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Dossier : 2013-1207(GST)G

ENTRE :

SNF S.E.C.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 12, 13, 14 et 15 mai 2015, et les 28, 29

et 30 septembre 2015, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Louis Tassé

Me Rachel Robert

Avocats de l’intimée :

Me Catherine-A. Boisvert

Me Louis Riverin

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 7 juin 2011 et ne porte aucun numéro, à l’égard de la période allant du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2010, est accueilli avec dépens, et l’appelante a droit aux crédits de taxe sur les intrants qu’elle a demandés, moins les montants relatifs aux achats effectués auprès de Mme Bergeron et celui fait le 17 septembre 2010 auprès de M. Dubé Vanier. Le montant de la pénalité établie en vertu de l’article 285 de la Loi sur la taxe d’accise sera annulé, sauf pour ce qui est de la portion attribuable aux crédits de taxe sur les intrants demandés à l’égard des fournitures acquises auprès de Mme Bergeron. Les intérêts seront réduits en conséquence.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 2016.

 

« Gerald J. Rip »

Juge Rip


 

 

 

 

Référence : 2016 CCI 12

Date : 20160201

Dossier : 2013-1207(GST)G

ENTRE :

SNF S.E.C.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip

Introduction

[1]             La question en litige dans le présent appel est de savoir si, ou dans quelle mesure, un acheteur de produits qui paye la taxe sur les produits et services (la « TPS ») requise au titre de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA » ou la « Loi ») à une personne qui est inscrite en tant que fournisseur, mais qui n’est peut‑être pas un fournisseur, a droit à des crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») si, entre autres choses, le soi‑disant fournisseur ne verse pas la TPS au receveur général. Subsidiairement, si, en pareilles circonstances, l’acheteur n’a pas droit à des CTI, a‑t‑il droit à un remboursement de la taxe payée par erreur (article 261 et paragraphe 296(2.1) de la LTA)?

[2]             En bref, l’appelante, SNF S.E.C. (« SNF »), exploite une entreprise de recyclage de métaux achetés auprès de divers vendeurs de métaux, lesquels ont tous demandé et obtenu un numéro d’inscription aux fins de la TPS et de la taxe de vente du Québec (la « TVQ »). L’appelante a payé 12 vendeurs identifiés pour du métal qu’elle a acheté, y compris la TPS et la TVQ. Cependant, apparemment à l’insu de l’appelante, au cours de la période allant du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2010, ces vendeurs n’ont pas versé au gouvernement la TPS perçue sur les ventes de métaux. Revenu Québec a refusé d’accorder les CTI de 507 329,42 $ demandés par l’appelante à l’égard de ces ventes et a aussi établi une pénalité de 126 832,37 $ en vertu de l’article 285 de la LTA ainsi que des intérêts sur arriéré et des intérêts sur remboursement de 33 529,11 $, pour un total de 668 090,76 $.

[3]             La Couronne fait notamment valoir qu’au cours de la période visée par l’appel, les vendeurs-fournisseurs en question ne disposaient pas des ressources nécessaires pour effectuer les fournitures dont il s'agit, que les noms des fournisseurs sur les factures pour les fournitures effectuées n’étaient pas les noms des vrais fournisseurs et qu’il s’agissait de prête‑noms[1] pour les fournisseurs véritables. Lors de l’instruction, la Couronne a concédé que les factures n’étaient pas des « factures de complaisance » et n’a pas mis en doute le fait que SNF avait effectivement acheté les fournitures décrites sur les factures et payé le prix figurant sur chacune d’elles.

[4]             Chacun des 12 fournisseurs était inscrit et détenait un numéro d’inscription aux fins de la TPS au moment de la fourniture. Chacun des fournisseurs était payé en argent comptant. Selon M. Herbert Black, principal de SNF, c’était la « norme » dans l’industrie et c’était généralement la façon dont les fournisseurs choisissaient d’être payés.

LES FAITS

[5]             SNF recycle le métal (ferreux et non ferreux) dans les domaines industriel, commercial et résidentiel et le vend au Canada et ailleurs. Le principal établissement de l’appelante est situé à Laval, au Québec. SNF a été acquise par la Compagnie américaine de fer et métaux inc. (« American Iron and Metal Company Inc. », ci‑après appelée « AIM ») en 2008 et, au moment de l’instruction, elle était contrôlée par cette dernière. AIM a été décrite par son président, Herbert Black, comme la plus importante entreprise de recyclage de ferraille au Canada, ou la deuxième en importance : AIM exploite 70 parcs à ferrailles en Amérique du Nord, compte plus de 18 000 fournisseurs et, en 2010, ses ventes se sont élevées à 1,8 milliard de dollars, et ses achats, à 700 000 000 $. Les ventes de l’appelante en 2010 se sont élevées à 62 000 000 $. M. Black a fait l’historique d’AIM et de la façon dont il a fait de SNF une entreprise rentable. Il a déclaré qu’il ne s’occupait pas personnellement de l’exploitation quotidienne de SNF.

[6]             SNF obtient de la ferraille de quatre sources : (1) la production industrielle ou la fabrication de produits; (2) les vieilles automobiles et les produits connexes; (3) la démolition de bâtiments; et (4) le « bric‑à‑brac », comme les objets provenant de personnes qui font le ménage dans leur garage et se débarrassent du métal qu’elles ont.

[7]             Lorsqu’une personne, c’est‑à‑dire un fournisseur, apporte de la ferraille à l’usine, SNF prépare une facture (destinée à elle‑même), paye la personne pour la ferraille et lui verse la TPS et la TVQ. SNF prépare elle‑même ses factures parce que la plupart des fournisseurs n’en présentent pas. M. Black a déclaré que SNF se fie à ces factures qu’elle établit pour le poids exact du matériel et le prix que SNF paiera. Avant de payer un fournisseur, SNF vérifie s’il a des numéros de TPS et de TVQ valides.

[8]             M. Black a mis en doute l’opinion de l’intimée selon laquelle il est nécessaire d’avoir des ressources comme un parc à ferrailles, des camions et des employés pour exploiter une entreprise de ferraille et effectuer des fournitures. Il s’est aussi plaint du fait que Revenu Québec insistait pour que SNF se renseigne davantage au sujet de ses fournisseurs.

[9]             Dans son interrogatoire principal et son contre‑interrogatoire, qui ont duré presque toute une journée, M. Black a parlé de ses antécédents dans le domaine du commerce de la ferraille. Il a expliqué qu’un commerçant en ferraille ne doit pas nécessairement avoir un parc à ferrailles pour exploiter son entreprise. Certaines personnes [traduction] « travaillent à partir d’un bureau et achètent et vendent du matériel partout dans le monde » sans avoir de parc à ferrailles. Il s’est souvenu d’une personne qui travaillait à partir du hall d'entrée de l’ancien hôtel Mount‑Royal et qui achetait et vendait de la ferraille en utilisant un téléphone public. M. Black a ajouté qu’un commerçant peut utiliser les camions de SNF pour ramasser et livrer de la ferraille à vendre. Il détenait lui‑même des intérêts dans une société, Cardinal Métal, qui n’a pas de parc à ferrailles, mais exploite une telle entreprise; la société achète de la ferraille à divers parcs à ferrailles et la vend à AIM. Comme M. Black l’a expliqué : [traduction] « Parfois, vous appelez quelqu’un qui a un parc à ferrailles, mais qui n’a pas de camions. Parfois la personne a des camions, mais pas de parc à ferrailles. Il y en a parfois qui n’ont ni camions ni parc à ferrailles. »

[10]        M. Black s’est plaint du fait qu’AIM et ses sociétés affiliées ne disposaient [traduction] « pas de ressources [pour déterminer la légitimité d’un fournisseur] sans la collaboration du ministère du Revenu pour savoir si [une …] société payait dûment ses taxes ou faisait ce qu’elle était censée faire […] ». AIM et ses sociétés affiliées disposent d’un système pour s’assurer que les fournisseurs avec lesquels elles font affaire sont légitimes. Sur plus d’un millier de fournisseurs, les autorités fiscales ne mettent en doute que les transactions conclues avec 12 d’entre eux. Il a déclaré qu’il avait signalé à Revenu Québec qu’une personne qui avait fait faillite avec une entreprise avait lancé une nouvelle entreprise qui vendait elle aussi de la ferraille. Il a dit qu’il avait aussi signalé des personnes qui changeaient constamment de nom de société. Il a insisté sur le fait qu’il avait même suggéré de payer directement à Revenu Québec la TPS et la TVQ sur les achats, mais son offre n’a pas été prise en compte. Il a aussi fait remarquer que, s’il sait qu’un prête‑nom exerce des activités dans le domaine, il ne lui achète pas de ferraille.

[11]        M. Black a témoigné que SNF reste aussi à l’affût pour s’assurer de ne pas acheter du matériel volé. Si, par exemple, des lingots tout neufs sont offerts, SNF conclut qu’ils ont été volés et ne les achète pas.

[12]        L’avocate de l’intimée a interrogé M. Black au sujet d’une action qu’AIM avait intentée devant la Cour supérieure du Québec contre plusieurs anciens employés de SNF, ainsi que contre des sociétés dans lesquelles ils détenaient peut‑être des intérêts, pour fraude commise à ses installations à Lévis, à Québec, et à d’autres endroits. Les transactions frauduleuses avaient apparemment eu lieu avant qu’AIM ne fasse l’acquisition de SNF.

[13]        Daniel Picard, ancien directeur général à Lévis, était l’un des défendeurs. Les défendeurs avaient été poursuivis par AIM pour, entre autres, fraude et vol, notamment fraude fiscale et fausses livraisons de métal en 2003, commis au moyen de sociétés agissant à titre de prête-noms. Quatre défendeurs, dont Daniel Picard et son fils Steve, avaient été accusés d’établir de fausses factures d’achat à l'intention de plusieurs sociétés agissant comme prête‑noms pour du métal livré ou [traduction] « censément livré » par une société, Nittolo Métal (2000) Inc., la somme totale payée était [traduction] « au moins 10 624 608,59 $ », dont 499 964,28 $ au titre de la TPS et 745 946,46 $ au titre de la TVQ, lesquelles taxes n’ont pas été versées aux autorités fiscales appropriées. Dans les actes de procédure, AIM a nommé cinq sociétés ayant participé aux ventes ainsi que les personnes pour le compte desquelles chacun des prête‑noms agissait.

[14]        L’un des soi-disant fournisseurs agissant comme prête‑nom à Lévis était « Impériale », laquelle utilisait les numéros de TPS et de TVQ de la Compagnie Pétrolière Impériale Ltée et utilisait une case postale comme adresse postale.

