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Référence : 2015 CCI 184

Date : 20150723

Dossier : 2013‑316(IT)G

ENTRE :

MELYNDA LAYTON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience le 6 novembre 2014, à Ottawa (Ontario).)

La juge V.A. Miller

[1]             En l’espèce, la Cour est appelée à se prononcer sur la question de savoir si l’appelante a le droit de déduire des frais de bureau à domicile de 6 630,03 $ et de 9 987,66 $ pour ses années d’imposition 2007 et 2008, respectivement.

Requête préliminaire

[2]             Au début de l’audience, l’intimée a présenté une requête en radiation des alinéas 15b) et 15d), ainsi que de parties des paragraphes 14 et 16 de l’avis d’appel. Dans ces dispositions, l’appelante a demandé un redressement relativement à une cotisation établie au titre de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »).

[3]             La dette fiscale de l’appelante pour ses années d’imposition 2007 et 2008 a fait l’objet d’une nouvelle cotisation au moyen d’avis datés du 29 novembre 2012. Le présent appel a été interjeté par l’appelante à l’encontre de cette nouvelle cotisation en application de l’article 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Toute décision que je rends en l’espèce ne peut se rapporter qu’à la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi. Conformément à l’article 171 de la Loi, je peux rejeter l’appel ou je peux admettre l’appel et annuler, modifier ou déférer la nouvelle cotisation au ministre du Revenu national (le « ministre ») pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation. En d’autres termes, ma décision en l’espèce ne peut que concerner la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi.

[4]             L’appelante a fait l’objet d’une nouvelle cotisation au moyen d’un avis daté du 30 octobre 2012 au titre de la LTA. Pour contester cette nouvelle cotisation, l’appelante aurait dû interjeter appel au titre de l’article 306 de la LTA, ce qu’elle n’a pas fait.

[5]             Pour interjeter appel à l’encontre de nouvelles cotisations établies en vertu de deux lois distinctes, l’appelante doit déposer un avis d’appel au titre de chacune de ces lois.

[6]             Selon l’article 171 de la Loi, je n’ai pas compétence pour accorder un redressement à l’égard d’une question qui concerne la LTA. Par conséquent, la requête de l’intimée est accueillie et les parties suivantes de l’avis d’appel sont radiées :

1.     Le paragraphe 14 – [traduction] « […] et le dossier numéro GB 112511841020, daté du 22 octobre 2012, établi au titre de la Loi sur la taxe sur les produits et services et de la Loi sur la taxe de vente harmonisée et comprend les périodes auxquelles la cotisation se rapporte ».

2.     Les alinéas 15b) et d).

3.     Le paragraphe 16 – [traduction] « […] et l’article 306 de la Loi sur la taxe d’accise. »

Thèse de l’appelante

[7]             L’appelante a soutenu qu’elle avait un bureau à domicile en 2007 et en 2008. Au cours de l’audience, elle a concédé qu’elle n’aurait pas dû déduire les montants des factures de télévision par câble et de la ligne téléphonique résidentielle à titre de frais pour son bureau à domicile. L’appelante a livré le témoignage suivant.

[8]             L’appelante est une avocate spécialisée en droit du travail depuis 1996. Elle a commencé à exercer le droit à Toronto et, en 2000, son époux et elle sont retournés à Ottawa. Elle a déclaré qu’elle avait décidé d’ouvrir son propre cabinet en 2006 afin de pouvoir contrôler ses heures de travail. Elle espérait pouvoir passer plus de temps avec ses deux enfants. Elle a installé un bureau à son domicile à Stittsville. Selon son témoignage, l’appelante a exercé presque exclusivement à son domicile en septembre, en octobre et en novembre 2006.

[9]             En 2006, un des amis de l’appelante, et quatre autres avocats, ont loué des locaux à bureaux au 1400, avenue Clyde. L’appelante voulait s’installer dans ces locaux avec le groupe, mais ils n’étaient pas suffisamment grands pour qu’elle puisse y avoir son propre bureau. Elle a partagé un bureau avec son ami jusqu’à l’automne 2006, lorsqu’une surface supplémentaire est devenue disponible et qu’elle a pu disposer de son propre bureau dans l’immeuble de l’avenue Clyde.

