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Dossier : 2013-1322(IT)G

ENTRE :

PAUL L. SCHNIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 7 mai 2015 à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Fred Tayar

Avocat de l’intimée :

Me Gregory Perlinski

 

ORDONNANCE

CONFORMÉMENT aux motifs de l’ordonnance ci‑joints, la requête en annulation de l’appel présentée par l’intimée est rejetée.

LES DÉPENS sont adjugés à l’appelant conformément au tarif applicable sous réserve du droit de chaque partie de présenter d’autres observations sur les dépens dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

LE PARAGRAPHE 44 de la réponse doit être radié conformément aux présents motifs et à la présente ordonnance.

LES PARTIES doivent fournir une proposition d’échéancier au coordonnateur des audiences au sujet des étapes restantes du présent appel dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance, sans quoi l’affaire sera renvoyée au juge responsable de la présente requête pour audience sur l’état de l’instance.

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour de juin 2015.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 15jour de décembre 2015.

François Brunet, réviseur


Référence : 2015 CCI 160

Date : 2015-06-24

Dossier : 2013-1322(IT)G

ENTRE :

PAUL L. SCHNIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Bocock

I. Requête en annulation

[1]             L’intimée présente une requête en annulation de l’appel au motif que l’appelant, lorsqu’il a déposé son avis d’appel, était un failli non libéré. L’intimée soutient qu’aux termes de l’article 71 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI »), l’appelant a cessé d’avoir la capacité juridique en ce qui a trait aux biens qui lui appartenaient avant sa faillite et n’avait pas le pouvoir d’interjeter appel. En outre, par l’avis de requête, l’intimée demande l’annulation de l’appel au motif qu’aux termes de l’ancien alinéa 58(3)c) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), désormais l’alinéa 53(3)c), la Cour peut rejeter l’appel si l’appelant n’a pas la capacité juridique d’introduire l’instance.

[2]             Il ne s’agit pas de la première audience portant sur cette requête. Le juge Pizzitelli a instruit cette requête le 28 mai 2014. Le juge Pizzitelli avait alors ordonné que l’ordonnance rendue ce jour‑là soit signifiée au syndic de faillite (le « syndic »), qui disposerait de 90 jours pour déposer une demande de prorogation du délai imparti pour déposer un avis d’appel. Bien que ce soit implicite, le délai de dépôt d’une demande cadrait avec le délai de 90 jours et celui d’un an prévus respectivement aux articles 169 et 167 de la Loi de l’impôt sur le revenu, SRC 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »). L’ordonnance prévoyait que, si le syndic déposait une demande de prorogation du délai imparti pour interjeter appel, cette demande serait entendue immédiatement avant la date à laquelle la requête en annulation devait être présentée. Si par contre le syndic ne déposait pas de demande dans le délai de 90 jours précisé dans l’ordonnance du juge Pizzitelli, la requête en annulation de l’intimée serait inscrite au rôle pour audition le plus rapidement possible. C’est la deuxième de ces situations qui fait que la Cour est actuellement saisie de la question.

II. Thèses des parties

[3]             L’appelant, M. Schnier, est devenu failli le 19 janvier 2012, car son principal créancier, à savoir l’intimée, a rejeté la proposition qu’il avait déposée au titre de la LFI. M. Schnier a déposé un avis d’appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt le 10 avril 2013. Dans sa réponse à l’avis d’appel, l’intimée a contesté la capacité juridique de M. Schnier au motif que celui‑ci n’avait aucune capacité juridique et que toute tentative visant à obtenir cette capacité après coup était soit exclue en droit, soit insuffisante sur le plan des faits. En outre, le syndic, soit la seule partie pouvant interjeter appel aux termes de la LFI, ne l’a pas fait et n’a pas consenti dès le départ à interjeter appel.

