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Dossier : 2014-1420(IT)I

ENTRE :

MARCEL SBROLLINI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 30 juin 2015, à Ottawa, au Canada

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Joseph W.L. Griffiths

Avocat de l’intimée :

Me Paul Klippenstein

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2006 et 2007 de l’appelant est rejeté, sans frais, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juillet 2015.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2015.

M.-C. Gervais


Référence : 2015 CCI 178

Date : 20150710

Dossier : 2014-1420(IT)I

ENTRE :

MARCEL SBROLLINI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1]             Monsieur Sbrollini a interjeté appel à l’encontre de l’établissement de ce que l’on appelle des pénalités pour faute lourde, au titre du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), relativement au revenu non déclaré s’élevant à environ 100 000 $ pour chaque année visée, soit les années 2006 et 2007. L’appel a été entendu à Ottawa sous le régime de la procédure informelle de la Cour.

[2]             Monsieur Sbrollini ne conteste pas la nouvelle cotisation établie à l’égard du revenu non déclaré, seulement des pénalités s’y rapportant. Par conséquent, dans la présente affaire, le fardeau de la preuve incombe au ministre du Revenu national (le « ministre »).

[3]             Seul le contribuable a témoigné; il a appelé à témoigner par la Couronne. Un recueil commun de documents été établi d’un commun accord et produit en preuve.

Les faits

[4]             Marcel Sbrollini est représentant commercial. Lorsqu’il a quitté la société PepsiCo North America après plus d’une décennie au service de cette dernière, il était directeur des ventes et du marketing pour la région du Québec et dirigeait un effectif de 15 personnes. Avant de travailler chez PepsiCo, il a travaillé auprès de Proctor & Gamble pendant environ cinq ans et il y occupait le poste de directeur du développement des affaires responsable du développement des comptes stratégiques lorsqu’il a quitté l’entreprise. Après son départ de PepsiCo, M. Sbrollini a fondé son propre cabinet d’experts-conseils sous la raison sociale de Step‑by‑Step Consulting. (On ne sait pas très bien s’il s’agit d’une entreprise à propriétaire unique ou d’une entité constituée en personne morale.) Au cours des années qui ont suivi son départ de PepsiCo, il a aussi occupé plusieurs postes de direction importants auprès de diverses sociétés, mais les détails au sujet de ces autres activités et intérêts commerciaux sont vagues, étant donné que M. Sbrollini a admis que son profil sur LinkedIn, utilisé par l’avocat de l’intimée pendant l’interrogatoire, avait été délibérément orienté en sa faveur de manière à indument faire valoir qu’il avait une brillante carrière.

[5]             M. Sbrollini est titulaire d’un baccalauréat en commerce de l’Université Concordia, avec majeure en marketing et mineure en finance.

[6]             Aux dires du contribuable, il aurait autogéré avec succès ses propres fonds de placement et les aurait fait fructifiés à hauteur de 2,1 millions de dollars depuis son départ de PepsiCo. Toutefois, après avoir retenu les services d’un courtier en placement, ses placements auraient fondu au point de disparaître complètement. Il a fait faillite un an ou deux plus tard.

[7]             M. Sbrollini affirme avoir prêté, à peu près un an après sa faillite, un montant de 300 000 $ à une entreprise de bûches de foyer appelée Java Logs et exploitée par Java Products Inc. Selon le contribuable, la totalité de cette somme provenait de membres de sa famille et d’amis. Les conditions auxquelles ces derniers auraient avancé les fonds ne sont pas claires du tout. Le prêt consenti à Java Products Inc. a été consigné dans un document établi vers la fin de l’année 2005, une fois que la totalité des fonds avait été avancée.

