Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence : 2015 CCI 138

Date : 20150605

Dossiers : 2012-1431(IT)G

2013-203(IT)G


ENTRE :

LA COMPAGNIE D’ASSURANCE

STANDARD LIFE DU CANADA

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS CONCERNANT LES OBSERVATIONS SUR LES DÉPENS

Le juge Pizzitelli

[1]             L’intimée a présenté une demande d’adjudication de dépens majorés considérant qu’elle a eu entièrement gain de cause sur le fond au procès et que les dépens lui ont été adjugés. L’intimée demande l’adjudication de dépens totaux s’élevant à 529 163 $, soit 491 345,61 $ en honoraires et 37 818 $ en débours, à l’encontre de l’appelante, qui correspondent à 80 % des dépens de l’intimée établis sur une base procureur-client depuis le 27 janvier 2014, soit la date de son offre de règlement, et à 50 % des dépens de l’intimée établis sur une base procureur-client avant cette date, plus tous les débours raisonnables tout au long de l’affaire.

[2]             Le jugement a été rendu le 20 avril 2015 (le « jugement ») à la suite d’un procès de quatre jours entiers tenu en octobre 2014, d’une argumentation écrite de la part des deux parties et de deux jours d’une argumentation de vive voix présentée à la fin du mois de mars 2015. Ce jugement a tranché en faveur de l’intimée toutes les questions dont j’étais saisi et des dépens ont été adjugés à l’intimée sous réserve d’une condition, soit de permettre aux parties, si elles étaient insatisfaites de la décision sur les dépens, de me présenter des observations écrites sur la question dans les 30 jours suivant ma décision afin que je procède à un nouvel examen. La Cour a reçu des observations des deux parties; l’appelante proposait des dépens de 125 000 $, y compris un maximum de 25 000 $ en débours, si je décidais qu’une somme globale était nécessaire.

[3]             Dans la lettre explicative jointe à ses observations sur les dépens à l’intention de la Cour, puisque l’appelante avait interjeté appel de ma décision, elle a demandé que la question des dépens soit laissée en suspens et que l’examen des observations par la Cour soit reporté en attendant la décision sur l’appel. Je ne suis pas d’accord. L’appelante peut interjeter appel de ma décision sur les dépens si elle le souhaite et ainsi permettre à la Cour d’appel de se pencher sur les deux questions visées par les appels en même temps au lieu d’entendre deux appels à des occasions distinctes, alors qu’elle dispose des questions et des faits pertinents se rapportant aux deux appels.

[4]             Il n’est pas contesté que le paragraphe 147(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) permet à la Cour d’exercer sa discrétion pour fixer les dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter. Il n’est pas non plus contesté que le paragraphe 147(3) des Règles énonce les facteurs dont peut tenir compte la Cour en exerçant sa discrétion susmentionnée et que le paragraphe 147(4) des Règles permet à la Cour de fixer les dépens en tenant compte ou non du tarif et d’adjuger une somme globale. Le paragraphe 147(3) des Règles est formulé en ces termes :

147. (3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a) du résultat de l’instance;

b) des sommes en cause;

c) de l’importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection,

i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 (i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

[5]             Bien que j’aie l’intention d’examiner les facteurs plus en détail sous peu, je me pencherai d’abord sur la question de l’offre de règlement. Tandis que le paragraphe 147(3) des Règles prévoit que la Cour peut tenir compte d’une offre de règlement présentée par écrit en exerçant sa discrétion générale en ce qui a trait aux dépens, le paragraphe 147(3.2) des Règles, relativement récent, prévoit qu’après la date de la signification de l’offre, l’intimée a droit aux dépens indemnitaires substantiels, qui sont définis au paragraphe 147(3.5) des Règles comme « 80 % des dépens établis sur une base procureur-client », si l’appelant obtient un jugement qui n’est pas plus favorable que l’offre de règlement, et aux termes du paragraphe 147(3.4) des Règles, il incombe à l’intimée de prouver, d’une part, qu’il existe un rapport entre la teneur de l’offre de règlement et le jugement, et d’autre part, que le jugement n’est pas plus favorable que l’offre de règlement. Les paragraphes 147(3.2) à 147(3.5) des Règles sont formulés en ces termes :

147. (3.2) Sauf directive contraire de la Cour, lorsque l’intimée fait une offre de règlement et que l’appelant obtient un jugement qui n’est pas plus favorable que l’offre de règlement, ou que l’appel est rejeté, l’intimée a droit aux dépens entre parties jusqu’à la date de la signification de l’offre et, après cette date, aux dépens indemnitaires substantiels que fixe la Cour, plus les débours raisonnables et les taxes applicables.

