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Dossier : 2013-1651(IT)G

ENTRE :

DOMENIC DELLE DONNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 16 mars 2015 à Hamilton (Ontario).

Devant : l’honorable juge John R. Owen


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me John H. Loukidelis

Avocat de l’intimée :

Me Marcel Prevost

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté de la nouvelle cotisation établie sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année d’imposition 2009, dont l’avis est daté du 19 mai 2011, est accueilli, avec dépens en faveur de l’appelant, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que l’appelant a le droit de déduire 137 500,00 $ en vertu du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) dans le calcul de son revenu.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2015.

« J.R. Owen »

Juge Owen

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de novembre 2015

Francois Brunet, réviseur


Référence : 2015 CCI 150

Date : 20150616

Dossier : 2013-1651(IT)G

ENTRE :

DOMENIC DELLE DONNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Owen

I. Introduction

[1]             Notre cour est saisie de l’appel interjeté par le Dr Domenic Delle Donne d’une nouvelle cotisation établie pour son année d’imposition 2009; l’avis de nouvelle cotisation était daté du 19 mai 2011. La nouvelle cotisation incluait dans le revenu de l’appelant des intérêts s’élevant à 138 633,67 $. Ce montant englobait des intérêts de 137 500 $ payables à l’appelant par S.A. Capital Growth Corporation (ci‑après appelée « SA »). Seul le montant de 137 500 $ payable par SA à l’appelant est en cause dans le présent appel (j’appellerai ce montant l’« intérêt »).

II. Faits

[2]             L’appelant, M. Davide Amato et M. Kevin Yee Loong, CPA, ont témoigné pour l’appelant. L’intimée n’a cité aucun témoin.

[3]             L’appelant est dentiste; il exerce sa profession en qualité de spécialiste des traitements de canal. M. Amato est dentiste à la retraite qui est le beau-frère de l’appelant. M. Yee Loong est le comptable professionnel agréé qui a rempli la déclaration de revenus T1 de 2009 de l’appelant. M. Yee Loong a obtenu le titre de comptable agréé (maintenant comptable professionnel agréé) en Ontario en 1984 et est associé au sein du cabinet Sautner Austin Chartered Accountants.

[4]             SA est une société résidant au Canada qui appartient à M. Amato. Il a exercé la profession de dentiste pendant 18 ans avant de vendre son cabinet en 2008 pour se concentrer à temps plein sur ses investissements. M. Amato a constitué SA en société vers la fin de 2007 à cette fin.

[5]             SA a emprunté des fonds à M. Amato, et à l’épouse de ce dernier, ainsi qu’à 40 autres personnes qui étaient des membres de la famille et des amis de M. Amato (les « investisseurs externes »), dont l’appelant. SA a ensuite prêté ces fonds à un taux d’intérêt plus élevé à une deuxième société non-liée. Il était prévu que la deuxième société investirait l’argent emprunté dans le marché.

[6]             Au départ, SA a prêté des fonds à C.O. Capital Growth Inc., propriété de M. Peter Sbaraglia, un autre dentiste à la retraite. M. Sbaraglia était un ami de longue date de M. Amato.

[7]             En mai 2008, SA a cessé de prêter de l’argent à C.O. Capital Growth et a commencé à prêter exclusivement à E.M.B. Asset Group Inc. (« EMB »), une société résidant au Canada qui appartient exclusivement à M. Mander. Ce dernier n’était lié ni à M. Amato ni à l’appelant.

[8]             M. Mander se présentait comme négociateur hors pair déployant une stratégie de négociation spécialisée. M. Amato définissait la stratégie de la façon suivante :

[traduction]

[...] une stratégie systématique fondée sur des mécanismes défensifs qui atténueraient les pertes possibles et qui se traduirait par une légère croissance graduelle ou par une légère croissance en pourcentage sur une base hebdomadaire. Cette croissance s’est révélée considérable pour l’année, mais graduelle et légère chaque semaine[1]

[9]             Le 11 décembre 2008, le 26 janvier 2009 et le 27 février 2009, l’appelant a prêté à SA un total de 900 000 $ conformément aux conditions de trois conventions de prêt conclues à ces dates (pièces A‑1, R‑1 et A‑5). La première convention portait sur un prêt de 400 000 $ et les deux autres conventions visaient des prêts de 250 000 $ dans chaque cas.

[10]        Chaque prêt accordé par l’appelant à SA était d’une durée de trois ans à un taux d’intérêt simple de 25 % l’an. L’intérêt devait être versé à la première et à la deuxième date anniversaire des conventions seulement si le prêteur demandait un paiement par écrit au moins 45 jours avant la date anniversaire[2]. Sinon, l’intérêt s’ajoutait au capital dû aux termes de la convention et l’intérêt simple de 25 % l’an s’ajouterait au capital additionnel. La demande écrite de verser de l’intérêt devait être présentée dans l’annexe « G » des conventions.

[11]        M. Amato a témoigné qu’il n’aurait pas fait appliquer la condition de présenter une demande écrite de verser de l’intérêt et qu’il aurait demandé à SA de payer l’intérêt dû à l’appelant si celui‑ci l’avait demandé. L’appelant a témoigné qu’il avait compris qu’il n’avait qu’à demander le versement de l’intérêt[3]. Aucune demande écrite de paiement d’intérêt n’a été présentée par l’appelant à SA ou à M. Amato.

[12]        L’appelant avait retenu de la stratégie que les investissements seraient faits par SA, puis seraient transformés en espèces quotidiennement. L’appelant savait que M. Mander avait mis cette stratégie en œuvre, mais il ignorait l’entente de prêt conclue entre SA et EMB. Il croyait que les fonds qu’il avait prêtés à SA étaient contrôlés par SA ou par M. Amato. Il ignorait que, concrètement, c’est EMB qui contrôlait les fonds. Il estimait que M. Amato l’avait induit en erreur à cet égard.

[13]        Vers le mois d’août 2009, l’appelant a investi des fonds qui étaient dans ses REER dans une entité appelée Crystal Wealth, une autre société contrôlée par M. Mander. Les relevés mensuels de REER pour août 2009 et les mois suivants signalèrent des pertes importantes, ce qui a fait naître des doutes dans l’esprit de l’appelant au sujet du rendement promis sur les prêts faits à SA. Il a déclaré qu’il avait remis en question la possibilité de bénéficier d’un taux d’intérêt aussi élevé avec la même stratégie qui lui a fait perdre de l’argent dans ses REER.

[14]        À l’automne 2009, M. Amato a envisagé de mettre fin aux ententes conclues avec EMB surtout en raison de la personnalité difficile de M. Mander. Toutefois, il n’a pas pris de mesures en ce sens.

[15]        En 2009, quelques montants dus à SA par EMB sont devenus exigibles, dont certains ont été laissés à EMB. Avant le début de décembre 2009, EMB a versé à SA les montants qui n’avaient pas été laissés à EMB. M. Amato ne se souvenait pas des montants totaux versés. Il se rappelait que SA a versé 60 500 $ à sa belle-mère le 7 décembre 2009.

[16]        Les versements faits par EMB à SA ont pris fin à la mi‑décembre 2009. Un versement d’EMB à SA d’un montant de 208 000 $ était exigible le 14 décembre 2009 et M. Mander avait convenu d’effectuer le versement lors d’une réunion prévue à 14 h le 11 décembre 2009. M. Mander ne s’est pas présenté à la réunion et EMB n’a pas versé à SA les 208 000 $, et ce, ni le 11 décembre 2009 ni le 14 décembre 2009. M. Amato a été questionné au sujet de sa réaction à ce fait nouveau :

[traduction]

Des appels ont été faits à plusieurs personnes travaillant à son bureau. Il a alors été question des raisons pour lesquelles ces personnes n’avaient pas eu de ses nouvelles, et il a été signalé qu’il aurait fait une crise cardiaque et que des personnes de son propre bureau s’étaient rendues à son domicile pour voir s’il allait bien. Une personne a pris contact avec lui et tous ont prétendu qu’il avait fait une crise cardiaque[4].

