Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2013-1982(IT)G

ENTRE :

RUZMMIN REMTILLA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Kabyer Remtilla 2013-1983(IT)G le 6 mai 2015, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

Devant: L’honorable juge Valerie Miller


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me David R. Davies

Avocats de l’intimée :

Me Selena Sit

Me Kristian DeJong

 

JUGEMENT

L’appel interjeté au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des avis de nouvelle cotisation datés du 31 août 2012 pour les années d’imposition 2006 et 2007 de l’appelante est rejeté.

Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 12jour d’août 2015.

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 16jour d’octobre 2015.

François Brunet, réviseur

 


Dossier : 2013-1983(IT)G

ENTRE :

KABYER REMTILLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Ruzmmin Remtilla 2013-1982(IT)G le 6 mai 2015, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

Devant : L’honorable juge Valerie Miller

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me David R. Davies

Avocats de l’intimée :

Me Selena Sit

Me Kristian DeJong

 

JUGEMENT

L’appel interjeté au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des avis de nouvelle cotisation datés du 31 août 2012 pour les années d’imposition 2006 et 2007 de l’appelant est rejeté, les dépens étant adjugés à l’intimée.

Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 12jour d’août 2015.

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 16jour d’octobre 2015.

François Brunet, réviseur


Référence : 2015 CCI 200

Date : 20150812

Dossier : 2013-1982(IT)G

ENTRE :

RUZMMIN REMTILLA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2013-1983(IT)G

ET ENTRE :

KABYER REMTILLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge V.A. Miller

Observations générales

[1]             Les appelants ont acheté et vendu des options au moyen d’un compte conjoint de Canaccord Capital (appelé les « placements Canaccord » ou le « compte Canaccord »). Le différend initial entre les appelants et le ministre du Revenu national (le « ministre ») concernait la qualification des revenus et des pertes provenant de ce compte pour l’année 2008. Lorsque les appelants ont produit leurs déclarations de revenus pour 2005, 2006 et 2007, ils ont qualifié leurs gains et leurs pertes provenant des placements Canaccord de gains et de pertes au titre du capital. Toutefois, dans leurs déclarations relatives à 2008, les appelants ont qualifié une perte importante provenant de la même activité de perte d’entreprise. Les appelants ont déclaré que, pour des raisons de cohérence, le 30 avril 2009, ils avaient présenté à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») des demandes de redressement d’une T1 pour les deux appelants pour les années 2005, 2006 et 2007 (les « les demandes de redressement d’une T1 ») ainsi que leurs déclarations de revenus pour 2008. Ils avaient demandé que leurs gains en capital et leurs pertes en capital déclarés pour 2005, 2006 et 2007 soient assimilées à des revenus d’entreprise et à des pertes d’entreprise. L’ARC n’avait aucune trace de demandes de redressement d’une T1 reçues en 2009, et les appelants avaient envoyé à l’ARC des copies non signées des demandes de redressement d’une T1 en tant qu’annexes à une lettre en 2012 dans le contexte du processus d’appel pour leurs années d’imposition 2008, 2009 et 2010.

[2]             Après discussions, on a accepté le fait que les appelants avaient présenté les demandes de redressement d’une T1 en 2009, et les parties ont conclu des ententes de règlement aux termes desquelles elles ont réglé toutes les oppositions en cours que les appelants avaient auprès de l’ARC. Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard des appelants conformément aux ententes de règlement.

[3]             Les appelants soutiennent maintenant que le ministre a établi de nouvelles cotisations pour leurs années d’imposition 2006 et 2007 après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

La question en litige

[4]             La seule question en litige en l’espèce est de savoir si les demandes de redressement d’une T1 présentées par les appelants le 30 avril 2009 et datées du 29 avril 2009 constituent des renonciations valides à la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2006 et 2007.

[5]             Les témoins à l’audience étaient M. Remtilla, Mme Remtilla et Mme Agi Zebrowska, l’agente des appels de l’ARC à qui avaient été confiés les dossiers à l’étape de l’opposition.

Les faits

[6]             Les appelants sont mariés et leurs appels ont été entendus sur preuve commune.