(3.3) Les paragraphes (3.1) et (3.2) ne s’appliquent que si l’offre de règlement :

a) est faite par écrit;

b) est signifiée au moins trente jours après la clôture de la procédure écrite et au moins quatre-vingt-dix jours avant le début de l’audience;

c) n’est pas retirée;

d) n’expire pas moins de trente jours avant le début de l’audience.

(3.4) Il incombe à la partie qui invoque le paragraphe (3.1) ou (3.2) de prouver :

a) qu’il existe un rapport entre la teneur de l’offre de règlement et le jugement;

b) que le jugement est au moins aussi favorable que l’offre de règlement ou qu’il n’est pas plus favorable que l’offre de règlement, selon le cas.

(3.5) Pour l’application du présent article, les dépens « indemnitaires substantiels » correspondent à 80 % des dépens établis sur une base procureur-client.

[6]             Il convient de souligner qu’il n’y a aucune contestation quant à l’applicabilité des exigences relatives à l’offre de règlement, qui doit être faite par écrit, qui doit être signifiée, qui ne doit pas être retirée et qui ne doit pas avoir expiré moins de 30 jours avant le début de l’audience, en application du paragraphe 147(3.3) des Règles précité. Il n’est donc pas nécessaire que je me penche sur cette question.

[7]             L’offre de règlement de l’intimée du 27 janvier 2014 comportait les énoncés suivants :

[traduction]

a)      la Compagnie d'assurance Standard Life du Canada, succursale des Bermudes, n’exploitait pas une entreprise d’assurance aux Bermudes en 2006;

b)      la Compagnie d'assurance Standard Life du Canada, succursale des Bermudes, exploitait une entreprise d’assurance aux Bermudes en 2007;

c)      le paragraphe 138(11.3) s’applique pour la première fois à l’année 2008 de la Compagnie d'assurance Standard Life du Canada, soit la première année où la Compagnie d'assurance Standard Life du Canada avait un bien désigné l’année d’imposition précédente;

d)     chaque partie assumera ses propres frais.

[8]             Les questions en litige et ma décision étaient directement liées à l’offre de règlement précitée. L’appelante cherchait à obtenir une décision confirmant qu’elle exploitait une entreprise aux Bermudes par l’entremise de sa succursale des Bermudes, SLAC, en 2006 et en 2007, et que le paragraphe 138(11.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») s’appliquait pour la première fois à son année 2006. Elle faisait effectivement valoir que l’exploitation d’une entreprise aux Bermudes en 2005 ne constituait pas une condition préalable à l’applicabilité de cette disposition en 2006.

[9]             Le jugement a clairement énoncé la conclusion selon laquelle l’appelante n’exploitait pas une entreprise aux Bermudes ni en 2006 ni en 2007 et en fait, la première année où l’appelante pouvait se prévaloir des dispositions prévues au paragraphe 138(11.3) était en 2009. L’offre de règlement accordait à l’appelante les conclusions qu’elle recherchait pour confirmer qu’elle exploitait une entreprise aux Bermudes en 2007. Par conséquent, il est parfaitement clair, à mon avis, que l’appelante a prouvé, au moyen des résultats, que le jugement n’était pas plus favorable que l’offre de règlement.

[10]        Dans ses observations sur les dépens, l’appelante soutient que l’offre de règlement ne comprend aucun élément de compromis, qu’il s’agit en fait d’une demande invitant l’autre partie à se désister de l’appel et qu’une offre consistant à ne pas demander de dépens n’est pas suffisante pour constituer un « compromis » selon la jurisprudence. Elle s’appuie sur la décision Mckenzie c La Reine, 2012 CCI 329, 2012 DTC 1291, rendue par le juge Boyle de la Cour, pour conclure que l’offre de l’intimée n’entraîne pas l’application des conséquences prévues au paragraphe 147(3.2) ou à l’alinéa 147(3)d) des Règles précités.

[11]        Contrairement à l’offre formulée dans la décision Mckenzie précitée, l’offre de règlement en l’espèce ne consistait pas uniquement à renoncer aux dépens. L’offre de règlement présentée par l’intimée consistait à permettre à l’appelante de profiter entièrement des dispositions prévues au paragraphe 138(11.3) une année d’imposition plus tôt que je ne l’ai permis dans ma décision, en reconnaissant que l’appelante exploitait une entreprise en 2007, comme le soutenait l’appelante. Cette seule particularité a pour effet de distinguer l’offre de règlement d’une offre consistant uniquement à renoncer aux dépens.

