement « par cupidité »32.
[43] Dans son ouvrage The Benson Iceberg : A critical analysis of the White Paper on tax reform in Canada33, I. H. Asper a souligné que le concept de la « péremption » pouvait difficilement être mis en pratique :
[TRADUCTION]
Le problème est aggravé par le nouveau concept très important de la « péremption ». Selon ce concept, si les dividendes (en espèces ou en actions) ne sont pas versés dans les deux ans et demi suivant la fin de l’exercice au cours duquel les bénéfices ont été gagnés, les actionnaires n’obtiendront pas le crédit d’impôt. Ces bénéfices sur lesquels un impôt a été payé deviendront périmés. Les dividendes versés sur le surplus périmé seront entièrement imposables entre les mains des particuliers sans donner lieu au moindre crédit. Les incidences fiscales pourraient être remarquables.
Le gouvernement estime que cette limite de temps est nécessaire pour un certain nombre de raisons. D’abord, s’il n’y avait pas de limite de temps, les actionnaires pourraient accumuler des crédits d’impôt ou, pour reprendre l’expression du Livre blanc, des dégrèvements d’impôt pendant des années, puis exercer soudainement leurs droits de dividende et demander leur crédit d’impôt au complet au cours d’une seule année. Le gouvernement estime qu’en pareil cas, le ministère du Revenu aurait du mal à prévoir ses flux de revenus annuels et que, si le cumul était autorisé, les actionnaires pourraient vendre leurs actions à d’autres personnes dont le taux d’imposition est inférieur et qui, en utilisant les crédits d’impôt accumulés, pourraient retirer les surplus accumulés dans la société et obtenir du gouvernement fédéral des remboursements d’impôt suffisamment élevés pour payer la quasi‑totalité du coût des actions.
Cependant, la règle de deux ans et demi est arbitraire et inéquitable étant donné, surtout, que les taux maximaux d’impôt sur le revenu des particuliers resteront à 70 p. 100 et à 80 p. 100 au cours des premières années du régime; le fait de contraindre les actionnaires à toucher des dividendes afin d’éviter la péremption et à payer un impôt de plus de 50 p. 100 sur ces dividendes va à l’encontre de la philosophie de l’ensemble du régime.
[44] Le concept de la « péremption » analysé plus haut est très semblable à celui qui, de l’avis de l’intimée, fait partie du paragraphe 129(1) et de la définition de l’IMRTD.
[45] Le programme de remboursement au titre de dividendes a été adopté en 1972, parmi les nombreuses modifications apportées à la Loi. Le Guide de l’impôt sur les corporations du ministre pour l’année 1972 (le « Guide ») comporte des commentaires très utiles au sujet de l’interprétation de l’expression « remboursement au titre de dividendes ». Il énonce clairement que l’expression « remboursement au titre de dividendes » figurant au paragraphe 129(3) correspond à des « montants précédemment remboursés » et qu’il s’agit de « remboursements de dividendes effectués » :
Cette publication expose les modifications, applicables en 1972, dont a fait l’objet la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne les corporations. Elle a pour but de fournir des indications préliminaires aux dirigeants des corporations et leurs conseillers afin de les aider à comprendre les changements fondamentaux apportés aux concepts fiscaux, ainsi que la nouvelle terminologie.
DISTRIBUTIONS DES GAINS DES CORPORATIONS PRIVÉES
[2.073] Les nouvelles règles d’imposition du revenu des corporations privées gagné après 1971 tendent à la réalisation de deux objectifs fondamentaux, à savoir :
(1) que le revenu gagné par une corporation privée ne soit pas assujetti à l’impôt au niveau des corporations à des taux nettement inférieurs à ceux établis sur le revenu gagné directement par les particuliers, et
(2) que, de façon générale, l’impôt total payable par une corporation privée et par les particuliers qui en sont les actionnaires, après la distribution du revenu, ne soit pas plus élevé que celui qui aurait été exigible si les actionnaires avaient personnellement reçu le revenu. Cet objectif se rapporte au revenu de placements et au revenu tiré des entreprises exploitées activement, qui est assujetti à la déduction accordée aux petites entreprises.
