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Dossier : 2013‑148(GST)G

ENTRE :

ELIM HOUSING SOCIETY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu du 23 au 26 mars 2015

à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge Judith Woods


Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley L. Cook

Avocats de l’intimée :

Me Victor Caux

Me Sara Fairbridge

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2007, du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011 est accueilli et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour réexamen et pour l’établissement de nouvelles cotisations, au motif que l’appelante a droit aux remboursements accordés aux organismes de services publics, l’établissement The Emerald correspondant à la définition d’« établissement de santé » et l’établissement The Harrison, à celle d’« établissement admissible ».

L’appelante a droit aux dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 10e jour de novembre 2015.

« J. M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de mai 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 282

Date : 20151110

Dossier : 2013‑148(GST)G

ENTRE :

ELIM HOUSING SOCIETY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

I. Introduction

[1]             Elim Housing Society (« Elim ») est un organisme à but non lucratif de la Colombie-Britannique qui exploite des établissements de soins pour bénéficiaires internes, y compris un établissement de soins de longue durée appelé The Harrison. Le présent appel interjeté conformément à la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) porte sur le droit d’Elim à un remboursement accordé aux organismes de services publics à l’égard de cet établissement.

[2]             Aux fins de la taxe sur les produits et services (TPS) et de la taxe de vente harmonisée (TVH) sous le régime de la Loi, Elim a demandé des remboursements accordés aux organismes de services publics à l’égard de l’établissement The Harrison, soutenant que ses fournitures sont couvertes par l’expression « fourniture en établissement », selon la définition qui figure au paragraphe 259(1) de la Loi. Elim a reçu une nouvelle cotisation ayant pour effet de réduire le montant des remboursements admissibles au motif que l’établissement The Harrison ne réalisait pas des fournitures en établissement.

[3]             Deux périodes de demande sont visées par le présent contentieux, soit les exercices 2009 et 2011. Pour l’exercice 2009, la TPS était en vigueur et le remboursement relativement à l’établissement The Harrison a été ramené de 83 p. 100 à 50 p. 100. Pour l’exercice 2011, la TVH était en vigueur et le remboursement a été réduit de façon semblable. Il n’est pas nécessaire que j’expose les détails du calcul de la réduction de la TVH. Par souci de commodité, je désignerai le remboursement demandé par Elim par l’expression « remboursement de 83 p. 100 » et le remboursement fixé par la cotisation par l’expression « remboursement de 50 p. 100 ».

[4]             Il semble que les montants en litige à l’égard de l’établissement The Harrison se chiffrent à environ 293 337 $ pour 2009 (coûts liés à la construction de l’établissement) et à 13 775 $ pour 2011 (pièce R‑1, onglets 5 et 6).

[5]             Pour la gouverne du lecteur, l’avocate de l’appelante a mentionné au début de l’audience que plusieurs établissements de soins de longue durée sont visés par des litiges fiscaux en cours semblables au présent contentieux et qu’ils pourraient être touchés par l’issue du présent appel.

[6]             Avant l’audience, les parties ont réglé une question de remboursement distincte portant sur un autre établissement de soins pour bénéficiaires internes d’Elim, l’établissement appelé The Emerald, établissement de soins pour personnes âgées en perte d’autonomie. Ce différend a été réglé à l’avantage d’Elim, au motif que l’établissement The Emerald était un établissement de santé admissible au remboursement de 50 p. 100. Les périodes de demande visées par le présent litige sont les exercices 2007 et 2011.

II. Lois applicables

A. Contexte législatif

[7]             La loi applicable, qui est entrée en vigueur en 2005, a élargi l’éventail des établissements admissibles au remboursement de 83 p 100. Avant l’entrée en vigueur des modifications, seuls les établissements désignés à titre d’administrations hospitalières étaient admissibles à ce remboursement.

[8]             À l’annonce des modifications législatives, le ministère des Finances avait précisé que ces nouvelles dispositions avaient été élaborées compte tenu du fait que certains services traditionnellement fournis par les hôpitaux étaient maintenant rendus par d’autres entités sans but lucratif.

[9]             Comme exposé dans les renseignements supplémentaires sur Le plan budgétaire de 2005, le législateur a élaboré la nouvelle mesure législative en tenant compte « des variations importantes des divers modèles de prestation de soins de santé qui existent au pays »; la nouvelle disposition contient sept catégories d’établissements admissibles au pourcentage élevé. La catégorie visée par le présent appel est désignée dans les renseignements supplémentaires comme un établissement qui offre « des soins thérapeutiques de haut niveau » (Mesures fiscales : renseignements supplémentaires, annexe 8, p. 453).

[10]        Une entité comme Elim est admissible à des remboursements parce qu’elle est un organisme à but non lucratif qui reçoit du financement public pour l’exploitation d’un établissement de santé. Comme exposé ci‑après, dans la présente procédure d’appel, la Cour doit essentiellement trancher si l’établissement The Harrison offre des soins d’un niveau suffisant pour remplir les conditions prescrites dans les modifications de 2005 qui donnent droit au remboursement de 83 p. 100.

B. Dispositions législatives

[11]        La Cour est essentiellement appelée à décider dans le présent appel si les services habituellement rendus à l’établissement The Harrison représentent une « fourniture en établissement », selon la définition de ce terme au paragraphe 259(1) de la Loi. Cette disposition législative est reproduite ci‑après.

259. [Remboursement aux organismes de services publics] – (1) Définitions – Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

[…]

« fourniture en établissement » Fourniture exonérée (sauf une fourniture visée par règlement) d’un bien ou d’un service à l’égard de laquelle les conditions suivantes sont réunies :

a) le bien est mis à la disposition d’un particulier, ou le service lui est rendu, dans un hôpital public ou un établissement admissible, dans le cadre d’un processus de soins du particulier qui est médicalement nécessaire pour le maintien de la santé, la prévention des maladies, le diagnostic ou le traitement des blessures, maladies ou invalidités ou la prestation de soins palliatifs et à l’égard duquel les conditions suivantes sont réunies :

(i) il est accompli en totalité ou en partie à l’hôpital public ou à l’établissement admissible,

(ii) il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soit accompli sous la direction ou la surveillance active, ou avec la participation active, d’une des personnes suivantes :

(A) un médecin agissant dans l’exercice de la médecine,

(B) une sage-femme agissant dans l’exercice de la profession de sage-femme,

(C) un infirmier praticien ou une infirmière praticienne agissant dans l’exercice de la profession d’infirmier praticien ou d’infirmière praticienne, si les services d’un médecin ne sont pas facilement accessibles dans la région géographique où le processus est accompli,

(D) une personne visée par règlement agissant dans les circonstances visées par règlement,

