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Dossier : 2015-1746(IT)I

ENTRE :

BRIAN BELWAY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 23 septembre 2015 et

décision rendue oralement le 25 septembre 2015,

à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2011, 2012 et 2013 sont rejetés conformément aux motifs du jugement ci-joint.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d’octobre 2015.

« B. Paris »

Juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2015.

M.-C. Gervais


Référence : 2015 CCI 249

Date : 20151028

Dossier : 2015-1746(IT)I

ENTRE :

BRIAN BELWAY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]             Les présents appels sont interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations de l’appelant pour les années d’imposition 2011, 2012 et 2013. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé d’accorder les crédits d’impôt demandés à l’appelant à l’égard d’une personne entièrement à charge au titre de l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

[2]             Le ministre a refusé les crédits en se fondant sur le fait qu’un tribunal avait ordonné à l’appelant de payer une pension alimentaire concernant son fils à son ancienne conjointe de fait pendant chacune des trois années visées par l’appel. Le paragraphe 118(5) de la Loi prévoit qu’aucun montant n’est déductible à titre de crédit d’impôt personnel en application du paragraphe 118(1) relativement à l’enfant du contribuable si ce dernier est tenu de payer une pension alimentaire à un époux ou conjoint de fait ou à un ex-époux ou ancien conjoint de fait et s’il vivait séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l’année.

[3]             L’appelant allègue que son ancienne conjointe de fait et lui devaient tous les deux, en vertu d’une ordonnance d’un tribunal, verser une pension alimentaire à l’autre relativement à leur fils et qu’en conséquence, le paragraphe 118(5.1) s’applique à son dossier. Le paragraphe 118(5.1) de la Loi prévoit que le paragraphe 118(5) ne s’appliquera pas si son application a pour effet de refuser le crédit aux deux parents. 

[4]             Les dispositions pertinentes de la Loi sont ainsi libellées :

Paragraphe 56.1(4)

« pension alimentaire »  Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a) le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

b) le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

Paragraphe 118(5)

Aucun montant n’est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition si le particulier, d’une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne et, d’autre part, selon le cas :

a) vit séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l’année pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait;

b) demande une déduction pour l’année par l’effet de l’article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son conjoint ou ancien conjoint.

Paragraphe 118(5.1)

À supposer que la présente loi s’applique compte non tenu du présent paragraphe, dans le cas où personne n’a droit, par le seul effet du paragraphe (5), à la déduction prévue aux alinéas (1)b) ou b.1) pour une année d’imposition relativement à un enfant, le paragraphe (5) ne s’applique pas relativement à l’enfant pour l’année en cause.

Les faits

[5]             Les faits en cause ne sont pas contestés. L’appelant et Shawna Lalande‑Weber sont les parents d’un garçon né en 1999. Ils ont vécu ensemble pendant environ 18 mois et se sont séparés après la naissance de leur fils. En 2004, une entente de garde partagée ordonnée par un tribunal a commencé à s’appliquer. Cette entente s’applique toujours. 

[6]             Conformément à une ordonnance d’un tribunal rendue le 20 avril 2005, l’appelant était tenu de verser une pension alimentaire à Mme Lalande-Weber relativement à leur fils. 

[7]             Une ordonnance sur consentement modifiée à deux reprises, prononcée par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta le 9 mars 2011, a modifié l’ordonnance de 2005. L’ordonnance de 2011 prévoit, dans son préambule, que [TRADUCTION] « les parties ont convenu de s’éloigner des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants » et qu’elles [TRADUCTION] « conviennent de compenser le montant de pension alimentaire pour enfant établi selon l’article 3 du demandeur au moyen du montant de pension alimentaire pour enfant établi selon l’article 3 de la défenderesse ».  

[8]             L’ordonnance de 2011 prévoyait ce qui suit en ce qui concerne la pension alimentaire pour enfant :

[traduction]

1.       Le demandeur continuera à verser à la défenderesse une pension alimentaire pour enfant établie selon l’article 3, de 676 $ par mois, à compter du 1er décembre 2010, et le premier jour de chaque mois par la suite, jusqu’au 1er avril 2011 inclusivement.