[7]             M. Remtilla est comptable général accrédité (CGA). Il s’est installé au Canada en 1975, a ouvert un cabinet comptable à Vancouver en 1978 et a obtenu son titre de CGA en 1979. Il est comptable expérimenté et, sur son site Web professionnel, il se présente comme [traduction] « fiscaliste par excellence, en particulier dans le domaine de la RS et DE ». Sur son site Web, il cite les nombreux prix qu’il a reçus dans ses études menant à l’obtention de son titre de CGA. Sa pratique consiste principalement en la production de déclarations de revenus pour des particuliers et pour des sociétés. Si ses clients font l’objet d’une vérification par l’ARC, M. Remtilla les représente jusqu’à l’étape de l’opposition du différend.

[8]             Lors de leur témoignage, les deux appelants ont déclaré que, bien que les placements Canaccord aient été détenus conjointement, M. Remtilla s’était entièrement occupé de trouver les courtiers et d’ouvrir le compte. M. Remtilla a établi les déclarations de revenus de son épouse et il était inscrit comme son représentant auprès de l’ARC pour toutes les années allant de 2005 à 2010.

[9]             M. Remtilla a déclaré qu’ils avaient commencé à utiliser le compte Canaccord en 2005. Ils avaient fort peu d’expérience antérieure en matière boursière et ils comptaient essentiellement sur leurs courtiers pour choisir les contrats à terme à négocier et pour effectuer des opérations. Lorsqu’il a ouvert le compte Canaccord, M. Remtilla comprenait que la stratégie de [traduction] « couverture » utilisée pour les opérations portant sur les options signifiait que ses placements étaient assurés contre des pertes de valeur importantes des actions pertinentes. Toutefois, à la fin de 2008 et au début de 2009, il avait découvert que le courtier avait cessé de couvrir les options à un certain moment en 2007 ou en 2008. En partie à cause de cette situation, lorsque le ralentissement économique a frappé le marché boursier en 2008, les appelants ont subi des pertes importantes provenant de leurs placements Canaccord. Pour le seul mois d’octobre 2008, ils ont subi des pertes d’environ 1,4 million de dollars.

[10]        Dans leur déclaration de revenus pour 2005, chacun des appelants a déclaré une perte en capital de 42 302 $. En 2006, ils ont chacun déclaré un gain en capital de 53 662 $ et, en 2007, ils ont chacun déclaré un gain en capital de 52 508 $. Toutefois, lorsque les appelants ont subi les pertes en 2008, ils les ont déclarées en tant que pertes d’entreprise. Ils ont chacun déduit des pertes d’entreprise de 492 052 $ dans leurs déclarations de revenus.

[11]        Selon le témoignage de M. Remtilla, celui‑ci était parfaitement au courant du bulletin d’interprétation IT‑346R. Selon ce bulletin, le contribuable peut qualifier les revenus et les pertes provenant de la spéculation  soit de revenus d’entreprise ou de pertes d’entreprise soit de gains en capital ou de pertes en capital, pourvu qu’il conserve la même qualification d’une année à l’autre. Lors de son témoignage, M. Remtilla a déclaré qu’en avril 2009, il avait présenté les demandes de redressement d’une T1 ainsi que sa déclaration de revenus pour 2008 et celle de son épouse. M. Remtilla a affirmé qu’il avait présenté les demandes de redressement d’une T1 afin de se conformer au bulletin d’interprétation IT‑346R et pour des raisons de cohérence dans la déclaration des gains et des pertes provenant des placements Canaccord. Dans les demandes de redressement d’une T1, il a déclaré qu’il y avait eu une erreur dans les déclarations de revenus des contribuables produites pour 2005, 2006 et 2007. Il a demandé que des redressements soient effectués pour chaque année afin de remplacer les gains en capital et les pertes en capital provenant des placements Canaccord qui avaient été déclarés par des revenus d’entreprise et des pertes d’entreprise. Il a déclaré qu’à ce moment‑là, le ministre n’avait pas donné suite aux demandes de redressement d’une T1.

