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Dossier : 2013-2834(IT)G

ENTRE :

UNIVAR HOLDCO CANADA ULC,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 8 juin 2015, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Valerie Miller


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Matthew G. Williams

Me Michael Colborne

Avocats de l’intimée :

Me Ronald MacPhee

Me Tamara Watters

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la nouvelle cotisation établie sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 de l’appelante est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

          Les dépens sont accordés à l’intimée.


Signé à Toronto (Ontario), ce 22e jour de juin 2016.

« V.A. Miller »

Juge Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de juin 2017.

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016 CCI 159

Date : 20160622

Dossier : 2013-2834(IT)G

ENTRE :

UNIVAR HOLDCO CANADA ULC,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge V.A. Miller

INTRODUCTION

[1]             La présente affaire met en jeu la disposition anti-évitement de l’article 212.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et la définition donnée à son article 89 de l’expression « capital versé » (« CV »).

[2]             CVC Capital Properties (« CVC »), société britannique de financement par capitaux propres, a fait l’acquisition en 2007 d’une société ouverte néerlandaise dénommée Univar NV. Dans le cadre de cette acquisition, CVC a indirectement acquis une filiale active canadienne d’Univar NV dont le surplus dépassait 889 000 000 $. CVC a effectué une série d’opérations visant à dépouiller cette filiale canadienne de son surplus sans avoir à subir de retenue d’impôt. L’appelante est la société de portefeuille utilisée pour atteindre l’objectif de cette série d’opérations.

[3]             CVC a organisé les opérations en cause de manière à contourner l’application de la disposition anti-évitement de l’article 212.1 de la Loi et à profiter de la disposition d’allégement de son paragraphe 212.1(4).

[4]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi la cotisation de l’appelante pour son année d’imposition 2007 en se fondant sur la règle générale anti-évitement (la « RGAE ») énoncée à l’article 245 de la Loi. Les avocats de l’appelante ont reconnu que les opérations en cause avaient produit un « avantage fiscal » aux fins du paragraphe 245(1) de la Loi et qu’il y avait eu « opération d’évitement » selon la définition que donne de cette expression son paragraphe 245(3). La seule question que la Cour avait à trancher était celle de savoir si les opérations considérées avaient entraîné un « évitement fiscal abusif », c’est-à-dire un « abus » au sens du paragraphe 245(4) de la Loi.

[5]             J’ai conclu que les opérations en cause avaient contourné l’application de la disposition anti-évitement de l’article 212.1 « d’une manière contraire à l’objet ou à l’esprit » de ce même article en général et du paragraphe 212.1(4) en particulier; voir l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 45.

RAPPEL DES FAITS

[6]             La preuve dont la Cour disposait à l’audience consistait dans les éléments suivants : un exposé conjoint partiel des faits; le témoignage de M. Alexander Fotakidis, administrateur délégué principal de l’équipe de financement de CVC Capital Partners (« CVC »); un recueil conjoint de documents en deux volumes; le mémoire relatif à la question en litige dans le présent appel adressé au comité de la RGAE à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »); et des extraits des interrogatoires préalables des deux parties.

[7]             L’exposé conjoint partiel des faits est joint en appendice aux présents motifs. On trouvera ci-dessous un résumé de cet exposé et une récapitulation de la preuve produite à l’audience.

[8]             CVC est une société britannique de financement par capitaux propres dont le centre d’opérations est sis à Londres. C’est au début de 2007 qu’elle a décidé de faire l’acquisition d’Univar NV.

[9]             Univar NV, société ouverte régie par le droit néerlandais, distribue des produits chimiques de base et de spécialité sur le marché mondial. Sa principale activité consiste à acheter des produits en gros ou en vrac, puis à les traiter, les mélanger et les conditionner selon les besoins respectifs des secteurs où opèrent ses clients. Univar NV exploite un réseau mondial de centres de distribution, sis entre autres aux États-Unis, au Canada, en Europe et en Chine.

[10]        La société à responsabilité illimitée Univar Holdco Canada ULC (ci-après l’« appelante » ou, parfois, « UHC ») était l’une des entités contrôlées, directement ou indirectement, par Univar NV. UHC a été constituée en société régie par le droit albertain le 21 septembre 2007 en prévision de la réorganisation qui allait suivre. L’avocat de l’appelante a déclaré dans ses conclusions qu’UHC avait été constituée pour jouer le rôle d’une société d’acquisition de facto.

[11]        En mars ou avril 2007, dans le cadre du contrôle préalable à l’acquisition projetée d’Univar NV, CVC et son véhicule pour cette acquisition, Ulysses Luxembourg SARL (« Ulysses »), ont consulté Deloitte Touche Tohmatsu Limited (« Deloitte ») concernant certains services de fiscalité. D’après le témoignage de M. Fotakidis, cette vérification fiscale préalable comprenait deux éléments : l’examen des impôts eux-mêmes, notamment des impôts à payer par Univar NV et ses filiales, et la structuration fiscale.

[12]        Deloitte a donné des conseils détaillés sur la restructuration d’Univar NV après acquisition. Les mesures ainsi conseillées comprenaient les opérations en cause dans le présent appel. Selon le témoignage de M. Fotakidis, CVC a mis en pratique les conseils de Deloitte en juillet 2007 afin d’obtenir le financement souhaité pour l’acquisition. CVC a ainsi pu faire une offre d’achat ferme à Univar NV le 9 juillet 2007 : elle lui proposait 1,5 milliard d’euros (soit environ 2,1 milliards de dollars américains à raison de 72,76 $ par action) pour ses actions et celles de ses filiales. Cette offre était subordonnée au dépôt d’au moins 95 % des actions en circulation d’Univar NV et à toutes les approbations réglementaires nécessaires.

[13]        CVC a annoncé le 20 août 2007 une offre d’achat en bonne et due forme visant la totalité des actions d’Univar NV.

[14]        Le cabinet Deloitte a formulé les conditions auxquelles il offrait de fournir des services déterminés de fiscalité à CVC et à Ulysses dans une lettre en date du 6 septembre 2007. Cette lettre exposait les modalités du contrat qui lierait les parties à l’égard de l’acquisition projetée d’Univar NV et de ses filiales. Deloitte devait présenter ses conseils dans un [traduction] « Rapport final », qu’il a achevé le 11 octobre 2007.

[15]        La Commission européenne a approuvé l’acquisition susdite le 18 septembre 2007.

[16]        Au 4 octobre 2007, Ulysses avait acquis 97,2 % des actions en circulation d’Univar NV, de sorte que CVC et le groupe de sociétés Univar se trouvaient dorénavant unis par un lien de dépendance.

[17]        À la fin d’octobre 2007, Ulysses avait acquis 99,4 % des actions en circulation d’Univar NV, si bien que CVC a effectivement pris possession d’Univar NV en 2007. M. Fotakidis a expliqué qu’Univar NV était la seule société du groupe dont les actions fussent inscrites à la bourse, de sorte qu’en faisant l’acquisition d’Univar NV, CVC avait aussi acquis le groupe Univar. Toujours au dire de M. Fotakidis, on n’avait pas vraiment envisagé d’acquérir les sociétés exploitantes du groupe prises isolément parce qu’elles n’avaient pas d’actions cotées qu’on pût acheter. En outre, si CVC avait dû acquérir les sociétés exploitantes une à une, la valeur, la rapidité et la certitude de l’offre en auraient souffert.

[18]        Afin d’obtenir le financement souhaité, a expliqué M. Fotakidis, CVC s’était engagée auprès des banques, en juillet 2007, à effectuer la réorganisation en cause dans le présent appel. Les banques qui ont pris en charge ce financement l’ont fait sur la base de l’actif et des résultats consolidés d’Univar. Du fait des engagements pris auprès des banques, il fallait [TRADUCTION] « aligner » la totalité de l’actif du groupe Univar derrière le prêteur américain.

[19]        L’avocat de l’intimée a demandé à M. Fotakidis en contre-interrogatoire si l’un des objectifs d’ensemble du financement était de permettre l’accès aux surplus de la filiale canadienne aux fins du remboursement de la dette. Le témoin a répondu que l’un de ces objectifs consistait à établir [TRADUCTION] « la structure fiscale optimale » et [TRADUCTION] « la structure de retrait optimale » sous le rapport de la distribution d’espèces, et en fin de compte d’amortir la dette. M. Fotakidis a expliqué qu’il entendait deux choses par « la structure fiscale optimale » : premièrement, la possibilité de distribuer régulièrement des réserves ou des espèces, suivant un rythme trimestriel plutôt que semi-annuel, afin d’amortir la dette; et deuxièmement, pour ce qui concerne le coût, la possibilité de réduire au minimum les retenues d’impôt et autres dépenses afférentes au retrait d’espèces hors du Canada.