2.       À compter du 1er mai 2011, et le premier jour de chaque mois par la suite, le demandeur continuera à verser à la défenderesse une pension alimentaire pour enfant établie selon l’article 3, de 676 $ par mois […]

[…]

6.       À la date anniversaire de la présente ordonnance, les parties rajusteront la pension alimentaire pour enfant établie selon l’article 3, de manière à ce que le demandeur verse à la défenderesse une pension alimentaire pour enfant établie selon l’article 3 suivant la compensation du montant de pension alimentaire pour enfant établi selon l’article 3 du demandeur et du montant de pension alimentaire pour enfant établi selon l’article 3 de la défenderesse, lequel sera fondé sur le plus élevé des montants suivants, à savoir son revenu ou 35 000 $.

[9]             L’ordonnance de 2011 a été de nouveau modifiée en ce qui concerne le montant de pension alimentaire payable aux termes d’une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta datée du 14 décembre 2012, et ce, de la manière suivante : 

[traduction]

À compter du 1er mars 2012, et le premier jour de chaque mois par la suite, jusqu’à ce qu’une autre ordonnance soit rendue par la Cour, le défendeur versera à la demanderesse 1 075 $ au titre de la pension alimentaire pour enfant établie selon l’article 3.

[10]        L’appelant a présenté des extraits de la transcription de l’instance judiciaire qui a eu lieu le 14 décembre 2012 et qui a mené à l’ordonnance datée du même jour. La discussion qui suit a lieu entre le juge et Me Scheible, avocate de Mme Lalande-Weber, au sujet de la détermination du montant de pension alimentaire pour enfant entre l’appelant et Mme Lalande-Weber :

[traduction]

Me SCHEIBLE : Et, encore une fois, conformément à l’ordonnance sur consentement, le montant compensé serait de 1 075 $?

LA COUR : D’accord. Et son montant payable à lui – à elle – à lui, c’était quoi? Et quel était le montant qu’elle devait payer?

Me SCHEIBLE : Le montant qu’il devait payer était de 1 350 $.

LA COUR : D’accord. 

Me SCHEIBLE : Le montant qu’elle devait payer était de 275 $, ce qui donnait un montant net de 1 075 $.

LA COUR : D’accord. Et donc vous seriez également d’accord pour dire qu’en vertu de l’ordonnance, il n’y a pas d’autres rajustements à faire parce que le prochain rajustement en ce qui concerne la pension alimentaire pour enfant établie selon l’article 3 sera effectué en mars 2013?

Me SCHEIBLE : Oui. Si nous respectons cette ordonnance.

Et à la page 67 de la transcription, la Cour a déclaré ce qui suit :  

[traduction]

 LA COUR : En outre, l’ordonnance prévoit que le montant de pension alimentaire pour enfant établi selon l’article 3 sera compensé par la pension alimentaire pour enfant payable par la défenderesse en fonction du plus élevé des montants suivants, à savoir son revenu ou 35 000 $.

[11]        L’appelant a en outre déclaré qu’il avait consenti sous la contrainte à l’ordonnance de 2011, à une époque où il subissait beaucoup de stress et était incapable de saisir l’importance du libellé utilisé dans l’ordonnance. 

[12]        En ce qui concerne les crédits d’impôt en litige, l’appelant a déclaré que son ancienne conjointe de fait avait consenti à ne pas les demander et le laisser les demander. Le témoignage de l’appelant a révélé que Mme Lalande-Weber s’était remariée en 2008, et, d’après l’appelant, le revenu du ménage de cette dernière et de son époux est considérablement plus élevé que le sien, bien que le revenu de Mme Lalande‑Weber soit négligeable. 

[13]        Enfin, l’appelant a témoigné qu’il avait payé la majorité des dépenses fixes et variables de son fils. Il a produit un certain nombre de reçus pour des dépenses qu’il a supportées pour son fils, notamment des frais de scolarité et de sport, des frais de soins de la vue, le coût de cours de conduite, des frais d’assurance automobile et des frais dentaires. Il a déclaré que, pour les années visées par le présent litige, son fils était entièrement à sa charge.

La position de l’appelant

[14]        L’appelant soutient que la Cour devrait interpréter les ordonnances judiciaires de 2011 et de 2012 comme exigeant que Mme Lalande‑Weber et lui‑même se versent chacun une pension alimentaire pour enfant. 

