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Dossier : 2012-4645(IT)G

 

ENTRE :

ACSIS EHR (ELECTRONIC HEALTH RECORD) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus les 8, 9 et 10 avril 2015, à Halifax (Nouvelle‑Écosse)

Devant : L'honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Me Megan Seto

 

Avocate de l'intimée :

Me Dominique Gallant

Andrea MacNevin (stagiaire en droit)

 

JUGEMENT MODIFIÉ

Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2005 et 2006 sont accueillis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Le présent jugement modifié et les motifs du jugement modifiés remplacent le jugement et les motifs du jugement du 27 octobre 2015, dans lesquels le nom de l'un des avocats de l'appelante avait été omis par inadvertance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 2015.

« Diane Campbell »

La juge Campbell


Référence : 2015 CCI 263

Date : 20151201

Dossier : 2012-4645(IT)G

ENTRE :

ACSIS EHR (ELECTRONIC HEALTH RECORD) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

La juge Campbell

Introduction

[1]             L'appelante a déclaré des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (« RSDE », ou « RS&DE ») de 278 104 $ et de 269 690 $ pour les années d'imposition 2005 et 2006 respectivement, et elle a demandé des crédits d'impôt à l'investissement (« CII ») remboursables correspondants de 125 858 $ et de 113 573 $. Ces montants se rapportent à un projet réalisé au Belize qui a donné lieu à l'établissement du premier système national informatique de santé (« SIS ») au monde.

[2]             L'appelante est une société établie à Fredericton, au Nouveau‑Brunswick. Ses activités commerciales sont centrées sur la conception de systèmes informatiques de santé et de logiciels de gestion des ressources ainsi que sur la prestation de conseils sur l'amélioration des processus. Ces activités comprennent la création de logiciels pour l'administration centralisée des secteurs de la santé nationaux, régionaux et locaux.

[3]             En 2004, le Belize a demandé l'aide de l'appelante pour mettre en service un système national de soins de santé dans ce pays. Les parties ont passé un contrat le 28 octobre 2004. Après avoir commencé le projet, l'appelante a connu de nombreuses difficultés au Belize, notamment à cause de la médiocrité de l'infrastructure des télécommunications. En raison de ces difficultés, l'appelante a été incapable de se servir de son programme de dossiers de santé électroniques (« DSE ») pour atteindre les buts du projet, surtout à cause de l'incapacité de l'infrastructure limitée du Belize de prendre en charge la technologie des DSE. L'appelante n'a donc pas été en mesure de relier les différents établissements de santé, comme les centres de soins de santé, les cliniques rurales, les laboratoires et les pharmacies, pour permettre la circulation des données à grande échelle, comme l'exigeaient les modalités du contrat.

[4]             L'appelante affirme avoir exercé des activités organisées d'expérimentation et de développement dans le but d'établir une nouvelle technologie, à savoir l'« Accesstec Capacity Strengthening Information System » (Système de renforcement de la capacité informatique Accesstec), afin d'adapter son programme DSE existant et de venir à bout des difficultés causées par l'infrastructure. L'appelante prétend que cette nouvelle technologie représente un progrès important pour lequel elle affirme avoir engagé des dépenses de RSDE qui étaient principalement constituées de salaires.

[5]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté les demandes de l'appelante pour les deux années d'imposition, parce que le travail effectué ne correspondait pas à la définition de l'expression « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), étant donné que ces activités n'avaient dissipé aucune incertitude scientifique ou technique.

La question en litige

[6]             La question à trancher consiste à savoir si l'appelante a droit aux CII pour des activités de RSDE pour ses années d'imposition 2005 et 2006.

La preuve

[7]             Quatre témoins ont comparu pour le compte de l'appelante : John Nicholas Rutter, le président et directeur des services techniques, Colin Kilburn, le concepteur de logiciels responsable du projet du Belize, Jeffrey James Bearisto, un ingénieur qui a agi comme chef de projet, et Timothy Warren MacLean Ellis, un conseiller en RSDE chez Grant Thornton. L'intimée s'en est tenue au témoignage de Thomas Edward Hayman, un conseiller en recherche et technologie pour l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »). Je n'ai pas reconnu comme expert John Michael Dedourek, que l'appelante voulait faire témoigner.

[8]             Monsieur Rutter a affirmé que, peu après la signature du contrat, l'appelante a découvert qu'il existait de graves problèmes de connexion partout au Belize. De plus, le Belize disposait d'un budget limité pour ce projet en raison des conditions économiques qui régnaient dans le pays. L'appelante n'avait aucune connaissance préalable de ces contraintes, mais celles‑ci ont imposé de telles restrictions au projet que l'appelante a dû choisir entre l'exécution et l'abandon de son contrat avec le Belize.