[15]        M. Black a nié vigoureusement que le stratagème employé à Lévis pouvait être comparé aux faits en l’espèce et que, par conséquent, SNF aurait dû être au courant de ce qui se passait. Il a mis en doute l’allégation de la Couronne selon laquelle, en raison de ce qui s’était passé à Lévis, où un stratagème de fausses factures avait été employé auparavant, SNF aurait dû être plus vigilante à l’égard des 12 fournisseurs. Il a dit qu’à Lévis de faux numéros de TPS et de TVQ avaient été utilisés. Dans la présente affaire, des numéros de TPS et de TVQ avaient été donnés aux soi-disant fournisseurs et une vérification auprès du gouvernement aurait permis de confirmer que chacun des fournisseurs avait des numéros de taxe valides. De plus, en l’espèce, il n’y avait pas de collusion de la part des employés de SNF. En outre, ni SNF ni personne à SNF ne pouvait tirer profit, ni n’a en fait tiré profit, des actions des 12 fournisseurs.

[16]        M. Black s’est souvenu que, lorsqu’il a découvert ce qui se passait à Lévis, les [traduction] « 15 personnes [. . .] ont [tous] été renvoyées le jour même » et le gouvernement avait été informé. Apparemment, ce que M. Black a qualifié [traduction] d’« escroquerie » avait commencé avant qu’AIM achète SNF. Il a expliqué que M. Picard avait été renvoyé précédemment par SNF, avant qu’AIM fasse l’acquisition de SNF et que, lorsqu’AIM avait embauché M. Picard par la suite, il n’avait aucune idée des antécédents de M. Picard. Plus tard, AIM avait embauché Sylvain Ouellette, qui, selon M. Black, avait recours à un stratagème avec M. Picard. M. Black a estimé qu’en tout on lui avait [traduction] « volé » 27,5 millions de dollars [traduction] « sur une période de six ou sept ans », non seulement au moyen de fausses factures, mais aussi par l’utilisation de bons d’essence et, comme il est mentionné dans les actes de procédure d’AIM, par la présentation de fausses demandes de remboursement de dépenses, par le vol d’argent et par la facturation de rénovations personnelles, ainsi que d’une multitude de dépenses personnelles. SNF avait aussi appelé la police pour qu’elle enquête sur ce qui s’était passé.

[17]        J’infère que les éléments de preuve relatifs à cette activité ont été présentés pour démontrer que SNF avait déjà été complice de stratagèmes frauduleux et que l’achat de fournitures auprès des 12 fournisseurs n’avait rien de nouveau. Je conviens avec M. Black que les faits de l’espèce ne ressemblent pas à ce qui s'est produit à Lévis.

LA PREUVE DE L’APPELANTE

[18]        Les 12 fournisseurs, désignés comme les [traduction] « fournisseurs visés » dans l'acte de procédure de l’appelante, et les CTIs demandés et refusés sont les suivants :

Nom du fournisseur

CTI demandés et refusés

a)   9165‑4384 Québec Inc. (Robert Mc Duff)

            125 191,96 $

b)   9222‑1043 Québec Inc. (Patrick Parent)

            17 761,52 $

c)   Alain Deroy, Recyclage de métaux

            16 289,46 $

d)   Alexandre B. Riel, Recyclage de L’Épiphanie

            35 875,62 $

e)   Jérémie Sergerie, Recyclage de L’Épiphanie

            32 929,77 $

f)   Éric Dubé Vanier

            112 655,42 $

g)   Benoît Scott, Métallique Ben

            22 374,77 $

h)   Noël Nicolas

            30 558,39 $

i)    Patrick Scott, enr.

            9 914,57 $

j)    Pierre Daraiche

            53 122,58 $

k)   Réjean Trudeau

            27 723,06 $

l)    Valérie Bergeron

            13 545,67 $

[19]        Éric Roussel est gérant de la division Logistique/Transport à AIM. Il s’occupe de tout ce qui est relié au transport pour les conteneurs, des balances, des grosses balances à camion et le pressage automobiles. Il travaille pour SNF depuis 2004 et a occupé plusieurs postes avant celui de gérant, Transport/Logistique.

[20]        M. Roussel a déclaré que SNF achète tous les types de métal, qu’il s’agisse de métal ferreux, non ferreux, magnétique ou non magnétique, pour les recycler. Le laiton et le cuivre, par exemple, sont des métaux non ferreux. Selon M. Roussel, les métaux non ferreux ont une plus grande valeur que les métaux ferreux. Selon ses dires, la valeur du métal dépend de sa qualité, qui dépend notamment du type d’alliages dans le métal. Par exemple, sur les factures préparées par SNF, on voit parfois les mentions cuivre numéro 1 et cuivre numéro 2. Le cuivre numéro 1 est du cuivre exempt d’impuretés, tandis que le cuivre numéro 2 peut être contaminé (p. ex., par de la peinture ou d’autres impuretés) et est d’une qualité inférieure. La valeur des métaux fluctue aussi en fonction du marché.

[21]        M. Éric Roussel a témoigné que la majeure partie du métal fourni à SNF par les 12 fournisseurs était du métal non ferreux. Il a affirmé que SNF achète environ 45 000 tonnes de métaux non ferreux, surtout du cuivre, dans une année comparativement à 550 tonnes de métal ferreux. Il a estimé qu’il y a au moins 200 livraisons à SNF chaque jour.

[22]        M. Roussel a divisé les fournisseurs de SNF en quatre groupes : les colporteurs, les colporteurs‑commerçants, les commerçants et les comptes industriels. Chaque type de fournisseur reçoit un traitement différent. Les colporteurs sont des gens ordinaires qui apportent à SNF du matériel qu’ils ont recueilli peut‑être en faisant le ménage dans leur garage ou en ramassant des déchets sur le bord de la rue. On leur demande de fournir une pièce d’identité avec photo, habituellement un permis de conduire, leur adresse et leur numéro d’assurance sociale. Un colporteur n’exploite pas une entreprise de ferraille et n’est pas inscrit aux fins de la TPS. Un registre des personnes autorisées est cependant tenu pour les colporteurs.

[23]        Les colporteurs‑commerçants connaissent mieux les métaux et apportent de plus grandes quantités de métal à SNF. Ils ont peut‑être des relations dans le domaine et ils obtiennent de la ferraille provenant de bâtiments qu'on démolit, par exemple. Ils sont inscrits aux fins de la TPS.

[24]        Les commerçants ont généralement leur propre parc à ferrailles, un endroit où ils achètent et entreposent la ferraille et où ils ont des conteneurs et des camions. Ils peuvent effectuer des livraisons à SNF avec leurs propres camions porte-conteneurs ou SNF peut ramasser la ferraille chez le commerçant et l’apporter dans ses installations. Des 12 fournisseurs, seulement deux, Alexandre B. Riel et Jérémie Sergerie, sont des commerçants. Les autres sont des colporteurs‑commerçants, selon M. Roussel.

[25]        Un fournisseur industriel peut être une compagnie de chemin de fer, par exemple, ou une autre entreprise dans une industrie qui utilise divers produits en métal et vend tout excédent à SNF.

[26]        Les camions porte-conteneurs qui apportent du matériel au parc à ferrailles de SNF peuvent appartenir à SNF ou aux fournisseurs ou bien avoir été empruntés ou loués par les fournisseurs à des tiers. S’il s’agit d’un conteneur de SNF, l’utilisation du conteneur est facturée au fournisseur. En pareil cas, le fournisseur téléphone à SNF et prend des dispositions pour que SNF vienne chercher le matériel pour l’apporter à son parc à ferrailles.

[27]        Un fournisseur ouvrait un compte auprès de SNF avant de pouvoir lui vendre du matériel. À l’ouverture du compte, M. Jean Masson, acheteur pour SNF, rencontrait généralement le fournisseur potentiel et obtenait les numéros d’inscription aux fins de la TPS et de la TVQ du fournisseur, d’habitude en recevant une copie portant un cachet de réception par Revenu Québec d’une demande d’inscription aux fins de la TPS et de la TVQ, sur laquelle figuraient un numéro d’inscription, une adresse et « le plus de détails possible pour faire l’ouverture de compte ». Il envoyait alors la demande de nouveau compte au siège social, c’est‑à‑dire le siège social d’AIM, pour approbation.

[28]        Le fournisseur téléphonait généralement à M. Masson pour négocier un prix, lequel était fonction de la qualité du métal, du type de métal (ferreux ou non ferreux) et, bien entendu, du prix du marché à ce moment‑là. La quantité de métal était peut-être aussi prise en compte pour établir le prix proposé. M. Masson a estimé qu’en 2009‑2010 il recevait 40 appels par jour de 100 à 120 fournisseurs, surtout des colporteurs‑commerçants et des commerçants, qui vendaient annuellement pour environ 30 millions de dollars de ferraille. Il s’occupait du traitement des comptes des fournisseurs. Lorsqu’un prix avait été négocié, il valait pour un nombre d’heures limité. M. Masson entrait les détails de la transaction proposée dans le système électronique de l’appelante.

[29]        Le processus suivi par AIM pour l’achat de métal auprès des fournisseurs, y compris les étapes de la pesée du métal, de la remise du billet de pesée, de l’établissement de la facture et du paiement en argent comptant par AIM, était semblable au processus suivi par SNF en l’espèce.

[30]        M. Masson n’est pas présent lors de la livraison du matériel et il ne participe pas non plus à la préparation de la facture. Ses responsabilités prennent fin lorsqu’il raccroche le téléphone après avoir négocié le prix de la livraison. Le siège social n’exige pas de spécimen de signature à l’ouverture d’un compte, et M. Masson n’est pas tenu d’obtenir du fournisseur une liste des personnes qui effectueront les livraisons pour son compte ou des personnes qui sont autorisées à recevoir le paiement en argent comptant pour le fournisseur.

[31]        SNF a au moins deux balances pour peser la ferraille qu’on lui vend. Nancy Bouliane s’occupe de la balance principale, ou de la grosse balance, de SNF. Elle supervise la pesée des camions à leur arrivée. Lorsqu’un camion arrive à la balance, le conducteur l'informe de l’identité du fournisseur. Si le fournisseur est déjà un client de SNF et qu’il est inscrit, on ne demande pas que soit donnée son identité. Le travail de Mme Bouliane consiste principalement à préparer un billet de pesée pour les fournisseurs. Elle ne peut pas toujours confirmer à la livraison de la ferraille qu’il s’agit de la même ferraille que celle relativement à laquelle le fournisseur a négocié avec M. Masson. En cas de doute, elle communique avec M. Masson.

