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Dossiers : 2014-1926 (CPP)

2014-1927 (EI)

ENTRE :

KAVOOS ABHAR,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 29 mai 2015

à Victoria (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Judith Woods


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Joseph Gereluk

Avocate de l’intimé :

Me Natasha Wallace

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard des décisions prises par l’intimé en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime des pensions du Canada, selon lesquelles Mark Ahern était l’employé de l’appelant au cours de l’année 2012, est accueilli et les décisions sont annulées. Chaque partie assumera ses propres dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de juin 2015.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d’août 2015.

Maxime Deslippes


Référence : 2015 CCI 166

Date : 20150626

Dossiers : 2014-1926 (CPP)

2014-1927 (EI)

ENTRE :

KAVOOS ABHAR,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

La juge Woods

Introduction

[1]             L’appelant, M. Kavoos Abhar, exploite une entreprise de peinture à Victoria (Colombie-Britannique), sous le nom de Peacock Painting. Mark Ahern a travaillé comme peintre pour M. Abhar pendant environ 16 ans.

[2]             Le présent appel vise la décision de l’intimé suivant laquelle M. Ahern exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à une pension du 1er janvier jusqu’au 14 novembre 2012, date à laquelle la relation a pris fin. M. Abhar a porté cette décision en appel. Il soutient qu’il avait embauché M. Ahern à titre d’entrepreneur indépendant.

[3]             À titre de renseignement contextuel, la présente Cour a préalablement entendu un appel similaire au sujet de M. Cartier, un autre peintre dont les services avaient été retenus par M. Abhar. Cette affaire avait été entendue par le juge en chef adjoint Rossiter (tel était alors son titre), qui a jugé que les services de M. Cartier avaient été retenus à titre d’entrepreneur indépendant.

[4]             J’ai examiné la transcription des motifs rendus de vive voix dans cet appel antérieur et j’ai conclu que cette décision ne peut être d’assistance dans le présent appel, étant donné les différences importantes au niveau des faits. Tout particulièrement, M. Cartier était payé « à la pièce », contrairement à M. Ahern, qui était rémunéré « à l’heure ».

[5]             D’entrée en jeu, je ferais remarquer que M. Abhar et M. Ahern étaient tous deux des témoins intéressés. J’ai donc appliqué à l’étude de leurs témoignages la prudence de mise dans de telles circonstances.

Le contexte factuel

[6]             Peacock Painting est une entreprise relativement petite ayant des clients résidentiels et certains clients commerciaux. Lors de la période pertinente, M. Abhar travaillait lui-même comme peintre en plus de gérer l’entreprise. Il a également embauché d’autres peintres, comme employés ou entrepreneurs indépendants. M. Abhar les payait soit sur une base horaire, soit à la pièce.

[7]             M. Ahern a commencé à travailler pour M. Abhar il y a environ 16 ans. Les deux hommes avaient une bonne relation de travail, jusqu’à ce que celle-ci prenne fin en raison, semble-t-il, d’un différend sur la nature du travail de M. Ahern.

[8]             La preuve n’était pas aussi détaillée que je l’aurais souhaité sur certains détails de la relation. Je conclus, en me fondant sur l’ensemble de la preuve, que les services de M. Ahern étaient retenus à la pièce et que ce dernier était payé 22 $ l’heure au cours de la période pertinente. Au cours de la période occupée de l’année, soit environ la période comprise entre mars et octobre, M. Ahern a accepté une importante quantité de travail pour le compte de M. Abhar.

[9]             Lorsqu’il travaillait pour Peacock Painting, M. Ahern travaillait généralement 8 heures par jour du lundi au vendredi, bien qu’il ait pris des congés. M. Ahern ne désirait pas travailler plus de huit heures par jour, ni les fins de semaine.

Analyse

[10]        Les principes juridiques pertinents pour les besoins du présent appel ont été présentés sous forme de résumé utile dans Pareto Corp. c. M.N.R., 2015 CCI 47. Cette décision est en ce moment en appel devant la Cour d’appel fédérale. Les principes juridiques résumés et énoncés par la décision et reproduits ci-dessous sont cependant bien établis. Les notes en bas de page ont été retirées.