[9]             Le contrat prévoyait l'intégration des divers modules de soins de la santé au Belize, y compris les ordonnances, l'approvisionnement en médicaments, les examens en clinique et la comptabilité, dans un système unique d'envergure nationale. Selon le témoignage de M. Rutter, lorsqu'elle a décidé d'exécuter le contrat, l'appelante n'avait aucune attente de réussite particulière en ce qui concerne l'élimination de ces restrictions, parce qu'il lui fallait acquérir de nouvelles connaissances pour faire fonctionner un système intégré, en raison de la gravité des problèmes de connexion. D'après M. Rutter, l'appelante devait tenir compte du fait que [TRADUCTION] « l'exactitude fondamentale » revêtait la plus haute importance pour la transmission des données dans un système de soins de la santé, puisque des vies sont en jeu. M. Rutter a témoigné qu'on ne pouvait pas raisonnablement prévoir résoudre les difficultés techniques à l'aide des procédures habituelles ou des techniques courantes. L'appelante a cherché en vain un logiciel de duplication sur le marché. Elle a dressé un plan dans le but de concevoir une base de données à écritures multiples où chaque ordinateur « nœud » (le Belize en possédait plus de cinquante) pourrait verser des données au dossier principal. Les systèmes de duplication déjà sur le marché sont destinés à des fins différentes et ne convenaient pas à la réalisation des buts du projet du Belize, car ils ne tenaient pas compte des graves problèmes sous-jacents du réseau. En raison de problèmes techniques sans précédent, l'appelante [TRADUCTION] « s'est lancée dans le développement expérimental afin de tenter de créer une technologie qui pourrait reproduire la disponibilité de communications stables dans un environnement hostile où les nœuds doivent utiliser de la façon la plus efficace possible les ressources limitées du réseau » (pièce A‑1, onglet 4, page 2 sur 12).

[10]        Dans son témoignage, M. Rutter a indiqué que la méthode de l'appelante consistait à réaliser des tests et des essais planifiés, conformément à ses buts et à ses objectifs, qui étaient de créer un système de duplication robuste et capable de résister aux problèmes d'infrastructure au Belize, afin de réussir à faire circuler des données médicales essentielles entre les nœuds. Étant donné que le Belize présentait un environnement réseau hostile, le défi à relever était de trouver la meilleure méthode de transmission de données essentielles situées à divers endroits. Il s'agissait de modifications aux dossiers médicaux; il fallait faire en sorte que ceux‑ci puissent être conservés sans perte de données médicales essentielles malgré les pertes fréquentes de connexion. Il était essentiel d'assurer l'exactitude des données : le système devait fonctionner sans faille, car des vies en dépendaient.

[11]        Monsieur Rutter a indiqué que l'accent avait été mis sur les exigences d'un système de duplication qui prendrait en charge un système informatique intégré de santé. Il a décrit les essais réalisés, mais il a déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un processus par tâtonnements. Les premiers essais ont révélé que les algorithmes étaient vulnérables à la perte de données en raison de la piètre connexion. Des mesures ont été faites à l'étape de la conception et, selon les témoignages de M. Rutter et de M. Kilburn, les tests préliminaires ont eu lieu à l'étape du pseudo‑code, avant le développement du code réel. À l'étape du pseudo‑code, on a examiné les vulnérabilités et examiné des solutions pour rendre ces aspects plus fiables.

[12]        Monsieur Kilburn a déclaré qu'il avait conservé des notes, des photos de tableau blanc et des extraits de code pendant la réalisation des tests planifiés. Lors des essais sur des cas précis, certains d'entre eux ont été intégrés au logiciel par des tests unitaires, alors que d'autres ont été mis au point par [TRADUCTION] l'« élaboration d'idées », de la première recherche d'idées à la conception du prototype des divers aspects du système informatique sur la santé qui devaient être intégrés à un environnement de connexion réseau peu fiable. Des tests unitaires et les essais de mise en œuvre ont mené à des algorithmes qu'on a pu améliorer et mettre en œuvre pour essayer de simuler et de valider diverses théories fondées sur la connexion disponible. Dans son témoignage, M. Kilburn a affirmé que des historiques ou des cahiers de notes sur le logiciel permettaient de faire le suivi du fonctionnement du logiciel et qu'une analyse des historiques était effectuée en cas d'erreurs ou de problèmes de connexion. Le code a été modifié pour régler les problèmes pour qu'enfin, en tenant compte de l'environnement attendu, il fonctionne comme prévu dans chaque établissement du Belize. En plus de préparer des algorithmes qui permettraient de synchroniser les données partout dans un système à écritures multiples et de faire en sorte que les données essentielles sur les patients soient toujours accessibles et absolument exactes, M. Kilburn a indiqué qu'il avait tenu des notes de journal et conservé des photos de tableau blanc au sujet des travaux de réflexion et de planification de deux ans qui avaient servi à la conception d'un système exploitable. Lorsqu'il a commencé à travailler à ce projet et qu'il a pris conscience de ces incertitudes technologiques, il n'avait aucun espoir raisonnable que le système informatique de la santé du Belize pourrait être conçu avec succès au moyen des procédures habituelles.