[4]             M. Schnier s’oppose à la requête pour deux motifs. Premièrement, l’appel en matière fiscale ne se rapporte pas aux biens de M. Schnier ni aux sous-catégories de biens ou à une chose non possessoire, mais bien à une dette et à une responsabilité. Comme une responsabilité n’est pas un bien, les obligations de M. Schnier ne sont pas dévolues au syndic, car le paragraphe 71(2) de la LFI fait uniquement référence aux biens; il comprend toutes les choses non possessoires, mais pas les responsabilités. Par conséquent, selon l’avocat de M. Schnier, celui‑ci a la liberté d’interjeter appel de la cotisation au fond se rapportant à une responsabilité, mais non à des biens.

[5]             Deuxièmement, même si le syndic devait donner son consentement ou son autorisation, car l’appel est une chose non possessoire, le syndic l’a donné. Il a donné son consentement par une variété d’assertions, de comportements et d’affirmations, qui seront examinés ultérieurement dans la section intitulée « Autres faits soumis à la Cour ». Si le syndic s’était opposé au dépôt de l’appel, M. Schnier aurait eu la possibilité d’obtenir l’approbation de la Cour supérieure pour interjeter appel, mais comme il a obtenu l’approbation implicite ou explicite du syndic, ce consentement n’est pas nécessaire et n’est pas prévu en droit aux termes de l’article 37 de la LFI.

III. Dispositions législatives et réglementaires générales pertinentes quant à cette requête

[6]             L’article 71 de la LFI dispose :

Dévolution des biens au syndic

71. Lorsqu’une ordonnance de faillite est rendue, ou qu’une cession est produite auprès d’un séquestre officiel, le failli cesse d’être habile à céder ou autrement aliéner ses biens qui doivent, sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des droits des créanciers garantis, immédiatement passer et être dévolus au syndic nommé dans l’ordonnance de faillite ou dans la cession, et advenant un changement de syndic, les biens passent de syndic à syndic sans cession ni transfert quelconque.

[7]             L’article 37 de la LFI dispose :

Appel au tribunal contre le syndic

37. Lorsqu’un acte ou une décision du syndic lèse le failli ou l’un des créanciers ou toute autre personne, l’intéressé peut s’adresser au tribunal, et ce dernier peut confirmer, infirmer ou modifier l’acte ou la décision qui fait l’objet de la plainte et rendre à ce sujet l’ordonnance qu’il juge équitable.

[8]             De même, le mot « bien » est ainsi défini à l’article 2 de la LFI :

« bien » Bien de toute nature, qu’il soit situé au Canada ou ailleurs. Sont compris parmi les biens les biens personnels et réels, en droit ou en equity, les sommes d’argent, marchandises, choses non possessoires et terres, ainsi que les obligations, servitudes et toute espèce de domaines, d’intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, sur des biens, ou en provenant ou s’y rattachant.

[9]             L’alinéa 53(3)c) des Règles dispose :

53. (3) À la demande de l’intimé, la Cour peut casser un appel si :

[...]

c) l’appelant n’a pas la capacité juridique d’introduire ou de continuer l’instance.

[10]        Le paragraphe 4(1) et l’article 7 des Règles disposent :

Interprétation

4. (1) Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

Effet de l’inobservation

7. L’inobservation des présentes règles constitue une irrégularité et n’est pas cause de nullité de l’instance ni d’une mesure prise, d’un document donné ou d’une directive rendue dans le cadre de celle-ci. La Cour peut :

a) soit autoriser les modifications ou accorder les conclusions recherchées, à des conditions appropriées, afin d’assurer une résolution équitable des véritables questions en litige;

b) soit annuler l’instance ou une mesure prise, un document donné ou une directive rendue dans le cadre de celle-ci, en tout ou en partie, seulement si cela est nécessaire dans l’intérêt de la justice.

IV. Autres faits déférés à la Cour

[11]        Compte tenu du fait que les éléments matériels en l’espèce ont été produits en deux étapes, il est nécessaire de passer en revue les documents et les éléments matériels dont dispose la Cour. Il est également pertinent de procéder ainsi, car l’instance est une requête; les faits à l’appui doivent avoir été présentés adéquatement à la Cour.

