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Dossier : 2013-211(GST)G

ENTRE :

DENISE ARSENAULT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 28 avril 2015, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge en chef adjointe Lucie Lamarre

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Serge Fournier

Avocate de l'intimée :

Me Marielle Brazzini

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 4 décembre 2012 et porte le numéro F‑041196, est accueilli et la cotisation est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation aux seules fins de réduire le montant de la cotisation de 11 287,27 $ à 10 109,67 $, tel qu'il a été concédé par l’intimée au début de l’audience, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

        L’intimée a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juillet 2015.

 

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre


Référence : 2015 CCI 179

Date : 20150713

Dossier : 2013-211(GST)G

ENTRE :

DENISE ARSENAULT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge en chef adjointe Lamarre

[1]             L’appelante en appelle d’une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise (LTA). Selon l’avis de nouvelle cotisation daté du 4 décembre 2012 (numéro de l’avis : F‑041196), le montant de la cotisation est de 11 287,27$ (pièce I‑1, onglet 4). À l’audience, l’avocate de l’intimée a apporté une modification au montant de la cotisation pour l’établir à 10 109,67$. Ce montant a été expliqué par monsieur Martin Rochette, agent de la gestion financière à l’Agence du revenu du Québec (ARQ). Le calcul se retrouve à l’onglet 7 de la pièce I‑1, et monsieur Rochette a expliqué que le montant de la cotisation avait été réduit pour ne tenir compte de la portion intérêts que jusqu’à la date de cession de la propriété dont je parlerai plus loin et qui fait l’objet du présent litige.

[2]             L’appelante est mariée avec Jean‑Noel Gagné sous le régime de la séparation de biens dans la province de Québec, en vertu d’une entente signée entre eux le 5 juillet 1984 (pièce A‑1). Par cette entente, monsieur Gagné faisait une « donation entre vifs et en pleine propriété à compter de la célébration du mariage à [l’appelante] [d’]une somme de [25 000 $] qui [devenait] exigible au décès du futur époux. Celui-ci se [réservait] cependant le droit de payer ladite somme, en tout ou en partie, en tout temps durant le mariage, soit en argent, soit par le transport à la future épouse de biens meubles ou immeubles » (article cinquième).

[3]             Cette entente a fait l’objet d’une modification le 18 décembre 1990 par suite de l’entrée en vigueur de la Loi modifiant le Code civil du Québec et d'autres dispositions législatives afin de favoriser l’égalité économique des époux (pièce A‑2 et témoignage de l’appelante). Ainsi, les époux ont manifesté leur volonté de n’être aucunement assujettis aux articles 462.1 à 462.13 du Code civil du Québec (CcQ) relatifs au patrimoine familial des époux. Ils en ont profité pour modifier certaines clauses de leur contrat de mariage. Ainsi, l’article cinquième cité plus haut prévoyait maintenant, dans les mêmes termes, que l’époux faisait une donation de 300 000 $ (au lieu de 25 000 $). L’article septième prévoyait que si un jugement de séparation de corps ou de divorce était prononcé entre les époux, toutes donations exécutées entre les époux en vertu de leur contrat de mariage seraient partagées pour moitié, avec l’entente que la résidence familiale principale des époux devrait être considérée comme ayant été donnée pour moitié à celui des époux qui n’en serait pas propriétaire enregistré.

[4]             Le 26 septembre 2008, monsieur Gagné faisait donation entre vifs à l’appelante de la moitié indivise de l’immeuble composé d’un « lot de terre […] [a]vec bâtisse construite sur ce terrain » situé à St‑Ludger (Québec). Cette donation a été consentie en exécution des donations mentionnées dans le contrat de mariage et, en particulier, d'une donation d’une somme de 40 000 $ (pièce A‑3).