[20]        Deloitte a présenté le 11 octobre 2007 le rapport final afférent à son [TRADUCTION] « Mémoire sur la structure fiscale », dans le cadre de ce qu’il avait baptisé le [TRADUCTION] « Projet Monaco ». Les principaux objectifs fiscaux énumérés dans ce rapport étaient les suivants :

        Maximiser les déductions pour intérêts sur la dette relative à l’acquisition des entités et actif considérés.

        Optimiser la garantie des prêteurs sur l’actif et les flux de trésorerie.

        Réduire au minimum les retenues d’impôt sur les rendements des commanditaires.

        Permettre une sortie flexible en franchise d’impôt au moment de l’aliénation.

[21]        CVC a utilisé les filiales suivantes dans les opérations de réorganisation en cause :

a)     Univar Inc. – Cette société régie par le droit du Delaware a été constituée le 21 novembre 1974. Avant la réorganisation, Univar NV possédait directement ou indirectement la totalité des 468 actions ordinaires d’Univar Inc.

b)    Univar North American Corporation (« UNAC »). – UNAC était une société régie par le droit de l’État de Washington, résidente des États-Unis. Univar Inc. détenait directement ou indirectement les actions d’UNAC sur toute la durée considérée.

c)     Univar Canada Ltée (ci-après « Univar Canada ou, parfois, la « société cible »). – Société régie par le droit britanno-colombien, constituée en 1950 et résidant au Canada, Univar Canada était le plus important et le plus prospère des distributeurs canadiens de produits chimiques industriels et de produits antiparasitaires à usage agricole. Avant la réorganisation ici considérée, toutes les actions d’Univar Canada étaient détenues par UNAC; elles avaient un prix de base rajusté (« PBR ») de10 000 $[1], un CV d’environ 911 729 $ et une juste valeur marchande (« JVM ») de quelque 889 000 000 $.

[22]        Avant les opérations de réorganisation, la structure organisationnelle d’Univar NV et de ses filiales se présentait comme suit :

UNIVAR NV

            468 AO

Univar Inc (US)

UNAC (US)

Univar Canada

JVM=889 000 000 $

PBR=10 000 $

CV=911 729 $

 

[23]        L’appelante a admis avoir effectué la réorganisation d’Univar NV et de ses filiales afin de profiter du paragraphe 212.1(4) de la Loi. Les paragraphes 212.1(1) et (4) de la Loi sont ainsi libellés :

Vente d’actions avec lien de dépendance par des non-résidents

212.1 (1) Si une personne non-résidente, une société de personnes désignée ou une société de placement appartenant à des non-résidents (appelées « non-résident » au présent article) dispose d’actions (appelées « actions en cause » au présent article) d’une catégorie du capital-actions d’une société résidant au Canada (appelée « société en cause » au présent article) en faveur d’une autre société résidant au Canada (appelée « acheteur » au présent article) avec laquelle le non-résident a un lien de dépendance – autrement qu’en vertu d’un droit visé à l’alinéa 251(5)b) – et si, immédiatement après la disposition, la société en cause est rattachée (au sens du paragraphe 186(4), à supposer que les termes « société payante » et « société donnée » y soient remplacés respectivement par « société en cause » et « acheteur ») à l’acheteur, les règles suivantes s’appliquent :

a) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande de la contrepartie – sauf la contrepartie qui consiste en actions du capital-actions de l’acheteur – que le non-résident reçoit de l’acheteur pour les actions en cause sur le capital versé au titre des actions en cause immédiatement avant la disposition, est réputé être, pour l’application de la présente loi, un dividende versé au moment de la disposition par l’acheteur au non-résident et reçu, à ce moment, par le non-résident de l’acheteur;

b) dans le calcul du capital versé, à un moment donné après le 31 mars 1977, d’une catégorie donnée d’actions du capital-actions de l’acheteur, il faut déduire le produit de la multiplication de l’excédent éventuel du montant de l’augmentation, à la suite de la disposition, dans le capital versé, calculé compte non tenu du présent article tel qu’il s’applique à la disposition, à l’égard de toutes les actions du capital-actions de l’acheteur sur l’excédent du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :

(i) le capital versé à l’égard des actions en cause immédiatement avant la disposition,

(ii) la juste valeur marchande de la contrepartie visée à l’alinéa a),

par le rapport entre l’augmentation, à la suite de la disposition, dans le capital versé, calculé compte non tenu du présent article tel qu’il s’applique à la disposition, à l’égard de la catégorie donnée d’actions, et l’augmentation, à la suite de la disposition, dans le capital versé, calculé compte non tenu du présent article tel qu’il s’applique à la disposition, à l’égard de toutes les actions émises du capital-actions de l’acheteur.

[…]

Non-application de l’article

(4)  Malgré le paragraphe (1), le présent article ne s’applique pas aux dispositions, faites par une société non-résidente, d’actions de la société en cause en faveur de l’acheteur qui, immédiatement avant la disposition, contrôlait la société non-résidente.

[24]        Le paragraphe 212.1(1) s’applique lorsqu’un non-résident vend des actions d’une société résidant au Canada (la « société cible ») à une autre société résidant au Canada (l’« acheteur ») avec laquelle il a un lien de dépendance au moment de la disposition. Lorsque cet article s’applique, le capital versé (« CV ») des actions de l’acheteur est limité au CV historique de la société cible. Si le vendeur non-résident reçoit une contrepartie autre qu’en actions qui dépasse le CV de la société cible, l’excédent est réputé être un dividende qui lui est versé, et ce dividende est soumis à une retenue d’impôt.

[25]        Le paragraphe 212.1(4) est quant à lui une disposition d’allégement. Il dispose que le paragraphe 212.1(1) ne s’applique pas lorsque la société non-résidente est contrôlée par l’acheteur (société résidant au Canada) immédiatement avant la vente des actions à la société en cause.

[26]        En l’espèce, la série d’opérations considérée visait à permettre de contourner l’application du paragraphe 212.1(1) et de profiter de l’exonération que porte le paragraphe 212.1(4). Comme il appert de la série d’opérations décrite ci-dessous, lorsque CVC a acheté Univar NV, celle-ci et ses filiales concernées se trouvaient dans une relation de type « intercalaire », de sorte qu’Univar Canada était contrôlée par la société non-résidente Univar Inc. Après une série de manœuvres artificielles, les filiales concernées se trouvaient encore dans une relation du même type; Univar Inc. contrôlait toujours Univar Canada, mais cette dernière avait été dépouillée de ses surplus.

A. La série d’opérations en cause

[27]        Il est acquis aux débats que les sociétés qui ont participé à la série d’opérations en cause avaient bel et bien un lien de dépendance entre elles.

[28]        Univar Holdco Inc. (« UHI ») a été constituée en septembre 2007, comme société résidente des États-Unis, en prévision de la réorganisation projetée. Filiale en propriété exclusive d’Univar NV, elle ne disposait que d’un capital-actions nominal.

[29]        En septembre 2007, UHI a constitué l’appelante UHC comme filiale résidente du Canada, reprenant des actions à PBR nominal. Comme on l’a vu plus haut, l’appelante a aussi été constituée en prévision de la réorganisation qui allait suivre. À aucun moment elle n’a eu de salariés.

[30]        Le 12 octobre 2007, UNAC a fusionné avec Univar Inc. pour former Univar Inc., qui a ainsi acquis la totalité des actions d’Univar Canada, la société cible. UNAC a signifié son choix touchant la disposition des actions d’Univar Canada en faveur d’Univar Inc. dans le cadre de la fusion en produisant une déclaration T2062 (Demande par un non-résident du Canada d’un certificat de conformité relatif à la disposition d’un bien canadien imposable), où elle a déclaré un gain en capital net égal à zéro :

Produit de la disposition

889 413 400 $

Moins

 

PBR

10 000 $

Gain en capital

889 403 400 $

Exemption prévue à l’article XIII

 

de la Convention fiscale Canada-É.-U.