[10]        L’appelante a déclaré dans son témoignage qu’elle avait un bureau à domicile en 2007 et en 2008. Ce n’était pas son bureau principal, mais il représentait 20 p. 100 de la superficie de sa maison et était composé d’un bureau au rez‑de‑chaussée dont les dimensions étaient de 15 pi x 16 pi, et de la plus grande partie de son sous‑sol. Son plan ne comportait pas de mesures pour la superficie du sol‑sol, mais, selon le plan de la maison que l’appelante avait produit, le bureau occuperait au moins les trois quarts de la superficie du sous‑sol. L’appelante a estimé que le sous‑sol mesurait entre 500 et 600 pieds carrés. Elle a décrit son bureau du sous‑sol comme étant un espace fini ayant un revêtement de sol en bois franc. Elle a écrit sur son plan que sa maison avait une superficie de 2 200 pieds carrés, mais elle a affirmé dans son témoignage que la superficie était plus près de 2 700 pieds carrés.

[11]        L’appelante a déclaré que son bureau à domicile était équipé de telle sorte qu’elle pouvait avoir accès à ses dossiers, à ses courriels et à ses appels téléphoniques à partir de son bureau situé sur l’avenue Clyde et vice versa. Elle recevait des clients à son bureau à domicile – aussi bien dans le bureau du rez‑de‑chaussée que dans celui du sous‑sol. Elle envoyait des courriels et téléphonait à ses clients à partir de son bureau à domicile et y recevait leurs appels et leurs courriels. Elle avait une ligne téléphonique pour affaires séparée à son bureau à domicile. Dans le bureau situé au sous‑sol, l’appelante avait une grande table, un ordinateur à domicile et un téléphone. Elle conservait aussi 200 dossiers dans son bureau du sous‑sol.

[12]        L’appelante a affirmé dans son témoignage qu’elle travaillait fréquemment à son domicile. Elle a déclaré que la fréquence était de deux à trois fois par semaine.

Thèse de l’intimée

[13]        L’intimée n’a appelé aucun témoin. Les hypothèses de fait cruciales plaidées dans la réponse étaient les suivantes :

a)     X

b)    pendant toute la période pertinente, l’appelante avait un cabinet et louait un bureau situé à l’adresse municipale suivante : 1400, avenue Clyde, bureau 208, Ottawa (Ontario) (l’« adresse professionnelle »);

c)     pendant toute la période pertinente, le cabinet de l’appelante était inscrit à l’adresse professionnelle;

d)    pendant toute la période pertinente, la résidence personnelle de l’appelante était située à l’adresse municipale suivante : 4 Cinnabar Way;

e)     pendant toute la période pertinente, l’appelante n’a pas tenu de bureau à son domicile ;

f)      pendant toute la période pertinente, l’appelante n’a pas régulièrement et continuellement reçu des clients à son domicile;

Analyse

[14]        Le fardeau de la preuve dans les litiges en matière fiscale est la prépondérance des probabilités. Le contribuable a la charge initiale de « démolir » les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé. L’appelante se sera acquittée de cette charge lorsqu’elle aura présenté une preuve prima facie : arrêt Hickman Motors Ltd c R, [1977] 2 RCS 336. L’appelante n’a pas d’obligation de produire des documents pour établir cette preuve prima facie, mais ils peuvent être utiles pour appuyer sa thèse : arrêt House c R, 2011 CAF 234. L’appelante doit livrer un témoignage convaincant qui me permettra de conclure qu’elle a présenté une preuve prima facie. La charge de la preuve se déplacera alors sur l’intimée qui devra présenter une preuve étayant ses hypothèses.

[15]        Une des hypothèses cruciales formulées par le ministre pour refuser la déduction des frais concernant un bureau à domicile était que l’appelante ne recevait pas de clients à son domicile. L’appelante a déclaré dans son témoignage qu’elle recevait des clients à son bureau à domicile. On lui a demandé si elle avait un document pour appuyer son témoignage. Plus précisément, on lui a demandé si elle avait apporté son calendrier de rendez‑vous pour 2007 et 2008. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas apporté ses calendriers annuels parce qu’elle utilisait le logiciel PCLaw comme calendrier et qu’il [traduction] « effaçait automatiquement » les données tous les six mois. Elle a affirmé qu’elle avait utilisé aussi le logiciel Outlook et qu’il [traduction] « effaçait automatiquement » les données. Lorsqu’on lui a fait observer que les données dans Outlook ne pouvaient pas [traduction] « s’effacer automatiquement », l’appelante a répondu que soit elle n’avait pas Outlook soit il y avait eu des problèmes avec le serveur et qu’en conséquence, les documents n’existent pas.