[5]             Au moment de faire cette donation, monsieur Gagné était redevable d’une somme de 49 962,07 $ envers l’Agence du revenu du Canada (ARC) en vertu du paragraphe 323(1) de la LTA. De fait, selon la cotisation établie en date du 9 juin 2010, monsieur Gagné faisait l'objet d'une cotisation en tant qu’administrateur pour le montant de la taxe nette que Construction J.N. Gagné Inc. (société) aurait dû verser pour des périodes s’échelonnant du 1er octobre 2003 au 31 octobre 2008 (pièce I‑1, onglet 5, pages 1‑2).

[6]             Le 17 novembre 2008, l’ARQ a demandé au nom de l’ARC l'enregistrement à la Cour fédérale, en vertu de l’article 316 de la LTA, d'un certificat établissant que la société était en défaut de paiement pour un montant de 62 488,58 $. Ce certificat a été enregistré le 22 janvier 2009 (pièce I‑1, onglet 5, page 3).

[7]             Monsieur Rochette a expliqué qu’avant d'établir une cotisation à l'égard de monsieur Gagné en tant qu’administrateur, l’ARQ avait tenté de procéder à l'exécution forcée de la dette auprès de la société. Celle‑ci ayant déposé un avis d’opposition, monsieur Rochette avait conclu en mars 2009 une entente partielle avec monsieur Gagné par laquelle la société s’engageait à faire des versements de 200 $ par mois, en attendant un règlement définitif. Le 25 septembre 2009, la société aurait donné un chèque sans provision et l’entente partielle a pris fin.

[8]             Un bref de saisie-exécution a ensuite été signifié à la société en date du 2 octobre 2009 (pièce I‑1, onglet 5, pages 5‑6), et un procès-verbal de carence de biens meubles à saisir a été dressé par l'huissier de justice en date du 23 février 2010 (pièce I‑1, onglet 5, page 8).

[9]             Monsieur Gagné était le seul administrateur depuis le 7 mai 2002 (selon la déclaration modificative déposée auprès de l’inspecteur général des institutions financières du Québec le 7 mai 2002, et par la suite aucune modification ne semble avoir été faite quant au retrait de monsieur Gagné comme administrateur dans la déclaration modificative du 24 septembre 2008, dans laquelle il apparaît toujours comme le seul actionnaire (pièce I‑1, onglet 5, pages 46‑54). Il a donc fait l'objet d'une cotisation aux termes de l’article 323 de la LTA le 9 juin 2010 (pièce I‑1, onglet 5, page 1).

[10]        Selon monsieur Rochette, le seul actif de monsieur Gagné était sa moitié indivise de la propriété située à St‑Ludger, qu’il a transférée à l’appelante le 26 septembre 2008. C’est ainsi que l’appelante a été tenue responsable, aux termes de l’article 325 de la LTA, du montant dû par son mari.

[11]        L’appelante savait que la société éprouvait des difficultés financières et qu’elle était l’objet d’une vérification fiscale, mais ne pensait pas que la dette de la société pouvait être perçue à même leurs biens personnels.

[12]        La nature de la cotisation établie contre monsieur Gagné n’aurait pas fait l’objet d’explications auprès de l’appelante ni par monsieur Rochette ni par l’agent d’opposition, monsieur Patrick Palo Fotaras. Monsieur Fotaras n’a pas accepté que le transfert de la moitié indivise de la propriété de monsieur Gagné à l’appelante constitue une donation entre vifs aux termes du contrat de mariage. Selon lui, la donation prévue au contrat de mariage est une donation à cause de mort, qui n’était pas exigible par l’appelante avant le décès de son mari. En conséquence, l’ARQ est d’avis que l’appelante n’a donné aucune contrepartie pour la moitié indivise de la propriété que lui a transférée son mari.

