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Dossier : 2013-510(IT)G

ENTRE :

ROBERT GRANT CARPHIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 25 et 26 mai 2015, à Victoria (Colombie‑Britannique)

Devant : L'honorable juge Judith Woods


Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocates de l'intimée :

Me Elizabeth (Lisa) McDonald

Me Melissa Nicolls

 

JUGEMENT

La Cour ordonne que :

1.       l'appel interjeté à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2001, 2002, 2004, 2005 et 2006 soit rejeté;

2.       l'appel interjeté à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2003 soit accueilli, et que la cotisation soit déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que le revenu devrait être réduit de 25 187,62 $, et que la pénalité pour faute lourde devrait être rajustée en conséquence;

3.       les dépens soient adjugés à l'intimée, conformément au tarif.

Signé à Toronto (Ontario), ce 23e jour de juin 2015.

« J. M. Woods »

La juge Woods


Référence : 2015 CCI 158

Date : 20150623

Dossier : 2013-510(IT)G

ENTRE :

ROBERT GRANT CARPHIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

I. Aperçu

[1]             Une cotisation a été établie à l'égard de l'appelant, Grant Carphin, au motif qu'il avait omis de déclarer la totalité du revenu de commissions qu'il avait gagné au cours d'une période de six ans à titre de vendeur pour The Institute of Financial Learning (l'« Institut »). Il s'est avéré que M. Carphin, peut‑être sans le savoir, vendait des investissements frauduleux dans une fraude pyramidale classique.

[2]             Monsieur Carphin fait valoir qu'il n'avait pas connaissance de la fraude et qu'il en a également été victime, car il y avait investi ses propres fonds. Que cela soit vrai ou non, cela n'est pas directement pertinent en l'espèce.

[3]             Une cotisation a été établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de M. Carphin pour les années d'imposition 2001 à 2006 relativement à des revenus de commissions non déclarés et à des pénalités pour faute lourde. Les montants qui ont été ajoutés à son revenu pour ces années sont respectivement les suivants : 12 200 $, 266 401 $, 127 347 $, 243 420 $, 130 500 $ et 21 676 $. Les pénalités imposées pour faute lourde quant à ces années sont respectivement les suivantes : 491 $, 34 601 $, 15 382 $, 33 258 $, 16 681 $ et 2 157 $.

[4]             Au début de l'audience, la Couronne a informé la Cour qu'un des éléments ajoutés au revenu de M. Carphin, soit 25 187,62 $, avait été comptabilisé en double par inadvertance pour l'année d'imposition 2003. Par conséquent, un montant de 25 187,62 $ doit être supprimé du revenu et du calcul des pénalités pour faute lourde.

[5]             Certains participants au stratagème de placements frauduleux, Milos Brost, Gary Sorenson, Steven Kendall et Christopher Houston, ont récemment été déclarés coupables de fraude par des tribunaux en Alberta (Voir R. c. Kendall, 2015 ABQB 177, et R. c. Brost and Sorenson, dossier 120873872Q2, 16 avril 2015 (B.R. Alb.)).

[6]             Dans l'ensemble, on aurait incité des personnes à devenir membres de l'Institut en leur promettant de leur enseigner les mystères des placements fructueux. Les membres étaient alors amenés à investir dans des sociétés constituées dans des paradis fiscaux, ce qui était censé leur permettre de réaliser des rendements extravagants découlant d'activités comme l'affinage de métaux.

[7]             L'Institut a embauché des agents de ventes, comme M. Carphin, à qui on a donné le titre pompeux de « structuriste ». Les agents étaient rémunérés à la commission pour chaque membre recruté ou pour chaque membre enrôlé par leurs recrues. Il semble que des stratagèmes complexes aient été mis en place pour que les commissions soient conservées à l'étranger.

[8]             Il semble qu'il s'agissait d'une fraude ayant une ampleur considérable, perpétrée avec succès au cours d'une longue période. Le stratagème reposait sur la constitution d'un grand nombre de sociétés étrangères et la participation de plusieurs institutions financières.

[9]             La société Syndicated Gold Depository S.A. (« SGD ») était l'une des sociétés principales qui ont servi à commettre la fraude. Cette entité recevait l'argent des investisseurs afin de le réinvestir dans une société d'affinage de l'or. Il semble que les investisseurs aient été leurrés par les rendements ridiculement élevés du capital investi dans SGD, lesquels n'étaient pas déclarés au fisc canadien. Il semble qu'on ait également puisé des fonds dans les REÉR des investisseurs. En réalité, SGD était l'une des principales entités ayant servi à la mise en œuvre de la fraude pyramidale.

