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Référence : 2016 CCI 50

Date : 20160226

Dossier : 2012-4645(IT)G

ENTRE :

ACSIS EHR (ELECTRONIC HEALTH RECORD) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS CONCERNANT LES OBSERVATIONS AU SUJET DES DÉPENS

La juge Campbell

[1]             L'appelante a déposé un avis de requête le 26 novembre 2015 conformément au paragraphe 147(7) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles ») demandant des dépens plus élevés.

[2]             L'appel a été entendu pendant trois jours, les 8, 9 et 10 avril 2015, à Halifax. Le 27 octobre 2015, j'ai accueilli l'appel de l'appelante, avec dépens, au motif que ses dépenses ont été engagées pour la recherche scientifique et le développement expérimental (« RS et DE ») et qu'elle avait droit aux crédits d'impôt à l'investissement correspondants. L'appelante demande maintenant des dépens majorés représentant 95 % de tous les frais et débours facturés à compter du 2 mai 2014, avec des dépens antérieurs au 2 mai 2014 à calculer selon le tarif.

[3]             L'appelante fonde la présente requête principalement sur le fait qu'elle a présenté deux offres de règlement, la première le 2 mai 2014 et la seconde le 11 mars 2015, qui ont toutes deux été rejetées par l'intimée.

[4]             L'intimée propose que toute augmentation des dépens soit limitée à au plus 50 % des frais de l'appelante en plus des débours pour la période débutant le 2 mai 2014.

[5]             L'article 18.26 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt prévoit que la Cour peut adjuger des dépens qui s'écartent du tarif et prévoit expressément que l'existence d'offres écrites de règlement peut justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'adjuger des dépens plus élevés. Le paragraphe 147(3) des Règles énonce les facteurs que la Cour peut prendre en considération lors de l'adjudication des dépens :

147. [...]

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a) du résultat de l'instance;

b) des sommes en cause;

c) de l'importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d'une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l'instance;

h) de la dénégation d'un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l'admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l'instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d'un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

[6]             Bien que l'existence d'une offre de règlement ne soit que l'un des facteurs à prendre en compte aux termes du paragraphe 147(3), elle a pris une grande importance lorsque la Cour envisage l'adjudication de dépens procureur‑client. Dans le cas du contentieux civil, les principes qui sous‑tendent l'adjudication des dépens ont été élargis, comme en témoigne l'énoncé suivant :

[TRADUCTION]

26.       Dans le passé, dans notre système qui utilise la règle du « perdant payeur », l'adjudication des dépens avait pour but d'indemniser partiellement ou, dans quelques circonstances restreintes, entièrement la partie ayant eu gain de cause des frais juridiques que celle‑ci avait payés. Cependant, on en est venu récemment à reconnaître les dépens comme un outil important dont dispose le tribunal pour influencer la conduite des parties et pour éviter l'abus de la procédure judiciaire. Plus précisément, les trois autres objectifs reconnus de l'adjudication des dépens sont les suivants : encourager le règlement de l'affaire, décourager les actions et les défenses frivoles, et décourager les mesures inutiles qui prolongent indûment le litige. Voir Fellowes, McNeil c. Kansa General International Insurance Co. (1997), 37 R.J.O. (3e) 464, aux pages 467 et 472 (C. Ont., Div. gén.).

27.       Dans l'arrêt Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371, aux paragraphes 25 et 26, le juge LeBel a analysé l'évolution naturelle du droit en reconnaissant ces objectifs d'intérêt public :

Comme l'illustrent les décisions Fellowes et Skidmore, les règles modernes d'attribution des dépens visent des objectifs divers outre le traditionnel objectif de l'indemnisation. Une ordonnance d'adjudication des dépens peut viser à pénaliser la partie qui a refusé une offre de règlement raisonnable [...]. L'attribution des dépens peut également servir à sanctionner des conduites qui ont prolongé la durée du litige, ou en ont augmenté le coût ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires. Bref, les tribunaux utilisent maintenant couramment le pouvoir d'adjudication des dépens comme un instrument destiné à favoriser l'administration efficace et ordonnée de la justice.

À vrai dire, on peut aussi considérer que la règle traditionnelle d'adjudication des dépens est dictée par le souci général d'assurer le fonctionnement équitable et efficace du système judiciaire. Comme l'attribution des dépens transfère au perdant une partie des dépenses assumées par le gagnant au lieu de laisser à chaque partie le soin de supporter ses frais (comme c'est la pratique dans les ressorts où il n'existe pas de règles à cet égard), elle agit comme moyen dissuasif sur ceux qui pourraient être tentés d'en harceler d'autres par des demandes non fondées. Comme elle réduit dans une certaine mesure les dépenses du gagnant, elle rend le système juridique plus accessible aux parties qui cherchent à défendre une position valable en droit. Ces effets des règles traditionnelles peuvent être rattachés au souci de la cour d'exercer un contrôle sur sa propre procédure et de voir au déroulement efficace et juste de l'instance. En ce sens, ce souci se situe dans la ligne de l'évolution naturelle du droit de reconnaître les objectifs connexes d'intérêt public que favorise l'approche moderne de l'attribution des dépens.

