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Dossier : 2013‑1709(IT)G

ENTRE :

FLORENCE SPURVEY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Brendan Spurvey (2013‑1710(IT)G) le 14 octobre 2015, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

JUGEMENT

Pour les motifs du jugement ci‑joints, l’appel interjeté contre les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2008 et 2009 est rejeté.

L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 1er jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juillet 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Dossier : 2013‑1710(IT)G

ENTRE :

BRENDAN SPURVEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Florence Spurvey (2013‑1709(IT)G) le 14 octobre 2015, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

JUGEMENT

Pour les motifs du jugement ci‑joints, l’appel interjeté contre les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2008 et 2009 est rejeté.

L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 1er jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juillet 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 300

Date : 20151201

Dossiers : 2013‑1709(IT)G

2013‑1710(IT)G

ENTRE :

FLORENCE SPURVEY,

BRENDAN SPURVEY,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

Aperçu

[1]             Ces deux appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

[2]             Florence et Brendan Spurvey interjettent appel des pénalités pour faute lourde qui leur ont été imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi ») pour les années d’imposition 2008 et 2009. Une amie leur a donné le nom d’un groupe sans scrupules de préparateurs de déclarations de revenus qui les a convaincus qu’ils obtiendraient d’énormes remboursements de tous les impôts qu’ils avaient payés au cours des dix dernières années. Il s’agissait à cette fin de déclarer des pertes d’entreprise fictives très élevées. En fait, les appelants n’ont jamais possédé ou exploité une entreprise pendant ces années. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a refusé ces pertes et a imposé des pénalités aux appelants en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Le présent appel porte uniquement sur les pénalités imposées.

[3]             La question est simplement de savoir si les appelants ont, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait ou accepté de faire dans leurs déclarations de faux énoncés qui ont entraîné les sévères pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi.

Contexte factuel

[4]             Florence et Brendan Spurvey sont deux personnes âgées qui ont été dupées par une amie, Colleen Thompson, et un préparateur de déclarations nommé Alex, que les Spurvey n’ont même jamais rencontré. Au cours des années visées, ils ont eu de modestes revenus d’emploi, de pension, de la Sécurité de la vieillesse, du Régime de pensions du Canada et de l’assurance‑emploi. Florence détient un diplôme d’études secondaires et elle a une formation d’infirmière auxiliaire autorisée. Elle a travaillé dans ce domaine pendant les 28 dernières années. Elle a aussi déjà exploité une entreprise d’artisanat à domicile et elle comprend donc des concepts tels que les revenus et les dépenses d’entreprise, ainsi que les profits et les pertes. En 2008 et 2009, Florence a travaillé au Runnymede Health Care Centre. Pendant ces années, elle n’a possédé ni exploité aucune entreprise.

[5]             Brendan Spurvey a terminé sa 11e année d’études et est un homme de métier possédant une formation et une certification se rapportant à quatre différents métiers : tuyauteur et monteur de conduites de vapeur, mécanicien de brûleurs à mazout, mécanicien de moteurs diesel marins et électricien. Il n’a toutefois jamais travaillé dans ces domaines. Il a travaillé chez Canadian Tire pendant une vingtaine d’années jusqu’en 2008 ou 2009. Il n’a jamais possédé ou exploité une entreprise. Florence et Brendan avaient déjà fait appel aux spécialistes en déclarations Softron pour préparer leurs déclarations de revenus. Les coûts de ce service variaient de 40 $ à 120 $ par déclaration. Florence a affirmé qu’elle ne se souvient pas d’avoir obtenu un seul remboursement par le passé. Brendan a dit ne jamais avoir reçu de remboursements d’importance; certaines années, il a reçu un peu d’argent et, d’autres années, il a dû payer un peu plus d’impôts.

[6]             En 2009, Colleen Thompson, une amie de Florence, a dit aux Spurvey qu’ils pouvaient obtenir un remboursement de tous les impôts qu’ils avaient payés depuis les dix dernières années. Il suffisait que Florence et Brendan lui donnent des copies de leurs déclarations de revenus des années 1999 et suivantes. Ces déclarations seraient remises à une tierce personne qui s’occuperait de toutes les formalités. En contrepartie, cette personne recevrait 45 % de tous les remboursements obtenus. Les Spurvey ont demandé à Mme Thompson comment cela était possible. Comment pouvaient‑ils obtenir un remboursement de tous les impôts payés au cours des dix dernières années? Mme Thompson a répondu qu’il y a des années, un des premiers ministres du Canada avait ajouté une clause dans la Constitution afin de rendre cette méthode d’exonération fiscale légale et qu’ils n’avaient rien à craindre. L’information avait été publiée sur Internet, mais elle n’était plus disponible. Puisque Mme Thompson travaillait avec un groupe d’avocats, Florence a cru ce qu’elle lui disait. Brendan a déclaré qu’il ne savait pas si Mme Thompson était comptable ou avocate; elle pouvait bien être concierge pour peu qu’il sache. Elle disait qu’elle travaillait avec des avocats, mais Brendan ignore qui sont ces avocats. Il pense que Mme Thompson voulait recruter des participants à ce stratagème.