[…]
Impôt remboursable au titre de dividendes
[2.079] Lorsqu’une corporation privée paye des dividendes imposables, elle est admissible au remboursement de certains impôts de corporation précédemment payés. Le montant de l’impôt de la Partie IV qui a été payé est remboursable, comme il est indiqué au paragraphe 2.063. Le montant total admissible au remboursement (impôt remboursable au titre de dividendes) n’est pas toutefois limité à l’impôt de la Partie IV. L’impôt en main, remboursable au titre de dividendes, se compose de la totalité
a) de l’ensemble de l’impôt de la Partie IV payé pour les dividendes reçus, et
b) d’un maximum de 25 points de pourcentage de l’impôt de la Partie I payé pour les autres revenus de placements, tant canadiens qu’étrangers
moins :
c) les montants précédemment remboursés.
[2.080] Les montants indiqués aux alinéas a) et b) déterminés pour une année d’imposition donnée sont, en effet, placés dans un compte d’impôt remboursable au titre de dividendes d’où sont déduits tous les remboursements de dividendes effectués34.
[Non souligné dans l’original.]
[46] Les paragraphes 2.079 et 2.080 de la version anglaise du Guide sont libellés en partie comme suit :
DISTRIBUTIONS FO EARNINGS OF PRIVATE CORPORATIONS
[...]
Refundable Dividend Tax
2.079 [...] The refundable dividend tax on hand is composed of the aggregate of
(a) all of the Part IV tax paid in respect of dividends received, and
(b) a maximum of 25 percentage points of the Part I tax paid in respect of other investment income, both Canadian and foreign
less
(c) amounts previously refunded.
[2.080] The amounts in (a) and (b) determined in respect of a particular taxation year are, in effect, placed in a refundable dividend tax account and the account is reduced by any dividend refunds made.
[Non souligné dans l’original et gras ajouté.]
[47] Le Guide a été approuvé dans le Bulletin d’interprétation IT‑61 du ministère du Revenu national, lequel a été publié dans la Gazette du Canada le 16 septembre 1972 :
5. Les nouvelles règles qui régiront l’imposition des corporations et des distributions des gains d’une corporation à ses actionnaires sont exposées en détail dans le « Guide de l’impôt sur les corporations » publié par le ministère du Revenu national. [...] Si on désire obtenir plus de détails sur l’assujettissement des corporations à l’impôt en général, [...] il faut se rapporter au Guide de l’impôt sur les corporations.
Publié avec l’autorisation du sous‑ministre du Revenu national pour l’impôt35.
[Non souligné dans l’original et gras ajouté.]
[48] La formule de calcul de l’IMRTD a changé depuis 1972, mais non en profondeur. Quelques‑uns des taux et des chiffres ont été modifiés; il y a eu aussi une période au cours de laquelle la formule exigeait l’utilisation des totaux historiques de ses différents éléments. À l’heure actuelle, la formule renvoie aux données de deux années (le revenu et les impôts de l’année en cours, ainsi que l’IMRTD et le remboursement au titre de dividendes de l’année précédente); cependant, étant donné que la formule ne comporte que des additions et des soustractions et que le solde est reporté chaque année, le résultat correspond essentiellement au même montant que le solde historique total. En conséquence, les directives initiales que le ministre avait données en 1972 au sujet de l’application de l’article 129 demeurent encore très utiles.
[49] Selon la thèse de l’intimée, l’expression « remboursement au titre de dividendes » renvoie à un montant fictif, parce que le législateur voulait que les montants portés au crédit du compte d’IMRTD du contribuable deviennent périmés trois ans après la fin de l’année d’imposition au cours de laquelle ils sont gagnés. Le but est d’éviter l’accumulation de remboursements au titre de dividendes dont le montant serait très élevé et qui pourraient être déclenchés en tout temps au gré des contribuables. Cependant, je souligne que, dans la plupart des cas, l’interprétation de l’intimée ne donne pas lieu à ce résultat. Selon l’intimée, le montant fictif du « remboursement au titre de dividendes » est le moindre des montants mentionnés aux sous‑alinéas 129(1)a)(i) et (ii), soit le dividende imposable et le solde de l’IMRTD à la fin de l’année respectivement. Une société pourrait éviter la péremption de son compte en reportant le paiement de dividendes imposables à ses actionnaires. Par exemple, si l’appelante dans la présente affaire avait versé un dividende imposable de 321 414 $ la première fois au cours de son année d’imposition 2008 (soit plus de trois ans après l’année d’imposition 2004 au cours de laquelle l’impôt de la partie IV a été porté au crédit de son compte de l’IMRTD) et qu’elle avait produit sa déclaration de revenus dans les trois années suivant l’année d’imposition 2008, elle aurait eu droit à un remboursement au titre de dividendes.