(1465778 Ontario Inc. c. 1122077 Ontario Ltd., 2006 CanLII 35819, [2006] O.J. No. 4248 (QL) (C.A. Ont.)

[7]             Le rôle plus important donné aux offres de règlement se voit également dans des décisions récentes de la Cour : Langille c. La Reine, 2009 CCI 540, [2009] A.C.I. no 429 (QL), et Donato c. La Reine, 2010 CCI 16. L'approche plus moderne lors de l'adjudication des dépens et lors des offres de règlement se voit aussi dans le pouvoir légal accordé en vertu du paragraphe 147(3.1), qui prévoit que l'appelant qui fait une offre et obtient un jugement plus favorable que les conditions de l'offre aura droit aux « dépens indemnitaires substantiels » après la date de l'offre. En outre, le paragraphe 147(3.5) des Règles prévoit que les dépens « indemnitaires substantiels » correspondent à 80 % des dépens procureur‑client.

[8]             La première offre de règlement de l'appelante s'est faite par une lettre du 2 mai 2014. L'intimée n'a pas pris la peine de répondre jusqu'au 11 mars 2015, près de 10 mois plus tard. Si j'ai bien saisi les observations des deux parties, l'intimée n'a même pas accusé réception de cette offre au cours de cette période de 10 mois. Lorsque l'intimée a répondu, elle a tout simplement refusé l'offre de l'appelante sans tenter de faire une contre‑offre. Peu de temps après le refus de l'intimée, l'appelante, par une lettre du 16 mars 2015, a fait une deuxième offre. L'intimée a refusé cette offre le 20 mars 2015 et a riposté en avisant qu'elle consentirait au désistement de l'appelante, et ce, sans dépens.

[9]             L'appelante soutient que son offre de règlement du 2 mai 2014 satisfait à chacune des conditions légales d'adjudication des dépens procureur‑client indiquées dans les Règles et que, conformément à la jurisprudence pertinente, l'adjudication devrait correspondre à 95 % des coûts payés après la date de cette offre ou, à titre subsidiaire, à au moins 80 % de ses dépens procureur‑client.

[10]        La suggestion de l'intimée, savoir l'adjudication de dépens majorés qui se limiteraient à 50 % des dépens, est bien inférieure au seuil minimal prévu par le paragraphe 147(3.5) des Règles. Bien qu'elle ne le dise pas expressément, je suppose qu'en faisant cette suggestion, l'intimée soutient que les offres de l'appelante ne pouvaient être acceptées parce que l'intimée ne pouvait légalement le faire et s'engager dans le processus. Au paragraphe 14 des observations écrites de l'intimée du 15 décembre 2015, elle a fait valoir qu'en ce qui concerne son refus des offres sans faire de contre‑offre à l'appelante, [TRADUCTION] « l'incapacité de l'appelante de fournir des pièces justificatives suffisantes à l'appui de ses revendications selon lesquelles ses travaux répondaient aux critères de la RS et DE a mis l'intimée dans une position d'incapacité juridique ».

[11]        Les cotisations doivent être établies en fonction des principes et les résultats des offres de règlement doivent être ceux que la loi permet. Ainsi, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a une obligation juridique d'établir une cotisation pour l'impôt à payer selon les conclusions de fait du ministre, en conformité avec la loi telle que le ministre la comprend. Il en résulte que le ministre n'a pas le pouvoir de mettre en œuvre un règlement de compromis qui ne soit pas conforme aux faits et à la loi (Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600). Toutefois, le ministre est en droit de consentir à un jugement visant à mettre en œuvre un accord entre les parties quant à la façon dont la cotisation fiscale aurait dû être établie en appliquant la loi aux faits avérés. Bien que l'intimée ait fait valoir que la question visée par l'appel était une question à laquelle on devait répondre par « oui » ou par « non », soit celle de savoir si les activités répondaient aux critères de la RS et DE (paragraphe 15 des observations écrites de l'intimée), mes motifs indiquaient clairement que mes conclusions étaient fondées sur la preuve orale et documentaire. L'appelante a eu gain de cause, mais pas sur le seul fondement d'une conclusion de droit pour laquelle il n'y avait qu'une seule réponse. En fait, les offres de règlement de l'appelante visaient des montants de dépenses admissibles qui étaient inférieurs au montant total des dépenses admissibles en cause.