[…]

[TRADUCTION]

[9]        La distinction entre un emploi et le statut d’entrepreneur indépendant peut soulever des défis, parce que les conditions de travail et les relations sont propres à chaque lieu de travail et sont en constante évolution.

[10]      La distinction repose sur les définitions suivantes du mot « emploi »

a)         L’alinéa 5(1)a) de la LAE le définit ainsi :

l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière[.]

b)         Le paragraphe 2(1) du RPC prévoit ce qui suit :

« emploi » L’état d’employé prévu par un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.

[11]           L’arrêt de principe sur cette question est Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. que la Cour suprême du Canada a confirmé dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc. La question est toujours de savoir si la personne « les fournit [les services] en tant que personne travaillant à son compte ». L’arrêt Sagaz résume ainsi le critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door :

Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. [...] Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

[12]           Outre ces facteurs, il y a également lieu d’examiner l’intention subjective des parties. Lorsqu’il est possible d’établir l’existence d’une intention commune des parties en ce qui a trait au type de relation de travail qu’elles souhaitaient établir, l’analyse que fait la Cour des facteurs qui précèdent doit prendre en compte cette intention.

[13]           Il est toutefois important de garder à l’esprit que l’intention des parties n’est pertinente que dans la mesure où elle se reflète dans les faits de l’affaire. L’intention subjective des parties n’est pas déterminante en elle-même. Le juge Mainville de la Cour d’appel fédérale a apporté la précision suivante dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. s/n Connor Homes c. Ministre du Revenu national :

37   [...] La situation juridique d’entrepreneur indépendant ou d’employé ne se détermine donc pas seulement sur la base de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable.

[14]           L’arrêt Connor Homes commande une analyse en deux étapes : premièrement, l’intention des parties doit être vérifiée afin de déterminer le genre de relation qu’elles souhaitaient créer. Compte tenu de cette intention, la deuxième étape consiste à analyser les faits de l’affaire pour établir si l’expression de l’intention des parties correspond à la réalité objective de leur relation. Dans cette deuxième étape, la cour doit, pour établir si la réalité factuelle reflète l’intention subjective des parties, appliquer les facteurs établis dans l’arrêt Wiebe Door, à savoir : (i) le contrôle; (ii) la propriété des instruments de travail; (iii) la possibilité de profit; (iv) le risque de perte.

[…]

L’intention des parties

[11]        L’intention des parties devrait être prise en considération en tout premier lieu.

[12]        Messieurs Abhar et Ahern n’ont pas tenu de discussion explicite sur la qualité d’employé ou d’entrepreneur indépendant de M. Ahern jusqu’à la fin de leur relation. Cependant, l’intention de M. Abhar se dégageait de ses gestes de manière manifeste. Tout particulièrement, M. Abhar ne faisait pas de retenues à la source, il remettait des feuillets d’impôt démontrant qu’il avait été embauché à titre d’entrepreneur indépendant (T5018) et il fournissait des chèques de paie sur le dessus desquels apparaissait parfois le mot « contrat ».

[13]        Lors de son témoignage, M. Ahern a affirmé qu’il avait cru, tout au long de la période où il travaillait pour Peacock Painting, qu’il était un employé. Il s’agit d’un témoignage intéressé, car M. Ahern a demandé des prestations d’assurance‑emploi. Par conséquent, ce témoignage doit être examiné avec prudence, tout particulièrement s’il contredit des faits objectifs.

[14]        Je remarque en tout premier lieu que les gestes de M. Abhar énumérés ci‑dessus signalaient clairement à M. Ahern qu’il avait l’intention de créer une relation d’entrepreneur indépendant. M. Ahern a travaillé dans ces conditions pendant plusieurs années. Cela donne fortement à penser que M. Ahern savait qu’il n’était pas censé être un employé.

[15]        La preuve révèle également que M. Ahern déduisait des dépenses d’entreprise dans sa déclaration de revenus. D’après ce que la preuve révèle, cela semblait être fondé sur le fait que M. Ahern était un entrepreneur indépendant.