[7]             Florence et Brendan ont obtenu des copies de leurs déclarations de revenus et les ont remises à Mme Thompson. Ils ont signé des documents présentés par Mme Thompson. Celle‑ci devait ensuite remettre tous les documents à un dénommé Muntaz Rasool, qui s’en occuperait. Brendan a affirmé qu’il n’a jamais parlé à M. Rasool; Florence lui a seulement parlé au téléphone, peut‑être deux fois. M. Rasool lui a assuré que cette manœuvre était tout à fait légale. À un moment donné, Mme Thompson a dit à Florence que M. Rasool prenait trop de temps pour préparer les déclarations et que les documents avaient donc été remis à une autre personne, un dénommé Alex. Les Spurvey ignorent son nom de famille. Florence a bel et bien demandé à Mme Thompson quel était le nom de famille d’Alex, mais Mme Thompson ne lui a jamais répondu. Les Spurvey n’ont jamais su le nom de l’entreprise ou de la société pour laquelle M. Rasool et Alex travaillaient. Florence a tout de même parlé à Alex au téléphone, mais Brendan ne lui a jamais parlé. Alex a dit à Florence qu’il était un arbitre du conseil d’arbitrage fiscal. Il a confirmé que la manœuvre était tout à fait légale et qu’en vertu de la Constitution, elle avait le droit de recevoir des remboursements d’impôt pour les dix dernières années. Elle a demandé à Alex de lui expliquer comment cela fonctionnait, mais Alex lui a répondu par un discours truffé de jargon trop compliqué pour elle. Elle lui a dit qu’elle ne comprenait pas et Alex lui a dit qu’elle n’avait pas besoin de comprendre. Mme Thompson et Alex lui ont simplement dit de signer ses déclarations et d’autres documents; tout était parfaitement légal et inscrit dans la Constitution. Les Spurvey n’ont pas tenté de s’informer auprès d’autres personnes telles qu’un autre préparateur de déclarations de revenus, un comptable, un avocat ou l’ARC. Il est clair qu’ils n’ont fait aucune vérification et ils n’ont probablement jamais demandé d’information sur Alex. Ils ont simplement été crédules et motivés par l’espoir de récupérer beaucoup d’argent.

[8]             Florence admet avoir signé le 16 septembre 2009 une demande de redressement d’une T1 pour l’année 2008 (pièce R‑1, onglet 5) et une demande de report rétrospectif d’une perte pour les années 2005, 2006 et 2007 le 18 septembre 2009 (pièce R‑1, onglet 6). Dans cette demande de redressement d’une T1, elle déclarait une perte d’entreprise de 180 559 $. Ladite entreprise était celle d’un [traduction] « mandataire » et la perte est précisée dans l’état des activités de mandataire (pièce R‑1, onglet 3). Elle a demandé de déduire une perte d’entreprise de 51 457 $ de son revenu de l’année d’imposition 2008, et de reporter le reste de la perte à ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007 (pièce R‑1, onglet 6).

[9]             Le 1er avril 2010, Florence a signé sa déclaration de revenus de l’année 2009 (pièce R‑1, onglet 2) et une demande de report rétrospectif d’une perte (pièce R‑1, onglet 8). Dans sa déclaration de revenus de 2009, Florence déclarait une perte d’entreprise de 196 613,39 $. De nouveau, ladite entreprise était celle d’un [traduction] « mandataire » et la perte est précisée dans l’état des activités de mandataire (pièce R‑1, onglet 4). Florence a demandé de déduire une perte d’entreprise de 61 639,39 $ de son revenu de l’année d’imposition 2009 et de reporter le solde inutilisé de 134 974 $ à ses années d’imposition 2006, 2007 et 2008 (pièce R‑1, onglet 8).

[10]        Florence a signé tous ces documents même si elle ne comprenait pas de quoi il s’agissait ni le contenu. Elle n’a pas demandé l’avis d’un comptable, d’un avocat, de l’ARC ou de toute autre personne qui aurait pu lui fournir des explications. Elle admet qu’elle s’attendait à recevoir un remboursement de 9 571 $, un montant beaucoup plus élevé que ce qu’elle avait obtenu par le passé; en fait, par le passé, elle n’avait jamais obtenu de remboursement. Elle a posé des questions à Alex au sujet du montant de ce remboursement, mais elle n’a pas compris sa réponse. Malgré tout, elle n’a pas cherché conseil auprès d’une autre personne.

[11]        Brendan a passé en revue et signé tous les documents qui lui ont été présentés par Mme Thompson. Le 16 septembre 2009, il a signé une demande de redressement d’une T1 pour l’année 2008 (pièce R‑2, onglet 4) et une demande de report rétrospectif d’une perte pour les années 2005, 2006 et 2007 le 18 septembre 2009 (pièce R‑2, onglet 5). Dans cette demande de redressement d’une T1, Brendan déclarait une perte d’entreprise de 302 592 $. Ladite entreprise était celle d’un [traduction] « mandataire » et la perte est précisée dans l’état des activités de mandataire de l’année 2008 (pièce R‑2, onglet 2). Brendan a demandé de déduire une perte d’entreprise de 52 823 $ de son revenu de l’année d’imposition 2008 et de reporter le reste de la perte à ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007 (pièce R‑2, onglet 5).

