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Dossier : 2011‑3317(IT)G

ENTRE :

Hill Fai Investments Ltd.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus le 26 mai ainsi que les 25 et 26 novembre 2014,

à Ottawa (Ontario).

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Rod A. Vanier

 

Avocate de l’intimée :

Me April Tate

 

JUGEMENT

Les appels interjetés des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition se terminant le 30 septembre 2006, le 30 septembre 2007 et le 30 septembre 2008 sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2015.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de décembre 2015.

François Brunet, réviseur


Référence : 2015 CCI 167

Date : 20150630

Dossier : 2011‑3317(IT)G

ENTRE :

Hill Fai Investments Ltd.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

Introduction

[1]             Notre Cour est saisie d’appels interjetés de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre »), qui a refusé la déduction d’une perte en capital de 382 219,31 $ demandée par l’appelante pour l’année se terminant le 30 septembre 2006, ce qui avait une incidence sur la dette fiscale de l’appelante pour les années d’imposition se terminant le 30 septembre 2005, le 30 septembre 2006, le 30 septembre 2007 et le 30 septembre 2008 (voir les paragraphes 4 à 7 de la réponse modifiée)[1].

[2]             Dans le calcul de son revenu imposable pour l’année se terminant le 30 septembre 2006, l’appelante a soutenu qu’elle avait disposé d’une créance ayant un prix de base rajusté de 382 219,31 $ pour un produit de disposition égal à zéro, ce qui lui aurait fait subir une perte de 382 219,31 $ (réponse modifiée, à l’alinéa 12i)).

[3]             Les livres de comptes de l’appelante indiquaient que cette créance se composait des prêts et avances suivants que l’appelante soutient avoir accordés à Chun Fai Holdings Ltd. (« Chun Fai »), une société affiliée :

a.  Chun Fai Holdings – bien‑fonds

110 000,00 $

 

b.  Chun Fai Holdings – sûreté

3 766,88 $

 

c.  Chun Fai Holdings – intérêts

236 455,25 $

 

d.  Chun Fai Holdings – général

31 997,18 $[2]

 

Total

382 219,31 $

[4]             Hill Fai affirme que les créances sont devenues des créances irrécouvrables au cours de son année d’imposition 2006, lui permettant ainsi d’en disposer aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») et de réclamer des pertes en capital aux termes de l’alinéa 39(1)b) de la LIR.

[5]             L’intimée est d’avis que l’appelante n’a pas disposé d’une créance au sens du paragraphe 50(1) de la LIR et qu’elle ne peut donc pas réclamer les pertes en capital. L’intimée conteste l’existence même des créances ou, à supposer qu’elles aient effectivement existé, elle conteste la possibilité que ces créances puissent être considérées comme étant devenues irrécouvrables. Subsidiairement, l’intimée soutient que, si Hill Fai a effectivement disposé d’une créance au sens du paragraphe 50(1), elle n’a pas acquis la créance en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, et que la perte subie par Hill Fai du fait de la disposition de la créance est donc nulle aux termes de l’alinéa 40(2)g) de la LIR.

[6]             L’intimée expose les motifs à l’appui de sa position aux alinéas 12k) à o) de la réponse modifiée, qui sont ainsi rédigés :

[traduction]

k)         les billets payables par Chun Fai à l’appelante ne produisaient pas d’intérêts;

 l)         les billets payables par Chun Fai à l’appelante n’étaient assujettis à aucune modalité de remboursement particulière;

m)        aucune tentative n’a été faite pour recouvrer les montants que Chun Fai devait à l’appelante avant que celle‑ci soutienne qu’elle avait disposé de la créance;

n)         en date du 30 septembre 2006, l’appelante continuait de détenir une créance hypothécaire de 442 000 $ contre Chun Fai;

o)         l’appelante ne disposait pas de documentation prouvant la source des fonds, l’avance de fonds de l’appelante à Chun Fai ou la disposition de la créance au cours de l’année se terminant le 30 septembre 2006;

[7]             À titre de question secondaire, Hill Fai nie avoir jamais été tenue de donner suite à la demande du ministre, aux stades de la cotisation, de l’opposition ou de l’appel, pour que Hill Fai produise des documents étayant les transactions de prêt pertinentes qui ont mené à la demande de déduction de perte en capital de 2006. Premièrement, Hill Fai affirme qu’elle a déclaré les transactions en 1994 dans les bilans qu’elle a présentés au ministre, et le ministre est donc au courant de ces transactions depuis cette date. Deuxièmement, Hill Fai affirme que la LIR exige seulement que les contribuables conservent des documents pendant six ans, et, puisque les transactions de prêt sont intervenues en 1994, Hill Fai était seulement tenue de conserver des documents jusqu’en 2000.

[8]             L’intimée affirme qu’aux termes des paragraphes 230(1), 230(4) et 230(6) de la LIR, le délai de six ans est calculé à partir de la fin de la dernière année d’imposition à laquelle les documents se rapportent. Puisque Hill Fai a réclamé la déduction des pertes en capital en 2006, l’intimée soutient que le délai a commencé à courir à la fin de l’année d’imposition 2006.

[9]             Compte tenu de ce qui précède, l’intimée est d’avis qu’au cours de l’année d’imposition se terminant le 30 septembre 2006, l’appelante n’a pas subi de pertes en capital visées aux alinéas 39(1)b) et 40(1)b) de la LIR pour 382 219,31 $, et que l’appelante n’a donc le droit de déduire, au titre des articles 3 et 111 de la LIR, aucun montant reporté en résultant dans le calcul de son revenu imposable pour les années d’imposition se terminant le 30 septembre 2005, le 30 septembre 2007 et le 30 septembre 2008.


Les dispositions législatives pertinentes

Loi de l’impôt sur le revenu

L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)

39 (1) Sens de gain en capital et de perte en capital – Pour l’application de la présente loi :

[...]

b)         une perte en capital subie par un contribuable, pour une année d’imposition, du fait de la disposition d’un bien quelconque est la perte qu’il a subie au cours de l’année, déterminée conformément à la présente sous‑section (jusqu’à concurrence du montant de cette perte qui ne serait pas déductible, si l’article 3 était lu de la manière indiquée à l’alinéa a) du présent paragraphe et compte non tenu du passage « et des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise subies par le contribuable pour l’année » à l’alinéa 3d), dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour toute autre année d’imposition) du fait de la disposition d’un bien quelconque de ce contribuable, à l’exception :

(i)                 d’un bien amortissable;

(ii)        d’un bien visé à l’un des sous‑alinéas 39(1)(a)(i), (ii) [...]

[...]