(iii) s’agissant de soins de longue durée qui obligent le particulier à passer la nuit à l’hôpital public ou à l’établissement admissible, il exige, ou il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il exige, à la fois :

(A) qu’un infirmier ou une infirmière autorisé soit présent à l’hôpital public ou à l’établissement admissible pendant toute la durée du séjour du particulier,

(B) qu’un médecin ou, si les services d’un médecin ne sont pas facilement accessibles dans la région géographique où le processus est accompli, un infirmier praticien ou une infirmière praticienne soit présent, ou de garde, à l’hôpital public ou à l’établissement admissible pendant toute la durée du séjour du particulier,

(C) que, tout au long du processus, le particulier fasse l’objet d’attention médicale et bénéficie de divers services de soins thérapeutiques et notamment de soins d’infirmiers ou d’infirmières autorisés,

(D) qu’il ne s’agisse pas d’un cas où le particulier ne bénéficie pas des services de soins thérapeutiques visés à la division (C) pendant la totalité ou la presque totalité de chaque jour ou partie de jour qu’il passe à l’hôpital public ou à l’établissement admissible;

b) si le fournisseur n’exploite pas l’hôpital public ou l’établissement admissible, une somme, sauf une somme symbolique, est payée ou payable au fournisseur à titre de subvention médicale relativement à la fourniture.

[…]

[12]        Le terme « fourniture en établissement » est au coeur du présent contentieux, mais il convient d’exposer brièvement la piste législative qui mène à la définition de ce terme.

[13]        Je commence par le paragraphe 259(3) de la Loi, qui ordonne le remboursement de pourcentages établis. Il suffit ici de reproduire la disposition dans sa version en vigueur pendant la période de demande de 2009. Il y est prescrit que :

259.(3) Remboursement aux personnes autres que des municipalités désignées – Sous réserve des paragraphes (4.1) à (4.21) et (5), le ministre rembourse la personne (sauf une personne désignée comme municipalité pour l’application du présent article, un inscrit visé par règlement pris en application du paragraphe 188(5) et une institution financière désignée) qui, le dernier jour de sa période de demande ou de son exercice qui comprend cette période, est un organisme déterminé de services publics, un organisme de bienfaisance ou un organisme à but non lucratif admissible. Le montant remboursable est égal au total des montants suivants :

a) le montant qui correspond au pourcentage établi de la taxe exigée non admise au crédit relativement à un bien ou à un service, sauf un bien ou un service visés par règlement, pour la période de demande;

b) le montant qui correspond au pourcentage provincial établi de la taxe exigée non admise au crédit relativement à un bien ou à un service, sauf un bien ou un service visés par règlement, pour la période de demande.

[Non souligné dans l’original]

[14]        Elim est admissible à des remboursements aux termes de la disposition qui précède, car c’est un « organisme de bienfaisance » qui correspond à la définition élargie de ce terme figurant au paragraphe 259(1), laquelle englobe les organismes à but non lucratif qui exploitent un établissement de santé.

« organisme de bienfaisance » Est assimilé à un organisme de bienfaisance l’organisme à but non lucratif qui exploite, à des fins non lucratives, un établissement de santé, au sens de l’alinéa c) de la définition de cette expression à l’article 1 de la partie II de l’annexe V.

[15]        La définition d’« établissement de santé », reproduite ci‑après, est tirée de l’article 1, partie II de l’annexe V de la Loi.

« établissement de santé »

a) Tout ou partie d’un établissement où sont donnés des soins hospitaliers, notamment aux personnes souffrant de maladie aiguë ou chronique, ainsi qu’en matière de réadaptation;

b) hôpital ou établissement pour personnes ayant des problèmes de santé mentale;

c) tout ou partie d’un établissement où sont offerts aux résidents dont l’aptitude physique ou mentale sur le plan de l’autonomie ou de l’autocontrôle est limitée :

(i) des soins infirmiers et personnels sous la direction ou la surveillance d’un personnel de soins infirmiers et médicaux compétent ou d’autres soins personnels et de surveillance (sauf les services ménagers propres à la tenue de l’intérieur domestique) selon les besoins des résidents,

(ii) de l’aide pour permettre aux résidents d’accomplir des activités courantes et des activités récréatives et sociales, et d’autres services connexes pour satisfaire à leurs besoins psychosociaux,

(iii) les repas et le logement.

[16]        Le paragraphe 259(1) prescrit des pourcentages de remboursement établis qui varient en fonction de la catégorie d’organisme de services publics. Il est libellé ainsi :

« pourcentage établi » Le pourcentage applicable suivant :

a) dans le cas d’un organisme de bienfaisance ou d’un organisme à but non lucratif admissible, qui n’est pas un organisme déterminé de services publics, 50 %;

b) dans le cas d’une administration hospitalière, d’un exploitant d’établissement ou d’un fournisseur externe, 83 %,

c) dans le cas d’une administration scolaire, 68 %,

d) dans le cas d’une université ou d’un collège public, 67 %,

e) dans le cas d’une municipalité, 100 %.

[Non souligné dans l’original]

[17]        Il convient de mentionner que les remboursements s’appliquent à Elim et non à l’établissement The Harrison. Cette précision est importante, parce qu’Elim a d’autres secteurs d’activité. Il semble s’agir d’un oubli du législateur, qui a été corrigé par des modifications rétroactives limitant les remboursements à des activités particulières (paragraphes 259(4.11) et (4.12) de la Loi). Rien ne découle de ces dispositions dans le présent appel.

[18]        La société Elim est d’avis que son pourcentage établi est de 83 p. 100, parce qu’elle est un « exploitant d’établissement » admissible relativement à l’exploitation de l’établissement The Harrison. La Couronne soutient qu’Elim n’est pas un exploitant d’établissement et n’est admissible qu’à un pourcentage établi de 50 p. 100 à titre d’organisme de bienfaisance.

[19]        Un « exploitant d’établissement » englobe un organisme de bienfaisance qui exploite un « établissement admissible ». La définition d’« exploitant d’établissement » reproduite ci‑après est tirée du paragraphe 259(1) :

« exploitant d’établissement » Organisme de bienfaisance, institution publique ou organisme à but non lucratif admissible, sauf une administration hospitalière, qui exploite un établissement admissible;

[Non souligné dans l’original]

[20]        En résumé, puisqu’Elim est un organisme de bienfaisance, conformément à la définition, elle est considérée comme un exploitant d’établissement si elle exploite un établissement admissible. Les conditions à remplir pour être un « établissement admissible » sont exposées au paragraphe 259(2.1) de la Loi. Il est fait mention à l’alinéa a) de cette disposition de la « fourniture en établissement » qui, comme mentionné précédemment, est au cœur du présent contentieux. Le paragraphe 259(2.1) de la Loi est reproduit ci‑après.