[12]        Le 1er avril 2010, Brendan a signé sa déclaration de revenus de l’année 2009 (pièce R‑2, onglet 7) ainsi qu’une demande de report rétrospectif d’une perte pour les années 2006, 2007 et 2008 (pièce R‑2, onglet 8). Brendan a déclaré une perte d’entreprise de 288 354,11 $. De nouveau, ladite entreprise était celle d’un [traduction] « mandataire » et la perte est précisée dans l’état des activités de mandataire (pièce R‑2, onglet 3). Brendan a demandé de déduire une perte d’entreprise de 45 203,11 $ de son revenu de l’année d’imposition 2009 et de reporter le solde inutilisé de 243 151 $ à ses années d’imposition 2006, 2007 et 2008 (pièce R‑2, onglet 8).

[13]        Brendan admet avoir parcouru, lu et signé ces documents. Florence pense qu’elle a peut‑être examiné les documents au moment de les signer. En signant leurs déclarations et les demandes de report rétrospectif d’une perte, Florence et Brendan ont attesté que les renseignements étaient exacts et complets. Tous les documents sont signés [traduction] « par Florence Spurvey » ou [traduction] « par Brendan Spurvey », selon le cas. Il est également clair que le préparateur de déclarations n’a pas indiqué à la page de signature de la déclaration le nom de la personne qui avait préparé la déclaration (pièce R‑1, onglet 2, page 33; pièce R‑2, onglet 7, page 39). Brendan a vu le montant élevé des pertes d’entreprise déclarées. Il a déclaré qu’il savait que quelque chose clochait à ce moment‑là. Florence et lui ont accepté tout ce que Mme Thompson et Alex leur disaient parce qu’ils s’attendaient à recevoir une grosse somme. Je conclus que Brendan avait certainement des doutes, et il admet qu’après lui avoir été expliqué, tout ce stratagème lui semblait louche.

[14]        Le 4 décembre 2009, l’ARC a envoyé à Florence et à Brendan des lettres qui remettaient en question leurs demandes de redressement d’une T1 pour l’année d’imposition 2008. L’ARC leur demandait de remplir un questionnaire sur l’entreprise, de fournir le nom de leur préparateur de déclarations, toutes les pièces justificatives à l’appui des dépenses d’entreprise déclarées ainsi que tous les renseignements à l’appui de leur affirmation selon laquelle ils exploitaient une entreprise. Cette sommation écrite a certainement déclenché quelques signaux d’alarme au sujet du bien‑fondé de leurs déclarations de 2008. Toutefois, les Spurvey n’ont pas répondu à cette lettre et l’ont plutôt transmise à Alex, qui a préparé une réponse (pièce R‑1, onglet 1; pièce R‑2, onglet 1). Ces réponses sont identiques. Elles n’ont absolument aucun sens et ne répondent absolument pas aux préoccupations soulevées par l’ARC. Il est toutefois révélateur que les lettres de l’ARC, qui font clairement ressortir certaines préoccupations évidentes, aient été envoyées à Florence et à Brendan avant qu’ils déposent leurs déclarations de 2009. Pourtant, malgré ces signaux d’alarme flagrants, Florence et Brendan ont accepté qu’Alex prépare et dépose en avril 2010 leurs déclarations de revenus de 2009, tout en sachant que l’ARC avait des doutes sur leurs dépenses d’entreprise de 2008.

[15]        Le 18 juin 2010, l’ARC a envoyé une autre sommation écrite à Florence et à Brendan (pièce R‑1, onglet 9; pièce R‑2, onglet 9) pour les informer qu’elle proposait de refuser de reconnaître les pertes d’entreprise déclarées en 2008 ainsi que leur demande de report rétrospectif d’une perte. En outre, dans ces lettres, l’ARC leur demandait de fournir des pièces justificatives pour les dépenses d’entreprise de 2009, qui n’existaient pas. Encore une fois, ils n’ont pas répondu aux lettres de l’ARC et les ont remises à Alex, qui a préparé une réponse (pièce R‑1, onglet 10; pièce R‑2, onglet 10). De nouveau, ces réponses sont identiques et ne répondent absolument pas aux préoccupations soulevées par l’ARC. Comme les précédentes, ces réponses sont totalement et absolument absurdes. Il faut souligner que tous ces documents auraient été préparés par Alex, mais qu’il n’est mentionné nulle part qu’il en est l’auteur.

[16]        Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté les pertes d’entreprise déclarées pour les années d’imposition 2008 et 2009. Des avis de nouvelle cotisation pour 2008 et des avis de cotisation pour 2009 ont été envoyés aux appelants. Les appelants se sont vu imposer des pénalités pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Comme il a déjà été mentionné, ces pénalités pour faute lourde font l’objet des présents appels.