[32]        Un billet de pesée comporte le numéro de contrat, la date de la transaction, et le nom du fournisseur; il peut indiquer le numéro de la plaque d’immatriculation du camion, le matériel livré, le poids brut du matériel et du camion, ainsi que le poids du camion sans le matériel, et indiquer également s’il s’agit d’un camion d’AIM ou d’un véhicule du fournisseur. Un rajustement est effectué pour tenir compte de la présence dans le camion notamment de terre, de neige, de glace ou d’eau. Mme Bouliane a affirmé qu’elle vérifie les numéros de taxe pour chacune des factures. Elle établit la facture pour SNF, mais elle ne vérifie pas la signature ni l’identité de la personne agissant pour le compte du fournisseur. Lorsque le fournisseur est un colporteur ou un nouveau client, elle lui demande des pièces d’identité.

[33]        Mme Bouliane a déclaré qu’elle connaissait 10 des 12 fournisseurs, qu’ils avaient effectué les livraisons contestées eux‑mêmes et que c’étaient eux qui avaient reçu le paiement. Cela ne concorde pas avec le témoignage de M. Masson selon lequel certains fournisseurs faisaient faire leurs livraisons par d’autres personnes. Elle ne connaissait pas Patrick Scott et Réjean Trudeau.

[34]        Michel Belisle est préposé à la balance pour les métaux non ferreux. Il ne s’occupe pas de la facturation, des paiements ou des négociations. M. Belisle a déclaré que le conducteur ou le fournisseur lui remettait un billet de pesée préparé par Mme Bouliane. M. Belisle pèse la ferraille sur sa balance et le camion est pesé sur la grosse balance. S’il y a une différence entre les deux balances, le matériel est pesé de nouveau. En cas de désaccord quant à la qualité, on s’attend à ce que M. Belisle prenne une décision. Si tout est en ordre, M. Belisle entre les renseignements dans l’ordinateur et produit un bordereau d’achat du matériel nommant le client, c’est‑à‑dire le fournisseur, lequel billet indique l’adresse du fournisseur, la date de la transaction, le montant du paiement, le numéro de TPS, le numéro de TVQ, le numéro du contrat, le véhicule, la marchandise, le poids, le prix unitaire et le prix total, et précise si le fournisseur est payé par chèque ou en argent comptant au moyen d’un guichet automatique. Le bordereau d’achat du matériel constitue la facture.

[35]        Les renseignements figurant sur les billets de pesée peuvent varier d’un billet à l’autre. Par exemple, un billet de pesée pour Jérémie Sergerie comporte le numéro d’immatriculation du camion et précise si le matériel a été livré dans le camion du fournisseur ou dans un camion d’AIM. Ces renseignements ne figurent pas sur un billet de pesée pour Éric Dubé Vanier. Le premier billet de pesée comporte deux pages et donne le poids brut (camion plein) sur la page 1 et le poids brut ainsi que le poids du camion vide sur la page 2 afin de déterminer le poids net. Le rajustement effectué pour tenir compte des impuretés ou des contaminants figure sur la page 2. Sur le billet de pesée pour M. Dubé Vanier, il est écrit « Rouge » à l’endroit où devrait figurer le numéro d’immatriculation ou le nom du conducteur du camion, et les renseignements concernant les métaux et leur poids ainsi que les contaminants tiennent sur une seule page. Sur plusieurs autres factures, le conducteur est désigné par un surnom, Megadeth, parce que quelqu’un chez SNF trouvait que le conducteur lui rappelait un membre du groupe de heavy métal connu sous le nom de « Megadeth ». Mme Bouliane a dit qu’il s’agissait d’Alain Deroy, bien que, selon M. Roussel, on n’ait jamais demandé à M. Deroy de donner son identité parce qu’il effectuait des livraisons pour plusieurs fournisseurs, dont Pierre Daraiche.

[36]        On a interrogé M. Masson sur ce qu'il savait de chacun des 12 fournisseurs lorsqu’ils étaient devenus des clients de SNF. Il a reconnu qu’il avait rencontré Robert Mc Duff, Patrick Parent, Éric Dubé Vanier, Benoît Scott, Noël Nicolas, Pierre Daraiche et Valérie Bergeron. Il savait qui était Alexandre Riel et connaissait apparemment Jérémie Sergerie.

[37]        M. Masson ne se souvenait pas d’avoir rencontré Alain Deroy, Patrick Scott et Réjean Trudeau.

[38]        Selon M. Masson, Robert Mc Duff livrait lui‑même les métaux à SNF. M. Masson a dit que M. Parent livrait également lui‑même le matériel ou faisait faire la livraison par un dénommé Sylvain. M. Masson a dit que Sylvain effectuait aussi des livraisons de matériel à SNF pour le compte de M. Dubé Vanier. M. Dubé Dubé livrait aussi lui-même du matériel. Quoique M. Masson ne connaisse pas Alain Deroy, ce dernier a reçu des paiements en argent comptant totalisant 375 000 $ de SNF au cours d’une période de cinq mois.

[39]        M. Masson s’est souvenu qu’Alexandre Riel travaillait avec le même Luc Pimparé qui avait des liens avec M. Sergerie. C’était M. Pimparé qui avait envoyé pour M. Riel les documents requis par SNF. L’adresse d’affaires de Recyclage de L’Épiphanie était la même adresse que celle de M. Pimparé et de Jérémie Sergerie; ils utilisaient censément le même parc à ferrailles.

[40]        Benoît Scott et Pierre Daraiche livraient le matériel eux‑mêmes, tout comme Noël Nicolas, bien que M. Nicolas fît fréquemment livrer son matériel par une autre personne.

[41]        Valérie Bergeron a été présentée à M. Masson par Robert Mc Duff. À l’ouverture de son compte, Robert Mc Duff a informé M. Masson que ce serait lui qui appellerait M. Masson pour négocier les ventes et que ce serait lui qui livrerait la ferraille pour Mme Bergeron. Je souligne que Mme Bergeron a commencé à faire affaire avec SNF au moment où les numéros d’inscription aux fins de la TPS et de la TVQ de M. Mc Duff ont cessé d’être valides.

[42]        À l’instruction, diverses factures établies au nom du même fournisseur comportaient des signatures apparemment différentes ou illisibles. Catherine Legault s’occupe aussi des balances avec Mme Bouliane; elle n’a pas témoigné. Toutefois, Mme Bouliane a témoigné que Mme Legault avait établi pour un fournisseur plusieurs factures qui portaient des signatures différentes et qu’aucune d’elles ne correspondait à celle du fournisseur. Plus particulièrement, l’avocate de l’intimée a attiré l’attention de Mme Bouliane sur deux factures établies au nom d’Éric Dubé Vanier, chacune ayant une signature différente censément apposée par M. Dubé Vanier. De même, les prétendues signatures de M. Pierre Daraiche sur trois factures étaient différentes; aucune signature n’a été vérifiée. Il semble que SNF cherchait surtout à s’assurer que le numéro d’inscription aux fins de la TPS était celui du soi‑disant fournisseur.

LA PREUVE DE LA COURONNE

[43]        Les vérificateurs de Revenu Québec, soit Daniel Fugère, Sylvie Jasmin, Caroline Tanguay, Jean‑Yves Barrette, Sylvie Larocque, Vivianne Abd‑el Malek, Caroline Marcil, Martin Delisle et Sophie Claveau, qui se sont occupés des dossiers des 12 fournisseurs ont examiné les renseignements accessibles au public ainsi que les renseignements figurant dans les dossiers de Revenu Québec qui sont de nature confidentielle, y compris, je suppose, les déclarations de revenus des 12 fournisseurs. Les paragraphes qui suivent constituent un résumé des éléments de preuve présentés par ces vérificateurs de Revenu Québec au sujet de chacun des 12 fournisseurs, éléments dont certains ont précédemment été mentionnés dans les présents motifs :

i)       9165‑4384 Québec Inc. (« 4384 ») (12 factures en preuve)

La société 4384 a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 1er juillet 2006, et l’inscription a été annulée le 19 avril 2011. SNF a créé un compte pour 4384 le 10 mars 2009, et 4384 a vendu du matériel à SNF du 26 mars 2009 au 18 août 2010.

M. Mc Duff semble être l’unique actionnaire de la société.

Au cours de la période de 19 mois en cause, 4384 a effectué des fournitures à SNF pour la somme de 2 503 839,20 $. SNF a payé la TPS sur ces fournitures. Toutes les fournitures étaient payées en argent comptant. Certains jours, 4384 effectuait plus d’une livraison. La société 4384 possédait quelques camions commerciaux (le nombre n’a pas été produit en preuve).

Selon M. Fugère et Mme Jasmin, qui ont procédé à une vérification de M. Mc Duff et de 4384, M. Mc Duff n’a pas produit de déclaration de revenus personnelle auprès de Revenu Québec pour les années 2006 à 2009 et 4384 n’a produit aucune déclaration de revenus ou de TPS/TVQ. Ils ajoutent que M. Mc Duff a fait faillite à deux occasions avant 2006. Il n’y a pas de preuve de libération.

Au total, 12 factures ont été produites à l’instruction. Sur les billets de pesée, les conducteurs sont appelés « Ben », « Mc Duff », « Bleu », « Delvan » et « Lavigne ». Les numéros de taxe ne sont pas inscrits sur deux des factures produites, mais sont inscrits sur toutes les autres factures. Les signatures figurant sur les factures varient. Il s'agit notamment de « Mc Duff », « René Paré », « Dalpé » et « Marie‑Michelle Ouellette ».

La société 4384 n’a pas déclaré au Registraire des entreprises du Québec qu’elle avait des employés.

ii)      9222‑1043 Québec Inc. (« 1043 ») (5 factures)

La société 1043 a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 21 avril 2010, et l’inscription a été annulée le 21 décembre 2010. SNF a créé un compte pour 1043 le 1er septembre 2010 et a acheté du matériel à 1043 au cours du mois de septembre 2010.

Sur réception de la demande d’inscription aux fins de la TPS/TVQ de 1043, un fonctionnaire de Revenu Québec a apparemment écrit sur la demande « enregistrement à risque ».

Patrick Parent est l’actionnaire de 1043. La société faisait affaire sous le nom de Recyclage Inter‑Rives, ainsi que sous son propre nom.

Pour une période d’un mois au cours de la période en cause, 1043 a vendu à SNF du matériel pour un total de 335 230,40 $; tous les paiements ont été effectués en argent comptant. Les livraisons à SNF étaient effectuées par un dénommé « Sylvain ».

La société 1043 ne possédait pas de véhicule immatriculé auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (la « SAAQ ») et n’était pas titulaire d’un permis de recyclage commercial. La société 1043 n’a pas déclaré au Registraire des entreprises qu’elle avait des employés. L’adresse de 1043 était celle d’une maison unifamiliale, dont le propriétaire est inconnu.

Mme Tanguay a affirmé qu’elle n’avait pas pu trouver l’adresse de 1043 figurant sur les factures de SNF.