[15]        Il attire l’attention sur le préambule et sur le renvoi, au paragraphe 6 de l’ordonnance de 2011, au [traduction] « du montant de pension alimentaire pour enfant établi selon l’article 3 du demandeur et [au] montant de pension alimentaire pour enfant établi selon l’article 3 de la défenderesse », qui est une indication que Mme Lalande-Weber et lui devaient tous les deux, en vertu de l’ordonnance, verser une pension alimentaire à l’autre suivant l’article 3 des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants DORS/97-175 (les « Lignes directrices »). L’appelant allègue que leur obligation mutuelle de payer une pension alimentaire pour enfant est également confirmée par les renvois faits par la Cour, pendant l’instance du 14 décembre 2012, à des montants de pension alimentaire pour enfant établis selon l’article 3 payables tant par lui-même que par Mme Lalande-Weber. Il soutient que deux montants de pension alimentaire pour enfant établis selon l’article 3 devaient être payés en vertu des ordonnances et que son ancienne conjointe de fait et lui avaient tous deux l’obligation de payer un montant. 

[16]        L’appelant cherche à établir une distinction entre les faits de l’espèce et les faits de l’arrêt Verones c. R., 2013 CAF 69, où la Cour d’appel fédérale a confirmé une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt avait rejeté l’appel du contribuable interjeté à l’encontre de nouvelles cotisations et refusé de lui accorder les crédits d’impôt pour personnes entièrement à charge et pour enfants qu’il demandait à l’égard de l’un de ses enfants.

[17]        Dans l’affaire Verones, le contribuable était séparé de son ancienne conjointe de fait et devait, selon une ordonnance judiciaire, lui payer une pension alimentaire pour enfant. Le montant de la pension alimentaire avait été établi par la Cour en compensant le montant que le contribuable devait verser pour subvenir aux besoins de ses enfants conformément aux Lignes directrices par le montant que devait payer son ancienne conjointe de fait conformément à ces lignes directrices. Le contribuable alléguait qu’en vertu des Lignes directrices, son ancienne conjointe de fait et lui devaient payer à l’autre une pension alimentaire pour enfant et que la compensation de leurs obligations n’était qu’un moyen d’éviter un échange inutile de chèques entre son ancienne conjointe de fait et lui. En conséquence, il soutient que le paragraphe 118(5.1) s’appliquait et lui permettait de demander les crédits d’impôt.

[18]        La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument de manière définitive, affirmant que le paragraphe 118(5.1) ne s’appliquait pas en cas de compensation des obligations alimentaires prévues dans une ordonnance judiciaire ou un accord écrit. La Cour a conclu que seul le contribuable devait, conformément à l’ordonnance, payer une « pension alimentaire » au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi et que la contribution de son ancienne conjointe de fait n’était pas visée par cette définition, parce qu’il n’existait ni ordonnance ni accord écrit l’obligeant à payer une pension alimentaire pour enfant au contribuable. 

[19]        La Cour a affirmé que « le concept de la compensation ne transforme pas l’obligation respective des parents de contribuer à l’éducation des enfants en une “pension alimentaire” au sens de la Loi ».

[20]        En l’espèce, l’appelant soutient que, dans l’affaire Verones, la pension alimentaire que devait payer le contribuable à son ancienne conjointe de fait avait été déterminée en application de l’article 9 des Lignes directrices, plutôt qu’en application de l’article 3[1].  

[21]        L’appelant est d’avis que la compensation des contributions exigées des deux parents suivant l’article 9 est de nature différente de la compensation des obligations alimentaires suivant l’article 3 qui a été imposée dans les ordonnances de 2011 et de 2012 en l’espèce. Il soutient que les obligations alimentaires établies suivant l’article 3 à l’égard de chaque parent sont des obligations indépendantes, alors que l’application de l’article 9 des Lignes directrices mène à une obligation alimentaire unique pour l’un des parents.

[22]        Au soutien de ses arguments, il allègue que l’article 3 des Lignes directrices est fondé sur un « modèle débiteur/créancier » et que les renvois faits tant dans les ordonnances que dans la transcription, à ses obligations au titre de l’article 3 et à celles de Mme Lalande-Weber, constituent une reconnaissance du fait que chacun d’entre eux devait payer une pension alimentaire à l’autre. L’appelant ajoute que la compensation de ces obligations distinctes ne le prive pas de l’application du paragraphe 118(5.1), parce que cette disposition n’exige pas que chacun des parents fasse un paiement à l’autre au moyen d’un échange physique de fonds. 

[23]        Ensuite, l’appelant allègue que les ordonnances de 2011 et de 2012 étaient mal fondées en droit et que la Cour devrait corriger les erreurs qu’elles contiennent, ou bien annuler les ordonnances ou ne pas en tenir compte. Compte tenu de ma conclusion sur cet argument, que j’énoncerai ci-dessous, il ne sera pas nécessaire que je fournisse des détails sur les erreurs alléguées.