[13]        Dans son témoignage, M. Bearisto a indiqué que ses tâches consistaient notamment à définir un problème, à établir les paramètres qui pourraient être rajustés et à organiser des expériences pour vérifier les résultats possibles. Toutefois, en contre‑interrogatoire, il a affirmé que bien qu'il ait tenu des cahiers de notes pendant tout le projet, il ne savait pas où ceux‑ci se trouvaient. Ses collègues et lui préparaient des expériences de façon contrôlée pour susciter différents conflits afin de les détecter et de les régler. Par exemple, lorsqu'un hôpital et un laboratoire au Belize étaient situés à proximité l'un de l'autre, un patient pouvait être dirigé vers le laboratoire et s'y rendre à pied plus rapidement que les données du patient étaient transmises de l'hôpital au laboratoire.

[14]        Étant donné qu'il s'agissait d'un marché à prix fixe, M. Bearisto a indiqué que l'appelante évitait d'employer une méthode désordonnée pour trouver une solution et qu'elle devait réfléchir très soigneusement à la façon de tenter d'arriver à une solution exploitable vu les contraintes financières. Il a pris soin d'avoir recours à une démarche systématique pour venir à bout des incertitudes technologiques, parce que l'appelante avait [TRADUCTION] « tout misé » sur le projet du Belize (transcription du 9 avril 2015, page 109). M. Bearisto a ajouté que les incertitudes technologiques surmontées pour ce projet n'avaient pas été réglées par tâtonnements ni par le débogage d'un système existant, et qu'elles avaient plutôt été dissipées au moyen d'une enquête systématique et par le développement expérimental.

[15]        Monsieur Ellis a témoigné au sujet de la méthode qu'il a adoptée pour aider l'appelante à déterminer les montants demandés au titre des activités de RSDE selon le travail effectué par les personnes qui participaient au projet du Belize.

[16]        Le témoin de l'intimée, M. Hayman, a passé en revue le processus général qu'il a suivi pour apprécier la demande de l'appelante et pour rédiger le rapport d'examen technologique.

Droit applicable et analyse

[17]        Le terme « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » est défini au paragraphe 248(1) de la Loi :

« activités de recherche scientifique et de développement expérimental » Investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire :

a)         la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b)         la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science avec application pratique en vue;

c)         le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent,

Pour l'application de la présente définition à un contribuable, sont compris parmi les activités de recherche scientifique et de développement expérimental :

d)         les travaux entrepris par le contribuable ou pour son compte relativement aux travaux techniques, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l'analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) qui sont entrepris au Canada par le contribuable ou pour son compte et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

e)         l'étude du marché et la promotion des ventes;

f)          le contrôle de la qualité ou la mise à l'essai normale des matériaux, dispositifs, produits ou procédés;

g)         la recherche dans les sciences sociales ou humaines;

h)         la prospection, l'exploration et le forage fait en vue de la découverte de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel et leur production;

i)          la production commerciale d'un matériau, d'un dispositif ou d'un produit nouveau ou amélioré, et l'utilisation commerciale d'un procédé nouveau ou amélioré;

j)          les modifications de style;

k)         la collecte normale de données.

La disposition pertinente de cette définition, pour les besoins des présents appels, se trouve à l'alinéa c) de la définition ci-dessus.

[18]        Dans la décision 1726437 Ontario Inc. s/n Airmax Technologies c. La Reine, 2012 CCI 376, au paragraphe 13, le juge Hogan a décrit la définition de la façon suivante :

[13]      L'expression « activités de RS & DE » est définie au paragraphe 248(1) de la Loi de la manière suivante :

[...]

La définition ci‑dessus est fondée sur un concept [TRADUCTION] « d'inclusion et d'exclusion ». La définition inclut d'abord un large éventail d'activités de développement aux alinéas a) à c), et des éléments qui seraient normalement inclus sont ensuite exclus aux alinéas e) à k).

[19]        Pour avoir gain de cause, l'appelante doit démontrer qu'elle a supporté des dépenses admissibles pour des activités de RSDE et qu'elle a droit aux crédits d'impôt à l'investissement, comme le prévoit le paragraphe 127(9) de la Loi. La définition de « dépense admissible » se trouve au paragraphe 127(9).

[20]        Comme l'a fait remarquer le juge Little dans la décision Zeuter Development Corporation c. La Reine, 2006 CCI 597, au paragraphe 20 :

[20]      Les dispositions de la Loi prévoient un critère à deux volets. D'abord, il faut décider si le projet, dans son ensemble, remplit les conditions énoncées au paragraphe 248(1). S'il ne satisfait pas à ces exigences, la question est réglée. Cependant, si le projet, dans son ensemble, est admissible, les dépenses et les activités particulières doivent être examinées à la lumière des objectifs du projet. [...]

[21]        La décision de principe demeure Northwest Hydraulic Consultants Ltd. c. La Reine, [1998] A.C.I. no 340 (QL), dans laquelle le juge Bowman (tel était alors son titre) a décrit, au paragraphe 16, cinq critères pour aider la Cour à décider si des activités particulières d'un contribuable constituent des activités de RSDE :

1.         Existe-t-il un risque ou une incertitude technologique?

[...]

2.         La personne qui prétend se livrer à de la RS&DE a‑t‑elle formulé des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude technologique? [...]