889 403 400 $

Gain en capital net

Zéro

 

[31]        Le groupe Univar s’est trouvé en conséquence restructuré comme suit :

>

 

UNIVAR NV

UHI   (US)

 

468 AO

$

 

$

$

 

Univar Inc.   (US)

(Amalco)

$

PBR/CV/JVM nominaux

 

$

UHC  

(appelante)

 

PBR = 889 413 400 $

$      JVM = 889 413 400 $

CV = 911 729 $

 

 

  Univar Canada

 

[32]        Le 18 octobre 2007, les opérations suivantes ont été exécutées :

       i.            Univar NV a vendu à UHI 244,6 des actions ordinaires qu’elle détenait dans Univar Inc., en contrepartie d’un billet à ordre dont le principal s’élevait à 415 000 000 $US et d’actions ordinaires (« AO ») à JVM de 406 000 000 $US, ce qui faisait une contrepartie totale de 821 000 000 $US (800 967 600 $).

     ii.            L’appelante, UHC, a alors acquis les 244,6 actions d’Univar Inc. qu’UHI avait achetées à Univar NV, ainsi que les 223,4 actions d’Univar Inc. que détenait Univar NV, en échange de billets à ordre et d’actions d’UHC, dont les valeurs sont indiquées dans le tableau suivant :

Nombre d’actions d’Univar Inc. :

223,4

244,6

    Provenance :

Univar NV

UHI

    En échange

 

 

        de billets à ordre :

731 700 000 $

589 262 400 $

        d’actions d’UHC :

 

211 705 200 $

 

731 700 000 $

800 967 600 $

 

[33]        Il en est résulté la structure suivante :

 

UNIVAR NV

 

$

(1)     BILLET = 415 000 000 $US

ACTIONS = 406 000 000 $US

 

 

UHI  (US)

 

$

(2)     BILLET = 589 262 400 $

ACTIONS/CV = 211 705 200 $

 

(3) BILLET : 731 700 000 $

 

UHC 

(appelante)

 

$

244,6 AO PBR = 800 967 600 $

223,4 AO PBR = 731 700 000 $

468 AO PBR = 1 532 667 600 $

 

 

Univar Inc. (US)

 

$

PBR/JVM = 889 413 400 $

CV = 911 729 $

 

 

Univar Canada 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[34]        UHI a ensuite pris en charge le billet de 731 700 000 $ émis par l’appelante, UHC, à l’ordre d’Univar NV en souscrivant d’autres actions ordinaires de l’appelante, évaluées à 731 700 000 $. Par conséquent, l’appelante avait des actions ordinaires en circulation détenues par UHI avec un CV de 943 405 200 $ et une dette de 589 262 400 $, comme l’illustre le tableau suivant :

 

UNIVAR NV

 

$

(1)    BILLET =415 000 000 $US

AO = 406,000,000 $US

(3) BILLET : 731 700 000 $

 

 

UHI  (US)

 

$

(2)     BILLET = 589 262 400 $

ACTIONS = 211 705 200 $

ACTIONS = 731 700 000 $

CV = 943 405 200 $

 

 

 

UHC  

(appelante)

 

$

244,6 AO PBR  = 801 000 000 $

223,4 AO PBR = 731 700 000 $

468 AO PBR = 1 532 700 000 $

 

 

Univar Inc. (US)

 

$

PBR/JVM = 889 413 400 $

CV = 911 729 $

 

 

Univar Canada  

 

 

 

 

[35]        Univar Inc. a ensuite racheté 273 de ses 468 actions ordinaires détenues par l’appelante, UHC, et a payé le produit du rachat (891 698 400 $) en livrant à celle-ci la totalité des 627 actions ordinaires d’Univar Canada, à la JVM. Cette opération a été déclarée comme suit dans le formulaire T2062 :

Produit de la disposition

891 698 400 $  

Prix de base rajusté

889 413 400 $

Gain en capital

2 285 000 $[2]

Exemption prévue à l’article XIII

 

de la Convention fiscale Canada-É.-U.

2 285 000 $

Gain en capital net

Zéro

 

[36]        L’appelante soutient que le paragraphe 212.1(1) ne s’applique pas à cette disposition, au motif qu’Univar Inc., la société non-résidente, était contrôlée par l’acheteur (soit l’appelante elle-même) immédiatement avant ladite disposition, de sorte que les deux sociétés intéressées relèvent de l’exception prévue au paragraphe 212.1(4).

[37]        La nouvelle structure ainsi obtenue se présentait comme suit :

                  

 

UNIVAR NV

 

 

(1)     BILLET=415 000 000$US

$                 AO  406 000 000 $US

(3)  BILLET=731 700 000 $

 

 

UHI  (US)

 

 

(2)     BILLET=589 262 400 $

$         ACTIONS=211 705 200 $

ACTIONS=731 700 000 $

CV=943 405 200 $

 

 

UHC

(appelante)

>

                

 

   195 AO =  640 969 200 $$

 

 

$      

 

PBR/JVM = 891 698 400 $

CV=911 729 $

Univar Inc.

(US)

 

Univar Canada

 

[38]        L’appelante, UHC, a ensuite autorisé l’attribution à UHI de 195 actions ordinaires d’Univar Inc. d’une valeur totale de 640 969 200 $ à titre de remboursement de capital et elle a effectué la réduction en livrant ces actions. Par conséquent, le CV des actions ordinaires de l’appelante détenues par UHI a été réduit à 302 436 000 $. Univar Canada s’est ainsi trouvée isolée sous l’appelante, de sorte que la structure est devenue la suivante :

 

 

UNIVAR NV

 

 

(1)     BILLET=415 000 000 $US

$ (3) BILLET=731 700 000 $US

AO=406 000 000 $US

>

 

UHI  (US)

195 actions = 640 969 200 $$

 

$

 

Univar Inc.

(US)

 

$

 

 

(2)     BILLET=589 262 400 $

ACTIONS/CV=302 436 000 $

 

 

UHC

(appelante)

 

 

$PBR/JVM=891 698 400 $

CV=911 729 $

 

 

Univar Canada

 

[39]        Le 19 octobre 2007, Univar Inc. et UHI ont fusionné pour former une société aussi dénommée Univar Inc. Il en est résulté cette structure :

UNIVAR NV

(1)     BILLET= 415 000 000 $US

$     (3)  BILLET=731 700 000 $

AO=406 000 000 $

UHI  (US)

Fusion

Univar Inc (US)

(2)     BILLET=589 262 400 $

$   ACTIONS/CV=302 436 000 $

UHC

(appelante)

         PBR=891 698 400 $

$     CV=911 729 $

         JVM=891 698 400 $

Univar Canada

[40]        Après la réorganisation, Univar Inc. détenait des actions de l’appelante dont le CV s’élevait à 302 436 000 $, ainsi qu’un billet de 589 262 400 $ souscrit par cette dernière. Le total du CV et du billet à ordre était égal à la JVM de l’unique actif de l’appelante, soit Univar Canada.

[41]        Ainsi que le montrent les opérations décrites ci-dessus et que l’a confirmé M. Fotakidis, aucune action d’Univar Canada n’a été vendue et aucune somme n’est entrée au Canada pour augmenter le CV de ses actions. Aucun investissement n’a donc été fait au Canada par suite de l’acquisition d’Univar NV par CVC ou de la réorganisation. CVC a structuré la réorganisation de manière à éviter la création d’un dividende réputé sous le régime du paragraphe 212.1(1) de la Loi et à profiter de l’exonération que porte son paragraphe 212.1(4).

LA NOUVELLE COTISATION

[42]        Le 18 février 2013, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2007 de l’appelante (UHC) en se fondant sur la RGAE. Il lui a ainsi fixé en vertu de la partie XIII un impôt, plus les intérêts y afférents, sur l’émission de son billet de 589 262 400 $ à l’ordre d’UHI. Le CV des actions de l’appelante est alors passé de 302 436 000 $ à 911 729 $. L’impôt établi s’élevait à 29 417 533,55 $.

[43]        Le ministre a invoqué la RGAE pour les motifs suivants :

                        i.          le contribuable avait effectué une série d’opérations dont certaines n’avaient pas d’objets véritables, mais visaient seulement à lui procurer l’avantage fiscal d’une rentrée en franchise d’impôt de sommes en excédent du capital apporté à Univar Canada, société canadienne, par le moyen d’un transfert indirect, entre parties ayant un lien de dépendance, à une autre société canadienne;

                   ii.            ces opérations avaient contourné l’article 212.1 de la Loi, et entraîné un abus dans l’application de celui-ci, de même que, directement ou indirectement, un abus dans l’application des dispositions de la Loi lues dans leur ensemble.

LE DROIT APPLICABLE

[44]        La RGAE est formulée dans les termes suivants à l’article 245 de la Loi :

245 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

avantage fiscal Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal. (tax benefit)

attribut fiscal S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable. (tax consequences)

opération Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement. (transaction)

            Disposition générale anti-évitement

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

            Opération d’évitement

(3) L’opération d’évitement s’entend :

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

            Application du par. (2)

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(i) la présente loi,

(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

(iv) un traité fiscal,

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

[45]        La Cour suprême a exposé dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada la méthode à suivre et les principes à appliquer par les tribunaux dans l’examen des cotisations établies sous le régime de l’article 245 de la Loi. Elle a résumé son analyse comme suit au paragraphe 66 de cet arrêt :

66 L’approche relative à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu peut se résumer ainsi.

1. Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s’applique :

(1) il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2));

(2) l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable – l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

(3) il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

2. Il incombe au contribuable de démontrer l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième condition.

3. S’il n’est pas certain qu’il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable.

4. Les tribunaux doivent effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions qui génèrent l’avantage fiscal afin de déterminer pourquoi elles ont été édictées et pourquoi l’avantage a été conféré. Le but est d’en arriver à une interprétation téléologique qui s’harmonise avec les dispositions de la Loi conférant l’avantage fiscal, lorsque ces dispositions sont lues dans le contexte de l’ensemble de la Loi.