[10]        Les éléments de preuve ne révèlent pas la façon dont la fraude a inévitablement pris fin, mais il semble que les autorités réglementaires et fiscales, aux États‑Unis et au Canada, aient été sur la piste des fraudeurs avant 2007.

[11]        Grâce à des documents obtenus lors des enquêtes criminelles concernant les principaux participants à la fraude, l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a pris connaissance du rôle qu'avait joué M. Carphin en tant qu'agent de ventes pour l'Institut. L'ARC a alors procédé à une vérification des activités de M. Carphin pour déterminer si celui‑ci avait déclaré toutes ses commissions. À cette fin, l'ARC a consulté un nombre important de documents obtenus lors des enquêtes criminelles, ainsi que des relevés de comptes bancaires canadiens appartenant à M. Carphin, à l'épouse de celui‑ci, ainsi qu'à une société canadienne dont ils étaient propriétaires, soit la société Van Merlin Consulting Ltd. (« Van Merlin »).

[12]        Le vérificateur de l'ARC a conclu que M. Carphin avait méticuleusement déclaré toutes les commissions qui avaient été versées dans des comptes bancaires canadiens, et qu'il s'agissait des seules commissions déclarées. Les montants canadiens avaient été déclarés dans la déclaration de revenus de M. Carphin ou dans celle de la société Van Merlin. En ce qui concerne les autres commissions qui n'avaient pas été déclarées, M. Carphin avait demandé que celles‑ci soient conservées à l'extérieur du Canada.

[13]        Les cotisations en litige ont toutes été établies après la période normale de nouvelle cotisation au titre du paragraphe 152(4) de la Loi. Par conséquent, il incombe à la Couronne de démontrer qu'il y a eu une présentation erronée du revenu. Il incombe également à la Couronne de faire la preuve des faits justifiant l'imposition des pénalités pour faute lourde. C'est la raison pour laquelle la Couronne a été la première à présenter sa preuve à l'audience.

[14]        En guise de contexte, soulignons que M. Carphin agissait pour son propre compte à l'audience, et qu'il a eu très peu de choses à dire au cours de l'instance de deux jours. M. Carphin a expliqué qu'il était gêné par des problèmes de santé. Cependant, il n'a pas demandé d'ajournement pour ces motifs.

[15]        Monsieur Carphin a également informé la Cour qu'il prévoyait déclarer faillite si le présent appel était rejeté, car il avait tout perdu en tant que victime de la fraude pyramidale.

II. Les points en litige

[16]        Dans son avis d'appel, M. Carphin demande plusieurs mesures de redressement qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour. M. Carphin n'a pas présenté d'observations particulières à leur égard lors de l'audience.

[17]        La Couronne n'a pas exposé sa position sur ces mesures de redressement dans la réponse. À ma demande, les avocates de la Couronne ont répondu à ces questions au début de l'audition, et il n'est pas nécessaire que j'en discute davantage dans les présents motifs.

[18]        Le seul point en litige dont la Cour est saisie est de savoir si les cotisations qui ont été établies à l'égard de M. Carphin déterminent correctement le montant payable en vertu de la Loi. Cette détermination repose sur la question de savoir s'il est approprié d'établir une cotisation après la période normale d'établissement d'une nouvelle cotisation, et sur celle de savoir si les conditions d'imposition de pénalités pour faute lourde sont respectées.

III. Le contexte factuel

A. La preuve

[19]        Les témoins de la Couronne étaient deux fonctionnaires de l'ARC, Michael Weevers et Winnie Lin.

[20]        Monsieur Weevers était un enquêteur de l'ARC qui avait participé aux enquêtes criminelles susmentionnées. Par l'entremise de M. Weevers, la Couronne a cherché à présenter des documents qui avaient été obtenus lors des enquêtes et qui avaient été remis à la division de la vérification de l'ARC pour faciliter la vérification du revenu de commissions de M. Carphin.

