Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2013-1636(IT)G

ENTRE :

FIDUCIE CLAUDE DERAGON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 17 juin 2015, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Aaron Rodgers

Me Antoine Michaud-Soret

Avocate de l'intimée :

Me Natalie Goulard

 

JUGEMENT MODIFIÉ

        L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu datée du 23 mai 2008 concernant l’année d’imposition 2004 de l’appelante est accueilli en partie sans frais vu que chaque partie a eu un succès mitigé. La cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de donner effet à la concession de l’intimée de diminuer de 16 000 000 $ à 15 500 000 $ le produit de disposition total des actions vendues par l’appelante et certains autres détenteurs d’actions en vertu des trois conventions prenant effet le 1er mai 2004 aux fins du calcul du gain en capital réalisé par l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2015.

« Réal Favreau »

Juge Favreau


Référence : 2015 CCI 294

Date : 20151208

Dossier : 2013-1636(IT)G

ENTRE :

FIDUCIE CLAUDE DERAGON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

Le juge Favreau

[1]             Il s’agit ici d’un appel à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la « Loi ») par le ministre du Revenu national (le « ministre »), datée du 23 mai 2008 concernant l’année d’imposition 2004 de l’appelante.

[2]             En vertu de la nouvelle cotisation du 23 mai 2008, le ministre a refusé la déduction d’une perte en capital au montant de 7 319 100 $, laquelle fut réputée être nulle conformément aux dispositions de la règle anti-évitement prévues à l'article 245 de la Loi.

[3]             Le point en litige ne porte pas sur l’application de la règle anti-évitement à la perte en capital déclarée mais plutôt sur la détermination du produit de disposition d’actions que l’appelante détenait dans les sociétés « Les Investissements Claude Deragon Inc. » et « Les Gestions Claude Deragon Inc. ». Les transactions ont eu lieu en date du 1er mai 2004 et elles s’inscrivaient dans le cadre d’un transfert des participations que l’appelante détenait dans le Groupe Transpel NJN 1994 à un groupe connu et désigné comme « Transforce ».

[4]             Le différend porte sur l’application d’une clause d’ajustement de prix prévue à deux conventions d’achat d’actions. L’appelante prétend que les vendeurs n’ont pas pu réaliser un montant de 1 500 000 $ du prix de vente convenu.

[5]             À l’ouverture de l’audience, l’intimée a concédé qu’un montant de 500 000 $ du prix de vente convenu n’avait pas été obtenu par les vendeurs dont l’appelante à la hauteur d’un montant de 350 000 $ dans son cas.

[6]             En vertu d’une première convention d’achat d’actions prenant effet le 1er  mai 2004 (ci-après la « première convention »), l’appelante, Fiducie Ronald Doutre et Fiducie M.A. Labelle (ci-après les « vendeurs ») ont convenu de vendre à Gestion TFI Inc. (ci-après « TFI ») la totalité des actions émises et en cours de « Les Gestions Claude Deragon Inc. (ci-après « Gestions »), de Transport N.J.N. Inc. (ci-après « N.J.N. »), de Transport F. Audet Inc. (ci-après « Audet ») et de Transport Serge Durivage Inc. (ci-après « Durivage »). Les actions de Audet et de Durivage étaient détenues directement par Gestions alors que les actions de N.J.N. étaient détenues par Gestions et par Durivage.

[7]             Sous réserve de tout ajustement prévu à ladite convention, le prix d’achat des actions vendues était de 12 781 475,72 $, moins le total des dettes à long terme de Gestions, N.J.N. Audet et Durivage au 30 avril 2004, mais à l’exclusion des dettes inter-compagnies au montant de 3 515 181,82 $. Le prix d’achat net des actions était attribué de la façon suivante :

Fiducie Claude Deragon =

Fiducie Ronald Doutre   =

Fiducie M.A. Labelle    =

6 486 405,73 $

1 853 258,78 $

926 629,39 $

[8]             La clause d’ajustement du prix d’achat des actions était contenue au paragraphe 4.3 de la première convention qui se lisait comme suit :

4.3 Le Prix d’achat des Actions sera ajusté à la hausse ou à la baisse, d’un montant égal à l’augmentation ou à la diminution de l’avoir des actionnaires des Compagnies à la Date de la fin de l’exercice par rapport à l’avoir des Actionnaires des Compagnies au 31 janvier 2004.

