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Dossier : 2013-3231(GST)G

ENTRE :

UNIVERSITÉ LAVAL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 14 septembre  2015, à Québec (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif


Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Bernard Gaudreau

Me René Roy

Avocat de l'intimée :

Me Louis Riverin

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes comprises entre le 1er janvier 2008 et le 30 juin 2011, dont l’avis est daté du 3 novembre 2011, est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 2016.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2016 CCI 17

Date : 20160120

Dossier : 2013-3231(GST)G

ENTRE :

UNIVERSITÉ LAVAL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]             Il s’agit de l’appel d’une cotisation émise à l’encontre de l’Université Laval en date du 3 novembre 2011. La cotisation concerne le caractère taxable de la subvention versée par la ville de Québec à l’appelante pour des périodes de déclaration comprises entre le 1er janvier 2008 et le 30 juin 2011.

[2]             L’appel a été entendu le 14 septembre 2015, à Québec.

[3]             L’appelante, l’Université Laval, est une institution publique d’enseignement supérieur se situant à Québec.

[4]             L’appelante exploite certains immeubles à vocation sportive et récréative, dans le cadre de sa mission universitaire.

[5]             Le Pavillon de l’éducation physique et des sports (PEPS) de l’Université a fait l’objet d’un agrandissement pour répondre à la croissance de la demande et aussi pour élargir son rayonnement.

[6]             La ville a contribué au moyen d’une subvention; elle a cependant exigé que sa population puisse avoir accès aux nouvelles installations à certaines conditions.

[7]             À la suite de démarches et discussions entre la ville et l’Université, deux ententes en date du 23 septembre 2010 furent conclues, l’une relative à la subvention et l’autre à l’accès pour la population. 

[8]             La première est le protocole d’entente[1] qui prévoit que la ville de Québec versera une subvention de 10 M$ à l’Université pour le projet d’agrandissement du PEPS.

[9]             La deuxième entente relative à l’accès et à l’utilisation d’infrastructures et d’équipements[2] (ci-après « Entente sur l’accès ») prévoit, quant à elle, les obligations et les modalités d’implication des parties.

[10]        Les deux ententes sont à l’origine de la cotisation qui fait l’objet du présent appel; les parties interprètent le contenu et les circonstances inhérentes d’une manière totalement différente.

Position de l’Université Laval

[11]        L’appelante soumet que le montant de 10 M$ obtenu de la ville de Québec représente une subvention directe sans aucune contrepartie et, conséquemment, qu’elle n’a effectué aucune fourniture taxable en faveur de cette dernière.

[12]        L’appelante soutient que la subvention a été accordée essentiellement et exclusivement pour réaliser le projet d’agrandissement du PEPS dans le cadre de l’intérêt public, ses installations étant sur le territoire de la ville.

[13]        Elle prétend également que l’entente relative à l’accès et à l’utilisation d’infrastructures et d’équipements est totalement indépendante de la subvention versée et conséquemment, ne peut pas constituer une contrepartie de la subvention. À cet effet, l’appelante soumet que la subvention ne permet pas à la ville de Québec d’utiliser les futures installations du PEPS gratuitement ou à un coût moindre.

[14]        L’appelante soumet que la ville de Québec devra assumer les coûts d’exploitation et d’occupation des futures installations du PEPS par ses citoyens ajoutant qu’il y a là la preuve de l’absence de relation ou d’interrelation entre les deux conventions.

[15]        Subsidiairement, elle soumet que si la Cour en vient à la conclusion que la subvention a été faite avec contrepartie, la contrepartie ne correspond aucunement à la totalité du montant de 10 M$.

[16]        En outre, l’appelante soumet également que si la Cour en vient à la conclusion que la subvention a été faite avec contrepartie, il s’agit alors de la fourniture d’un bien meuble incorporel exonéré selon l’article 2 de la partie VI de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise (LTA).

Position de l’intimée

[17]        L’intimée soumet que la subvention de 10 M$ accordée par la ville de Québec représente une subvention avec contrepartie effectuée en échange de  fourniture en sa faveur.

[18]        L’intimée fait valoir que la subvention versée constitue la contrepartie d’une fourniture;  la fourniture est le droit à l’utilisation d’un immeuble. Ce droit consiste à obtenir une certaine disponibilité des installations du PEPS selon une entente.