5. La question de savoir si les opérations obéissaient à des motivations économiques, commerciales, familiales ou à d’autres motivations non fiscales peut faire partie du contexte factuel dont les tribunaux peuvent tenir compte en analysant des allégations d’évitement fiscal abusif fondées sur le par. 245(4). Cependant, toute conclusion à cet égard ne constituerait qu’un élément des faits qui sous-tendent l’affaire et serait insuffisante en soi pour établir l’existence d’un évitement fiscal abusif. La question centrale est celle de l’interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet.

6. On peut conclure à l’existence d’un évitement fiscal abusif si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l’objet ou à l’esprit des dispositions censées conférer l’avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions.

7. Si le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

[46]        En l’espèce, l’appelante a admis qu’il y avait eu « avantage fiscal » du fait, d’une part, de l’évitement de l’impôt prévu à la partie XIII qui se serait appliqué à l’attribution du montant de 589 262 400 $ et, d’autre part, de l’augmentation du CV, et qu’il y avait eu « opération d’évitement » selon la définition que donne de cette expression le paragraphe 245(3) de la Loi.

[47]        Par conséquent, la seule question en litige est celle de savoir si les opérations d’évitement qui ont procuré l’avantage fiscal au contribuable ont entraîné directement ou indirectement un abus dans l’application de l’article 212.1 et des dispositions connexes de la Loi lues dans leur ensemble. La charge pèse sur l’intimée d’établir l’existence d’un abus au titre du paragraphe 245(4).

LA THÈSE DE L’APPELANTE

[48]        L’appelante soutient que la RGAE ne s’applique pas à la présente affaire, au motif que les opérations en cause n’allaient pas à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’article 212.1. Les auteurs de ces opérations avaient pour objectif de profiter de la disposition d’allégement du paragraphe 212.1(4) de la Loi.

[49]        L’article 212.1 ne s’applique qu’aux dispositions où le vendeur et l’acheteur ont un lien de dépendance. La volonté d’interdire à un actionnaire l’accès aux bénéfices non répartis d’une société se limite au cas où cet actionnaire continue de contrôler, directement ou indirectement, la société dans laquelle le surplus a été gagné. Les acheteurs sans lien de dépendance avec le vendeur n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 212.1 de la Loi.

[50]        L’avocat de l’appelante fait valoir dans son mémoire que l’objet législatif sous-jacent à l’article 212.1 est d’empêcher les réorganisations [TRADUCTION] « incestueuses » qui ont pour effet un retrait de surplus sans que change la présomption de propriété. Cet article, ajoute-t-il, ne regarde pas la manière dont un acheteur véritable structure une acquisition dans des conditions de concurrence normales.

[51]        Selon l’appelante, la réorganisation du groupe Univar a été exécutée dans le contexte d’une acquisition dans des conditions de concurrence normales. Il ne s’agissait pas du cas où un groupe de sociétés aurait décidé de se réorganiser afin d’avoir accès à son surplus accumulé au Canada. Le but de la réorganisation était de donner à CVC, l’acheteur sans lien de dépendance avec le vendeur, l’accès au surplus acquis au Canada.

[52]        L’avocat de l’appelante a expliqué que la structure d’acquisition idéale aurait été que CVC acquît Univar Canada, la société cible, par l’intermédiaire d’une société de portefeuille canadienne entièrement capitalisée pour effectuer l’achat. Cette formule aurait permis à Univar Canada de verser un dividende intersociétés en franchise d’impôt à la société de portefeuille, qui aurait pu à son tour rembourser des capitaux en franchise d’impôt à CVC, l’acheteur non-résident.

[53]        Étant donné les circonstances de l’espèce, d’après l’appelante, l’utilisation d’une société d’acquisition canadienne n’était pas praticable, et il fallait recourir à un autre moyen pour obtenir le même résultat.

[54]        C’est dans le contexte de la vente entre parties sans lien de dépendance d’Univar NV à CVC que l’on s’est appuyé sur la disposition d’allégement du paragraphe 212.1(4). Ce paragraphe a été interprété, dès l’étape de la préparation de l’acquisition d’Univar NV, comme une mesure d’allégement à l’encontre de l’application du paragraphe 212.1(1).

[55]        Le paragraphe 212.1(4) exigeait que l’acheteur (l’appelante) résidât au Canada et contrôlât le vendeur non-résident immédiatement avant la disposition. Or, tel était le cas en l’espèce. Il se déduit de la RGAE, selon l’appelante, que les opérations entre parties ayant un  lien de dépendance qui remplissent les critères du paragraphe 212.1(4) sont exclues du champ d’application du paragraphe 212.1(1).

LA THÈSE DE L’INTIMÉE

[56]        L’intimée fait valoir que les opérations effectuées par Univar NV avaient pour objectif de permettre d’éviter l’application du paragraphe 212.1(1) de la Loi et de profiter de la disposition d’allégement de son paragraphe 212.1(4). Ces opérations ont entraîné un évitement fiscal abusif, au motif qu’elles se fondaient sur l’article 212.1 d’une manière contraire à son objet et à son esprit; voir l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité, au paragraphe 45.

[57]        L’avocat de l’intimée a fait observer que l’article 212.1 regroupe des dispositions anti-évitement visant le [TRADUCTION] « dépouillement par dividendes ». Bien que la Loi ne contienne aucune règle générale contre le dépouillement de surplus, la Cour suprême a conclu en termes clairs dans l’arrêt Copthorne Holdings Ltd c. Canada, 2011 CSC 63 (ci-après désigné l’arrêt Copthorne (CSC)), que la Loi établit un régime en matière de CV, et que l’article 212.1 fait partie intégrante de ce régime et ne peut en être dissocié.

[58]        La Loi définit le CV à son article 89.

[59]        L’intimée a proposé une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des articles 212.1 et 89. Elle en a conclu que l’objet et l’esprit de l’article 212.1 consistent à empêcher l’attribution en franchise d’impôt des bénéfices non répartis d’une société à une société non-résidente par le moyen d’opérations conçues pour distribuer des sommes en excédent de l’investissement initial.

[60]        L’intimée a conclu son mémoire dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

94.       Au début de la série d’opérations, le montant qui pouvait être rapatrié à partir du Canada en franchise d’impôt était insignifiant. À la fin de cette série d’opérations, des surplus d’environ 899 000 000 $ étaient disponibles pour attribution à un non-résident sans conséquences fiscales au Canada.

95.       Le contribuable non-résident a pu avoir accès à des surplus sans conséquences fiscales au Canada par le moyen d’un transfert entre parties ayant un lien de dépendance d’une société canadienne à une autre société canadienne, comme le montre la structure organisationnelle du groupe tel qu’elle se présentait à la fin de la série d’opérations. De toute évidence, la réorganisation a été exécutée dans le but de contourner l’application de l’article 212.1, et elle allait à l’encontre de l’objet de celui-ci et du régime de la Loi en matière de CV tel que l’a défini la Cour suprême dans l’arrêt Copthorne. Par conséquent, la série d’opérations en cause a entraîné un abus des dispositions applicables de la Loi lues dans leur ensemble.

ANALYSE

[61]        La Cour suprême a récapitulé comme suit dans l’arrêt Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, les principes formulés dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada touchant les « abus » que veut empêcher le paragraphe 245(4) :

[40]      Suivant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Trustco Canada, une opération d’évitement peut entraîner un abus dans l’application de la Loi de trois façons : a) elle donne lieu à un résultat que les dispositions invoquées visent à empêcher, b) elle va à l’encontre de la raison d’être de ces dispositions ou c) elle contourne l’application de certaines dispositions de manière à contrecarrer leur objet ou leur esprit (Trustco Canada, par. 45). Une ou plusieurs de ces conditions peuvent être remplies dans un cas donné. Il importe de rappeler que dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis, déterminer s’il y a eu abus ou non dans l’application de l’une ou l’autre des dispositions invoquées exige que chacun des avantages fiscaux soit considéré séparément, mais toujours dans le contexte de la série en entier et en gardant présent à l’esprit que chacune d’elles peut avoir des répercussions sur les autres.