L’ajustement prévu ci-dessus sera effectué sur la base des données contenue [sic] aux bilans vérifiés des Compagnies établies par les vérificateurs des Compagnies tel que prévu à l’article 5 ci-après étant entendu qu’à la Date de clôture les prêts ou les avances des actionnaires, administrateurs, dirigeants, employés seront éliminés et que les prêts ou les avances aux actionnaires, administrateurs, officiers, employés seront remboursés.

[9]             Aux fins de la clause d’ajustement du prix d’achat des actions, la date de la fin de l’exercice signifiait la veille de la date effective de la vente d’actions et l’avoir des actionnaires des compagnies au 31 janvier 2004 était basé sur des états financiers internes, soit sur les bilans et états des résultats de Gestions, N.J.N., Durivage et Audet confectionnés à l’interne pour la période se terminant le 31 janvier 2004.

[10]        En vertu d’une deuxième convention d’achat d’actions prenant effet le 1er  mai 2004 (ci-après la « deuxième convention »), l’appelante, Fiducie Ronald Doutre et Fiducie M.A. Labelle (ci-après les « vendeurs ») ont convenu de vendre à Gestion TFI Inc. (ci-après « TFI ») la totalité des actions émises et en cours de « Les Investissements Claude Deragon Inc. (ci-après « Investissements »), Transport Transterm Montréal Inc. (ci-après « Transterm »), Groupe Frapar Transports Inc. (ci-après « Frapar ») et P&W Intermodal Inc. (ci-après « P&W »).  Les actions de Frapar, Transterm et P&W étaient détenues directement par Investissements.

[11]        Sous réserve de tout ajustement prévu à ladite convention, le prix d’achat des actions vendues était de 2 503 774,42 $, moins le total des dettes à long terme de Investissements, Transterm, Frapar et P&W au 30 avril 2004, mais à l’exclusion des dettes inter-compagnies au montant de 746 489,35 $. Le prix d’achat net des actions étaient attribué de la façon suivante :

Fiducie Claude Deragon =

Fiducie Ronald Doutre   =

Fiducie M.A. Labelle    =

1 255 203,62 $

338 904,98 $

163 176,47 $

[12]        La clause d’ajustement du prix d’achat des actions était contenue au paragraphe 4.3 de la deuxième convention et elle était identique à celle prévue à la première convention, laquelle a été reproduite au paragraphe 8 ci-dessus.

[13]        Aux fins de la clause d’ajustement du prix d’achat des actions, la date de la fin de l’exercice signifiait la veille de la date effective de la vente d’actions et l’avoir net des actionnaires des compagnies au 31 janvier 2004 était basé sur des états financiers internes, soit sur les bilans et états des résultats de Investissements, Frapar et P&W confectionnés à l’interne pour la période se terminant le 30 avril 2004 et ceux de Transterm pour la période se terminant le 31 janvier 2004.

[14]        En vertu d’une troisième convention d’achat d’actions prenant effet le 1er  mai 2004 (ci-après la « troisième convention »), monsieur Claude Deragon a convenu de vendre à Gestion TFi II Inc. (ci-après « TFi II ») la totalité des actions émises et en cours de A&D Transport Inc. (ci-après « A&D ») qu’il détenait personnellement. A&D était une société américaine constituée en vertu de la section 402 of the Business Corporation Law of the State of New York (USA).

[15]        Sous réserve de tout ajustement prévu à ladite convention, le prix d’achat des actions vendues était de 714 749,86 $, moins le total des dettes à long terme de la compagnie au 30 avril 2004, mais à l’exclusion des dettes inter-compagnies au montant de 466 638,86 $. Le prix d’achat net des actions était donc de 248 111,00 $.