[17]        Bien qu’ils aient signé les documents, Florence et Brendan ont affirmé qu’ils ne les comprenaient pas. Ils ne savent pas comment les chiffres inscrits dans ces documents ont été calculés et ils ne comprenaient pas de quoi il s’agissait. Brendan convient toutefois que les chiffres ne semblaient pas corrects. Ils ont déclaré qu’ils ignoraient ce qu’est un [traduction] « état des activités de mandataire » et ce que sont des activités de [traduction] « mandataire »; ils n’y comprenaient rien. Ils reconnaissent que la case réservée à l’identification du préparateur de déclarations a été laissée vide. Ils ont cru qu’Alex ferait les choses correctement, même s’il ne s’est pas nommé à titre de préparateur de déclarations professionnel dans les déclarations de revenus. Ils ne se sont informés auprès de personne sur Alex. Ils n’ont pas consulté un autre préparateur de déclarations, un comptable, un avocat ou l’ARC même s’ils ne comprenaient pas ce que faisait Alex ou ses explications. Ils ont simplement accordé toute leur confiance à Mme Thompson et à Alex dans l’espoir de recevoir de gros remboursements. Florence reconnaît qu’elle s’attendait à recevoir un remboursement d’environ 9 500 $ pour 2009, ce qui lui semblait très élevé puisqu’elle n’avait jamais obtenu de remboursement dans le passé. Brendan a simplement accepté le stratagème parce qu’il espérait recevoir beaucoup d’argent — tous ses impôts payés pendant les dix dernières années. En fait, ils n’ont obtenu aucun remboursement.

Dispositions législatives

[18]        Le paragraphe 163(2) de la Loi est libellé comme suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité […]

[19]        Selon le paragraphe 163(3), le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

Analyse

[20]        Je vais faire la même analyse que celle que j’ai effectuée dans la décision Chartrand c. La Reine, 2012‑3534(IT)G.

[21]        Deux éléments doivent nécessairement être établis pour reconnaître un contribuable passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2) :

a)       un faux énoncé dans une déclaration;

b)      le fait d’avoir, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait le faux énoncé ou d’y avoir participé, consenti ou acquiescé.

[22]        Il est incontestable que les demandes de redressement d’une T1 des appelants pour l’année 2008, leurs déclarations de revenus de 2009 et leurs demandes de report rétrospectif d’une perte contenaient de faux énoncés. Les appelants n’ont jamais possédé ou exploité une entreprise au cours des années visées et, par conséquent, ils ne pouvaient avoir aucun revenu d’entreprise ni dépense d’entreprise. Les pertes d’entreprise déclarées ne sont pas fondées sur des faits et sont manifestement fausses.

[23]        Les appelants ont‑ils fait de faux énoncés sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde? Je vais restreindre la présente analyse à la question de la faute lourde. Le fardeau de la preuve incombe à la Couronne. Il n’est pas suffisant que la Couronne prouve la simple négligence; elle doit aller au‑delà de la simple négligence et prouver que les appelants ont commis une faute lourde.

[24]        La négligence s’entend du fait de ne pas prendre les mesures raisonnables comme le ferait une personne raisonnablement prudente et diligente dans des circonstances similaires. Cette définition étant très connue dans la jurisprudence anglo‑canadienne, il n’est pas nécessaire de citer une référence. Toutefois, la faute lourde exige quelque chose de plus que la simple négligence. La faute lourde exige plus que le simple fait de négliger d’exercer une diligence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée ou à une indifférence au respect de la loi; voir la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL). Dans la décision Venne, le juge Strayer de la Cour fédérale (Section de première instance) rappelle que le paragraphe 163(2) de la Loi « est une disposition pénale et qu’elle doit être interprétée de façon restrictive, de sorte que s’il existe une interprétation raisonnable propre à éviter la pénalité dans un cas particulier, cette interprétation devrait être adoptée » et que l’on devrait accorder le bénéfice du doute au contribuable. Dans la décision Farm Business Consultants Inc. c. Canada, [1994] A.C.I. no 760 (QL), le juge Bowman, tel était alors son titre, avait déclaré au paragraphe 23 que les mots « faute lourde » au paragraphe 163(2) sous‑entendent une conduite caractérisée par un degré de faute à ce point élevé qu’il frise l’insouciance. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s’attendrait dans les situations où l’on cherche à établir le bien‑fondé d’allégations moins sérieuses (paragraphe 28).

[25]        Il est aussi bien établi en droit que la faute lourde peut englober l’« aveuglement volontaire » ou l’« ignorance volontaire ». La règle de l’aveuglement ou de l’ignorance volontaire est bien connue en droit pénal. Ce concept dans le contexte du droit pénal est très bien expliqué par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128. Selon la règle, si une partie a des soupçons mais ensuite omet délibérément de procéder à un autre examen parce qu’elle désire demeurer dans l’ignorance, elle est réputée être au courant. En d’autres termes, l’« ignorance volontaire » se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité et qu’elle préfère rester dans l’ignorance. Il existe un soupçon, que le défendeur a délibérément omis de transformer en connaissance certaine. Le défendeur « s’est fermé les yeux » ou a fait preuve d’« ignorance volontaire ».