[50] Selon l’interprétation de l’intimée, le solde du compte de l’IMRTD d’une société contribuable serait réduit uniquement si la société versait un dividende imposable pendant l’année et qu’elle produisait une déclaration de revenus plus de trois ans après la fin de l’année en question, ce qui constitue un résultat punitif comparativement au traitement accordé aux contribuables qui reportent les paiements de dividendes.
27 Howard J. Kellough et Peter E. McQuillan, Taxation of Private Corporations and Their Shareholders, 3e éd. (Toronto, Association canadienne d’études fiscales, 1999) à la page 2:3.
28 Observations écrites de l’intimée; voir également la transcription de l’audience.
29 I. H. Asper décrit bien le concept de la péremption dans The Benson Iceberg : A critical analysis of the White Paper on tax reform in Canada (Toronto, Clarke, Irwin & Company Limited, 1970), aux pages 130 à 132.
30 Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, Rapport sur le Livre blanc des propositions de réforme fiscale, septembre 1970 (Ottawa, Imprimeur de la Reine pour le Canada, 1970), à la page 30.
31 Délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, 28 janvier 1970, à S:22.
32 Ibid.
33 Précité, note de bas de page 29, aux pages 30 et 31.
34 Revenu national, Impôt, Guide de l’impôt sur les corporations (non daté; traite des modifications apportées en 1972 à la Loi de l’impôt sur le revenu).
35 Ministère du Revenu national, Impôt, Bulletin d’interprétation IT‑61, « Loi de l’impôt sur le revenu — Corporations qui étaient des « corporations personnelles » en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu antérieure à 1972 », 16 août 1972, publié dans la Gazette du Canada, 16 septembre 1972, aux pages 2658 à 2663.
RÉFÉRENCE : |
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No DU DOSSIER DE LA COUR : |
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INTITULÉ : |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
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DATE DU JUGEMENT : |
COMPARUTIONS :
Me David Malach M. Stephen Crawford (stagiaire en droit) |
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Avocat de l’intimée : |
Me Craig Maw |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pour l’appelante :
Nom : |
Stephen Crawford (stagiaire en droit)
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Cabinet : |
Air & Berlis LLP Toronto (Ontario)
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Pour l’intimée : |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Ottawa, Canada |
[1] Les parties ont rédigé un exposé conjoint détaillé des faits, dont j’ai résumé les points saillants ci-dessus. Le texte complet de l’exposé conjoint des faits figure à l’annexe A des présents motifs.
[2] 2011 CCI 440.
[3] Un examen détaillé du sens de cette expression figure aux paragraphes 33 à 36 de la décision Tawa, et il n’est pas nécessaire de le répéter ici.
[4] Androwich c. La Reine, 1989 CarswellNat 404 (CFPI), au paragraphe 14, confirmée par : 1993 CarswellNat 923 (CAF).
[5] Tout au long des présents motifs, les soulignements doubles indiquent les mots qui ont été ajoutés et les ratures indiquent les mots qui ont été supprimés.
[6] Il existe aussi des options qui permettent au contribuable de verser ses acomptes provisionnels en fonction de ses revenus de l’année antérieure ou des deux années antérieures. Ces options ne permettent pas d’éclaircir le point qui nous intéresse, et je n’en ai donc pas tenu compte aux fins de cette analyse.
[7] Exposé conjoint des faits, paragraphe 10. La dette fiscale de l’appelante pour ces années se rapportait à l’impôt de la partie I et de la partie IV. Les acomptes provisionnels ne tiennent pas compte des obligations fiscales de la partie IV (paragraphe 157(1)). Par conséquent, les intérêts sur acomptes provisionnels pour ces années devaient se rapporter à la dette fiscale de l’appelante au titre de l’impôt de la partie I. Comme cette dette fiscale était minime par rapport au montant des remboursements qui auraient été payables au titre du paragraphe 129(1) si l’appelante avait produit à temps ses déclarations de revenus, j’en conclus que le ministre n’a pas dû prendre ces montants en considération au moment de calculer les intérêts sur acomptes provisionnels de l’appelante.
[8] J’ignore si le ministre a imposé des intérêts sur acomptes provisionnels de cette manière à d’autres contribuables, et je ne me prononce donc pas sur cet aspect.
[9] Arguments écrits de l’intimée, paragraphe 45.