[12]        L’appelante laisse entendre que cette offre n’est pas suffisante, qu’elle n’influe pas autrement sur les nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2006 et 2007 et qu’il ne s’agit donc pas d’un compromis. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, la preuve présentée par l’appelante révèle que celle‑ci a continué d’exploiter une entreprise aux Bermudes et qu’elle le fait encore. Par conséquent, compte tenu des économies d’impôts très importantes dont l’appelante aurait profité au cours des 5 années suivantes si son appel avait été accueilli, qui se chiffrent entre 200 000 000 $ et 250 000 000 $ comme l’ont reconnu ses propres témoins, la possibilité de profiter des dispositions propres aux sociétés multinationales une année plus tôt pouvait procurer des avantages indéniables à l’appelante et celle‑ci était grandement en mesure de décider si elle souhaitait profiter de ces avantages et dans quelle mesure. Au vu de la preuve présentée à l’audience, je suis plutôt convaincu que l’appelante voulait profiter des dispositions propres aux sociétés multinationales prévues au paragraphe 138(11.3) de la Loi pour réaliser des économies d’impôts au cours de ces 5 années, ce qui constitue une preuve suffisante que l’offre était plus généreuse que ma décision sur cette question. Le simple fait que l’offre de règlement reconnaissait que l’appelante exploitait une entreprise aux Bermudes en 2007 est suffisant en soi.

[13]        Quoi qu’il en soit, selon le libellé clair du paragraphe 147(3.2) des Règles, l’intimée doit seulement prouver que le jugement était aussi favorable que l’offre de règlement pour obtenir gain de cause. Comme elle a eu entièrement gain de cause sur toutes les questions en litige dont la Cour était saisie, un jugement reconnaissant la même preuve prima facie satisfait manifestement à ce critère préliminaire.

[14]        De plus, j’ai certaines préoccupations quant au fait que l’appelante s’appuie sur le principe général énoncé dans la décision Mckenzie. Le juge Boyle a bien précisé que sa décision se fondait sur les circonstances de l’affaire. Au paragraphe 14 de cette décision, il s’est exprimé en ces termes :

En l’espèce, compte tenu des circonstances, même si la demande de dépens majorés avait été présentée dans le délai imparti, l’offre de règlement sur laquelle l’appelante se fondait n’était pas le type d’offre de règlement susceptible d’être prise en compte en application du paragraphe 147(3) des Règles [...], pas plus, selon moi, qu’en application du paragraphe proposé 147(3.1) des Règles s’il doit être adopté tel qu’il est formulé.

[15]        Au paragraphe 15, le juge Boyle a formulé le commentaire suivant : « Aux termes de l’avis de requête, l’offre de règlement constitue le seul fondement de la demande de dépens majorés de l’appelante. » Ensuite, il a précisé qu’il « ne pens[ait] pas que, compte tenu des circonstances générales de l’espèce, il aurait convenu d’adjuger des dépens supérieurs à ceux que prévoit le tarif après avoir pris en considération les critères pertinents énoncés au paragraphe 147(3) » et a précisé qu’aucun fait important n’était en litige, que la preuve était explicite, que l’intimée n’avait appelé aucun témoin à comparaître et que la question n’était pas particulièrement complexe.

[16]        En fonction des facteurs pertinents énoncés au paragraphe 147(3) des Règles, je crois fermement que les circonstances de l’affaire justifient l’adjudication de dépens majorés en faveur de l’intimée et, dans les commentaires formulés ci‑dessous, je fais référence aux facteurs pertinents par leur alinéa dans les Règles :

a)       L’intimée a eu entièrement gain de cause sur toutes les questions en litige, y compris celle consistant à savoir à qui revenait le fardeau de prouver si l’appelante exploitait une entreprise aux Bermudes, eu égard à la thèse de l’appelante, selon laquelle l’intimée n’avait pas supposé qu’elle n’exploitait pas d’entreprise, avec laquelle je suis en désaccord, et aux questions liées à l’interprétation du paragraphe 138(1), qui, selon l’appelante, signifie automatiquement que l’appelante exploitait une entreprise aux Bermudes, ce avec quoi je suis également en désaccord.