Aucune déclaration de revenus du Québec ni déclaration de TPS/TVQ n’a été produite par 1043 pour l’une quelconque des périodes en cause. M. Parent n’a pas non plus produit de déclarations de revenus depuis 2006; ses sources de revenus pour les années 2006 et 2007 étaient des prestations d’assurance‑emploi et d’aide sociale.

Sur un billet de pesée de SNF, il est indiqué que 1043 a livré du métal au moyen d’un camion « Beige ». Les signatures sur les factures sont illisibles selon la vérificatrice.

Il ressort de la preuve de l’intimée que 1043 était un prête‑nom agissant pour le compte de « Sylvain ». Il n’y a aucune preuve contraire.

iii)     Alain Deroy (8 factures)

M. Deroy a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 1er janvier 2008; il a fait faillite le 22 mars 2001. SNF a créé un compte pour M. Deroy le 29 janvier 2010 et acheté du matériel à celui‑ci en avril et en juin 2010.

M. Deroy a vendu du matériel à SNF pour la somme de 325 798,20 $ dans une période de cinq mois; tout a été payé en argent comptant. Les livraisons étaient effectuées par « Megadeth ».

M. Deroy et M. Parent ont tous les deux envoyé par télécopieur leur demande d’inscription aux fins de la TPS/TVQ à partir du même dépanneur.

Le numéro de téléphone de M. Deroy était celui de son père. C’est ce numéro qu’il a inscrit sur sa demande d’inscription aux fins de la TPS et qu’il a donné à SNF. Selon M. Barrette et Mme  Jasmin, son lieu d’affaires déclaré était un immeuble résidentiel appartenant à son père à St‑Amable.

M. Deroy possédait trois véhicules de promenade et un camion qui étaient immatriculés auprès de la SAAQ. Il n’a pas déclaré qu’il avait des employés au Registraire des entreprises.

Selon ses déclarations de revenus du Québec pour les années 2006 et 2007, M. Deroy a déclaré un revenu de  « plus ou moins » 6 000 $. Il n’a pas produit de déclarations de revenus pour les années 2008 et 2009, et il n'a pas produit de déclaration de TPS.

Selon au moins deux billets de pesée, M. Deroy, ou « Megadeth », livrait du matériel à SNF dans un « Ram Blanc ». Le numéro de TPS, le nom de M. Deroy et la signature censée être la sienne figuraient sur toutes les factures.

La preuve de Mme Jasmin selon laquelle M. Deroy agissait à titre de prête‑nom  pour Megadeth n’a pas été contredite.

iv)     Alexandre B. Riel (13 factures)

M. Riel a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 15 avril 2010, et Revenu Québec a perdu son dossier. SNF a créé un compte pour lui le 29 avril 2010 et a acheté du matériel à M. Riel du 6 mai au 17 septembre 2010.

M. Riel prétendait faire affaire sous le nom de « Recyclage de L’Épiphanie ». Dans sa demande d’inscription aux fins de la TPS/TVQ, il a inscrit deux adresses, une à Yamachiche et une à L’Épiphanie, cette dernière étant l’adresse utilisée sur les factures de SNF.

Dans une période de cinq mois, M. Riel a fourni à SNF 717 512,40 $ de matériel; tous les paiements ont été effectués en argent comptant. Toutes les factures comportaient le numéro de TPS.

M. Riel a utilisé, à de nombreuses occasions, un camion de SNF pour livrer les fournitures. Aussi, sur différents billets de pesée, on peut retrouver les inscriptions « Pimparé », « Blanc » et « Laforce » là où doit être indiqué le chauffeur. Les factures portaient comme signature notamment « ABR » et « Johanne Vallières », la conjointe de M. Pimparé selon Mme Jasmin.

L’adresse de M. Riel correspondait à celle d’un certain Luc Pimparé, soir la « cour de recyclage » à L’Épiphanie. Selon Mme Jasmin et M. Masson, M. Pimparé était un fournisseur de SNF avant la période pendant laquelle M. Riel faisait affaire avec SNF et l’adresse de M. Pimparé est la même que celle de M. Riel. Mme Jasmin a conclu que M. Riel est un prête‑nom de M. Pimparé, et il n’y a pas de preuve contraire.

v)      Jérémie Sergerie (6 factures)

M. Sergerie a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 18 mars 2009, et son inscription a été annulée le 18 avril 2011 ou le 13 mai 2011; la date n’est pas certaine. SNF a créé un compte pour M. Sergerie le 27 mars 2009 et a acheté du matériel auprès de ce dernier de la mi‑mars 2009 au 7 mai 2010.

L’adresse d’affaires de M. Sergerie est la même que celle de M. Riel, c'est-à-dire la même « cour de recyclage » à L’Épiphanie que M. Pimparé. Tout comme M. Riel, M. Sergerie a aussi inscrit une adresse à Yamachiche ainsi qu’à L’Épiphanie dans sa demande d’inscription aux fins de la TPS/TVQ, mais a utilisé l’adresse à L’Épiphanie sur les factures de SNF.

Le montant total des fournitures vendues à SNF pendant une période de 15 mois est de 658 595,40 $, toutes étant payées en argent comptant. Toutes les factures comportaient le numéro de TPS.

M. Sergerie n’a pas déclaré d’employés au Registraire des entreprises.

Les revenus déclarés par M. Sergerie en 2007 et 2008 étaient de l’aide sociale. Il n’y a eu aucune production de déclarations de revenus ou de TPS/TVQ en 2006 et en 2009.

Un des billets de pesée de M. Sergerie indique qu’il a utilisé un camion de SNF pour livrer les fournitures; un autre indique qu’il a utilisé un camion « Beige ». Les signatures sur les factures sont soit illisibles, soit celles d'autres personnes, comme « Johanne Vallières » ou « Gilles Parent ».

vi)     Benoît Scott (6 factures)

M. Scott a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 11 novembre 2009, et son inscription a été annulée le 7 avril 2011. SNF a créé un compte pour M. Scott le 12 novembre 2009 et a acheté du matériel auprès de ce dernier de la mi‑janvier au 27 septembre 2010.

M. Scott a fait des fournitures sous le nom de Métallique Ben pour un montant de 447 495,40 $ pendant une période de neuf mois. Les fournitures étaient payées en argent comptant.

L'établissement de M. Scott était un appartement dans un immeuble résidentiel.

Il s’est inscrit pour la TPS/TVQ après la révocation des numéros de taxe de Patrick Scott, mais il n’y a aucune preuve qu’ils agissaient ensemble.

M. Scott possède un véhicule de promenade et un camion Ford F‑150 acquis de Noël Nicolas. Il appelait SNF et venait livrer les métaux lui‑même.

Il n’a pas déclaré d’employés, s’il y en avait.

M. Scott avait de faibles revenus de 2006 à 2009, dont des revenus d’aide sociale en 2008 et en 2009. M. Scott a fait faillite en 2007.

Les différentes factures produites en preuve sont signées par Benoît Scott et indiquent ses numéros de taxe.

Il n’y a aucune preuve qu’il est un prête‑nom.

vii)    Éric Dubé Vanier (24 factures)

M. Dubé Vanier a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 16 juillet 2008, et son inscription a été annulée le 17 septembre 2010. SNF a créé un compte pour M. Vanier le 16 février 2009 et a acheté du matériel auprès de ce dernier du 25 février 2009 au 17 septembre 2010.

Sur sa demande d’inscription pour la TPS/TVQ est inscrite la mention « enr. à risque ».

Dans une période 19 mois, M. Dubé Vanier a vendu à SNF des fournitures pour un montant de 2 253 108,40 $, le tout payé en argent comptant. Il y avait une journée au cours de laquelle il y a eu six transactions, a dit Mme Jasmin, pour l’équivalent de 130 000 $, également payé en argent comptant. On peut retracer, pour quatre dates différentes, deux ou trois factures établies la même journée. Toutes les factures comportaient le numéro de TPS. Les factures portaient comme signature une coche , « Éric » ou de nombreuses signatures illisibles.

Mme Larocque a témoigné que M. Dubé Vanier avait deux adresses connues, qui correspondaient à des adresses résidentielles. Son adresse indiquée, selon Mme Jasmin, est un appartement dans un immeuble à logement où il n’y a aucune activité commerciale liée au recyclage de métaux. Des camions de SNF allaient chercher de la ferraille à cette adresse résidentielle; dans d'autres cas, M. Dubé Vanier a envoyé un camion « rouge », « blanc », « noir » ou « vert ».

M. Dubé Vanier ne possédait aucun véhicule immatriculé dans le système de la SAAQ. Il n’avait aucun employé déclaré.

Dans ses déclarations revenus du Québec pour 2008 et 2010, M. Dubé Vanier a déclaré des revenus de sécurité de revenu (prestations d’aide sociale); pour 2009, aucune déclaration n'a été produite.

Mme Larocque a considéré M. Vanier comme prête‑nom pour un dénommé Sylvain Lizotte. Il n’y a aucune preuve qui suggère le contraire.

viii)   Noël Nicolas (10 factures)

M. Nicolas a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 18 juin 2009, et son inscription a été annulée le 4 novembre 2010. SNF a créé un compte pour M. Nicolas le 29 juin 2009 et a acheté du matériel auprès de ce dernier du 30 juin au 23 décembre 2009.

Le montant payé pour les fournitures de Noël Nicolas était de 611 167,80 $ sur une période de six mois. Les fournitures étaient payées en argent comptant par chèques encaissés dans un centre d’encaissement.

Son adresse d’affaires était un appartement dans un immeuble à logements.

Noël Nicolas n'a produit aucune déclaration de revenus durant la période en litige, mais il était bénéficiaire de l’aide sociale. Il n’a pas déclaré d’employé.

Il paraît que M. Nicolas était propriétaire de plusieurs véhicules non autorisés à circuler. Il y avait également un camion qui, selon Mme Jasmin, a été vendu à Benoît Scott, mais nous n’avons pas de preuve à cet égard. Il appelait SNF et livrait les métaux lui-même, mais parfois c’était Megadeth qui livrait pour M. Nicolas, a dit Mme Jasmin.

Sur un des billets de pesée, son camion est décrit comme « Gris »; sur une autre, comme étant « Beige ». M. Nicolas a aussi utilisé les services d’un camion de SNF. Il n’y a aucune signature sur des factures ou les signatures sont illisibles. Trois factures ont été établies à la même date.

Les vérificateurs croient que M. Nicolas est un prête‑nom pour Megadeth.

ix)     Patrick Scott (2 factures)

M. Scott a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 20 juillet 2009; il a cessé ses activités commerciales le 22 octobre 2010. SNF a créé un compte pour M. Scott le 24 juillet 2009 et a acheté du matériel auprès de ce dernier du 24 juillet au 22 octobre 2009.

