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Dossier : 2014-2599(GST)APP

ENTRE :

JEAN-MICHEL DÉSIR,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Demande entendue le 19 janvier 2015, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Alain Tardif


Comparutions :

Pour le requérant :

Le requérant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Philippe Gilliard

JUGEMENT

Selon les motifs du jugement ci-joints, la demande du requérant en vue d’obtenir une ordonnance prolongeant le délai dans lequel un avis d’opposition à la nouvelle cotisation du 12 mars 2012 établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise peut être déposé est rejetée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mai 2015.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2015 CCI 126

Date : 20150519

Dossier : 2014-2599(GST)APP

ENTRE :

JEAN-MICHEL DÉSIR,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]             Il s’agit d’une requête faite en vertu de l'alinéa 304(1)a) de la Loi sur la taxe d'accise (la « L.T.A. » ) par monsieur Jean-Michel Désir (le « requérant »), demandant de faire droit à une demande de prorogation de délai pour présenter au ministre du Revenu national (le « ministre » ) un avis d'opposition.

HISTORIQUE

[2]             Le 12 mars 2012, le ministre a envoyé un avis de nouvelle cotisation au requérant, fondé sur la L.T.A. La conformité et qualité de l'envoi n'ont pas fait l’objet de contestation.

[3]             Le 1er janvier 2013, le requérant a produit une demande de prorogation de délai. Le requérant a joint à sa demande un avis d'opposition complété par les pièces justificatives à son opposition.

[4]             Le 14 novembre 2013, le ministre a rejeté ladite demande de prorogation de délai. Il a conséquemment envoyé un avis au requérant, l'informant du rejet de sa demande. Dans cet avis, le ministre a indiqué au requérant qu'il bénéficiait d'un délai de trente (30) jours pour demander à la Cour canadienne de l'impôt de procéder à un nouvel examen de cette décision. En d’autres termes, la demande fut refusée étant donné la production hors des délais prévus.

[5]             Le 15 avril 2014, le requérant a envoyé une lettre au ministre dans laquelle il admet être en retard pour présenter un avis d'opposition. Une fois de plus, il a joint à celle-ci son avis d'opposition et les pièces justificatives à son appui.

[6]             Le 2 juin 2014, le ministre a de nouveau répondu, en indiquant au requérant qu'il avait excédé ledit délai de trente (30) jours pour en appeler à la Cour canadienne de l'impôt.

[7]             Le 9 juillet 2014, le requérant déposait une demande de prorogation de délai à cette Cour.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[8]             Les dispositions pertinentes de la L.T.A. sont les suivantes:

301. (1.1) La personne qui fait opposition à la cotisation établie à son égard peut, dans les 90 jours suivant le jour où l’avis de cotisation lui est envoyé, présenter au ministre un avis d’opposition, en la forme et selon les modalités déterminées par celui-ci, exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents.

[…]

 (1) Le ministre peut proroger le délai pour produire un avis d’opposition dans le cas où la personne qui n’a pas fait opposition à une cotisation en application de l’article 301, ou de requête en application du paragraphe 274(6), dans le délai par ailleurs imparti lui présente une demande à cet effet.

[…]

(5) Sur réception de la demande, le ministre l’examine avec diligence et y fait droit ou la rejette. Dès lors, il avise la personne de sa décision par courrier certifié ou recommandé.

[…]

(7) Il n’est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande est présentée dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti pour faire opposition ou présenter la requête en application du paragraphe 274(6);

.   .   .

304. (1) La personne qui présente une demande en application de l’article 303 peut demander à la Cour canadienne de l’impôt d’y faire droit après :

a) le rejet de la demande par le ministre;

b) l’expiration d’un délai de 90 jours suivant la signification de la demande, si le ministre n’a pas avisé la personne de sa décision.

Toutefois, une telle demande ne peut être présentée après l’expiration d’un délai de 30 jours suivant l’envoi de la décision à la personne selon le paragraphe 303(5).

[Mon soulignement]

Position des parties

[9]             En l’espèce, le ministre prétend que cette Cour n’a pas discrétion pour entendre la demande de prorogation de délai du requérant, étant donné qu’il ne l’a pas produite dans les trente (30) jours de son avis de décision, et ce, conformément au paragraphe 304(1) in fine de la L.T.A. Suivant la position du ministre, ce délai en est un de rigueur.