[12]        Je conclus qu'il n'y a rien dans le présent appel qui aurait empêché l'intimée de participer au processus de négociation que l'appelante a lancé le 2 mai 2014, près d'un an avant le début de l'audition de l'appel. À l'appui de son projet, l'appelante s'est engagée dans un certain nombre d'activités différentes qui, selon elle, relèvent de la RS et DE. L'intimée a fait valoir qu'elle n'a pas fait d'offre de règlement en partie à cause de l'insuffisance des documents. L'appelante a fait deux offres de règlement différentes, dont chacune était pour des montants qui étaient inférieurs au montant total des dépenses admissibles en cause. C'est justement pour ces raisons que l'intimée aurait dû participer au processus de négociation en prévision du fait que la Cour pouvait soupeser la preuve orale et documentaire, ce qui s'est effectivement produit. Il était possible de négocier au sujet du montant des dépenses admissibles, ce qui distingue le présent appel d'autres appels (CIBC World Markets Inc. c. La Reine, 2012 CAF 3, [2012] A.C.F. no 30 (QL)).

[13]        Outre le facteur des offres de règlement, l'appelante a complètement eu gain de cause et les montants en cause étaient importants pour ses activités commerciales. Ces deux facteurs justifient des dépens plus élevés. Cependant, même si la résolution favorable des questions était importante pour l'appelante, l'importance des questions soulevées dans le présent appel sur l'état général du droit était minime. Ma conclusion était fondée principalement sur des constatations de fait, et donc ce facteur seul ne justifie pas des dépens plus élevés ou est neutre. Si on compare l'appel à des appels semblables touchant des activités de recherche et de développement, je pense que le volume de travail serait comparable. Ces activités ont tendance à être très techniques et nécessitent une préparation intensive. Bien que l'intimée laisse entendre que l'appelante s'est appuyée sur quatre témoins pour compenser l'insuffisance des documents, l'argument contraire reste tout aussi valable : que l'appelante a dû compter sur ses témoins pour fournir des explications sur les activités et ses documents. L'intimée a également fait valoir que, puisque l'appelante a passé beaucoup de temps à la préparation de son expert proposé, que je n'ai pas reconnu comme témoin expert au début de l'audience, cela ne devrait pas être un facteur justifiant des dépens plus élevés. Cependant, l'établissement de la compétence d'un expert par la Cour constitue l'une des incertitudes du processus judiciaire et l'une des décisions que les avocats prennent lors de la préparation de l'appel du client.

[14]        Je suis d'avis qu'il est raisonnable dans les circonstances d'adjuger des dépens majorés, soit 95 % des frais facturés pour la période allant du 2 mai 2014 à aujourd'hui. Cette conclusion se fonde principalement sur la volonté manifeste de l'appelante de négocier un règlement, le caractère raisonnable de ces offres, le refus de l'intimée de participer de quelque manière significative que ce soit au processus de négociation en vue d'un règlement et, enfin, l'accueil de l'appel de l'appelante.

[15]        Par conséquent, j'adjuge à l'appelante des dépens équivalant à 95 % de ses frais et débours facturés du 2 mai 2014 à la date du dépôt des observations à l'égard de la présente requête, ainsi que les dépens selon le tarif pour un appelant ayant entièrement eu gain de cause pour tout ce qui précède le 2 mai 2014.

[16]        J'ai une dernière observation à formuler en ce qui concerne le traitement par l'intimée des factures payables par l'appelante qui étaient jointes à titre de pièces à l'affidavit accompagnant l'avis de requête. L'intimée, dans sa réponse à la requête de l'appelante, aux paragraphes 32 à 35, a fait valoir que ces factures ne comportaient pas assez de détails pour déterminer si un ou plusieurs avocats ont effectué les travaux, quel était le taux horaire, ou quel était le temps consacré à chaque tâche. Je suis entièrement d'accord avec l'intimée que ces factures étaient insuffisantes pour justifier adéquatement une telle requête. Cela aurait eu une incidence sur le pourcentage de l'adjudication des dépens si l'intimée n'avait pas alors demandé, dans ses observations, que l'appelante dépose des factures plus détaillées à la Cour. Le 27 janvier 2016, conformément à la demande de l'intimée, l'appelante a déposé ces factures détaillées. L'intimée aurait dû, à tout le moins, contester le dépôt ultérieur de factures plus détaillées. Si la requête avait été entendue en cour et non par voie d'observations écrites, je n'aurais pas permis d'ajournement afin que l'appelante puisse rectifier ses pièces justificatives.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de février 2016.

La juge Campbell

 


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 50

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-4645(IT)G

INTITULÉ :

ACSIS EHR (Electronic Health Record) Inc. c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 8, 9 et 10 avril 2015

MOTIFS CONCERNANT LES OBSERVATIONS AU SUJET DES DÉPENS :

L'honorable juge Diane Campbell

DATE DES MOTIFS CONCERNANT LES OBSERVATIONS AU SUJET DES DÉPENS :

Le 26 février 2016

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Me Megan Seto

 

Avocates de l'intimée :

Me Dominique Gallant

Andrea MacNevin (stagiaire)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Me Megan Seto

 

Cabinet :

McInnes Cooper

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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