[17]        M. Amato a reçu un courriel le 15 décembre 2009 selon lequel M. Mander avait eu une crise cardiaque six semaines plus tôt[5]. M. Amato a tout de suite fait des démarches pour exiger le paiement de la part d’EMB :

[traduction]

Q.        Quelles démarches avez‑vous faites pour percevoir de l’argent auprès d’E.M.B. ou de M. Mander en 2009?

R.        Il y avait un préavis de renouvellement automatique de la convention de prêt indiquant qu’il devait être avisé 45 jours d’avance dans le cas où un remboursement serait fait. Telle était la première étape. La deuxième étape consistait en des avis répétés de ma part ou de la part de quelqu’un d’autre travaillant avec nous qui indiquaient que - - que les paiements requis seraient bientôt exigibles[6].

[18]        M. Mander n’a pas reconnu qu’EMB ne pouvait pas remettre les montants exigibles à SA, mais il s’est plutôt opposé au paiement en faisant valoir que celui‑ci nuirait à sa stratégie de négociation. Il a demandé des réunions avec différentes personnes pour discuter de la stratégie. En rétrospective, il semble qu’il s’agissait seulement d’une tactique visant à gagner du temps.

[19]        En raison des conventions de prêts adossés, les 208 000 $ exigibles à EMB le 14 décembre 2009 étaient payables par SA à un investisseur externe. M. Amato a versé le montant dû à l’investisseur à même ses propres fonds[7]. Lorsqu’il lui a été demandé quelle avait été sa réaction au défaut ou au refus de payer d’EMB, M. Amato a dit :

[traduction]

Je ne pourrais probablement pas la décrire en un mot, mais c’était probablement de la panique, de la colère, globalement - - de l’impuissance[8].

[20]        M. Amato a rencontré l’appelant et sa femme à la résidence de l’appelant le 16 décembre 2009 et les a informés des faits nouveaux concernant M. Mander[9]. L’appelant a dit qu’il savait qu’il y avait un sérieux problème parce que son beau-frère avait toujours connu de grands succès financiers. Lorsqu’on lui a demandé ce que M. Amato lui avait dit à la réunion, l’appelant a déclaré :

[traduction]

Il a dit que Robert avait subi une crise cardiaque et qu’il a des difficultés à communiquer avec lui pour obtenir son argent. Cependant, il ne voulait pas que nous entendions quoi que ce soit d’autres personnes, et il ne voulait pas que nous paniquions et que nous parlions à qui que ce soit d’autre parce qu’il était dans l’incertitude. Mais cette incertitude, pour Dave, ce n’est pas - - il y a quelque chose qui cloche vraiment parce qu’il est toujours sûr de lui en ce qui concerne l’argent. Depuis que je le connais, il fait partie de notre famille et il a toujours su gérer l’argent judicieusement. C’est pourquoi ma femme et moi avons été très perturbés ce jour‑là. Je savais, pour ainsi dire, mais je ne voulais rien dire à mon épouse, que « l’argent a disparu »[10].

[21]        L’appelant a déclaré qu’il n’a pas fait d’autres demandes à M. Amato en décembre 2009, car il lui était très difficile de le joindre après leur rencontre de décembre. L’appelant a également expliqué qu’il n’a pas pris d’avocat parce que [traduction] « [i]l fait partie de ma famille. Ça aurait tué ma mère[11]. »

[22]        En janvier 2010, M. Amato a retenu les services d’un conseiller juridique, qui lui a conseillé de ne pas communiquer avec M. Mander afin d’allouer du temps pour constituer un dossier et amasser des renseignements. Par la suite, pour avoir accès à tous les biens de M. Mander, SA a présenté une demande de mise sous séquestre, et une audience était prévue le 17 mars 2010. M. Mander n’a pas assisté à la réunion et les parties ont été informées à la réunion que M. Mander avait été trouvé mort à sa résidence[12]. Quand il a été demandé à M. Amato ce que cela signifiait pour SA, il a déclaré :

[traduction]

R.        Ce fut dévastateur.

Q.        Pourquoi?

R.        Eh bien, je sentais que je devais assumer une certaine responsabilité de m’occuper des gens, et qu’ils ne recevraient pas leur argent[13].

[23]        L’appelant a renvoyé à une lettre de l’avocat de SA datée du 23 mars 2010 (pièce A‑7) qui mentionnait à la page 2 :

[traduction]

Nous croyons qu’il apparaît assez clairement, notamment grâce aux enquêtes du séquestre, que S.A. Capital et les investisseurs qu’elle représente constituent seulement une partie d’un grand stratagème (qui, croyons‑nous, est une combine à la Ponzi) orchestré par Robert Mander.

[24]        Il a été demandé à l’appelant sa réaction à cette lettre :

[traduction]

Q.        Après l’avoir lue, qu’avez-vous conclu à ce moment‑là?

R.        Ce fut une confirmation. Je savais qu’il ne restait rien. Encore une fois, lorsque l’on connaît Dave - - quand je l’ai vu en décembre, atterré, et incapable d’avoir accès à son argent, je savais que les choses allaient mal. Et je crois que nous avons été trompés, d’une certaine façon.

Q.        Trompés par qui? 

R.        Par Dave.

Q.        À quel sujet? 

R.        Eh bien, nous pensions que nous lui remettions l’argent et qu’il exerçait le contrôle et que Robert lui disait quoi faire, mais que Dave exerçait le contrôle. Dave n’avait aucun contrôle. Il ne pouvait même pas - - s’il ne pouvait pas obtenir son argent en décembre à l’approche des échéances, ce n’est pas Dave, donc quelque chose - - si Dave ne peut avoir accès à son argent, je savais que nous l’avions perdu. Si vous le connaissez, si vous aviez été membre de la famille, vous l’auriez vu vous aussi[14]

[25]        L’appelant se souvenait d’avoir vu des articles dans les journaux, en ligne et ailleurs, au sujet du décès de M. Mander. Quatre de ces articles, publiés entre le 24 et le 31 mars 2010, ont été produits en preuve comme pièces A‑8, A‑9, A‑10 et A‑11, non pas pour la véracité de leur contenu, mais plutôt pour mieux faire comprendre les circonstances auxquelles l’appelant devait faire face à la fin de mars 2010[15].

[26]        Chaque article conjecturait au sujet des activités répréhensibles de M. Mander. L’article du 31 mars 2010 de CBC News (pièce A‑11) signalait : [traduction] « Mander s’est suicidé le 17 mars dans sa résidence de Freelton, en Ontario, au nord de Hamilton, laissant derrière lui peu de preuves des prêts de quelque 50 millions de dollars qu’il avait contractés auprès d’investisseurs du Sud de l’Ontario. »

[27]        Il a été demandé à l’appelant sa réaction à la pièce A‑8, soit un article de CBC News daté du 24 mars 2010 :

[traduction]

Q.        Ainsi, vous avez lu le document à l’époque. Qu’avez‑vous conclu de votre lecture?

R.        Il n’y a rien. Il ne reste plus rien. S’il y avait quelque chose, ce sont peut-être quelques biens dans ces propriétés ou ses biens personnels. Selon ma compréhension à l’époque, je crois qu’ils tentaient, je crois que les avocats ou le conseiller de Dave tentaient de faire saisir les biens ou qu’un séquestre a été nommé. Je ne suis pas certain du fonctionnement. Je ne suis pas avocat. Cependant, je crois qu’ils ont saisi des biens d’une valeur d’environ 4 ou 5 millions de dollars. Et certains d’entre nous avaient espoir de récupérer un peu d’argent, mais apparemment, le séquestre a tout utilisé pour payer ses frais. Je crois qu’aucun investisseur n’a touché un sou. Environ 4 ou 5 millions sont allés aux avocats. C’est ce que je comprends. Je ne pouvais pas le croire. [Lignes 10 à 24 de la page 58 de la transcription.]