Quand M. Scott a fait une demande d’inscription pour la TPS/TVQ, Revenu Québec a soumis sa demande à un de ses vérificateurs.

Patrick Scott a vendu des métaux à SNF, pour un montant de 222 923,40 $ en fournitures sur une période de trois mois. Les fournitures étaient payées en argent comptant.

Son lieu d’affaires est un appartement dans un immeuble résidentiel. Il n’avait pas d’employé déclaré au Registraire des entreprises. Il n’avait aucun véhicule enregistré dans le système SAAQ.

Mme Marcil a témoigné que M. Scott recevait des prestations d’assistance sociale en 2007. Il n’a pas fait de déclarations d’impôt pour les années 2006, 2008 et 2009.

Les factures remises à Patrick Scott sont signées par lui et indiquent ses numéros de taxe. M. Scott a utilisé un camion Ford blanc pour effectuer les fournitures.

x)      Pierre Daraiche (10 factures)

M. Daraiche a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 4 mars 2008 et son inscription a été annulée le 1er avril 2010. Aucun élément de preuve n’établit le moment où SNF a créé un compte pour M. Daraiche, mais SNF a acheté du matériel auprès de ce dernier pendant la période allant du 5 janvier 2009 au 30 mars 2010.

Pierre Daraiche a fait pour 1 062 461,60 $ d'affaires avec SNF pendant 15 mois. Les fournitures étaient payées en argent comptant.

M. Daraiche n’était pas inscrit auprès du Registraire des entreprises.

M. Daraiche avait un revenu d’aide sociale de 2006 à 2009 et un faible revenu en 2007. Il n’a pas produit de déclaration de revenus pour 2008. Son revenu déclaré en 2006 était de 0 $.

L’adresse de son lieu d’affaires est un appartement dans un immeuble résidentiel. Il n’a pas produit de déclaration de taxe, mais il était inscrit de 2008 à 2011.

Mme Jasmin et M. Delisle, les vérificateurs de Revenu Québec, croient que M. Daraiche est une prête‑nom pour « Megadeth » ou « Sylvain ».

Sur les billets de pesée, on désigne ainsi le camion de M. Daraiche : « Rouge », « Noir » ou « UHAUL ».

À trois différentes occasions, il y a deux ou trois factures qui sont établies le même jour.

Les signatures sur les factures, dit Mme Jasmin, sont illisibles ou sont différentes.

xi)     Réjean Trudeau (5 factures)

M. Trudeau a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 9 novembre 2009, et son inscription a été annulée le 7 avril 2011. SNF a créé un compte pour M. Trudeau le 11 novembre 2009 et a acheté du matériel auprès de ce dernier du 12 novembre 2009 au 8 février 2010.

Le total des fournitures faites à SNF était de 742 191,80 $ sur une période de 11 mois. Les fournitures étaient payées en argent comptant. M. Trudeau a signé les factures, sur lesquelles figurait le numéro de TPS.

M. Trudeau avait des revenus d’aide sociale en 2006 et en 2008 et un faible revenu d’emploi en 2007, a témoigné Mme Jasmin. Il n’a pas produit de déclaration de revenus pour 2009.

L’adresse de son lieu d’affaires est un appartement dans un immeuble à logements. Il n’a pas déclaré d’employés.

M. Trudeau possédait quelques voitures de promenade immatriculées à la SAAQ. Megadeth venait livrer des fournitures pour M. Trudeau. Un camion « 350 Blanc » est inscrit sur un billet de pesée.

Mme Jasmin croit que Réjean Trudeau est un prête‑nom pour Megadeth.

xii)    Valérie Bergeron (9 factures)

Mme Bergeron a obtenu son numéro d’inscription aux fins de la TPS le 31 décembre 2009, et son inscription a été annulée le 9 décembre 2010. SNF a créé un compte pour Mme Bergeron le 19 janvier 2010 et a acheté du matériel auprès de cette dernière en août et en septembre 2010.

Valérie Bergeron a commencé à faire affaire avec SNF quand les numéros de taxe de M. Mc Duff ont cessé d’être valides. Elle a livré à SNF des métaux pour un montant total de 270 913,40 $ sur une période de deux mois. Les numéros de taxe sont inscrits sur les factures et les billets de pesée.

Valérie Bergeron n’avait aucun employé déclaré.

Mme Claveau a déclaré que Valérie Bergeron a fourni des factures de vente qu'elle avait établies et qui se rapportaient à des travaux d’entretien ménager faits pour des personnes avec lesquelles elle avait un lien de parenté. Son conjoint est Steve Mc Duff, le frère de Robert Mc Duff. Mme Claveau croit que les signatures de Mme Bergeron, qui se trouvent sur les factures de SNF sont des signatures de M. Mc Duff. Certaines factures sont signées par « Marie‑Michèle Ouellette », « Franchesca D. », « Dalpé » et « MS ».

Mme Bergeron a fait faillite en 2008.

Elle possédait un véhicule de promenade immatriculé à la SAAQ, mais n'avait pas de licence pour faire le commerce de pièces d'automobiles.

L’adresse du lieu d’affaires de Mme Bergeron est une adresse résidentielle.

Il y avait parfois plusieurs voyages dans la même journée pour SNF et une autre entreprise, PMR Refiners, selon Mme Claveau. Deux factures de SNF portent la même date et trois autres factures ont également été établies le même jour.

Les vérificateurs ont conclu que Valérie Bergeron était un prête-nom pour Robert Mc Duff.

ANALYSE

[44]        Le paragraphe 169(4) de la LTA énonce de la manière suivante les exigences qu’il faut respecter pour demander des CTI pour une période de déclaration :

L’inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

 

A registrant may not claim an input tax credit for a reporting period unless, before filing the return in which the credit is claimed,

a) il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

(a) the registrant has obtained sufficient evidence in such form containing such information as will enable the amount of the input tax credit to be determined, including any such information as may be prescribed; and

b) dans le cas où le crédit se rapporte à un bien ou un service qui lui est fourni dans des circonstances où il est tenu d’indiquer la taxe payable relativement à la fourniture dans une déclaration présentée au ministre aux termes de la présente partie, il indique la taxe dans une déclaration produite aux termes de la présente partie.

(b) where the credit is in respect of property or a service supplied to the registrant in circumstances in which the registrant is required to report the tax payable in respect of the supply in a return filed with the Minister under this Part, the registrant has so reported the tax in a return filed under this Part.

[45]        Les renseignements « visés par règlement » se trouvent à l’article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH) (le « Règlement ») :

3. Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

3. For the purposes of paragraph 169(4)(a) of the Act, the following information is prescribed information:

a) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $ :

(a) where the total amount paid or payable shown on the supporting documentation in respect of the supply or, if the supporting documentation is in respect of more than one supply, the supplies, is less than $30,

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire,

 

(i) the name of the supplier or the intermediary in respect of the supply, or the name under which the supplier or the intermediary does business,

(ii) si une facture a été remise pour la ou les fournitures, la date de cette facture,

 

(ii) where an invoice is issued in respect of the supply or the supplies, the date of the invoice,

[. . .]

. . .

(iv) le montant total payé ou payable pour la ou les fournitures;

(iv) the total amount paid or payable for all of the supplies;

b) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

 

(b) where the total amount paid or payable shown on the supporting documentation in respect of the supply or, if the supporting documentation is in respect of more than one supply, the supplies, is $30 or more and less than $150,

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d’inscription attribué, conformément à l’article 241 de la Loi, au fournisseur ou à l’intermédiaire, selon le cas,

(i) the name of the supplier or the intermediary in respect of the supply, or the name under which the supplier or the intermediary does business, and the registration number assigned under section 241 of the Act to the supplier or the intermediary, as the case may be,

[. . .]

. . .

c) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

(c) where the total amount paid or payable shown on the supporting documentation in respect of the supply or, if the supporting documentation is in respect of more than one supply, the supplies, is $150 or more,

(i) les renseignements visés aux alinéas a) et b),

(i) the information set out in paragraphs (a) and (b),

(ii) soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(ii) the recipient’s name, the name under which the recipient does business or the name of the recipient’s duly authorized agent or representative,

(iii) les modalités de paiement,

(iii) the terms of payment, and

(iv) une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

(iv) a description of each supply sufficient to identify it

[46]        La « pièce justificative » exigée à l’article 3 du Règlement est décrite à l’article 2 du Règlement de la manière suivante :

« pièce justificative » Document qui contient les renseignements exigés à l’article 3, notamment :

“supporting documentation” means the form in which information prescribed by section 3 is contained, and includes

a)   une facture;

(a)   an invoice,

b)   un reçu;

(b)   a receipt,

c)   un bordereau de carte de crédit;

(c)   a credit-card receipt,

d)   une note de débit;

(d)   a debit note,

e)   un livre ou registre de comptabilité;

(e)   a book or ledger of account,

f)    une convention ou un contrat écrits;

(f)    a written contract or agreement,

g)   tout registre faisant partie d’un système de recherche documentaire informatisé ou électronique ou d’une banque de données;

(g)   any record contained in a computerized or electronic retrieval or data storage system, and

h)   tout autre document signé ou délivré en bonne et due forme par un inscrit pour une fourniture qu’il a effectuée et à l’égard de laquelle il y a une taxe payée ou payable. (supporting documentation)

(h)   any other document validly issued or signed by a registrant in respect of a supply made by the registrant in respect of which there is tax paid or payable; (pièce justificative)

[47]        La responsabilité d’une personne qui ne verse pas ou ne paie pas la TPS au receveur général est prévue au paragraphe 280(1) de la LTA[2].

[48]        Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, l’intimée soutient en l’espèce que les 12 fournisseurs n’avaient pas les ressources nécessaires pour effectuer les fournitures, que les fournisseurs indiqués sur les factures étaient des prête‑noms et non les véritables fournisseurs et que, par conséquent, les factures, entre autres choses, ne respectent pas les exigences énoncées au paragraphe 169(4) de la Loi et à l’article 3 du Règlement[3].

[49]        Le contrat de prête‑nom est un contrat qui a été qualifié comme une simulation par laquelle un mandataire exécute un contrat en son propre nom, mais en agissant pour le compte d’une autre personne, et le mandat reste caché aux yeux des tiers[4]. Dans St‑Jules c. Roy[5], une décision de la Cour supérieure du Québec, le juge Lacoursière, décrit le « prête‑nom » comme « un mandat sans représentation ». Il se réfère à Denys‑Claude Lamontagne[6], qui a écrit :

[1034] Le prête‑nom est un mandat sans représentation : clandestin, occulte, non dévoilé au tiers. L’intermédiaire « prête » son nom au mandant, sans dévoiler sa qualité de mandataire au tiers. Cela explique qu’il soit personnellement responsable aux termes de l’acte conclu avec le tiers (2157 C.c.Q.).