[12]        Dans le premier cas, les actes de procédure ont été présentés à la Cour et sont pertinents en raison de leurs dates : l’avis d’appel et la réplique de M. Schnier datés respectivement du 10 avril et du 30 octobre 2013, et la réponse de l’intimée déposée le 28 août 2013.

[13]        Un affidavit d’un assistant judiciaire engagé au cabinet de l’avocat de M. Schnier a également été déposé. Cet affidavit comporte certaines lettres du syndic et de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») :

        une lettre de l’ARC datée du 11 janvier 2013, soit une réponse à l’avis d’opposition déposé par M. Schnier, qui précise à M. Schnier qu’il doit interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt s’il est en désaccord avec la ratification de la nouvelle cotisation à laquelle il s’était opposé. Cette réponse particulière a également été transmise au syndic;

        une lettre du ministère de la Justice datée du 25 octobre 2013, préparée après le dépôt de l’avis d’appel, demandant au syndic s’il avait autorisé le dépôt de l’avis d’appel, et dans l’affirmative, à quel moment et pour quels motifs;

        une lettre du syndic adressée au ministère de la Justice, datée du 4 novembre 2013, dont voici un extrait :

[traduction]

[...]

Le syndic n’a pas autorisé M. Schnier à interjeter l’appel. Cependant, la lettre de l’ARC datée du 11 janvier 2013 (la « ratification »), adressée à M. Schnier, conseillait à celui‑ci d’interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt dans les 90 jours suivant la date de la ratification. Cette ratification fait partie d’une longue instance qui a commencé bien des années avant la faillite.

Sauf le respect que je vous dois, le syndic ne croit pas que la question pertinente en l’espèce consiste à savoir s’il a autorisé M. Schnier ou non à interjeter l’appel. Si M. Schnier n’avait pas rédigé et déposé l’avis d’appel, le syndic l’aurait rédigé, aurait communiqué avec M. Schnier pour obtenir une aide et l’aurait déposé.

[...]

Le syndic estime que M. Schnier est intervenu correctement lorsqu’il a interjeté l’appel et que cette démarche a permis à M. Schnier d’éviter des honoraires qui auraient dû être payés à partir de son actif si le syndic avait rédigé et déposé l’avis d’appel en son nom.

[...]

        une lettre du syndic adressée au ministère de la Justice, datée du 21 mars 2014, dont voici un extrait :

[traduction]

[...]

Si l’Agence du revenu du Canada n’avait pas précisément demandé et ordonné à M. Schnier d’interjeter l’appel en question devant la Cour canadienne de l’impôt dans sa lettre du 11 janvier 2013, dont une copie se trouve en pièce jointe, le syndic aurait soit interjeté l’appel, soit autorisé M. Schnier à le faire.

Pour être clair, le syndic accorde à M. Schnier l’autorisation et la permission de continuer l’appel nunc pro tunc.

[...]

[14]        Un assistant juridique a déposé au ministère de la Justice un affidavit qui contenait une lettre du syndic datée du 14 août 2014, une date ultérieure à l’ordonnance du juge Pizzitelli mentionnée précédemment. En voici un extrait :

[traduction]

La présente concerne l’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies par l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») en ce qui a trait aux déclarations de revenus de M. Schnier pour différentes années d’imposition (l’« appel »). M. Schnier a interjeté cet appel en avril 2013 ou environ lorsqu’il était encore un failli non libéré.

L’ARC a contesté la capacité de M. Schnier d’interjeter l’appel et l’affaire a été entendue par la Cour canadienne de l’impôt (la « Cour de l’impôt ») le 28 mai 2014. La Cour de l’impôt a ajourné la requête et prorogé le délai de 90 jours accordé à MNP Ltd., en sa capacité de syndic de l’actif de Paul Schnier (le « syndic »), pour déposer une demande de prorogation du délai imparti pour déposer un avis d’appel en l’espèce (la « demande de prorogation du délai » s’il le souhaitait.