[16]        À mon avis, le témoignage de l’appelante va à l’encontre du bon sens et est peu plausible. Je ne crois pas qu’un professionnel, en particulier un avocat, utiliserait pour conserver ses documents un programme d’ordinateur qui efface automatiquement les données tous les six mois.

[17]        L’appelante n’a fourni aucune précision en ce qui concerne l’argument selon lequel elle voyait des clients à son domicile. Son témoignage à ce propos se résumait à une déclaration générale selon laquelle elle recevait des clients à son domicile. En l’absence de renseignements plus précis, il est manifeste que l’appelante n’a pas présenté de preuve prima facie et qu’elle n’a pas « démoli » l’hypothèse du ministre selon laquelle elle [traduction] « n’a pas régulièrement et continuellement reçu des clients à son domicile ».

[18]        Je suis également d’avis que le témoignage de l’appelante n’était pas compatible avec les déclarations figurant dans son avis d’appel et les documents qu’elle a produits en preuve. À l’audience, elle a déclaré que son sous‑sol était fini et qu’elle l’utilisait comme bureau. Elle a décrit le matériel de bureau qu’elle avait dit posséder au sous‑sol ainsi que 200 dossiers qui, selon ce qu’elle a affirmé, étaient conservés dans son bureau. C’est à l’audience que l’appelante a déclaré pour la première fois qu’elle avait un bureau dans son sous‑sol. Dans son avis d’appel, l’appelante a écrit qu’elle avait [traduction] « utilisé la partie non finie du sous‑sol exclusivement pour conserver des dossiers clôturés ». Elle a fait une déclaration semblable dans des lettres qu’elle a adressées à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Le 3 septembre 2011, elle a écrit ce qui suit au sujet de son bureau à domicile :

[traduction]

En 2007 et en 2008, j’avais un bureau à domicile au 4 Cinnabar Way, dans lequel j’avais un téléphone d’affaires, un ordinateur, un photocopieur et du matériel général de bureau. J’accédais virtuellement à mon bureau situé au 1400, avenue Clyde, au moyen d’Internet. Le bureau était exclusivement utilisé pour affaires et j’y recevais régulièrement et continuellement mes clients. J’ai également utilisé la partie non finie du sous‑sol pour conserver des dossiers.

Dans des lettres que l’appelante a adressées à l’ARC le 24 septembre 2012 et le 4 octobre 2012, elle a réitéré qu’elle avait [traduction] « utilisé la partie non finie du sous‑sol pour conserver des dossiers ». L’appelante n’a jamais mentionné avant l’audience le fait qu’elle utilisait la partie finie de son sous‑sol comme bureau.

[19]        À mon avis, l’appelante a adapté son témoignage de telle sorte que la superficie totale de son prétendu bureau à domicile représente environ 20 p. 100 de la superficie de sa maison. C’est le pourcentage qu’elle a inclus dans ses déclarations de revenus.

[20]        Le témoignage de l’appelante à l’audience renfermait aussi des incohérences. À un certain moment, elle a affirmé qu’elle avait son propre bureau sur l’avenue Clyde en 2006; plus tard, elle a déclaré qu’elle avait obtenu en premier lieu son propre bureau sur l’avenue Clyde à l’automne 2007; et, plus tard encore, elle a dit que le bureau numéro 8 sur l’avenue Clyde était exclusivement le sien depuis l’automne 2006.

[21]        Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’appelante peut avoir eu un bureau à son domicile. Toutefois, en raison de ses déclarations peu plausibles, contradictoires et incohérentes, l’appelante ne m’a pas convaincue qu’il existait un espace de travail à son domicile qu’elle avait exclusivement utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise et qu’elle l’avait utilisé régulièrement et continuellement pour rencontrer des clients relativement à ses activités.

[22]        L’appelante est tenue de présenter la meilleure preuve dont elle dispose. À tout le moins, en tant qu’avocate, elle aurait pu fournir une chronologie des faits claire et cohérente afin d’aider la Cour à rendre une décision. Au contraire, son témoignage était vague, imprécis et incohérent.

[23]        L’appel est rejeté, les dépens étant adjugés à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23jour de juillet 2015.

« V. A. Miller »

Juge V. A. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 6jour de novembre 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste



RÉFÉRENCE :

2015 CCI 184

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013‑316(IT)G

INTITULÉ :

MELYNDA LAYTON et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 novembre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Valerie Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 novembre 2014

DATE DES MOTIFS DU

JUGEMENT RENDUS

ORALEMENT :

Le 23 juillet 2015

 

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Christopher Kitchen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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