Dispositions législatives

[13]        Loi sur la taxe d’accise

323(1)  Responsabilité des administrateurs. Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

323(2)  Restrictions. L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a)   un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b)   la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

c)   la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

323(4) Cotisation. Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

323(5) Prescription. L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

*       325(1) La personne qui transfère un bien, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à son époux ou conjoint de fait, ou à un particulier qui l’est devenu depuis, à un particulier de moins de 18 ans ou à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, est solidairement tenue, avec le cessionnaire, de payer en application de la présente partie le moins élevé des montants suivants :

a) le résultat du calcul suivant :

A - B

où :

A  représente l’excédent éventuel de la juste valeur marchande du bien au moment du transfert sur la juste valeur marchande, à ce moment, de la contrepartie payée par le cessionnaire pour le transfert du bien,

B  l’excédent éventuel du montant de la cotisation établie à l’égard du cessionnaire en application du paragraphe 160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement au bien sur la somme payée par le cédant relativement à ce montant;

b) le total des montants représentant chacun :

(i) le montant dont le cédant est redevable en vertu de la présente partie pour sa période de déclaration qui comprend le moment du transfert ou pour ses périodes de déclaration antérieures,

(ii) les intérêts ou les pénalités dont le cédant est redevable à ce moment.

Toutefois, le présent paragraphe ne limite en rien la responsabilité du cédant découlant d’une autre disposition de la présente partie.

325(2) Le ministre peut établir une cotisation à l’égard d’un cessionnaire pour un montant payable en application du présent article. Dès lors, les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance.

CODE CIVIL DU QUÉBEC 

CHAPITRE DEUXIÈME

DE LA DONATION

SECTION I

DE LA NATURE ET DE L’ÉTENDUE DE LA

DONATION

[…]

Art. 1807        La donation entre vifs est celle qui emporte le dessaisissement actuel du donateur, en ce sens que celui-ci se constitue actuellement débiteur envers le donataire.

Le fait que le transfert du bien ou sa délivrance soient assortis d'un terme, ou que le transfert porte sur un bien individualisé que le donateur s'engage à acquérir, ou sur un bien déterminé quant à son espèce seulement que le donateur s'engage à délivrer, n'empêche pas le dessaisissement du donateur d'être actuel.

Art. 1808        La donation à cause de mort est celle où le dessaisissement du donateur demeure subordonné à son décès et n'a lieu qu'à ce moment.

SECTION V

DE LA DONATION PAR CONTRAT DE

MARIAGE OU D’UNION CIVILE

Art. 1839        Les donations consenties dans un contrat de mariage ou d'union civile peuvent être entre vifs ou à cause de mort.

Elles ne sont valides que si le contrat prend lui‑même effet.

Questions en litige

[14]        La principale question en litige est celle de savoir si la donation par monsieur Gagné de sa moitié indivise de la propriété constitue une donation entre vifs aux termes de son contrat de mariage en vertu du droit civil québécois.

[15]        En effet, l’intimée est d’accord pour dire que, si la donation prévue au contrat de mariage constitue effectivement une donation entre vifs, la cotisation à l’encontre de l’appelante ne tiendrait plus puisque monsieur Gagné aurait transféré sa part en contrepartie de l’extinction de son obligation de faire une donation du même montant. Toutefois, l’intimée soutient plutôt que la donation prévue au contrat est une donation à cause de mort non exigible par l’appelante du vivant de son mari. Selon l’intimée, ce dernier ne s’est pas dessaisi du montant de la donation de façon irrévocable au moment de la signature du contrat de mariage, ce qui l’aurait ainsi rendu débiteur vis-à-vis de l’appelante de son vivant. En conséquence, monsieur Gagné n’avait aucune obligation ou dette envers l’appelante. En donnant sa part indivise à l’appelante, il le faisait de son plein gré et non en vertu d’une obligation contractuelle.

[16]        De son côté, l’appelante soutient qu’il s’agit d’une donation entre vifs puisque l’obligation de paiement a pris naissance le jour de la signature du contrat de mariage, mais que cette obligation est à terme en ce sens qu’elle peut n’être respectée qu’au moment du décès.

