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Dossier : 2012-2604(GST)I

ENTRE :

GUTBUCKET INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 9 octobre 2013 et le 13 avril 2015,
à Hamilton (Ontario).

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Sam Sorbara

Avocats de l’intimée :

Me Dominique Gallant
Me Jan Jensen

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise à l’égard des périodes de déclaration allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 2015.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2015.

M.-C. Gervais


Référence : 2015 CCI 156

Date : 20150622

Dossier : 2012-2604(GST)I

ENTRE :

GUTBUCKET INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

[1]             L’appel intéresse une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») à l’égard des périodes de déclaration allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 (la « période visée »).

[2]             Dans les déclarations qu’elle a produites pour la période visée, Gutbucket Inc. (l’« appelante ») a déclaré un revenu nul et demandé les crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») suivants :

1er janvier 2007 – 31 décembre 2007

880,32 $

1er janvier 2008 – 31 décembre 2008

763,71 $

1er janvier 2009 – 31 décembre 2009

911,84 $

Total

2 555,87 $

[3]             Le ministre a établi une nouvelle cotisation dans laquelle il a refusé les CTI demandés par l’appelante. Des avis de nouvelle cotisation ont été envoyés le 25 juin 2010.

[4]             Le ministre s’est appuyé, pour décider de refuser les CTI et pour déterminer la taxe nette pour la période visée, sur les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 12 de la réponse à l’avis d’appel. En particulier, à l’alinéa 12.e de la réponse, le ministre allègue que [traduction] « […] l’appelante n’a pas obtenu les documents nécessaires pour confirmer les CTI demandés pour les périodes de déclaration et n’a pas prouvé qu’elle exerçait des activités commerciales ni qu’il a effectué des fournitures taxables pendant les périodes de déclaration ».

[5]             De plus, le ministre a souligné que, presque tous les CTI demandés étaient liés à des factures d’électricité, d’Union Gas et de téléphone pour des immeubles appartenant à l’appelante. Le ministre allègue que les biens en question n’ont pas été utilisés dans le cadre d’une activité commerciale et que, par conséquent, l’appelante n’a pas le droit de demander des CTI pour la taxe sur les produits et services (la « TPS ») payée relativement aux charges susmentionnées[1].

[6]             Dans une lettre datée du 2 février 2012 [2], l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a exigé des renseignements supplémentaires sur l’entreprise de consultation que l’appelante alléguait exploiter et à l’égard de laquelle elle avait demandé des CTI. L’ARC a fait observer que l’appelante était propriétaire de deux immeubles résidentiels situés respectivement à Guelph et à Waterloo, en Ontario. L’ARC a également souligné que les CTI résumés dans une feuille de calcul Excel consistaient principalement en des montants de TPS payés sur des frais d’entretien et de services publics pour ces immeubles. Joana Almeida, l’agente des appels de l’ARC chargée d’examiner le dossier, a demandé à l’appelante d’expliquer comment elle utilisait ces deux biens dans l’exercice de ses activités de consultation.

[7]             L’appelante a refusé de répondre à cette lettre. Dans son avis d’appel, l’appelante affirme que l’ARC n’avait pas le droit d’exiger cette information pour les raisons suivantes :

[traduction]

8.         L’ARC n’a pas droit à l’information exigée dans sa lettre datée du 2 février 2012. Si le contribuable réalise des ventes dans le cadre d’activités commerciales et les déclare comme revenus (le contribuable a déclaré des ventes d’au moins 5 000 $ en 2010 et de plus de 50 000 $ en 2011 et il déclarera des ventes considérablement plus élevées en 2012), et si le contribuable peut établir que les CTI ne se rapportent pas à des fournitures exonérées (ce que le contribuable a établi), ceux‑ci peuvent alors être demandés relativement à l’activité commerciale du contribuable, sans que l’ARC ne les refuse injustement ou n’invoque de raisonnement spécieux pour les refuser. L’ARC peut difficilement plaider que les sommes perçues au titre de la TPS ou de la TVH relativement aux activités commerciales du contribuable doivent être remises à l’ARC sans qu’il soit tenu compte des CTI auxquels celui‑ci a droit.

[Non souligné dans l’original.]

[8]             Dans sa lettre du 2 février 2012, l’ARC a affirmé que l’appelante ne l’avait pas convaincue que ses immeubles étaient utilisés dans le cadre d’une activité commerciale qu’elle exerçait. Compte tenu du fait que l’appelante refusait d’obtempérer à la demande de l’ARC, Mme Almeida a ratifié les cotisations.