[21]        Monsieur Weevers était très renseigné sur la source des documents. Certains avaient été obtenus grâce à des mandats de perquisition canadiens et de demandes péremptoires présentées à des institutions financières. D'autres documents provenant de l'étranger ont été obtenus auprès de la Securities and Exchange Commission des États‑Unis et d'un organisme international d'autorités fiscales, le Centre d'information conjoint sur les abris fiscaux internationaux, soit le CICAFI.

[22]        Ces documents sont essentiels à la cause de la Couronne, car celle‑ci a présenté très peu d'autres éléments de preuve. Presque tous les documents constituent du ouï‑dire, et il faut que ceux‑ci soient à la fois nécessaires et fiables pour être admis en preuve.

[23]        Durant l'audience, je n'ai pas été en mesure d'examiner les documents en détail et, par conséquent, ceux‑ci ont été admis en preuve avec la question de la nécessité et de la fiabilité à soupeser. Après avoir examiné les documents à la suite de l'audience, j'ai décidé que la plupart d'entre eux étaient suffisamment nécessaires et fiables et qu'un poids important devrait leur être accordé.

[24]        Monsieur Carphin ne s'est pas opposé à l'admission des documents et, durant le contre‑interrogatoire, il a reconnu l'authenticité de ceux dont il avait connaissance.

[25]        Dans l'ensemble, il est clair que la plupart des documents sont nécessaires, étant donné que les parties concernées ont pris part à une activité illégale et qu'il serait impossible d'obtenir des éléments de preuve crédibles de leur part. En ce qui a trait à la fiabilité, une grande partie des documents semblent être des dossiers financiers qui étaient conservés dans le cours ordinaire des affaires, soit par les participants à la fraude, soit par les institutions financières qui s'occupaient de l'argent. À première vue, ces documents semblent être fiables, et je n'ai aucune raison de croire qu'ils ne le sont pas.

[26]        À mon avis, il convient d'accorder du poids à la plupart des documents, soit parce qu'ils sont nécessaires et fiables, soit parce que M. Carphin les a attestés.

[27]        Le second témoin de la Couronne était Mme Lin, la vérificatrice responsable de l'établissement des cotisations. Essentiellement, Mme Lin a pris une décision au sujet du revenu de commissions non déclaré de M. Carphin en se fondant sur les documents susmentionnés et, en outre, sur des renseignements obtenus lors de la vérification, tels que des relevés de comptes bancaires détenus par M. Carphin, son épouse et la société Van Merlin.

[28]        Je conclus que M. Weevers et Mme Lin sont des témoins crédibles.

[29]        Monsieur Carphin a témoigné pour son propre compte; son témoignage a cependant été extrêmement bref. Il a fait l'objet d'un contre‑interrogatoire relativement long.

[30]        Je conclus que le témoignage de M. Carphin était vague et évasif dans l'ensemble, et qu'il n'était pas du tout digne de foi.

[31]        La preuve ne donne pas un portrait d'ensemble du stratagème ou de la participation de M. Carphin, ce qui n'est pas surprenant, puisque M. Carphin n'a presque pas fourni de renseignements lors de l'interrogatoire principal et qu'une grande partie de la preuve de la Couronne était lacunaire, du fait qu'elle avait été obtenue en partie au moyen de saisies effectuées des participants à la fraude.

B. Les détails de la fraude

[32]        Un aperçu de la combine frauduleuse a été énoncé par le juge qui a instruit le procès criminel de Milos Brost et de Gary Sorenson (dossier 120873872Q2, 16 avril 2015, B.R. Alb.). En voici un extrait relatant deux des accusations pour lesquelles MM. Brost et Sorenson ont été déclarés coupables :

[TRADUCTION]

[...]

[4]        Monsieur Sorenson contrôlait Merendon Mining Corporation Ltd. et ses filiales. Merendon, par l'entremise d'une filiale, détenait à Tegucigalpa, au Honduras, un bien‑fonds qui était en développement pour en faire une affinerie d'or de petite taille et un magasin de fabrication de bijoux.

[5]        Messieurs Brost et Sorenson ont fondé, avec d'autres, la société Syndicated Gold Depository S.A. MM. Brost et Sorenson étaient tous deux propriétaires bénéficiaires d'actions de cette société, bien qu'ils n'aient jamais déclaré ces droits de propriété bénéficiaire aux investisseurs.