[19]        L’intimée fait également valoir que la ville de Québec a des obligations de fournir et rendre disponibles des installations sportives à ses citoyens. Pour ce faire, la ville peut verser des subventions à toute personne ou organisme œuvrant dans ces champs d’activités de manière à ce que la ville puisse répondre et satisfaire aux besoins et intérêts de ses citoyens, le tout conformément à la Charte de la Ville de Québec[3].

[20]        L’intimée soumet que les deux ententes conclues entre l’appelante et la ville de Québec établissent un lien direct entre la subvention et les obligations de l’Université envers la ville.

[21]        À cet effet, l’intimée soutient qu’il s’agit là d’une fourniture réputée comme fourniture d’immeuble selon le paragraphe 136(1) de la LTA.

[22]        Subsidiairement, l’intimée ajoute que, selon l’article 25 de la partie VI de l’annexe V de la LTA, si la Cour en vient à la conclusion que la subvention a été faite avec contrepartie, il s’agit là de fourniture non exonérée puisqu’elle est principalement utilisée dans le cadre des activités commerciales de l’appelante.

Questions en litige

[23]        La première question en litige est de savoir si le montant versé par la ville de Québec en faveur de l’Université Laval constitue ou non une contrepartie d’une fourniture.

[24]        Subsidiairement, si la Cour vient à la conclusion que la subvention a été faite avec contrepartie, la question est alors de déterminer si la totalité de la subvention a été faite ou non avec contrepartie.

[25]        Également, subsidiairement, si la Cour en vient à la conclusion que la subvention a été faite avec contrepartie, elle devra répondre à la question suivante : s’agit–il d’une fourniture exonérée?

Contrepartie d’une fourniture

[26]        Tout d’abord, il faut déterminer si la subvention versée par la ville de Québec à l’Université Laval constitue la contrepartie d’une fourniture.

[27]        Selon la définition de la contrepartie de la LTA, une subvention peut être une contrepartie si elle est directement liée à une fourniture effectuée. À cet effet, la définition de fourniture nous amène à nous demander si l’Université Laval doit fournir des biens et/ou des services en échange du montant reçu en subvention par la ville de Québec. Si c’est le cas, la subvention sera alors considérée comme étant la contrepartie d’une fourniture.

[28]        La réponse à cette question fondamentale se trouve dans le contenu des deux ententes intervenues, soit le protocole d’entente concernant la subvention et l’Entente sur l’accès concernant l’accès aux infrastructures et équipements du PEPS.

[29]        Il est important de procéder à l’analyse de ces deux ententes pour pouvoir comprendre exactement la volonté des parties.

[30]        D’entrée de jeu, soulignons que les deux ententes ont été conclues la même journée, soit le 23 septembre 2010, et entre les mêmes parties, soit l’Université Laval et la ville de Québec.

[31]        Par ailleurs, les deux ententes réfèrent mutuellement l’une à l’autre. En effet, dans le Protocole d’entente, l’on réfère à une deuxième entente à venir, soit l’Entente sur l’accès et dans cette dernière on fait également référence au Protocole d’entente.

[32]        Tout d’abord, regardons ce qui en est concernant le Protocole d’entente et ensuite nous enchaînerons avec l’Entente sur l’accès.

Protocole d’entente

[33]        À la page 2 du Protocole d’entente[4], il est prévu que la ville de Québec apporte son soutien à l’Université de manière à bénéficier des éventuelles installations, comblant ainsi une carence en équipements sportifs sur son territoire et lui permettant d’assumer ses obligations à l’endroit de sa population.

[34]        L’article 1 du Protocole d’entente[5] prévoit que l’objet de l’entente est d’établir les obligations et modalités d’implications des parties quant au versement d’une subvention à l’Université, taxes provinciale et fédérale incluses.

[35]        Aux termes des obligations et responsabilités des parties prévues aux articles 3 et 4 du Protocole[6], il est notamment mentionné que l’Université rendra disponibles à la ville les installations sportives du PEPS selon certaines modalités et conditions.