[8]             Selon l’appelant, on lui aurait diagnostiqué un mélanome en 2006. Toutefois, selon les dossiers de L’Hôpital d’Ottawa produits en preuve, le diagnostic initial de mélanome au stade 2b a été posé en 2004, et le traitement était censé commencer en janvier 2005. Un autre dossier de l’Hôpital d’Ottawa produit en preuve révèle qu’en octobre 2006 le mélanome avait empiré et atteint le stade 2e. Ce dossier révèle également que l’appelant se rendait régulièrement à la clinique du Centre de cancérologie de L’Hôpital d’Ottawa pour des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie, des consultations médicales ou d’autres interventions médicales en 2006, en 2007 et en 2008. Le dossier fait état de quatre rendez-vous en décembre 2006, de 29 en 2007, et de neuf au cours des sept premiers mois de 2008 (le contribuable a produit ses déclarations de revenus pour les années 2006 et 2007 au début août et à la fin juillet 2008, respectivement).

[9]             Lors de la préparation de ses déclarations de revenus pour les années 2006 et 2007, M. Sbrollini a fourni à son comptable une estimation de revenus d’entreprise bruts s’élevant à 12 000 $. Cette estimation n’était pas fondée sur des reçus, des comptes des ventes, des dépôts bancaires, des chèques ou des paiements reçus de ses clients. Il s’agissait simplement, selon ses propres dires, d’un chiffre auquel lui et son comptable étaient arrivés.

[10]        En revanche, le contribuable a détaillé un grand nombre de montants très précis relativement à des dépenses liées à l’utilisation à des fins professionnelles de sa résidence et d’un véhicule, pour arriver à un revenu d’entreprise net nul. En 2006, ses dépenses totales relativement à sa résidence s’établissaient à environ 21 000 $ selon l’annexe accompagnant sa déclaration de revenus (qui n’incluait aucun remboursement de capital) et le total de ses dépenses liées à l’utilisation d’une voiture s’élevait à environ 8 500 $. Il a financé l’achat d’un véhicule neuf de 35 000 $ en 2006.

[11]        Pour l’année 2006, il a déclaré un revenu de 174 $. Il a également inscrit dans cette déclaration que le revenu de son épouse, Heather Pugh, était de 200,49 $. Les revenus figurant dans sa déclaration de revenus pour l’année 2007 étaient tout aussi négligeables.

[12]        Les déclarations de revenus du contribuable pour les années 2006 et 2007 ont fait l’objet d’une vérification par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Les nouvelles cotisations relativement aux revenus non déclarés s’établissaient à environ 210 000 $ pour l’année 2006 et à 170 000 $ pour l’année 2007. À l’étape de l’opposition, des renseignements et des observations supplémentaires ont été fournis à l’ARC, dont au moins une partie a été produite en preuve. De nouvelles cotisations d’un montant beaucoup moins élevé, décrites au début des présentes, ont été établies par la Division des appels de l’ARC.

[13]        Les observations détaillées présentées à l’étape de l’opposition à la Division des appels de l’ARC révèlent que M. Sbrollini avait déclaré des revenus imposables estimatifs dans ses déclarations de revenus et que [traduction] « […] il avait l’intention de rectifier ses déclarations de revenus une fois que sa vie aurait repris un cours normal […] ». Le cabinet comptable du contribuable confirme de plus dans ce document avoir procédé à un examen et à l’analyse des dépôts bancaires du contribuable et conclu que certains dépôts constituaient des revenus d’entreprise du contribuable dont le montant n’avait pas été déclaré par ce dernier. En ce qui a trait à la somme d’environ 175 000 $ pour les années 2006 et 2007, les observations présentées par le contribuable révèlent qu’il convient qu’il s’agit de revenus d’entreprise non déclarés.

Le droit

[14]        Le passage pertinent du paragraphe 163(2) de la Loi dispose ce qui suit :

Faux énoncés ou omissions

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...]

[15]        Cette disposition en matière de pénalité renvoie à l’importance des exigences d’honnêteté et de fidélité requises dans le cadre du régime fiscal canadien d’autodéclaration des revenus. C’est par souci d’équité envers tous les contribuables que de telles pénalités sont prescrites à l’égard de ces personnes sans scrupules qui chercheraient à tirer profit de notre régime d’autodéclaration et qui en enfreignent les règles.