[62]        Le paragraphe 245(4) exige une analyse en deux étapes. La première consiste à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi invoquées pour obtenir l’avantage fiscal. À cette étape, je dois prendre en considération l’économie de l’ensemble de la Loi, les dispositions applicables et les moyens extrinsèques auxquels il m’est permis de recourir. La seconde étape consiste à examiner le contexte factuel du présent appel afin d’établir si l’opération d’évitement en cause allait à l’encontre de l’objet ou de l’esprit des dispositions applicables : voir l’arrêt  Hypothèques Trustco Canada, précité, au paragraphe 55. La méthode à suivre est une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi dont procède l’avantage fiscal : voir l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité, au paragraphe 66.

[63]        Les dispositions de la Loi applicables au présent appel sont celles de l’article 212.1 et du paragraphe 89(1). Celui-ci définit l’expression « capital versé », qui est employée à l’article 212.1.

[64]        L’article 84.1 est l’équivalent d’application intérieure de l’article 212.1. Notre Cour a défini ces articles comme des dispositions « anti-évitement » conçues pour empêcher le « dépouillement par dividendes » : voir la décision Collins & Aikman Products Co c. La Reine, 2009 CCI 299, aux paragraphes 55 et 105, conf. par 2010 CAF 251.

[65]        Dans un article intitulé « The 1977 Amendments to the Corporate Distribution Rules » (1978), 16:1 Osgoode Hall LJ 155, à la page 181, Blake Murray a défini comme suit le dépouillement par dividendes :

[TRADUCTION]

 En théorie, peut être considérée comme un dépouillement par dividendes toute opération d’un contribuable mettant en jeu les actions d’une société canadienne, qui entraîne directement ou indirectement l’attribution à ce contribuable de tout ou partie du surplus de cette société pour un coût en impôt inférieur à l’impôt qui serait autrement à payer sur un dividende de ce surplus servi audit contribuable.

[66]        Je prends acte que la Loi ne comporte pas de « politique générale » interdisant le dépouillement par dividendes et qu’il est de jurisprudence constante que le dépouillement de surplus ne constitue pas en soi un évitement fiscal abusif; voir la décision Gwartz c. La Reine, 2013 CCI 86, aux paragraphes 63 à 65. Dans la décision Copthorne c. La Reine, 2007 CCI 481, le juge Campbell faisait ainsi observer ce qui suit au paragraphe 73 :

[…] La Loi renferme de nombreuses dispositions qui visent à empêcher le dépouillement du surplus, mais l’analyse fondée sur le paragraphe 245(4) doit être fermement axée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions pertinentes. Cela étant, il ne convient pas de se fonder sur une politique générale empêchant le dépouillement du surplus pour établir un évitement fiscal abusif […]

Cependant, la question en litige dans le présent appel ne fait pas intervenir une « politique générale », mais un article anti-évitement déterminé qui vise à empêcher les non-résidents de retirer des dividendes du Canada en franchise d’impôt. Toute planification fiscale visant ce but doit être conforme aux dispositions de l’article 212.1 de la Loi : voir la décision Descarries c. La Reine, 2014 CCI 75, au paragraphe 43. Il s’agit ici de savoir si le recours par l’appelante à la disposition d’allégement du paragraphe 212.1(4) s’accorde avec l’objet et l’esprit de ce paragraphe et de l’article 212.1.

A  Le texte des dispositions applicables

[67]        Le texte des dispositions applicables est un facteur à prendre en considération parce qu’il peut éclairer leur raison d’être : voir l’arrêt Copthorne (CSC), précité, au paragraphe 88.

1)    Le CV

[68]        La définition que donne de l’expression « capital versé » le paragraphe 89(1) de la Loi est ainsi libellée :

capital versé À un moment donné :

a) à l’égard d’une action d’une catégorie quelconque du capital-actions d’une société, somme égale au capital versé à ce moment, relativement à la catégorie d’actions du capital-actions de la société à laquelle appartient cette action et divisé par le nombre des actions émises de cette catégorie qui sont en circulation à ce moment;

b) à l’égard d’une catégorie d’actions du capital-actions d’une société :

[…]

(iii) lorsque le moment donné est postérieur au 31 mars 1977, somme égale au capital versé au moment donné au titre de cette catégorie d’actions, calculée compte non tenu des dispositions de la présente loi, à l’exception des paragraphes 51(3) et 66.3(2) et (4), des articles 84.1 et 84.2, des paragraphes 85(2.1), 85.1(2.1) et (8), 86(2.1) et 87(3) et (9), de l’alinéa 128.1(1)c.3), des paragraphes 128.1(2) et (3), 138(11.7), 139.1(6) et (7), 192(4.1) et 194(4.1) et des articles 212.1 et 212.3 […] [Non souligné dans l’original.]

[69]        La Loi ne définit pas expressément le CV, mais s’appuie plutôt sur le concept de capital déclaré, utilisé en droit des sociétés. Le juriste Krishna définit le CV comme le montant de capital qu’une société peut rembourser à ses actionnaires en franchise d’impôt : voir The Fundamentals of Canadian Income Tax, 9e édition, 2006, à la page 719. Le juge Rothstein a examiné dans l’arrêt Copthorne (CSC) la définition du CV et ce qu’elle doit au concept de capital déclaré. Il a formulé à ce propos les observations suivantes aux paragraphes 76 et 78 de cet arrêt :

[76]      Le capital déclaré s’entend [TRADUCTION] « du montant total de l’apport que touche [la société] en contrepartie des actions qu’elle émet » (K. P. McGuinness, Canadian Business Corporations Law (2e éd. 2007), §7.231). Lorsqu’une somme est investie dans une société en contrepartie d’actions, le capital déclaré de la société augmente. Le professeur Krishna assimile le capital déclaré à [TRADUCTION] « la somme d’argent qu’un actionnaire “engage” dans la société » (p. 610). Le calcul du capital déclaré est prévu à l’art. 26 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C-44 (« LCSA ») et à l’art. 28 de la Business Corporations Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. B-9 (« BCAA »).

[…]

[78]      Le CV d’une société peut différer de son capital déclaré [TRADUCTION] « en raison de rajustements apportés subséquemment à des fins fiscales » (Krishna, p. 621). Les rajustements apportés au calcul du CV sont ceux visés au sous-al. b)(iii) de la définition du CV figurant au par. 89(1). Ainsi, bien que le capital déclaré soit parfois égal au CV, il peut en différer substantiellement. Le rajustement visé en l’espèce est celui prévu au par. 87(3).

[70]        Dans la présente espèce, le rajustement à apporter au calcul du CV aux fins fiscales est prescrit à l’article 212.1 de la Loi.

2)    L’article 212.1

[71]        Le paragraphe 212.1(1) interdit à un non-résident d’éviter l’impôt de la partie XIII sur les dividendes au moyen d’une vente d’actions entre parties ayant un lien de dépendance lorsque sont réunies les conditions suivantes :

a)     il y a vente d’actions d’une société résidant au Canada (désignée « société en cause ») par un non-résident;

b)    l’acheteur réside aussi au Canada;

c)     l’acheteur et la société non-résidente ont un lien de dépendance au moment de la disposition;

d)    immédiatement après la disposition, la société en cause est rattachée à l’acheteur au sens du paragraphe 186(4) de la Loi.

[72]        Le texte du paragraphe 212.1(1) fait en sorte que le non-résident qui dispose d’actions d’une société résidant au Canada en faveur d’une autre société résidant au Canada avec laquelle il a un lien de dépendance ne puisse retirer plus que son CV en franchise d’impôt. Toute distribution au non-résident en excédent de son CV sera imposée en tant que dividende réputé sous le régime de la partie XIII de la Loi.

[73]        Lorsque le paragraphe 212.1(1) s’applique, un dividende immédiat est réputé, selon l’alinéa 212.1(1)a), avoir été payé par l’acheteur au non-résident dans la mesure où la contrepartie autre qu’en actions versée lors du transfert excède le CV des actions en cause. Ce dividende réputé est ensuite soumis à une retenue d’impôt en vertu du paragraphe 212(2) de la Loi.

[74]        Lorsque la contrepartie du transfert d’actions de la société en cause consiste en actions de l’acheteur, il n’y a pas de dividende réputé immédiat. Cependant, l’alinéa 212.1(1)b) a pour effet de réduire le CV des actions de l’acheteur, de telle sorte que le groupe de sociétés ne pourra plus effectuer de distributions dépassant le CV historique des actions en cause.

[75]        Comme on l’a vu plus haut, l’alinéa 212.1(4) est une disposition d’allégement. Il porte que le paragraphe 212.1(1) ne s’applique pas lorsque la société non-résidente est contrôlée par l’acheteur immédiatement avant la vente des actions de la société en cause. Dans ce cas, tout surplus de la société en cause reste au Canada, entre les mains de l’acheteur, qui y réside.