b)       Les sommes en cause étaient, à mon avis, extrêmement importantes. L’appelante a cherché à gonfler le prix de base de certains de ses éléments d’actifs de plus de 1,16 milliard de dollars, à économiser plus de 12 millions de dollars en impôts en 2006 et à économiser plus de 200 à 250 millions de dollars sur une période de 5 ans.

c)       L’appelante a laissé entendre que l’importance des questions en litige se limitait au contribuable et intéresse seulement le petit milieu des assureurs sur la vie. À mon avis, il s’agit d’une déclaration très simple et elle ne s’appuie sur aucun élément de preuve. Je suis d’avis qu’il est notoire que les assureurs sur la vie au pays sont généralement de grandes sociétés, que nombre d’entre eux sont des sociétés multinationales et qu’il s’agit d’acteurs importants dans le secteur des finances, des placements et de l’assurance au pays. J’estime que l’interprétation des dispositions portant sur les réserves qu’ils possèdent et leur contribution à l’assiette fiscale est d’intérêt pour le grand public, mais aussi pour l’intimée. Je crois que l’évolution de la jurisprudence sur la question de savoir si une personne « exploite une entreprise » revêt une grande importance.

D’un point de vue juridique, il semble s’agir de la première décision dans laquelle le paragraphe 138(11.3) est interprété et appliqué dans son contexte moderne et l’une des rares affaires se rapportant aux éléments essentiels servant à établir si une partie exploite une entreprise, particulièrement par l’entremise d’une succursale dans un autre pays; elle est donc susceptible d’avoir valeur de précédent. À cet égard, je ne vois pas en quoi elle diffère considérablement de l’importance accordée aux questions relatives à l’établissement des prix de transfert traitées dans la décision General Electric Capital Canada Inc. c La Reine, 2010 CCI 490, 2010 DTC 1353, rendue par le juge Hogan, qui toucherait, elle aussi, un petit milieu composé de sociétés multinationales comparativement à un groupe étendu de contribuables, mais qui, comme l’a affirmé l’appelante au paragraphe 19 de ses observations sur les dépens est d’un [traduction] « [...] grand intérêt pour le milieu fiscal et des affaires au Canada ».

d)       J’ai déjà traité de l’offre de règlement de l’intimée et j’estime qu’elle remplit les exigences pour que des dépens indemnitaires substantiels soient envisagés. Cependant, compte tenu du contexte de ce seul facteur et des circonstances de l’affaire, je dois dire que l’intimée a fait une offre de règlement sincèrement aussi raisonnable et fondée sur des principes qu’elle le pouvait dans les circonstances. L’intimée a manifestement apprécié la solidité de sa preuve comparativement à celle de l’appelante et a fait une offre de règlement dépassant la simple renonciation aux dépens, tant en ce qui a trait à la question du moment où la demande a été déposée, aux termes de la disposition pouvant procurer ultérieurement des avantages à l’appelante, qu’à la concession faite quant à l’exigence factuelle reconnue par l’appelante, à savoir qu’elle avait exploité une entreprise aux Bermudes en 2007. Selon la preuve, j’estime que l’intimée s’est donné beaucoup de mal pour mener une enquête et apprécier la solidité de sa thèse, tant par le suivi de l’interrogatoire préalable qu’elle a effectué que par le nombre de témoins à qui elle a signifié un subpoena et qu’elle a appelés à témoigner.

Bien que je prenne note des critères d’appréciation des offres de règlement comportant une renonciation aux dépens seulement et des préoccupations relatives à la procédure de règlement que peut entraîner une telle façon de faire, compte tenu du commentaire formulé par le juge Boyle dans la décision Mckenzie, je prends également note de la nécessité d’apprécier le bien-fondé d’une offre de règlement dans les circonstances propres à chaque cas, y compris le fondement relatif de l’argumentation des parties et de leur caractère raisonnable dans les circonstances. En l’espèce, je suis convaincu que l’intimée s’est montrée raisonnable dans l’offre de règlement.