3.         Les procédures adoptées sont-elles conformes aux principes établis et aux principes objectifs de la méthode scientifique, définis par l'observation scientifique systématique, la mesure et l'expérimentation ainsi que la formulation, la vérification et la modification d'hypothèses?

[...]

4.         Le processus a-t-il abouti à un progrès technologique, c'est‑à‑dire à un progrès en ce qui concerne la compréhension générale?

[...]

5.         La Loi et son règlement d'application ne le prévoient pas expressément, mais il semble évident qu'un compte rendu détaillé des hypothèses, des essais et des résultats, doive être fait, et ce, au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

[...]

[22]        Ces critères ont été entérinés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt R I S‑Christie Ltd. c. La Reine, [1998] A.C.F. no 1890 (QL), ainsi que dans l'arrêt C.W. Agencies Inc. c. La Reine, 2001 CAF 393.

[23]        Dans le même paragraphe de sa décision Northwest Hydraulic, le juge Bowman a expliqué ce qu'on entend par les termes « risque ou incertitude technologique » :

1.         Existe-t-il un risque ou une incertitude technologique?

a)         Lorsqu'on parle de « risque ou [d']incertitude technologique » dans ce contexte, on laisse implicitement entendre qu'il doit exister une incertitude quelconque qui ne peut pas être éliminée par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles. Je ne parle pas du fait que dès qu'un problème est décelé, il peut exister un certain doute au sujet de la façon dont il sera réglé. Si la résolution du problème est raisonnablement prévisible à l'aide de la procédure habituelle ou des études techniques courantes, il n'y a pas d'incertitude technologique telle que cette expression est utilisée dans ce contexte.

b)         Qu'entend‑on par « études techniques courantes »? C'est cette question (ainsi que celle qui se rapporte au progrès technologique) qui semble avoir divisé les experts plus que toute autre. En résumé, cela se rapporte aux techniques, aux procédures et aux données qui sont généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine.

[24]        Au paragraphe 22 de la décision Zeuter Development, le juge Little (tel était alors son titre) a fait la remarque suivante au sujet de la conception de logiciels :

[22]      Le développement de logiciels peut certainement représenter une activité de RS&DE admissible s'il vise l'avancement de l'informatique ou de la technologie de l'information. [...]

[25]        Toutefois, le juge Bowman a également signalé, au paragraphe 82 de la décision Northwest Hydraulic, que l'« incertitude technologique est une chose qui existe dans l'esprit du spécialiste [...] qui la définit et l'énonce et qui applique ses méthodes en vue d'éliminer cette incertitude ».

[26]        Dans les appels de cette nature, l'appelante a le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les dépenses qu'elle a faites pendant les années d'imposition 2005 et 2006 ont été consacrées à des activités de RSDE, au sens de la définition de ce terme au paragraphe 248(1) de la Loi.

[27]        Compte tenu des faits dont je suis saisie, je suis convaincue que les activités de l'appelante constituaient des activités de RSDE, au sens du paragraphe 248(1) de la Loi, et que c'est à juste titre que les dépenses ont été supportées, qu'elles ont été réclamées pour les années d'imposition 2005 et 2006 et que les CII remboursables correspondants ont été demandés à l'égard du projet du Belize.

[28]        Quand l'appelante a décidé d'exécuter son contrat pour le projet du Belize, au lieu de l'abandonner, le projet nécessitait un service constant et fiable en dépit des problèmes de connexion persistants et imprévisibles au Belize. Malgré les interruptions de service du réseau, chaque nœud devait fonctionner de manière autonome tout en continuant d'assurer l'exactitude des renseignements médicaux de chaque patient, en l'absence de duplication de données. De plus, l'appelante devait se concentrer sur la protection des données essentielles dans les cas où des conflits de données risquaient de découler d'un retard de connexion trop important avec un autre nœud. La technologie que l'appelante a dû concevoir devait soutenir et prendre en charge les applications qui allaient préserver, transmettre et stocker des données médicales essentielles de façon fiable et prévisible dans un réseau instable.

[29]        Les méthodes de duplication qui étaient offertes dans le domaine à l'époque ne convenaient pas aux objectifs de l'appelante pour ce projet. La méthode de duplication la plus couramment utilisée était un système de duplication maître‑esclave. Cette méthode permettait d'apporter des changements dans la base de données maîtresse seulement lorsqu'on dupliquait ou reproduisait ces changements dans les bases de données esclaves. Toutefois, en raison des problèmes de connexion, le projet du Belize exigeait une technologie de duplication qui prendrait en charge les changements à n'importe quelle base de données et qui en permettrait la transmission asynchrone. Comme l'a expliqué M. Rutter :

[TRADUCTION]

L'ordinateur maître ne sait pas s'il y a une connexion avec un des nœuds, et le nœud ne sait pas s'il y a une connexion avec l'ordinateur maître. Il faut donc qu'ils agissent indépendamment ou de manière asynchrone — de manière asynchrone pour transmettre les données.

(Transcription du 8 avril 2015, page 86.)