[76]        Les opérations en cause dans la présente espèce étaient conformes à la lettre de cette disposition d’allégement. Cependant, il s’agit ici de savoir si ces opérations s’accordaient avec l’objet et l’esprit de l’article 212.1 en général et du paragraphe 212.1(4) en particulier. Le juge Rothstein formulait à ce propos les observations suivantes au paragraphe 66 de l’arrêt Copthorne :

La RGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au-delà du texte de la disposition invoquée par le contribuable pour en déterminer l’objet ou l’esprit. Il se peut qu’une opération du contribuable respecte à la lettre la disposition en cause sans nécessairement être conforme à l’objet ou à l’esprit de celle-ci. Dans ce cas, le ministre peut invoquer la RGAÉ, laquelle crée effectivement de l’incertitude chez le contribuable. Les tribunaux doivent toutefois se rappeler que l’art. 245 représente une « mesure de dernier recours » (Trustco, par. 21). [Non souligné dans l’original.]

B. Le contexte

[77]        L’examen du contexte des dispositions applicables nécessite l’étude d’autres dispositions pertinentes de la Loi. Toujours dans l’arrêt Copthorne, le juge Rothstein faisait remarquer ce qui suit au sujet de la « pertinence » des dispositions :

[…] Cependant, toutes les dispositions de la Loi ne sont pas pertinentes pour la définition du contexte de la disposition en cause. La pertinence tient en fait au [TRADUCTION] « regroupement » des dispositions ou à leur « interaction pour la mise en œuvre d’un plan plausible et cohérent » (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 361 et 364).

[78]        Il convient d’examiner le contexte de l’article 212.1 parallèlement à la manière dont la Loi règle en général les distributions de sociétés résidant au Canada.

[79]        La Loi tend à intégrer l’impôt sur les bénéfices des sociétés et l’impôt sur le revenu des particuliers. À cette fin, lorsque des dividendes de société sont servis à des actionnaires particuliers, le système de majoration et de crédit du paragraphe 82(1) et de l’article 121 fait en général bénéficier ces particuliers d’un crédit complet au titre de l’impôt sur les sociétés payé. De même, le bénéfice d’une société sur lequel le fisc canadien a déjà prélevé un impôt ne sera pas imposé une autre fois lorsqu’il sera distribué comme dividende à des sociétés résidant au Canada (article 112). Cependant, le paragraphe 212(2) de la Loi soumet à un impôt de la partie XIII les dividendes servis par des sociétés résidant au Canada à des sociétés non-résidentes. L’article 212.1 s’inscrit donc dans le contexte du système prescrivant la retenue d’impôts sur les dividendes que reçoit une société non-résidente d’une société résidant au Canada.

[80]        L’article 212.1, en tant qu’élément du « régime établi par la Loi en matière de CV », fait en sorte que les distributions franches d’impôt des sociétés résidant au Canada à des actionnaires non-résidents ayant avec elles un lien de dépendance ne dépassent pas la valeur du CV en cause. Toute somme versée à un actionnaire non-résident en excédent de son investissement est imposable.

[81]        L’article 212.1 est compris dans la partie XIII de la Loi, intitulée « Impôt sur le revenu de personnes non-résidentes provenant du Canada ». La partie XIII prescrit une retenue d’impôt de 25 %, sous réserve des exonérations prévues par les traités fiscaux. En l’espèce, l’impôt à retenir était de 5 %, conformément à l’article X de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États-Unis d’Amérique. Le paragraphe 212(2) de la Loi dispose que toute personne non résidente doit payer un impôt sur le revenu sur toute somme qu’une société résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée, selon la partie I, lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement d’un dividende imposable.

[82]        Dans le présent appel, le paragraphe 215(1) de la Loi aurait obligé l’appelante, si elle n’en avait pas invoqué le paragraphe 212.1(4), à verser l’impôt applicable sur le dividende réputé versé à UHI et à le verser au receveur général au nom de celle-ci, à défaut de quoi elle aurait été redevable de cet impôt selon le paragraphe 215(6).

[83]        Le paragraphe 212.1(4) s’inscrit comme exception dans un article anti-évitement et doit être considéré dans ce contexte. Il est donc raisonnable d’en déduire que ce paragraphe ne peut être utilisé de telle manière qu’il irait à l’encontre de l’application même de l’article 212.1. À mon sens, le paragraphe 212.1(4) est conçu pour s’appliquer au cas restreint où l’acheteur, qui réside au Canada, contrôle réellement la société non-résidente sans avoir manipulé la structure organisationnelle afin d’obtenir ce contrôle. Or, cette condition restreinte n’est pas remplie en l’espèce.

[84]        Les articles 84.1 et 212.1 sont tous deux définis comme des articles « anti-évitement » et ils fonctionnent de manière semblable. Cependant, l’article 84.1 est d’application plus généreuse. Comme l’article 212.1, il peut, sous des conditions déterminées, soit créer un dividende réputé immédiat en faveur du cédant pour ce qui concerne la contrepartie autre qu’en actions, soit avoir pour effet de réduire le CV des actions de l’acheteur dans le cas où la contrepartie des actions consiste en actions de celui-ci, soit encore les deux. Mais contrairement à l’article 212.1, l’article 84.1 permet dans certains cas la majoration du CV dans le calcul du dividende réputé. Angelo Nikolakakis et Alain Léonard ont expliqué la chose comme suit :

[TRADUCTION]

 […] Il est intéressant de noter à ce propos que l’article 84.1, l’équivalent d’application intérieure de l’article 212.1, repose sur un principe différent, en ce qu’il permet, dans un tel transfert entre parties avec lien de dépendance, la majoration du CV jusqu’à hauteur de la « base dure » du cédant dans les actions transférées. C’est-à-dire que les alinéas 84.1(1)b), 84.1(2)a) et 81.1(2)a.1) concourent à permettre au cédant de reprendre la contrepartie autre qu’en actions jusqu’à hauteur du montant de son PBR dans les actions transférées, sauf dans la mesure où le PBR découle d’une disposition antérieure, par le contribuable ou une personne ayant un lien de dépendance, à laquelle s’appliquait une exemption pour gains en capital au titre de l’article 110.6, ou dans la mesure où ce PBR résulte, en tout ou en partie, d’opérations qui mettaient en jeu des actions comportant (ou substituées à des actions comportant) des gains accumulés avant 1972 (la « base molle »). Or l’article 212.1 ne permet rien de tel [non souligné dans l’original].

(Angelo Nikolakakis et Alain Léonard, "The Acquisition of Canadian Corporations by Non-Residents: Canadian Income Tax Considerations Affecting Acquisition Strategies and Structure, Financial Issues, and Repatriation of Profits", Report of Proceedings of Fifty-Seventh Tax Conference, 2005 Conference Report, Toronto, Association canadienne d’études fiscales, 2006, 21:1-45.)

C. L’objet des dispositions applicables

[85]        Cette étape de l’analyse vise à déterminer le résultat que le législateur avait en vue pour la ou les dispositions en cause : voir l’arrêt Copthorne (CSC), au paragraphe 113. Il est de jurisprudence constante qu’on peut utiliser des moyens extrinsèques, y compris des documents budgétaires, pour déterminer l’objet de l’article applicable de la Loi.

[86]        L’article 212.1 est entré en vigueur en 1977, dans le cadre de la révision des règles réprimant le dépouillement par dividendes. Il a été conçu pour empêcher les actionnaires non-résidents de pratiquer le dépouillement par dividendes – que ce soit sur la base de la valeur de leurs actions au Jour de l’évaluation ou en vertu d’une exonération prévue par traité de l’impôt canadien sur les gains en capital – au moyen de la vente de ces actions à des sociétés canadiennes ayant avec eux un lien de dépendance; voir l’article précité « The 1977 Amendments to the Corporate Distribution Rules » (1978), à la page 182.

[87]        L’article 212.1 a subi de nombreuses modifications. Les Notes techniques qui accompagnaient sa modification de 1984 portaient l’observation suivante :

L’article 212.1 de la Loi permet d’éviter que des non-résidents se servent de réorganisations avec lien de dépendance de leurs corporations canadiennes pour convertir en gains en capital libres d’impôt les dividendes versés qui seraient par ailleurs assujettis à l’impôt des non-résidents en vertu de la Partie XIII de la Loi.

[88]        Le législateur a de nouveau modifié l’article 212.1 en 1988 afin d’en étendre l’application aux sociétés de placement appartenant à des non-résidents. Les Notes techniques alors publiées par le ministère des Finances contenaient les précisions qui suivent :

 Le paragraphe 212.1(1) de la Loi vise à empêcher la conversion du surplus d’une corporation – qui serait assujetti à l’impôt canadien lors de sa distribution à un actionnaire non résidant – en produit de disposition des actions de la corporation – susceptible de donner lieu à un gain en capital non assujetti à l’impôt au Canada. Lorsqu’un non-résident dispose de ses actions en faveur d’une corporation canadienne avec laquelle il a un lien de dépendance, le paragraphe 212.1(1) considère qu’un dividende a été versé au non-résident dans la mesure où une contrepartie ne consistant pas en actions, y compris une dette, reçue lors de la disposition, est supérieure au capital versé au titre des actions.