[16]        De telles pénalités sont dûment payables par M. Sbrollini s’il a délibérément, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés ou des omissions dans ses déclarations, ou y participe, y consent ou y acquiesce.  

[17]        En ce qui a trait aux pénalités, il incombe à l’intimée d’établir selon la norme de la « prépondérance des probabilités (plus probable qu’improbable) » que le contribuable a fait un faux énoncé ou une omission et qu’il l’a fait délibérément ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[18]        La faute lourde suppose un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée, une indifférence quant au respect de la loi (Venne v. The Queen, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst.)).

[19]        L’ignorance volontaire se produit lorsqu’une personne qui sait qu’elle doit se renseigner refuse de le faire parce qu’elle préfère ne pas connaître la vérité. Le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commanderaient ou lui imposeraient de s’enquérir de sa situation fiscale, refuse ou néglige de le faire sans raison valable (Panini c. Canada, 2006 CAF 224).

[20]        Dans l’arrêt Lacroix c. Sa Majesté la Reine, 2008 CAF 241, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes en ce qui a trait au fardeau de la preuve incombant à la Couronne au regard de telles pénalités :

32 Qu’en est-il alors du fardeau du ministre? Comment s’en acquitte-t-il? Il se peut que dans certaines circonstances, le ministre soit en mesure de faire une preuve directe de l’état d’esprit du contribuable lorsque ce dernier a produit sa déclaration de revenu. Mais dans la grande majorité des cas, le ministre ne pourra que miner la crédibilité du contribuable, soit par des éléments de preuve qu’il apporte, soit en contre-interrogatoire du contribuable. Dans la mesure où la Cour canadienne de l’impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu’il n’a pas déclaré et que l’explication offerte par le contribuable pour l’écart constaté entre son revenu déclaré et l’accroissement de son actif est non crédible, le ministre s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe 162(3).

33 Comme le dit si bien le juge Létourneau dans Molenaar c. Canada, 2004 CAF 349, 2004 D.T.C. 6688, au paragraphe 4 :

4. À partir du moment où le ministère a établi selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d’un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. Il appartient alors au contribuable d’identifier la source et d’établir la nature non imposable de ses revenus.

[Non souligné dans l’original.]

[21]        Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale, dans les circonstances où la Couronne convainc la Cour, selon le critère de la prépondérance des probabilités, qu’un contribuable a gagné un revenu qu’il n’a pas déclaré, ce dernier doit offrir une explication crédible pour justifier l’écart entre son revenu déclaré et son revenu réel. Il ne suffit pas qu’il présente une explication qui soit possible ou même plausible, car cela augmenterait considérablement le fardeau de la preuve incombant à la Couronne, un fardeau qui n’est certes pas plus lourd que celui du critère de la prépondérance des probabilités. Le fardeau incombant à la Couronne n’est pas plus lourd parce qu’il s’agit d’une question de pénalité ou de degré de culpabilité. Le contribuable doit convaincre la Cour que l’explication offerte pour justifier le fait qu’il n’a pas déclaré le revenu supplémentaire, peu importe la raison, était en soi raisonnable au regard de ce contribuable en particulier et dans les circonstances particulières qui existaient au moment de la production de sa déclaration de revenus, selon la prépondérance de la preuve pertinente à l’explication ainsi offerte.