40 (1) Règles générales – Sauf indication contraire expresse de la présente partie :

[...]

b)         la perte d’un contribuable résultant, pour une année d’imposition, de la disposition d’un bien est :

(i)    en cas de disposition du bien au cours de l’année, l’excédent éventuel du total du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable, immédiatement avant la disposition, et des dépenses dans la mesure où celles‑ci ont été engagées ou effectuées par lui en vue de réaliser la disposition sur le produit de disposition du bien qu’il en a tiré,

(ii)   dans les autres cas, nulle.


40 (2) Restrictions – Malgré le paragraphe (1),

[...]

g)         est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d’un bien (à l’exclusion, pour ce qui est du calcul du surplus exonéré ou du déficit exonéré, du surplus hybride ou du déficit hybride et du surplus imposable ou du déficit imposable du contribuable relativement à un autre contribuable, dans le cas où le contribuable ou, si celui‑ci est une société de personnes, son associé est une société étrangère affiliée de l’autre contribuable, d’un bien qui est un bien exclu, au sens du paragraphe 95(1), du contribuable ou le serait si celui‑ci était une société étrangère affiliée de l’autre contribuable), dans la mesure où elle est :

(i)    une perte apparente,

(ii)   une perte résultant de la disposition d’une créance ou d’un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (qui n’est pas un revenu exonéré) d’une entreprise ou d’un bien, ou en contrepartie de la disposition d’une immobilisation en faveur d’une personne avec qui le contribuable n’avait aucun lien de dépendance,

[...]

50 (1) Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d’une société en faillite – Pour l’application de la présente sous‑section, lorsque, selon le cas :

a)         un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition (autre qu’une créance qui lui serait due du fait de la disposition d’un bien à usage personnel) s’est révélée être au cours de l’année une créance irrécouvrable;

[...]

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l’action à la fin de l’année pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l’année à un coût nul, à condition qu’il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l’année, pour que le présent paragraphe s’applique à la créance ou à l’action.

Généralités

230 (1) Livres de comptes et registres  Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (y compris un inventaire annuel, selon les modalités réglementaires) à son lieu d’affaires ou de résidence au Canada ou à tout autre lieu que le ministre peut désigner, dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

[...]

(4) Durée de conservation – Quiconque est requis, sous le régime du présent article, de tenir des registres et livres de comptes doit conserver :

a)         les registres et livres de comptes, de même que les comptes et pièces justificatives nécessaires à la vérification des renseignements contenus dans ces registres et livres de comptes, dont les règlements prévoient la conservation pour une période déterminée;

b)         tous les autres registres et livres de comptes mentionnés au présent article de même que les comptes et pièces justificatives nécessaires à la vérification des renseignements contenus dans ces registres et livres de comptes pendant les six ans qui suivent la fin de la dernière année d’imposition à laquelle les documents se rapportent.

[...]

(6) Exception : opposition ou appel – Une personne tenue par le présent article de tenir des registres et livres de comptes et qui signifie un avis d’opposition ou est partie à un appel devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu de la présente loi doit conserver les registres, livres de comptes, comptes et pièces justificatives nécessaires à l’examen de l’opposition ou de l’appel jusqu’à l’expiration du délai d’appel prévu à l’article 169 en cas de signification d’un avis d’opposition, ou, en cas d’appel, jusqu’au prononcé sur l’appel et sur tout autre appel en découlant ou jusqu’à l’expiration du délai prévu pour interjeter cet autre appel.

Faits

[10]        Il n’est pas controversé entre les parties qu’à toutes les époques pertinentes, Gilbert Tam et son épouse, Swallow Tam, détenaient chacun 50 pour cent des actions en circulation de Hill Fai. Ils détenaient aussi chacun 25 pour cent des actions en circulation de Chun Fai, et Swallow Tam détenait le reste des actions en circulation (50 %) en fiducie pour Gordie Tam (réponse modifiée, alinéas 12a), b) et c)). Hill Fai et Chun Fai sont donc des personnes affiliées au sens du sous‑alinéa 251.1(1)c)(iii) de la LIR.

[11]        En 1985, Hill Fai a acheté une propriété située au 673‑679, rue Somerset, à Ottawa. La propriété comprenait un bâtiment et un lot adjacent. Gilbert Tam a témoigné que la propriété avait ensuite été divisée afin que le lot vacant puisse être développé, et Chun Fai a été constituée en personne morale à cette fin en 1992[3]. L’intimée a contesté la réalité de cette division, mais il n’est pas controversé entre les parties qu’en 1994, Hill Fai était propriétaire du 673‑679, rue Somerset, tandis que Chun Fai était propriétaire du 681‑685, rue Somerset, soit la propriété comportant le lot vacant.

[12]        Chun Fai a entrepris la construction d’un bâtiment sur sa propriété, en espérant tirer des revenus de la location d’unités à des locataires. Elle a ouvert une marge de crédit de 450 000 $ auprès de la Banque Toronto‑Dominion (« la TD »), et soit M. et Mme Tam ou soit M. Tam seul ont garanti la marge de crédit.

[13]        En 1994, Hill Fai a contracté un prêt hypothécaire de 450 000 $ auprès de la TD, en consentant une hypothèque à la TD sur sa propriété de la rue Somerset. Hill Fai affirme qu’elle a ensuite prêté ces fonds à Chun Fai. M. Tam et M. K. Eapen Koshy, le comptable dont Hill Fai avait retenu les services pour préparer les déclarations de revenus de 2006 de la société, ont affirmé dans leurs témoignages respectifs que le prêt avait été accordé pour plusieurs raisons, dont les suivantes : M. Tam voulait rembourser la marge de crédit ouverte auprès de la TD, puisqu’il l’avait garantie personnellement; la situation financière de Chun Fai ne permettait pas à celle‑ci d’emprunter elle‑même les fonds de la banque; les fonds étaient nécessaires pour aider à parachever la construction du bâtiment; Hill Fai pouvait obtenir un meilleur taux d’intérêt de la banque que Chun Fai, puisque Hill Fai était en meilleure santé financière que Chun Fai[4].

[14]        Dans les notes complémentaires aux états financiers de Chun Fai pour son année se terminant le 31 mai 1995[5] et les notes complémentaires aux états financiers de Hill Fai pour son année se terminant le 30 septembre 1996[6], il est dit que le prêt de 450 000 $ que Hill Fai a consenti à Chun Fai ne porte pas intérêt et n’est assujetti à aucune modalité de remboursement particulière. Toutefois, M. Tam a affirmé dans son témoignage que le taux d’intérêt applicable à ce prêt était supérieur de deux pour cent au taux que Hill Fai payait à la TD sur le prêt hypothécaire. Puisque le taux d’intérêt sur le prêt hypothécaire était le taux préférentiel plus deux ou trois pour cent, le taux d’intérêt sur le prêt que Hill Fai avait consenti à Chun Fai aurait été le taux préférentiel plus quatre ou cinq pour cent[7]. L’intimée conteste la thèse selon laquelle Hill Fai aurait exigé quelque intérêt que ce soit de Chun Fai sur le prêt.