[16]        La clause d’ajustement du prix d’achat des actions était contenue au paragraphe 4.3 de la troisième convention et elle était identique à celle prévue à la première convention, laquelle a été reproduite au paragraphe 8 ci-dessus.

[17]        En résumé, nous sommes ici en présence d’une vente d’entreprise pour un prix de vente total de 16 000 000 $ moins le solde des dettes à long terme. Le prix d’achat net des actions, déduction faite des dettes était donc de 9 266 293,90 $ en vertu de la première convention, de 1 757 285,07 $ en vertu de la deuxième convention et de 248 411,00 $ en vertu de la troisième convention. Comme le prix d’achat net des actions de A&D n’était pas payable à l’appelante, ce montant n’est pas en litige dans le présent appel.

[18]        La partie du prix d’achat total des actions qui était payable à l’appelante s’élevait à 7 741 609,35$, soit 6 486 405,17 $ en vertu de la première convention et 1 255 203,62 $ en vertu de la deuxième convention.

[19]        Or, l’appelante a reçu à la clôture des transactions un montant total de 8 523 578,90 $, soit 6 766 293,90 $ en vertu de la première convention et 1 757 285,07 $ en vertu de la deuxième convention. Un montant additionnel de 500 000 $ fut payé à la clôture en vertu de la première convention lequel montant fut remis en fidéicommis à l’avocat de l’acquéreur.

[20]        En plus de ces montants, l’appelante avait droit de recevoir un montant de 2 000 000 $ sur trois ans (soit 666 666,67 $ à chaque date d’anniversaire de la clôture de la première convention) à la condition que les BAIIA (soit les bénéfices avant impôts, intérêts et amortissement) des compagnies à la date d’anniversaire donnée ne soient pas inférieurs à 75% des BAIIA des états financier 2003 des compagnies vendues.

[21]        En 2005, les parties aux transactions ont réalisé que des payes de vacances aux employés et des montants d’impôts n’avaient pas été acquittés ou provisionnés à la date de clôture des transactions, ce qui a eu pour effet d’entraîner l’application des clauses d’ajustement de prix prévues aux paragraphes 4.3 de chacune des conventions d’achat d’actions. L’avoir des actionnaires des compagnies achetées selon les états financiers de clôture était inférieur pour un montant d’environ  2 428 233,00 $ par rapport à l’avoir des actionnaires des compagnies achetées en date du 31 janvier 2004.

[22]        Après d’ardues négociations, les parties ont signé le ou vers le 4 juillet 2005 une Déclaration de règlement relative à l’établissement du prix d’achat des actions de Gestions, Investissements et A&D, laquelle prévoyait notamment que le prix d’achat total des actions soit établi à 15 500 000 $, moins les dettes à long terme, soit une diminution nette de 500 000 $ (ci-après l’« ajustement »). Les parties ont de plus précisé que l’ajustement avait été établi de la façon suivante :

a)     le montant du solde du prix de vente conditionnel soit augmenté d’un montant de 1 000 000 $ pour atteindre 3 000 000 $ et soit payable sur cinq ans plutôt que sur trois ans, tel que prévu initialement aux conventions;

b)    un montant de 1 500 000 $ soit remboursé à TFI par l’appelante et par la Fiducie Ronald Doutre à même les sommes retenues sur les sommes dues à l’appelante et à la Fiducie Ronald Doutre par TFI (500 000 $) et à même les montants du solde du prix de vente conditionnel payable par TFI à l’appelante et à la Fiducie Ronald Doutre (600 000 $ par année pendant cinq ans).