Après avoir examiné la question, le syndic souhaite vous informer qu’il ne déposera pas de demande de prorogation du délai.

[...]

[15]        Selon l’affidavit de M. Schnier souscrit et déposé en avril 2015, le ministre et l’ARC ont mené des négociations avec M. Schnier en ce qui concerne les cotisations d’impôt de celui-ci établies pour l’année d’imposition 2012. Il est relevé que cette année d’imposition est postérieure à la faillite de M. Schnier et qu’en conséquence, elle ne revêt aucune importance et n’est pas pertinente quant aux conclusions présentées à la Cour.

[16]        Les affidavits susmentionnés sont tous les affidavits déposés à l’appui de la requête et en opposition à celle‑ci. En outre, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu deux ordonnances se rapportant à cette affaire. Comme il s’agit d’ordonnances de la Cour supérieure de justice qui ont été déposées par M. Schnier, leur contenu peut faire partie de l’ensemble des conclusions et des décisions de fait d’un juge ou d’un protonotaire, selon le cas, saisi d’entendre et de trancher des questions se rapportant à l’actif du failli, M. Schnier.

[17]        Les motifs de décision de la protonotaire Jean, datés du 18 juillet 2014, constituent le premier document. Ils concernent sa décision de libérer le failli, M. Schnier. L’avocat de l’intimée s’est opposé à la libération. Voici les extraits pertinents :

[traduction]

[...]

Le failli a fait une proposition à ses créanciers le 6 décembre 2011. Il a augmenté l’offre à ses créanciers au cours des assemblées des créanciers subséquentes. L’ARC a finalement rejeté cette proposition, ce qui a donné lieu à cette faillite.

[...]

La faillite est principalement attribuable à des investissements du failli dans certains abris fiscaux qui ont amené le failli à demander certains avantages fiscaux, que l’ARC a refusés ultérieurement. En ce qui concerne la présente instance, le failli n’a commis aucune inconduite en ce qui concerne ses obligations habituelles en matière d’impôt sur le revenu. Il a produit ses déclarations de revenus et payé la totalité de ses impôts de la façon et au moment prescrits par la loi.

La raison pour laquelle cette faillite est de nature fiscale se rapporte au fait que l’ARC a refusé les avantages fiscaux relatifs aux abris fiscaux. À la fin des années 1980, de nouvelles cotisations ont été établies à l’égard du failli relativement à ses abris fiscaux; celles‑ci remontaient à 1985 et à presque toutes les années suivantes. Le failli a immédiatement déposé des avis d’opposition pour chacune des années d’imposition visées par une nouvelle cotisation; le premier avis d’opposition a été déposé à la fin des années 1980. Je crois comprendre que l’ARC aurait ensuite dû examiner la question. Le failli a reçu les avis de ratification concernant certaines cotisations, mais pas toutes, remontant jusqu’à 1985 juste avant le dépôt de la proposition. Le failli a immédiatement interjeté un appel concernant ces avis de ratification.

[...]

Par les présents motifs, je ne tente pas d’usurper le rôle de la Cour de l’impôt en tirant des conclusions dans des affaires fiscales relevant de la compétence de celle‑ci. Il est clair, vu la jurisprudence Re Norris, [1989] 2 CTC 185, que les décisions relatives aux responsabilités fiscales relèvent de la Cour de l’impôt. Le failli, et peut-être le syndic, a exploré cette possibilité. Ces appels n’ont pas été réglés. Dans les circonstances, je suis tenue de tenir l’audience relative à la libération du failli en fonction des faits connus actuellement. À l’heure actuelle, l’ARC a une responsabilité éventuelle qui ne peut appeler l’application de l’article 172.1 de la LFI.

[...]