259.(2.1) Établissement admissible – Pour l’application du présent article, un établissement ou une partie d’établissement, sauf un hôpital public, est un établissement admissible pour l’exercice de son exploitant, ou pour une partie de cet exercice, dans le cas où, à la fois :

ades fournitures de services qui sont habituellement rendus au public au cours de l’exercice ou de la partie d’exercice dans l’établissement ou dans la partie d’établissement seraient des fournitures en établissement si les mentions d’hôpital public et d’établissement admissible, à la définition de « fourniture en établissement » au paragraphe (1) valaient mention de l’établissement ou de la partie d’établissement;

b) une somme, sauf une somme symbolique, est payée ou payable à l’exploitant à titre de subvention admissible relativement à l’établissement ou à la partie d’établissement pour l’exercice ou la partie d’exercice;

c) un agrément, un permis ou une autre autorisation qui est reconnu ou prévu par une loi fédérale ou provinciale relativement aux établissements servant à la prestation de services de santé s’applique à l’établissement ou à la partie d’établissement au cours de l’exercice ou de la partie d’exercice.

[Non souligné dans l’original]

[21]        Le résumé législatif devrait être complet après l’ajout de quelques autres points. Premièrement, une « fourniture en établissement » désigne une seule fourniture à une personne. Le lien avec les services dans leur ensemble se trouve au paragraphe 259(2.1) de la Loi, où il est fait mention de la fourniture de services « habituellement rendus » dans un établissement.

[22]        Deuxièmement, il est fait mention, au paragraphe 259(2.1) de la Loi, de services habituellement rendus dans l’établissement ou dans la « partie » d’établissement. Aucune des deux parties ne soutient que la mention d’une « partie » d’un établissement est pertinente par rapport au présent appel.

[23]        Troisièmement, la mention de « fourniture exonérée » dans la définition de « fourniture en établissement » n’est pas une question en litige. La Couronne reconnaît en effet que les fournitures à l’établissement The Harrison sont de façon générale des fournitures exonérées, parce qu’elles sont réalisées par un organisme de bienfaisance.

III. Thèses des parties

[24]        Elim fait valoir qu’elle respecte toutes les conditions pour être admissible au remboursement de 83 p. 100 relativement à l’établissement The Harrison.

[25]        La Couronne est en désaccord sur plusieurs des éléments de la définition de « fourniture en établissement ». Les éléments contestés sont exposés ci‑après.

                                  Les fournitures réalisées par l’établissement The Harrison ne font pas partie d’un processus de soins médicalement nécessaire.

                                 Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le processus de soins médicalement nécessaire :

          soit accompli sous la direction ou la surveillance active, ou avec la participation active, d’un médecin,

          exige que, tout au long du processus, le particulier fasse l’objet d’attention médicale, et

          exige que le particulier bénéficie de divers services de soins thérapeutiques et que ces services soient fournis pendant le nombre minimum d’heures prescrit chaque jour.

IV. Faits

A. Introduction

[26]        Les témoins présents à l’audience, qui ont tous été appelés par Elim, étaient : 1) le Dr Larry Gustavson, un médecin qui occupe un poste à la haute direction de la Fraser Health Authority, organisme gouvernemental responsable de l’établissement The Harrison; 2) le Dr Mark Blinkhorn, médecin et directeur médical de l’établissement The Harrison; 3) Hilde Wiebe, infirmière autorisée et directrice des soins infirmiers à l’établissement The Harrison pendant la période pertinente et 4) Shannon Dueck, directrice des loisirs à l’établissement The Harrison. Parmi les éléments de preuve figurent également de volumineux documents et extraits produits lors des interrogatoires préalables de Mme Wiebe et de M. Ron Pike, directeur général de l’établissement The Harrison.

[27]        Je trouve les témoignages de tous les témoins fiables. Le Dr Blinkhorn, plus particulièrement, avait malheureusement tendance, pendant son témoignage, à décrire les services de soins au moyen des termes qui font l’objet du présent contentieux (p. ex. « thérapeutiques »). Ces références à la loi n’étaient pas utiles pour la défense d’Elim, mais ils n’ont pas nui à la fiabilité générale de ce témoignage, surtout compte tenu de la tendance naturelle des témoins à présenter leur « version » sous le meilleur éclairage possible.

[28]        Je m’attacherai maintenant à la constatation des faits. L’établissement The Harrison est de façon générale désigné un établissement de soins de longue durée et il possède une capacité de 118 places. Elim reçoit un financement public provincial pour une partie des résidents de l’établissement. Il n’y a pas d’écart entre les services fournis aux résidents subventionnés et ceux qui sont fournis aux résidents non subventionnés et la présente procédure d’appel ne découle pas de ce fait.

[29]        Pratiquement tous les résidents de l’établissement The Harrison sont âgés et la vaste majorité d’entre eux sont atteints de démence. Dans l’ensemble, ils sont en perte d’autonomie et ils ont habituellement des problèmes médicaux complexes. Leur espérance de vie varie de façon générale entre trois mois et trois ans.

[30]        L’ensemble des résidents de l’établissement The Harrison présentent un état qui nécessite des [traduction] « soins complexes », selon la définition de ce terme dans un manuel des politiques du ministère des Services de santé de la Colombie-Britannique (le « Manuel des politiques ») (Home and Community Care Policy Manual, pièce A‑1, onglet 2).

[31]        La plupart des résidents de l’établissement The Harrison entrent dans l’une des trois catégories de soins complexes qui correspondent aux définitions du Manuel des politiques reproduites ci‑après. Il est à noter que l’appartenance à l’une ou l’autre de ces catégories n’est pas toujours parfaitement tranchée et qu’il faut exercer un certain jugement lors du classement. Dans tous les cas, toutefois, les résidents sont extrêmement dépendants des soins, car ils présentent une déficience mentale ou physique ou sont invalides sur les deux plans.

[traduction]

[…]

Les soins complexes font référence à des niveaux accrus de ressources nécessaires pour répondre aux besoins en soins spécialisés de particuliers donnés. Les soins complexes sont fournis aux personnes dont les besoins font partie de l’un de cinq groupes de besoins en soins définis. Pour tous les groupes, les bénéficiaires des soins ont besoin d’une surveillance de 24 heures sur 24 et de soins professionnels continus dans un établissement de soins.

Groupes de soins complexes

[…]

Groupe B

Personne qui présente un déficit cognitif allant de moyen à grave, mais qui a un comportement socialement acceptable. Cette personne peut être capable ou incapable de se déplacer seule au moyen d’aides à la marche. Voici les indicateurs qui servent à l’évaluation de ce groupe :

La personne :

         est incapable de gérer ses propres soins;

         est incapable de communiquer ses propres besoins;

         a besoin d’une aide importante en matière d’orientation, d’une supervision des activités et d’un nombre considérable d’heures de travail du personnel en raison d’un déficit de compréhension;

         a besoin de l’éventail complet des soins pour les activités de la vie quotidienne (dépendante de l’aide aux activités de la vie quotidienne, y compris l’aide au transfert, l’aide à la mobilité et l’aide pour se nourrir et pour la toilette);

         a besoin d’un environnement sécuritaire pour sa propre protection.

