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Dossier : 2015-983(EI)

ENTRE :

HANS HARRY FELIX,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appel entendu le 22 octobre 2015, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge en chef adjointe Lucie Lamarre

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Annie Paré

 

JUGEMENT

        L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national en date du 12 novembre 2014 est confirmée, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de décembre 2015.

 

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


 

 

Référence : 2015 CCI 293

Date : 20151202

Dossier : 2015-983(EI)

ENTRE :

HANS HARRY FELIX,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge en chef adjointe Lamarre

[1]             L'appelant en appelle d'une décision du ministre du Revenu national (ministre) selon laquelle il n'exerçait pas un emploi assurable aux termes de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance‑emploi (LAE) auprès de Experis Manpower Group, une division de Services Manpower Canada Ltée (Manpower), au cours de la période du 9 juillet 2012 au 15 mars 2013 (période en litige).

[2]             Il ressort de la preuve que l'appelant a constitué une société par actions, en janvier 2010, sous le nom de 7307101 Canada Inc. (société), dont il est le seul actionnaire et administrateur. Cette société exploite une entreprise qui fournit des services de consultation en technologie informatique.

[3]             Le 3 juillet 2012, la société, représentée par l'appelant, a signé une entente contractuelle (« Independent Contractor Agreement ») avec Experis (une division de Manpower) par laquelle la société s'engageait à rendre des services à toute personne désignée par Experis, selon un taux horaire prévu à l'entente (pièce I‑1, onglet 2). Experis offre des services de consultants spécialisés en technologie de l'information, en finances et comptabilité et en ingénierie.

[4]             Par cette entente, la société prenait auprès d'Experis un engagement selon lequel des services seraient rendus par l'appelant − auquel on fait référence sous le titre de « Service delivery Consultant » − auprès du client (HP) au cours de la période en litige (pièce I‑1, onglet 2, paragraphes 2 et 4).

[5]             L'appelant a qualifié Experis d'agence de placement qui fournissait ses services à HP. Il dit avoir été recruté pour travailler chez HP parce qu'il était bilingue et qu'il avait une expérience technique. Il s'occupait des systèmes de réseautage pour un client de HP (la CIBC). Il dit qu'il travaillait selon un horaire spécifique et qu'il enregistrait ses heures dans le système informatique conçu pour cela.

[6]             Manpower versait les honoraires à la société par dépôt direct dans un compte bancaire ouvert au nom de la société. La taxe de vente était versée en sus des honoraires.

[7]             Les heures de travail pouvaient varier d'une semaine à l'autre et il en était de même des honoraires versés à la société (pièce I‑1, onglet 6). L'appelant a mentionné qu'il pouvait s'absenter, au besoin, à des fins personnelles. L'entente signée avec Experis n'empêchait pas l'appelant de travailler ailleurs. L'appelant a toutefois mentionné que, après qu'il eut commencé à travailler chez HP, celle‑ci lui avait fait signer un contrat l'empêchant de travailler ailleurs. Ce contrat n'a pas été déposé en preuve.

[8]             L'appelant soutient qu'Experis a exigé que soit signée l'entente contractuelle avec la société, sans quoi il n'aurait pas été engagé. Il a fait référence à une dame du nom de Lisa Balks, mais celle‑ci n'a pas été appelée à témoigner.

[9]             Ceci a été démenti par madame Nadia Ciani, vice‑présidente aux ressources humaines auprès de Manpower, qui est venue témoigner à la demande de l'intimé. Elle a dit que Manpower signait des contrats tant avec des individus qu'avec des sociétés. Elle a mentionné que Manpower avait des employés en informatique, et ceci n'a pas été démenti par l'appelant. Elle a souligné que si le contrat avait été signé par la société de l'appelant, ce devait être avec l'assentiment de ce dernier.

[10]        D'autre part, l'appelant soutient qu'il a obtenu une décision du ministère du Travail de l'Ontario, par laquelle il aurait été décidé qu'il occupait effectivement un emploi auprès de HP au cours de la période en litige. Toutefois, dans un seul des documents soumis sous la cote A‑1 (document par ailleurs non signé), on voit que l'appelant aurait fait une réclamation pour certains montants dans le cadre de son travail pour HP. Mais aucune décision relative à sa réclamation n'a été produite. L'appelant a joint un courriel que lui a adressé Mme Ciani le 23 août 2013 relativement à un dépôt de 3 750 $, dans lequel elle fait mention qu'elle aurait reçu un « release » portant la signature de l'appelant. Toutefois, ce courriel ne fait pas allusion à la réclamation qu'aurait faite l'appelant dans le cadre de son travail avec HP et le dépôt ne correspond pas au montant réclamé. Aucune question n'a été posée à Mme Ciani à ce sujet non plus.