[26]        La jurisprudence a décidé que le concept d’« aveuglement volontaire » s’applique aux affaires fiscales; voir les arrêts Canada c. Villeneuve, 2004 CAF 20, et Panini c. Canada, 2006 CAF 224. Dans l’arrêt Panini, le juge Nadon a clairement affirmé que le concept d’« aveuglement volontaire » est inclus dans celui de « faute lourde » au sens du paragraphe 163(2) de la Loi. Il a déclaré ce qui suit :

43 […] le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commanderaient ou lui imposeraient de s’enquérir de sa situation fiscale, refuse ou néglige de le faire sans raison valable.

[27]        Il a été décidé que, pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs :

(a)     l’importance de l’omission par rapport au revenu déclaré,

(b)     la faculté du contribuable de découvrir l’erreur,

(c)      le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente,

(d)     l’effort réel de se conformer à la loi.

Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qui convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve (voir les décisions DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, au paragraphe 11; Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, au paragraphe 24; et McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228, au paragraphe 14).

[28]        Dans la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, le juge C. Miller a réalisé un examen très complet de la jurisprudence relative aux pénalités pour faute lourde prévues au paragraphe 163(2) de la Loi. Il a réussi à dégager les principes directeurs à appliquer et les facteurs à prendre en compte. Je paraphrase ce qu’il énonce au paragraphe 65 :

a)         La connaissance d’un faux énoncé peut être déduite d’un aveuglement volontaire.

b)         La notion d’aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi [...]

c)         Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d)         Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

e)         Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs », expression que j’employais à l’occasion de l’affaire Bhatti, comprennent ce qui suit :

i)          l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii)         le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii)        l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du [préparateur] qui a établi la déclaration;

iv)        les demandes inusitées du [préparateur];

v)         le fait que le [préparateur] était auparavant inconnu du contribuable;

vi)        les explications inintelligibles du [préparateur];

vii)       le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au [préparateur] ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f)         Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du [préparateur] pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

[29]        Cette liste n’est certainement pas exhaustive, et il peut y avoir d’autres facteurs à considérer selon les circonstances propres à chaque cas. Je suis d’avis que le juge C. Miller fournit un excellent modèle pour l’analyse des affaires de faute lourde présumée. Je vais examiner ces facteurs.

Niveau d’instruction et d’expérience du contribuable

[30]        Florence Spurvey détient un diplôme d’études secondaires et est suffisamment intelligente pour avoir réussi une formation d’infirmière auxiliaire, une profession qu’elle a exercée pendant quelque 28 ans. Bien qu’elle prétende ne pas comprendre les principes comptables ou l’impôt, elle comprend les notions de dépenses d’entreprise et de profits et pertes puisqu’elle a exploité dans le passé une très petite entreprise d’artisanat à domicile.

[31]        Brendan Spurvey a terminé sa 11e année d’études et a appris quatre différents métiers spécialisés, bien qu’il affirme n’en avoir pratiqué aucun. Je crois qu’il est remarquable de réussir à apprendre quatre différents métiers.

[32]        Les appelants avaient déjà utilisé les services de préparateurs de déclarations de revenus. Ils sont intelligents, ils s’expriment clairement et sont alphabétisés. Leur scolarité et leur compréhension de base de concepts tels que l’exploitation d’une entreprise, les profits et pertes ou l’impôt ne sont pas insuffisantes au point qu’ils peuvent plaider l’ignorance. Le niveau d’instruction, d’expérience et d’intelligence n’est pas un facteur qui pourrait permettre aux appelants d’échapper à la conclusion qu’ils ont, dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés.

Nécessité de s’informer ou soupçon d’une telle nécessité

[33]        Les signaux d’alarme étaient suffisamment nombreux et évidents pour éveiller les soupçons des appelants et leur faire ressentir le besoin d’obtenir d’autres renseignements.

L’absurdité du stratagème proposé

[34]        Florence et Brendan se sont tous les deux fait dire qu’ils avaient droit, selon la Constitution, à une exonération fiscale qui pourrait leur permettre d’obtenir le remboursement de tous leurs impôts payés au cours des dix dernières années s’ils utilisaient les services recommandés par Mme Thompson. Cette proposition est tellement ridicule en elle‑même qu’elle dépasse l’entendement. Accepter aveuglément une affirmation aussi ridicule faite par un inconnu dont ils ne connaissent pas le nom de famille, et qu’ils n’ont en fait jamais rencontré, sans vérifier la légitimité de ce qui était proposé est franchement incroyable. On n’a pas à réfléchir beaucoup avant de conclure que, si tous les citoyens profitaient de ce régime prétendument inscrit dans la Constitution, le pays entier serait bientôt en faillite. Les Spurvey auraient dû se demander pourquoi ce régime, s’il était prévu dans la Constitution, était si peu connu du public et pourquoi l’ARC et le gouvernement du Canada n’en faisaient pas la promotion. Pourquoi Softron, ou n’importe quel autre préparateur de déclarations reconnu, ne leur aurait‑il pas recommandé ce stratagème de réduction d’impôts? Si de l’information sur ce régime était en fait affichée sur Internet, et qu’il s’agissait non seulement d’un droit juridique mais aussi d’un droit constitutionnel, pourquoi ce site avait‑il été fermé? Ces questions évidentes hurlent la nécessité d’obtenir des réponses. Le caractère spécieux de l’économie fiscale proposée est un facteur qui pèse lourdement pour la conclusion d’un aveuglement volontaire.