En ce qui a trait à ses dettes envers l’ARC, le failli a déposé des avis d’opposition et des avis d’appel dans les délais prescrits. Inexplicablement, l’ARC a pris plus de 20 ans à transmettre les avis de ratification. Dans l’intervalle, le failli a continué de demander des déductions relatives aux abris fiscaux, qui se rattachaient, dans certains cas, à des investissements ayant procuré des avantages fiscaux pendant de nombreuses années. Le failli a déclaré qu’il avait tenté, en vain, d’effectuer un suivi au sujet des avis d’opposition au cours des années subséquentes.

[...]

[18]        Le juge McEwen de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, par une brève explication, a rejeté, le 8 décembre 2014, la requête en annulation de l’ordonnance de la protonotaire Jean, présentée par le procureur général du Canada, qui, pour sa part, a libéré M. Schnier de sa faillite malgré les objections de l’intimée.

V. Questions à trancher

[19]        La Cour revient à présent sur la première question qu’elle doit trancher :

A. Un appel interjeté à la Cour canadienne de l’impôt est‑il une chose non possessoire?

[20]        L’intimée présente la requête en annulation de l’appel au titre de l’alinéa 53(3)c) des Règles. Par conséquent, l’intimée a le fardeau de convaincre la Cour que M. Schnier n’a pas la capacité juridique d’introduire ou de continuer l’instance.

[21]        Aux termes de l’article 71 de la LFI, le failli n’a pas la capacité de céder ou autrement aliéner ses biens, qui sont immédiatement dévolus au syndic. La définition du mot « bien » à l’article 2 de la LFI est très large et comprend les « choses non possessoires ». Si l’appel interjeté à la Cour de l’impôt est une chose non possessoire, il s’agit alors d’un bien et le failli n’a pas la capacité de défendre son appel sans l’intervention ou le consentement du syndic.

[22]        En 2000, la Cour d’appel fédérale a conclu à l’occasion de l’affaire Biron c. R, 2002 DTC 6958 (« Biron ») que les biens comprennent tous les droits d'action du failli, sauf ceux de nature personnelle et ceux affectant ses biens insaisissables. La Cour d’appel fédérale a sommairement accepté la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’appelant ne pouvait pas poursuivre son recours en appel sans l’autorisation du syndic, car le failli n’a pas le pouvoir d'ester en justice.

[23]        De même, à l’occasion de l’affaire Lawrence v. R, 2012 TCC 331 (« Lawrence »), la juge V. Miller a conclu que la définition du mot [traduction] « bien » est extrêmement large dans la LFI. Par conséquent, l’appelant, qui était alors un failli non libéré, n’avait pas la capacité de déposer un avis d’opposition, car tous ses droits d’action étaient dévolus au syndic. Dans l’affaire Lawrence, il n’y avait aucune preuve d’approbation, de consentement ou d’acceptation de la part du syndic.

[24]        S’appuyant sur la jurisprudence Biron, le juge Bédard, à l’occasion de l’affaire 4028490 Canada Inc. c. R, 2005 CCI 50 (« 4028490 Canada Inc. »), a refusé une demande de prorogation du délai imparti pour déposer un avis d’opposition présentée par un failli non libéré au titre de l’article 304 de la Loi sur la taxe d’accise. Le juge Bédard a conclu que le failli n'avait pas la capacité de présenter la demande. De même, la cour ne disposait de nul élément ressemblant à une approbation du syndic.

[25]        Notre Cour est liée par l’enseignement de portée générale professé par la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Biron. En outre, des décisions subséquentes de la Cour de l’impôt, dont Lawrence et 4028490 Canada Inc, se sont appuyées sur cette jurisprudence. Par conséquent, l’appel interjeté à la Cour de l’impôt est une chose non possessoire et donc un bien au sens de la LFI. En conséquence, le syndic doit, d’une certaine façon, assumer, approuver ou autoriser le dépôt d’un avis d’appel à la Cour de l’impôt. Bien entendu, l’opposition de la part du syndic est fatale et, dans un tel cas, l’appelant doit s’adresser à une cour supérieure conformément à l’article 37 de la LFI afin d’obtenir une ordonnance de cette juridiction permettant au failli d’interjeter appel lorsque le syndic s’oppose à ce qu’un appel soit interjeté.