[15]        En plus du prêt de 450 000 $, Hill Fai affirme qu’elle a également transféré un bien‑fonds à Chun Fai en 1994 et que, concernant ce transfert, elle a acquis une créance de 110 000 $ contre Chun Fai. Dans les états financiers de 1996 de Hill Fai, il est dit que ce prêt lui non plus ne porte pas intérêt et n’est assujetti à aucune modalité de remboursement particulière[8].

[16]        En tout, Hill Fai affirme qu’elle a prêté ou avancé 560 000 $ à Chun Fai en 1994.

[17]        Lorsque le bâtiment de Chun Fai est devenu habitable, Chun Fai a eu des difficultés à trouver des locataires, et elle a commencé à essuyer des pertes. En 2002, selon ses états financiers pour cette année‑là[9], elle avait un passif total d’environ 1,3 million de dollars et des actifs d’environ 918 000 $. Elle avait mis sa propriété en vente aux environs de 2000 ou 2001, mais elle a seulement réussi à la vendre en 2003, au prix de 623 442 $[10].

[18]        M. Tam a témoigné qu’après que d’autres créanciers titulaires d’hypothèques grevant la propriété de Chun Fai eurent été payés[11], Chun Fai avait employé le produit net de la vente (au montant d’environ 419 000 $) pour rembourser d’autres créanciers que Hill Fai, parce que ces créanciers exigeaient des taux d’intérêt plus élevés que Hill Fai[12]. M. Tam a affirmé dans son témoignage qu’après que Chun Fai eut vendu sa propriété, elle avait mis fin à ses activités. Selon les états financiers de Chun Fai pour l’année se terminant en 2004[13], Chun Fai avait un passif d’environ 736 000 $ et un actif d’environ 2 000 $. Les dettes envers Hill Fai demeuraient impayées.

Points en litige

[19]        Voici les points en litige dans le présent appel :

1.       Est‑ce que Hill Fai a disposé de créances totalisant 382 219,31 $ au cours de son année d’imposition 2006 au sens du paragraphe 50(1) de la LIR, de sorte qu’elle a le droit de réclamer la déduction de pertes en capital liées à ces créances?

2.       Subsidiairement, est‑ce que Hill Fai a acquis les créances en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien au sens du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR?

3.       Selon les paragraphes 230(1), 230(4) et 230(6) de la LIR, à quel moment Hill Fai a‑t‑elle cessé de devoir conserver des documents relatifs aux transactions de prêt et à la demande de déduction de pertes en capital?

Analyse

Premier point en litige : disposition des créances au sens du paragraphe 50(1)

[20]        Selon l’alinéa 50(1)a), le contribuable (Hill Fai) peut choisir d’être réputé avoir disposé d’une créance qu’il a établi être devenue une créance irrécouvrable au cours de l’année. Lorsque le contribuable fait ce choix, il est réputé avoir disposé de la créance pour un produit nul et l’avoir ensuite acquise à un coût nul. Le contribuable peut alors demander la déduction d’une perte en capital au titre de l’alinéa 39(1)b), puisqu’il a disposé de la créance pour un produit nul.

[21]        Il ne semble pas controversé entre les parties que le contribuable a fait un choix régulier. M. Koshy a témoigné qu’il avait fait le choix[14], et l’intimée n’a pas contesté cette affirmation.

[22]        Pour satisfaire aux exigences du paragraphe 50(1), puis demander la déduction d’une perte en capital en vertu de l’alinéa 39(1)b), Hill Fai doit établir les éléments suivants :

a.     elle avait des créances de 382 219,31 $ exigibles de Chun Fai;

b.      les créances sont devenues irrécouvrables en 2006[15].

a)      Est‑ce que Chun Fai devait le montant des créances invoquées par Hill Fai?

[23]        Hill Fai doit d’abord établir quels montants elle a prêtés à Chun Fai. Les parties sont complètement en désaccord quant à savoir si ces créances existaient : Hill Fai affirme qu’elle a prêté les fonds à Chun Fai, tandis que l’intimée affirme qu’aucune dette semblable n’était due.

[24]        Avant de rechercher si chacune des dettes précises invoquées par Hill Fai lui était effectivement due, il vaut la peine d’examiner la preuve générale que Hill Fai a présentée au procès.

Témoins

[25]        Hill Fai a cité deux témoins. Le premier était M. Koshy, dont Hill Fai a retenu les services pour la première fois en 2007 pour préparer les déclarations de revenus de 2006 de la société. M. Koshy a témoigné que, [traduction] « par voie de conséquence », ses services avaient également été retenus par Chun Fai pour établir les déclarations de revenus de cette dernière. Lorsqu’il a préparé ces déclarations de revenus, M. Koshy a dû se fier au travail de deux personnes qui avaient préparé les déclarations de revenus antérieures de Hill Fai et de Chun Fai : Hubert Joy, aujourd’hui décédé, un comptable général accrédité qui avait apparemment préparé les déclarations de revenus des sociétés de 1993 à 1996, période au cours de laquelle les prêts de 1994 avaient été consentis à Chun Fai; Karl von Bloedau, un comptable qui avait été le prédécesseur de M. Koshy aux dossiers. Bien que la question ne soit pas claire de savoir aussi bien quand M. von Bloedau a commencé à préparer les déclarations de revenus des sociétés que quand il a cessé de le faire, M. Koshy a témoigné qu’avant lui, c’était M. von Bloedau qui s’était occupé des dossiers.

[26]        M. Koshy a affirmé dans son témoignage que M. Joy était décédé au moment où lui‑même avait été engagé, de sorte qu’il n’avait jamais eu l’occasion de discuter des dossiers avec M. Joy. M. Koshy a également affirmé qu’il avait tenté de rencontrer M. Bloedau pour obtenir des renseignements au sujet des dossiers, mais que M. Bloedau avait refusé de lui fournir quelque assistance ou quelque document que ce soit. La seule chose que M. Bloedau a fournie était un disque contenant des données. M. Koshy n’a pas tenté de communiquer de nouveau avec M. Bloedau, et il a dit que celui‑ci avait fait tout au plus de la tenue de comptes simple, et c’était tout ce que M. Koshy avait pu utiliser des produits du travail de M. Bloedau.