[50]        L’article 2130 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») définit comme suit le mandat :

Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s’oblige à l’exercer.

Mandate is a contract by which a person, the mandator, confers upon another person, the mandatary, the power to represent him in the performance of a juridical act with a third person, and the mandatary, by his acceptance, binds himself to exercise the power.

Ce pouvoir et, le cas échéant, l’écrit qui le constate, s’appellent aussi procuration.

That power and, where applicable, the writing evidencing it are called power of attorney.

[51]        L’article 1451 du C.c.Q. est ainsi rédigé :

Il y a simulation lorsque les parties conviennent d’exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre‑lettre.

Simulation exists where the parties agree to express their true intent, not in an apparent contract, but in a secret contract, also called a counter letter. 

Entre les parties, la contre‑lettre l’emporte sur le contrat apparent.

Between the parties, a counter letter prevails over an apparent contract.

[52]        La Cour suprême du Canada a confirmé que le contrat de prête‑nom est une forme licite de contrat de mandat[7]. Mais, dans St‑Jules c. Roy, la Cour supérieure en arrive à la conclusion que l’utilisation d'un prête‑nom est nulle si les objets du contrat étaient illicites et portaient préjudice à un tiers.

[53]        Étant donné qu’un contrat de prête‑nom est un contrat valide, la question qui se pose ensuite est de savoir si le prête‑nom est un intermédiaire du véritable fournisseur dont le nom peut figurer sur la pièce justificative qui établit la fourniture : sous‑alinéa 3a)(i) du Règlement. L’article 2 du Règlement définit ainsi le terme « intermédiaire » :

« intermédiaire » Inscrit qui, agissant à titre de mandataire d’une personne ou aux termes d’une convention conclue avec la personne, permet à cette dernière d’effectuer une fourniture ou en facilite la réalisation. (intermediary)

“intermediary” of a person, means, in respect of a supply, a registrant who, acting as agent of the person or under an agreement with the person, causes or facilitates the making of the supply by the person; (intermédiaire)

[54]        Selon ce que prétend le ministre, les prête-noms ou sociétés dites « coquille vide » seraient exclus par cette définition. La définition du terme « intermédiaire » exige que l’intermédiaire permette à la personne au nom de laquelle elle agit d’effectuer une fourniture ou qu'il en facilite la réalisation. Ce n’est pas le mandataire qui effectue la vente, mais la personne avec laquelle le mandataire a conclu un contrat. Eu égard aux faits de l’espèce, l’intimée soutient qu’une personne inconnue est le véritable fournisseur, et non la personne ayant un numéro d’inscription aux fins de la TPS. Les pièces justificatives ne satisfont donc pas aux exigences réglementaires si elles ne sont pas au nom d’un vrai fournisseur ou d’un intermédiaire.

[55]        Le ministre soutient que les 12 fournisseurs n’avaient pas la capacité d’effectuer les fournitures. Ces fournisseurs ne peuvent en conséquence être considérés ni comme des fournisseurs ni comme des intermédiaires puisqu’ils n’ont ni effectué les fournitures ni facilité la réalisation de celles‑ci.

[56]        Le paragraphe 169(4) exige que la personne qui demande des CTI fournisse certains renseignements visés par règlement qui permettront d’établir le montant des CTI. Les renseignements visés par règlement doivent comprendre notamment le nom du « fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d’inscription attribué [. . .] au fournisseur ou à l’intermédiaire [. . .] ».

[57]        Dans l’affaire Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada[8], où l’intimée remettait aussi en question le droit d’un contribuable de demander des CTI au titre du paragraphe 169(4) de la LTA, le juge Sexton, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, était d’avis que :

[. . .] la Loi exige que les personnes ayant versé des sommes au titre de la TPS à des fournisseurs veillent à fournir des numéros d’inscription des fournisseurs valides lorsqu’elles demandent un crédit de taxe sur les intrants.

[58]        Dans l’arrêt Systematix, la Cour d’appel fédérale a cité, en les approuvant sans réserve, les motifs du juge Bowie dans l'affaire Key Property Management Corp. c. R.[9] :

[. . .] Le but même de l’alinéa 169(4)a) et du Règlement est de protéger le Trésor contre les violations tant frauduleuses qu’innocentes. Ce but ne peut être atteint que si les exigences sont considérées comme étant obligatoires et sont rigoureusement appliquées. Le fait de les envisager simplement comme une indication ne serait pas seulement malencontreux, mais serait une grave violation de l’intégrité du texte législatif.

[59]        Avant l’arrêt Systematix de la Cour d’appel fédérale, notre Cour avait décidé qu’un acquéreur de bonne foi de fournitures ou de services ne devait pas supporter les conséquences de la fraude du fournisseur ayant omis de verser la TPS qu'avait payée l'acquéreur[10]. Depuis qu'il a été rendu, l’arrêt Systematix a été suivi par notre Cour et la Cour d’appel fédérale dans les décisions Les Entreprises DRF Inc. c. Canada (Revenu national)[11], Comtronic Computer Inc. c. La Reine[12], Kosma‑Kare Canada inc. c. La Reine[13] et Pépinière A. Massé Inc. c. La Reine[14], mais non dans la décision Salaison Lévesque Inc. c. La Reine[15].

[60]        Dans ses motifs de la décision Comtronic, mon collègue le juge Boyle a estimé qu’en parlant de « numéros d’inscription des fournisseurs valides » dans l’arrêt Systematix, la Cour d’appel fédérale avait « voulu dire des numéros d’inscription aux fins de la TPS qui avaient été valablement attribués à ces fournisseurs ». Le juge Boyle a ajouté :

[29]      En l’espèce, je suis lié par la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Systematix. Je dois toutefois souligner que (comme l’a fait remarquer mon collègue le juge Archambault, qui a statué sur l’affaire Systematix en première instance) cette approche stricte est une source potentielle d’injustice pour l’acheteur qui paye la TPS de bonne foi. Elle a pour conséquence que les entreprises canadiennes doivent supporter le risque lié à la fraude, au vol d’identité et aux actes illicites, et les oblige dans les faits à mettre en place des mesures de gestion du risque dans leurs relations tant avec leurs nouveaux fournisseurs qu’avec leurs fournisseurs existants de manière à déterminer quels renseignements fournis par les fournisseurs peuvent nécessiter qu’elles fassent des recherches plus approfondies. Un tel résultat peut s’avérer sévère et injuste, mais il est loisible au législateur fédéral d’instaurer un tel régime et je suis tenu d’appliquer les dispositions législatives telles qu’elles ont déjà été interprétées par la Cour d’appel fédérale.

[30]      La question de savoir si, en matière de perception et de versement de la TPS, c’est l’acheteur ou le fisc qui doit supporter le risque lié au vol d’identité et aux actes illicites commis par les fournisseurs est une question de politique valable qu’on pourrait débattre. Cependant, dans des circonstances comme celles en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a jugé que le législateur fédéral s’est déjà penché sur la question. La Cour de l’impôt ne peut donc pas la réexaminer.

[61]        La question principale en litige dans l’affaire Comtronic était de savoir si l’appelante avait droit à des CTI dans des cas où le numéro d’inscription aux fins de la TPS du fournisseur, qui figurait sur la facture, n’était pas celui du fournisseur, mais plutôt un numéro d’inscription valide attribué à quelqu’un d’autre. La situation est différente en l’espèce : ici, tous les numéros d’inscription appartenaient aux personnes qui auraient effectué les fournitures à SNF. La seule question en litige dans l’affaire Systematix était de savoir « si les factures comportaient un numéro d’inscription aux fins de la TPS en bonne et due forme ». Les faits de ces deux affaires ne ressemblent pas à ceux de l’espèce.

[62]        Dans ses motifs dans l'affaire Systematix, le juge Archambault a expliqué que les factures se divisaient en deux catégories différentes. La première catégorie était composée de factures qui ne comportaient pas de numéro d’inscription aux fins de la TPS. La base de données du ministre n’indiquait pas qu'un numéro d’inscription avait déjà été attribué au fournisseur qui avait établi ces factures.

[63]        Les factures dans la deuxième catégorie comportaient un numéro d’inscription, mais il s’agissait d’un numéro qui n’était pas valide pendant la période en cause. Le juge Archambault a divisé cette catégorie en trois sous‑catégories : a) les factures comportant un numéro d’inscription qui n’était valide qu’avant la période en cause parce qu’il avait été révoqué par le ministre avant cette période; b) les factures comportant un numéro d’inscription au nom du fournisseur qui était bel et bien valide, mais dont la date de validité était subséquente à la période en cause et c) les factures comportant un numéro d’inscription qui n’était pas valide parce qu’il n’était pas répertorié dans la base de données du ministre et que la preuve ne permettait pas de conclure qu’un numéro d’inscription valide avait été attribué au fournisseur dont il s'agissait.

[64]        En l’espèce, un numéro d’inscription aux fins de la TPS avait été attribué à chacun des 12 fournisseurs et était valide pendant toutes les périodes où les fournitures étaient effectuées, sauf une fourniture effectuée par M. Dubé Vanier le 17 septembre 2010, date à laquelle son numéro d’inscription avait été annulé.

[65]        De plus, contrairement à ce qui a été conclu dans l'arrêt Systematix, SNF s’est bel et bien assurée de l’authenticité des numéros d’inscription en vérifiant la demande de chaque fournisseur et le cachet d’acceptation de Revenu Québec, et elle a obtenu notamment les adresses et les numéros de téléphone des 12 fournisseurs. Les faits dans l’affaire Systematix ne révèlent pas quels efforts, le cas échéant, la contribuable a déployés afin de s’assurer que les fournisseurs avaient des numéros d’inscription aux fins de la TPS valides.

[66]        Dans ce qu'il appelle sa [TRADUCTION] « réponse modifiée à l’avis d’appel » (en réalité, sa réponse à l'avis d'appel modifié), Revenu Québec a tenu pour acquis que SNF ne lui avait pas fourni de renseignements, y compris des renseignements visés par règlement, suffisants pour lui permettre d’établir le montant des CTI demandés, et que les documents et les pièces justificatives de l’appelante ne respectaient pas les exigences de la LTA et du règlement pris sous son régime. Il n'est pas nécessaire que les « renseignements suffisants » requis pour qu'on puisse demander un CTI figurent tous sur un seul document, mais ils peuvent être présentés sur plusieurs documents pris ensemble : Westborough Place Inc. c. La Reine[16].

[67]        Dans l’affaire Agence du revenu du Québec c. Système intérieur GPBR inc.[17](GPBR), la question fondamentale était la suivante : « une facture de complaisance peut‑elle fonder un CTI ? » Dans l'affaire GPBR, la contribuable était impliquée dans un réseau d’entreprises qui utilisaient des factures de complaisance, ou de fausses factures.