[6]        Monsieur Brost a créé la société Capital Alternatives Incorporated (« Capital Alternatives »), dont il était le propriétaire bénéficiaire. Capital Alternatives recrutait des investisseurs potentiels dans un club d'investissement, qui était censé avoir été mis sur pied pour fournir des conseils relatifs à des stratégies d'investissement non traditionnelles à ses membres. Par la suite, M. Brost a fondé l'Institute for Financial Learning (l'« IFFL ») à des fins similaires.

[7]        Monsieur Brost a formé des vendeurs, appelés « stratèges » ou « structuristes », afin de faire des présentations aux membres de Capital Alternatives et ensuite à ceux de l'IFFL, présentations qui avaient pour but de convaincre les membres d'investir, par des moyens complexes, dans la société étrangère SGD et, par la suite, dans la société Base Metals Corporation LLC (« Base Metals »), également contrôlée par MM. Brost et Sorenson. On a expliqué aux investisseurs que SGD et, par la suite, Base Metals prêteraient l'argent investi à Merendon ou aux filiales de celle‑ci. On a initialement déclaré aux investisseurs que le prêt était fait à des fins d'affinage de l'or. Selon les directives de M. Brost, un certain nombre de fausses déclarations ont été faites aux investisseurs dans le but de les inciter à investir. On leur expliquait que Merendon verserait à SGD/Base Metals un rendement mensuel de 4 %. Les rendements promis aux investisseurs variaient pour atteindre jusqu'à 3,5 % par mois.

[8]        Monsieur Sorenson ne faisait pas directement de mise en marché auprès des investisseurs, mais lui ou ses agents effectuaient des présentations lors de conférences qui leur étaient destinées, et il dirigeait les visites de l'affinerie de Tegucigalpa en faisant valoir la validité et la sécurité des investissements, ainsi que la capacité de Merendon d'effectuer les paiements d'intérêts en raison de ses activités. Il s'agissait de fausses déclarations.

[9]        En fait, selon les directives de MM. Brost et Sorenson, les sommes reçues des investisseurs, après le paiement des commissions et des dépenses variées, n'étaient pas utilisées aux fins décrites. En aucun temps Merendon n'a payé les taux d'intérêt élevés à SGD à l'égard du prétendu prêt que celle‑ci lui avait consenti. Merendon a effectué de l'affinage d'or, mais de façon sporadique et beaucoup moins importante qu'elle n'aurait dû le faire pour justifier le montant de l'investissement et des prêts, ou pour payer les taux d'intérêt proposés dans les ententes et promis aux investisseurs.

[10]      Les paiements reçus par des investisseurs ayant demandé qu'une partie ou la totalité du capital, des intérêts, ou des deux leur soit versée ont été effectués à même des fonds recueillis d'autres investisseurs, plutôt que des fonds découlant d'activités commerciales. Il s'agissait d'une fraude pyramidale classique et d'une fraude à l'égard des investisseurs. On fournissait aux investisseurs des relevés mensuels montrant que leurs investissements croissaient bel et bien aux taux d'intérêt promis. Les résultats, sur papier, étaient si attrayants que certains investisseurs ayant livré un témoignage ont été incités à investir davantage. Cependant, les résultats n'étaient bons que sur papier seulement. SGD n'a en fait recouvré aucun montant de Merendon ou de ses filiales relativement au prêt, ni aucun intérêt.

[11]      La fraude commise à l'endroit des investisseurs était complexe et a nécessité beaucoup de planification. Au fil du temps, et lorsque les fonds n'étaient plus suffisants pour rembourser les investisseurs, des étapes complexes additionnelles, des modifications et de nouveaux stratagèmes ont été inventés dans le but d'apaiser les investisseurs et de leur cacher la fraude.

[12]      Selon le témoignage d'Elizabeth Brost, 2 000 investisseurs étaient victimes du stratagème et ont investi soit dans SGD, soit dans Base Metals Corporation LLC. Dans un enregistrement du 1er juin 2007, M. Brost mentionne qu'il y avait environ 3 000 investisseurs.

[13]      Lors de son témoignage, M. Bill Dallas, membre du conseil d'administration de Merendon, a expliqué que M. Sorenson lui avait dit que le montant de la dette de Merendon envers SGD était de 200 millions de dollars. Dans un enregistrement de M. Owen Hoffman du 16 mars 2007, M. Sorenson précise que la dette due s'élevait à 124 millions de dollars. Dans un enregistrement du 25 octobre 2008, M. Brost déclare que M. Sorenson et Merendon ont reçu environ 120 millions de dollars en vertu du stratagème. Aucun élément de preuve sur les montants précis investis, mais non remboursés, n'a été déposé en preuve. Un des éléments de preuve obtenus précisait que Merendon Mining Corporation Ltd. avait déménagé son bureau et ses dossiers du Canada au Belize.