[28]        En ce qui concerne l’ensemble des articles, l’appelant a ainsi témoigné :

[traduction]

Q.        Encore une fois, quelles conclusions avez‑vous tirées de ces lectures?

R.        Non seulement ai‑je tout perdu, mais tous mes proches ont également perdu la totalité de leur investissement. Je crois que j’étais l’un des plus gros investisseurs parce que j’en avais les moyens, mais je faisais confiance à ma famille. Ça n’a pas marché comme nous le voulions. J’aurais aimé réaliser ce revenu. [Lignes 9 à 16 de la page 60 de la transcription.]

[29]        M. Amato a renvoyé à un document intitulé [traduction] « Bilan de réalisation éventuelle (proposition d’affaires) » daté du 23 avril 2010 et signé par lui‑même (pièce A‑2). À la première page du Bilan, il est indiqué que le passif total de SA est de 17 318 303,35 $ et que la totalité de l’actif atteint 288 200 $, ce qui laisse un manque à gagner de 17 030 103,35 $.

[30]        La liste « A » ci‑jointe du Bilan de réalisation éventuelle désigne les créanciers non garantis de SA et les montants dus à ces créanciers. La liste signale que 7 019 434,47 $ du total de 17 290 103,35 $ étaient dus à M. et Mme Amato. À l’exception d’un petit montant dû à quelques fournisseurs de SA, le solde était dû aux investisseurs externes.

[31]        La liste « H » est intitulée [traduction] « État complet des biens ». À la ligne (i) intitulée [traduction] « Titres » sont inscrits des montants de 8 542 000 $ et de 8 000 000 $, dont chacun est décrit dans la colonne intitulée [traduction] « Description des biens » comme [traduction] « Autre ». M. Amato a affirmé qu’il s’agissait de montants dus à SA par EMB. Ils ne sont pas inclus dans les actifs de SA à la première page du Bilan de réalisation éventuelle.

[32]        M. Amato a dit que selon lui, le Bilan de réalisation éventuelle constitue la  représentation juste des éléments d’actif et de passif de SA en date du 23 avril 2010 et, en rétrospective, en date du 31 décembre 2009. Il a ajouté que SA n’a payé aucune de ses dettes recensées dans le Bilan de réalisation éventuelle. L’appelant a confirmé qu’à la date de l’audience, il n’avait reçu aucun paiement de capital ou d’intérêt de SA.

[33]        SA a déposé un avis d’intention de présenter une proposition au titre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité le 6 avril 2010. Cette proposition a été acceptée par les créanciers de SA le 10 mai 2010 et par la Cour supérieure de l’Ontario le 29 juillet 2010. M. Amato a également déposé une proposition aux créanciers au titre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

[34]        SA a établi un feuillet T5 à l’égard de l’appelant pour son année d’imposition 2009. L’intérêt était inscrit dans la case 13 du feuillet à titre d’intérêt provenant d’une source canadienne. Le feuillet T5 a été suivi d’une lettre de l’avocat de SA datée du 29 mars 2010 (pièce R‑3) qui signalait notamment :

[traduction]

Certains clients ont demandé si les montants déclarés dans les T5 seront versés en espèces. S.A. Capital n’est pas en mesure de répondre à cette question à l’heure actuelle, mais sera mieux placée pour le faire une fois que l’enquête du séquestre nommé par le tribunal sera terminée. Cette enquête pourrait prendre un certain nombre de mois.

[35]        Cette lettre signalait en outre que SA ne pouvait pas établir de nouveaux T5 parce qu’[traduction] « ils sont actuellement corrects sur le plan du droit fiscal. »

[36]        La déclaration de revenus T1 de 2009 de l’appelant a été préparée par M. Yee Loong. La femme de l’appelant a remis tous les feuillets de renseignements de l’appelant à M. Yee Loong et lui a dit que l’intérêt de SA indiqué sur le T5 n’avait pas été gagné.

[37]        M. Yee Loong a témoigné qu’au départ, il n’était pas certain de la façon de traiter l’intérêt et qu’il a fait des recherches sur ce point. Au final, M. Yee Loong n’a pas inclus l’intérêt dans la déclaration T1 et a produit une lettre datée du 21 avril 2010 portant l’en-tête de son cabinet à l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») pour expliquer l’omission. A cette lettre était jointe un extrait du premier rapport du séquestre à la Cour supérieure et d’un article daté du 25 mars 2010 paru dans l’Oakville Beaver, un journal local[16]. La lettre de M. Yee Loong mentionnait que l’intérêt n’a [traduction] « jamais été gagné, payable ou recouvrable ». La copie de chacune des pièces jointes à la déclaration a été produite en preuve par l’appelant (pièce A‑17).

[38]        Pour que la déclaration T1 soit produite avec les pièces jointes, M. Yee Loong a préparé la copie papier de la déclaration et l’a remise à l’appelant avec des instructions sur la façon de produire la déclaration auprès de l’ARC. L’appelant a produit la déclaration T1 avec la lettre, les deux pièces jointes à la lettre et le feuillet T5 établi par SA. La copie non signée de la déclaration de revenus T1 a été produite en preuve (pièce A‑16).

[39]        En contre-interrogatoire, M. Yee Loong a reconnu avoir affirmé dans la lettre qu’il avait rédigée qu’[traduction] « [à] l’heure actuelle, on ignore si les montants en capital sont récupérables » et a convenu qu’à l’époque, il ne savait pas si SA pouvait verser le capital et l’intérêt dus à l’appelant.

[40]        Par avis daté du 7 juin 2010, l’ARC a établi une cotisation à l’égard de l’appelant en fonction de la déclaration telle qu’elle avait été produite, mais elle a par la suite établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant par un avis daté du 19 mai 2011 pour inclure l’intérêt dans le revenu de l’appelant pour 2009. L’appelant s’est opposé à la nouvelle cotisation, et l’ARC a ratifié la nouvelle cotisation au moyen d’une lettre datée du 12 décembre 2012.

III. La thèse de l’appelant

[41]        L’avocat de l’appelant concède que l’intérêt est un revenu de l’appelant gagné pendant son année d’imposition 2009, mais fait valoir qu’il a le droit de demander la déduction compensatoire aux termes des sous‑alinéas 20(1)l)(i) ou 20(1)p)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « LIR »). Il est soutenu que les critères énoncés dans ces deux dispositions sont assez simples et explicites.

[42]        Aux termes du sous‑alinéa 20(1)l)(i), le contribuable doit démontrer que le montant demandé est raisonnable, que la créance est douteuse et que la créance est incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure.

[43]        Aux termes du sous‑alinéa 20(1)p)(i), le contribuable doit démontrer que la créance est devenue irrécouvrable au cours de l’année et que la créance a été incluse dans le revenu du contribuable pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure.

[44]        Il est soutenu que les dispositions n’indiquent pas comment le montant doit être demandé au titre de ces dispositions. L’avocat de l’appelant a ajouté qu’il n’avait trouvé aucune mention d’une exigence selon laquelle il faudrait nécessairement utiliser un document en particulier pour demander la déduction. Cela peut faire contraste avec d’autres dispositions de la LIR qui exigent l’utilisation d’un formulaire en particulier, comme dans le cas de la désignation prévue à l’alinéa 55(5)f) de la LIR.

[45]        L’avocat de l’appelant soutient qu’il n’est pas nécessaire que la déduction demandée en vertu des sous‑alinéas 20(i)l)(i) ou 20(i)p)(i) soit faite à l’égard de comptes de négociation et cite la jurisprudence Falaise Steamship Co. Ltd. (No. 3) c. M.N.R., 63 DTC 663, 33 Tax A.B.C. 1 à l’appui de cette thèse.