[12]        Le ministre a initialement établi des cotisations à l’égard de l’année d’imposition 2008 des appelants telles que les déclarations de revenus avaient été produites. Toutefois, le 28 juillet 2011, le ministre a établi de nouvelles cotisations pour l’année 2008 des appelants pour qualifier la perte d’entreprise de perte en capital. Le ministre a également établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2009 et 2010 des appelants pour refuser la déduction des pertes autres que des pertes en capital de 1000 $ et de 50 000 $, respectivement, qui avaient été reportées prospectivement.

[13]        M. Remtilla a déposé des avis d’opposition pour lui‑même et pour son épouse. Mme Agi Zebrowska, agente des appels, a écrit aux appelants et leur a demandé d’expliquer leur position concernant les années 2008, 2009 et 2010.

[14]        En réponse, M. Remtilla a envoyé une lettre distincte pour chaque appelant, dont le contenu était essentiellement le même, et a annexé à cette lettre les demandes de redressement d’une T1 correspondantes. Lors de son témoignage, il a déclaré que Mme Zebrowska n’avait pas pu trouver dans ses dossiers les demandes en question et qu’il les avait produites encore une fois en annexes à ses lettres datées du 29 mai 2012, en réponse à sa lettre. Dans la lettre pour Mme Remtilla, M. Remtilla a écrit ce qui suit au sujet des demandes de redressement d’une T1 :

[traduction]

Cohérence

Lors de l’établissement des déclarations de revenus pour Ruzzmin Remtilla pour 2005, 2006 et 2007 (les années au cours desquelles les comptes Canaccord étaient actifs), nous ne nous sommes pas rendu compte que les opérations sur options auraient dû être inscrites comme des revenus et elles avaient été inscrites par erreur comme des gains en capital et des pertes en capital. Le problème a été constaté au moment de l’établissement de la déclaration de revenus pour 2008, et les opérations pour 2008 ont été correctement inscrites comme des revenus. En même temps, des demandes de redressement d’une T1 ont été envoyées par la poste à l’ARC pour corriger les années 2005, 2006 et 2007. Ces demandes de redressement n’ont pas encore été traitées à ce jour. Les copies de ces demandes sont annexées à la présente.

[15]        Lors de son témoignage, M. Remtilla a déclaré qu’au moment où il avait envoyé ces lettres en mai 2012, il ne voulait pas obtenir que les demandes de redressement soient exécutées, et il ne s’attendait pas à ce que l’ARC y donne suite. Il a dit qu’il voulait simplement souligner le fait qu’il avait tenté d’être cohérent dans la production des déclarations de revenus des appelants. Selon M. Remtilla, lorsqu’il avait produit les demandes de redressement d’une T1 en 2009, il voulait assurer la cohérence.

[16]        Mme Zebrowska a déclaré qu’elle avait des doutes quant à la question de savoir si M. Remtilla avait réellement présenté les demandes de redressements d’une T1 en 2009. Toutefois, M. Remtilla a affirmé qu’il les avait bel et bien envoyées par service de messagerie le 30 avril 2009 et Mme Zebrowska savait aussi que l’ARC égarait des documents. Par conséquent, elle a accordé le bénéfice du doute à M. Remtilla.

[17]        Mme Zebrowska s’était également vue confier deux avis d’opposition supplémentaires que M. Remtilla avait produits pour une question distincte. Il s’était opposé à une nouvelle cotisation par laquelle un revenu non-déclaré de 113 225 $ avait été inclus et des pénalités pour faute lourde de 51 855 $ avaient été imposées pour son année d’imposition 2006. Les mêmes montants avaient également été établis à l’égard de Kabyer Remtilla C.G.A. Co. Corp. pour son année d’imposition 2007, et M. Remtilla avait déposé un avis d’opposition pour le compte de sa société. Il semble que M. Remtilla avait reçu des actions de la société Web World Holdings Ltd. en contrepartie de services qu’il lui avait fournis. Les actions avaient une valeur de 113 225 $ et le ministre avait inclus ce montant aussi bien dans le revenu de M. Remtilla que dans celui de sa société.