[89]        On lit aussi ce qui suit dans les Renseignements supplémentaires sur le budget de 1988 :

 L’article 212.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu comporte des dispositions particulières s’appliquant à un non-résident qui dispose des actions d’une corporation canadienne en faveur d’une autre corporation canadienne avec laquelle il a un lien de dépendance. Ces dispositions ont pour objet d’empêcher la conversion du surplus d’une corporation – qui doit être assujetti à l’impôt lors de sa distribution à l’actionnaire non résidant – en produit de la disposition des actions de la corporation, donnant lieu à un gain en capital susceptible de ne pas être assujetti à l’impôt au Canada.

[non souligné dans l’original]

[90]        On a de nouveau modifié l’article 212.1 en 1998, cette fois afin d’en étendre le champ d’application aux cas où la société en cause et l’acheteur résident au Canada, sans égard au fait qu’ils soient ou non des sociétés canadiennes. La modification de 1998 a donc confirmé l’objet de cet article.

[91]        La Cour suprême a souscrit dans l’arrêt Copthorne à l’idée que l’article 212.1 est un article anti-évitement conçu pour empêcher le « dépouillement des dividendes ». Le juge Rothstein formulait à ce propos les observations suivantes :

[95]    Le paragraphe 89(1) incorpore par renvoi des dispositions qui réduisent le CV des actions d’une société. Par exemple, les art. 84.1 et 212.1 réduisent tous deux le CV lors d’opérations avec lien de dépendance. On les qualifie de dispositions « anti-évitement » visant le dépouillement des dividendes (Collins & Aikman Products Co. c. La Reine, 2009 CCI 299 (CanLII), par. 55 et 105, conf. par 2010 CAF 251 (CanLII)), car grâce à ces opérations avec lien de dépendance, les sociétés peuvent verser aux actionnaires, à titre de remboursement de capital non imposable plutôt que de dividende imposable, une somme supérieure à l’investissement initial de fonds libérés d’impôt.

[92]        Il est donc bien avéré, conclurai-je, que l’objet de l’article 212.1 est d’empêcher les actionnaires non-résidents de réorganiser leurs sociétés résidant au Canada de manière à pouvoir transformer en gains en capital francs d’impôt les distributions de dividendes que la partie XIII soumet normalement à des retenues d’impôt sur le revenu des non-résidents.

[93]        Si la thèse de l’appelante l’emportait, tout actionnaire non-résident pourrait changer sa structure organisationnelle de manière à y intercaler des filiales résidant au Canada et faire ainsi en sorte que le paragraphe 212.1(1) ne s’applique jamais. Or, il est impossible que le législateur ait eu cette intention en promulguant le paragraphe 212.1(4) de la Loi.

[94]        On a ajouté le paragraphe 212.1(4) à la Loi en 1978 sans publier de notes explicatives. Cependant, le passage suivant des Commentaires de DeBoo sur le budget de 1977 concernant la promulgation projetée de l’article 212.1 me paraît éclairer la raison d’être de la disposition d’allégement du paragraphe 212.1(4) :

[TRADUCTION]

 Cette proposition introduira des règles visant à empêcher les non-résidents de pratiquer le dépouillement de surplus de manière à éviter les retenues d’impôt qui leur seraient autrement applicables, au moyen de la vente d’actions à d’autres sociétés ayant avec eux un lien de dépendance, par exemple des sociétés canadiennes. On devra attendre la publication du libellé des dispositions de mise en œuvre pour mesurer toute l’étendue de cette proposition d’une portée considérable. Il faut cependant envisager le risque que, à moins d’être rédigées avec le plus grand soin, ces dispositions n’aient pour effet non souhaité d’entraver la vente véritable d’actions entre sociétés d’un groupe multinational [non souligné dans l’original].

[95]        Considéré de ce point de vue, l’objet du paragraphe 212.1(4) était de dissiper les inquiétudes des avocats-fiscalistes dont témoignent les Commentaires de DeBoo sur le budget de 1977. Cet objet consiste à permettre la vente véritable d’actions entre sociétés d’un groupe multinational tout en respectant l’objet du paragraphe 212.1(1) de la Loi.

[96]        Le budget publié le 22 mars 2016 propose une modification du paragraphe 212.1(4) propre à faire en sorte qu’on ne puisse s’en servir pour contourner l’application de l’article 212.1. On lit à ce propos les remarques suivantes dans le document gouvernemental intitulé Mesures fiscales : Renseignements supplémentaires :

Le capital versé des actions d’une société canadienne représente généralement le montant de capital qu’elle a reçu de ses actionnaires sous forme de contributions. Le capital versé est un attribut fiscal utile, puisqu’il peut être retourné aux actionnaires en franchise d’impôt. Les bénéfices non répartis qui dépassent le capital versé et qui sont distribués aux actionnaires sont normalement traités comme des dividendes imposables qui, dans le cas d’actionnaires non-résidents, sont assujettis à une retenue d’impôt de 25 % (à moins qu’une réduction ne soit applicable en vertu d’une convention fiscale).

La Loi de l’impôt sur le revenu comporte une règle contre le dépouillement de surplus (article 212.1) qui vise à empêcher qu’un actionnaire non-résident puisse conclure une opération afin d’extraire en franchise d’impôt (ou « dépouiller ») les bénéfices non répartis (ou « surplus ») d’une société canadienne au-delà du capital versé des actions de la société ou de faire augmenter artificiellement le capital versé des actions. Lorsque cette règle s’applique, il en résulte un dividende réputé pour le non-résident ou une suppression du capital versé des actions qui aurait autrement été augmenté en raison de l’opération.

Le paragraphe 212.1(4) contient une exception à la règle contre le dépouillement de surplus. Celle-ci s’applique lorsqu’une société canadienne (la « société canadienne acheteuse ») acquiert des actions d’une société non-résidente qui détient elle-même des actions d’une société canadienne – c’est-à-dire, lorsque le non-résident est intercalé entre les deux sociétés canadiennes – et que le non-résident dispose d’actions de la société canadienne de palier inférieur à la société canadienne acheteuse afin de défaire la structure intercalaire. Certaines sociétés non-résidentes ayant des filiales canadiennes ont abusé de cette exception en réorganisant le groupe en structure intercalaire en vue d’être admissibles à l’exception, dans le cadre d’une série d’opérations conçues pour faire augmenter artificiellement le capital versé des actions de ces filiales canadiennes.

Le budget de 2016 propose de modifier l’exception retrouvée au paragraphe 212.1(4) pour veiller à ce qu’elle s’applique comme prévu. Il sera notamment précisé que, conformément à la politique sous-jacente à la règle contre le dépouillement de surplus, l’exception ne s’applique pas lorsqu’un non-résident (i) détient, directement ou indirectement, des actions de la société canadienne acheteuse et (ii) a un lien de dépendance avec la société canadienne acheteuse. [Non souligné dans l’original.]

Les opérations qui abusent du paragraphe 212.1(4) sont présentement contestées par le gouvernement en vertu des dispositions existantes de la Loi de l’impôt sur le revenu, y compris la règle générale anti-évitement. Ces contestations se poursuivront à l’égard des opérations réalisées avant la date du budget. Cette mesure vise à favoriser la certitude et préciser la portée voulue de l’exception actuelle [non souligné dans l’original].

Afin de tenir compte de la possibilité qu’il puisse y avoir des situations où il pourrait être incertain qu’une contrepartie ait été reçue par un non-résident de la part de la société canadienne acheteuse relativement à la disposition, par le non-résident, d’actions de la société canadienne de palier inférieur, le budget de 2016 propose également de clarifier l’application de la règle contre le dépouillement de surplus en faisant en sorte que, dans de telles situations, le non-résident soit réputé avoir reçu une contrepartie autre qu’en actions de la part de la société canadienne acheteuse. Le montant de cette contrepartie réputée sera déterminé par rapport à la juste valeur marchande des actions de la société canadienne de palier inférieur reçues par la société canadienne acheteuse.

Cette mesure s’appliquera aux dispositions effectuées à la date du budget ou par la suite.