Les honoraires

[35]        Les honoraires exigés par le préparateur de déclarations sont préoccupants. Au cours des années précédentes, les appelants payaient Softron de 40 $ à 120 $ pour préparer leurs déclarations. En l’espèce, le préparateur de déclarations exigeait des honoraires de 45 % de toutes les sommes remboursées par l’ARC — des honoraires extrêmement élevés puisque les appelants demandaient le remboursement de tous leurs impôts payés au cours des dix dernières années. Ces honoraires étaient si différents de ceux versés au préparateur précédent qu’ils soulèvent la nécessité de remettre en question la légitimité du préparateur de déclarations. Il s’agit d’un autre facteur qui penche pour l’aveuglement volontaire.

L’anonymat du préparateur de déclarations

[36]        Il y avait toujours une certaine distance entre les Spurvey et le préparateur de déclarations. En fait, ils n’ont jamais rencontré Alex, et ils ne connaissent pas son nom de famille. Ils n’ont jamais eu de rendez‑vous personnel avec Alex et ne se sont jamais rendus à son bureau pour discuter de leur situation fiscale ou de leurs déclarations — ce qui est très inhabituel lorsque l’on traite avec un professionnel. Les seules communications avec Alex se produisaient en général par le biais de Mme Thompson et de personne d’autre. Florence a bien parlé à quelques reprises avec Alex au téléphone, mais Brendan ne lui a jamais parlé. Le fait qu’ils n’ont jamais personnellement rencontré le mystérieux Alex, une personne anonyme et sans visage, soulève beaucoup de doutes. Il s’agit d’un autre important facteur militant en faveur d’une conclusion d’aveuglement volontaire.

L’importance de l’avantage

[37]        Les appelants espéraient obtenir le remboursement de tous les impôts qu’ils avaient payés au cours des dix dernières années. Il s’agissait d’un avantage très important par rapport à leurs revenus réels et à ce qu’ils avaient obtenu dans les années précédentes. Ceci a éveillé, ou du moins aurait dû éveiller, leur attention sur le fait qu’il se passait quelque chose d’anormal. Il s’agissait d’un signal d’alarme évident qui appuie la conclusion d’aveuglement volontaire.

Le caractère flagrant du faux énoncé  — Facile à déceler

[38]        Les appelants ont déclaré des dépenses d’entreprise énormes sans toutefois exploiter une entreprise. L’affirmation selon laquelle ils exploitaient une entreprise et avaient engagé des dépenses d’entreprise très élevées était manifestement fausse. Ce mensonge flagrant aurait facilement été détecté s’ils avaient simplement pris le temps de regarder plus attentivement les documents préparés par Alex. Nul ne pouvait raisonnablement croire qu’il était possible de déclarer des pertes d’entreprise aussi élevées sans exploiter d’entreprise. En soi, cette fausse déclaration de dépenses d’entreprise élevées est suffisante pour éveiller plus qu’un léger soupçon; elle exige de toute évidence que l’on s’informe davantage.

Le préparateur de déclarations de revenus n’atteste pas qu’il a établi la déclaration

[39]        Il est évident que les appelants ont payé quelqu’un pour préparer leurs déclarations de revenus. Pourtant, le préparateur de déclarations n’a rien inscrit dans la case destinée aux professionnels de l’impôt. Cette case, à la dernière page de la déclaration, se trouve juste à côté de la ligne où chaque appelant a apposé sa signature pour attester l’exactitude des renseignements. Cette case réservée aux professionnels de l’impôt est facilement visible par le contribuable qui signe sa déclaration. Le fait qu’elle avait été laissée vide aurait dû éveiller l’attention des appelants sur le fait que le préparateur de déclarations voulait peut‑être ne pas se faire connaître de l’ARC. Ce point peut sembler mineur, mais, combiné à tous les autres signaux d’alarme, il aurait dû éveiller des soupçons chez les appelants.

Le préparateur de déclarations fait des demandes inusitées

[40]        Les appelants étaient priés de signer leurs déclarations après le mot [traduction] « par » écrit à la main à la ligne de signature. De nouveau, ce point est mineur, mais le mot [traduction] « par » aurait dû éveiller des soupçons chez les appelants.

Le préparateur de déclarations était inconnu des contribuables

[41]        Comme je l’ai déjà mentionné, Alex était précédemment inconnu des appelants. Les appelants ne l’ont en fait jamais rencontré. Ils n’ont entendu parler de lui que par Mme Thompson. Il s’agit peut‑être d’un facteur qui n’est pas très important, mais combiné à tous les autres facteurs, il aurait dû éveiller les appelants à la nécessité de chercher de l’information sur Alex. Les appelants n’ont pas fait preuve de diligence raisonnable; ils étaient aveuglés par leur désir d’obtenir d’énormes remboursements.