[46]        L’avocat de l’appelant constate que le contribuable est tenu d’établir si la créance est douteuse ou irrécouvrable, selon la disposition invoquée. Cela soulève deux questions. D’abord, à quel moment cela doit‑il être établi? Autrement dit, est‑ce que ce doit être établi (i) au plus tard à la fin de l’année d’imposition pertinente, (ii) au plus tard à la date d’échéance de production de la déclaration du contribuable pour l’année d’imposition pertinente, ou (iii) au plus tard à une date postérieure à la date d’échéance de production de la déclaration du contribuable pour l’année d’imposition pertinente? Ensuite, auquel de ces trois moments la créance doit-elle être douteuse ou irrécouvrable?

[47]        L’appelant soutient que la jurisprudence portant sur des créances douteuses ou irrécouvrables semble enseigner que la créance doit être douteuse ou irrécouvrable à la fin de l’année d’imposition pertinente. Toutefois, la jurisprudence semble aussi tenir pour acquis que la détermination de ce statut peut, et même doit, être faite après la fin de l’année d’imposition pertinente, sans quoi le créancier devrait évaluer la créance le dernier jour de l’année, ce qui ne marcherait pas en pratique.

[48]        Il reste à rechercher quelle information peut être utilisée par le contribuable pour évaluer la créance à la fin de l’année d’imposition pertinente? Le contribuable est‑il limité à l’information existante à la fin de l’année d’imposition pertinente ou peut‑il prendre en compte l’information découverte une fois cette année terminée?

[49]        L’appelant soutient que le contribuable peut prendre en compte l’information qui devient disponible après la fin de l’année d’imposition pertinente et cite la jurisprudence : Gibraltar Mines Ltd. c. The Queen, 83 DTC 5294, 48 N.R. 188, MacDonald Engineering Projects Ltd. c. M.N.R., 87 DTC 545 et Coppley Noyes & Randall Limited c. The Queen, 91 DTC 5291 à l’appui de cette thèse.

[50]        En ce qui concerne les faits, l’avocat de l’appelant soutient qu’en date du 30 avril 2010, il était tout à fait clair qu’une fraude avait été commise et qu’au mieux, seule une fraction du capital prêté par SA à EMB serait récupérée. En fait, compte tenu de l’information disponible en date du 30 avril 2010, il aurait été fantaisiste de conclure que la créance de l’appelant à l’égard de SA n’était pas au moins douteuse à la fin de 2009. Les événements ultérieurs au 30 avril 2010 n’ont servi qu’à étoffer la conclusion selon laquelle la créance était au moins douteuse à la fin de 2009.

[51]        Enfin, l’avocat de l’appelant a soutenu que, bien que la lettre accompagnant la déclaration de revenus T1 de l’appelant pour 2009 ne mentionne pas de demande de déduction pour créance douteuse ou irrécouvrable, elle expose en termes généraux une série de positions, dont l’affirmation selon laquelle l’intérêt ne constituait pas un revenu et n’était pas recouvrable. La mention de l’intérêt non recouvrable témoignait de la crainte de l’appelant selon laquelle l’intérêt constituait une créance douteuse ou irrécouvrable à la fin de 2009.

IV. La thèse de l’intimée

[52]        L’avocat de l’intimée soutient qu’en vertu des modalités des trois conventions de prêt, l’appelant était tenu d’exiger formellement le paiement de l’intérêt au moyen du formulaire contenu dans l’annexe « G » de la convention et que, comme l’appelant n’a pas exigé le paiement de l’intérêt en 2009, il ne pouvait pas y avoir de créance irrécouvrable à la fin de 2009.

[53]        L’avocat de l’intimée soutient que l’appelant savait en décembre 2009 que M. Mander avait eu une crise cardiaque. Toutefois, à cette époque, M. Mander ou sa société, EMB, ne devait pas d’intérêt à l’appelant. C’est plutôt SA qui avait une dette envers l’appelant. La capacité de SA de payer l’intérêt n’était pas claire, comme l’indiquent les lettres des avocats de SA en mars et avril 2010 concernant les possibilités de recouvrement.

[54]        L’avocat soutient en outre que l’intérêt n’était pas compris dans le revenu de l’appelant en 2009 parce qu’il n’était pas déclaré dans sa déclaration de revenus T1. Comme l’intérêt n’était pas compris dans le revenu, aucun montant ne pouvait être demandé au titre des sous‑alinéas 20(1)l)(i) ou 20(1)p)(i) de la LIR. La stratégie appropriée aurait été d’inclure le montant comme revenu dans la déclaration, puis de demander une déduction compensatoire en vertu de l’une de ces deux dispositions.

V. Dispositions législatives

[55]        Les dispositions législatives en cause sont les alinéas 20(1)l) et p) de la LIR. Les parties de ces dispositions qui sont pertinentes au présent appel sont les suivantes :

20.(1) Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien – Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

[...]

l) Créances douteuses – la provision égale au total des montants suivants :

(i) un montant raisonnable au titre de créances douteuses (sauf une créance à laquelle s’applique le sous‑alinéa (ii)) incluses dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure,

[...]

p) Créances irrécouvrables – le total des montants suivants :

(i) les créances du contribuable qu’il a établies comme étant devenues irrécouvrables au cours de l’année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure,

[...]

[56]        L’alinéa 12(1)d) de la LIR exige que le contribuable englobe dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien tout montant déduit en vertu de l’alinéa 20(1)l) de la LIR dans le calcul du revenu pour l’année d’imposition précédente. L’alinéa 12(1)i) de la LIR exige que le contribuable englobe dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien les sommes reçues au cours de l’année sur une créance qui a fait l’objet d’une déduction pour créance irrécouvrable dans le calcul du revenu du contribuable pour une année d’imposition antérieure.

VI. Analyse

[57]        Le professeur Tim Edgar fait un survol utile des dispositions en litige dans un document de 1994 présenté à la Conférence nationale sur la fiscalité (notes omises) :

[traduction]

Le fondement législatif de la déduction pour pertes sur prêts est relativement simple. Tel qu’il a été indiqué précédemment, l’un des principes jurisprudentiels fondamentaux régissant la déduction de dépenses d’entreprise est l’absence de reconnaissance d’une provision ou indemnité pour pertes prévues. Toute déduction pour pertes est généralement reportée jusqu’à ce que la perte soit réalisée, ce qui se produit habituellement dans le cas d’un prêt non remboursé lorsque la disposition par le prêteur survient lors d’une vente ou d’un règlement. Ce principe jurisprudentiel est maintenant codifié, dans une certaine mesure, à l’alinéa 18(1)e), et son interdiction s’applique à la déduction d’un montant au titre d’une provision ou d’une éventualité. De plus, l’alinéa 18(1)b) interdit la déduction d’une perte ou d’un remplacement de capital, ou d’une provision pour amortissement. L’alinéa 18(1)s), ajouté en 1988, interdit en outre expressément la déduction du montant représentant une perte, une dépréciation ou une réduction, au cours d’une année d’imposition, de la valeur d’un prêt ou d’un titre de crédit consenti ou acquis dans le cours normal des activités d’un assureur ou d’un prêteur d’argent et dont il n’a pas été disposé au cours de l’année. En permettant une déduction sur le montant d’une provision raisonnable à l’égard de créances douteuses, l’alinéa 20(1)l) joue à titre d’exception au principe jurisprudentiel de la réalisation applicable aux pertes sur prêts et à l’interdiction légale de déduire une perte ou une provision pour amortissement à l’égard de prêts détenus à titre d’immobilisations. La disposition connexe qu’est l’alinéa 20(1)p) permet une déduction comparable sur les prêts qui sont devenus irrécouvrables.