[9]             M. Sam Sorbara a témoigné pour le compte de l’appelante. Il est le seul actionnaire de l’appelante et il exerce la profession d’avocat. Il a informé la Cour qu’il n’était pas familier avec les affaires fiscales. Par conséquent, je lui ai expliqué qu’il incombait à l’appelante d’établir au moyen d’une preuve prima facie que les hypothèses de fait énoncées dans la réponse à l’avis d’appel : (i) sont inexactes; (ii) n’ont pas été émises par le ministre dans l’établissement de la cotisation de l’appelante; (iii) n’étayent pas la cotisation établie.

[10]        M. Sorbara a témoigné que l’appelante possédait deux biens, l’un d’eux étant un condominium situé au 413‑5 Father David Bauer Drive, à Waterloo, en Ontario. Il a expliqué que ce bien était utilisé pour conserver une collection de livres rares. Il a donné l’explication suivante pour justifier l’intérêt de l’appelante pour sa collection de livres rares.

JUGE HOGAN : Ok. Et le 413 Father David à Waterloo --

M. SORBARA : Oui.

JUGE HOGAN : -- Qu’est-ce que c’est? Un condominium?

M. SORBARA : Gutbucket -- oui, c’est un condominium.

JUGE HOGAN : Et à quoi sert‑il?

M. SORBARA : Gutbucket possède une collection de livres rares, qui sera vendue plus tard, et ce condominium est rempli, du plancher au plafond, de livres rares ou de livres à collectionner.

JUGE HOGAN : Il en est rempli du plancher au plafond?

M. SORBARA : Oui.

JUGE HOGAN : Faites-vous seulement l’achat de livres? En avez-vous vendu?

M. SORBARA : J’en ai vendu quelques-uns à l’occasion, mais je suis en fait à l’étape de l’acquisition. C’est probablement --

JUGE HOGAN : Donc, vous êtes en train de constituer des stocks?

M. SORBARA : Oh, oui, des stocks importants. Plus de 2 000 ouvrages.

JUGE HOGAN : Et vous dites que vous stockez ces livres dans le condominium en question?

M. SORBARA : Oui, c’est ce que je fais.

JUGE HOGAN : Et quelle est votre intention? D’acheter des livres et de les revendre?

M. SORBARA : Oui, plus tard. Plus tard, oui.

JUGE HOGAN : Et quand vous dites – quel type de livres rares vous --

M. SORBARA : Des premières éditions. Des premières éditions de littérature.

JUGE HOGAN : Donnez‑moi un exemple.

M. SORBARA : Une première édition dédicacée d’Ayn Rand, Atlas Shrugged.

JUGE HOGAN : Ok.

M. SORBARA : Un titre que vous connaissez certainement. Tout le monde l’aime.

JUGE HOGAN : Le Tea Party aux États‑Unis l’aime bien. Et ces livres, vous les collectionnez. Depuis combien de temps?

M. SORBARA : Depuis longtemps, très longtemps. J’en ai acheté puis revendu, pendant un certain temps mais, par la suite, je suis devenu trop occupé. Maintenant, je les collectionne et puis – on obtient de meilleurs résultats, du point de vue commercial, si on a une collection, au lieu de juste – ce que je veux dire en fin de compte, c’est qu’on peut vendre une collection ou on peut en faire don à une bibliothèque pour bénéficier d’un allégement fiscal très important, ou ce genre de chose.

[Non souligné dans l’original.]

[11]        M. Sorbara a déclaré dans son témoignage que le deuxième bien se trouve au 363 Westwood Road, à Guelph, en Ontario. Il allègue qu’il y conserve des dossiers et y tient un bureau pour ses activités de consultation qu’il exerce au nom de l’appelante. Il est difficile de dire, à la suite de son témoignage, quelle partie du condominium sert aux activités de l’entreprise de consultation de l’appelante.

[12]        Les CTI peuvent être demandés au titre du paragraphe 169(1) de la Loi pour la TPS payée sur les produits ou les services acquis à des fins de consommation ou comme fourniture dans le cadre d’une « activité commerciale » exercée par l’inscrit. Une « activité commerciale » s’entend comme incluant notamment une « entreprise » et les « projets à risque […] de caractère commercial ».

[13]        Le terme « entreprise » est défini au paragraphe 123(1). Outre sa définition générale, l’entreprise comprend notamment les « commerces […], les professions et toutes affaires quelconques » avec ou sans but lucratif. La deuxième partie de la définition élargie ne s’applique pas aux faits considérés en l’espèce.

[14]        La jurisprudence nous enseigne que, dans l’évaluation d’une activité susceptible d’être exercée pour des raisons personnelles, la Cour doit appliquer des facteurs objectifs pour établir si l’activité comporte, par exemple, un aspect récréatif ou si elle constitue une entreprise[3]. Ces facteurs incluent l’état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable, la voie sur laquelle il entend s’engager et la capacité de l’entreprise de réaliser un profit[4]. Cette énumération n’est pas exhaustive.