L’explication donnée par le préparateur de déclarations concernant le faux énoncé est inintelligible

[42]        Chaque fois que Florence posait des questions, Alex lui fournissait des explications incompréhensibles. Elle lui a dit qu’elle ne comprenait pas et, plutôt que de donner d’autres explications, Alex lui a simplement dit qu’elle n’avait pas besoin de comprendre. Les explications inintelligibles d’Alex et sa réponse selon laquelle Florence n’avait pas besoin de comprendre suscitent beaucoup de doutes. Brendan n’a même jamais parlé à Alex et n’a donc posé aucune question. Brendan voulait seulement obtenir d’importants remboursements d’impôt.

Les autres ne s’y risquent pas, ou bien le contribuable est mis en garde, ou bien il craint d’en parler

[43]        Ce facteur n’existe pas en l’espèce.

Aucune demande de renseignements auprès d’autres professionnels ou de l’ARC

[44]        Il est clair que les appelants ne comprenaient pas leurs déclarations ni la façon de calculer les chiffres. Brendan a admis que les chiffres semblaient incorrects. Les explications d’Alex étaient insatisfaisantes. Pourtant, les appelants n’ont pas tenté d’obtenir des éclaircissements en consultant d’autres professionnels, notamment un comptable, un avocat‑fiscaliste ou l’ARC. Je conclus qu’il y avait suffisamment de signaux d’alarme pour pousser les appelants à demander conseil à d’autres professionnels. Comme l’a déclaré la juge V.A. Miller dans la décision Janovsky c. La Reine, 2013 CCI 140 :

24 […] S’il est vrai qu’il [le contribuable] ne comprenait pas la terminologie qu’ont utilisée les FA dans sa déclaration ni la façon dont les FA avaient calculé ses dépenses, il avait dans ce cas le devoir de se renseigner auprès de personnes étrangères aux FA. […]

[45]        En l’espèce, si les appelants ne comprenaient vraiment pas ce que faisait le préparateur de déclarations, ils auraient dû demander conseil ailleurs. Ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Le fait de ne pas avoir tenté de s’informer auprès d’autres professionnels ou de l’ARC après avoir constaté qu’il y avait des renseignements très douteux dans leurs déclarations, et en l’absence d’explication convenable, est un autre signe d’aveuglement volontaire.

Demande péremptoire de renseignements de l’ARC pour l’année 2008

[46]        Comme il a déjà été mentionné, le 4 décembre 2009, l’ARC a envoyé une lettre aux appelants pour demander de la documentation et de l’information sur les pertes d’entreprises déclarées en 2008 et les demandes de report rétrospectif d’une perte. Cette lettre a sans doute éveillé l’attention des appelants sur le fait que leurs demandes de redressement d’une T1 et leurs demandes de report rétrospectif d’une perte de 2008 étaient douteuses. Il est toutefois révélateur que les lettres de l’ARC, qui soulèvent manifestement des préoccupations évidentes, aient été envoyées à Florence et à Brendan avant le dépôt de leurs déclarations de revenus de 2009. Pourtant, malgré ces préoccupations évidentes, en avril 2010, Florence et Brendan ont quand même permis à Alex de préparer leurs déclarations de 2009, tout en sachant que l’ARC avait des doutes au sujet de leurs dépenses d’entreprise. La lettre de l’ARC indiquait clairement qu’il y avait de graves problèmes, mais les appelants ont choisi d’ignorer cet important signal d’alarme. Ils ont été volontairement aveugles.

La confiance aveugle des appelants au préparateur de déclarations

[47]        Les appelants ont simplement déclaré qu’ils avaient confiance en Alex.

[48]        Dans certains cas, un contribuable peut jeter le blâme sur les professionnels négligents ou malhonnêtes auxquels il faisait confiance; voir par exemple la décision Lavoie c. La Reine, 2015 CCI 228, portant sur une affaire dans laquelle les contribuables se sont fiés à un avocat qu’ils connaissaient depuis plus de 30 ans et qui était un ami de confiance. Cependant, il existe de nombreuses affaires dans lesquelles les contribuables n’ont pu échapper aux pénalités pour faute lourde pour avoir fait confiance aveuglément en leurs préparateurs de déclarations et ne pas avoir pris des mesures minimales pour vérifier l’exactitude des renseignements inscrits dans leur déclaration de revenus.

[49]        Dans la décision Gingras c. Canada, [2000] A.C.I. no 541 (QL), le juge Tardif a écrit :

19 Le fait d’avoir recours à un expert ou à quelqu’un qui se présente comme tel, n’excuse en rien la responsabilité de ceux qui attestent, par leur signature, la véracité de leur déclaration.

[…]

30 L’imputabilité des faux renseignements fournis dans une déclaration de revenus incombe au signataire de la dite déclaration et non au mandataire qui l’a complété, peu importe ses compétences ou qualifications.