[26]        La Cour passe maintenant à la deuxième question qu’elle doit trancher :

B. Le syndic a‑t‑il approuvé de façon suffisante l’appel de M. Schnier en matière fiscale?

[27]        Dans ses observations écrites, l’intimée reconnaît que lorsque le syndic permet à l’appelant d’introduire un appel, l’appelant peut le faire. Cependant, en l’absence d’une permission explicite ou dans le cas d’une permission donnée après coup, l’intimée soutient que M. Schnier n’avait pas, et n’a toujours pas, la capacité juridique d’introduire son appel.

[28]        Toutefois, pour que soit accueillie la demande de l’intimée de cassation de l’appel, elle doit convaincre la Cour d’appliquer l’alinéa 53(3)c) des Règles tout en respectant l’article 4 des Règles. Voici que ce qui ressort de la lecture minutieuse de l’alinéa 53(3)c) des Règles (non souligné dans l’original) :

53. (3) À la demande de l’intimé, la Cour peut casser un appel si :

[...]

c) l’appelant n’a pas la capacité juridique d’introduire ou de continuer l’instance.

[29]        De même, je reproduis de nouveau le paragraphe 4(1) des Règles :

4. (1) Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

[30]        Dans l’affaire Garage A.D. Inc. c. R, 2008 CCI 246 (« Garage »), l’intimée a présenté une requête en annulation de l’appel introduit par une société faillie non libérée. La juge Lamarre (tel était alors son titre) a ajourné la requête pour permettre à un actionnaire à 50 % de la société ayant interjeté appel de demander une autorisation au syndic, ou encore d’obtenir une ordonnance d’un tribunal de la faillite (sans doute au titre de l’article 37 de la LFI). Cela impliquait manifestement que si le syndic autorisait l’actionnaire à 50 % à agir à titre de mandataire de la société ayant interjeté appel, cet actionnaire pourrait continuer l’appel.

[31]        Dans la décision Garage, rien n’indique que la société ayant interjeté appel devait avoir la capacité juridique pour introduire l’appel. Il semblait plutôt qu’il suffisait d’obtenir la capacité juridique (autorisation du syndic) pour continuer l’appel.

[32]        Là encore, l’alinéa 53(3)c) est la disposition pertinente d’où la Cour tire son pouvoir discrétionnaire. Il permet à la Cour de mettre fin à l’appel de M. Schnier de manière décisive en s’appuyant sur une mesure discrétionnaire et procédurale demandée par l’intimée. Ce texte est simple et clair. Pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et casse l’appel aux termes de cet alinéa des Règles, M. Schnier doit ne pas avoir la capacité juridique d’introduire ou de continuer son appel. L’intimée fait fi du mot « continuer » et concentre son analyse sur le terme « introduire ». Ceci ressort des observations écrites de l’intimée, qui font référence au terme « introduire », mais pas au terme « continuer ». Toutefois, cet alinéa des Règles est formulé de manière disjonctive. Même si M. Schnier n’avait pas la capacité juridique d’introduire son appel, il peut avoir obtenu, en application des Règles, la capacité juridique de le continuer de la manière exposée ci‑dessous.

[33]        Dans une lettre adressée à l’ARC, datée du 4 novembre 2013, le syndic affirme qu’il estime que [traduction] « M. Schnier a agi correctement lorsqu’il a déposé son avis d’appel... ». Dans une autre lettre adressée au ministère de la Justice, datée du 21 mars 2014, le syndic affirme qu’il [traduction] « accorde à M. Schnier l’autorisation et la permission de continuer l’appel nunc pro tunc ».

[34]        Concrètement, en l’espèce, le syndic a affirmé que s’il avait su que M. Schnier voulait interjeter appel, il lui aurait expressément donné la permission de le faire ou aurait introduit l’appel. Le syndic s’est clairement exprimé à ce sujet dans la lettre datée du 4 novembre 2013. Il est conforté dans cette conclusion par la permission expresse de continuer l’appel qu’il a accordée le 21 mars 2014.