[27]        M. Koshy semblait réticent à admettre que les états financiers qu’il avait dressés, et qui avaient mené à la demande de déduction de pertes en capital, n’étaient peut‑être pas fiables, à cause d’un manque de documentation source ou parce que les documents produits par les comptables précédents n’étaient pas eux‑mêmes fiables. M. Koshy a affirmé qu’il avait interviewé M. et Mme Tam, qu’il avait rencontré leur avocat, qu’il avait examiné autant de documents que possible et qu’il avait fait de son mieux. Il a admis, toutefois, qu’il n’y avait pas de conventions de prêt ni de billets à ordre. Étant donné que M. Koshy n’était pas le comptable inscrit au dossier lorsque les transactions de 1994 ont eu lieu, qu’il n’avait eu presque aucun contact avec les comptables précédents et qu’il n’était entré au service de Hill Fai qu’à l’époque des déclarations de revenus de 2006, il est tout au plus l’interprète de la plupart des documents et faits originaux qui ont amené Hill Fai à demander la déduction des pertes en capital en question. Par conséquent, je suis d’avis de n’accorder que peu de poids à son témoignage concernant les faits qui ont précédé la production des déclarations de revenus de 2006.

[28]         L’autre témoin principal de Hill Fai était M. Tam. M. Tam était le président de Hill Fai et de Chun Fai, et il était également un actionnaire et administrateur des deux sociétés. À plusieurs occasions, il a été difficile d’apprécier le témoignage de M. Tam parce qu’il semblait avoir du mal soit à comprendre les questions qui lui étaient posées ou soit à communiquer une réponse. Il a témoigné qu’il maîtrisait suffisamment bien l’anglais pour communiquer, mais, bien des fois, soit il a affirmé expressément qu’il ne comprenait pas les questions, ou soit il n’a pas semblé s’apercevoir qu’on lui demandait de fournir une réponse. Certaines questions simples ont dû lui être répétées parce qu’il ne les comprenait pas. À d’autres occasions, son témoignage contredisait les réponses qu’il avait données lors de son interrogatoire préalable. Il est difficile de dire si les contradictions étaient le résultat d’une barrière linguistique, de souvenirs erronés ou d’autres facteurs. J’hésite donc à attribuer un poids important au témoignage de M. Tam, particulièrement lorsqu’il a pu y avoir des contradictions avec son autre témoignage de vive voix ou avec la preuve documentaire.

Preuve documentaire

[29]        Il est sans doute utile, tout d’abord, de relever les éléments de preuve documentaire n’ont pas été présentés au procès. M. Koshy et M. Tam ont affirmé dans leurs témoignages respectifs qu’aucune convention de prêt ni aucun billet à ordre n’avaient été faits par écrit relativement aux créances, de sorte qu’aucun n’a pu être produit en preuve. Ils ont également témoigné qu’ils avaient demandé à la TD de leur fournir des copies de chèques annulés, de la demande de prêt hypothécaire de Hill Fai auprès de la TD et de documents relatifs à la vente de sa propriété par Chun Fai en 2003, mais que les documents avaient été détruits.

[30]        Les principaux éléments de preuve documentaire qui ont été produits à l’appui de l’existence des créances – et pratiquement les seuls – étaient divers états financiers de Hill Fai et de Chun Fai. Ces états financiers avaient tous été dressés soit par M. Joy ou par M. von Bloedau. Les états financiers dressés par M. Joy n’étaient pas vérifiés, mais ils étaient plus complets que ceux de M. von Bloedau, qui n’étaient pas vérifiés non plus[16] et qui consistaient essentiellement en un bilan et un état des résultats. L’avocate de l’intimée a démontré qu’il y avait certaines divergences entre différents documents de M. von Bloedau ainsi qu’entre ces documents et ceux de M. Koshy[17]. M. Koshy a convenu lors de son témoignage qu’il semblait y avoir des erreurs dans ces documents[18]. Il a également admis qu’il avait pris les documents et les données de M. von Bloedau comme point de départ pour son propre travail, et il a affirmé que, bien que cela ait été un [traduction] « mauvais point de départ », il avait dû utiliser ces documents et ces données jusqu’à un certain point afin de préparer les déclarations de revenus de 2006[19].

[31]        Je note également que les états financiers de Hill Fai pour son année se terminant le 30 septembre 1995 n’ont pas été présentés en preuve, malgré le fait que ses états financiers pour 1993, 1994 et 1996 aient été présentés. Les états financiers pour 1995 auraient été utiles afin d’assurer la continuité entre les états financiers précédents et subséquents de Hill Fai et de permettre la comparaison des états financiers de Hill Fai et de ceux de Chun Fai afin que l’on puisse voir de quelle manière chaque entité avait fait les entrées pertinentes.

[32]        En ce qui concerne les déclarations préparées par M. Koshy, son témoignage tendait à démontrer qu’il avait procédé à l’examen de tous les documents et de toutes les sources d’information disponibles. Toutefois, ses efforts avaient été minés par le fait qu’il n’avait pas pu parler à M. Joy et n’avait pu avoir aucune conversation utile avec M. von Bloedau, et il n’avait disposé d’aucune convention de prêt ni d’aucun chèque annulé, billet à ordre ou autres documents sources avec lesquels travailler. De son propre aveu, M. Koshy se fiait au travail médiocre effectué par M. von Bloedau. Lorsqu’il lui a été demandé comment il en était arrivé à la demande de déduction de pertes en capital de 382 219,31 $ dans la déclaration de revenus de 2006 de Hill Fai, M. Koshy a répondu que ce montant était fondé sur les vérifications effectuées par son cabinet, les états financiers de Hill Fai et de Chun Fai et ses discussions avec l’avocat de Hill Fai[20]. À mon avis, compte tenu des éléments de preuve relatifs à la documentation qui était disponible, cela ne constitue pas un fondement solide pour la demande de déduction.

[33]        Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis de n’accorder que peu de poids aux documents de M. von Bloedau et à ceux de M. Koshy. Plusieurs erreurs ont été relevées dans les documents de M. von Bloedau, et, bien que M. Koshy semble avoir préparé les documents avec diligence, il a dû se fier à une documentation médiocre ou composer avec l’absence de documents comme point de départ. Je suis d’avis d’accorder un certain poids aux documents de M. Joy, puisqu’ils ont été préparés à l’époque des faits en cause. Toutefois, puisque M. Joy est décédé, il n’était évidemment pas disponible pour témoigner et expliquer les chiffres et les notes contenus dans les états financiers qu’il avait dressés de 1993 à 1996. En outre, les états financiers dressés par M. Joy posent le même problème que tous les autres états financiers : aucune documentation source n’a été produite en preuve à l’appui des chiffres qui y figurent.

[34]        Le seul autre document quelque peu pertinent était la résolution des administrateurs de Hill Fai datée du 16 septembre 1994 autorisant la TD à inscrire une hypothèque de 450 000 $ sur la propriété de Hill Fai située sur la rue Somerset[21]. Toutefois, ce document vaut seulement comme preuve du prêt hypothécaire que la TD a consenti à Hill Fai; il ne tend nullement à établir l’existence de créances fondant la demande de déduction de pertes en capital de 382 219,31 $.