[36]        Quant aux obligations des parties, l’article 4.3 du Protocole d’entente[7] est particulièrement intéressant, mais aussi pertinent :

Obligations de l’Université

4.3  Rendre disponible à la ville les locaux et les plateaux sportifs rattachés au projet d’agrandissement du PEPS en proportion des périodes qui lui seront réservées en priorité, et ce, dans une proportion de 70 % de la grille horaire, selon les paramètres fixés dans une entente à venir relatif à l’accès et l’utilisation d’infrastructures et d’équipements destinés à la pratique d’activités sportives dans le cadre du projet d’agrandissement du PEPS.

[37]        En vertu de cet article, il m’apparaît évident que les parties ont convenu d’une entente prévoyant et établissant clairement un lien, à savoir que la subvention était accordée en contrepartie du droit de jouissance des installations sportives réalisées par la subvention accordée par la ville.

[38]        En d’autres termes, la ville accepte de verser 10 M$ à titre de subvention, à condition que la subvention ne serve pas exclusivement à la construction et à la rénovation des installations du PEPS, mais aussi à lui donner un accès privilégié aux installations sportives pour la population de la ville de Québec.

[39]        Je ne peux que mettre l’emphase sur le fait que ce protocole a pour objet d’établir les obligations des parties quant à la subvention d’une part et, d’autre part, quant à l’obligation de l’Université de donner un accès privilégié aux citoyens de la ville.

[40]        Quant aux modalités relatives au versement de la subvention, elles sont mentionnées à l’article 5 du Protocole[8] :

5. Modalités de versement de la subvention

En contrepartie des obligations et engagements de l’Université prévus au présent protocole d’entente, la ville s’engage à verser à l’Université une subvention d’une somme totale de 9M $, taxes provinciale et fédérale incluses de même que le solde non encore versé prévu au premier protocole d’entente identifié cinquième ATTENDU du présent protocole […].

[Je souligne.]

[41]        À la lecture de cet article, il est très clair qu’en contrepartie de la subvention de la ville, l’Université devra donner un accès privilégié à ses installations sportives à la population de la ville de Québec.

[42]        Quant à la deuxième entente conclue le même jour, soit le 23 septembre 2010, elle est également déterminante quant aux questions en litige.

Entente sur l’accès aux installations

[43]        Tout d’abord, l’objet de l’Entente sur l’accès[9] est présent à son article 1 :

1. Objet de l’entente

Le Protocole entre la ville et l’Université a pour but d’établir les principales obligations et les modalités d’implication des parties quant à l’accès aux installations sportives de l’Université par les citoyens de la ville, en regard du financement des Frais d’exploitation des installations construites dans le cadre du projet d’agrandissement du PEPS ( les « installations »), ainsi que du financement des coûts liés à l’occupation des locaux et plateaux sportifs par la ville. Les installations sont plus amplement décrites dans l’Annexe C jointe au Protocole pour en faire partie intégrante.

[Je souligne.]

[44]        Le financement dont il est question à cet article représente la subvention de 10 M$.

[45]        En ce qui concerne les obligations de l’Université, elles sont prévues à l’article 3.2 de l’Entente[10]. D’ailleurs, il semble assez évident que cet article est calqué sur l’article 4.3 du Protocole, en faisant également référence à une disponibilité à 70 % des plages horaires pour les citoyens de la ville :

3.2 Rendre disponible à la ville ses installations dans une proportion de 70 % de leur potentiel d’utilisation. Les plages d’utilisation devront être établies pendant les heures normales d’affluence pour des équipements sportifs, tant de jour, de soir que durant la fin de semaine.

[Je souligne.]

[46]        Il apparaît clair que cette entente a pour objectif d’établir et de définir les obligations et responsabilités des parties quant à la subvention. Aux termes de ces dispositions, il n’y a aucun doute quant aux obligations de l’appelante de fournir un accès à la population de la ville de Québec.

[47]        Le lien entre les deux ententes s’avère également déterminant par la lecture de l’article 4.4 de l’Entente[11]; il y est mentionné que tout engagement de la ville reste conditionnel à l’entrée en vigueur d’un règlement d’emprunt relatif au Protocole d’entente.

[48]        En outre, il ressort de l’extrait du procès-verbal[12] d’une séance du conseil de la ville, que la ville s’engage à donner le montant de 9 M$ restant et que pour sa part l’Université doit, entre autres, rendre disponible un accès prioritaire et privilégié aux citoyens de la ville.