[35]        En outre, si le syndic s’était opposé à l’introduction de l’appel ou s’il avait refusé d’introduire l’appel, concrètement, nul doute que M. Schnier n’aurait pas eu la capacité juridique visée par l’alinéa 53(3)c) des Règles. Le titulaire à qui le droit a été dévolu aurait évalué que l’actif du failli était à risque ou pouvait l’être et aurait refusé d’accorder son consentement ou son autorisation. M. Schnier aurait alors pu tenter d’obtenir une ordonnance au titre de l’article 37 de la LFI. Toutefois, il est possible de dire que les différentes directives émanant du syndic se rapprochent, dans les faits, beaucoup plus d’une affirmation ou d’un consentement que d’une condamnation ou d’un refus. Compte tenu de cette conclusion, les faits sur lesquels reposent l’appel et la requête en l’espèce sont différents de ceux observés dans le cas où le syndic reste dans l’ignorance (4028490 Canada Inc.), manifeste son opposition (Biron) ou n’administre plus l’actif (Lawrence).

[36]        En l’espèce, le failli a déposé un appel parce qu’il se croyait tenu de le faire. Bien qu’il n’en ait pas alors informé le syndic, il n’a pas intentionnellement caché de l’information au syndic et ne lui a pas non plus fait de fausses déclarations concernant ses actions. Si le syndic accorde ultérieurement la permission au failli, la requête en annulation de l’intimée ne peut être accueillie. L’intimée a le fardeau de la preuve, et l’alinéa 53(3)c) des Règles est d’application discrétionnaire. En outre, aux termes du paragraphe 4(1) des Règles, les Règles doivent recevoir une interprétation assurant la résolution équitable sur le fond de chaque appel de façon expéditive. Une irrégularité procédurale occasionnée par un manque d’attention et une question de délais, expliquée après coup, ne doit pas empêcher la procédure destinée à faire entendre un appel au fond si le syndic approuve à la continuation de l’appel et ne s’y oppose pas.

[37]        De plus, comme l’alinéa 53(3)c) des Règles est d’application discrétionnaire, il s’harmonise avec le paragraphe 4(1) des Règles une fois de plus. Ce paragraphe dispose que la Cour « peut » casser un appel à la demande de l’intimée. Il est possible de soutenir que la Cour n’est pas tenue de casser l’appel même si l’intimée respecte les exigences de forme de l’alinéa 53(3)c) des Règles, mais que la Cour conclut que l’article 4 ou 7 des Règles doivent être invoqués à condition qu’ils ne créent pas de droits matériels : Nicholls c. R, 2012 CAF 243, au paragraphe 6. Le droit d’interjeter appel existe manifestement aux termes de la LIR et de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt. Toutefois, le syndic doit accorder son consentement afin qu’il soit possible de continuer ou de [traduction] « poursuivre » l’appel. Le pouvoir discrétionnaire de casser l’appel ne doit pas être utilisé à la légère. Compte tenu du fait que l’alinéa 53(3)c) des Règles joue de façon discrétionnaire, la Cour peut tenir compte du paragraphe 4(1) des Règles pour décider si elle casse l’appel et exclut l’audition de celui‑ci sur le fond.