Les bases de données relationnelles existantes étaient conçues pour fonctionner avec [TRADUCTION] « une solide infrastructure de connexion et un matériel puissant » (pièce A-1, onglet 4, page 2 sur 12). L'appelante avait besoin d'un système de duplication [TRADUCTION] « à écritures multiples » et elle [TRADUCTION] « s'est lancée dans le développement expérimental pour tenter de créer une technologie qui pourrait imiter une infrastructure de communication stable dans un environnement réseau hostile dans lequel chaque nœud doit utiliser les ressources minimales du réseau de la façon la plus efficace possible » (pièce A‑1, onglet 4, page 2 sur 12). Quoi qu'il en soit, comme l'a fait remarquer la juge Woods dans la décision Logitek Technology Ltd. c. La Reine, 2008 CCI 145, au paragraphe 29, si des activités de RSDE sont entreprises pour résoudre un problème technologique, ces activités devraient être admissibles, même si elles n'étaient pas nécessaires parce qu'il existait déjà sur le marché une solution inconnue du contribuable :

[29]      [...] Je crois que le libellé de la définition de l'expression RS&DE donnée dans le texte législatif étaye ce point de vue, et je reproduis ici la partie pertinente de cette définition : « [...] les travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique [...] ». Le fait que le texte législatif insiste sur l'objet visé par les travaux laisse à penser que l'admissibilité des activités de RS&DE serait tributaire de l'objectif que le contribuable s'était fixé et des moyens qu'il a pris pour l'atteindre. Les activités ne devraient pas être inadmissibles simplement parce qu'il existait déjà une solution sur le marché, si le contribuable n'en avait pas connaissance.

[30]        Les incertitudes technologiques, au nombre de 14, ont été résumées à l'onglet 4 de la pièce A‑1. Toutefois, compte tenu de la nécessité de préserver l'exactitude de la base de données, les principales incertitudes étaient les suivantes :

1.       Il a fallu étudier la duplication d'une base de données dans un environnement réseau peu fiable, parce que les outils disponibles étaient inadéquats et la recherche, peu abondante.

2.       Des méthodes ont dû être mises au point pour acheminer les données, pour fusionner les changements aux dossiers à partir de nombreuses bases de données, pour préserver et fusionner les changements aux dossiers à de multiples endroits sans perdre de données essentielles, tout en faisant face aux fréquentes pannes du réseau.

3.       Il fallait résoudre les effets inconnus qu'aurait la manipulation asynchrone de données à de multiples endroits sur les applications précises qu'on devait prendre en charge.

4.       Même si l'appelante parvenait à surmonter les incertitudes, on ne savait pas si l'hypothèse formulée était suffisante pour mettre en service les applications de données essentielles à la mission à l'échelle nationale.

5.       Il fallait voir à la restauration des données, en assurant leur exactitude, lorsqu'un nœud avait été sans connexion pendant une longue période.

6.       Il fallait établir, après des périodes prolongées sans connexion, et donc lorsqu'il y a une grande quantité de modifications à apporter, comment transmettre ces modifications aux autres nœuds si la connexion est peu fréquente.

[31]        Même si l'intimée a fait valoir que certaines des incertitudes n'étaient pas de nature technologique et que l'éventail des solutions disponibles était limité par des contraintes budgétaires et des questions de licence, la preuve des témoins de l'appelante, qui n'a pas été remise en question en contre-interrogatoire, démontrait qu'il était impossible de résoudre les incertitudes avec lesquelles l'appelante était aux prises à l'aide d'études techniques courantes ou d'une procédure habituelle. L'appelante n'avait aucun espoir raisonnable de réussir le projet du Belize si elle n'acquérait pas de nouvelles connaissances. Selon la preuve, l'appelante a mis au point une nouvelle méthode en créant un système de duplication de base de données à écritures multiples. Il ne fait aucun doute que ce système était innovateur, comme le démontrent les éloges dont a fait l'objet le système national informatique de santé de l'appelante dans le rapport de « Vital Wave Consulting » de mai 2009 (pièce A-1, onglet 18, Health Information Systems in Developing Countries). Ce rapport, commandé par la Bill & Melinda Gates Foundation, faisait une analyse globale des systèmes informatiques de la santé dans les pays en voie de développement et a conclu que le système innovateur du Belize était peut-être le système le plus complet au monde. Toutefois, le « résultat atteint » pour les besoins des activités de RSDE ne permet pas de mesurer une incertitude technologique. Comme on peut le lire dans la décision Northwest Hydraulic, l'incapacité d'atteindre l'objectif initial n'invalide ni l'hypothèse émise ni les méthodes employées. Je suis convaincue, à la lumière de la preuve, que les problèmes et les incertitudes rencontrés pendant le projet ne pouvaient pas raisonnablement être résolus à l'aide d'études techniques courantes ou d'une procédure habituelle, contrairement à ce qu'a laissé entendre l'intimée. Le premier critère du risque ou de l'incertitude technologique énoncé dans Northwest Hydraulic a donc été rempli.