[17]        Subsidiairement, l’appelante soutient qu’il revient à l’intimée de prouver l’existence de la dette de monsieur Gagné et non à elle de prouver que cette dette n’existe pas. Elle s’appuie sur les décisions rendues par notre cour dans les affaires Gestion Yvan Drouin Inc. c. La Reine, 2000 CanLII 407, 2001 DTC 72 et Mignardi c. La Reine, 2013 CCI 67.

Analyse

Argument subsidiaire

[18]        Je vais en premier lieu aborder l’argument subsidiaire soulevé par l’appelante. Dans l’affaire Gestion Yvan Drouin, la société appelante faisait l'objet d'une cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) pour une cotisation impayée d’une société liée. La cour a accepté l’argument selon lequel il incombait à l’intimée d’établir l’existence de la dette fiscale de la société liée. Le raisonnement derrière ceci est que le ministre est en meilleure position que la tierce partie ayant fait l'objet d'une cotisation en vertu de l’article 160 de la LIR (cette tierce partie n’ayant pas accès aux documents de la société liée) pour établir prima facie l’existence de cette dette.

[19]        Dans l’affaire Mignardi, le contribuable faisait l'objet d'une cotisation établie en vertu de l’article 323 LTA pour la taxe impayée par la société dont il était administrateur. La cour a toutefois mis en garde contre l’application systématique du renversement du fardeau de la preuve. Ce n’est que lorsque le ministre a une connaissance exclusive ou particulière des faits relatifs à la dette fiscale sous-jacente que lui revient le fardeau d’établir l’existence de cette dette. De fait, lorsque le contribuable peut obtenir ces renseignements auprès du débiteur fiscal d’origine, il n’y a pas lieu de renverser le fardeau de la preuve initial. Il revient alors au contribuable de réfuter les hypothèses de fait retenues par le ministre.

[20]        Ici, le ministre a établi dans ses hypothèses de fait que monsieur Gagné était redevable d’une somme impayée en vertu de la LTA. Monsieur Gagné était l’actionnaire unique et le seul administrateur de la société qui était en défaut de faire ses versements de taxes. L’appelante est l’épouse de monsieur Gagné. Elle était au courant des difficultés financières de la société. Son mari, monsieur Gagné, était présent dans la salle d’audience avec elle. Elle était certainement en mesure d’obtenir les renseignements nécessaires pour contester la validité de la cotisation sous-jacente. Pour reprendre les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Voitures Orly Inc. c. Canada, 2005 CAF 425, le fardeau de la preuve qui incombe au contribuable de réfuter les hypothèses de fait du ministre ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement. Tout renversement de la charge du contribuable de fournir et de rapporter les renseignements dont il a connaissance ou qu’il contrôle peut mettre en danger l’intégrité et la crédibilité du système (paragraphe 20).

[21]        Par ailleurs, l’intimée a fait la preuve qu’un certificat précisant la somme due par la société avait été enregistré et qu’il y avait eu défaut d’exécution à l’égard de cette somme avant qu'une cotisation ne soit établie à l’encontre de monsieur Gagné aux termes des paragraphes 323(1) et (2) de la LTA.

[22]        J’estime donc qu’aucune preuve n’a été faite pour démontrer que la cotisation initiale établie à l’égard de monsieur Gagné était erronée.

Argument principal

[23]        L’intimée se réfère à la décision phare rendue par la Cour d’appel du Québec le 2 avril 1981 dans l’affaire Hennebury c. Hennebury, Soquij AZ‑81011092, qui analysait les principes à retenir lorsqu’il s’agit de déterminer si une donation par contrat de mariage est une donation entre vifs ou une donation à cause de mort en droit civil québécois. La Cour d’appel du Québec s’exprimait ainsi sur la nature de la donation (à la page 5) :

La nature de la donation

C’est à l’examen des termes mêmes du contrat de mariage qu’il y a lieu de rechercher la nature de la donation, à la lumière des principes dégagés par la doctrine et la jurisprudence.