[24]        Pour terminer, l’appelant soutient que le paragraphe 118(5.1) devrait être interprété de manière à s’appliquer aux cas où l’un des époux se remarie et l’autre reste célibataire, et que ceci serait conforme à l’intention sous-jacente du paragraphe 188(5.1), soit que l’un des parents puisse demander le crédit d’impôt pour une personne entièrement à charge, chaque année, à l’égard de l’enfant. L’appelant demande également à la Cour de conclure que son fils était entièrement à sa charge au cours des années en question.

Analyse

[25]        Bien que je souscrive à certains des arguments de l’appelant en ce qui concerne les ordonnances judiciaires de 2011 et de 2012, je ne suis pas convaincu que ces ordonnances exigeaient que Mme Lalande-Weber verse une pension alimentaire pour enfant à l’appelant. 

[26]        Je conviens, comme l’affirme l’appelant, que le libellé du préambule de l’ordonnance de 2011 et les renvois à l’article 3 des Lignes directrices dans les ordonnances de 2011 et de 2012 portent à confusion. Bien que le préambule de l’ordonnance de 2011 énonce que les parties ont convenu de s’éloigner des Lignes directrices, l’ordonnance poursuit en faisant référence aux obligations des parties aux termes de l’article 3 des Lignes directrices. 

[27]        En outre, je conviens avec l’appelant qu’en cas de garde partagée, la détermination du montant de pension alimentaire pour enfant à payer doit être faite en vertu de l’article 9 des Lignes directrices plutôt qu’en vertu de l’article 3, et que l’article 3 ne s’applique que lorsque aucune autre disposition des Lignes directrices n’est applicable pour déterminer la pension alimentaire pour enfant. Cela ressort clairement du libellé des articles 3 et 9 :

Article 3

(1) Sauf disposition contraire des présentes lignes directrices, le montant de l’ordonnance alimentaire à l’égard d’enfants mineurs est égal à la somme des montants suivants :

a) le montant prévu dans la table applicable, selon le nombre d’enfants mineurs visés par l’ordonnance et le revenu de l’époux faisant l’objet de la demande;

b) le cas échéant, le montant déterminé en application de l’article 7[2].

Article 9

Si un époux exerce son droit d’accès auprès d’un enfant, ou en a la garde physique, pendant au moins 40 % du temps au cours d’une année, le montant de l’ordonnance alimentaire est déterminé compte tenu :

a) des montants figurant dans les tables applicables à l’égard de chaque époux;

b) des coûts plus élevés associés à la garde partagée;

c) des ressources, des besoins et, d’une façon générale, de la situation de chaque époux et de tout enfant pour lequel une pension alimentaire est demandée[3].

[28]        De toute évidence, l’article 9 des Lignes directrices est celui qui doit s’appliquer dans le cas de l’appelant et de son ancienne conjointe de fait, puisqu’ils ont la garde partagée de leur fils. Dans l’arrêt Contino c. Leonelli-Contino, 2005 CSC 63, au paragraphe 24, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au sujet de l’article 9 : 

À vrai dire, le texte de l’art. 9 a un caractère impératif. Le tribunal « doit » déterminer le montant de la pension alimentaire pour enfants en fonction des trois facteurs qui y sont énumérés dès que le seuil de 40 p. 100 est atteint. Aucun pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé quant à savoir dans quels cas cette disposition s’applique; seule la détermination du montant de la pension alimentaire donne lieu à l’exercice d’un tel pouvoir.

[29]        Il convient cependant de rappeler que l’ordonnance de 2011 a été rédigée par les avocats des parties et qu’elle a été déposée avec le consentement des parties. De toute manière, aucune des erreurs alléguées contenues dans cette ordonnance ou dans celle de 2012 n’affecte le contenu ou le dispositif de ces ordonnances qui exigent que seul l’appelant paie, chaque mois, une pension alimentaire pour enfant à Mme Lalande‑Weber. La méthode utilisée pour établir le montant à payer par l’appelant en vertu de ces ordonnances est la compensation entre ses obligations alimentaires et celles de Mme Lalande-Weber, et le résultat de cette compensation est que seul l’appelant est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi.