J’estime franchement que, dans certaines circonstances, une renonciation aux dépens et la seule menace d’une demande de dépens majorés seraient également raisonnables. Il faut donc faire preuve de prudence avant de laisser entendre que la décision Mckenzie et les décisions citées dans celle‑ci ont pour effet d’écarter cette possibilité. Il est évident que, lorsqu’un intimé a des motifs raisonnables de s’appuyer sur des hypothèses de fraude, de maquillage, de trompe‑l’oeil ou d’autres comportements graves de la part d’un appelant, une offre de règlement comportant une renonciation aux dépens peut sembler tout à fait fondée et appropriée. En l’espèce, l’intimée a présumé qu’il y avait des manoeuvres de maquillage.

e)       L’appel comportait manifestement différentes questions relatives à la charge de travail, dont au moins deux questions d’interprétation de la loi, à savoir l’interprétation des paragraphes 138(1) et 138(11.3), qui nécessitait l’interprétation d’autres dispositions de l’article 138. En outre, la question de savoir si l’appelante exploitait une entreprise aux Bermudes à différentes années et le renvoi aux lois des Bermudes a alourdi la charge de travail en l’espèce. Bien que l’audience n’ait duré que quatre jours, la preuve était volumineuse et nécessitait réellement l’examen de nombreux documents détaillés étayant les résolutions et les plans d’affaires de l’appelante, et l’argumentation écrite était longue et détaillée. En outre, je conclus que l’intimée a dû appeler davantage de personnes à témoigner et établir les faits manquants, car l’appelante ne l’avait pas fait, y compris en ce qui a trait aux tâches de la principale gestionnaire de l’appelante aux Bermudes, que l’appelante n’a pas appelée à témoigner, bien qu’elle ait fondé son argumentation relative à l’exploitation d’une entreprise sur les activités de cette gestionnaire.

D’après l’ensemble de la preuve présentée à l’audience, j’estime que la charge de travail de l’intimée dans ce dossier était largement disproportionnée par rapport à celle de l’appelante, qui semble avoir présenté le moins d’éléments de preuve possible en s’attendant à ce que la Cour tire des conclusions à propos des renseignements manquants, conformément à sa thèse erronée selon laquelle il incombait à l’intimée de prouver que l’appelante n’exploitait pas d’entreprise aux Bermudes.

f)       Le facteur de la complexité des questions en litige appuie l’adjudication de dépens majorés à l’intimée. L’appelante a fait valoir que la présente affaire n’était pas aussi compliquée que celle visée par la décision General Electric précitée, dans laquelle le juge Hogan a précisé que l’affaire [traduction] « soulevait de nombreuses questions extrêmement complexes ». J’ai du mal à croire que l’appelante, qui a, dans son argumentation préliminaire, qualifié les règles spéciales régissant les assureurs multinationaux d’extrêmement complexes, apprécie désormais leur complexité en se fondant uniquement sur une comparaison avec des questions complexes, mais complètement différentes, se rapportant aux dispositions relatives à l’établissement des prix de transfert. Compte tenu de leur complexité et de leur précision, j’estime sincèrement que les dispositions de l’article 138, intitulé « Compagnies d’assurance », qui se trouve dans la section F de la partie I de la Loi, intitulée « Règles spéciales applicables en certains cas », sont à première vue et en pratique autant sinon plus complexes que les dispositions de l’article 247. Le fait qu’elle n’est pas devenue une cause type comme General Electric ne définit pas sa complexité ni nécessairement son importance. La présente affaire comportait des questions d’interprétation complexes et des faits détaillés propres à ces questions, y compris une analyse textuelle, contextuelle et fondée sur l’objet visé, qui s’imposaient tous en raison des thèses de l’appelante.

g)       La conduite des parties qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance est un facteur qui donne des résultats partagés. Je suis d’accord avec l’appelante lorsque celle‑ci affirme que les parties se sont efforcées de s’entendre sur un recueil conjoint de documents et un exposé conjoint des faits, et qu’elles ont présenté une argumentation écrite en plus de l’argumentation de vive voix, qui, à mon avis, ont simplifié la présentation de l’affaire.

Il convient de souligner que le principal désaccord des parties en matière factuelle porte sur les faits applicables pour établir si l’appelante exploitait une entreprise aux Bermudes, par l’entremise d’une succursale, au cours des années visées, et presque toute l’audience a été consacrée à la présentation d’éléments de preuve se rapportant à cette question. Ainsi, malgré l’utilité de l’exposé conjoint des faits, particulièrement en ce qui a trait au contexte et aux faits connexes, ce document a peu contribué à trancher ces questions importantes.