[49]        Gilles D’Amboise, directeur du service des activités sportives de 1997 à 2012, a été le seul témoin. Son témoignage illustre bien la lettre, l’esprit et la volonté clairement exprimés par les deux parties lors des ententes convenues entre la ville de Québec et l’Université Laval. Je reproduis certains extraits de son témoignage :

LE JUGE TARDIF : Mais est-ce que je comprends qu’il s’agit de deux filières complètement indépendantes l’une de l’autre?

M. D’AMBOISE :      Pour nous autres c’est deux filières totalement différentes. C’est deux filières qui ont rien à voir l’une avec l’autre.

[…]

M. D’AMBOISE :      […] On a toujours dit à la ville on se lance dans une opération d’agrandissement du PEPS. L’Université a besoin d’agrandir. On va – on vous demande de s’associer avec la ville, parce qu’on va vous rendre des services à vos citoyens. Donc, on vous demande 10 millions.

On va, sur le plan des frais d’opérations, on va vous faire de la place. On va vous faire – on va vous garantir 70 pourcent de la priorité d’horaire. En contrepartie de quoi vous devrai payer 70 pourcent des frais d’exploitation et des frais d’occupation. C’est de même ça fonctionné.

[…]

Et quand on a présenté à la ville de Québec le projet demandant de contribuer à 10 millions, on lui présentait un projet de construction.

Alors – et ils – si vous lisez tous les documents de présentation, vous allez voir dans les documents de présentation que on demande à la ville de contribuer à la construction à –

LE JUGE TARDIF :  Sans condition?

M. D’AMBOISE :      Bien on le dit pas comme ça. Ce qu’on dit à la ville on vous demande 10 millions et on va ouvrir les portes pour vous offrir une – un accès, l’accès aux citoyens jusqu’à 70 pourcent de la grille horaire, mais en contrepartie vous allez devoir payer les frais d’occupation et les frais d’exploitation.

[Je souligne.]

[50]        Aux termes du témoignage entier de M. D’Amboise, il n’y a aucun doute sur le lien direct entre les deux ententes; d’ailleurs cette interprétation valide totalement le contenu pourtant clair, voire évident des deux ententes. À partir du contenu des deux ententes, la volonté des parties est à ce point clairement exprimée qu’elle ne se prête à aucune interprétation; les parties s’obligent l’une envers l’autre à exécuter des obligations et à exécuter une prestation.

[51]        Elles s’obligent réciproquement de manière à ce que l’obligation de chacune soit corrélative à l’obligation de l’autre. Chaque partie retire un avantage en échange de l’obligation.

[52]        Toute interprétation contraire repose essentiellement sur des hypothèses, des spéculations. Lorsqu’une ou des conventions écrites expriment clairement la volonté des parties, la Cour doit s’en remettre au texte convenu par les parties. En l’espèce, les deux ententes ont résulté de rencontres, de discussions et de négociations. Les versions écrites finales, préparées par des professionnels ayant les qualités et compétences, ont correctement exprimé la volonté claire des parties. Contredire ou déformer le contenu d’écrits valablement faits requiert une preuve très particulière qui doit reposer sur des fondements solides. Or, ici, la situation est tout autre et il n’y a aucun équivoque quant à la signification et à la portée des deux ententes.

[53]        De plus, ces ententes sont précises et cohérentes quant à leur contenu. De ce fait, il ne me semble pas possible d’aller à l’encontre de ce qu’elles expriment clairement. Les montants en cause sont considérables. Ceux et celles qui ont préparé les ententes ont clairement défini les droits et obligations des parties. La précision, la clarté et la cohérence du contenu des deux ententes écartent totalement toute initiative d’interprétation.

[54]        À cet effet, le critère du lien direct a été repris et examiné dans la décision Regina (Ville) c. Canada, [2001] A.C.I. no 315 (QL) :

28 L'auteur de la partie I du bulletin I. T. B-067 explique que, "lorsque sont directement liés un paiement de transfert accordé à une personne et une fourniture effectuée par cette personne, soit au donateur du paiement de transfert ou à un tiers, le paiement de transfert sera considéré comme la contrepartie de la fourniture". On y souligne qu'"[i]l se peut qu'un lien direct ne soit pas immédiatement apparent et qu'il soit nécessaire d'étudier les circonstances entourant chaque cas". Peuvent faire partie de ces circonstances l'accord entre les parties, la conduite des parties, les objectifs ou les énoncés de politique du donateur, les dispositions législatives, les arrêtés et les règlements applicables.