[18]        Lors de son témoignage, Mme Zebrowska a déclaré qu’elle avait espéré résoudre en même temps toutes les questions en suspens concernant M. Remtilla. Le 19 juin 2012, elle a envoyé aux appelants une proposition de règlement par laquelle l’ARC convenait de qualifier les montants provenant des placements Canaccord de revenus d’entreprise ou de pertes d’entreprise. Dans la proposition de règlement, Mme Zebrowska a insisté sur le fait que cette qualification ne valait que pour la proposition de règlement. La proposition portait également sur la question d’un revenu non déclaré dans l’année d’imposition 2006 de M. Remtilla et dans l’année d’imposition 2007 de Kabyer Remtilla C.G.A. Co. Corp.

[19]        Le 3 juillet 2012, la proposition de règlement a été retirée parce que M. Remtilla voulait que la question concernant les placements Canaccord et celle concernant le revenu non déclaré soient réglées séparément. Le 4 juillet 2012, il a demandé à Mme Zebrowska d’[traduction] « établir les nouvelles cotisations donnant effet aux modifications concernant les pertes relatives aux opérations sur options » (pièce AR‑1, onglet 24) et lui a donné la liste des modifications qu’il souhaitait apporter aux années allant de 2005 à 2010.

[20]        Après avoir examiné la question concernant les placements Canaccord, Mme Zebrowska a avisé M. Remtilla qu’elle avait décidé de ratifier la nouvelle cotisation établie pour 2008, c’est‑à‑dire que les pertes constituaient des pertes en capital. M. Remtilla a demandé que l’offre initiale soit [traduction] « discutée de nouveau ». Le 1er août 2012, le ministre a présenté une seconde offre de règlement. Celle‑ci était identique à la première proposition de règlement, à l’exception des modifications supplémentaires que M. Remtilla avait demandées pour lui et son épouse pour les années allant de 2005 à 2010. Les ententes de règlement ont été produites sous la forme de renonciations que les appelants ont signées le 2 août 2012.

[21]        Les renonciations étaient identiques pour les deux appelants en ce qui a trait aux placements Canaccord. Toutefois, la renonciation de M. Remtilla comprenait aussi une solution à son opposition concernant sa société et je ne reproduirai donc que cette renonciation. Elle est ainsi libellée :

[traduction]

Je renonce à tous les droits d’opposition ou d’appel à l’égard de toutes les questions relatives aux avis de (nouvelles) cotisations susmentionnés, si l’Agence du revenu du Canada établit de nouvelles cotisations à l’égard des déclarations de revenus conformément à ce qui suit :

KABYER REMTILLA C.G.A. CO. CORP. – Déclaration T2

La cotisation établie par voie de vérification pour augmenter le revenu de 113 225 $ pour l’année d’imposition 2007 est annulée. Les pénalités pour faute lourde imposées sur le montant susmentionné sont annulées.

KABYER REMTILLA – Déclarations T1

2005

La perte de 42 302,57 $ qui a été déclarée comme perte en capital est supprimée de l’annexe concernant le capital et est déclarée comme perte d’entreprise.

2006

Le profit de 53 662,26 $ qui a été déclaré comme un gain en capital est supprimé de l’annexe concernant le capital et est déclaré comme revenu d’entreprise.

La cotisation qui a été établie par voie de vérification pour inclure des revenus non déclarés de 113 225 $ pour les services rendus à la société Web World Holdings Ltd. est ratifiée. Les pénalités pour faute lourde de 51 855 $ imposées sur les revenus non déclarés sont confirmées.

2007

Le profit de 52 508,57 $ qui a été déclaré comme un gain en capital est supprimé de l’annexe concernant le capital et est déclaré comme revenu d’entreprise.

2008

Le montant de 492 052 $ qui a été établi par voie de vérification en tant que perte en capital est supprimé de l’annexe concernant le capital et est déclaré comme perte d’entreprise.

2009

La perte en capital de 113 225 $ sur les actions de la société Web World Holdings Ltd. est accordée.

2010

Le profit de 74 275,99 $ qui a été déclaré comme un gain en capital (règlement Canaccord) est supprimé de l’annexe concernant le capital et est déclaré comme revenu d’entreprise.

Les rajustements susmentionnés sont accordés sur la base de mon acceptation de l’opération dans laquelle la société Web World Holdings Ltd. a émis des actions d’une valeur de 113 225 $ pour les services que j’ai personnellement rendus à ce client. J’accepte les conséquences fiscales de l’opération en question et je ne demanderai pas d’ordonnance de rectification pour faire annuler l’émission des actions susmentionnées.