Groupe C

Personne qui présente un déficit cognitif allant de moyen à grave, mais qui a un comportement socialement inacceptable. Cette personne peut être capable ou incapable de se déplacer seule au moyen d’aides. Voici les indicateurs qui servent à l’évaluation de ce groupe :

La personne :

         est incapable de gérer ses propres soins;

         est incapable de communiquer ses propres besoins;

         a besoin d’une aide importante en matière d’orientation, d’une supervision des activités et d’un nombre considérable d’heures de travail du personnel en raison d’un déficit de compréhension;

         a besoin de l’éventail complet des soins pour les activités de la vie quotidienne (dépendante de l’aide aux activités de la vie quotidienne, y compris l’aide au transfert, l’aide à la mobilité et l’aide pour se nourrir et pour la toilette);

         présente des habitudes antisociales, comme cracher, uriner ou déféquer en public ou commettre des outrages à la pudeur;

         a besoin d’un environnement sécuritaire pour sa propre protection, si elle est ambulante;

         peut s’approprier de façon illicite les biens des autres.

Groupe D

Personne dépendante sur le plan physique, mais intacte sur le plan cognitif, dont les besoins médicaux englobent des soins infirmiers professionnels et dont l’état exige un programme visant à maintenir ou à améliorer la capacité fonctionnelle. Voici les indicateurs qui servent à l’évaluation de ce groupe :

La personne :

         est incapable d’utiliser un fauteuil roulant de façon autonome et a besoin de transferts à deux personnes;

         a besoin de soins infirmiers professionnels pour le contrôle et pour d’importantes interventions quotidiennes; ainsi, elle a besoin de soins pour une stomie, pour un ulcère de décubitus ou pour la prévention de points de pression, d’une oxygénothérapie, d’une alimentation entérale ou de la gestion des fonctions vésicale et intestinale;

         a besoin de la supervision d’autres travailleurs de la santé, comme un ergothérapeute ou un physiothérapeute.

[…]

B. Services de soins à l’établissement The Harrison

[32]        La présente partie vise à déterminer les services de soins qui sont disponibles à l’établissement The Harrison. La description ci‑après est tirée de la politique d’Elim en matière de normes de soins à l’établissement The Harrison (pièce A‑1, onglet 15).

[traduction]

[…]

4.1       Services médicaux

Chaque résident est suivi par un médecin autorisé. Les services médicaux sont coordonnés par quatre médecins de l’établissement. Le comité consultatif de la sécurité sert de tribune pour la communication et le dialogue sur les questions se rattachant à la prestation des soins médicaux dans l’établissement et aux soins obtenus dans la collectivité.

4.2       Services de bien-être

Les programmes de bien-être fournissent aux résidents un éventail de loisirs et d’activités thérapeutiques. Des activités de loisirs et de bien-être spécialisées sont élaborées pour les résidents nécessitant des soins complexes, parce que ceux‑ci, en raison de limitations physiques ou d’une déficience cognitive, ont parfois besoin d’aide ou de matériel adapté afin de participer à des activités. Des préposés au bien-être fournissent des programmes de bien-être individuels et collectifs dans chaque milieu.

4.3       Services d’ergothérapie et de physiothérapie

Des services d’ergothérapie et de physiothérapie sont offerts selon le principe du paiement à l’acte.

4.4       Service de pastorale

Le programme de service de pastorale de l’établissement The Harrison offre des programmes de soutien spirituel et répond aux besoins spirituels des résidents, de leur famille et des membres du personnel. Le programme est dirigé par l’aumônier de l’établissement.

4.5       Diététique

Un diététiste sous contrat est chargé d’évaluer les besoins nutritionnels de chaque résident.

4.6       Services infirmiers

L’établissement offre les services infirmiers suivants :

         Le directeur des soins est responsable de la gestion générale et de la coordination des soins aux résidents ainsi que du programme de bien-être à l’établissement The Harrison.

         Le coordonnateur des soins est chargé de la direction générale de la prestation quotidienne et de la coordination des soins aux résidents de l’établissement The Harrison.

         Les chefs d’équipe (infirmiers autorisés et infirmiers auxiliaires autorisés) effectuent une évaluation des résidents et leur fournissent des soins, y compris des médicaments et des traitements; ils communiquent avec les médecins et les autres professionnels ayant pour fonction de répondre aux besoins des résidents.

         Les aides‑soignants fournissent les soins directs aux résidents.

4.7       Service de pharmacie

La pharmacie Rexall fournit les services pharmaceutiques qui sont prescrits par le médecin traitant du résident. Les services sont facturés aux résidents par le biais de leur couverture individuelle du Medical Services Plan (MSP). Rexall fournit également un pharmacien qui sert de ressource clinique et qui participe à l’examen des dossiers médicaux et à d’autres activités de comités de planification de base ou de comités opérationnels. Rexall fournit également une aide à l’éducation des employés.

4.8       Services de laboratoire et de diagnostic        

La société BC Biomedical Laboratories fournit des services de laboratoire sur place une fois par semaine. Les résidents utilisent les services de diagnostic offerts dans la collectivité ou ils sont transférés à l’hôpital Surrey Memorial.

4.9       Musicothérapie

Le musicothérapeute planifie et met en œuvre des programmes de musicothérapie axés sur des méthodes comme l’improvisation, le rêve éveillé dirigé ainsi que le soutien aux pertes et aux deuils; ces activités sont offertes sur une base individuelle ou à des groupes.

[…]

C. Fournisseurs de soins à l’établissement The Harrison

[33]        L’établissement The Harrison est tenu par la réglementation gouvernementale de prévoir un infirmier en fonction en tout temps et chaque résident doit prévoir un médecin qui accepte d’être disponible pour le traiter.

[34]        Pour donner une idée à la Cour du nombre de fournisseurs de soins à l’établissement The Harrison, Elim a fourni un échantillon de plan de dotation. Le résumé qui suit est tiré de la dotation pour les quarts de jour à l’établissement The Harrison.

[35]        L’établissement The Harrison dispose d’environ cinq infirmiers (autorisés ou diplômés) et de 16 aides‑soignants qui sont disponibles pour fournir des soins le jour. Tous les résidents sont vus par le personnel soignant sur une base horaire, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. L’établissement retient également les services de trois préposés aux loisirs et d’un travailleur en réadaptation (pièce R‑1, onglet 33).