[35]        J’examinerai maintenant tour à tour chacune des créances alléguées pour établir si elle a réellement existé.

La demande relative à une créance de 110 000 $ – [traduction] « bien‑fonds »

[36]        Hill Fai allègue que cette créance est née de son transfert d’un bien‑fonds à Chun Fai[22]. Toutefois, la question n’a jamais été élucidée quant à savoir de quel transfert précis il s’agissait. Selon l’hypothèse la plus vraisemblable, il s’agissait de la division de la propriété de Hill Fai qui a mené à la prise en charge par Chun Fai de la partie de la propriété qui correspondait au lot vacant. Toutefois, cela n’a jamais été expliqué le moindrement en détail.

[37]         De plus, Hill Fai n’a produit nulle explication sur la manière dont était née cette créance. Il n’y avait donc aucun élément de preuve quant à la question de savoir s’il s’agissait d’une avance, d’un prêt, de la prise en charge d’un prêt hypothécaire ou de quelque chose d’autre. La première mention dans des états financiers d’une dette de 110 000 $ de Chun Fai envers Hill Fai au titre d’un transfert de bien‑fonds se trouve dans les états financiers de Hill Fai relatifs à son exercice se terminant le 30 septembre 1994[23]. Ces états financiers font état de [traduction] « prêts et avances » à des [traduction] « sociétés associées » de 560 000 $, et une note accompagnant ces états financiers[24] énonce que ce montant est composé d’un prêt hypothécaire de 450 000 $ garanti par une hypothèque grevant la propriété de Chun Fai, que Hill Fai s’est engagée à payer, et d’un solde de 110 000 $ lié au transfert d’un bien‑fonds.

[38]        Toutefois, ces états financiers divergent de manière importante des états financiers de Chun Fai relatifs à son exercice se terminant le 31 mai 1995[25], produits après les états financiers de 1994 de Hill Fai. Ces états financiers indiquent que Chun Fai doit seulement 450 000 $ à Hill Fai[26]; il n’est fait aucune mention d’une dette de 110 000 $ envers Hill Fai. Toutefois, les notes indiquent bel et bien qu’il y a des emprunts privés totalisant 110 000 $ qui ont été contractés auprès de particuliers qui ne sont pas actionnaires de Chun Fai[27]. Puisque Hill Fai n’était pas actionnaire de Chun Fai et qu’elle n’est pas non plus un particulier, il n’y avait aucune dette de 110 000 $ envers Hill Fai d’après ces états financiers. En outre, cette mention, dans les états financiers de 1995 de Chun Fai, d’une dette de 110 000 $ due à des particuliers non actionnaires est une répétition de la même entrée dans les états financiers de Chun Fai relatifs à son exercice se terminant le 31 mai 1994. Les états financiers de Hill Fai et ceux de Chun Fai se contredisent donc directement. Lorsqu’il a été demandé à M. Tam, en contre‑interrogatoire, si la réclamation de Hill Fai au titre d’une créance irrécouvrable de 110 000 $ de Chun Fai était en fait la dette de 110 000 $ que Chun Fai devait à des particuliers non actionnaires, conformément à ce qui était écrit dans les états financiers de Chun Fai, M. Tam a répondu qu’il ne parvenait pas à se souvenir[28].

[39]        Aucun des états financiers de Chun Fai présentés devant la Cour ne comportait la moindre mention spécifique d’une dette de 110 000 $ de Chun Fai envers Hill Fai relativement au transfert d’un bien‑fonds. La réclamation concernant une créance irrécouvrable de 110 000 $ n’a jamais été expliquée dans les témoignages de vive voix. Sa seule mention spécifique pertinente dans les éléments de preuve est celle qui en est faite dans les états financiers de 1994 et de 1996 de Hill Fai. À mon avis, ces éléments de preuve à eux seuls ne suffisent pas pour prouver que Chun Fai devait 110 000 $ à Hill Fai quant au transfert d’un bien‑fonds.

[40]        Je ne puis donc conclure que la créance de 110 000 $ liée à un [traduction] « bien‑fonds » a existé.

La demande relative à une créance de 3766,88 $ – [traduction] « sûreté »

[41]        Pour ainsi dire, nul renseignement n’a été produit à l’appui de l’existence de cette créance. M. Tam a témoigné que Chun Fai n’avait donné aucune sûreté à Hill Fai pour garantir le prêt de 450 000 $ de Hill Fai[29]. La première mention dans les états financiers d’une dette de Chun Fai envers Hill Fai concernant une [traduction] « sûreté » est celle qui figure dans les états financiers de 1996 de Hill Fai, qui indiquent que Hill Fai avait 648 149 $ de prêts et avances à recevoir de Chun Fai[30]. Une note accompagnant les états financiers de 1996 déclare que ce montant se compose d’une série de transactions à finalité spéciale, à savoir :

[traduction]

Financement hypothécaire du bâtiment

 442 000

Transaction relative au transfert d’un bien‑fonds

 110 000

Frais payés relativement à une sûreté

1 192

Intérêts sur le prêt hypothécaire

 94 957

 

 648 149

 

[Non soulignés dans l’original.]

[42]        Aucune autre explication n’a été donnée pour cette demande relative à une créance irrécouvrable, et aucune documentation n’a été présentée pour expliquer ces transactions à finalité spéciale. Étant donné mon appréciation antérieure des états financiers, et compte tenu du manque de renseignements étayant cette créance, je ne puis conclure que la créance de 3766,88 $ relative à une [traduction] « sûreté » a existé.

La demande relative à une créance de 236 455,25 $ – [traduction] « intérêts »

[43]        De toutes les créances irrécouvrables invoquées par Hill Fai, celle‑ci est la moins claire. Les éléments de preuve n’ont jamais permis de savoir si cette créance correspondait aux intérêts que Hill Fai exigeait supposément de Chun Fai sur le prêt de 450 000 $ qu’elle lui avait consenti ou si la créance correspondait au fait que Hill Fai avait simplement pris les coûts de ses paiements d’intérêts à la TD au titre de son emprunt hypothécaire de 450 000 $ et les avait imputés à Chun Fai à titre de prêt ou d’avance. Les éléments de preuve sont contradictoires.