Analyse

[22]        Dans la présente affaire, le contribuable ne fait pas valoir que les répercussions de son diagnostic de cancer et du traitement connexe ont entravé sa capacité de raisonner ou de fonctionner à un point tel que cela justifiait qu’il n’a déclaré aucun revenu pour chacune des deux années au cours desquelles il a gagné des revenus de l’ordre de 100 000 $. Il soutient plutôt qu’il n’a pas fait de faux énoncé ou d’omission, parce qu’il a réellement gagné des revenus bruts s’élevant à tout au plus 12 000 $, voire à probablement beaucoup moins que cela. Il maintient cela, en dépit du fait qu’il ne conteste pas l’inclusion des revenus non déclarés et malgré la preuve écrite provenant de son propre comptable, qui a été décrite précédemment. Je conclus que, selon la preuve, il a été établi très clairement que ses revenus ont été considérablement sous-déclarés, au moins à hauteur des montants figurant dans les nouvelles cotisations visées par le présent appel. Je conviens avec l’avocat du contribuable que la question à trancher est donc à savoir s’il est crédible de penser que M. Sbrollini avait des motifs raisonnables de croire, au moment où il a produit ses déclarations, qu’il n’avait pas à déclarer les montants supplémentaires qu’il savait avoir reçus et dépensés en 2006 et en 2007, ni qu’il devait en communiquer l’existence de quelque manière dans ses déclarations de revenus.

[23]        M. Sbrollini a témoigné qu’au cours des années en question, il était incapable d’assurer lui-même la prestation des services de conseil à la clientèle de son cabinet d’experts‑conseils Step-by-Step. Afin de respecter ses obligations envers sa clientèle et maintenir son achalandage, il a embauché d’autres conseillers qu’il a chargés d’assurer les services. Il a affirmé qu’il savait qu’il avait reçu environ 40 000 $ de ces clients, mais il soutient néanmoins qu’il croyait qu’il n’était pas obligé d’inclure ces sommes à titre de revenus d’entreprise bruts parce qu’il avait versé l’essentiel de ces sommes à ses conseillers embauchés en sous‑traitance. Je ne puis accepter cette explication comme étant raisonnable ou crédible dans les circonstances. M. Sbrollini a rencontré son comptable au début du processus de préparation de ses déclarations de revenus. Il a affirmé avoir eu une discussion avec son comptable au sujet de la manière dont il fallait estimer ses revenus bruts tirés de l’entreprise d’experts‑conseils dans les circonstances particulières propres à sa situation. Il aurait apparemment dit à son comptable qu’il ne pensait pas que son cabinet d’experts‑conseils avait produit des revenus nets. Il a affirmé que le comptable lui aurait dit d’estimer à 12 000 $ ses revenus tirés chaque année de l’entreprise afin de montrer qu’elle était toujours viable. Cette réponse n’a franchement aucun bon sens et n’est aucunement corroborée. Qui plus est, il semblerait que M. Sbrollini n’a pas mentionné les 40 000 $ en revenus qu’il savait avoir reçus de ses clients, ni les honoraires professionnels qu’il aurait versés à d’autres. Il ne s’est apparemment pas soucié de savoir comment l’estimation de 12 000 $ pouvait être justifiée ou comment elle pouvait concorder avec les 40 000 $ qu’il a effectivement reçus. Il semble également qu’il n’aurait pas mentionné les revenus de 40 000 $ à son comptable lors de la discussion portant sur ses revenus d’entreprise, et qu’il n’aurait pas non plus fait état des paiements versés à des sous-traitants lors de la préparation de la liste détaillée de ses dépenses.  

[24]        Le fait d’avoir omis de faire état des revenus d’entreprise et des dépenses connexes s’est évidemment traduit par l’omission d’inclure les revenus nets découlant de l’entreprise d’experts‑conseils, qu’il a plutôt déclarés comme nuls. Ce fait à lui seul constitue clairement à tout le moins de l’aveuglément volontaire de sa part et de l’indifférence quant à la question de savoir s’il se conformait ou non aux dispositions de la loi. Cela fait également en sorte que son explication n’est ni raisonnable ni crédible.

[25]        La plus grande partie des revenus non déclarés visés par les nouvelles cotisations était constituée de dépôts bancaires réguliers d’environ 8 100 $ ou 8 300 $ par mois. M. Sbrollini a expliqué qu’il savait pertinemment qu’il recevait ces montants, mais a soutenu qu’il s’agissait de versements reçus en remboursement de l’argent prêté à Java Products Inc. Aucune preuve corroborante n’a été présentée afin d’établir qu’il s’agissait bien de la source de ces dépôts. Le rapport produit par le cabinet comptable précise toutefois que celui‑ci conclut que ces dépôts constituaient des revenus d’entreprise et qu’il convient qu’ils n’avaient pas été déclarés. Aucun élément de preuve produit par M. Sbrollini ou provenant d’une autre source n’établit qu’il aurait fait part de ces versements de quelque manière que ce soit à son comptable en 2008 dans le cadre de la préparation de ses déclarations de revenus pour les années 2006 et 2007.