[14]      La Couronne a fait entendre sept témoins ayant investi dans ce stratagème précis (MM. Driesen, Goritshnig, Bruns, Williams, Campbell, Goldworthy et Tripodi). Au total, ces témoins ont expliqué qu'ils avaient perdu plus de 800 000 $ en investissant dans ce stratagème.

[15]      Messieurs Brost et Sorenson ont fait en sorte que les investissements effectués soient utilisés à d'autres fins que celles qui étaient expressément prévues. Ils savaient qu'aucune activité commerciale légitime ne justifiait les importants montants des prêts consentis par SGD à Merendon. MM. Brost et Sorenson savaient que Merendon ne payait pas à SGD les intérêts nécessaires, et ils savaient, pour en avoir donné la directive, que les investisseurs qui demandaient un remboursement n'étaient pas remboursés à même les fonds découlant des activités d'entreprise de SGD ou de Merendon, mais plutôt à même les sommes investies par d'autres investisseurs.

[16]      Il n'a pas été démontré où se trouve l'argent, mais il est clair que les investisseurs en ont été privés frauduleusement.

[17]      La fraude susmentionnée s'est étendue sur une longue période, soit de novembre 1999 à décembre 2008. Les investisseurs ont perdu d'importantes sommes, soit des dizaines et des centaines de milliers de dollars. Certains des investisseurs qui ont témoigné au procès ont pratiquement perdu toutes leurs économies.

[...]

IV. Analyse

A. Les principes juridiques applicables

[33]        Il est utile d'examiner certains des principes juridiques applicables en l'espèce.

[34]        D'abord, comme nous l'avons déjà souligné, les cotisations ont été établies après la fin de la période normale de nouvelle cotisation. Par conséquent, des restrictions sont imposées au ministre en ce qui a trait à l'établissement d'une cotisation, conformément aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la Loi. Essentiellement, les cotisations établies doivent se rapporter à une fraude ou à une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire.

[35]        Le fardeau d'établir la présentation erronée, ou la fraude, incombe à la Couronne (M.N.R. v. Taylor, [1961] R.C.É. 318, à la page 320, 61 D.T.C. 1139, à la page 1141).

[36]        L'ancien juge en chef Bowman a traité du fardeau de la preuve en ce qui a trait aux années frappées de prescription au paragraphe 26 de la décision Biros c. La Reine, 2007 CCI 248. Dans ses motifs très logiques, l'ancien juge en chef a conclu que dans cette situation, la Couronne doit uniquement prouver qu'il y a eu présentation erronée quant à une catégorie ou à une source particulière de revenu. Lorsque la Couronne s'est acquittée de ce fardeau, celui‑ci passe au contribuable en ce qui a trait au montant. Il incombe au contribuable de démontrer que le revenu provenant de cette source était inférieur au montant de la cotisation établie.

[37]        En ce qui a trait aux pénalités pour faute lourde prévues au paragraphe 163(2) de la Loi, le critère consiste à savoir si un faux énoncé a été effectué dans la déclaration de revenus sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. La pénalité constitue essentiellement 50 % de la réduction d'impôt qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé.

[38]        Il incombe à la Couronne de prouver les faits qui justifient l'imposition des pénalités (paragraphe 163(3) de la Loi).

B. L'omission de déclarer un revenu de commissions

[39]        Les documents saisis qui ont été utilisés au soutien de l'établissement des cotisations sont loin d'être complets et, par conséquent, ils ne donnent pas une image précise et complète du revenu de commissions gagné par M. Carphin.

[40]        J'aimerais mentionner dès le début que M. Carphin fait valoir dans l'avis d'appel que les commissions qu'il n'a pas reçues ne devraient pas être incluses dans son revenu. Ce n'est pas le critère qu'il convient d'appliquer. M. Carphin est tenu de déclarer les commissions qui lui étaient payables, ou qui étaient payables selon ses directives, et il est assujetti à l'impôt à cet égard. Dans la présente affaire, il est clair que M. Carphin avait la capacité d'ordonner de quelle façon les commissions devaient être payées.