[36]        D’autres catégories de fournisseurs de soins travaillent comme contractuels à l’établissement The Harrison, dont un physiothérapeute, un musicothérapeute et un diététiste.

[37]        Au cours des périodes visées par le contentieux, l’établissement The Harrison a reçu du financement public pour le personnel de soins équivalent à 2,8 heures par jour par résident « subventionné ». Ce montant était fondé sur les heures de dotation planifiées par l’établissement.

[38]        Quant aux médecins, la plupart des résidents utilisent les services de l’un des quatre médecins qui ont signé une entente de disponibilité avec l’établissement. Ces médecins font régulièrement des visites à l’établissement, environ à la quinzaine. Certains résidents sont suivis par un autre médecin, ce qui est autorisé, à condition que ce médecin accepte d’être en disponibilité. En plus de faire des visites régulières à l’établissement, les médecins doivent répondre aux membres du personnel infirmier qui communiquent fréquemment avec eux pour obtenir des ordonnances et des conseils.

D. Processus de soins

[39]        Les services de soins fournis à l’établissement The Harrison sont hautement réglementés par le gouvernement provincial. Les résidents doivent subir des examens médicaux et des plans de soins doivent être élaborés en fonction de leurs problèmes de santé; des dossiers détaillés sur la mise en œuvre des plans de soins doivent être conservés; les médicaments doivent être revus tous les six mois et des réunions interdisciplinaires doivent être tenues chaque année. De plus, certains des dossiers doivent être envoyés tous les trimestres à l’autorité gouvernementale compétente.

[40]         Selon le témoignage du Dr Blinkhorn, que j’accueille, les résidents de l’établissement The Harrison, de façon générale :

                        ont des diagnostics identifiant plusieurs maladies;

                        sont en perte d’autonomie et à risque de faire des chutes;

                        ont une peau sujette aux déchirures;

                        sont atteints de démence et ont un déficit cognitif;

                        ont une perte de la fonction sensorielle;

                        ont souvent une mobilité considérablement réduite;

                          souffrent souvent de dépression.

[41]        Des dossiers portant sur trois résidents ont été produits comme preuve par les deux parties. Ces pièces ont été scellées pour protéger la confidentialité de leur contenu.

[42]        Les dossiers de soins les plus complets sont ceux d’un résident dont le nom figure à l’onglet 77 de la pièce R‑2. Selon ces dossiers, les soins quotidiens fournis à ce résident étaient planifiés avec grand soin et en détail, dans le souci d’alléger ses problèmes médicaux. Le plan de soins contient des mesures précises (appelées interventions) pour les problèmes suivants :

                        réactions allergiques (objectif d’absence de réaction);

                        risque de chutes (objectif d’absence de chute);

                        risque d’étouffement (objectif de prévention de l’aspiration);

                       gestion de la douleur (objectif de résorption de la douleur dans l’heure);

                        bain (exige l’aide de deux personnes; objectif que le résident se lave un membre, que le bain se déroule de façon sécuritaire et que le résident soit propre et d’apparence soignée);

                        mobilité (objectif que le résident marche trois pieds avec aide, soit assis dans une chaise 60 minutes par jour et bouge dans son lit sans aide);

                        transfert (objectif que le résident reçoive l’aide nécessaire);

                       incontinence (objectif d’absence d’infection, objectif que le résident soit propre et au sec);

                       soins dentaires (objectif d’absence de douleur au manger et au boire);

                       risque de déshydratation (objectif de maintenir une absorption de liquides minimale);

                       problèmes d’alimentation (objectif de traiter plusieurs problèmes médicaux);

                       problème d’intégrité de la peau (objectif de réduire le risque de rupture de la peau);

                       plaie à la suite d’une chirurgie (objectif de cicatrisation sans complications).

[43]        Outre les soins mentionnés ci‑dessus qui étaient fournis par le personnel, le résident dont il est question à l’onglet 77 recevait régulièrement la visite du Dr Blinkhorn, environ à la quinzaine. Le Dr Blinkhorn participait également à des réunions interdisciplinaires et à des examens des médicaments. Ces activités ont été consignées dans les notes du Dr Blinkhorn, pièce R‑2, onglet 64.

[44]        Le Dr Blinkhorn, pour bon nombre de ses visites, ne signale aucun changement dans l’état du résident, mais un grand nombre de visites consistent à surveiller ou à traiter des problèmes médicaux, allant du lavage des oreilles du résident au moyen d’une seringue au traitement de la douleur et d’affections cutanées.

[45]        Ce résident est le seul pour lequel la preuve en matière de fourniture de soins de santé semble être complète. Parmi les éléments de preuve figurent des graphiques et notes détaillées ainsi que le témoignage du Dr Blinkhorn.

[46]        Je ne suis pas convaincue que la preuve se rattachant aux deux autres résidents est complète et les médecins de ces résidents n’ont pas témoigné. Je ne suis donc pas convaincue que ces éléments de preuve sont suffisamment détaillés pour être considérés comme fiables et représentatifs de l’ensemble des résidents.

[47]        Le Dr Blinkhorn a déclaré dans son témoignage que l’état de santé du résident dont il est question à l’onglet 77 se situait au milieu de l’échelle des mesures de l’état de santé des résidents de l’établissement The Harrison. J’ai donc conclu que les soins fournis à ce résident, comme le montrent les éléments de preuve, sont de façon générale représentatifs des soins fournis à l’établissement. Chaque partie aurait pu produire d’autres éléments de preuve si cela n’était pas le cas.

V. Discussion

A. Introduction

[48]        Comme décrit ci‑après, la définition de « fourniture en établissement » contient plusieurs conditions qui doivent être remplies afin qu’Elim soit admissible au remboursement de 83 p 100 relativement à l’établissement The Harrison.

[49]        Le différend entre les parties porte sur plusieurs de ces éléments, tant du point de vue de la bonne interprétation de la loi que de l’application de la loi aux faits qui se rattachent à la présente affaire. La présente discussion s’attache aux éléments en litige exposés ci‑après.

                        Les services fournis à un résident par l’établissement The Harrison doivent faire partie d’un processus de soins médicalement nécessaire.

                        Il est raisonnable de s’attendre à ce que le processus de soins médicalement nécessaire soit accompli sous la direction ou la surveillance active, ou avec la participation active, d’un médecin.

                        Il est raisonnable de s’attendre à ce que, tout au long du processus, le résident fasse l’objet d’attention médicale et bénéficie de divers services de soins thérapeutiques.

                        Il est raisonnable de s’attendre à ce que le processus de soins médicalement nécessaire exige que le résident bénéficie d’un grand nombre de services de soins thérapeutiques sur une base quotidienne. Le concept de grand nombre est exprimé dans la disposition législative par l’expression « la totalité ou la presque totalité ».