[32]        En ce qui concerne le deuxième critère, je suis également convaincue que l'appelante a formulé et mis à l'essai des hypothèses pour surmonter les incertitudes technologiques qu'elle a rencontrées lors du projet du Belize. M. Rutter a affirmé que la méthode à laquelle l'appelante a eu recours faisait appel à des tests planifiés qui comprenaient plusieurs niveaux d'essais ou de tests. Les essais qui ont été effectués n'étaient pas assimilables à une méthode par tâtonnements. M. Kilburn a affirmé que ses notes de journal, ses photos de tableau blanc et ses extraits de code corroboraient son témoignage selon lequel ses collègues et lui‑même avaient effectué des tests planifiés. En contre‑interrogatoire, M. Rutter a indiqué que l'appelante n'avait pas [TRADUCTION] « mesuré ces problèmes de connexion », sauf par l'observation et l'expérience, parce que l'appelante n'avait aucune maîtrise sur la société privée du Belize chargée des télécommunications dans ce pays. Quand on lui a demandé comment l'appelante avait mesuré l'efficacité, M. Rutter a affirmé que l'efficacité était surtout mesurée selon l'exactitude des données lorsqu'elles atteignaient leur destination, en dépit des problèmes de connexion :

[TRADUCTION]

[...] il fallait que le dossier soit celui qui avait été envoyé. Il fallait que ce soit le même. Alors, ce qui a été reçu est ce qui avait été envoyé.

Le test consistait à déterminer s'il s'agissait des mêmes renseignements. Alors, est‑ce que — qu'est-ce que c'était — ce qui se trouvait au nœud parvenait‑il à l'ordinateur maître?

(Transcription du 8 avril 2015, page 106.)

[33]        Monsieur Bearisto a témoigné que sa méthode, en tant que gestionnaire du projet du Belize, était scientifique [TRADUCTION] « et ne consistait pas à essayer des choses au hasard pour voir ce qui fonctionnait » (transcription du 9 avril 2015, page 106). Dans son témoignage, il a déclaré que les expériences étaient conçues d'une manière contrôlée pour recréer les environnements qui produisent les problèmes, ce qui menait généralement à des changements dans le code et entraînait d'autres tests. En raison des contraintes financières et des échéanciers :

[TRADUCTION]

[...] nous n'avions absolument pas le temps d'aborder la question d'une manière désordonnée — dans ce projet. Et nous n'avions pas le temps de nous amuser à simplement essayer des choses. Nous avons dû réfléchir très soigneusement aux obstacles qui se dressaient devant nous.

(Transcription du 9 avril 2015, page 109.)

[...] [N]ous engloutissions de l'argent si nous perdions du temps à essayer des choses au lieu d'expérimenter.

(Transcription du 9 avril 2015, page 110.)

[34]        Monsieur Kilburn a expliqué que la méthode adoptée par l'appelante à l'égard même des composants les plus simples pour détecter s'il y avait une connexion a dû changer, parce que [TRADUCTION] « c'était un niveau de duplication différent de — et Internet ne fonctionne pas toujours. Il fonctionne parfois » (transcription du 9 avril 2015, page 38). La difficulté consistait à fournir un accès égal à des données dont l'exactitude était prévisible, alors que les problèmes de connexion étaient beaucoup plus graves que ceux qu'on rencontre dans un environnement stable et sûr, comme le Canada.

[TRADUCTION]

[...] Dans le cas de certains postes de services de santé isolés au Belize, il fallait un véhicule à quatre roues motrices pour s'y rendre, ils n'avaient pas de courant durant toute la journée et, dans certains cas, peut‑être même pas tous les jours. Ils n'ont ni lignes téléphoniques ni Internet par satellite, et prévoient ne jamais en disposer.

(Transcription du 9 avril 2015, page 38.)

Monsieur Kilburn a également expliqué que la réalisation de tests unitaires a fini par mener aux essais de mise en œuvre au cours desquels les algorithmes ont été mis à l'épreuve et ont été affinés dans des environnements simulés. Pour résumer ce que l'appelante faisait, il a déclaré :

[TRADUCTION]

R.        Nous nous attaquions aux choses, vous savez, nos méthodes n'ont pas changé. Nous formulons des hypothèses. On conçoit la solution en fonction de celles‑ci, puis on met les théories à l'essai pour voir si elles règlent les problèmes.

(Transcription du 9 avril 2015, page 51.)

[35]        Quand elle réalisait des essais et formulait des hypothèses, l'appelante se concentrait sur les objectifs suivants :

1.       Concevoir et mettre au point un système qui serait en mesure de préserver, de gérer, de transmettre et de stocker des données essentielles.

2.       Atteindre un degré supérieur de sécurité, de stabilité et d'exactitude des données dans un environnement de communication hostile et instable.

3.       Atteindre un degré supérieur de confidentialité et de protection des données.

4.       Mettre en œuvre le système sur un matériel technologiquement limité.

5.       Favoriser l'autonomie de l'utilisateur afin d'atteindre les buts en ce qui concerne l'adoption du système par les utilisateurs, c'est-à-dire l'efficacité du système et la sécurité des données.

6.       Réussir à mettre à jour le logiciel perpétuellement et en toute sécurité dans un environnement de communication instable.