Les pertes autres que des pertes en capital provenant de la disposition, en 2008, du placement Canaccord serviront à réduire le revenu imposable d’autres années suivant mes instructions, sous réserve des restrictions prévues à l’alinéa 111(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je connais les paragraphes 165(1.2) et 169(2.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et je sais que, si j’accepte la présente proposition, je ne pourrai pas faire opposition ou interjeter appel en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de la nouvelle cotisation établie par voie de vérification et d’appel subséquent.

Il est entendu et convenu que le présent règlement lie mes héritiers, mes exécuteurs testamentaires, mes fiduciaires, mes administrateurs successoraux ainsi que toute autre personne dont la responsabilité pourrait être retenue au titre des impôts, des intérêts et des pénalités découlant du présent règlement.

[22]        Chaque renonciation comportait en annexe la liste, préparée par M. Remtilla, des [traduction] « Modifications proposées » qu’il avait demandées pour les déclarations T1 pour les années allant de 2005 à 2010. Celle liste comprenait la répartition de dons de bienfaisance sur diverses années et l’imputation des pertes autres que des pertes en capital à diverses années.

[23]        Les années allant de 2005 à 2010 des appelants ont fait l’objet de nouvelles cotisations conformément aux ententes le 31 août 2012. Malgré les renonciations qu’ils avaient signées, les appelants ont déposé des avis d’opposition à l’égard de la nouvelle cotisation établie pour leurs années 2006 et 2007. Comme je l’ai déjà signalé, la seule question à trancher en l’espèce est de savoir si les demandes de redressement d’une T1 présentées par les appelants le 30 avril 2009 et datées du 29 avril 2009 constituent des renonciations valides à la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2006 et 2007.

La thèse des appelants

[24]        L’avocat des appelants a soutenu que le ministre n’était investi d’aucun pouvoir prévu par la loi lui permettant d’établir les nouvelles cotisations pour les années 2006 et 2007. Les appelants n’ont pas présenté de renonciation aux périodes normales de nouvelle cotisation selon le formulaire prescrit. Les appelants soutiennent qu’en présentant les demandes de redressement d’une T1, ils n’avaient pas l’intention qu’elles valent renonciation.

[25]        M. Remtilla a déclaré à l’audience que, dans l’exercice de sa profession, il conseille toujours ses clients de ne pas signer une renonciation [traduction] « parce qu’elle donne à l’ARC un délai illimité ». Selon M. Remtilla, l’ARC ne lui a jamais demandé de produire une renonciation pour les années d’imposition 2005, 2006, 2007 ou 2008 et il ne voulait pas que les demandes de redressement d’une T1 constituent des renonciations à la période normale de nouvelle cotisation.

[26]        L’avocat des appelants a soutenu que le ministre n’avait pas le pouvoir d’établir de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2006 et 2007, que les nouvelles cotisations sont nulles ab initio et qu’elles doivent être annulées.

La thèse de l’intimée

[27]        L’avocate de l’intimée a soutenu que les demandes de redressement d’une T1 font état de tous les renseignements requis en matière de renonciation. Elle a déclaré que l’intention des appelants peut être déterminée à partir des documents et des circonstances de l’espèce. Voici ses observations :

[traduction]

Malgré le fait que l’ARC n’avait aucune trace des demandes de redressement d’une T1, elle a, de bonne foi, retenu les affirmations des appelants selon lesquelles les demandes en question avaient été présentées le 29 avril 2009, et qu’elles étaient des renonciations à la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2006 et 2007. C’est sur ce fondement que l’ARC a conclu une entente de règlement avec les appelants afin de résoudre les questions concernant toutes les années ainsi que toutes les questions qui étaient soulevées à l’étape de l’opposition.

[Non souligné dans l’original.]