[23]        Les performances de Gestions, Audet, Durivage et N.J.N. se sont avérées être désastreuses pour les années d’imposition se terminant le 30 avril 2008 et le 30 avril 2009 de sorte que les remboursements prévus à TFI n’ont pu être effectués par l’appelante et par la Fiducie Ronald Doutre pour les deux dernières années de la période de cinq ans. Les acquéreurs TFI et TFiII ont réclamé aux vendeurs 300 000 $ pour la période se terminant à la date du quatrième anniversaire de la transaction et 1 000 000 $ pour la période se terminant à la date du cinquième anniversaire de la transaction. Un règlement hors cour est intervenu au mois d’avril 2014 sans remboursement des montants réclamés.

[24]        Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2004, l’appelante a rapporté un gain en capital au montant de 7 830 854,00 $ basé sur un produit de disposition de 8 831 414,00 $ et un prix de base rajusté de 1 000 560,00 $. Le gain en capital a été cotisé tel que déclaré par l’appelante.

Position des parties

[25]        L’appelante soutient que le produit de disposition de ses actions devait être de 6 840 183 $, calculé à partir du prix d’achat total de 16 000 000 $ diminué du montant de l’ajustement du prix d’achat de 1 500 000 $, soit 14 500 000 moins les dettes à long terme pour un produit de disposition total de 9 771 690 $ dont 70% appartient à l’appelante.

[26]        L’intimée soutient que le produit de disposition des actions était de 15 500 000 $ suite à la diminution du prix d’achat de 500 000 $. Selon l’intimée, le produit de disposition des actions comprenait la partie du prix d’achat des actions payable par versements échelonnés sur cinq ans à la condition que les BAIIA des compagnies à chaque date d’anniversaire de la date du clôture ne soient pas inférieurs à 75% des BAIIA aux états financiers 2003. La clause d’ajustement n’avait pas pour effet d’augmenter le prix d’achat des actions à un montant pouvant excéder 15 500 000 $. L’intimée a indiqué que l’appelante n’avait pas réclamé la réserve de cinq ans et que l’appelante pouvait réclamer une perte en capital pour son année d’imposition 2014 suite au règlement hors cour intervenu avec les acquéreurs des actions.

Analyse

[27]        L’expression « produit de disposition » est définie à l’article 54 de la Loi et comprend notamment le prix de vente d’un bien.

[28]        En l’espèce, les ventes d’actions ont eu lieu en date du 1er mai 2004 et la contrepartie totale des ventes était de 16 000 000 $, laquelle a été ramenée à 15 500 000 $ en vertu de la Déclaration de règlement signée vers le 14 juillet 2005. De plus, en vertu de la Déclaration de règlement, la partie conditionnelle du prix de vente des actions a été augmentée d’un montant de 1 000 000 $ et est passée de 2 000 000 $ à 3 000 000 $, laquelle a été échelonnée sur cinq ans plutôt que sur trois ans, tel que prévu initialement. Finalement, les vendeurs se sont engagés à rembourser 1 500 000 $ à l’acquéreur à même le montant détenu en fidéicommis et les montants du prix de vente conditionnel, le tout échelonné sur la période de cinq ans. Le montant du remboursement n’a pas été payé en entier car les montants convenus pour les deux dernières années de l’entente n’ont pas été effectués.

[29]        Dans les circonstances, la question est donc de savoir si la partie conditionnelle du prix de vente devait être prise en compte dans la détermination du produit de disposition des actions.

[30]        En vertu des trois conventions d’achat d’actions prenant effet le 1er mai 2004, le prix d’achat des actions est clairement stipulé au paragraphe 4.1 de chacune de ces conventions, sous réserve de tout ajustement prévu à ces conventions. Au paragraphe 4.2 de la première et de la deuxième convention, le prix d'achat net des actions est attribué à chacun des vendeurs, tandis qu’au paragraphe 4.4 de ces mêmes conventions, les modalités de versement du prix d’achat des actions sont précisées avec la mise en fidéicommis d’un montant de 500 000 $ et l’ajout de la condition ayant trait aux BAIIA des compagnies.

[31]        Dans ces conditions, il m’apparaît être évident que la partie conditionnelle du prix de vente des actions faisait partie du produit de disposition des actions.