[26]        La convention de prêt d’exploitation est le seul élément de preuve produit afin de corroborer l’existence du prêt à Java Products Inc. Ce document prévoit effectivement le remboursement du prêt au moyen de versements mensuels de 8 100 $ et prévoit également le remboursement d’un montant d’au moins 50 000 $ par année, en plus du versement d’intérêts au taux de 7 %. De toute évidence, le prêt porte intérêt au taux annuel de 7 %. Rien dans la convention ne précise que les versements mensuels constituent un remboursement du capital seulement et n’incluent pas le paiement des intérêts annuels courus sur la somme empruntée. À tout le moins, et même si l’on accepte la version des faits donnée par M. Sbrollini quant à la source de ces paiements – ce qui n’est pas le cas ici – on s’attendrait à ce qu’une personne se trouvant dans la même situation que M. Sbrollini, qui était au courant du prêt et des modalités prévues dans la convention, ait cherché à obtenir des précisions ou des conseils, ou par ailleurs à s’informer au sujet de l’inclusion dans les versements des intérêts courus sur le prêt ou, du moins, du montant des versements affectés au remboursement des intérêts sur le prêt. Or, il semble qu’il n’a rien fait de tout cela. Encore une fois, cela rend son explication ni raisonnable ni crédible eu égard aux circonstances.

[27]        Par ailleurs, la convention de prêt produite en preuve a été conclue entre Java Products Inc. et Step-by-Step Consulting Inc. M. Sbrollini a confirmé qu’il avait constitué en société l’entreprise Step-by-Step Consulting Inc., dont il était l’unique actionnaire. Il a confirmé que cette société avait consenti un prêt à Java Products Inc. et qu’il avait donc droit au remboursement du prêt et aux intérêts courus sur les sommes prêtées. Il a clairement affirmé que c’était bien son intention dès le départ et qu’il ne s’agissait pas d’une erreur quelconque. Pourtant, lors de son témoignage, il a également affirmé que ces versements avaient été déposés tous les mois dans son compte bancaire personnel et qu’il avait employé ces sommes afin de couvrir ses dépenses personnelles ainsi que ses dépenses d’entreprise. Aucune preuve n’a toutefois été présentée afin d’établir ou d’expliquer comment il s’y prenait pour acquitter ces dépenses. Aucune preuve n’a été présentée quant aux salaires, aux prêts à l’actionnaire, aux remboursements, aux dividendes, aux rachats ou aux réductions du capital. Pourtant, il n’a jamais posé de questions à ce sujet à son comptable ni à quelque autre professionnel lors de la préparation de ses déclarations de revenus. Ici encore, cela rend son explication ni crédible ni raisonnable eu égard aux circonstances dont il avait connaissance et dans lesquelles il se trouvait lors de la production de ses déclarations de revenus en 2008.

[28]        M. Sbrollini a expliqué qu’en dépit de ses revenus imposables minimes, son épouse et lui subvenaient à leurs besoins grâce à des prêts et à des dons de la part d’amis et de membres de sa famille. Aucune précision ni quelque pièce justificative que ce soit n’ont été fournies pour corroborer cette affirmation. Invité à apporter des précisions, M. Sbrollini a dit qu’il avait reçu un seul don ou prêt de 1 000 $, que des membres de la famille leur apportaient des provisions et leur donnaient à l’occasion de l’argent pour les aider à payer les versements hypothécaires et que ses beaux-parents avaient permis à son épouse et lui de demeurer avec eux pendant un certain temps (cette période semble être antérieure aux années visées en l’espèce). Cela ne correspond pas à une preuve pouvant constituer une explication crédible et raisonnable pertinente afin de justifier l’écart entre ses revenus déclarés et l’argent dont il pouvait disposer au cours des années 2006 et 2007.