[50]        Ces éléments seront examinés séparément; je résumerai d’abord brièvement ma conclusion.

[51]        Je ferais premièrement remarquer que certaines des parties de la loi sur lesquelles porte le litige utilisent des termes très larges, comme « active » et « thérapeutiques ».

[52]        La Couronne soutient qu’il faudrait donner un sens strict à ces termes. À mon avis, en toute déférence, si le législateur avait voulu que ces termes aient le sens strict proposé par la Couronne, il aurait utilisé un libellé différent.

[53]        L’un des arguments centraux formulés par la Couronne pour appuyer une interprétation restrictive est que celle‑ci correspond davantage à l’intention du législateur exprimée dans les documents budgétaires. La Couronne fait plus particulièrement valoir que l’établissement doit fournir des services qui étaient traditionnellement fournis par les hôpitaux.

[54]        Je suis d’avis que cette thèse n’est pas appuyée par la loi. La loi ne fait aucune mention de services fournis par les hôpitaux. Il n’est pas pertinent de lire cette condition dans la loi, parce que cette lecture aurait pour effet de franchir la ligne entre l’interprétation judiciaire et la rédaction législative, ce qui est inacceptable (Canada (Procureur général) c. Friends of the Canadian Wheat Board, 2012 CAF 183, paragraphe 40).

[55]        De plus, comme l’a souligné l’avocate d’Elim, la Couronne n’a produit aucun élément de preuve quant à la nature des services traditionnellement fournis par les hôpitaux. L’argument de la Couronne quant aux services fournis dans un hôpital n’est donc appuyé ni par la loi ni par la preuve.

[56]        Deuxièmement, je ne suis pas d’accord avec la thèse de la Couronne au sujet des faits de la présente affaire. À mon avis, cette thèse minimise le niveau des soins et l’importance des volets médicaux des soins qui sont fournis aux résidents de l’établissement The Harrison.

[57]        La Couronne fait valoir que l’établissement The Harrison fournit des soins infirmiers et non médicaux et que cette catégorie de soins ne correspond pas à la définition de « fourniture en établissement ». J’estime que cet argument minimise le rôle des médecins dans les soins fournis aux résidents de cet établissement. Les médecins ne sont pas employés par l’établissement The Harrison, mais ils jouent un rôle important dans l’équipe de soins de santé. Ce niveau de participation répond selon moi aux exigences législatives.

[58]        Ayant exposé ma conclusion qu’Elim est admissible au remboursement de 83 p. 100 relativement à l’établissement The Harrison, j’examinerai maintenant les conditions précises de la définition du terme « fourniture en établissement » qui font l’objet du présent contentieux.

B. La société Elim fournit-elle un processus de soins médicalement nécessaire?

[59]        Afin qu’Elim soit admissible au remboursement de 83 p. 100, l’établissement The Harrison doit réaliser des fournitures de biens ou de services qui remplissent les conditions prescrites à l’alinéa a) de la définition de « fourniture en établissement » dont un extrait figure ci‑après.

[…]

a) le bien est mis à la disposition d’un particulier, ou le service lui est rendu, dans un hôpital public ou un établissement admissible, dans le cadre d’un processus de soins du particulier qui est médicalement nécessaire pour le maintien de la santé, la prévention des maladies, le diagnostic ou le traitement des blessures, maladies ou invalidités ou la prestation de soins palliatifs […]

[Non souligné dans l’original]

[60]        La question essentielle qui fait l’objet du désaccord entre les parties est celle de savoir si les soins fournis par l’établissement The Harrison sont médicalement nécessaires.

[61]        Que signifie le terme « médicalement nécessaire »? La difficulté que pose ce langage est qu’il est extrêmement général. Donnons à titre d’exemple une fourniture d’aliments et de boissons, qui peut être considérée comme un service de soins médicalement nécessaire.

[62]        Dans le cas de l’établissement The Harrison, il est logique selon moi de regarder la nature des services de soins fournis et d’établir la mesure dans laquelle ces services traitent des problèmes médicaux.

[63]        Le processus de soins fourni aux résidents de l’établissement The Harrison comporte des soins soutenus tout au long du jour et de la nuit visant à maintenir la santé de personnes qui sont en fin de vie et qui sont de façon générale en mauvais état de santé. La santé des résidents est habituellement fragile et ceux‑ci sont à risque d’avoir de nombreux problèmes médicaux, comme l’étouffement, des plaies cutanées, des infections et des complications liées à des problèmes médicaux ou à une chute. À l’établissement, les soins sont en grande partie fournis dans le cadre de plans de soins élaborés par des infirmiers, qui sont adaptés à des problèmes médicaux précis. Le processus de soins fourni aux résidents est médicalement nécessaire, selon moi.

[64]        La Couronne soutient que le terme « médicalement nécessaire » devrait signifier [traduction] « médicalement nécessaire comme établi par un médecin » (observations écrites de l’intimée, paragraphe 91). Je rejette cette interprétation, parce qu’elle n’est pas appuyée par la loi.

C. Y a‑t‑il direction, surveillance ou participation active de médecins?

[65]        Le sous-alinéa a)(ii) de la définition de « fourniture en établissement » prescrit qu’il doit être raisonnable de s’attendre à ce que le processus de soins soit accompli sous la « direction ou la surveillance active » ou avec la « participation active » d’un médecin. Cette disposition est reproduite ci‑après.

a) […] un processus de soins […] à l’égard duquel les conditions suivantes sont réunies :

[…]

(ii) il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soit accompli sous la direction ou la surveillance active, ou avec la participation active, d’une des personnes suivantes :

(A) un médecin agissant dans l’exercice de la médecine,

(B) une sage-femme agissant dans l’exercice de la profession de sage-femme,

(C) un infirmier praticien ou une infirmière praticienne agissant dans l’exercice de la profession d’infirmier praticien ou d’infirmière praticienne, si les services d’un médecin ne sont pas facilement accessibles dans la région géographique où le processus est accompli,

(D) une personne visée par règlement agissant dans les circonstances visées par règlement,

[…]

[66]        Cet élément exige qu’on regarde le processus de soins médicalement nécessaire et qu’on examine la nature de la participation du médecin. L’élément comporte deux conditions : 1) qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le médecin participe au processus de soins et 2) que cette participation soit « active ».

[67]        La Couronne concède que les médecins participent au processus de soins à l’établissement The Harrison. Le différend porte sur la question de savoir si cette participation est « active ».

[68]        Étant donné que le législateur a utilisé un terme général comme « active », il est clair qu’il n’envisage pas un critère de démarcation nette. De plus, le terme « active » a potentiellement un sens très large. Il n’y a pas de bonne raison, selon moi, de lui donner une interprétation indûment étroite.