Bien que je convienne, certes, que les deux parties ont fait preuve d’efficacité et de professionnalisme au cours de l’audience, il m’est impossible de ne pas tenir compte de ma décision selon laquelle les actes de l’appelante m’ont porté à conclure qu’elle avait fait des manoeuvres de maquillage pour être en mesure de soutenir qu’elle satisfaisait aux critères juridiques factuels permettant d’établir qu’elle exploitait une entreprise alors que ce n’était pas le cas. Elle voulait donner l’illusion qu’elle le faisait, comme l’a plaidé et fait valoir l’intimée. Ce type de conduite diffère de celui dont il est question dans la décision Merchant c La Reine, [1998] ACI no 278, 98 DTC 1734, sur laquelle s’appuie l’appelante, qui a entraîné l’adjudication de dépens sur une base procureur-client. Dans cette décision, l’appelant « a fait dès le début tout son possible pour faire obstacle aux tentatives que la Couronne faisait en vue de présenter sa preuve d'une façon ordonnée ». Dans le cas présent, j’estime que la conduite de l’appelante, qui visait à donner l’illusion qu’elle exploitait une entreprise et sur laquelle elle s’est appuyée pour interjeter appel et étayer son appel est néanmoins répréhensible, et il convient de dissuader les gens de se conduire de la sorte. Bien entendu, en l’espèce, l’intimée cherche à obtenir seulement un pourcentage des dépens établis sur une base procureur-client, ce qui est, à mon avis, plutôt raisonnable en soi, eu égard à cette conduite.

h)       L’intimée soutient que, au cours de l’interrogatoire préalable, le témoin de l’appelante a nié que la motivation d’ordre fiscal était la seule et unique raison de l’incursion de l’appelante aux Bermudes, tandis qu’il a reconnu, en contre-interrogatoire, qu’il s’agissait, à son avis, de la seule et unique raison; il s’agit là d’un facteur dont il faudrait tenir compte. Sincèrement, bien que j’aie convenu qu’il s’agissait de la seule et unique raison dans ma décision, je ne suis pas prêt à conclure que le témoin a réellement nié cette motivation au cours de l’interrogatoire préalable ou qu’il a omis de l’énoncer. Au cours du contre-interrogatoire, l’intimée a réussi à obtenir cet aveu, mais il a été précisé qu’il s’agissait de son avis à titre d’administrateur fiscal, et non pas nécessairement de l’avis de l’appelante. Par conséquent, la décision quant au poids qu’il convenait d’accorder à ce témoignage me revenait clairement.

i)        Ce facteur ne s’applique pas, car aucune partie n’a soutenu qu’une étape de l’instance était inappropriée d’une quelconque façon.

i.1)     Compte tenu de son libellé, ce facteur ne s’applique pas, car aucun témoin expert n’a fait de déposition. Cependant, l’intimée a demandé des honoraires d’expert, car elle a retenu les services d’un expert en actuariat du milieu de l’assurance, qui était chargé de l’aider à comprendre et à examiner différentes questions se rapportant au milieu de l’assurance, dont je traiterai en particulier ci‑dessous.

j)        L’appelante a soulevé quelques autres questions pouvant influer sur la détermination des dépens. D’abord, elle soutient que l’intimée ne devrait pas avoir droit à un remboursement des honoraires d’expert de 16 622,79 $, car l’intimée n’a appelé aucun témoin expert à témoigner à l’audience, ce qui prouve qu’elle n’avait pas besoin d’aide pour comprendre les différentes questions liées à la réassurance, à la longévité et au risque de mortalité, et d’autres questions propres à ce milieu. Bien que je reconnaisse qu’aucun témoin expert n’a été appelé à témoigner ou n’a préparé de rapport à l’intention de la Cour, et que l’intimée ne devrait pas avoir droit au remboursement d’honoraires d’expert en application du facteur énoncé à l’alinéa i.l) précité, cela n’exclut pas les dépenses raisonnables si la Cour conclut qu’elles étaient justifiées. En l’espèce, les dispositions de l’article 138, intitulé « Compagnies d’assurance » sont des règles spéciales que j’ai déjà qualifiées de complexes, et une grande partie de la preuve présentée par l’appelante était consacrée à l’explication des concepts du risque de mortalité et de longévité et de leurs effets actuariels contradictoires. L’appelante a également mentionné ces concepts dans ses actes de procédure. Compte tenu de la complexité des dispositions, de leur applicabilité à un milieu spécialisé et du fait que l’appelante s’appuyait sur différents concepts actuariels, il semble tout à fait raisonnable que l’intimée demande l’aide d’un expert pour comprendre ces concepts et défendre sa thèse efficacement. Bien que je sois conscient que les honoraires d’expert n’ont pas été ventilés, le fait que ces honoraires s’élevaient uniquement à 16 622,79 $, comparativement au prix de base que l’appelante a gonflé de plus de 1,16 milliard de dollars, qui aurait entraîné des économies se situant entre 200 et 250 millions de dollars, est loin de sembler déraisonnable. L’intimée a droit au remboursement de ces honoraires.