[68]        La contribuable a eu gain de cause dans l’appel qu’elle avait interjeté devant la Cour du Québec, mais la Couronne a réussi à faire infirmer la décision devant la Cour d’appel du Québec. S’exprimant au nom de la Cour d’appel, le juge Émond a dit que la conclusion tirée par le juge de première instance :

46        [. . .] me paraît erronée, voire même dangereuse en ce qu’elle fournit une indication qui, si elle est suivie, peut s’avérer lourde de conséquences. S’il est vrai que la Ltvq et le Règlement n’imposent pas expressément un devoir de vérification à l’Inscrit, elle le fait indirectement en imposant des exigences strictes pour l’admissibilité d’un CTI. L’Agence a donc raison d’affirmer que l’inscrit a un devoir de vérification. Celui‑ci découle implicitement des exigences que posent la Ltvq et le Règlement eu égard à l’admissibilité d’une demande de CTI.

47        Je l’ai signalé, les exigences requises en vertu de l’article 201 Ltvq et des articles 201R01 à 201R05 du Règlement visent à protéger l’Agence contre les demandes de remboursement de taxes irrecevables, qu’elles soient ou non frauduleuses. Ces exigences légales sont strictes et doivent être rigoureusement appliquées. La bonne foi d’un inscrit qui se dit victime de manœuvres frauduleuses ne peut autoriser l’Agence à accepter une demande de CTI qui ne respecte pas les prescriptions légales. À cet égard, l’Agence ne jouit d’aucune latitude ou discrétion.

48        Pour s’assurer que ses demandes de CTI soient recevables, un Inscrit a tout intérêt à vérifier si les factures qui lui sont remises par ses fournisseurs émanent bel et bien de ceux qui lui fournissent le service, de leur mandataire ou des personnes qui leur ont permis de l’effectuer ou en ont favorisé l’exécution. S’il ne le fait pas, les conséquences pourront s’avérer lourdes de conséquences. Il pourra devoir assumer des pertes importantes si, comme dans le cas de GPBR, les CTI qu’elle réclame sont fondés sur des factures de complaisance ou des fausses factures.

49        Le devoir de vérification et de diligence d’un Inscrit est capital, et ce, pour sa propre protection.

[69]        La Couronne n’a pas réussi à établir que la majorité des factures étaient des factures de complaisance ou de fausses factures ni que les fournitures n’avaient pas été acquises par SNF pour une contrepartie valable, soit les montants figurant sur les factures. De fait, la preuve indique le contraire. À la lumière de ces deux faits importants, une distinction peut être établie entre l'appel de SNF et celui dans l’affaire GPBR. En outre, en l’espèce, on a, sinon fait la preuve, au moins évoqué la possibilité, d’une négligence de la part de Revenu Québec dans l’attribution de numéros d’inscription aux fins de la TPS à des fournisseurs : tel n'était pas le cas dans l'affaire GPBR. À mon avis, les faits de l’espèce sont suffisamment différents de ceux de l’affaire GPBR pour que je ne sois pas tenu de suivre les motifs de la Cour d’appel du Québec.

[70]        Je suis convaincu que les renseignements figurant sur les billets de pesée, les factures et les autres documents établis au moment des ventes, ainsi que les renseignements obtenus par SNF sur un fournisseur au moment de l’ouverture d’un compte, respectent généralement les exigences énoncées au paragraphe 169(4) de la LTA et aux articles 2 et 3 du Règlement. Le problème qui se pose est que le fournisseur dont le nom figure sur les documents est un prête‑nom et non le véritable fournisseur. L’hypothèse du ministre selon laquelle les fournisseurs étaient des prête‑noms n’a pas été démolie. Toutefois, cela ne règle pas l’affaire. Si SNF a demandé les renseignements nécessaires pour savoir si la personne avait un numéro de TPS valable, cela était suffisant; et elle l’a fait, sauf dans le cas de Valérie Bergeron, qui, manifestement, agissait sous la direction de M. Mc Duff et n’était pas un fournisseur. C’était M. Mc Duff qui faisait affaire avec SNF et celle‑ci aurait dû s’en rendre compte. SNF n’a pas suivi sa propre procédure quand elle a ouvert un compte pour Mme Bergeron.

[71]        L’hypothèse du ministre selon laquelle certains des 12 fournisseurs n’avaient pas la main‑d’œuvre ni l’équipement pour effectuer les fournitures a été réfutée par la preuve de M. Black selon laquelle il est possible d’acheter et de vendre de la ferraille de plusieurs manières, avec ou sans l’aide d’employés ou d’équipement.

[72]        Le ministre a également formulé certaines hypothèses qui sont vraies, mais qui ne sont pas pertinentes : par exemple, le paiement en argent comptant empêche le fisc de vérifier les montants en question entre les mains des prétendus fournisseurs et les chèques libellés à l’ordre de fournisseurs par SNF ont été encaissés par SNF. L’argent comptant a cours légal et constitue un mode de paiement pour les biens et les services. Le fait qu’il puisse être difficile pour un tiers de suivre la trace de l’argent comptant n’a pas d’incidence sur l’achat et la vente eux‑mêmes ni n'a pour conséquence qu’il est interdit à l’inscrit de demander des CTI.

[73]        Toutes les ventes de matériel faites par chacun des 12 fournisseurs étaient des transactions moyennant contrepartie effectuées par SNF dans le cours normal de ses activités commerciales. À l’exception du cas de Mme Bergeron, SNF avait pris des mesures raisonnables pour s’assurer que Revenu Québec avait attribué des numéros d’inscription aux fins de la TPS/TVQ à chacun des fournisseurs en question. En ce qui concerne Mme Bergeron, SNF aurait dû avoir des doutes quant à sa bonne foi compte tenu du fait que c’était M. Mc Duff qui menait toutes les discussions pour elle. Il n'y a aucun élément de preuve qui établit que SNF ou l’un ou l’autre de ses employés était dans le secret d'un vilain stratagème quelconque ou était complice des 12 fournisseurs, ou de l’un ou plusieurs d’entre eux dans un tel stratagème. Je ne peux conclure que SNF a fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de ce que faisaient 11 des 12 fournisseurs, malgré ce que prétend la Couronne.

[74]        SNF a raisonnablement supposé que les autorités gouvernementales avaient agi de façon responsable en attribuant un numéro d’inscription à chaque fournisseur. Je doute que Revenu Québec admette qu'un inscrit, comme SNF, pose des questions à des fonctionnaires afin de s’assurer qu’ils ont agi d’une manière appropriée en attribuant un numéro de TPS à un fournisseur précis. Les particuliers doivent avoir confiance dans le gouvernement parce que, entre autres choses, ils comptent sur le gouvernement.

[75]        Je suis préoccupé par la façon dont Revenu Québec traite les demandes de numéro d’inscription aux fins de la TPS. En ce qui concerne les demandes de numéro de TPS présentées par au moins trois des 12 fournisseurs, Revenu Québec a soupçonné que quelque chose clochait. Les mots « enregistrement à risque » ou « enr. à risque » ont été inscrites sur les demandes de 1043 et de M. Dubé Vanier. La demande de Patrick Scott a été envoyée pour une vérification immédiate. L’intimée n’a produit aucun élément de preuve pour expliquer pourquoi un numéro d’inscription aux fins de la TPS avait été accordé en de telles circonstances. De plus, Benoît Scott a fait faillite en 2007 et a reçu des prestations d’aide sociale en 2008 et en 2009. Pourtant, lorsqu’il a demandé un numéro de TPS en 2009, il prévoyait gagner un revenu d’entreprise annuel de 60 000 $. Aucun élément de preuve n'établit qu’il avait déjà obtenu sa libération de faillite. Là encore, Revenu Québec a accordé un numéro de TPS. Les demandes de numéro d’inscription aux fins de la TPS pour les 11 autres fournisseurs permettent de constater d’énormes écarts entre le revenu dans les années ayant précédé la présentation de la demande d’inscription aux fins de la TPS et le revenu prévu. J'ignore quel poids Revenu Québec a accordé à ces demandes, gardant à l’esprit l’hypothèse suivante formulée par le ministre :

[TRADUCTION]

n)         Certains fournisseurs des douze (12) fournisseurs en question, sinon tous, n’ont aucune expertise dans le domaine concerné, et certains d’entre eux ou leurs gérants, dans les cas où les fournisseurs sont des sociétés, reçoivent des prestations de sécurité du revenu (aide sociale).

[76]        L’intimée reproche à l’appelante – et, en fait, semble avoir s'être fondée là‑dessus pour établir une cotisation à l'égard de l’appelante – de ne s’être pas suffisamment renseignée pour vérifier qui étaient les véritables fournisseurs de la ferraille. Pourtant, Revenu Québec a attribué des numéros d’inscription aux fins de la TPS à ces fournisseurs sans qu’il ait lui‑même, semble‑t‑il, cherché à se renseigner même superficiellement concernant la bonne foi des 12 fournisseurs. Pour être juste, je pense que l’intimée a eu connaissance d’un bon nombre des faits qu’elle tient pour acquis et qu’elle allègue après que Revenu Québec eut attribué les numéros d’inscription aux fins de la TPS et que Revenu Québec n’était peut‑être pas au courant de ces faits précédemment. Toutefois, si Revenu Québec avait fait preuve d'un peu de perspicacité au moment d’examiner les demandes d’inscription aux fins de la TPS présentées par les fournisseurs, il se serait certainement rendu compte, par exemple, des faits qu’il a tenus pour acquis dans le paragraphe cité ci‑dessus, à savoir que [traduction] « [c]ertains des douze (12) fournisseurs [. . .], n’ont aucune expertise dans le domaine concerné, et certains d’entre eux ou leurs gérants, dans les cas où les fournisseurs sont des sociétés, reçoivent des prestations de sécurité du revenu (aide sociale) », ou dans une autre hypothèse, où il tenait pour acquis que les fournisseurs n’avaient pas de véhicules routiers [traduction] « qui convenaient pour les fournitures ».

[77]        Les entreprises fonctionnent selon un rythme différent de celui du gouvernement. Elles ont besoin de profits pour survivre et doivent limiter leurs dépenses. Contrairement au gouvernement, les entreprises n’ont pas le pouvoir de perquisitionner aux établissements d’autres entreprises et de soi‑disant entreprises et d'examiner leurs documents. Les entreprises doivent se fier aux pratiques courantes et légitimes en usage dans leur industrie. Lorsqu’une entreprise soupçonne, par exemple, que des personnes avec lesquelles elle fait affaire vendent des biens volés ou ont recours à des pratiques illégales, malhonnêtes, peu recommandables ou témoignant de corruption, les dirigeants de l’entreprise doivent alors, bien entendu, reconnaître l’existence possible de cette situation et demander les renseignements nécessaires[18]. SNF ne l’a pas fait lorsqu’elle a acheté de la ferraille à Mme Bergeron.