Le droit

[28]        Il n’est pas controversé entre les parties que le ministre n’est investi d’aucun pouvoir légal d’établir une nouvelle cotisation à l’égard d’une année d’imposition après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, à moins que le contribuable ait fait une présentation erronée des faits ou qu’il ait présenté au ministre une renonciation selon le formulaire prescrit. En l’espèce, la période normale de nouvelle cotisation est de trois ans suivant l’établissement initial des cotisations à l’égard des appelants pour leurs années d’imposition 2006 et 2007. Les cotisations pour les années d’imposition 2006 et 2007 de Mme Remtilla ont été initialement établies le 22 mai 2007 et le 29 mai 2008, respectivement. Les cotisations pour les années d’imposition 2006 et 2007 de M. Remtilla ont été initialement établies le 4 juin 2007 et le 19 juin 2008, respectivement.

[29]        Le sous‑alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi dispose :

152 (4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenus pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

 

a)  le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

[…]

(ii) soit a présenté au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année;

[30]        En l’espèce, le ministre n’avait pas le droit d’établir de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2006 et 2007 des appelants en l’absence d’une renonciation valide présentée avant l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation : Canadian Marconi Co v Canada, [1991] 2 CTC 352 (CAF).

[31]        En principe, la renonciation est présentée au moyen d’un formulaire T2029. Toutefois, la renonciation peut être présentée au moyen d’un autre document, pourvu qu’il fasse état des renseignements prescrits et qu’il soit censé servir de renonciation. L’article 32 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, dispose que « [l]’emploi de formulaires, modèles ou imprimés se présentant différemment de la présentation prescrite n’a pas pour effet de les invalider, à condition que les différences ne portent pas sur le fond ni ne visent à induire en erreur ».

[32]        À l’occasion de l’affaire Mitchell c Canada (Procureur général), 2002 CAF 407, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une lettre rédigée par l’avocat des contribuables à l’intention de l’ARC (alors Revenu Canada) avant l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation valait renonciation. Au paragraphe 40 de cet arrêt, le juge Sexton a formulé les observations suivantes :

Il me semble que Revenu Canada est obligé de considérer tout document comme une renonciation, à condition qu’il contienne les renseignements nécessaires. Revenu Canada n’a pas le choix lorsqu’il s’agit d’accepter ou de refuser une renonciation. Une renonciation est un privilège reconnu au contribuable et, si elle est envoyée, Revenu Canada ne peut pas omettre d’en tenir compte.

[33]        Il incombe au ministre de démontrer que les appelants ont présenté des renonciations pour leurs années d’imposition 2006 et 2007 : Fietz c R, 2011 CCI 493, au paragraphe 40.

[34]        À l’occasion de l’affaire Fietz (précitée), le juge Webb a conclu à l’existence d’une renonciation valide, bien que l’objet de la renonciation n’ait pas été précisé dans le formulaire. Il a conclu que la renonciation était toujours valide parce que son objet était énoncé dans les lettres de proposition. Bien qu’il ait été précisé dans le formulaire T2029 que la partie du formulaire devait être remplie, le juge Webb a conclu que la lettre stricte de la Loi et de la jurisprudence ne l’exigeait pas.

[35]        Pour interpréter une renonciation, il convient de vérifier l’intention que les parties y ont exprimée en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes au sujet desquelles il existe des éléments de preuve : Solberg (SJ) v Canada, [1992] 2 CTC 208 (C.F. 1re inst.). C’est la démarche que la Cour d’appel fédérale a approuvée à l’occasion de l’affaire Mitchell (précitée), au paragraphe 37 de l’arrêt.

[36]        La norme applicable pour rechercher l’intention du contribuable de renoncer à ses droits d’appel ou à la période normale de nouvelle cotisation est celle de l’intention déterminée du point de vue d’un spectateur objectif et raisonnable : Noran West Developments Ltd c R, 2012 CCI 434, au paragraphe 74. Lors de l’analyse de cette notion à l’occasion de l’affaire Noran West Developments Ltd, le juge Paris s’est fondé sur le passage suivant de Fridman tiré du traité The Law of Contract in Canada :

74        Lorsqu’il faut rechercher l’intention des parties, je crois que la recherche de cette intention dans le cas d’une renonciation doit être effectuée de la même manière que pour n’importe quel autre contrat, à savoir en fonction de l’intention exprimée des parties. Cette intention est déterminée du point de vue d’un spectateur objectif et raisonnable. Dans l’ouvrage Law of Contract in Canada, Fridman parle de la formulation classique de cette notion qui est citée dans la décision Smith v. Hughe, en ces termes :

[traduction]

Peu importe l’intention véritable d’une personne dont le comportement ferait croire à quelqu’un de raisonnable qu’elle a consenti aux conditions proposées par l’autre partie, si son comportement mène l’autre partie à s’engager envers elle par contrat sur la foi de cette conviction, elle est liée par le contrat au même titre que si elle avait réellement eu l’intention de donner son accord aux conditions proposées par l’autre partie.