[32]        Telle que rédigée, la clause d’ajustement prévoyait que le prix d’achat des actions pouvait être ajusté à la hausse ou à la baisse, d’un montant égal à l’augmentation ou à la diminution de l’avoir des actionnaires des compagnies à la date de la fin de l’exercice financier donné par rapport à l’avoir des actionnaires des compagnies au 31 janvier 2004. Par contre, la Déclaration de règlement a précisé que, nonobstant la clause d’ajustement, le prix d’achat total des actions était de 15 500 000 $ plutôt que de 16 000 000 $. Par conséquent, le prix d’achat total des actions de 15 500 000 $ est devenu, suite à l’ajustement, le montant maximal pouvant être obtenu par les vendeurs suite à la vente de leurs actions.

[33]        L’augmentation du solde du prix de vente conditionnel de 2 000 000 $ à 3 000 000 $ et l’étalement sur cinq ans plutôt que sur trois ans, du paiement du solde du prix de vente conditionnel n’ont pas eu d’impact sur le prix d’achat total des actions puisque le prix de vente conditionnel faisait partie du prix d’achat total des actions, tel que démontré ci-dessus par les termes mêmes des conventions d’achat d’actions.

[34]        Le montant de 1 500 000 $ que l’appelante et la Fiducie Ronald Doutre devaient rembourser en vertu de la Déclaration de règlement ne pouvait être soustrait du prix d’achat total des actions parce qu’il était contingent et dépendait de la réalisation de la condition ayant trait aux BAIIA des compagnies. D’ailleurs, en vertu de la transaction intervenue hors-cour entre les parties, les remboursements prévus aux deux dernières années de la période de cinq ans n’ont pas été effectués.

[35]        La nouvelle cotisation établie par le ministre est conforme à la position de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), telle qu’énoncée dans son bulletin d’interprétation IT-462 du 27 octobre 1980 et intitulé « Paiements basés sur la production ou l’usage » en référence à l’alinéa 12(1)g) de la Loi. Au paragraphe 9 de ce bulletin, il est précisé ce qui suit :

L’alinéa 12(1)g) ne s’applique pas lorsque le prix de vente du bien est initialement fixé à un maximum équivalent à la juste valeur marchande du bien au moment de la vente, maximum qui peut par la suite être diminué si certaines circonstances relatives à la production ne se concrétisent pas. Dans un cas comme celui-là, le produit sera à valoir sur le capital et si, au moment de la disposition du bien, il est raisonnable de s’attendre à ce que les conditions se réalisent, la disposition est alors traitée de la manière habituelle et le montant maximum original est considéré comme étant le prix de vente du bien. Si, par la suite, les conditions ne se concrétisent pas, le rajustement voulu sera effectué dans l’année au cours de laquelle le montant de la réduction du prix de vente est connu avec certitude et qu’il est établi qu’il n’y aura plus de fluctuations. La question de savoir si on peut raisonnablement s’attendre à ce que les conditions stipulées se concrétisent repose sur les circonstances propres à chaque situation.

[36]        La position de l’ARC a d’ailleurs été reprise dans de nombreux articles de doctrine dont dans celui de Me André Paquette intitulé « Clause d’ajustement basée sur la performance (Earn-out) » qu’il a livré au congrès de l’association de planification fiscale et financière de 2006. Le passage suivant de cet article est particulièrement pertinent aux fins du présent litige en ce que l’auteur y explique le concept d’une « clause d’earn-out inversée » :

4.2 – La clause d’earn-out inversée

Qu’en est-il des considérations fiscales pour les clauses d’earn-out qui échappent à l’application de l’alinéa 12(1)g) L.I.R.?  C’est le cas notamment lorsque le prix d’acquisition des actifs est déterminé à la clôture de la transaction et qu’il s’agit d’un prix maximal, pouvant faire l’objet d’une révision à la baisse.  Il s’agit de la clause d’earn-out inversée.  Dans ce cas, l’ensemble du prix de vente est traité comme un produit de disposition.  Si les projections financières se réalisent, il s’ensuit que la disposition du bien sera traitée de la manière habituelle et le montant original sera considéré comme étant le prix de vente du bien.