L’alinéa 20(1)l) était inclus au départ dans la loi de 1948 dans le cadre d’un mouvement graduel vers la reconnaissance des revenus et des dépenses d’entreprise selon la méthode de la comptabilité d’exercice. Auparavant, les contribuables pouvaient seulement demander une déduction pour les créances irrécouvrables, sous réserve du pouvoir discrétionnaire du ministre du Revenu national. Dans le cas des contribuables autres que les prêteurs d’argent, le sous‑alinéa 20(1)l)(i) permet de déduire un montant raisonnable à titre de provision pour créances douteuses, pour les créances incluses dans le calcul du revenu d’entreprise. La disposition permet par conséquent de reconnaître les pertes prévues sur les comptes clients ayant été reconnus comme revenus d’entreprise. Pour ce qui est des prêteurs, cette disposition générale s’applique à l’intérêt sur un prêt dans la mesure où l’intérêt a été inclus dans le revenu et où sa perception est douteuse[17].

[58]        Bien que le professeur Edgar traite du revenu d’entreprise, il n’est pas controversé que les dispositions visent également le revenu tiré de biens.

[59]        L’intimée soutient que, comme aucune demande écrite visant le versement de l’intérêt n’a été faite par l’appelant, il ne peut y avoir de créance douteuse ou de créance irrécouvrable. Les modalités des conventions de prêt conclues entre SA et l’appelant indiquaient que SA acceptait de verser à l’appelant de l’intérêt simple sur le montant en capital du prêt à un taux de 25 % l’an. Le montant de l’intérêt dû par SA à l’appelant pouvait être établi quotidiennement, car l’intérêt simple est cumulé sur le capital impayé.

[60]        L’intérêt n’aurait peut‑être pas pu être versé sans la présentation d’une demande écrite dans la forme prévue à l’annexe « G », ou avant l’échéance du prêt, mais il était néanmoins dû par SA à l’appelant à mesure qu’il s’accumulait, d’autant plus que si une demande écrite de paiement de l’intérêt n’a pas été faite 45 jours avant la date anniversaire du prêt, l’intérêt accumulé à la première ou à la deuxième date anniversaire était ajouté au montant du capital du prêt, ce qui représentait manifestement une dette de SA envers l’appelant[18]. Bien que la signification précise du mot « dette » puisse faire l’objet d’un débat, elle comprend certes une obligation contractuelle de verser un montant vérifiable comme l’intérêt, qu’une demande de paiement ait été faite ou non par l’appelant[19].    


Sous‑alinéa 20(1)l)(i)

[61]        L’application possible du sous‑alinéa 20(1)l)(i) à l’intérêt sur un prêt a été confirmée dans des notes explicatives du ministère des Finances qui accompagnaient les modifications aux alinéas 20(1)l) et 20(1)p) en 1988 :

L’alinéa 20(1)l) permet au contribuable de déduire une somme raisonnable à titre de provision pour créances douteuses. Le sous‑alinéa 20(1)l)(i) permet une déduction à l’égard des créances qui ont été incluses dans le calcul du revenu du contribuable. Dans le cas d’un prêt, ce sous‑alinéa permet de déduire une provision au titre des intérêts qui ont été inclus dans le revenu du contribuable mais dont la perception est douteuse.

[62]        Le libellé clair et net du sous‑alinéa 20(1)l)(i) exige que le contribuable établisse trois choses : (1) que la déduction est demandée à l’égard d’une créance ayant été incluse dans le revenu, (2) que la créance est douteuse, et (3) que le montant demandé à titre de déduction du revenu est raisonnable.

[63]        En ce qui concerne la première exigence, la décision d’inclure un montant dans le revenu du contribuable est fondée sur l’application des dispositions de la LIR aux faits. L’appelant reconnaît que l’intérêt était un revenu pour lui en 2009 et l’intimée ne soutient pas que l’intérêt n’était pas imposable comme tel. De fait, je ne serais pas saisi de cet appel si l’intérêt n’avait pas été inclus dans le revenu de l’appelant pour 2009. L’intimée soutient toutefois que, comme l’appelant n’a pas déclaré l’intérêt comme revenu dans sa déclaration de revenus T1, il ne peut pas demander la déduction prévue à l’alinéa 20(1)l) ou p) de la LIR.

[64]        Le fait que l’appelant a déclaré l’intérêt sans l’inscrire comme revenu sur une ligne de sa déclaration de revenus T1 de 2009 ne modifie en rien le fait que l’intérêt était inclus dans son revenu pour 2009 par application des dispositions de la LIR aux faits. Ce principe général a été formulé par le juge Noël de la Cour d’appel fédérale, à l’occasion de l’affaire La Reine c. Simard-Beaudry Inc., [1971] C.F. 396, comme suit (à la page 403) :

Quant à son deuxième argument, à savoir que la dette provenant de la nouvelle cotisation du contribuable ne date que du moment où le contribuable est cotisé et que, par conséquent, elle n’existait pas au moment de la convention, la réponse, il me semble, me paraît être que l’économie générale de la Loi de l’impôt sur le revenu veut que ce soit le revenu imposable qui crée la dette du contribuable et non pas la cotisation ou une nouvelle cotisation. La responsabilité d’un contribuable, en effet, provient de la Loi et non de la cotisation. En effet, en principe, la dette existe dès le moment où le revenu est gagné et même si la cotisation survient une ou plusieurs années après que le revenu imposable est gagné, la dette est censée avoir pris naissance à ce moment. [...]

[65]        Comme l’intérêt était inclus dans le revenu de l’appelant pour 2009 conformément aux modalités de la LIR applicables au revenu d’intérêt, il est satisfait à la première exigence du sous‑alinéa 20(1)l)(i).

[66]        La deuxième exigence du sous‑alinéa 20(1)l)(i) est que la créance doit être douteuse. L’appelant reconnaît que la créance doit être douteuse à la fin de l’année d’imposition pertinente (dans le cas qui nous occupe, le 31 décembre 2009), ce qui correspond à la jurisprudence et au fait que l’obligation fiscale du contribuable au titre de la LIR est déterminée en fonction de chaque année d’imposition. Il serait tout simplement illogique qu’une déduction pour une année d’imposition doive dépendre d’une situation qui a pris naissance après la fin de cette année d’imposition, sauf si la LIR le prévoyait expressément comme c’est le cas, par exemple, des reports rétrospectifs d’une perte.

[67]        Il est plus pertinent de rechercher si le contribuable peut s’appuyer sur des éléments d’information qui prend naissance après la fin de l’année d’imposition pour établir un fait à la fin de cette année d’imposition. Selon moi, c’est exactement de cette façon que fonctionne le régime de la LIR, dans des limites de temps précises. Je m’explique.

[68]        Le contribuable qui est tenu de produire une déclaration de revenus pour une année d’imposition doit la produire au plus tard à la date d’échéance de production pour l’année[20]. Dans le cas d’un particulier, la date d’échéance de production est soit le 30 avril soit le 15 juin de l’année qui suit[21]. En signant la déclaration, le contribuable atteste que la déclaration est exacte et complète et qu’il déclare tout son revenu pour l’année.

[69]        Le contribuable doit donc déterminer son revenu pour l’année au plus tard à la date d’échéance de production. Si, pour ce faire, le contribuable était limité à l’information accessible à la fin de l’année d’imposition, il s’agirait d’une tâche très difficile, voire impossible. Le contribuable peut se fonder plutôt sur l’information qui prend naissance après la fin de l’année, mais avant la date d’échéance de production, pour s’acquitter de son obligation de déclarer tout le revenu gagné durant l’année. Cette information inclut les montants déclarés sur des feuillets d’information comme les T3, T4 et T5, qui ne peuvent être expressément exigés qu’après la fin de l’année d’imposition[22].