[11]        L'appelant a également fait témoigner monsieur Éric Michel Menie relativement à une plainte que ce dernier aurait déposée et pour laquelle il aurait eu gain de cause (pièce A‑3). Toutefois, ceci n'a aucun lien avec le cas de l'appelant. Par ailleurs, monsieur Menie a témoigné qu'il avait également été contacté par Manpower. Il a mentionné qu'on lui avait proposé de constituer une société par actions, mais il n'a pas confirmé qu'il s'agissait d'une exigence pour pouvoir travailler avec eux.

[12]        L'intimé soutient que l'appelant était parfaitement conscient qu'il acceptait de rendre des services par le biais de sa société, selon une entente contractuelle, au moment de signer l'entente. En signant cette entente, il savait et acceptait qu'il rendrait des services, non pas comme un employé, mais en tant que travailleur autonome.

[13]        L'intimé soutient que les services ont été rendus par la société de l'appelant et que, de fait, il n'était pas engagé en vertu d'un contrat de louage de services, ni par Manpower ni par sa propre société.

[14]        De fait, on ne peut occuper un emploi assurable auprès d'une société dont on contrôle plus de 40 pour 100 des actions (alinéa 5(2)b) LAE):

Sens de « emploi assurable »

5. [...]

Restriction

(2)        N’est pas un emploi assurable :

[...]

b)         l’emploi d’une personne au service d’une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale.

[15]        Par ailleurs, l'intimé souligne que l'appelant ne pouvait être considéré comme l'employé d'une agence de placement aux termes de l'alinéa 6g) du Règlement sur l'assurance‑emploi (Règlement), puisque l'entente avec l'agence de placement Manpower n'a pas été signée par lui, mais par sa société. L'alinéa 6g) se lit comme suit :

6.         Sont inclus dans les emplois assurables, s’ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

[...]

g)   l’emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l’agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l’agence.

[16]        L'intimé soutient, par ailleurs, que l'appelant voudrait faire abstraction de sa société et conclure que, puisque c'est lui qui rendait les services, c'est lui qui occupait un emploi assurable. Or, on ne peut ignorer l'existence de la société impunément.

[17]        L'intimé a fait référence à l'arrêt La Reine c. Jennings, Cour d'appel fédérale, A‑113‑93, 15 juin 1994, [1994] A.C.F. no 953 (QL) et a cité le passage suivant :

2          Ironiquement, ce n'est pas le ministre qui cherche à « faire abstraction de la personnalité morale », mais plutôt le contribuable. La requérante maintient que l'intimé et sa compagnie constituent des entités juridiques distinctes et que « la règle ordinaire voulant qu'une société soit une entité juridique distincte de ses actionnaires s'applique » (le juge en chef Iacobucci [maintenant juge à la Cour suprême du Canada] dans l'arrêt La Reine c. MerBan Capital Corporation Limited, 89 DTC 5404, à la page 5410 (C.A.F.)). Sur cette question, l'arrêt Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 2, de la Cour suprême du Canada, est instructif. Rédigeant au nom de la majorité (avec l'appui du juge McIntyre), le juge Wilson a fait remarquer, aux pages 10 et 11 :

Aucune règle uniforme n'a été appliquée à la question de savoir dans quelles circonstances un tribunal peut déroger à ce principe en « faisant abstraction de la personnalité morale » et en considérant la société comme un simple « mandataire » ou « instrument » de son actionnaire majoritaire ou de sa société mère. En mettant les choses au mieux, tout ce qu'on peut dire est que le principe des « entités distinctes » n'est pas appliqué lorsqu'il entraînerait un résultat [TRADUCTION] « trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc » [...]

Il y a un argument convaincant selon lequel [TRADUCTION] « quiconque choisit de profiter des avantages qu'offre la constitution en société doit aussi en supporter les inconvénients, de sorte que, si jamais on doit faire abstraction de la personnalité morale, ce ne doit être que dans l'intérêt de tiers à qui, sans cela, ce choix porterait préjudice » [...] Un avocat compétent a conseillé à M. Kosmopoulos de constituer son entreprise en société afin de protéger ses biens personnels et rien dans la preuve n'indique que sa décision de profiter des avantages qu'offre la constitution en société n'était pas sincère. Ayant opté pour les avantages de la constitution en société, il ne devrait pas lui être permis de se soustraire à ses désavantages. Il ne devrait pas lui être loisible de « jouer sur les deux tableaux » en même temps.

[Passages non soulignés dans le texte original.]

3          Compte tenu des maigres éléments de preuve qui ont été présentés devant la juridiction inférieure et des moyens limités invoqués par l'intimé (qui n'est représenté par personne), nous sommes tous d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en permettant de se servir des pertes d'une entité juridique pour compenser le revenu d'une autre entité juridique. Ce n'est que dans les cas les plus patents, dans des circonstances convaincantes et après avoir procédé à une analyse juridique approfondie que la « règle ordinaire » peut être écartée. [...]