L’appelante s’oppose également au taux horaire que l’intimée a facturé pour son avocat subalterne, un certain Me S.O., qui se chiffrait à 219,60 $, et à la nécessité qu’il se rende à Montréal avec les deux avocats principaux de l’intimée afin de rencontrer des témoins après le 27 janvier 2014. L’appelante allègue également qu’il n’a pas présenté de preuve ni d’observations à l’audience, qu’il n’était même pas présent à la deuxième journée de l’argumentation de vive voix et qu’en conséquence, le temps qu’il a consacré au dossier a été facturé inutilement en double à un tarif horaire excessif qui, selon l’appelante, devrait plutôt se rapprocher de 140 $.

Après avoir examiné le mémoire de frais de l’intimée, il semble évident que Me S.O. a joué un rôle important dans l’interrogatoire préalable et la préparation de l’audience, et qu’il a en fait consacré plus de temps que les deux avocats principaux à la préparation des observations écrites. Il semble que l’intimée ait grandement profité de son talent et de son taux inférieur, ce qui a clairement réduit le montant des dépens de l’intimée. Il s’agit là d’une initiative louable qu’il convient d’encourager. En ce qui a trait à sa participation soutenue à toutes les étapes précédant l’audience, y compris celle de l’interrogatoire préalable, j’estime qu’il n’était pas déraisonnable qu’il aille rencontrer des témoins à Montréal avec les autres avocats ni qu’il assiste à l’audience pour aider les autres avocats même s’il ne s’est pas adressé à la Cour. Je souligne que l’appelante était elle-même représentée par un plus grand nombre d’avocats à l’audience. Le fait que Me S.O. semble avoir été le principal responsable de la préparation des observations écrites me porte à croire que l’intimée a adopté une solution aussi efficace et rentable que possible dans les circonstances. Comme je l’ai précisé, il faut saluer toutes les mesures que prennent les parties dans l’objectif de réduire les dépens. Par conséquent, je ne suis pas prêt à réduire le remboursement associé aux heures que Me S.O. a consacrées à ce dossier outre qu’en réduisant de moitié, soit à 20 heures, le temps qu’il a passé à l’audience, car il ne s’est pas adressé à la Cour, mais était présent uniquement pour aider les autres avocats.

Je reconnais que les honoraires des avocats subalternes devraient être moindres. Le taux horaire de cet avocat correspondait aux deux tiers de celui de l’avocat principal, ce qui représente environ 220 $ l’heure. Compte tenu du taux de l’avocat subalterne précisé dans la décision General Electric, je suis d’avis de réduire son taux horaire à 140 $, soit une diminution d’environ 35 %. Comme l’intimée n’a présenté aucune observation justifiant un taux supérieur, j’accorde le tarif inférieur susmentionné.

L’intimée demandait en tout le remboursement de 649,5 heures pour le travail de Me S.O.; ce nombre d’heures devrait être réduit à 629,5. Au tarif inférieur de 140 $ de l’heure, l’intimée peut demander 88 130 $ en tout au lieu de 142 630,20 $. Par conséquent, les dépens de l’intimée sont réduits de 54 500,20 $.

[17]        Dans l’ensemble, compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles, je conclus que l’intimée a justifié sa demande d’adjudication de dépens majorés supérieurs aux dépens initiaux fixés selon le tarif que j’ai adjugés dans mon jugement. L’intimée a eu entièrement gain de cause dans une affaire portant sur des montants d’impôt extrêmement importants découlant de multiples questions complexes imposant une charge de travail considérable aux parties, particulièrement à l’intimée, dans des circonstances où il a été conclu que la conduite personnelle de l’appelante visait à faire des manoeuvres de maquillage dans l’objectif de donner l’illusion qu’elle exploitait une entreprise aux Bermudes afin d’obtenir ce que son propre avocat a décrit comme un avantage fiscal fortuit, auquel l’appelante a affirmé avoir néanmoins droit en s’appuyant sur son interprétation erronée de la loi. À mon avis, les circonstances de l’affaire justifient l’importance des dépens que demande l’intimée. Sincèrement, l’intimée a demandé seulement 50 % de ses frais avant la date du règlement, ce qui constitue, à mon avis, une demande très généreuse et raisonnable dans les circonstances de l’affaire, et je suis convaincu que ces circonstances auraient justifié l’adjudication de dépens supérieurs. Il va sans dire que les circonstances appuient manifestement la demande de l’intimée visant 80 % des dépens établis sur une base procureur‑client, qui s’appuie sur le paragraphe 147(3.2) des Règles, mais j’estime qu’elle aurait néanmoins eu droit à ces dépens.