Advenant le cas où le vendeur ne réalise pas ses projections financières, l’ajustement au niveau de l’impôt sur le revenu sera traité comme une perte en capital, dans l’année au cours de laquelle le montant de l’indemnisation est connu avec certitude et qu’il n’y aura plus de fluctuation.

L’acheteur qui reçoit des sommes du vendeur, à titre d’ajustement et d’indemnisation, devra diminuer les coûts d’acquisition indiqués des actifs, en utilisant une méthode de répartition des sommes sur les actifs acquis.

[37]        L’alinéa 12(1)g) de la Loi édicte ce qui suit » :

Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

g) les sommes que le contribuable a reçues au cours de l’année en fonction de l’usage d’un bien ou de la production en découlant, qu'elles aient été ou non versées en acompte sur le prix de vente du bien (un acompte sur le prix de vente d'un fonds de terre servant à l'agriculture n'est toutefois pas inclus en vertu du présent alinéa);

[38]        Lorsque l’alinéa 12(1)g) s’applique, le vendeur doit inclure le paiement initial, qui correspond au prix d’acquisition minimal de l’entreprise comme le produit de disposition des biens vendus. Les paiements reçus subséquemment reçus en fonction de l’usage des biens ou de la production en découlant sont entièrement inclus dans le revenu.

[39]        En l’espèce, l’appelante a clairement voulu éviter l’application de l’alinéa  12(1)g) de la Loi pour ne pas devoir inclure dans le calcul de son revenu la totalité de la partie du prix de vente conditionnel des actions. L’appelante a recherché la réalisation d’un gain en capital qu’elle a d’ailleurs tenté d’annuler au moyen d’une perte en capital artificielle.

[40]        Le procureur de l’appelante a invoqué la décision rendue par la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Daishowa-Marubeni International Ltd. v. R., [2013] 2 S.C.R. 336 pour justifier la diminution du produit de disposition d’un montant de 1 500 000 $ attribuable à l’augmentation du prix de vente conditionnel et à l’obligation de remboursement de ce même montant à même le prix de vente conditionnel. Malheureusement, pour le procureur de l’appelante, j’ai du mal à voir comment cette décision peut appuyer la position de l’appelante. Nous ne sommes clairement pas ici en présence d’une obligation attribuable à la nature du bien vendu. Dans la décision de la Cour Suprême du Canada, il s’agissait d’obligations relatives au reboisement prises en charge par les acquéreurs. Dans le cas présent, l’obligation de remboursement d’une partie du prix de vente conditionnel dépend simplement de la réalisation d’une condition ayant trait aux BAIIA. Si les BAIIA n’étaient pas au niveau anticipé, aucun remboursement n’était dû.

[41]        À mon avis, il n’y a pas lieu d’exclure du produit de disposition des actions, des montants dont le remboursement était conditionnel et dont le remboursement n’a pas été effectué à l’égard des deux dernières années de la période de cinq ans.

[42]        Pour ces motifs, l’appel est accueilli en partie sans frais vu que chaque partie a eu un succès mitigé. La cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de donner effet à la concession de l’intimée de diminuer de 16 000 000 $ à 15 500 000 $ le produit de disposition total des actions vendues par l’appelante et certains autres détenteurs d’actions en vertu des trois conventions prenant effet le 1er mai 2004 aux fins du calcul du gain en capital réalisé par l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2015.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 294

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1636(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Fiducie Claude Deragon et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 juin 2015

MOTIFS DE JUGEMENT MODIFIÉS PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :

le 8 décembre 2015

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Aaron Rodgers

Me Antoine Michaud-Soret

Avocate de l'intimée :

Me Natalie Goulard

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Aaron Rodgers

Cabinet :

Garfinkle Nelson-Weisman Bilmes Rodgers

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.