[18]        Par ailleurs, l'intimé a cité l'arrêt Meredith c. Canada, 2002 CAF 258, [2002] A.C.F. no 1007 (QL) :

11        D'après mon analyse, le juge a commis plusieurs erreurs lorsqu'il a statué sur la présente affaire. Premièrement, le juge a « percé le voile corporatif » dans la mesure où il est passé outre à l'entité corporative elle-même pour évaluer les actes du demandeur. Les motifs de son jugement regorgent d'exemples en ce sens. Ainsi, il a conclu que, malgré l'existence d'un lien contractuel entre les tiers et Stem, il était [TRADUCTION] « évident que Roeslein and Ball faisait appel à l'expertise [de Meredith], et non pas aux services de la compagnie en soi puisque celle-ci n'employait personne d'autre ». Il a également déclaré [TRADUCTION] « [qu']il est clair que [Meredith] contrôle la compagnie et l'utilise à son propre avantage de temps à autre, lorsque cela est pratique. La compagnie ne l'utilise pas. » En outre, le juge a aussi parlé des méthodes par lesquelles Meredith était payé par Stem de même que des ententes que Stem avait avec sa banque, y compris les garanties personnelles fournies par Meredith.

12        La levée du voile corporatif est contraire aux principes établis depuis longtemps en droit corporatif. En l'absence d'allégation selon laquelle la société constitue un « trompe-l'œil » ou un véhicule permettant à des actionnaires putatifs de commettre des fautes et en l'absence d'autorisation légale, les tribunaux doivent respecter les rapports juridiques créés par un contribuable (voir Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22; Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 2). Les tribunaux ne peuvent pas qualifier autrement les véritables rapports en fonction de ce qu'ils jugent être la réalité économique qui les sous-tend (voir Continental Bank Leasing Corp. c. La Reine, [1998] 2 R.C.S. 298; Shell Canada Ltd. c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622 ; Ludco Enterprises Limited c. La Reine, 2001 CSC 62, au par. 51). [...]

Analyse

[19]        Dans 1392644 Ontario Inc. (f.a.s Connor Homes) c. Canada, 2013 CAF 85, [2013] A.C.F. no 327 (QL), où il s'agissait de déterminer si les travailleuses étaient des employées ou des entrepreneuses indépendantes, la Cour d'appel fédérale a rappelé que la première étape consiste à établir l'intention subjective de chacune des parties à la relation (paragraphe 39). J'estime ici que l'appelant n'a pas démontré qu'il n'était pas de son intention de signer l'entente contractuelle avec Experis au nom de sa société. C'est la société, qu'il avait constituée deux ans auparavant, qui a été rémunérée pour les services rendus et elle percevait la taxe sur les produits et services. De plus, compte tenu du témoignage de la représentante de Manpower, lequel n'a été contredit ni en contre‑interrogatoire ni par le témoignage de monsieur Menie, ce dernier ayant été appelé à la barre par l'appelant, je ne peux conclure que Manpower exigeait que le contrat soit signé par la société de l'appelant.

[20]        Par ailleurs, la seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme la relation de client à entrepreneur‑représentant désignée dans l'entente contractuelle (Connor Homes, paragraphe 40).

[21]        Ici encore, j'estime que l'appelant n'a pas fait la preuve que l'entente contractuelle ne reflétait pas la réalité juridique entre les parties. Tel qu'il est mentionné plus haut, je ne suis pas convaincue, vu la preuve soumise, que l'appelant a signé l'entente au nom de sa société parce qu'il a été contraint de le faire. Il rendait les services à sa propre société, qui, elle, rendait les services aux clients désignés par Experis.

[22]        C'est la société qui engrangeait les honoraires provenant d'Experis et prélevait la taxe là‑dessus. En rendant des services à sa propre société, l'appelant ne pouvait occuper un emploi assurable (alinéa 5(2)b) LAE). Il ne pouvait non plus être réputé occuper un emploi assurable en vertu de l'article 6 du Règlement parce que ce n'est pas lui qui était engagé par l'agence de placement (Experis), mais sa société, laquelle était rétribuée pour les services rendus au client d'Experis (HP).

[23]        Par ailleurs, la preuve soumise ne permet pas non plus d'établir que le ministère du Travail a considéré l'appelant comme étant un employé de Manpower au cours de la période en litige.

[24]        Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de décembre 2015.

 

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 293

Nº DE DOSSIER DE LA COUR :

2015-983(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

HANS HARRY FELIX c. M.R.N.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 22 octobre 2015

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'hon. juge en chef adjointe Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

le 2 décembre 2015

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Annie Paré

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 

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