[18]        Enfin, je souhaite me pencher sur la déclaration de l’appelante selon laquelle, malgré le fait que la Cour peut exercer sa discrétion pour adjuger des dépens supérieurs au tarif, l’adjudication de dépens aux termes du paragraphe 147(3) des Règles ne vise pas à rembourser aux parties les frais juridiques réellement engagés dans le cadre d’un litige, même dans les cas complexes où une partie a entièrement gain de cause. L’appelante s’est fondée sur les décisions Velcro Canada Inc. c La Reine, 2012 CCI 57, 2012 DTC 1100, aux paragraphes 9 et 29, Continental Bank of Canada c La Reine, [1994] ACI no 863, au paragraphe 9, et Jolly Farmer Products Inc. c La Reine, 2008 CCI 693, 2009 DTC 1040, au paragraphe 8. Bien que toutes ces décisions se rapportent à des demandes visant à s’écarter du tarif et aux exigences entourant les circonstances particulières permettant de le faire, elles ont toutes été rendues avant la modification apportée aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) en 2014, qui a donné lieu à la création des paragraphes 147(3.1) à 147(3.5) des Règles, qui portent sur l’adjudication de dépens indemnitaires substantiels à la suite d’une offre de règlement.

[19]        Le juge Bowman a fait référence à la déclaration de la décision Continental Bank of Canada précitée, sur laquelle s’est appuyée l’appelante, qui est également citée au paragraphe 8 de la décision Jolly Farmer : « Il est manifeste que les montants prévus au tarif ne sont nullement censés compenser entièrement une partie des frais juridiques que celle‑ci a engagés dans la poursuite d’un appel. » Cependant, au même paragraphe, il a apporté la précision suivante : « Il doit avoir été évident aux membres des comités de rédaction des règles qui ont fixé le tarif que les dépens entre parties qui peuvent être recouvrés sont de peu d’importance par rapport aux frais réels qu’une partie peut avoir engagés. » Il m'apparaît aussi clairement que les auteurs des Règles savaient que les nouvelles dispositions se rapportant aux dépens indemnitaires substantiels auraient pour effet d’accorder à des parties 80 % des dépens après la date de l’offre de règlement lorsque ces dispositions s’appliquent, comme c’est le cas en l’espèce.

[20]        Je conclus que ces dispositions des Règles, en particulier le paragraphe 147(3.2), s’appliquent dans le cas présent et permettent d’adjuger à l’intimée 80 % des dépens établis sur une base procureur-client après l’offre de règlement datée du 27 janvier 2014, sous réserve de la réduction susmentionnée.

[21]        En outre, comme le juge Hogan l’a conclu dans la décision General Electric, le Comité des règles savait également que les nombreux facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles pouvaient aussi justifier de s’écarter du tarif. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’adjudication de dépens à l’intimée correspondant à 50 % des dépens établis sur une base procureur-client avant l’offre de règlement est également justifiée dans les circonstances, en application du paragraphe 147(3) des Règles, et appuie l’adjudication de dépens à l’intimée correspondant à 80 % des dépens après l’offre de règlement.

[22]        Par conséquent, j’exerce ma discrétion afin de m’écarter du tarif et d’appliquer les nouvelles dispositions des Règles se rapportant aux offres de règlements. Ainsi, j’adjuge à l’intimée une somme globale de 474 663 $, ce qui correspond à la différence entre la somme de 529 163 $ demandée et la déduction de 54 500 $ liée aux honoraires de l’avocat subalterne.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 2015.

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour d’octobre 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 138

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2012-1431(IT)G

2013-203(IT)G

INTITULÉ :

 

LA COMPAGNIE D’ASSURANCE STANDARD LIFE DU CANADA ET LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 6, 7, 8 et 9 octobre 2014 ainsi que les 26 et 27 mars 2015

MOTIFS CONCERNANT LES DÉPENS :

L’honorable juge F. J. Pizzitelli

DATE DU JUGEMENT SUR LES DÉPENS :

Le 5 juin 2015

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Hemant Tilak

Me Pooja Samtani

Me Al Meghji

Me Alexander Cobb

Me Victoria Creighton

 

Avocats de l’intimée :

Me Naomi Goldstein

Me Stephen Oakey

Me Jenna Clark

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.