[16]        Deuxièmement, M. Ahern avait des réponses toutes faites pour dénigrer les faits objectifs indiquant l’intention commune des parties quant à l’établissement d’une relation d’entrepreneur indépendant. Je n’ai pas trouvé que ces explications étaient vraisemblables.

[17]        L’avocat de l’intimé suggère que M. Ahern n’avait pas les connaissances personnelles nécessaires pour comprendre qu’il n’était pas censé être un employé. Cela est possible, mais je conclus que c’est improbable. Bien qu’il n’ait pas d’expérience en matière financière et commerciale, j’ai eu l’impression que M. Ahern était une personne bien avisée qui aurait compris que les parties avaient pour intention d’établir une relation d’entrepreneur indépendant.  

[18]        Dans l’ensemble, le témoignage de M. Ahern selon lequel il croyait être un employé n’est pas compatible avec l’ensemble de la preuve et je conclus que ce témoignage n’est pas digne de foi.

[19]        Je conclus que les parties avaient toutes deux l’intention que M. Ahern soit un entrepreneur indépendant. Je vais maintenant m’attarder aux facteurs de l’arrêt Wiebe Door pour établir si la relation était compatible avec l’intention.

Le degré de contrôle

[20]        Le critère du contrôle consiste à savoir si le payeur peut exercer un contrôle sur la manière dont le travail est exécuté. Il s’agit souvent d’un facteur d’importance cruciale pour déterminer la nature de la relation.

[21]        M. Ahern était un peintre expérimenté et très qualifié. Il n’était pas nécessaire d’avoir sur lui une autorité expresse.

[22]        M. Ahern était engagé « à la pièce » et au-delà de cela, il n’y avait aucune obligation entre les parties. La preuve donne également à penser que M. Ahern jouissait d’une liberté considérable pour prendre congé au milieu d’une tâche et qu’il refusait de faire des heures supplémentaires.

[23]        Le critère du contrôle fait pencher la balance du côté de la relation d’entrepreneur indépendant.

Le travailleur fournissait-il son propre équipement?

[24]        D’après la preuve, M. Ahern aurait pu utiliser l’équipement de M. Abhar. Il préférait cependant utiliser ses propres outils. Ce critère fait légèrement pencher la balance du côté de la relation d’entrepreneur indépendant.

Le travailleur gérait-il et assumait-il des risques financiers?

[25]        La preuve indique qu’en général, M. Ahern ne gérait pas et n’assumait pas de risques financiers de la façon dont l’aurait fait un entrepreneur indépendant. Cela fait légèrement pencher la balance du côté de la relation d’emploi.

Le travailleur a-t-il une possibilité de profits?

[26]        M. Ahern était rémunéré à l’heure. Il n’avait donc pas, contrairement à un entrepreneur, la possibilité de réaliser des profits. Ce facteur fait légèrement pencher la balance du côté de la relation d’emploi.

Conclusion

[27]        Le facteur-clé en l’espèce est la relation souple entre les parties. Ni l’une ni l’autre d’entre elles ne s’étaient engagées envers l’autre pour une période de temps déterminée comme c’est souvent le cas dans une relation de travail traditionnelle. En outre, M. Ahern jouissait d’une liberté considérable dans l’établissement de son horaire de travail. Je suis d’avis que les faits objectifs sont compatibles avec l’intention mutuelle des parties que M. Ahern soit un entrepreneur indépendant.

[28]        L’appel sera accueilli.

Signé à Toronto (Ontario), le 26e jour de juin 2015

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d’août 2015.

Maxime Deslippes


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 166

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2014-1926 (CPP)

2014-1927 (EI)

INTITULÉ :

KAVOOS ABHAR c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Victoria (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

29 mai 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

26 juin 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Joseph Gereluk

 

Avocate de l’intimé :

Me Natasha Wallace

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Joseph Gereluk

 

Cabinet :

Cabinet de Me Joseph Gereluk

Victoria (Colombie-Britannique)

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

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