7.       Faire en sorte que tout code source diffusé aux utilisateurs ne compromette pas la capacité de l'appelante de se protéger contre les atteintes à ses droits de propriété intellectuelle.

8.       Maintenir des conditions de sécurité intégrée dans un environnement imprévisible.

9.       Mettre en œuvre les fonctions visées malgré un budget prévu limité.

10.     Faire avancer le projet tout en assurant l'exactitude des données.

(Résumé des objectifs énumérés à l'onglet 11 de la pièce A-1, aux pages 4 et 5.)

[36]        Compte tenu de la preuve, qui n'a pas été contredite, je suis convaincue que l'appelante a réalisé des enquêtes systématiques pour le projet du Belize. Les incertitudes et les problèmes technologiques ont été clairement décrits et définis. À l'origine, l'appelante a tenté de reproduire en laboratoire les conditions de l'environnement cible du Belize en mettant l'accent sur le bon fonctionnement des algorithmes de duplication, sans avoir à se soucier des problèmes de réseau, afin de cerner les défauts possibles des algorithmes. Pour qu'on puisse appliquer les algorithmes de duplication aux conditions de l'environnement cible, ils devaient résister aux pannes, pour permettre au système d'exploiter au mieux la connexion quand celle‑ci était disponible. Des objectifs et des hypothèses précis ont été formulés dans le but de tenter de remédier aux incertitudes inhérentes à un projet qui était devenu le centre d'attention de l'appelante pendant cette période. Des séances de recherche d'idées ont eu lieu, les théories ont évolué et des tests ont été réalisés en tenant compte de différentes hypothèses.

[37]        Monsieur Kilburn a expliqué comment les idées de prototypes ont été affinées et comment des [TRADUCTION] « notes de mise en service » ont été tenues pour les divers composants qui se trouvent dans les documents (transcription du 9 avril 2015, page 39). Il a renvoyé au contenu de ces notes, lesquelles énumèrent des [TRADUCTION] « algorithmes bruts » sur le comportement du réseau, les trois étapes de la synchronisation intégrale à l'aide du connecteur mobile, les exigences opérationnelles du gestionnaire des nœuds pour diriger les séquences et les abonnements ainsi que le comportement des nœuds et de l'ordinateur maître (pièce A-1, volume 2, onglet 22). Cette pièce contenait des copies des notes manuscrites concernant notamment les séances au tableau blanc et les idées sur la duplication en ligne en février 2005, des idées sur la détection des conflits en juin 2005, des concepts possibles sur la façon de mettre en service les mises à jour automatiques du logiciel en juillet 2005, des essais de mise en œuvre et des essais sur l'exactitude des données en août 2005, l'amorçage des données comptables en septembre et octobre 2005 ainsi que le transfert et la division des fichiers. Était joint à ces notes un échantillon d'activités de RSDE qui décrivait plus amplement le processus d'enquête systématique qui s'était déroulé à l'égard d'une tâche précise, soit l'observation et l'analyse de la fonction de duplication par ligne commutée, qui faisait partie de l'ensemble du projet. Ce document avait pour but de donner un exemple de l'expérimentation d'un élément du projet qui s'est étalée sur une période de trois semaines au début de 2006. Le document décrivait les objectifs, les procédures, les observations effectuées et les techniques d'enquête qui étaient suivies et utilisées à l'égard de cet élément individuel. Ces divers documents montrent comment le projet a évolué : élaboration d'hypothèses, réalisation de divers essais à partir de théories, mise en place et perfectionnement des algorithmes, et évaluation des résultats.

[38]        Dans son témoignage, M. Kilburn a indiqué que la « méthode scientifique », quand on l'applique à la programmation informatique, n'est pas structurée de la même façon que celle qui serait employée dans une science comme la chimie, qui fait appel aux mesures dans un contexte différent. Quand on lui a demandé en contre‑interrogatoire s'il avait tenu le compte du nombre de tests qu'il avait effectués, il a déclaré que les tests ont été réalisés sous de nombreuses formes, qu'il y en a eu en moyenne des centaines et que [TRADUCTION] « des tests qui sont rédigés une fois peuvent être exécutés un millier de fois » (transcription du 9 avril 2015, page 70).

[39]        Même si la documentation n'était pas aussi détaillée que je l'aurais souhaité, en particulier en ce qui concerne les types d'essais et de tests réalisés et les résultats obtenus, les témoins de l'appelante m'ont convaincue. Dans l'ensemble, leurs témoignages n'ont pas été contestés en contre‑interrogatoire, et MM. Rutter, Kilburn et Bearisto ont donné des explications crédibles concernant l'enquête et la méthode scientifiques qu'ils ont adoptées pour concevoir le système national informatique de santé. En fait, l'avocate de l'intimée a reconnu que la crédibilité n'était pas remise en question (transcription du 10 avril 2015, page 31). Même s'il est toujours préférable qu'un appelant conserve des documents contemporains à l'appui de ses procédures et de ses méthodes d'enquête systématique, comme l'a fait remarquer la juge D'Auray dans la décision 6379249 Canada Inc. c. La Reine, 2015 CCI 77, [2015] A.C.I. no 62 (QL), aux paragraphes 71, 72 et 92, la Loi n'impose aucune obligation juridique de déposer ces documents pour être admissible à la déduction de dépenses. Dans la décision Les abeilles service de conditionnement inc. c. La Reine, 2014 CCI 313, le juge Jorré a formulé une observation similaire et le juge Archambault, dans la décision 116736 Canada Inc. c. La Reine, [1998] A.C.I. no 478 (QL), s'est exprimé ainsi :