[29]        Les motifs qui précèdent sont suffisants pour trancher l’appel interjeté par M. Sbrollini, même si je devais tenir pour vraie sa version des faits. Je me dois toutefois d’ajouter que j’ai d’importantes réserves au sujet de la valeur probante ainsi que de la crédibilité et de la fiabilité générales de la preuve du contribuable, compte tenu de son témoignage et de l’absence quasi totale de corroboration, que ce soit par d’autres témoignages ou par des pièces justificatives :

1)       M. Sbrollini soutient qu’il n’a pas contesté les montants faisant l’objet des nouvelles cotisations établies par la Division des appels de l’ARC relativement à ses revenus non déclarés parce qu’il a été informé (non pas par son avocat actuel) qu’il ne pouvait pas avoir gain de cause sans présenter de pièces justificatives ou d’autres éléments de preuve qu’il n’était pas en mesure d’obtenir. Il soutient toujours que l’estimation de 12 000 $ de ses revenus bruts était erronée, mais seulement parce qu’elle était en fait bien supérieure à la réalité. Lorsqu’on lui a présenté les conclusions écrites de son propre comptable décrites précédemment, il a blâmé le comptable et affirmé qu’il l’avait congédié par la suite. Lors de son témoignage, il a jeté le blâme sur les autres à plus d’une reprise : les comptables et ses autres conseillers professionnels (sauf son avocat actuel) auxquels il avait eu recours dans le cadre du présent litige, son courtier pour la perte inexpliquée de la totalité de la valeur de son portefeuille de placements, et ses anciens associés pour ses déboires financiers dans le cadre de ses autres activités commerciales.

2)       Il a affirmé que son comptable et lui [traduction] « étaient arrivés » aux chiffres relatifs à ses nombreuses dépenses d’entreprise, malgré leur apparente précision. Aucun fondement n’a toutefois été avancé pour expliquer comment son comptable et lui étaient arrivés à ces chiffres. Il avait plus tôt mentionné que lui-même, ou probablement son épouse, avait en fait réussi à trouver toutes les factures ou tous les reçus. Il a témoigné de façon semblable quant au fait que son comptable et lui [traduction] « étaient arrivés » au chiffre de 4 300 $ pour ce qui est des frais médicaux et des frais dentaires pour son épouse et lui.

3)       Comme je l’ai écrit précédemment, il a été plutôt franc quant à la fiabilité générale de son profil sur LinkedIn.

4)       Je n’ai pas vu de documentation financière, comme des relevés bancaires, des chèques, des factures, etc., pouvant corroborer ou appuyer les explications de M. Sbrollini au sujet des mouvements de fonds dont il a parlé dans son témoignage; pourtant, la preuve contient plus d’un relevé bancaire fourni à l’ARC à l’étape de l’opposition afin d’appuyer, avec succès d’ailleurs, les remboursements de dépenses de la part de Java Products Inc.

5)       Je n’ai pas non plus vu quelque documentation que ce soit pouvant corroborer les montants reçus de ses clients obtenant des services de conseil ou les montants versés aux conseillers sous‑traitants, ou même présenter un sommaire de ces montants, ni de documents relativement à un acompte versé ou reçu de la part d’une ou l’autre de ces parties. Rien non plus au sujet des clients et des sous-traitants. On ne m’a même pas donné une idée de ce qu’il entendait par [traduction] « l’essentiel » de la somme de 40 000 $ qui aurait été versé à ses sous‑traitants.

6)       Je n’ai pas non plus vu quelque documentation que ce soit corroborant les sommes prêtées à Java Products Inc., ni les remboursements qui en auraient été faits, ni les prêts ou les dons de la part de membres de la famille et d’amis destinés à provisionner les sommes prêtées à Java Products.