[50]        Dans la décision DeCosta, précitée, le juge en chef Bowman a déclaré :

12 […] Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l’on peut dire que l’appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l’omission d’un montant qui représente presque le double du montant qu’il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au‑delà du simple manque d’attention.

[51]        Dans la décision Laplante c. La Reine, 2008 CCI 335, le juge Bédard a écrit :

15 De toute façon, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjoratif. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L’appelant n’atil pas admis que, sil avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par monsieur Cloutier? L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenus, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi. En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d’autant plus qu’en l’espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

[Souligné dans l’original.]

[52]        Dans la décision Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, des pénalités pour faute lourde qui avaient été imposées ont été maintenues dans une affaire où la contribuable a simplement fait confiance aux documents préparés par son comptable et pensé que tout était correct. Elle a témoigné qu’elle avait feuilleté brièvement la déclaration mais qu’elle ne comprenait pas les termes « revenus d’entreprise » et « crédit », sans toutefois poser des questions à son comptable ou à toute autre personne afin de s’assurer que son revenu et ses dépenses étaient correctement déclarés. Le juge de la Cour, le juge Favreau, était d’avis que le fait que la contribuable n’avait pas songé à la nécessité de s’informer représentait une négligence qui constituait une faute lourde.

[53]        Dans la décision Bhatti, précitée, le juge C. Miller a signalé ce qui suit :

30 […] Il est tout simplement insuffisant d’affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu’un d’autre sans même une vérification minimale de l’exactitude de la déclaration va audelà de l’imprudence. Donc, même si elle n’a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l’attitude cavalière du laisseraller. […]

[54]        Dans la décision Janovsky, précitée, la juge V.A. Miller a déclaré :

22 L’appelant dit avoir passé en revue sa déclaration avant de la signer et ne pas avoir posé de questions. Il a déclaré qu’il faisait confiance aux FA car il s’agissait d’experts en fiscalité. Cette déclaration est, selon moi, peu vraisemblable. Il a assisté à une seule réunion avec les FA en 2009. Il n’avait jamais entendu parler de ces derniers auparavant et, pourtant, entre la réunion qu’il a eue avec eux et la production de sa déclaration en juin 2010, il n’a jamais posé de questions sur les FA. Il n’a mis en doute ni leurs titres de compétence ni leurs prétentions. Dans son désir de toucher un remboursement élevé, l’appelant n’a pas essayé de se renseigner sur eux.

23 Compte tenu du niveau d’instruction de l’appelant et de l’ampleur du faux énoncé qu’il a fait dans sa déclaration de 2009, je suis d’avis que l’appelant savait que les montants indiqués dans sa déclaration étaient faux.

[55]        La décision Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174 est un autre exemple récent dans lequel les contribuables ont simplement fait aveuglément confiance à leur préparateur de déclarations sans lire ou examiner leur déclaration et sans faire le moindre effort pour vérifier l’exactitude des renseignements fournis.

Conclusion

[56]        Il n’y a aucun doute que les demandes de redressement d’une T1 pour 2008, les déclarations de revenus de 2009 et les demandes de report rétrospectif d’une perte des appelants contenaient de faux énoncés — les appelants n’exploitaient pas d’entreprise et ils n’avaient aucune perte d’entreprise. Je ne peux que conclure que les appelants ont fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de l’aspect spécieux de ces énoncés. Les nombreux signaux d’alarme ont simplement tous été ignorés. J’estime non seulement que la Couronne s’est acquittée de son fardeau de la preuve, mais également que les appelants ont fait les faux énoncés dans leurs déclarations dans des circonstances équivalant à faute lourde. Par conséquent, ils sont à juste titre assujettis aux pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[57]        Les appelants sont des personnes dont les revenus sont modestes, et les pénalités sont très sévères. Les appelants connaîtront certainement des difficultés à la suite de ces pénalités. Cependant, je ne peux offrir aucun allègement à l’égard de la sévérité des sanctions. La seule question sur laquelle je peux me prononcer est de savoir si les pénalités sont fondées ou non.

[58]        La Cour attire l’attention des appelants sur le fait qu’il est possible de déposer une demande de renonciation aux pénalités et aux intérêts à l’ARC en vertu des dispositions d’allègement pour les contribuables prévues au paragraphe 220(3.1) de la Loi. La Cour n’a aucun rôle à jouer en ce qui concerne ces demandes et il convient de préciser que la renonciation aux pénalités et aux intérêts est entièrement à la discrétion du ministre. Cette demande doit être faite à l’ARC; l’ARC publie une circulaire d’information (IC07‑1) ainsi qu’un formulaire (RC4288) qui permet au contribuable de présenter sa demande d’allègement.

[59]        Pour tous ces motifs, ces appels sont rejetés. L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 1er jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juillet 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 300

NOS DU DOSSIER DE LA COUR :

2013‑1709(IT)G

2013‑1710(IT)G

INTITULÉ :

FLORENCE SPURVEY,

BRENDAN SPURVEY, c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 octobre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er décembre 2015

COMPARUTIONS :

 

Pour les appelants :

Les appelants eux‑mêmes

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour les appelants :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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