Toutefois, la Loi et le Règlement n'exigent pas la production de tels rapports écrits pour permettre à un contribuable de déduire de telles dépenses. Il est possible de présenter une preuve par témoignage verbal. Que le Ministre ou le juge puisse conclure que les activités censément exécutées par un contribuable l'ont réellement été devient alors une question de crédibilité.

[40]        La preuve documentaire dont je dispose, jumelée aux témoignages de vive voix de ces trois personnes, étaye ma conclusion selon laquelle l'appelante s'est livrée à une enquête systématique et a entrepris des tests pour résoudre les incertitudes technologiques. Je ne veux pas laisser entendre par là que les contribuables ne devraient pas se soucier de tenir des dossiers détaillés. Une preuve documentaire détaillée est toujours préférable, et chaque cas est différent en ce qui concerne l'appréciation qui est faite de la preuve. Les contribuables qui se présentent devant la Cour sans avoir les documents nécessaires auront toujours l'obligation peu enviable de persuader la Cour qu'une enquête systématique a été effectuée. Ma conclusion à l'égard des tests découle également de ma conclusion selon laquelle les activités de recherche menées par l'appelante en vue de résoudre de nombreuses incertitudes technologiques en créant une base de données à écritures multiples ont abouti à un progrès technologique.

[41]        La solution aux incertitudes technologiques qui existaient dans le projet du Belize a entraîné la création d'un système de duplication de base de données à écritures multiples. Non seulement cette façon de procéder était-elle innovatrice, mais elle était d'avant-garde, en ce sens qu'elle a produit un système informatique intégré de santé qui a permis la mise en service réussie au Belize du premier système national informatique de santé de son genre. La preuve donne à penser que les programmes de duplication en source libre disponibles n'étaient pas adéquats, car ils étaient conçus pour répondre à des besoins très différents dans le domaine et pour fonctionner dans une solide infrastructure de connexion. Étant donné qu'aucun programme de duplication adéquat n'était disponible, l'appelante a entrepris des travaux de développement expérimental afin de créer une technologie qui pourrait imiter une infrastructure de communication stable dans l'environnement hostile du Belize.

[42]        En dernier lieu, comme je l'ai déjà mentionné dans les présents motifs, en ce qui concerne les dossiers qui ont été conservés à mesure que les essais avançaient, je suis convaincue que l'appelante a tenu des dossiers qui, étayés par les témoignages, démontrent suffisamment qu'elle avait cerné les problèmes propres au projet, qu'elle avait élaboré ses objectifs, formulé ses hypothèses et ses scénarios de test et qu'elle avait modifié ou remanié sa méthode en fonction des résultats qu'elle avait obtenus. Même s'il n'existait pas de dossier sur chaque test réalisé, les témoignages des trois témoins, conjugués aux documents dont je dispose, justifient la conclusion voulant que les tests ont été effectués de la manière décrite dans les témoignages. Même si l'appelante n'a peut-être pas conservé de dossiers détaillés, comme un scientifique aurait pu le faire, sa méthode est assimilable à la méthode scientifique, car les incertitudes et les objectifs ont été cernés et des hypothèses, des essais et des tests ont été élaborés. Il est important de ne pas perdre de vue le fait qu'il s'agit d'une petite entreprise installée à Fredericton, au Nouveau‑Brunswick, qui s'est engagée dans un projet international qui a exigé la mobilisation presque complète de ses employés. Il s'agissait d'un contrat décisif pour la viabilité de l'entreprise de l'appelante. Dans de telles circonstances, je suis d'avis que la bonne façon de procéder consiste à avoir une vue d'ensemble du projet et des activités qui y sont associées, au lieu de disséquer dans le moindre détail chaque composant élémentaire. Je suis également convaincue que la preuve de M. Ellis établit avec exactitude les montants que l'appelante a demandés.

[43]        En résumé, l'appelante a démontré que ses activités correspondaient à la définition d'activités de RSDE qui se trouve au paragraphe 248(1) de la Loi. Par conséquent, les dépenses de l'appelante ont été engagées pour des activités de RSDE et l'appelante a droit aux CII. Les appels sont accueillis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 2015.

« Diane Campbell »

La juge Campbell


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 263

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-4645(IT)G

INTITULÉ :

ACSIS EHR (ELECTRONIC HEALTH RECORD) INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 8, 9 et 10 avril 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :

Le 1er décembre 2015

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Me Megan Seto

 

Pour l'intimée :

Me Dominique Gallant

Andrea MacNevin (stagiaire en droit)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Me Megan Seto

 

Cabinet :

McInnes Cooper

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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