[70]        En pratique, il faut également rechercher si une créance est douteuse pour l’application de l’alinéa 20(1)(l), à l’égard d’une année d’imposition, au plus tard à la date d’échéance de production pour cette année‑là afin que la déduction puisse être prise en compte dans le revenu net déclaré pour l’année dans la déclaration de revenus du contribuable. Je ne peux voir aucun motif valide pour lequel le contribuable ne pourrait pour ce faire s’appuyer sur toute l’information accessible jusqu’à la date d’échéance de production. Cela ne signifie pas qu’il suffit que la créance soit douteuse au plus tard à la date d’échéance de production. Le contribuable doit plutôt déterminer si la créance était douteuse ou non à la fin de l’année d’imposition, en tenant compte de toute l’information accessible jusqu’à la date d’échéance de production pour cette année‑là. De même, toute évaluation de la détermination par le contribuable de la créance doit être fondée sur toute l’information accessible jusqu’à la date d’échéance de production. L’examen de la décision du contribuable ne doit pas constituer un exercice qui consiste à trouver à redire du jugement du contribuable à la date d’échéance de production, en ayant recours à une évaluation a posteriori plutôt qu’aux faits disponibles à cette date.

[71]        En l’espèce, la date d’échéance de production pour l’année d’imposition 2009 de l’appelant était le 30 avril 2010. L’appelant avait le droit de tenir compte de toute l’information disponible jusqu’au 30 avril 2010 pour produire sa déclaration de revenus T1 de 2009, afin qu’il puisse attester que sa déclaration pour l’année était exacte et complète et qu’elle déclarait tout son revenu pour l’année d’imposition 2009.

[72]        Ce qui nous amène à la question de ce qu’est une créance douteuse. A l’occcasion de l’affaire Coppley Noyes & Randall, précitée, la Section de première instance de la Cour fédérale a exposé les critères de l’existence d’une créance douteuse comme suit (à la page 5297) :

Il est admis que, pour établir une provision pour créances douteuses à l’égard d’un compte débiteur, il ne suffit pas qu’on éprouve quelques doutes sur les possibilités d’en recouvrer le solde : Picadilly Hotels Ltd. v. The Queen, 78 DTC 6444 (C.F. 1re inst.). Le jugement rendu dans l’affaire No. 81 v. M.N.R., (précitée) rejetait la thèse voulant que tout compte en souffrance constitue ipso facto une créance douteuse nécessitant l’établissement d’une provision; voir aussi Brignall v. M.N.R., 61 DTC 488 (C.A.I.). Le contribuable doit avoir de bonnes raisons, suffisamment étayées, pour douter des chances de recouvrement du compte débiteur. Ce critère est décrit de la façon suivante dans le bulletin d’interprétation IT‑442 publié par le ministre du Revenu (paragraphe 22) :

Pour qu’une créance puisse être classée comme mauvaise, il faut la preuve qu’elle est devenue irrécouvrable. Pour qu’une créance soit incluse dans une provision pour créances douteuses, il suffit qu’il y ait un doute raisonnable au sujet de sa recouvrabilité.

Dans l’arrêt Highfield Corporation Ltd. v. M.N.R., 82 DTC 1835 (C.A.I.), il a été déclaré à la page 1847 :

Ainsi, en établissant une « provision pour créances douteuses » suivant l’alinéa 20(1)l), un contribuable pourrait, lorsqu’il décide si tel ou tel montant doit être compris dans la provision, se servir de son expérience des affaires avec beaucoup plus de souplesse que s’il voulait déduire une mauvaise créance aux termes de l’alinéa 20(1)p). En soi, l’expression « créance douteuse » veut tout dire : il s’agit d’une créance exigible dont le recouvrement est possible, mais pas assez certain dans l’esprit du contribuable pour que celui‑ci soit disposé à payer un impôt à l’égard de cette créance avant même de s’être assuré qu’il pouvait la recouvrer.

[73]        L’information dont l’appelant disposait au 30 avril 2010, dont le fait que les avocats de SA avaient à la fin de mars 2010 soutenuqu’il y avait une combine à la Ponzi (pièce A‑7) et la publication d’articles et d’autres reportages soutenant la même chose (pièces A‑8 à A‑11) sème un sérieux doute sur la possibilité de recouvrer à la fin de 2009 non seulement l’intérêt, mais également le capital dû par SA à l’appelant. Selon moi, toute personne raisonnable en serait venue à la conclusion qu’à la fin de 2009, le paiement de l’intérêt était tout au moins douteux compte tenu de l’indication manifeste que SA avait été victime de fraude et n’avait aucun moyen indépendant de payer les montants dus à l’appelant.

[74]        La situation financière précaire de SA à la fin de 2009 a en outre été confirmée par le fait que SA avait déposé le 6 avril 2010 un avis d’intention de faire une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Le « Bilan de réalisation éventuelle (proposition d’affaires) » daté du 23 avril 2010 établissait clairement que SA n’avait d’autres ressources financières que les montants qui lui étaient dus par EMB qui, en raison des circonstances, n’étaient pas inscrits comme biens de la société. M. Amato a déclaré que le Bilan reflétait également avec exactitude la situation financière de SA à la fin de 2009, qui reconnaît simplement que la situation financière de SA résultait de la fraude commise par M. Mander dès le début, et non de circonstances ayant pris naissance après 2009.

[75]        Autrement dit, la situation de SA qui avait été révélée en date du 30 avril 2010 existait également à la fin de 2009. La situation financière de SA ne s’est pas détériorée après 2009. La véritable situation de SA à la fin de 2009 a été révélée par les faits ayant été mis en lumière à la fois en décembre 2009 et après 2009, mais avant la date d’échéance de production de l’appelant pour l’année. Tel qu’il a déjà été mentionné, l’appelant avait le droit de s’appuyer sur tous ces faits pour évaluer l’état de la dette de SA à la fin de 2009.

[76]        Bien que les événements postérieurs au 30 avril 2010 ne doivent pas servir à l’analyse du jugement de l’appelant à la date d’échéance de production, ils viennent confirmer que M. Mander s’est approprié frauduleusement l’argent prêté par SA à EMB et que SA n’aurait pu rembourser aucune de ses dettes à la fin de 2009, car l’argent qu’elle avait prêté à EMB avait été volé.

[77]        Le dernier critère auquel il doit être satisfait est que le montant de la déduction demandée soit raisonnable. Comme il était apparent au 30 avril 2010 que SA et l’appelant étaient vraisemblablement des victimes d’une combine à la Ponzi promettant de manière illusoire des taux d’intérêt élevés, que personne ne savait où était passé le capital prêté à EMB et que les perspectives de recouvrement du capital investi étaient incertaines, il était raisonnable pour l’appelant de demander une déduction au titre du sous‑alinéa 20(1)l)(i) égale au montant total de l’intérêt. Tel qu’il est mentionné dans la décision Coppley Noyes & Randall, précitée (à la page 5297) :

S’il existe un doute raisonnable quant à la possibilité de recouvrer un compte, le degré de doute est exprimé par le rapport entre la provision et la créance totale. En ce sens, le montant de la provision établie à l’égard d’un compte donné est une estimation du risque de non‑recouvrement du compte.

[78]        En l’espèce, l’appelant avait raisonnablement conclu qu’il existait peu de possibilités de recouvrer le capital prêté à SA et aucune possibilité de recouvrer l’intérêt. Par conséquent, il était raisonnable de demander une déduction au titre du sous‑alinéa 20(1)l)(i) de la LIR équivalant au total de l’intérêt.

A. Sous‑alinéa 20(1)p)(i)

[79]        Le sous‑alinéa 20(1)(p)(i) comporte seulement deux critères. D’abord, la créance doit avoir été incluse dans le revenu du contribuable pour l’année pour laquelle la déduction est demandée ou pour une année antérieure. Vu les motifs énoncés précédemment concernant l’analyse du sous‑alinéa 20(1)l)(i) de la LIR, l’appelant satisfait à ce critère.