[78]        Le gouvernement n’attribue pas de numéro d’inscription aux fins de la TPS à l’aveuglette en laissant aux entreprises le soin de déterminer la légitimité du fournisseur. Le fait qu’une personne ait obtenu un numéro d’inscription aux fins de la TPS est une annonce adressée à tout le monde que cette personne a le droit de percevoir la TPS. Un inscrit ne peut pas lui‑même faire preuve d’insouciance en déterminant si un fournisseur est légitime ou non. Toutefois, ni la LTA ni le règlement pris en vertu de la LTA ne donnent à l’inscrit une procédure à suivre. Par exemple, un inscrit doit‑il se renseigner chaque fois qu’il achète des articles à fournisseur, ou suffit‑il qu’il se renseigne, comme SNF l’a fait, lorsqu'il s’apprête à effectuer le premier achat à fournisseur et qu’un compte est ouvert pour ce fournisseur? À mon avis, les renseignements devraient être obtenus au moment où les parties établissent leur relation, mais mais cela peut toujours changer si l'inscrit se rend compte par la suite que la légitimité du fournisseur est douteuse. Le fait de se renseigner pour chaque achat pourrait être coûteux pour un inscrit et nuirait au processus commercial. L’inscrit doit faire de son mieux. Lorsque Revenu Québec ou l’Agence du revenu du Canada attribue un numéro d’inscription aux fins de la TPS à une personne, cette dernière devient mandataire de la Couronne. Les autorités fiscales doivent assumer une certaine responsabilité quant aux personnes qu’elles désignent comme ses mandataires.

[79]        Néanmoins, un inscrit qui achète des fournitures ou des services à une personne doit faire des démarches raisonnables pour vérifier si la personne est validement inscrite, si le numéro d’inscription existe réellement et si le numéro est inscrit au nom de cette personne. En outre, si l’inscrit a des doutes quant à la légitimité de la personne en sa qualité de fournisseur, il achète les fournitures à ses risques et périls. SNF a couru un tel risque en faisant affaire avec Mme Bergeron.

[80]        À part cela, SNF a déployé des efforts raisonnables pour s’assurer que les fournisseurs étaient légitimes et que les numéros d’inscription aux fins de la TPS figurant sur les factures et dans ses dossiers l'étaient également.

[81]        En l’espèce, la preuve donne à penser que les 12 fournisseurs participaient, soit individuellement, soit de concert, à un stratagème frauduleux, visant à frauder non seulement les autorités fiscales, mais aussi SNF. Je suis certain que bon nombre des 12 fournisseurs ne fournissaient pas de la ferraille à SNF pour leur propre compte. Les noms des fournisseurs figurant sur les factures n’étaient pas ceux des véritables fournisseurs. Toutefois, SNF ne faisait pas partie de ce stratagème et n’était pas au courant de son existence lorsqu’elle a acheté du matériel à ces fournisseurs. Compte tenu des faits dont je suis saisi, SNF a pris des mesures raisonnables pour s'assurer que les numéros d’inscription étaient réels et qu’ils avaient été attribués à 11 des 12 fournisseurs. L’appelante a bel et bien fait des démarches raisonnables pour se convaincre que les numéros d’inscription aux fins de la TPS avaient été valablement attribués à 11 des fournisseurs, et elle avait obtenu une preuve suffisante sous diverses formes permettant d’établir les CTI conformément au paragraphe 169(4) de la LTA et aux dispositions pertinentes du Règlement. Le fait que les 11 autres fournisseurs, ou un ou plusieurs d’entre eux, n’exploitaient peut‑être pas d’entreprise ou étaient des prête‑noms n’a pas, compte tenu des faits, d’incidence sur le droit de l’appelante de demander des CTI.

[82]        Encore une fois, on ne peut pas s’attendre à ce qu’une entreprise, qu’il s’agisse d’une petite entreprise marginale ou d’une grande entreprise comme l’appelante et AIM ayant des centaines, voire des milliers, de fournisseurs, se renseigne exhaustivement auprès de chaque fournisseur potentiel. Il existe une limite raisonnable, économique ou autre, à la mesure dans laquelle un contribuable doit faire preuve de diligence. Si le fisc ne fait pas de démarches raisonnables pour obtenir des renseignements, il ne s’ensuit pas que l’on devrait s’attendre à ce que les entreprises fassent le travail du fisc sous peine de se voir imposer une dette fiscale. Telle ne peut pas avoir été l’intention du législateur lorsqu’il a adopté la législation relative à la TPS.

[83]        Le numéro d’inscription aux fins de la TPS de M. Dubé Vanier a été annulé le 17 septembre 2010, soit le jour même où SNF a fait son dernier achat auprès de lui. Cela signifie, bien entendu, que M. Dubé Vanier n’avait pas de numéro de TPS au moment de cette vente. Bien que SNF n’ait pas droit à un CTI relativement à cet achat, je ne peux pas conclure qu’elle a agi sciemment ou qu’elle a commis une faute lourde au sens de l’article 285 de la LTA en demandant un CTI à l’égard de cet achat. Toutefois, en ce qui concerne Mme Bergeron, SNF a été négligente, à un degré équivalant à une faute lourde, lorsqu’elle l’a acceptée comme fournisseur. La pénalité prévue à l’article 285 de la LTA doit être appliquée en ce qui concerne les CTIs demandés relativement aux transactions effectuées avec elle. Là encore, SNF n’a même pas cherché à obtenir des renseignements de base pour savoir à qui elle avait affaire.

[84]        L’argument subsidiaire de l’appelante, avancé au cours de l'audience, selon lequel elle a droit à un remboursement parce qu’elle a payé la TPS par erreur, à M. Dubé Vanier et à Mme Bergeron, doit être rejeté. Tout montant payé à M. Dubé Vanier à compter du 17 septembre 2010 n’a pas été payé à titre de TPS étant donné que ce dernier n’était plus autorisé à percevoir la TPS. Il avait cessé d’être mandataire de la Couronne. Les montants payés à Mme Bergeron ont été payés par erreur, mais l’erreur était due à la négligence de SNF elle‑même. Je ne peux pas considérer que l’article 261[19] de la LTA envisage un remboursement pour une erreur attribuable à l’inattention ou à la négligence de son auteur. Le droit à un remboursement dans l’une ou l’autre situation ouvrirait une boîte de Pandore, donnant lieu à des demandes douteuses on non fondées, demandes dont le législateur n’a jamais entendu parler, et encore moins envisagées.

[85]        J'accueillerai l’appel avec dépens. L’appelante a droit aux CTI demandés, moins les montants relatifs aux achats faits auprès de Mme Bergeron, et de M. Dubé Vanier le 17 septembre 2010 alors qu’il n’était plus un inscrit. La pénalité imposée en application de l’article 285 de la LTA est annulée à l’exception de la partie attribuable aux CTI demandés pour les fournitures acquises auprès de Mme Bergeron. Les intérêts seront réduits en conséquence.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2016.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

 


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 12

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1207(GST)G

INTITULÉ :

SNF s.e.c. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12, 3, 14 et 15 mai 2015, et

28, 29 et 30 septembre, 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Gerald J. Rip

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 janvier 2016

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Louis Tassé

Me Rachel Robert

Avocate de l’intimée :

Me Catherine‑A. Boisvert

Me Louis Riverin

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Louis Tassé

 

Cabinet :

Couzin Taylor

Montréal (Québec)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Dans la réponse modifiée à l’avis d’appel, à l’alinéa 40v), le ministre a tenu pour acquis que les fournisseurs étaient des prête‑noms pour les véritables fournisseurs de ferraille, qui demeurent inconnus. Voir les paragraphes 49 à 52 des présents motifs pour un examen de la question des prête‑noms.

[2]           Le paragraphe 280(1) de la LTA est ainsi libellé :

 

Sous réserve du présent article et de l’article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu par la présente partie est tenue de payer des intérêts sur ce montant, calculés au taux réglementaire pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement.

Subject to this section and section 281, if a person fails to remit or pay an amount to the Receiver General when required under this Part, the person shall pay interest at the prescribed rate on the amount, computed for the period beginning on the first day following the day on or before which the amount was required to be remitted or paid and ending on the day the amount is remitted or paid.

 

[3]           Le terme « fourniture » est défini au paragraphe 123(1) de la Loi comme étant la livraison de biens ou la prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

[4]           A. Coste, De la Convention de prête‑nom, Paris, 1891, pp. 8 et 9.

[5]           2007 QCCS 1813, au paragraphe 39.

[6]           D.C. Lamontagne et B. Larochelle, Droit spécialisé des contrats, vol. 1, Cowansville, Québec, Éd. Yvon Blais, 2000, Livre IV, p. 619.

[7]           Victuni c. Ministre du Revenu du Québec, [1980] 1 R.C.S. 580, à la p. 584 (TaxnetPro) aux paragraphes 7 et 8.

[8]           2007 CAF 226, [2007] G.S.T.C. 74.

[9]           2004 CCI 210, [2004] G.S.T.C. 32, au paragraphe 13.

[10]          Voir, par exemple, la décision Joseph Ribkoff Inc. c. La Reine, [2003] A.C.I. no 351 (QL), [2003] G.S.T.C. 104 (français), 162 (anglais); Sport Collection Paris Inc. c. La Reine, [2006] G.S.T.C. 91 (français), [2008] G.S.T.C. 26 (anglais).

[11]          2014 CAF 159.

[12]          2014 CCI 13.

[13]          2010 CCI 55.

[14]          2014 CCI 271.

[15]          2014 CCI 36.

[16]          2007 CCI 155, au paragraphe 41, le juge Paris.

[17]          [2015] J.Q. no 8292 CQL, 2015 QCCA 1402 (« GPBR »).

[18]          Il existe une jurisprudence abondante sur ce point. Voir, par exemple, Joseph Ribkoff Inc. c. La Reine, 2003 CCI 397, [2003] A.C.I. n351 (QL), [2003] G.S.T.C. 104 (français), [2003] G.S.T.C. 162 (anglais); Sport Collection Paris Inc. c. La Reine, 2006 CCI 394, [2006] G.S.T.C. 91 (français), [2008] G.S.T.C. 26 (anglais); Salaison Lévesque Inc. c. La Reine, 2014 CCI 36, [2014] G.S.T.C. 6 (français), 2004 G.S.T.C. (anglais).

[19]          Le paragraphe 296(2.1) de la LTA a pour effet de prolonger le délai de deux ans prévu pour demander un remboursement.

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