[30]        En outre, je ne vois pas de distinction importante entre la compensation de ce que l’on appelle dans l’ordonnance les montants de pension alimentaire de chacune des parties établis selon l’article 3, et le genre de compensation des obligations alimentaires qui se produit dans le cadre du processus prévu par l’article 9 des Lignes directrices en cas de garde partagée. Suivant chacune de ces compensations, un seul des parents est tenu de verser une pension alimentaire à l’autre, après qu’il a été tenu compte de la contribution de chacune des parties en vertu des tables de pensions alimentaires pour enfants à l’annexe 1 des Lignes directrices, ainsi que de certains autres facteurs dans le cas des déterminations faites en vertu de l’article 9. Pour cette raison, je ne souscris pas à l’argument de l’appelant selon lequel les faits de l’espèce se distinguent des faits de l’affaire Verones. Les deux genres de compensation entraînent le même résultat, soit le versement d’une seule « pension alimentaire » au sens du paragraphe 56.4(1) de la Loi.

[31]        Dans l’arrêt Verones, la Cour d’appel fédérale établit clairement que, pour que le paragraphe 118(5.1) s’applique, les deux parents doivent payer une pension alimentaire pour enfant aux termes d’un accord écrit ou d’une ordonnance judiciaire, et que, lorsque la compensation de leurs obligations donne lieu à une ordonnance de paiement pour un seul des parents, cela n’est pas suffisant pour l’application du paragraphe 118(5.1). En cas de compensation, il est clair que, puisque l’ordonnance judiciaire n’exige pas que les parents se fassent un paiement l’un à l’autre, il n’y a pas d’échanges de chèques, ainsi que l’allègue le contribuable dans l’arrêt Verones et l’appelant en l’espèce. 

[32]        L’argument suivant de l’appelant est que les ordonnances de 2011 et de 2012 sont mal fondées en droit. Comme je l’ai dit à l’appelant lors de l’audience, ces ordonnances ne peuvent être contestées devant la Cour. Seul un tribunal ayant compétence, en appel, sur la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta pourrait les modifier.  

[33]        Une attaque contre une ordonnance ou une décision rendue dans une instance devant une autre cour s’appelle une « attaque indirecte », et les attaques indirectes ne sont pas permises. La Cour suprême du Canada a énoncé cette règle dans l’arrêt Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594, à la page 599 : 

Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d’être infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement.

[34]        Le dernier argument de l’appelant, selon lequel le paragraphe 118(5.1) devrait s’appliquer lorsque l’un des parents se remarie et l’autre demeure célibataire, ne saurait être retenu. Rien dans le libellé du paragraphe 118(5.1) n’appuie une telle interprétation. Il n’est mentionné nulle part que le remariage de l’un ou l’autre des parents permet l’application du paragraphe 118(5.1). 

[35]        L’appelant prétend que le législateur a adopté le paragraphe 118(5.1) parce qu’il voulait faire en sorte que, dans tous les cas, au moins un des parents ait droit aux crédits d’impôt pour personnes entièrement à charge et pour enfants; je ne souscris pas à cette prétention. Il ressort clairement du libellé du paragraphe 118(5.1) qu’il vise les cas où les parents n’ont pas droit aux crédits d’impôt uniquement parce qu’ils sont tous les deux tenus, en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit, de payer à l’autre une pension alimentaire pour enfant au cours de l’année. 

[36]        Le paragraphe 118(5.1) a probablement été adopté en réaction à un certain nombre d’affaires tranchées par la Cour, soit les décisions de Moissac v. The Queen, [2007] 1 C.T.C. 2001; Slade v. The Queen, [2005] 5 C.T.C. 2285; et Leclerc c. La Reine, 2005 CCI 689. Dans chacune de ces affaires, il y avait eu un changement de garde au cours de l’année ayant entraîné un changement des obligations en matière de pension alimentaire pour enfant, de sorte que les deux parents étaient tenus de payer une pension alimentaire au cours de l’année. Dans chacune de ces affaires, la Cour a conclu qu’aucun des deux parents ne pouvait demander les crédits d’impôt pour personnes entièrement à charge et pour enfants en raison du paragraphe 118(5), elle a formulé des observations sur le caractère injuste du résultat et elle a demandé au législateur de modifier la Loi. 

[37]        Dans l’affaire de Moissac, l’ancienne conjointe de fait du contribuable avait eu la garde de leur fils jusqu’au 30 juin 2003, date à laquelle le fils avait emménagé avec le contribuable. En vertu d’un accord écrit, les obligations en matière de pension alimentaire pour enfant du contribuable se terminaient le 30 juin 2003 et son ancienne conjointe de fait commençait à payer une pension alimentaire pour enfant au contribuable le 1er juillet 2003. Dans l’affaire Slade, le contribuable et son ancienne conjointe de fait avaient la garde de leur fille en alternance pour chaque année scolaire. Apparemment, chacun payait une pension alimentaire pour enfant à l’autre lorsque ce dernier avait la garde de l’enfant. Dans l’affaire Leclerc, le contribuable a eu la garde de sa fille jusqu’au 19 novembre 2003 et il recevait une pension alimentaire pour enfant de son ancienne conjointe de fait. Après cette date, la garde de la fille a été accordée à l’ancienne conjointe de fait du contribuable et ce dernier a dû payer une pension alimentaire pour enfant.