[Non souligné dans l’original.]

Analyse

[37]        Il est évident qu’un document, autre que le formulaire T2029, peut être accepté à titre de renonciation aux fins du sous‑alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi : Mitchell (précité), au paragraphe 40. Je retiens la thèse de l’avocate de l’intimée selon laquelle un document vaut renonciation s’il fait état des renseignements nécessaires et si l’intention du contribuable est manifeste.

[38]        Chaque demande de redressement d’une T1 comprenait le nom de l’appelant, son numéro d’assurance sociale, l’année visée par la demande de redressement ainsi que des précisions sur les redressements demandés. Les demandes de redressement d’une T1 comportaient une date et, pour l’adresse, il était marqué [traduction] « même adresse que dans la déclaration »; elles comportaient également le numéro de téléphone résidentiel des appelants. Les demandes en question n’étaient pas signées, mais, lorsque Mme Zebrowska les avait reçues, elles étaient annexées à une lettre provenant de M. Remtilla. Il ressortait de la lettre que les demandes de redressement d’une T1 avaient été préparées par M. Remtilla.

[39]        À mon avis, les renseignements essentiels qui sont exigés dans le formulaire T2029 figurent dans les demandes de redressement d’une T1 et dans la lettre que M. Remtilla a envoyée à l’ARC.

[40]        La question qui subsiste est de savoir si, au moment où ils avaient présenté les demandes de redressement d’une T1 en 2009, les appelants voulaient qu’elles servent de renonciations pour les années d’imposition 2006 et 2007. Lors de son témoignage, Mme Remtilla a déclaré qu’elle s’en remettait entièrement à M. Remtilla pour les décisions financières. Par conséquent, c’est l’intention de M. Remtilla qui doit être examinée en ce qui concerne les demandes de redressement d’une T1.

[41]        Lors de son témoignage, M. Remtilla a déclaré que, même s’il avait voulu que les demandes de redressement soient exécutées lorsqu’il les avait initialement présentées en 2009, il n’était pas dans son intention qu’elles valent renonciation. Il a déclaré qu’une fois que les années en question avaient été frappées de prescription, il ne voulait plus que les demandes de redressement d’une T1 soient assorties d’effet.

[42]        Le témoignage de M. Remtilla était un témoignage intéressé et manquait de crédibilité. Lors du contre‑interrogatoire, ses réponses étaient tortueuses. Il prétendait qu’il ne comprenait pas les questions auxquelles il fallait répondre par « oui » ou par « non ».

[43]        À mon avis, il est difficile de croire, par exemple, l’affirmation de M. Remtilla selon laquelle il avait présenté des demandes de redressement d’une T1 en 2012 simplement pour démontrer qu’il avait tenté d’être cohérent dans le passé, et qu’il n’avait aucunement voulu que les demandes soient assorties d’effet à ce moment‑là. Si tel avait été le cas, il aurait pu – et il aurait dû – le préciser clairement. Au contraire, il ressort des éléments de preuve qu’il a pleinement participé aux discussions concernant le règlement. Il a donné des instructions quant à la manière dont l’imputation des pertes autres que des pertes en capital devait se faire, et il a requis que des demandes de déduction pour dons de bienfaisance soient présentées pour certaines années. Plus précisément, il a demandé qu’une déduction de 12 000 $ pour des dons supplémentaires soit supprimée de son année d’imposition 2005 et qu’elle soit demandée pour son année d’imposition 2006. Il a demandé que des pertes autres que des pertes en capital de 6 000 $ pour 2008 soient déduites pour son année d’imposition 2006. Il a demandé que des pertes autres que des pertes en capital de 37 000 $ pour 2008 soient déduites pour son année d’imposition 2007.