[41]        En me fondant sur l'ensemble de la preuve, je me prononce en concluant que M. Carphin a omis à tort d'inclure dans ses déclarations de revenus le revenu des commissions qui lui étaient payables ou qui étaient payables selon ses instructions.

[42]        Les directives données quant à la destination du paiement des commissions non déclarées importent peu. D'après ce que les éléments de preuve révèlent, M. Carphin a demandé qu'au moins certains montants non déclarés soient payés à Ciclon S.A., une société étrangère détenue par M. et Mme Carphin. Il semble qu'une partie ou la totalité des fonds transférés à Ciclon S.A. a alors été investie dans SGD. M. Carphin a demandé que d'autres commissions soient transférées sur des cartes de paiement non canadiennes. Les cartes en question pouvaient être converties en argent ou utilisées pour des achats.

[43]        Les circonstances, prises dans leur ensemble, portent à croire que M. Carphin avait sciemment omis de déclarer ce revenu. M. Carphin est très scolarisé. Il est détenteur d'une maîtrise en mathématiques et en philosophie. Il était un homme d'affaires chevronné avec de l'expérience en matière financière. En outre, il n'avait pas de raison crédible pour avoir omis de déclarer ce revenu, surtout en ce qui a trait aux commissions transférées sur des cartes de paiement. La seule explication raisonnable des faits est que M. Carphin gardait d'importants montants de revenus de commissions hors du Canada, de façon à éviter de payer de l'impôt sur ceux‑ci. Il savait que les commissions étaient imposables au Canada et qu'elles devaient être déclarées dans ses déclarations de revenus canadiennes.

[44]        J'aimerais également souligner que, selon les critères, il n'est pas nécessaire, dans les faits, d'avoir connaissance de l'acte fautif. L'omission volontaire (paragraphe 152(4)) et la faute lourde (paragraphe 163(2)) suffisent. Il ne fait aucun doute que ces exigences sont respectées.

[45]        En ce qui a trait au montant du revenu de commissions qui n'a pas été déclaré, la vérificatrice de l'ARC a effectué une analyse exhaustive des documents dont elle disposait, et elle a procédé à une évaluation du revenu de commissions non déclaré en se fondant sur ces documents. Les calculs effectués par la vérificatrice sont bien étayés et raisonnables dans les circonstances en l'espèce.

[46]        Monsieur Carphin n'a pas cherché à contester ces montants.

[47]        Par souci d'exhaustivité, j'aimerais mentionner que la Couronne a présenté, à titre d'information, deux documents que la vérificatrice n'avait pas à sa disposition au moment de la vérification et qu'elle a examinés peu de temps avant de témoigner (pièce R‑8).

[48]        Un des documents semble être un relevé complet des montants investis par Ciclon S.A. dans SGD. Ces montants sont moindres que les montants qui ont été classés par la vérificatrice comme étant relatifs à SGD (voir la pièce R‑5, annexe 1, qui dresse une liste des montants pris en compte).

[49]        Les deux documents ont été présentés à M. Carphin lors de l'audience, et présentés en preuve par la Couronne à titre d'information seulement, afin que M. Carphin puisse témoigner à cet égard s'il choisissait de le faire. Il ne l'a pas fait.

[50]        Puisque ces documents n'ont pas été présentés en preuve pour établir la véracité de leur contenu, il ne convient pas que je les examine. Je souhaiterais cependant souligner que les documents ne sont pas incompatibles avec les cotisations établies, car les montants investis par Ciclon S.A. dans SGD ne constituent qu'un élément de l'équation.

[51]        La conclusion à laquelle j'en suis arrivée dans le présent appel est que M. Carphin a omis sciemment de déclarer le revenu qui a fait l'objet d'une cotisation. Il convient de rejeter le présent appel, sous réserve de la concession faite par la Couronne.

[52]        Les dépens seront adjugés à la Couronne, conformément au tarif.

Signé à Toronto (Ontario), ce 23e jour de juin 2015.

« J. M. Woods »

La juge Woods


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 158

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-510(IT)G

INTITULÉ :

ROBERT GRANT CARPHIN c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Victoria (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 25 et 26 mai 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 juin 2015

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocates de l'intimée :

Me Elizabeth (Lisa) McDonald

Me Melissa Nicolls

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

s.o.

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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