[44]        M. Tam a affirmé dans son témoignage que Hill Fai exigeait des intérêts au taux préférentiel plus quatre ou cinq pour cent sur son prêt de 450 000 $ à Chun Fai[31]. Ce témoignage contredit directement les états financiers de 1995[32] et de 2002[33] de Chun Fai et les états financiers de 1996 de Hill Fai[34], qui déclarent tous que le prêt de 450 000 $ que Hill Fai avait consenti à Chun Fai ne portait pas intérêt et n’était assujetti à aucune modalité de remboursement particulière. Lorsque l’avocate de l’intimée a porté cette contradiction à l’attention de M. Tam et a avancé l’hypothèse que son témoignage antérieur était peut‑être incorrect, il a répondu que tel n’était pas nécessairement le cas, qu’il avait peut‑être tout simplement mal compris la question, qu’il avait tout envoyé à son comptable, et qu’il y avait certaines questions de comptabilité auxquelles il ne pouvait pas répondre[35]. Cela n’inspire pas confiance en son témoignage antérieur selon lequel Hill Fai exigeait des intérêts de Chun Fai.

[45]        L’avocat de Hill Fai a avancé l’hypothèse que des intérêts étaient exigés, mais que Chun Fai n’avait aucune obligation de les payer. Une telle obligation ne naissait, selon son hypothèse, que si Chun Fai réalisait des profits, hypothèse avec laquelle M. Tam s’est dit d’accord. Puisque Chun Fai a seulement essuyé des pertes, elle n’a jamais eu l’obligation de payer des intérêts[36]. Toutefois, cela ne concorde pas avec les notes accompagnant les états financiers de 1995 et de 1996 indiquant que le prêt de 450 000 $ à Chun Fai ne portait pas intérêt. Malgré mes réserves quant à la fiabilité des états financiers de 1995 et de 1996, étant donné l’absence de documentation source, sur la question de savoir si des intérêts étaient exigés, je préfère ces états financiers comme preuve au témoignage de M. Tam, et ce, pour les raisons suivantes : ces états financiers ont été dressés à l’époque des faits; si des intérêts étaient effectivement exigés, mais n’étaient pas dus, les notes auraient pu en faire état. Cependant, au lieu de cela, les états financiers ont toujours indiqué que les prêts consentis à Chun Fai ne portaient pas intérêt. En outre, le témoignage de M. Tam était contradictoire et non fiable.

[46]        La première mention d’une créance liée à des intérêts figure dans les états financiers de 1996 de Hill Fai comme composante du montant de 648 149 $ en prêts et avances de Hill Fai à recevoir de Chun Fai[37]. La note 4 accompagnant ces états financiers énonce que la créance d’intérêts était une des transactions suivantes à finalité spéciale :

[traduction]

Financement hypothécaire du bâtiment

 442 000

Transaction relative au transfert d’un bien‑fonds

 110 000

Frais payés relativement à une sûreté

1 192

Intérêts sur le prêt hypothécaire

 94 957

 

648 149

 

[Non soulignés dans l’original.]

[47]        Il semble ressortir de ce qui précède que la créance d’intérêts correspond tout simplement au montant des frais d’intérêts incombant à Hill Fai au titre de son emprunt hypothécaire auprès de la TD, que Hill Fai réclame de Chun Fai à titre de prêt ou d’avance. D’ailleurs, dans une lettre qu’il a envoyée à un agent d’appel de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») en 2011[38], M. Koshy affirme que le solde d’intérêts de 236 455,25 $ (le montant d’intérêts réclamé dans les présents appels) était l’intérêt que Hill Fai avait payé sur le prêt hypothécaire de la TD que Hill Fai avait pris en charge pour Chun Fai[39].

[48]        M. Koshy a témoigné que Chun Fai n’avait jamais payé aucun intérêt à Hill Fai[40] et qu’il ressortait des documents auxquels il avait eu accès que le calcul et la déclaration des intérêts aussi bien par Hill Fai que par Chun Fai avaient tout simplement cessé après que la dette avait atteint environ 236 000 $[41]. M. Koshy a émis l’hypothèse que, puisque Chun Fai était vraisemblablement incapable de payer des intérêts en raison de sa situation financière, le comptable et les administrateurs des deux sociétés avaient peut‑être décidé de ne pas continuer de calculer la dette[42].

[49]        De toute manière, aucune documentation n’a été produite, hormis les états financiers, tendant à établir l’existence de la créance d’intérêts. Aucun calcul n’a été présenté ni aucun document lié au prêt hypothécaire de la TD, comme des relevés bancaires ou d’autres documents, qui aurait pu corroborer le montant d’intérêts. Je ne puis donc conclure que la créance de 236 455,25 $ au titre des [traduction] « intérêts » a existé.

La demande relative à une créance de 31 997,18 $ – [traduction] « général »

[50]        Encore une fois, il y avait très peu d’éléments de preuve tendant à établir l’existence de cette créance. Ce montant, ou toute créance apparemment liée à ce montant, n’est jamais apparu dans aucun des états financiers.

[51]        La seule explication donnée pour ce montant était une lettre que M. Koshy a adressée à la Division de la vérification de l’ARC en 2008, en réponse à une demande de divers documents de l’ARC, dont des factures liées à la demande de déduction relative de 31 997,18 $[43]. À l’appui de cette demande de déduction, M. Koshy a produit une copie d’un chèque de 30 000,00 $[44]. La note manuscrite accompagnant le chèque semble indiquer que celui‑ci avait été émis pour payer des honoraires d’avocat et une commission à un agent immobilier, mais il n’y a aucun autre élément de preuve. Non seulement le montant du chèque ne correspond‑il pas à la somme de 31 997,18 $, mais le chèque même ne fournit aucune précision concernant le montant [traduction] « général » même ni ce à quoi il se rapporte. L’avocat de Hill Fai n’a jamais présenté d’éléments de preuve démontrant ce que cette créance représentait.

[52]        L’avocate de l’intimée a relevé en outre qu’une balance de vérification relative à l’exercice 2006 produite par M. Koshy[45] indiquait que le montant [traduction] « général » semblait être 38 878,56 $[46]. M. Tam a convenu en contre‑interrogatoire qu’il y avait une erreur dans la balance de vérification[47], ce qui rend cette créance d’autant plus douteuse.

[53]        Compte tenu de ce qui précède, je ne puis conclure que la créance [traduction] « générale » de 31 997,18 $ a existé.

Conclusion

[54]        Hill Fai n’a pas réussi à produire des éléments de preuve suffisants pour démontrer l’existence des créances totalisant 382 219,31 $ dont elle demande la déduction à titre de pertes en capital.

[55]        D’ailleurs, tel semble avoir été le cas depuis que l’ARC a commencé à vérifier le présent dossier. Lorsqu’un agent d’appel de l’ARC a demandé en 2011 à M. Koshy de lui fournir de la documentation justificative, dont des factures et des copies de contrats[48], relativement à chacune des demandes, M. Koshy a répondu que les comptes avaient été créés par l’ancien comptable (vraisemblablement M. von Bloedau), qui refusait de coopérer. En conséquence, il concluait que [traduction] « les détails concernant ces montants précis [n’étaient] pas disponibles » [49].