[69]        La preuve au sujet du rôle des médecins à l’établissement The Harrison a été principalement fournie par le Dr Blinkhorn.

[70]        La plupart des résidents de l’établissement The Harrison utilisent les services des médecins associés avec l’établissement. Certains résidents sont toutefois suivis par un médecin qui n’a pas de lien avec l’établissement. Ces résidents désirent peut-être conserver les services d’un médecin avec lequel ils entretiennent déjà une relation. J’accueille le témoignage du Dr Blinkhorn selon lequel bon nombre de ces résidents décident plus tard de se tourner vers les médecins associés avec l’établissement The Harrison pour des raisons d’ordre pratique.

[71]        Le processus de soins à l’établissement The Harrison est intense et continu. Dans de telles circonstances, l’exigence qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les médecins soient « actifs » est remplie, car la participation des médecins est fréquente et régulière. Les médecins ont de façon générale une approche proactive, rendant visite à leurs patients environ toutes les deux semaines. En plus de voir leurs patients, ils reçoivent à cette occasion des comptes rendus du personnel infirmier de l’établissement. Enfin, les médecins sont disponibles en tout temps et ils participent aux réunions interdisciplinaires de l’établissement et aux examens des médicaments.

[72]        La Couronne fait valoir que les visites des médecins sont, de façon générale, de nature routinière. Je pense que cette remarque minimise l’importance de ces visites, étant donné le mauvais état de santé des résidents. En tout cas, les visites de routine contribuent aussi à remplir la condition de la participation « active ». Si le législateur avait eu l’intention de prescrire une participation des médecins plus forte, il l’aurait prescrite clairement dans la Loi.

[73]        La Couronne soutient également que, compte tenu de l’intention de la politique exposée dans les documents budgétaires, le terme « active » signifie que seuls les établissements créés pour fournir des traitements médicaux ou chirurgicaux sont admissibles (observations écrites de l’intimée, paragraphe 85). Cette interprétation n’est toutefois pas appuyée par le libellé de la Loi. L’expression clé est « processus de soins […] qui est médicalement nécessaire ». Cette expression ne vise pas seulement les traitements médicaux et chirurgicaux.

[74]        La Couronne fait valoir que les médecins qui traitent les résidents à l’établissement The Harrison jouent un rôle passif ou accessoire dans le processus de soins (observations écrites de l’intimée, paragraphe 64). Cette opinion ne tient pas compte du véritable rôle des médecins dans le processus de soins. En effet, non seulement les médecins sont disponibles en tout temps pour les résidents, mais en raison de leurs visites régulières et de leurs autres interactions avec le personnel infirmier, ils connaissent très bien l’état de leurs patients et il leur tient à cœur de leur fournir des soins.

[75]        Enfin, la Couronne soutient que, conformément au règlement, les résidents admis à l’établissement doivent être dans un état stable sur le plan médical. Le Dr Blinkhorn a exprimé des doutes quant à l’exactitude de cette exigence, mais en tout cas, celle‑ci ne s’applique qu’à l’admission d’une personne comme résident. En fait, l’espérance de vie des résidents de l’établissement varie entre trois mois et trois ans. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les résidents aient besoin de soins médicaux importants fournis par un médecin au cours de ce stade final de leur vie.

D. Les résidents font-ils l’objet d’une attention médicale?

[76]        Une autre condition ne s’applique qu’aux établissements de soins de longue durée, dont fait partie l’établissement The Harrison. Cette condition est la suivante : il est raisonnable de s’attendre à ce que, tout au long du processus, le résident fasse l’objet d’attention médicale. La disposition pertinente est reproduite ci‑après.

[…]

(iii) s’agissant de soins de longue durée qui obligent le particulier à passer la nuit à l’hôpital public ou à l’établissement admissible, il exige, ou il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il exige, […]

[…]

(C) que, tout au long du processus, le particulier fasse l’objet d’attention médicale […]

[…]

[77]        Cette exigence est remplie dans le cas des résidents de l’établissement The Harrison. L’attention médicale est démontrée par le fait que les résidents sont tenus de prévoir un médecin qui accepte d’être disponible en tout temps et que l’établissement a l’obligation de tenir des réunions interdisciplinaires pour chaque résident, une fois par année, auxquelles participe habituellement un médecin. De plus, les résidents qui sont suivis par les médecins associés avec l’établissement reçoivent régulièrement la visite de ceux‑ci; pendant ces visites, les médecins reçoivent un compte rendu du personnel infirmier. Le processus de soins est un travail d’équipe et cette équipe est composée d’infirmiers et de médecins.

[78]        Il convient de mentionner que cette exigence législative est axée sur le résident. C’est le résident qui doit faire l’objet d’attention médicale, et non le processus de soins. Il n’est donc pas nécessaire que le médecin gère le processus de soins proprement dit.

[79]        Il est clair que les résidents de l’établissement The Harrison font habituellement l’objet d’attention médicale et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que cette attention soit exigée par le processus de soins.

E. Les résidents reçoivent-ils suffisamment de services de soins thérapeutiques?

[80]        Il reste deux éléments en litige dans la définition de « fourniture en établissement »; les deux ont un lien avec le terme « services de soins thérapeutiques ». Selon ces éléments, il est raisonnable de s’attendre à ce que le processus de soins exige que le résident bénéficie de divers services de soins thérapeutiques tout au long du processus et qu’il reçoive chaque jour une quantité suffisante de services de soins thérapeutiques.

[81]        Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites ci‑après.

[…]

(iii) s’agissant de soins de longue durée qui obligent le particulier à passer la nuit à l’hôpital public ou à l’établissement admissible, il exige, ou il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il exige, […]

[…]

(C) que, tout au long du processus, le particulier […] bénéficie de divers services de soins thérapeutiques et notamment de soins d’infirmiers ou d’infirmières autorisés,

(D) qu’il ne s’agisse pas d’un cas où le particulier ne bénéficie pas des services de soins thérapeutiques visés à la division (C) pendant la totalité ou la presque totalité de chaque jour ou partie de jour qu’il passe à l’hôpital public ou à l’établissement admissible;

[…]

[82]        Il s’impose en premier lieu d’établir quels services de soins fournis aux résidents de l’établissement The Harrison, le cas échéant, sont des services de soins thérapeutiques.

[83]        Le différend entre les deux parties porte sur la question de savoir si les services fournis par des aides‑soignantes à l’établissement The Harrison, comme l’aide pour la toilette et le bain, constituent des services de soins thérapeutiques.

[84]        Je commence ma discussion en examinant le sens ordinaire des termes « soins de santé » et « thérapeutique ».