29 La partie II du Bulletin I. T. B-067 expose les lignes directrices permettant d'établir si un lien direct existe entre un paiement de transfert et une fourniture et si, par conséquent, le paiement de transfert constitue une contrepartie. Si l'on se reporte à ces lignes directrices, lorsqu'une fourniture est effectuée relativement à un paiement de transfert, il y a un lien direct entre la fourniture et le paiement de transfert si la fourniture effectuée au profit du donateur a un "but d'achat", lequel "avantage le donateur ou un tiers désigné et [...] peut être de nature commerciale" et non un "but public", lequel "avantage le grand public ou un segment précis du grand public".

[55]        Dans cette même affaire, la Cour analyse particulièrement le cas d’une subvention ayant une contrepartie de fourniture selon un contrat :

32 Le critère du lien direct permet de déterminer si une contrepartie a été versée relativement à une fourniture. Normalement, lorsqu'un fournisseur s'engage par contrat à effectuer une fourniture, le coût ou la contrepartie de cette fourniture figure au contrat. Une subvention inconditionnelle ne précise pas l'objet ni le motif du financement. Si une personne peut raisonnablement déterminer que la subvention est assortie d'un objet spécifique, comme on l'indique normalement dans un contrat, il y a un lien entre la subvention et la fourniture, et le montant de la subvention est la contrepartie de la fourniture aux fins de la Loi. Par conséquent, le lien constitue un outil précieux pour déterminer s'il y a contrepartie. […]

33 […] De la même façon, la ville a-t-elle fait valoir en l'espèce, elle a conclu avec le gouvernement de la Saskatchewan une entente aux termes de laquelle elle s'est engagée à construire des routes de jonction, bien que les subventions visant à financer la construction de ces routes fussent inconditionnelles. Il y avait, entre la ville et la province, une pratique établie ou une entente implicite selon laquelle des portions variables des subventions inconditionnelles devaient être utilisées, et ont été utilisées, pour la construction des routes de jonction, ainsi que pour d'autres fins.

[56]        Dans la décision Meadow Lake Swimming Pool Committee Inc. c. Canada, [1999] A.C.I. no 723 (QL), la Cour conclut qu’une subvention constitue une contrepartie dans le cas où une municipalité verse des fonds à un organisme à but non lucratif pour l’exploitation d’une piscine dont la municipalité est propriétaire. Le juge a conclu qu’il y avait un lien direct entre la subvention et la fourniture effectuée par l’organisme en analysant les plans des deux parties lors de la construction de la piscine.

[57]        Dans la décision Commission scolaire Des Chênes c. Canada, [2000] A.C.I. no 71 (QL), la Cour a conclu qu’une subvention est considérée comme une contrepartie si elle est directement liée au prix de la fourniture effectuée. Ce lien est d’ailleurs analysé par la Cour dans la décision Sydney Mines Firemen’s Club c. La Reine, 2011 CCI 403 :

36 Dans un arrêt antérieur, Commission scolaire Des Chênes c. La Reine, [2001] A.C.F. no 1559, 2001 CAF 264, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une subvention accordée à des fins de transport était une contrepartie, même si elle ne couvrait pas pleinement le coût des biens et services pour lesquels la subvention avait été accordée. Le juge Noël a conclu à l’existence d’un lien suffisant entre la subvention versée par le Québec et les services que la commission scolaire fournissait aux élèves. Une décision ultérieure de la Cour d’appel fédérale, Calgary (Ville) c. La Reine, 2010 CAF 127, semble restreindre l’arrêt Des Chênes aux dispositions des ententes écrites conclues entre la Province et un organisme du secteur public. Toutefois, l’article 10 n’a été examiné dans ni l’un ni l’autre de ces deux arrêts.

[58]        Ainsi, je ne peux me rallier à la prétention de l’appelante à l’effet qu’il n’y a eu aucune fourniture effectuée en considération de la subvention, que l’entente relative à la subvention n’est rien de plus qu’une entente relative à une subvention, que l’Entente sur l’accès est indépendante de la subvention et que, de cette réalité, il ne peut pas y avoir de contrepartie de la subvention.