[80]        Ensuite, le contribuable doit établir que la créance est devenue une créance irrécouvrable au cours de l’année. L’approche généralement acceptée pour déterminer si une créance est irrécouvrable est consacrée par la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Flexi-Coil Ltd. v. The Queen, 96 DTC 6350, 199 N.R. 120, [1996], comme suit (page 6351 DTC, 122 N.R.) :

Les parties, en outre, souscrivent toutes deux à l’exposé de la jurisprudence applicable à ces dispositions fait par le juge de la Cour canadienne de l’impôt (Dossier d’appel V, 942) :

La question de savoir à quel moment une créance devient mauvaise est une question de fait à trancher selon les circonstances de chaque affaire. Une créance est reconnue comme mauvaise principalement lorsqu’elle s’est avérée irrécouvrable dans l’année. Dans la décision Roy v. M.N.R., 58 DTC 676, Me Boisvert de la Commission d’appel de l’impôt a dit ceci, à la page 680 :

[traduction]

Étant donné que la Loi ne dit pas ce qu’est une mauvaise créance, il faut se fonder sur les principes comptables reconnus en matière commerciale. Il est reconnu qu’une créance est mauvaise lorsqu’elle s’est avérée irrécouvrable dans l’année.

Pour ce qui est de savoir quand une créance doit être considérée comme irrécouvrable, cela relève du jugement du contribuable lui-même en tant qu’homme d’affaires prudent. Dans la décision Hogan v. M.N.R., 56 DTC 183, à la page 193, Me Fisher a expliqué comment cette détermination devrait se faire :

[traduction]

Par conséquent, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, une mauvaise créance peut être désignée comme étant la totalité ou une partie d’une créance à l’égard de laquelle le créancier, après avoir personnellement tenu compte des facteurs pertinents susmentionnés, pour autant qu’ils s’appliquent à chaque créance particulière, conclut en toute honnêteté et d’une façon raisonnable qu’elle est irrécouvrable à la fin de l’exercice au cours duquel la détermination doit se faire, même si, par la suite, il peut se produire des événements par suite desquels la créance peut en fait être recouvrée en totalité ou en partie. La détermination devrait être faite par le créancier lui-même (ou par son employé), car il est personnellement parfaitement au courant des faits et des circonstances se rapportant non seulement à chaque créance particulière, mais aussi, si possible, à chaque débiteur individuel. [Je souligne.]

Cette approche a été suivie dans de nombreux jugements, notamment dans Anjalie Enterprises Ltd. v. The Queen, 95 DTC 216 (C.C.I.) et Berretti v. M.N.R., 86 DTC 1719 (C.C.I.). En résumé, pour décider si le contribuable a droit à une déduction pour mauvaises créances, la Cour doit être convaincue que le contribuable lui-même a conclu que les créances étaient devenues irrécouvrables et qu’en arrivant à cette conclusion, il a agi raisonnablement et d’une manière pragmatique et sérieuse propre au milieu des affaires, appliquant les facteurs appropriés.

[81]        L’arrêt Flexi-Coil enseigne qu’une créance est irrécouvrable lorsque le contribuable conclut qu’il en est ainsi et qu’en arrivant à cette conclusion, il a agi raisonnablement et d’une manière pragmatique et sérieuse propre au milieu des affaires, appliquant les facteurs appropriés. Le passage de la décision Hogan rendue par la Commission d’appel de l’impôt confirme également que les événements ultérieurs ne modifient pas une décision rendue à juste titre. J’ajouterais qu’il existe une différence entre les événements qui surviennent avant la date d’échéance de production et qui révèlent la véritable situation à la fin de l’année d’imposition pertinente et les événements qui surviennent après la fin de cette année d’imposition et qui modifient l’état de la créance au cours de l’année d’imposition suivante. Seuls les premiers sont pertinents quant à l’état de la créance à la fin de l’année d’imposition pertinente.

[82]        En ce qui concerne les critères pertinents, la Cour d’appel fédérale,  à l’occasion de l’affaire Rich c. Canada, 2003 CAF 38, [2003] 3 C.F. 493, énonçait les lignes directrices suivantes lorsque l’on recherche quand une créance est irrécouvrable (au paragraphe 13) :

Je résumerais ainsi les facteurs qui, à mon sens, devraient en général être pris en compte lorsqu’on veut savoir si une créance est devenue irrécouvrable :

1.         l’historique et l’âge de la créance;

2.         la situation financière du débiteur, ses revenus et ses dépenses, gagne-t-il un revenu ou essuie-t-il des pertes?, sa trésorerie et son actif, son passif et les liquidités dont il dispose;

3.         l’évolution du chiffre d’affaires total par rapport aux années antérieures;

4.         l’encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

5.         les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

6.         les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l’ensemble des débiteurs et dans la branche d’activités du débiteur; et

7.         l’expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances irrécouvrables.

Cette liste n’est pas limitative et, selon les circonstances, un facteur ou un autre pourra prendre une importance accrue.

[83]        Les circonstances en l’espèce sont inhabituelles en ce sens que SA était incapable de payer sa dette à l’appelant parce que SA était victime de fraude. L’ARC énonce dans son Folio de l’impôt sur le revenu S3‑F9‑C1 : Gains de loterie, encaissements divers et produits de la criminalité (et pertes connexes), à la rubrique « Montages financiers frauduleux » :

1.43 Un contribuable peut déduire un montant pour créances irrécouvrables en application de l’alinéa 20(1)p) dans l’année où une fraude est constatée dans la mesure où le revenu de placement prétendument tiré du stratagème frauduleux, et qui n’est pas considéré comme ayant été reçu ou retiré par le contribuable, a été ajouté précédemment à son revenu. En général, l’année où la fraude est constatée correspond à celle au cours de laquelle la Couronne porte une accusation contre son auteur. Par ailleurs, un contribuable ne peut pas demander de déduction pour mauvaises créances relativement à une somme reçue par lui ou qui a été reçue par une autre personne, mais pour son compte.

[84]        La position de l’ARC ne couvre pas un cas comme en l’espèce, dans lequel l’auteur de la fraude s’est suicidé et ne fera donc jamais l’objet d’accusations. Selon moi, il convient de rechercher en l’espèce si, dans les circonstances connues en date du 30 avril 2010, la personne agissant raisonnablement et d’une manière pragmatique et sérieuse propre au milieu des affaires aurait conclu que l’intérêt était irrécouvrable à la fin de 2009 parce que l’existence et le résultat de la fraude commise contre SA avaient été assez bien établis pour tirer cette conclusion.

[85]        L’information à la disposition de l’appelant en date du 30 avril 2010 indiquait qu’au 31 décembre 2009, SA ne disposait pas des ressources requises pour payer, mis à part ce recouvrement auprès d’EMB dans le cadre de la mise sous séquestre. Même si l’on ignorait le montant susceptible d’être recouvré par SA (comme le laissaient entendre certaines lettres auxquelles l’intimée a renvoyé), il aurait été tout à fait raisonnable pour l’appelant de conclure que seule une partie du capital dû était susceptible d’être recouvrée et que l’intérêt était illusoire et ne serait pas recouvré.

[86]        Après tout, il était manifeste en date du 30 avril 2010 que l’ensemble du montage financier constituait très probablement une création de M. Mander (une combine à la Ponzi, comme l’ont qualifiée les avocats de la SA en mars 2010). De plus, personne ne semblait savoir où était l’argent qui avait été prêté à EMB, même si M. Amato avait retenu les services d’avocats pour faire enquête dès janvier 2010. Même s’il demeurait possible que le séquestre recouvre une partie de l’argent dû à SA pour que SA puisse remettre cet argent aux investisseurs externes, la personne raisonnable a bien pu conclure que la probabilité de recouvrer l’intérêt était inexistante.

[87]        Tel qu’il a été mentionné précédemment au regard de l’analyse du sous‑alinéa 20(1)l)(i) de la LIR, la situation financière de SA ne s’est pas détériorée après 2009. Les faits qui ont été mis en lumière après 2009 et avant la date d’échéance de production de l’appelant révélaient que SA n’était pas en mesure de payer l’intérêt à la fin de 2009 parce que M. Mander avait volé l’argent qu’EMB avait emprunté de SA en promettant un rendement annuel de 25 %.