Quand la clause ne comporte pas de véritable obligation, de véritable dessaisissement, même si les parties ont pris la peine de spécifier qu’il s’agit d’une donation entre vifs, on considère la donation comme une donation de biens à venir, à cause de mort (Roger COMTOIS, Essai sur les donations par contrat de mariage, Montréal, 1968). Selon le même auteur, les critères de distinction entre ces deux types de donation se rattachent au dessaisissement, à l’irrévocabilité, aux termes employés et aux faits et circonstances relatifs à l’opération pour déterminer l’intention des parties (Ibid., p. 124).

Il ne suffit pas, par ailleurs, qu’il soit fait mention de la mort dans une donation pour la faire considérer comme donation à cause de mort. Une donation entre vifs peut avoir comme terme d’exigibilité le décès (Ibid., p. 132).

[24]        Dans cet arrêt, le contrat de mariage stipulait, entre autres, que la donation entre vifs était irrévocable et payable en tout temps après la célébration du mariage (sauf pour la donation des biens meubles, où l’on avait indiqué un terme de 10 ans). Le droit de retour en faveur du donateur y était stipulé en cas de prédécès de la donataire. Comme contrepartie, la donataire (l’épouse) renonçait au douaire.

[25]        La Cour d’appel du Québec devait conclure que, selon les termes employés dans le contrat de mariage, il y avait lieu de conclure qu’il s’agissait d’une donation entre vifs par laquelle le donateur s’était effectivement dessaisi des sommes en question de façon irrévocable. La cour concluait qu’il n’y avait pas de condition purement suspensive. Elle disait également que le droit de retour était incompatible avec une donation à cause de mort. La cour disait ceci (à la page 6) : « Ce n’est que parce que le donateur a cessé d’être propriétaire qu’il veut s’assurer que les biens lui reviendront après la mort de la donataire ».

[26]        La cour concluait que le donateur s’était constitué débiteur des sommes en question et que la donataire pouvait les exiger dès après la célébration du mariage et dès l’expiration du terme de 10 ans pour les biens meubles.

[27]        La cour mentionnait également que la renonciation au douaire, consentie par l’épouse comme contrepartie, était significative en ce que, le douaire étant un gain de survie, il était plus logique d’y renoncer pour un avantage actuel que pour un avantage au décès.

[28]        Il est utile également de rappeler que dans l'arrêt Hennebury il n'y avait aucune clause prévoyant que la somme prévue était payable au décès.

[29]        Dans l’arrêt Droit de la famille – 2806, Soquij AZ‑97011827, daté du 14 octobre 1997, la Cour d’appel du Québec analysait une donation par contrat de mariage dont les termes étaient analogues à ceux que l’on retrouve en l’instance. La cour reprenait la doctrine et la jurisprudence en ces termes, à la page 6 :

−     Une donation ne sera pas nécessairement à cause de mort du seul fait que la clause mentionne la mort du donateur;

−     Même si les mots « donation entre vifs » ont été écrits, la clause sera interprétée à cause de mort si :

- elle ne comporte pas de véritable obligation;

- elle ne comporte pas de véritable dessaisissement;

- il y a une condition purement suspensive.

−     Il faut examiner les faits et circonstances pour déterminer l’intention des parties;

−     Même si l’exigibilité est le moment du décès, la donation peut quand même être entre vifs.

[30]        Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec a conclu que la donation prévue au contrat de mariage (dans des termes analogues à ceux dans la présente instance) ne donnait lieu à aucun dessaisissement, ne créait aucune obligation immédiate pour le donateur et que la condition de l’exigibilité était le décès du donateur. Le décès n’était pas un simple terme d’exécution. Le fait que les parties au contrat aient stipulé qu’il s’agissait d’une donation entre vifs ne pouvait l’emporter sur les véritables termes de l’obligation. La Cour concluait donc qu’il s’agissait d’une donation à cause de mort.