7)       Je n’ai pas non plus entendu quelque témoignage que ce soit de la part de son épouse, de membres de sa famille ou de sa belle‑famille, bien qu’il ait prétendu qu’ils étaient la source des sommes prêtées, ni quelque chèque payé ou relevé bancaire les concernant. Aucun membre de sa famille n’a été appelé à témoigner afin de confirmer les prêts et les dons qu’ils lui auraient accordés, en espèces ou en nature. Je n’ai pas non plus entendu le témoignage de son comptable, notamment en ce qui a trait aux discussions qu’il aurait eues avec le contribuable lors de la préparation de ses déclarations de revenus. Je n’ai pas entendu non plus de témoignage de la part de responsables de Java Products Inc. au sujet des versements mensuels réguliers de 8 100 $ ou 8 300 $, ni au sujet du prêt comme tel. Bien que je sois parfois réticent à tirer des conclusions défavorables de l’omission de convoquer un témoin étant donné que chaque partie est libre de convoquer ou non des témoins, en l’espèce la teneur de l’avis d’appel n’aurait pas raisonnablement pu laisser entendre à la Couronne que le témoignage d’un tiers aurait pu être pertinent en l’instance. L’avis d’appel, préparé par l’ancien avocat du contribuable, donnait à penser que le débat porterait principalement sur l’état de santé du contribuable, qui avait entravé sa capacité à s’occuper autant qu’il l’aurait souhaité de ses finances et l’avait ainsi amené à présenter une estimation de ses revenus. Comme il a été mentionné précédemment, cela n’a pas été l’argument principal avancé par le contribuable pendant l’instruction.

8)       Il n’y a pas de document corroborant en ce qui a trait à la société Step‑by‑Step Consulting Inc. À la fin de son témoignage, non seulement M. Sbrollini a affirmé que sa société avait consenti un prêt à Java Products Inc., il a ajouté qu’il avait continué à exploiter l’entreprise d’experts‑conseils et qu’il avait déclaré tous ses revenus de ces deux sources. Il ne semble pas s’être rendu compte que cela ne concordait pas avec le fait qu’il avait déclaré les revenus provenant de Step‑by‑Step Consulting Inc. dans sa déclaration de revenus personnelle. Encore une fois, il n’y a aucune documentation, comme des états financiers, des déclarations de revenus ou avis de cotisation, des relevés bancaires, des contrats ou des documents de constitution en société, permettant de valider cette nouvelle explication inopinée qui signifierait que la quasi-totalité de ses revenus non déclarés avait en fait été gagnée par sa société. Cela a plutôt paru comme étant une tentative d’explication en désespoir de cause.

[30]        Somme toute, le témoignage de M. Sbrollini – notamment son absence de corroboration et les contradictions qu’il recèle – en plus de son caractère souvent évasif, vague et dérivant vers d’autres sujets – ne me laisse pas du tout enclin à accepter quelque partie importante que ce soit du témoignage de M. Sbrollini qui n’est pas corroborée. Dans les circonstances, comme il n’y a que peu d’éléments de preuve documentaire et aucun autre témoignage, cela ne me laisse pas beaucoup d’éléments de preuve crédibles relativement à tous les points importants en l’espèce[1].

[31]        Pour tous ces motifs, je dois rejeter l’appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juillet 2015.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2015

M.-C. Gervais


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 178

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-1420(IT)I

INTITULÉ :

MARCEL SBROLLINI ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa, Canada

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 juin 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 juillet 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Joseph W.L. Griffiths

Avocat de l’intimée :

Me Paul Klippenstein

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Joseph W.L. Griffiths

 

Cabinet :

Equilibrium Law

Pièce 1150, 45, rue O’Connor

Ottawa (Ontario)  K1P 1A4

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] En dernière analyse, tout cela me rappelle ce passage de l’ouvrage Le Déclin du mensonge écrit par Oscar Wilde : « Si un homme est assez pauvre d’imagination pour apporter des preuves à l’appui d’un mensonge, il ferait aussi bien de dire sans biaiser la vérité.)

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