[38]        Bien que, dans chacun de ces cas, les parents aient été tenus de se payer une pension alimentaire l’un à l’autre à différents moments de l’année, le paragraphe 118(5.1) a été rédigé de manière à s’appliquer de toute manière lorsque les deux parents sont tenus, en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit, de se payer une pension alimentaire l’un à l’autre, notamment lorsque les parents sont tenus de se faire des paiements l’un à l’autre au cours des mêmes périodes. Cela a mené à de nouvelles difficultés, telles que celles décrites par la Cour dans la décision Ochitwa[4]. Aux paragraphes 8 et 9 de cette décision, le juge Campbell Miller déclare ce qui suit :

[traduction]

[8] […] je suis étonné de constater que, dans le cadre d’une situation de garde partagée, un parent pourra ou non demander le crédit au titre du montant pour personne à charge admissible simplement en raison de la façon dont une ordonnance ou un accord est rédigé. Par exemple, lorsqu’une entente de garde partagée vise deux enfants, il me semble qu’il y a trois façons possibles de prévoir comment sera payée la pension alimentaire pour enfants lorsque chacun des parents gagne un revenu :

1.  Les parents conviennent, ou il leur est ordonné, de payer une pension alimentaire pour un enfant (l’un doit payer 400 $, par exemple, et l’autre 300 $ – le montant net étant de 100 $) : les deux parents pourraient demander le crédit au titre du montant pour personne à charge admissible.

2.  Comme dans l’exemple 2 ci-dessus, les deux parents conviennent, ou il leur est ordonné, de payer une pension alimentaire pour les deux enfants (l’un doit payer 300 $, par exemple, et l’autre 400 $ – le montant net étant de 100 $ : les deux parents peuvent se fonder sur le paragraphe 118(5.1) de la Loi, ce qui annule l’effet du paragraphe 118(5) de la Loi.

3.  Comme dans le cas de M. Ochitwa, le parent dont le revenu est le plus élevé est tenu de payer une pension alimentaire pour les deux enfants (le montant net étant de 100 $ : aucun crédit au titre du montant pour personne à charge admissible ne serait accordé).

[9] Donc, il s’agit d’une même entente de garde partagée, d’une même incidence fiscale, mais d’un résultat différent. C’est dommage. Pourquoi chacun des parents (lorsqu’ils gagnent tous deux un revenu) d’au moins deux enfants, visés par une entente de garde partagée concernant deux enfants ou plus, ne pourraient-ils pas demander un crédit au titre du montant pour personne à charge admissible – un enfant chacun? À mon avis, il faudrait apporter des précisions à ces dispositions afin de s’assurer plus clairement de réaliser les objectifs de la politique, présumément dans l’intérêt des enfants.

[39]        Comme l’a fait remarquer la Cour dans la décision Ochitwa, c’est au législateur qu’il appartient de remédier à la situation.

[40]        Étant donné que j’ai conclu que les ordonnances de 2011 et de 2012 n’exigent pas que l’ancienne conjointe de fait de l’appelant lui paie une pension alimentaire, l’appel doit être rejeté. 

Signé à Ottawa, Canada ce 28e jour d’octobre 2015.

« B. Paris »

Juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2015.

M.-C. Gervais


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 249

NUMÉRO DE DOSSIER DE LA COUR :

2015-1746(IT)I

INTITULÉ :

BRIAN BELWAY ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 septembre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 octobre 2015

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] L’arrêt Verones ne précise pas si la pension alimentaire pour enfant payable par le contribuable avait été établie suivant l’article 9. C’était cependant probablement le cas étant donné que le contribuable et son ancienne conjointe de fait avaient la garde partagée de leurs enfants.

[2]  L’article 7 traite des dépenses extraordinaires.

[3]  Les références que font ces articles à des « tables applicables » sont faites aux Tables fédérales de pension alimentaire pour enfants, qu’on retrouve à l’annexe 1 des Lignes directrices. Ces tables établissent la pension due par enfant selon le revenu du parent et selon la province de résidence. 

[4]  Précitée, note 1

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