[31]        En l’instance, l’appelante, de son côté, s’appuyant sur une décision plus récente de la Cour d’appel du Québec dans Follows c. Follows, 2012 QCCA 1128, a voulu démontrer que le décès n’était pas une condition de l’exigibilité de la donation mais simplement un terme. Elle soutient que le décès ici est un terme d’exigibilité et non une condition formelle de l’existence de la donation. La donation serait donc une donation entre vifs avec comme terme d’exigibilité le décès, et non une donation à cause de mort conditionnelle au décès.

[32]        Dans l’arrêt Follows, on reprend les caractéristiques d’une donation entre vifs, soit le dessaisissement, l’irrévocabilité, les termes employés et la désignation du contrat, les faits déterminants et l’intention des parties. On reconnaît que le fait de désigner une donation comme étant faite entre vifs peut constituer un indice possible, mais non pas nécessairement déterminant, de l’intention des parties; la donation qualifiée par les parties comme faite entre vifs peut toutefois constituer une donation à cause de mort (paragraphe 51, qui cite le professeur Pierre Ciotola). Dans cet arrêt, il ne s’agissait toutefois pas d’une donation par contrat de mariage. Il s’agissait plutôt d’une quittance de dette. La cour concluait que la donatrice (créancière) n’avait pas assujetti la quittance de la dette à la survenance de son décès avant une date donnée. La cour a considéré que la mort constituait un terme et qu’il s’agissait donc d’une donation entre vifs.

[33]        Quant aux autres causes auxquelles s’est référée l’appelante, j'estime qu'elles n'aident pas à soutenir la théorie de sa cause. Je vais analyser quelques‑unes d’entre elles.

[34]        Dans Droit de la famille – 131134, 2013 QCCS 2167, on avait affaire à une donation entre vifs, clairement stipulée comme étant irrévocable, ce qui n’est pas le cas ici.

[35]        Dans Droit de la Famille - 092725, 2009 QCCS 5127, le juge se réfère à une décision de la Cour d’appel du Québec (Droit de la famille - 2369, arrêt prononcé le 26 février 1996, 200‑09‑000454‑956) dans laquelle on analysait une donation par contrat de mariage qui stipulait que le futur époux faisait une donation entre vifs à compter de la célébration du mariage, laquelle « ne [devenait] exigible qu’au décès du futur époux à moins qu’advenant le divorce des futurs époux, il soit statué par le tribunal compétent que ladite somme deviendra[it] exigible avant le décès du futur époux ». Le futur époux se réservait le droit de payer la somme en tout temps durant le mariage. Le contrat précisait que la donation était ainsi faite par le futur époux à la future épouse à la condition expresse qu’advenant la dissolution du mariage par le divorce, ladite donation deviendrait une donation entre vifs entre les époux, exigible immédiatement, sauf le droit du tribunal d’en différer le paiement, de la réduire ou de la déclarer forfaite. Les futurs époux convenaient qu’advenant un tel divorce il leur serait alors loisible d’établir entre eux une nouvelle échéance de cette donation devenue donation entre vifs.

[36]        La Cour d’appel du Québec concluait, dans cette affaire, qu’il était clair que sans cette partie de la clause qui concerne l’éventualité d’un divorce, l’épouse n’avait pas le droit d’exiger le paiement de cette donation avant le décès de l’époux. La cour concluait qu’il n’y avait pas de dessaisissement actuel ni d’obligation d’acquitter la donation. La cour ajoutait qu’avant ce terme qu’est le décès du donateur, la donatrice ne pouvait en exiger le paiement. S’appuyant sur l’arrêt Hennebury, cité plus haut, la cour concluait qu’il s’agissait d’une donation à cause de mort.