[38]        Le mot « capacité » est défini dans la LFI, mais non dans les Règles. M. Schnier peut être considéré comme n’ayant pas la capacité juridique pour l’application de la LFI. En ce qui a trait à la présente requête, la Cour doit rechercher si M. Schnier n’a pas la capacité juridique d’introduire ou de continuer l’appel au sens de l’alinéa 53(3)c) des Règles, et si cette incapacité est suffisante pour que la Cour, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, casse cet appel en matière fiscale. La requête ne concerne pas une ordonnance aux termes de l’article 37, que M. Schnier tente d’obtenir en application de la LFI. Elle concerne la requête en annulation de l’appel présentée par l’intimée en application des Règles de la Cour. Malgré la pertinence du fait qu’un failli non libéré n’a pas la capacité nécessaire sans le consentement ou l’autorisation du syndic aux termes de l’article 71 de la LFI, ce fait ne peut être déterminant. Contrairement à l’article 71 de la LFI, l’alinéa 53(3)c) de la LFI est assujetti au paragraphe 4(1) des Règles et se rapporte directement à la procédure, à la compétence et au pouvoir discrétionnaire de la Cour en ce qui a trait aux appels en matière fiscale.

[39]        Si l’interprétation susmentionnée du critère disjonctif de l’alinéa 53(3)c) était erronée, il serait tout de même possible de soutenir, vu les faits, que M. Schnier a maintenant la capacité juridique en application des Règles de la Cour lui permettant d’avoir introduit l’appel en premier lieu. Il s’agissait d’un failli non libéré (sans « capacité » aux termes de l’article 71 de la LFI) qui n’avait pas obtenu la permission du syndic et qui n’avait pas demandé de permission dès le début. Cependant, le syndic a expliqué qu’il aurait soit déposé l’avis d’appel, soit autorisé M. Schier à le faire. De plus, le syndic a expressément autorisé M. Schnier à continuer l’appel. Il s’agit d’un élément de preuve postérieur solide dont il ressort que le syndic aurait donné son consentement dès le départ s’il avait su qu’il devait le faire aux termes des Règles. Il est possible de soutenir qu’il s’agit d’un consentement implicite rétroactif suffisant pour accorder à M. Schnier la capacité juridique d’introduire l’appel pour l’application des Règles. Rien dans les Règles ou la jurisprudence de la Cour n’indique que l’expression postérieure d’un consentement antérieur est considérée comme insuffisante pour justifier l’application du pouvoir discrétionnaire de la Cour de casser l’appel. L’intimée n’a cité aucune jurisprudence pertinente opposable à la Cour permettant de défendre cette thèse. La jurisprudence se rapporte au refus, à l’ignorance ou à l’opposition de la part du syndic.

[40]        La dévolution du pouvoir au syndic aux termes de l’article 71 de la LFI vise à empêcher le failli non libéré de réduire l’actif ou d’y causer un préjudice. Le syndic est le mieux placé pour protéger et administrer l’actif. Cependant, comme l’a déclaré le syndic lui-même, après avoir effectué sa propre évaluation, le fait d’autoriser M. Schnier à poursuivre la procédure ne peut causer aucun préjudice à l’actif, ou à toute personne concernée pour les deux raisons suivantes : (i) outre les dépens éventuels, le failli libéré ne peut être tenu de payer une autre nouvelle cotisation; (ii) le syndic ne s’y oppose pas : Leith v. Minister of National Revenue, 1970 CarswellNat 46.

VI. Résumé

[41]        Par ces motifs, la requête en annulation présentée au titre de l’alinéa 53(3)c) est rejetée et l’appelant peut continuer son appel devant la Cour au motif qu’il a obtenu l’approbation du syndic. Le paragraphe 44 de la réponse doit être radié en application des présents motifs et de la présente ordonnance.

[42]        Les parties doivent produire une proposition d’échéancier au coordonnateur des audiences au sujet des étapes restantes du litige dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance, sans quoi l’affaire sera renvoyée au présent juge pour audience sur l’état de l’instance.

[43]        Les dépens sont adjugés à l’appelant conformément au tarif sous réserve du droit de chaque partie de présenter d’autres observations écrites dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour de juin 2015.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 15jour de décembre 2015

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 160

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1322(IT)G

INTITULÉ :

PAUL L. SCHNIER ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE:

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE:

Le 7 mai 2015

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 24 juin 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Fred Tayar

Avocat de l’intimée :

Me Gregory Perlinski

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Fred Tayar

Cabinet :

Fred Tayar & Associates

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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