[59]        À mon avis, l’appelante fait fausse route lorsqu’elle prétend que ces deux ententes sont complètement indépendantes. En fait, et en droit, il existe un lien direct et clair entre les deux ententes. Je dois ainsi conclure que la subvention a été versée en contrepartie d’une fourniture.

[60]        Considérant que la subvention est la contrepartie d’une fourniture, je dois procéder à la qualification de la fourniture en déterminant si c’est une fourniture taxable ou non.

[61]        Avant de procéder à l’analyse visant à déterminer si la fourniture est une fourniture exonérée au sens de la LTA, je répondrai à la sous-question soulevée par l’appelante. La subvention correspond-elle à la valeur de la fourniture? En d’autres termes, y a-t-il un écart de valeur entre les obligations des parties?

[62]        L’appelante fait valoir que si la Cour arrivait à la conclusion qu’il y a eu fourniture taxable, le dossier devrait alors être retourné à l’Agence du revenu du Canada aux fins d’établir la valeur raisonnable devant s’appliquer au coût des installations.

[63]        Le sujet de la valeur de la fourniture versus la contrepartie est une question qui relève des parties à une transaction. Dans un contexte normal où les parties sont pleinement responsables et, de manière encore plus évidente, lorsqu’elles sont accompagnées par des experts, la valeur de la fourniture ne peut être questionnée.

[64]        En l’espèce, non seulement les parties, très bien avisées, ont convenu du long et large des ententes, mais elles ont en outre indiqué spécifiquement et expressément la valeur de la fourniture qui devait faire l’objet de la contrepartie.

[65]        En conséquence, il n’y a aucune raison qui justifie l’intervention de cette cour quant à la valeur de la fourniture qui devait faire l’objet de la taxation.

Qualification de la fourniture

[66]        Pour qualifier la fourniture, il faut tout d’abord regarder les définitions suivantes du paragraphe 123(1) de la LTA :

activité commerciale Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

b) les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l’exception de quelque projet ou affaire qu’entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l’affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

c) la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d’immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu’elle accomplit dans le cadre ou à l’occasion des fournitures.

[…]

fourniture exonérée Fourniture figurant à l’annexe V.

fourniture taxable Fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

[67]        Dans le présent dossier, nous sommes en présence d’un organisme du secteur public, tel que défini par le paragraphe 123(1) de la LTA :

organisme de services publics Organisme à but non lucratif, organisme de bienfaisance, municipalité, administration scolaire, administration hospitalière, collège public ou université.

organisme du secteur public Gouvernement ou organisme de services publics.

[68]        Il faut donc se référer à la partie VI de l’annexe V de la LTA et particulièrement aux articles 2 et 25 afin de savoir quelles fournitures sont exonérées dans le cadre des organismes du secteur public.

[69]        De plus, pour qualifier la fourniture, il faut également regarder les définitions suivantes du paragraphe 123(1) de la LTA :

bien meuble Tout bien qui n’est pas immeuble.

[…]

immeuble Les immeubles comprennent :

a) au Québec, les immeubles et les baux y afférents;

b) ailleurs qu’au Québec, les terres, les fonds et les immeubles, de toute nature et désignation, ainsi que les droits y afférents, qu’ils soient fondés en droit ou en équité;

c) les maisons mobiles, les maisons flottantes ainsi que les tenures à bail ou autres droits de propriété afférents.

[70]        Le paragraphe 136(1) de la LTA qualifie, quant à lui, le droit d’utilisation d’un immeuble comme étant une fourniture d’immeuble et le même principe s’applique pour le droit d’utilisation d’un bien meuble corporel :

136(1) Pour l’application de la présente partie, la fourniture, par bail, licence ou accord semblable, de l’utilisation ou du droit d’utilisation d’un immeuble ou d’un bien meuble corporel est réputée être une fourniture d’un tel bien.

[71]        L’article 2 de la partie VI de l’annexe V de la LTA mentionne que la fourniture de biens meubles ou de services par une institution publique sont des fournitures exonérées, sauf pour les exceptions mentionnées dans cet article.