[15]        La preuve de l’appelante est très loin d’établir ces facteurs. Le témoignage de M. Sorbara s’est limité à une déclaration selon laquelle l’appelante pourrait un jour vendre les livres, ou en faire don afin d’avoir droit à un crédit d’impôt substantiel pour don de bienfaisance. Le témoin n’a pas établi que l’appelante avait un plan ou une stratégie d’affaires. Il n’a pas précisé qui pourraient être les clients éventuels de l’appelante. Il n’a pas donné d’aperçu du marché des livres rares. Il a affirmé qu’il en avait vendu par le passé; il n’a toutefois rien dit au sujet des circonstances dans lesquelles ces ventes alléguées avaient été réalisées. Son témoignage ne permettait pas d’établir clairement qui avait vendu des livres par le passé. Était-ce l’appelante ou M. Sorbara? En considérant la preuve dans son ensemble, je crois que les livres ont probablement été recueillis et conservés par l’appelante au bénéfice de son actionnaire, M. Sorbara.

[16]        Avant de passer à un autre point, je dois également examiner la définition élargie d’entreprise, qui comprend « les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques » (non souligné dans l’original), avec ou sans but lucratif. Je suis convaincu que l’appelante ne tirait pas profit d’un commerce, d’une industrie ou d’une profession. Les activités de l’appelante liées aux livres rares constituent‑elles des « affaires » au sens de ce terme? Je ne le crois pas. Dans la décision J.V. Drumheller v. M.N.R.[5], le juge Thurlow a défini le mot « affaires » (undertaking) de la façon suivante :

[traduction]

J’examinerai maintenant l’argument subsidiaire du ministre selon lequel la somme constituait des profits d’entreprise. L’entreprise est définie dans la loi en termes généraux. Elle ne se limite pas aux commerces ou aux industries; elle comprend aussi les professions ou métiers, ainsi que les affaires quelconques et les projets à risque ou les affaires de caractère commercial, à l’exclusion des charges et des emplois. Les expressions employées dans cette définition ne sont pas mutuellement exclusives et toutes ne sont pas non plus tout aussi générales. Certaines se recoupent. En particulier, l’expression « toutes affaires quelconques » me semble suffisamment générale pour englober les affaires des genres déjà mentionnés dans la définition; en d’autres termes, les commerces, les industries ou les professions, ainsi que tout autre type de projet qu’on pourrait concevoir.

[Non souligné dans l’original.]

[17]        Dans le contexte de la définition élargie d’une entreprise, le mot « affaires » s’entend d’un projet. Un projet comprendrait une affaire avec ou sans but lucratif. Je ne crois pas que le terme « affaires » est censé englober une activité de type récréatif exercée par une société au bénéfice de son actionnaire.

[18]        Après avoir entendu le témoignage de l’appelante sur la nature de ses activités, j’ai ajourné l’audience parce que l’appelante n’avait pas de copies des comptes et des factures à l’égard desquels les CTI étaient demandés. La question des documents appropriés était contestée.

[19]        M. Sorbara et le représentant de l’intimée ont accepté de se rencontrer pour examiner les factures et tenter de s’entendre sur une imputation des dépenses. Malheureusement, ils n’y sont pas parvenus. Lorsque l’audience a repris, j’ai informé M. Sorbara qu’il devrait verser en preuve les factures contestées et expliquer en quoi ces dépenses étaient liées à chacun des biens. Il a refusé de le faire. J’ai présumé qu’il croyait que l’appelante avait établi que les deux biens servaient entièrement à l’exercice d’une activité commerciale. Comme l’appelante n’a pas établi que c’était effectivement le cas, la Cour n’a pas été en mesure d’établir si les dépenses étaient liées à son entreprise de consultation. En fin de compte, l’appel doit être rejeté parce que l’appelante n’a pas réfuté, par une preuve prima facie, l’hypothèse du ministre selon laquelle elle n’a pas présenté les documents pertinents pour étayer les CTI demandés et n’a pas utilisé les immeubles dans le cadre d’une activité commerciale.

[20]        Pour les motifs exposés précédemment, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 2015.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2015.

M.-C. Gervais


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 156

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-2604(GST)I

INTITULÉ :

GUTBUCKET INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 octobre 2013 et le 13 avril 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 juin 2015

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

M. Sam Sorbara

Avocats de l’intimée :

Me Dominique Gallant
Me Jan Jansen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Réponse à l’avis d’appel, à l’alinéa 12.g.

[2] Cette lettre était jointe à l’avis d’appel à titre de pièce.

[3] Stewart c Canada, [2002] 2 RCS 645.

[4] Ibid., au paragraphe 55.

[5] [1959] Ex. C.R. 281, à la page 286, [1959] C.T.C. 275, à la page 280.

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