[88]        Dans les circonstances inhabituelles de l’espèce, j’estime que la seule conclusion raisonnable de l’appelant en date du 30 avril 2010 était que l’intérêt dû par SA à l’appelant à la fin de 2009 était une créance irrécouvrable à la fin de 2009. Par conséquent, l’appelant avait le droit de demander au titre du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la LIR une déduction égale au montant de l’intérêt dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2009.

B. Autres questions

[89]        L’intimée a soutenu que, pour demander la déduction prévue par le  sous‑alinéa 20(1)l)(i) ou le sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la LIR, l’appelant aurait dû inscrire l’intérêt comme revenu, puis demander la déduction. Toutefois, l’intimée ne pouvait indiquer avec exactitude de quelle façon la déduction en vertu de l’un ou l’autre de ces sous‑alinéas doit être demandée dans la déclaration. Une possibilité, non mentionnée par l’une ou l’autre des parties, est que le montant doive être inscrit à la ligne 232 de la déclaration sous « Autres déductions », avec une description de la déduction demandée.

[90]        L’appelant a demandé des conseils d’expert sur la façon de produire une déclaration de revenus T1 pour 2009 à un comptable professionnel agréé et a suivi ces conseils. La lettre jointe à la déclaration exposait et expliquait en détail la position de l’appelant aux fins de la production. Bien que la lettre n’ait pas fait expressément mention de l’alinéa 20(1)l) ou 20(1)p), elle indiquait que l’intérêt n’était pas inclus dans la déclaration parce qu’entre autres choses, il était irrécouvrable. La jurisprudence établit clairement que la caractéristique essentielle d’une créance irrécouvrable est qu’elle est irrécupérable.

[91]        Quoi qu’il en soit, même si l’appelant n’a pas précisé qu’il demandait la déduction au titre du sous‑alinéa 20(1)l)(i) ou (20(1)p)(i) de la LIR, il est bien établi qu’il est loisible au contribuable de modifier sa déclaration en ayant recours au processus d’appel. A l’occasion de l’affaire Canada c. Imperial Oil Ltd., 2003 CAF 289, 2003 DTC 5485, la Cour d’appel fédérale a déclaré (au paragraphe 10) :

Les difficultés administratives découlant de la complexité des activités de deux grandes sociétés ont amené la Couronne à proposer une interprétation des dispositions législatives qui est non seulement incorrecte, mais qui est également susceptible de causer des difficultés excessives aux contribuables dont les activités ne sont pas complexes. Par exemple, il arrive assez souvent qu’un contribuable s’oppose à la cotisation établie à partir de sa propre déclaration de revenus. Cette démarche est courante, notamment lorsque le contribuable souhaite préserver son droit d’appel éventuel jusqu’à ce que le ministre décide d’accorder ou non la déduction qu’il avait simplement oubliée. Subsidiairement, le contribuable peut décider de faire une allégation sujette à controverse seulement au stade de l’opposition, puisqu’une décision défavorable n’entraînera pas d’obligation fiscale. Bon nombre de demandes de cette nature pourraient être dûment examinées sans que la déclaration fasse l’objet d’une vérification complète. 

[Non souligné dans l’original.]

[92]        En l’espèce, l’appelant a recours à la procédure d’appel pour demander la déduction au titre du sous‑alinéa 20(1)l)(i) ou 20(1)p)(i) de la LIR, ce qui se reflétait implicitement dans sa position aux fins de la production telle qu’expliquée dans la lettre accompagnant sa déclaration de revenus T1 de 2009. Si, tel qu’il est signalé dans l’arrêt Imperial Oil Ltd., le contribuable peut avoir recours à la procédure d’appel pour demander une déduction n’ayant pas été demandée au départ, l’appelant peut certes avoir recours à la procédure d’appel pour clarifier une position aux fins de la production indiquée en termes généraux lorsqu’il a produit sa déclaration.

[93]        Par les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli avec dépens en faveur de l’appelant et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelant a le droit de déduire 137 500,00 $ en vertu du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la LIR dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2009.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2015.

« J.R. Owen »

Juge Owen

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de novembre 2015.

Francois Brunet, reviseur


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 150

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1651(IT)G

INTITULÉ :

DOMENIC DELLE DONNE c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE:

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge John R. Owen

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 juin 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me John H. Loukidelis

Avocat de l’intimée :

Me Marcel Prevost

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

John H. Loukidelis

 

Cabinet :

Loukidelis Professional Corporation

Hamilton (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 

 



[1]               Lignes 13 à 18 de la page 11 de la transcription de l’instance qui a eu lieu le 16 mars 2015 (la « transcription »).

[2]               Si la demande était présentée concernant la date du deuxième anniversaire, l’intérêt versé à cette date devait constituer l’intérêt total accumulé à cette date (pièce A‑1, paragraphe 1).

[3]               Lignes 3 à 7 de la page 76 de la transcription.

[4]               Lignes 5 à 11 de la page 19 de la transcription.

[5]               M. Amato a conclu ultérieurement que M. Mander n’avait pas subi de crise cardiaque en raison de déclarations incohérentes contenues dans un deuxième courriel qu’il a reçu en février 2010 (lignes 24 à 28 de la page 16 et lignes 1 à 17 de la page 17 de la transcription).

[6]               Lignes 18 à 26 de la page 17 de la transcription.

[7]               M. Amato a versé 88 000 $ de plus à un autre investisseur, qu’il a qualifié d’ami. Il n’a pas fait d’autres paiements aux investisseurs de SA.

[8]               Lignes 2 à 6 de la page 20 de la transcription.

[9]               C’est M. Amato qui a fourni la date de la réunion. L’appelant ne se souvenait pas précisément de la date exacte de la réunion, mais se rappelait que c’était avant l’anniversaire de son père, le 18 décembre.

[10]             Lignes 26 à 28 de la page 52 et lignes 1 à 8 de la page 53 de la transcription.

[11]             Lignes 27 et 28 de la page 53 de la transcription.

[12]             Il a été établi ultérieurement qu’il s’était suicidé.

[13]             Lignes 9 à 15 de la page 26 de la transcription.

[14]             Ligne 28 de la page 55 et lignes 1 à 17 de la page 56 de la transcription.

[15]             Les pièces A‑8 et A‑9 étaient datées du 24 mars 2010, la pièce A‑10 était datée du 30 mars 2010, et la pièce A‑11 était datée du 31 mars 2010. Les articles des pièces A‑8, A‑10 et A‑11 ont été publiés par CBC News et l’article de la pièce A‑9 a été publié par The Globe and Mail.

[16]             L’appelant et M. Yee Loong ont rejeté une autre position fiscale qui avait été présentée aux investisseurs externes parce qu’elle exigeait que l’appelant demande une déduction au titre de l’intérêt égale à l’intérêt, même s’il n’avait pas emprunté d’argent pour prêter à SA.

[17]             Tim Edgar, « Deduction of Loan Losses and Financing Expenses by Moneylenders », Report of Proceedings of Forty‑Sixth Tax Conference, 1994 Conference Report (Toronto : Fondation canadienne de fiscalité, 1995), 16:1‑52, aux pages 16:8 et 16:9.

[18]             C’est ce que prévoit la section 1 des conventions de prêt.

[19]             Voir C.R.B. Dunlop, Creditor-Debtor Law in Canada, 2e éd. (Scarborough, Ont.: Carswell, 1995), à la page 16.

[20]             Le terme « date d’échéance de production » est défini au paragraphe 248(1) de la LIR.

[21]             Alinéa 150(1)d) de la LIR. L’échéance du 15 juin s’applique au contribuable qui a exploité une entreprise au cours de l’année, ou à l’époux ou au conjoint de fait du contribuable, dont il ne vit pas séparé.

[22]             Voir, en général, la partie II du Règlement de l’impôt sur le revenu.

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