[72]        Ainsi, il faut se demander si la fourniture de l’Université est une fourniture de biens meubles, de services ou encore d’immeubles.

[73]        En l’espèce, les ententes sont claires à l’effet qu’on est en présence d’un droit d’accès à des installations, à des immeubles du PEPS. Ce droit d’utilisation d’un immeuble pourrait être considéré comme un bien meuble incorporel.

[74]        Toutefois, le paragraphe 136(1) de la LTA exprime clairement que lorsqu’il y a accord de l’utilisation ou d’un droit d’utilisation sur un immeuble, la fourniture est alors considérée comme fourniture de ce bien, soit de la fourniture d’immeuble. En l’espèce, le service est le droit d’utiliser l’immeuble à être construit. Finalement, le service en question est réputé être une fourniture taxable. La ville était tenue de payer la taxe; elle l’a payée et a même prévu cela au protocole aux articles 1 à 3 et 5.

[75]        Considérant que la fourniture en question est de la fourniture d’immeuble, il faut maintenant vérifier si cette fourniture est exonérée ou non.

[76]        À ce sujet, regardons l’article 25 de la partie VI de l’annexe V de la LTA qui concerne les fournitures exonérées et plus spécifiquement la fourniture d’immeuble par un organisme de services publics.

[77]        L’article 25 mentionne que ce type de fourniture peut être exonéré, sauf si le bien est utilisé principalement dans le cadre des activités commerciales de l’appelante.

[78]        L’intimée soumet que le taux d’utilisation de l’immeuble à des fins commerciales est de 66 % et qu’un taux d’utilisation commerciale de 69 % a été déterminé par l’appelante elle-même.

[79]        Sur cette question, M. D’Amboise, en qualité de directeur des activités sportives du PEPS, a témoigné pour l’appelante; il a confirmé que depuis septembre 2010 le pourcentage d’activités commerciales du PEPS est plus élevé que 50 %.

[80]        La prépondérance de la preuve permet de, sinon oblige à, conclure que l’immeuble est utilisé principalement dans le cadre des activités commerciales de l’appelante; conséquemment, il ne s’agit pas d’une fourniture exonérée.

[81]        Pour toutes ces raisons, l’appel est rejeté en ce que la cotisation établie à l’origine de l’appel est bien fondée, le tout avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 2016.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

RÉFÉRENCE :

2016 CCI 17

 

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-3231(GST)G

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

UNIVERSITÉ LAVAL c. LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2015

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Alain Tardif

 

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 janvier 2016

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Avocats de l'appelante :

Me Bernard Gaudreau

Me René Roy

 

Avocat de l'intimée :

Me Louis Riverin

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Pour l’appelante :

Me Bernard Gaudreau

 

Cabinet :

Norton Rose Fulbright Canada

Québec (Québec)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Protocole d'entente entre ville de Québec et Université Laval concernant le versement d'une subvention dans le cadre d'un projet d'agrandissement du Pavillon de l’éducation physique et des sports (PEPS) de l'Université Laval, 23 septembre 2010, onglet 3 du cahier des pièces de l'intimée.

[2] Entente entre ville de Québec et Université Laval, entente relative à l'accès et à l'utilisation d'infrastructures et d'équipements destinés à la pratique d'activités sportives dans le cadre du projet d'agrandissement du Pavillon de l'éducation physique et des sports de l'Université Laval, 23 septembre 2010, onglet 4 du cahier des pièces de l'intimée.

[3] Charte de la Ville de Québec, c. C-11.5, articles 121 et 169.

[4] Protocole d'entente, supra note 1, page 2.

[5] Protocole d'entente, supra note 1, article 1, page 2.

[6] Protocole d'entente, supra note 1, articles 3 et 4, pages 3 et 4.

[7] Protocole d’entente, supra note 1, article 4.3, page 4.

[8] Protocole d'entente, supra note 1, article 5, page 4.

[9] Entente sur l'accès, supra note 2, article 1, page 4.

[10] Entente sur l'accès, supra note 2, article 3.2, page 4.

[11] Entente sur l'accès, supra note 2, article 4.4, page 6.

[12] Extrait d’un procès-verbal d’une séance du conseil de la ville de Québec en date du 9 juillet 2010, cahier de documents de l’appelante, onglet 10, annexe E, page 2.

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