[44]        Mme Zebrowska a conclu à bon droit que M. Remtilla voulait que les modifications énumérées dans les demandes de redressement d’une T1 soient effectuées. M. Remtilla les lui avait envoyées lorsqu’elle n’avait pas pu les trouver dans le dossier des appelants. Il appartenait à M. Remtilla d’apporter des éclaircissements quant à la raison pour laquelle il avait présenté les demandes de redressement d’une T1, au moment où elles ont été intégrées dans les propositions de règlement, mais il ne l’a pas fait.

[45]        M. Remtilla a refusé la première offre de règlement en se fondant sur le fait qu’il voulait résoudre séparément la question concernant le revenu non-déclaré et celle concernant les placements Canaccord. Toutefois, M. Remtilla s’attendait à ce que la question concernant les placements Canaccord soit traitée conformément à cette entente de règlement. Il avait été [traduction] « choqué » lorsque Mme Zebrowska l’avait avisé qu’elle ratifierait la nouvelle cotisation concernant la question des gains en capital et des pertes en capital (pièce AR‑1, onglet 29, à la page 6). Avant de signer l’entente de règlement le 2 août 2012, M. Remtilla n’a pas déclaré qu’il ne voulait pas que les années 2006 et 2007 fassent l’objet de nouvelles cotisations. Il n’a pas non plus précisé qu’il ne voulait pas que les demandes de redressement d’une T1 soient assorties d’effet en 2012.

[46]        Les motivations de M. Remtilla sont douteuses. S’il n’avait pas réellement voulu que les demandes de redressement d’une T1 soient assorties d’effet en 2012, je me demande pourquoi il n’a interjeté appel qu’à l’égard des nouvelles cotisations établies pour les années 2006 et 2007 et non à l’égard de la nouvelle cotisation établie pour 2005. Est-ce parce que les nouvelles cotisations établies pour 2006 et 2007 avaient inclus dans son revenu des gains et des revenus non déclarés, alors que la nouvelle cotisation pour 2005 avait été établie à son avantage, car une perte en capital avait été changée en perte d’entreprise?

[47]        M. Remtilla avait un avocat lors des négociations en vue d’un règlement, et il est lui‑même comptable fiscaliste expérimenté. S’il n’avait pas voulu que les années d’imposition 2006 et 2007 fassent l’objet d’une nouvelle cotisation compte tenu du fait qu’elles étaient prescrites, il avait amplement la possibilité de soulever la question au cours des négociations en vue d’un règlement en 2012. Le fait qu’il ait attendu jusqu’à ce que l’entente ait été finalisée et qu’il ait obtenu un traitement favorable pour les années d’imposition 2005, 2008 et 2009 s’apparente à une tentative ultérieure de contourner une disposition défavorable d’une entente de règlement qui, par ailleurs, a force obligatoire.

[48]        Compte tenu des éléments de preuve, la personne raisonnable observant les échanges entre M. Remtilla et l’ARC en 2009 et en 2012 conclurait que M. Remtilla a toujours voulu que les demandes de redressement d’une T1 soient assorties d’effet, même après la prescription des années d’imposition 2006 et 2007.

[49]        À mon avis, les appelants voulaient que les demandes de redressement d’une T1 valent renonciation afin de permettre l’établissement de nouvelles cotisations pour leurs années 2006 et 2007. Après avoir utilisé les demandes en question pour obtenir un meilleur traitement fiscal pour d’autres années, les appelants ne sont pas maintenant autorisés à dénoncer leur entente et à faire valoir que les années étaient prescrites.

[50]        En conclusion, les demandes de redressement d’une T1 valaient des renonciations pour les années d’imposition 2006 et 2007. Les appels sont rejetés, les dépens étant adjugés à l’intimée.

Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 12e jour d’août 2015.

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 16jour d’octobre 2015.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 200

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2013-1982(IT)G

2013-1983(IT)G

INTITULÉ :

RUZMMIN REMTILLA et SA MAJESTÉ LA REINE

KABYER REMTILLA et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 mai 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Valerie Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 août 2015

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me David R. Davies

Avocats de l’intimée :

Me Selena Sit

Me Kristian DeJong

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

David R. Davies

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.