[56]        M. Tayub Abdul, vérificateur de l’ARC, qui a pris en charge le dossier de Hill Fai à un certain point, a témoigné qu’il n’y avait jamais eu aucune documentation source tendant à établir les créances consignées dans les états financiers. M. Abdul a admis en contre‑interrogatoire qu’à certaines occasions, il avait fait droit à une demande de déductions sans documentation source parce que la demande était raisonnable. Toutefois, il a ajouté que les demandes de Hill Fai n’étaient pas raisonnables parce qu’il n’y avait pas de continuité dans les états financiers. Je retiens cette appréciation. Les états financiers produits en preuve n’ont jamais semblé concorder entre eux, et aucune autre documentation n’a été présentée au soutien des créances précises qui avaient amené Hill Fai à faire sa demande de déduction pour pertes en capital. Par conséquent, Hill Fai n’a pas réussi à prouver que Chun Fai lui devait ses dettes totalisant 382 219,31 $.

b)      Les créances sont‑elles devenues irrécouvrables en 2006?

[57]        Étant donné ma conclusion selon laquelle Hill Fai ne m’a pas convaincue de l’existence des créances totalisant 382 219,31 $, il n’est pas nécessaire de passer à la deuxième étape et d’établir si les créances sont devenues irrécouvrables en 2006.

Conclusion

[58]        Hill Fai n’a pas réussi à démontrer qu’elle avait disposé d’une créance au sens de l’alinéa 50(1)a) de la LIR.

Deuxième point en litige : la thèse subsidiaire de l’intimée

[59]        Il n’est pas non plus nécessaire d’analyser la question subsidiaire de savoir si les créances irrécouvrables alléguées ont été contractées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien au sens du sous‑alinéa 40(2)g)(ii). Hill Fai n’est donc pas admissible à demander une déduction pour pertes en capital totalisant 382 219,31 $ aux termes de l’alinéa 39(1)b) de la LIR.

Troisième point en litige : selon les paragraphes 230(1), 230(4) et 230(6) de la LIR, à quel moment Hill Fai a‑t‑elle cessé de devoir conserver des documents relatifs aux transactions de prêt et à la demande de déduction de pertes en capital?

[60]        Le paragraphe 230(1) de la LIR exige que les contribuables conservent des registres pour l’application de la LIR.

[61]        Le paragraphe 230(4) de la LIR exige que les livres de comptes et registres soient conservés pendant les six ans qui suivent la fin de la dernière année d’imposition à laquelle les documents se rapportent.

[62]        Enfin, le paragraphe 230(6) de la LIR dispose :

230. (6) Une personne tenue par le présent article de tenir des registres et livres de comptes et qui signifie un avis d’opposition ou est partie à un appel devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu de la présente loi doit conserver les registres, livres de comptes, comptes et pièces justificatives nécessaires à l’examen de l’opposition ou de l’appel jusqu’à l’expiration du délai d’appel prévu à l’article 169 en cas de signification d’un avis d’opposition, ou, en cas d’appel, jusqu’au prononcé sur l’appel et sur tout autre appel en découlant ou jusqu’à l’expiration du délai prévu pour interjeter cet autre appel.

[63]        Le paragraphe 248(1) de la LIR définit « registre » comme comprenant les factures et « toute autre chose renfermant des renseignements » :

248. (1) « registre » Sont compris parmi les registres les comptes, conventions, livres, graphiques et tableaux, diagrammes, formulaires, images, factures, lettres, cartes, notes, plans, déclarations, états, télégrammes, pièce justificatives et toute autre chose renfermant des renseignements, qu’ils soient par écrit ou sous toute autre forme.

[64]        La question à trancher dans le présent appel est donc de savoir à quelle année les registres relatifs à la transaction de prêt « se rapportent » : 1994, comme l’a soutenu Hill Fai, ou 2006, comme l’a soutenu l’intimée?

[65]        À l’occasion de l’affaire Tibilla c La Reine[50], il a été jugé que le délai de six ans commençait à courir non pas à la date à laquelle à laquelle le fait s’est produit, mais plutôt à la date à laquelle le contribuable a présenté sa demande. Dans l’affaire Tibilla, le contribuable avait acheté et rénové un immeuble locatif en 2002. Il avait vendu l’immeuble en 2007 et avait fait l’objet d’une vérification relative à ses gains en capitaux en 2010. Il soutenait que la période de six ans durant laquelle il était tenu de conserver les documents justificatifs relatifs aux dépenses de rénovation avait commencé en 2002. Cette interprétation a été jugée incorrecte, et la Cour a jugé que le délai de six ans commençait à courir à la date à laquelle les dépenses étaient réclamées. Dans cette affaire, les dépenses avaient été réclamées en 2007 afin de réduire le gain en capital réalisé lors de la vente de l’immeuble locatif. L’interprétation de la Cour était fondée sur le contexte du paragraphe 230(4) :

La mention qui est faite de l’expiration du délai de six ans qui suit la fin de la dernière année d’imposition à laquelle se rapportent les livres de comptes et les registres doit être interprétée au regard du contexte. En l’espèce, je suis d’avis que, bien que les dépenses aient été engagées en 2002, la dernière année d’imposition à laquelle les pièces justificatives se rapportent est celle dans laquelle l’appelant a déduit les dépenses en vue de réduire son gain en capital, qu’il a réalisé en 2007. De ce fait, on ne pouvait pas détruire les pièces justificatives avant la plus tardive des deux dates suivantes : l’expiration du délai de six ans après 2007 (paragraphe 230(4)) ou la date du prononcé final sur son appel (paragraphe 230(6)).[51]

[66]        En appliquant la jurisprudence Tibilla aux présents appels, il s’ensuit que le fait fiscal pertinent est survenu en 2006, lorsque Hill Fai a demandé la déduction de 382 291,31 $ au titre de pertes en capital. Aux termes du paragraphe 230(4), Hill Fai était donc tenue de conserver les registres pertinents pendant six ans à compter de la fin de son année d’imposition 2006.

[67]        En outre, aux termes du paragraphe 230(6), Hill Fai était tenue de conserver les registres pertinents jusqu’à ce que le présent appel ait fait l’objet d’une décision devenue définitive. La LIR ne comporte donc aucune disposition qui puisse fonder la thèse de Hill Fai selon laquelle celle‑ci n’était pas tenue de conserver les registres pertinents.