[10]        Le requérant a essentiellement recours à des arguments d’équité. Il soutient avoir mandaté son comptable, sur réception de l’avis de décision du ministre, pour en appeler devant cette Cour. Il impute ainsi le manquement au délai de trente (30) jours à son comptable. Si tel est le cas, il y a lieu possiblement de questionner l’étendue du mandat confié à ce comptable pour évaluer la nature de sa responsabilité. Il s'agit là cependant d’une question sur laquelle cette Cour n’a ni autorité, ni compétence.

ANALYSE

[11]        Débutons en reprenant chacun des délais pertinents à la présente affaire.

Délai de 90 jours pour s’opposer

[12]        D’abord, suivant le paragraphe 301(1.1) de la L.T.A., le requérant jouissait d’un délai de quatre-vingt-dix (90) jours, à partir de l’envoi de l’avis de nouvelle cotisation par le ministre, pour présenter un avis d’opposition. Il avait donc jusqu’au 11 juin 2012 pour s’opposer.

[13]        Le requérant a manqué à ce délai.

Délai d’un an et 90 jours pour proroger le délai d’opposition

[14]        Le requérant pouvait alors demander de proroger le délai pour s’opposer, conformément à l’article 303 de la L.T.A. Toutefois, comme l’indique l’alinéa 303(7)a) de la L.T.A., une telle demande devait être produite dans l’année suivant l’expiration du délai de quatre-vingt-dix (90) jours, c’est-à-dire avant le 12 juin 2013.

[15]        Le requérant a respecté ce délai.

Délai de 30 jours pour interjeter appel de la décision du ministre

[16]        Le paragraphe 303(5) de la L.T.A. oblige ensuite le ministre à examiner avec diligence ladite demande de prorogation de délai, et d’y faire droit ou de la rejeter. Il doit, toujours suivant ce même paragraphe, envoyer un avis de sa décision au requérant.

[17]        Advenant le cas où le ministre ne saurait aviser le contribuable de sa décision à l’intérieur d’un délai de quatre-vingt-dix (90) jours, il est loisible à ce dernier de demander directement à la Cour canadienne de l’impôt de statuer sur sa demande, conformément à l’alinéa 304(1)b) de la L.T.A.

[18]        Le 14 novembre 2013, en informant le requérant du rejet de sa demande, le ministre a mis deux cent quatre-vingt-quinze (295) jours pour l’aviser de sa décision. Toutefois, dans l’intervalle, le requérant n’a jamais demandé à cette Cour de statuer sur sa demande.

[19]        Le requérant s’en est plutôt remis à l’alinéa 304(1)a) de la L.T.A.

[20]        En effet, en date du 9 juillet 2014, il a déposé auprès de cette Cour une demande dans laquelle il réclamait une prorogation de délai pour présenter un avis d’opposition.

[21]        Il a donc mis deux cent trente-sept (237) jours, depuis la réception de l’avis du ministre rejetant sa demande, avant d’en appeler officiellement à la Cour.

[22]        Toutefois, le paragraphe 304(1) in fine de la L.T.A. requiert qu’un appel de la décision du ministre soit déposé dans les trente (30) jours de l’envoi de l’avis de décision. Autrement dit, cette disposition laissait au requérant jusqu’au 16 décembre 2013 pour en appeler devant la Cour canadienne de l’impôt. Or, en déposant son appel le 9 juillet 2014, il l’a fait deux cent cinq (205) jours plus tard.

[23]        Le requérant a donc manqué à ce délai.

[24]        Le ministre est d’avis qu’il s’agit d’un délai de rigueur. Il s’appuie notamment sur deux décisions, 9848-3173 Québec Inc. c. La Reine, 2003 CCI 217, et Maman c. La Reine, 2007 CCI 429, où la Cour explique clairement que le paragraphe 304(1) in fine de la L.T.A. n’offre aucune latitude aux décideurs pour déroger au délai de trente (30) jours.

[25]        J’ajouterais à celles-ci Bellemare c. La Reine, 2013 CCI 381, où le juge Boyle mentionne, au paragraphe 7 de sa décision, que « le délai de trente jours, tout comme celui d’un an et 90 jours, est prévu par la loi, et [que] la Cour n’a pas compétence pour ne pas l’appliquer pour des motifs d’équité ou pour d’autres motifs ».