[85]        Le terme « soins de santé » n’est pas défini dans la Loi et son sens ordinaire est large. Le Canadian Oxford Dictionary (2e édition) définit « health care » [ soins de santé] de la façon suivante :

[traduction] Maintien et amélioration de la santé, particulièrement lorsque les soins sont administrés par des services et établissements médicaux organisés.

[86]        Le sens ordinaire du terme « thérapeutique » est également très large. Comme l’a établi dernièrement la Cour suprême du Canada, le terme « thérapeutique » peut vouloir dire « [c]e qui adoucit, abolit les maux [du corps et] de l’âme » : Cuthbertson c. Rasouli, 2013 CSC 53 (décision portant sur le consentement du patient dans le contexte d’un traitement de maintien de la vie). La juge en chef McLachlin a écrit au paragraphe 41 que :

[41]      Le Trésor de la langue française informatisé (en ligne), [sic] définit le terme « thérapeutique » comme ce « [q]ui se rapporte au traitement des maladies », mais aussi comme « [c]e qui adoucit, abolit les maux [du corps et] de l’âme ». Le fait de continuer à administrer à M. Rasouli le traitement de maintien de la vie ne vise pas le but qui se rapporte au « traitement des maladies ». Cependant, il est possible d’affirmer que cela « adoucit, abolit les maux [du corps] », en ce sens où ce traitement maintient le patient en vie.

[87]        Il faut aussi prendre en considération le contexte dans lequel le terme « thérapeutique » est utilisé dans la Loi. Il est clair que le législateur avait l’intention de restreindre le sens du terme « thérapeutique » au genre de « soins de santé » admissibles, sinon, il n’aurait pas utilisé ce déterminant. Par ailleurs, le contexte appuie le sens large et général du terme « thérapeutique ».

[88]        Une bonne façon d’approcher la question dans cette affaire est d’examiner la mesure dans laquelle on s’attend à ce que les soins fournis par les aides‑soignants à l’établissement The Harrison allègent les problèmes médicaux.

[89]        L’expression « services de soins thérapeutiques » n’engloberait pas toujours l’aide pour la toilette et l’aide au bain, mais il pourrait englober ces activités dans les cas où l’aide est fournie de façon à tenir compte de problèmes médicaux.

[90]        Selon la preuve, bon nombre des services de routine fournis aux résidents par des aides‑soignants utilisent des compétences en soins infirmiers pour traiter des problèmes médicaux particuliers. Les plans de soins sont élaborés par le personnel infirmier et ils sont mis en œuvre par les aides‑soignants. Ces plans sont très détaillés et ils portent tout particulièrement sur les besoins spéciaux des résidents de l’établissement The Harrison qui ont une limitation fonctionnelle. Cette spécificité des soins peut être constatée dans le plan de soins exposé à l’onglet 77, comme résumé précédemment.

[91]        Il n’est pas nécessaire dans le présent appel de fournir une définition exhaustive du terme « thérapeutique ». Comme il est possible de le voir à l’onglet 77, les soins qui sont fournis par des aides‑soignants à l’établissement The Harrison appartiennent à une catégorie différente de celle dont fait partie l’aide ordinaire pour les activités de la vie quotidienne dont une personne moins fragile pourrait avoir besoin. Je conclus que le niveau de compétences auquel font appel les plans de soins mis en œuvre par les aides‑soignants remplit la condition posée pour que les soins correspondent à divers « services de soins thérapeutiques ».

[92]        La Couronne soutient aussi que le terme « thérapeutique » a un sens plus étroit que celui qui est indiqué précédemment. La Couronne fait valoir que, selon le sens ordinaire de ce terme, il y a : [traduction] « identification ou diagnostic d’une blessure, d’une maladie ou d’une invalidité donnée ou d’un autre problème de santé d’une personne et il doit être raisonnable de conclure que le service en question est rendu avec l’objectif de traiter et de soigner ce problème de santé ou ses symptômes » (observations écrites de l’intimée, paragraphe 122.)

[93]        Bien que la Couronne ait cité plusieurs précédents jurisprudentiels pour appuyer un sens étroit du terme « thérapeutique », elle n’a pas cité le récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Rasouli, précitée. Elle s’est plutôt fiée à la décision d’un tribunal inférieur dans l’affaire Rasouli v. Sunnybrook Health Sciences Centre, 2011 ONCA 482. Le sens étroit conféré au terme « therapeutic » [thérapeutique] par le tribunal inférieur n’a pas été entériné par la juge en chef McLachlin. À mon avis, la Couronne a commis une grave erreur en ne se référant pas à la décision finale dans cette affaire.

[94]        Enfin, je mentionnerais brièvement une autre condition relativement aux services de soins thérapeutiques. C’est le critère de la « totalité ou la presque totalité » que contient la division D mentionnée précédemment.

[95]        Le critère de la « totalité ou la presque totalité » établi dans cette partie de la Loi contient une double négation et il est extrêmement difficile à interpréter. Il n’est heureusement pas nécessaire que je consacre trop de temps à essayer de le déchiffrer, parce que je suis convaincue que le critère est respecté si j’utilise l’interprétation qui a été adoptée par les deux parties. Selon le critère convenu, les services de soins thérapeutiques devraient être fournis pendant au moins 2,4 heures (10 p. 100) chaque jour.

[96]        Même s’il n’est pas nécessaire que j’aborde cette question pour rendre ma décision, je désirerais mentionner que les interprétations juridiques du critère de la « totalité ou la presque totalité » dans d’autres contextes fiscaux, qui sont nombreux, n’appuient pas le critère de démarcation nette de 10 p. 100 mis de l’avant par les parties. Un pourcentage inférieur suffit.

[97]        Si nous nous attachons aux faits de la présente affaire, nous voyons que l’établissement The Harrison a reçu pendant la période pertinente un financement pour 2,8 heures de soins par résident par jour. Puisqu’une partie des soins fournis à l’établissement sont rendus à des groupes (p. ex. la surveillance du risque d’étouffement pendant les repas), le financement couvre en fait une période supérieure à 2,8 heures de soins par jour par résident.

[98]        Compte tenu du haut niveau de soins de santé fournis de façon générale à l’établissement The Harrison, je conclus que cette condition est remplie.

VI. Conclusion

[99]        Comme l’indiquent les motifs qui précèdent, j’ai conclu que la société Elim est admissible aux remboursements demandés. L’appel sera accueilli en son entier, avec dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 10e jour de novembre 2015.

« J. M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de mai 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 282

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013‑148(GST)G

INTITULÉ :

ELIM HOUSING SOCIETY et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DE L’AUDIENCE :

Du 23 au 26 mars 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 novembre 2015

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley L. Cook

 

Avocats de l’intimée :

Me Victor Caux

Me Sara Fairbridge

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Kimberley L. Cook

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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