Conclusion

[68]        Par tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter les appels avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2015.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de décembre 2015.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 167

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2011‑3317(IT)G

INTITULÉ :

Hill Fai Investments Ltd. c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 mai ainsi que les 25 et 26 novembre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

La juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 juin 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Rod A. Vanier

Avocate de l’intimée :

Me April Tate

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Rod A. Vanier

 

Cabinet :

Landry Vanier

Nepean (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Dans la réponse modifiée, au paragraphe 10, l’intimée a affirmé : [traduction] « Au cours de l’examen du ministre à la suite du dépôt de l’avis d’opposition, l’appelante a demandé au ministre de lui permettre de déduire une autre perte en capital de 442 000 $. » À l’audience, toutefois, l’avocat de l’appelante a affirmé expressément que le seul montant en cause était 382 219,31 $ (transcription, 26 novembre 2014, page 3).

[2]           Il convient de noter que, dans la réponse modifiée, le montant écrit était 31 977,18 $, mais le montant exact – d’après une demande totale de 382 219,31 $ et d’après d’autres documents – est 31 997,18 $.

[3]           La date de constitution en personne morale de Chun Fai figure dans les notes accompagnant ses états financiers pour 1993 à la pièce A‑1, sous l’onglet 5A.

[4]           Transcription du 26 novembre, page 5, lignes 24 à 27.

[5]           Pièce A‑1, sous l’onglet 5C.

[6]           Pièce A‑1, sous l’onglet 3.

[7]           Transcription du 26 mai, page 113, lignes 9 à 18.

[8]           Pièce A‑1, sous l’onglet 3.

[9]           Transcription du 26 mai, de la page 125, ligne 16, à la page 126, ligne 14.

[10]          Transcription du 26 mai, de la page 126, ligne 15, à la page 127, ligne 18.

[11]          La lettre‑rapport de l’avocat de Chun Fai, à la pièce R‑2, sous l’onglet 7, énumère ces hypothèques. La première est exposée à la page 4 de la lettre : 98 922,20 $ sont allés à la TD pour rembourser un prêt antérieur garanti par une hypothèque de premier rang en faveur de la TD. M. Tam a témoigné qu’il s’agissait d’un prêt à une petite entreprise que la TD avait consenti à Chun Fai (voir la transcription du 26 mai, page 128, lignes 15 à 27). La deuxième hypothèque est exposé à la première page non numérotée suivant la page 6 : 75 000 $ à la Banque de développement du Canada (la « BDC »). M. Tam a affirmé que la BDC ne détenait pas d’hypothèque grevant la propriété de Chun Fai, mais qu’elle en détenait une grevant la propriété de Hill Fai. Puisque cette hypothèque était antérieure à la division de la propriété, afin de parachever la vente, Chun Fai avait dû rembourser le prêt hypothécaire consenti par la BDC afin d’obtenir la pleine libération de la parcelle après la division (voir la transcription du 26 mai, de la page 128, ligne 28, à la page 129, ligne 23).

[12]          Transcription du 26 mai, de la page 129, ligne 24, à la page 130, ligne 21.

[13]          Pièce A‑1, sous l’onglet 6B.

[14]          Transcription du 26 mai, page 13, lignes 20 à 28 et page 14, lignes 11 à 15.

[15]          Fisher c La Reine, 2013 CCI 216 (procédure générale) (en appel devant la Cour d’appel fédérale).

[16]          Voir la lettre‑rapport de M. von Bloedau, pièce R‑6.

[17]          Voir, par exemple : (1) la discussion au sujet de la divergence relative au nombre d’actions entre la balance de vérification et le bilan, transcription du 26 mai, de la page 76, ligne 17, à la page 82, ligne 21; (2) l’absence de clarté quant à un prêt hypothécaire de 300 000 $ à recevoir, transcription du 26 mai, de la page 82, ligne 26, à la page 87, ligne 8; et (3) la divergence entre une balance de vérification et un bilan, transcription du 26 mai, de la page 87, ligne 9, à la page 91, ligne 3.

[18]          Transcription du 26 mai, page 100, lignes 3 à 10.

[19]          Transcription du 26 mai, de la page 97, ligne 3, à la page 99, ligne 5.

[20]          Transcription du 26 mai, page 14, lignes 3 à 10.

[21]          Pièce A‑1, sous l’onglet 4.

[22]          Avis d’appel, section A, au paragraphe 5.

[23]          Pièce A‑1, sous l’onglet 2.

[24]          Voir la note 5 de ces états financiers.

[25]          Pièce A‑1, sous l’onglet 5C.

[26]          Voir [traduction] « Prêts payables » dans le bilan et la note 4b).

[27]          Voir [traduction] « Prêts payables » dans le bilan et la note 4a).

[28]          Transcription du 25 novembre, de la page 70, ligne 26, à la page 71, ligne 5.

[29]          Transcription du 25 novembre, page 84, lignes 13 à 19.

[30]          Pièce A‑1, sous l’onglet 3, voir [traduction] « Prêts et avances – sociétés associées » dans le bilan et la note 4.

[31]          Transcription du 26 mai, page 113, lignes 9 à 18.

[32]          Pièce A‑1, sous l’onglet 5C, note 4b).

[33]          Pièce A‑1, sous l’onglet 6A, note 4.

[34]          Pièce A‑1, sous l’onglet 3, note 4.

[35]          Transcription du 25 novembre, de la page 18, ligne 1, à la page 19, ligne 14.

[36]          Transcription du 25 novembre, de la page 89, ligne 25, à la page 90, ligne 12.

[37]          Pièce A‑1, sous l’onglet 3, voir [traduction] « Prêts et avances – sociétés associées » dans le bilan et la note 4.

[38]          Pièce R‑1, sous l’onglet 24.

[39]          Ibid., au troisième paragraphe.

[40]          Transcription du 26 mai, page 23, lignes 17 à 22.

[41]          Transcription du 26 mai, page 22, lignes 23 à 26.

[42]          Transcription du 26 mai, de la page 22, ligne 27, à la page 23, ligne 4.

[43]          Pièce R‑1, sous l’onglet 22.

[44]          Il en a été question dans son témoignage (voir la transcription du 25 novembre, de la page 62, ligne 24, à la page 65, ligne 16). Dans la lettre contenue à la pièce R‑1, sous l’onglet 22, M. Koshy écrit, à la deuxième puce de la première page, qu’il fournit une copie d’un chèque au soutien de la demande; il le note également à la troisième page, sous l’onglet 22, à la section 1D. Le chèque même est produit à la page 115.14.

[45]          Pièce R‑1, sous l’onglet 22, page 115.11.

[46]          Pièce R‑1, sous l’onglet 22, page 115.11, ligne 1224.

[47]          Transcription du 25 novembre, de la page 67, ligne 28, à la page 68, ligne 2.

[48]          Pièce R‑1, sous l’onglet 25, page 1.

[49]          Pièce R‑1, sous l’onglet 24, page 1 de la lettre, au deuxième paragraphe.

[50]          Tibilla c La Reine, 2013 CCI 215 (procédure générale), conf. par 2014 CAF 227.

[51]          Tibilla, CCI, au paragraphe 38.

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