[26]        Ce passage illustre la rigueur avec laquelle les tribunaux canadiens appliquent les délais contenus à la L.T.A. Voir notamment 2786885 Canada Inc. c. Canada, 2011 CAF 197; et Pereira c. Canada, 2008 CAF 264.

[27]        Il ne peut être fait davantage, droit à la demande du requérant pour le motif que l’erreur quant au délai est imputable au comptable. Il est fondamental d’appliquer une disposition législative en l’absence de toute ambiguïté.

[28]        Bien que le dossier soit quelque peu particulier, je ne peux malheureusement pas rien y changer. En effet, le ministre a examiné la demande de prorogation de délai du requérant, et à cette occasion, il s’est écoulé deux cent quatre-vingt-quinze (295) jours avant que celui-ci lui envoie un avis de sa décision. Un tel délai est carrément déraisonnable; il ne s’agissait pas là d’une question complexe.

[29]        Il est évident qu’une telle période de temps laissait le contribuable sous l’impression que son dossier était définitivement réglé.

[30]        Certes nul ne peut ignorer la Loi; par contre, une personne raisonnable peut certainement penser avoir droit à un délai de plus de 30 jours s’il a lui-même dû attendre 295 jours pour avoir une décision dans son dossier. En d’autres termes, la rigueur des délais devrait être opposable à toutes les parties à un litige.

[31]        En matière de procédure, l’équité minimale veut que les parties à un litige soient assujetties à des règles comparables particulièrement en matière de délai. Or, du moment où le ministre a finalement décidé de lui envoyer un avis rejetant sa demande de prorogation, le législateur a limité, sans exception, à trente (30) jours le délai dans lequel le requérant pouvait en appeler. Je doute que celui-ci, comme une forte majorité de contribuables canadiens, connaissait la possibilité d’en appeler directement à la Cour conformément à l’alinéa 304(1)b) de la L.T.A.

[32]        Le ministre n’a aucune contrainte de temps pour répondre à une demande formulée sous le paragraphe 303(1) de la L.T.A. Sa décision peut être envoyée au contribuable, de façon totalement discrétionnaire, des semaines, des mois, voire des années plus tard.

[33]        Une telle pratique peut laisser croire au contribuable que sa demande a été accordée; le recours à l’alternative ou mécanisme prévu à l’alinéa 304(1)b) de la L.T.A. est particulier et très difficilement compréhensible pour un profane en la matière.

[34]        Du moment où il reçoit un avis rejetant sa requête, le contribuable ne bénéficie que de trente (30) jours pour en appeler. De plus, rien dans la L.T.A. n’oblige le ministre à informer le contribuable dudit délai de trente (30) jours, comme ce fut le cas en l’espèce.

[35]        L’effort de diligence exigé pour le contribuable est démesurément plus exigeant que celui du ministre, ce dernier pouvant répondre quand bon lui semble.

[36]        La présente situation est d’autant plus complexe à la lumière des autres délais prévus à la L.T.A. En effet, tant le paragraphe 301(1.1) que l’article 306 in fine de la L.T.A. exigent un délai de quatre-vingt-dix (90) jours pour s’opposer et en appeler. Le contribuable doit donc être en mesure de distinguer ce délai des deux autres.

[37]        De plus, l’article 93.1.5 de la Loi sur l’administration fiscale (la « L.A.F. »), le corollaire du paragraphe 304(1) de la L.T.A. en matière de TVQ, permet au contribuable d’en appeler de la décision du ministre dans les quatre-vingt-dix (90) jours de l’envoi de l’avis de sa décision.

[38]        Un contribuable bénéficierait donc de plus de temps pour en appeler devant la Cour du Québec que devant la Cour canadienne de l’impôt, ce qui est, à mon sens, fondamentalement incohérent.

[39]        Le législateur devrait revoir le délai de trente (30) jours prévu au paragraphe 304(1) in fine de la L.T.A.. En l’espèce, je ne puis me substituer au législateur. Je dois m’en remettre au texte de la Loi et sur les différentes décisions qui ont validés la rigueur du délai prévu

[40]        Pour ces raisons, l’appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mai 2015.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 126

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-2599(GST)APP

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JEAN-MICHEL DÉSIR c. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2015

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

 

Pour le requérant :

Le requérant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Philippe Gilliard

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Pour le requérant :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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