[37]        L’appelante s’est également référée à l’affaire O c. V., [1997] RL 590 (C.S). Dans cette affaire, on retrouve une disposition analogue à celle qui nous occupe ici. La cour supérieure en vient à la conclusion qu’il s’agit d’une donation entre vifs en considérant qu’il y a dessaisissement et qu’il existe une véritable obligation pour le futur époux. Avant de conclure ainsi, le juge fait référence à un arrêt de la Cour d’appel du Québec, Droit de la famille - 2538, prononcé le 1er novembre 1996 (J.E. 96‑2179). Dans cet arrêt, le futur époux faisait à la future épouse une donation entre vifs en pleine propriété, à compter de la célébration du mariage, d’une somme d’argent qu’il promettait de lui payer « en aucun temps après la célébration du futur mariage ». Si cette donation n’était pas acquittée du vivant de l’époux, elle serait payable à son décès. De plus, l’époux avait un droit de retour advenant le prédécès de l’épouse. La Cour d’appel a conclu dans ce cas que la faculté que l’époux s’était réservée de ne payer qu’à son décès n’affectait pas la nature de la donation, qui n’en devenait pas une donation à cause de mort comme c’eût été le cas s’il s’était engagé à payer à son décès, mais avec la faculté de payer avant.

[38]        À mon avis, la décision rendue par la Cour supérieure du Québec dans O. c. V. ne reflète pas les propos tenus par la Cour d’appel du Québec. Celle-ci dit bien que si le donateur ne s’engage à payer qu’à son décès, mais avec la faculté de payer avant, comme c’est le cas en l’instance et dans l’affaire O. c. V., il s’agit d’une donation à cause de mort.

[39]        Pour revenir à la question qui nous préoccupe ici, à la lecture des deux contrats soumis en preuve (le plus récent modifiant seulement certains articles du contrat de mariage original, dont les autres dispositions restaient en vigueur si elles n'entraient pas en contradiction avec les modifications), je note les points suivants : on ne trouve aucune mention que la donation est irrévocable; l’épouse ne renonce pas au douaire en contrepartie de la donation; il n’y a pas de droit de retour stipulé en faveur du mari en cas de prédécès de son épouse; et il est clairement stipulé que la donation ne deviendra exigible qu’au décès de l’époux (même si celui-ci se réserve le droit de payer le montant de la donation durant le mariage). Quant à la clause que l'on trouve à l’article septième du contrat, qui prévoit que la résidence familiale devra être considérée comme ayant été donnée pour moitié à celui des époux qui n’en était pas propriétaire enregistré, advenant un jugement de séparation de corps ou de divorce, elle ne peut donner ouverture à une donation entre vifs qu’au moment du prononcé du jugement de séparation ou de divorce, pas avant (voir Droit de la famille - 092725 (QCCS), précité, page 11); B. (F.) c. L. (C.), 1997 CarswellQue 977, paragraphes 3 et 4).

[40]        À mon avis, en l’absence d’un jugement de séparation ou de divorce, il s’agit d’une donation à cause de mort au sens donné à cette expression par la doctrine et la jurisprudence. Le décès ici n’est pas un terme, comme le prétend l’appelante, mais une condition d’exigibilité.

[41]        En conséquence, le transfert par monsieur Gagné à l’appelante de sa moitié indivise de la propriété située à St‑Ludger n’a pas été fait en contrepartie de l’extinction de son obligation de faire une donation entre vifs à son épouse en vertu d’un contrat de mariage.

[42]        L’appel est accueilli aux seules fins de réduire le montant de la cotisation, tel qu'il a été demandé par l’intimée en début d’audience. L’appelante est donc redevable d’un montant de 10 109,67 $ en vertu de l’article 325 de la LTA.

[43]        L’intimée a droit à ses dépens

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juillet 2015.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


 

RÉFÉRENCE :

 

2015 CCI 179

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-211(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DENISE ARSENAULT c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 avril 2015

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 juillet 2015

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Serge Fournier

Avocate de l'intimée :

Me Marielle Brazzini

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante:

Nom :

Me Serge Fournier

Cabinet :

BCF (s.e.n.c.r.l.)

Montréal, Québec

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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