[97]        Cette modification projetée du paragraphe 212.1(4) me paraît un facteur pertinent à prendre en considération dans l’analyse visant à établir l’objet de la disposition en cause dans le présent appel. Cette modification projetée ne change pas rétroactivement la Loi : elle ne touche que le paragraphe en question tout en exprimant la raison d’être qui le sous-tendait au moment des opérations considérées dans le présent appel. Les Renseignements supplémentaires précités portent directement sur l’objet et la portée voulue de l’exception telle qu’elle s’appliquait en 2007. Cet objet consiste à permettre la vente véritable d’actions par une société non-résidente à une société résidant au Canada dans le cas où celle-ci contrôle celle-là. Cette exception ne devrait pas s’appliquer au cas où le non-résident possède des actions de l’acheteur résidant au Canada. Elle ne s’applique pas au cas où le non-résident réorganise ses sociétés résidant au Canada, avec lesquelles elle a un lien de dépendance, dans le but de transformer en gains en capital francs d’impôt des distributions de dividendes que la partie XIII soumettrait autrement à des retenues d’impôt sur le revenu des non-résidents : voir les Notes techniques de 1984.

[98]        Je reprends ici à mon compte l’observation formulée par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd c. Canada, 2002 CAF 291, au paragraphe 47, selon laquelle « ces modifications démontrent que le législateur fédéral est intervenu aussi rapidement que possible pour supprimer l’échappatoire que les appelants avaient exploitée précisément en raison du fait que le résultat obtenu constituait une anomalie, compte tenu de l’objet et de l’esprit des dispositions applicables de la Loi ».

[99]        Je souscris à l’opinion de l’intimée voulant que le paragraphe 212.1(4) laisse le champ libre aux restructurations internes par lesquelles une société mère canadienne profitera finalement du surplus détenu par l’une de ses filiales. Dans un tel cas, le surplus reste au Canada.

CONCLUSION

[100]   CVC a réorganisé certaines de ses sociétés dans le seul but de « se conformer artificiellement » à la lettre du paragraphe 212.1(4). Cette réorganisation a eu pour résultat la mise à disposition d’un surplus d’environ 889 000 000 $ d’Univar Canada pour attribution à un non-résident sans paiement d’impôt de la partie XIII. Les opérations exécutées dans le cadre de la réorganisation ont été programmées avant le 9 juillet 2007, date où CVC a fait son offre d’achat ferme à Univar NV. La société UHI et l’appelante ont été constituées en septembre 2007 dans le seul but de participer à la réorganisation prévue. Les opérations en cause ont été exécutées en sept jours. L’appelante a contrôlé fictivement la société non-résidente, Univar Inc., durant moins d’une journée, tout en restant elle-même contrôlée en tout temps par une société non-résidente : UHI.

[101]   En conséquence, les auteurs de la réorganisation ont contourné l’application de l’article 212.1 en obtenant le résultat global qu’il a été conçu pour empêcher. Ce faisant, ils sont allés à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’article 212.1 en général et du paragraphe 212.1(4) en particulier. Il est donc évident que les opérations en cause dans le présent appel constituent un abus de la Loi et qu’elles tombent sous le coup de l’article 245.

[102]   Avant de conclure, j’aimerais répondre à deux arguments avancés par l’avocat de l’appelante à l’audience du présent appel. L’appelante a admis dans l’exposé conjoint partiel des faits que les sociétés ayant participé à la série d’opérations en cause étaient unies par un lien de dépendance. Pourtant, à l’audience, l’avocat de l’appelante a soutenu que ces opérations n’allaient pas à l’encontre de l’article 212.1, au motif qu’elles s’étaient déroulées dans le contexte d’un achat conclu par des parties sans lien de dépendance, c’est-à-dire l’acquisition d’Univar NV par CVC.

[103]   Il se peut que CVC et Univar NV n’eussent pas de lien de dépendance au moment de la préparation de ces opérations et des discussions y afférentes. Mais un tel lien les unissait indéniablement au 4 octobre 2007, et toutes les opérations en cause ont été exécutées entre le 12 et le 19 octobre 2007.

[104]   Le second de ces arguments avancés par l’appelante concernait la pertinence d’un mémoire de l’Agence du revenu du Canada (le « mémoire ») que j’ai admis en preuve après délibération. Ce mémoire provenait du comité de la RGAE qui a examiné l’application de celle-ci aux faits de la présente espèce. L’avocat de l’appelante avait soutenu devant ce comité que CVC aurait pu obtenir le résultat considéré dans le présent appel en capitalisant entièrement une société d’acquisition canadienne.

[105]   L’avocat de l’appelante a écrit au comité de la RGAE que cette autre structure possible [traduction] « aurait fait en sorte que les attributs fiscaux transfrontaliers (c’est-à-dire le coût en impôt et le CV) reflètent avec exactitude le coût économique pour l’acheteur de son investissement dans une entité exploitante canadienne ».

[106]   Cependant, l’appelante n’a pas mis en œuvre cette autre structure possible et, en droit fiscal, la forme a de l’importance (arrêt Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255,  [1992] 1 CTC 1, au paragraphe 5).

[107]   L’appel est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Toronto (Ontario), ce 22e jour de juin 2016.

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller


Appendice

[TRADUCTION]

EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS

Les parties reconnaissent les faits suivants aux seules fins du présent appel et de tout appel ultérieur les concernant. Les parties conviennent également de l’authenticité des documents ci-joints énumérés à l’annexe A du présent exposé et consentent à leur admission en preuve aux seules fins du présent appel et de tout appel ultérieur les concernant. Chacune des deux parties se réserve le droit de produire d’autres éléments de preuve dans le présent appel, à condition qu’ils ne contredisent pas les faits ici exposés et les documents ci-joints.

Les parties concernées

1.     CVC Capital Partners (CVC) est une société britannique de financement par capitaux propres dont le centre d’opérations est sis à Londres.

2.     Univar NV (UNIVAR NV) est une société ouverte régie par le droit néerlandais qui distribue des produits chimiques de base et de spécialité sur le marché mondial. Sa principale activité consiste à acheter des produits en gros ou en vrac, puis à les traiter, les mélanger et les conditionner selon les besoins respectifs des secteurs où opèrent ses clients. Univar NV exploite un réseau mondial de centres de distribution, sis entre autres aux États-Unis, au Canada, en Europe et en Chine.

3.     Univar Inc. est une société régie par le droit du Delaware qui a été constituée le 21 novembre 1974. Au commencement de la série d’opérations décrites plus loin, Univar NV possédait directement ou indirectement la totalité des 468 actions ordinaires d’Univar Inc.

4.     Univar North American Corporation (UNAC) est une société régie par le droit de l’État de Washington et une résidente des États-Unis. Univar Inc. possédait directement ou indirectement les actions d’UNAC sur toute la durée considérée.

5.     Univar Canada Ltée (UCL) est une société régie par le droit britanno-colombien, constituée en 1950 et résidant au Canada. UCL était le plus important et le plus prospère des distributeurs canadiens de produits chimiques industriels et de produits antiparasitaires à usage agricole. Avant la réorganisation décrite plus en détail ci-dessous, toutes les actions d’UCL étaient détenues par UNAC; elles avaient un prix de base rajusté (PBR) de 10 000 $, un capital versé (CV) d’environ 911 729 $ et une juste valeur marchande (JVM) de quelque 889 000 000 $[1].

6.     Univar Holdco Inc. (UHI) est une société résidente des États-Unis constituée en septembre 2007 en prévision de la réorganisation qui allait suivre, décrite plus en détail ci-dessous.

7.     Univar Holdco Canada ULC (UHC), l’appelante, est une société canadienne régie par le droit albertain constituée le 21 septembre 2007 en prévision de la réorganisation qui allait suivre, décrite plus en détail ci-dessous.

8.     CVC a fait une offre d’achat ferme à Univar NV le 9 juillet 2007 : elle lui proposait 1,5 milliard d’euros (soit environ 2,1 milliards de dollars américains à raison de 72,76 $ par action) pour ses actions et celles de ses filiales. Cette offre était subordonnée au dépôt d’au moins 95 % des actions en circulation d’Univar NV et à toutes les approbations réglementaires nécessaires.

9.     Une offre d’achat en bonne et due forme visant la totalité des actions d’Univar NV a été annoncée le 20 août 2007. Le 18 septembre 2007, la Commission européenne a approuvé l’acquisition projetée par CVC.

10.                        Le 6 septembre 2007, CVC et son véhicule d’acquisition, Ulysses Luxembourg SARL (Ulysses), ont retenu les services du cabinet Deloitte Touche Tohmatsu Limited (Deloitte) relativement à l’acquisition projetée d’Univar NV et de ses filiales. Deloitte devait présenter ses conseils dans un [TRADUCTION] « Rapport final », qu’il a achevé le 11 octobre 2007.

11.  Au 4 octobre 2007, Ulysses avait acquis 97,2 % des actions en circulation d’Univar NV, de sorte que CVC et le groupe de sociétés Univar se trouvaient dorénavant unis par un lien de dépendance.

12.  À la fin d’octobre 2007, Ulysses avait acquis 99,4 % des actions en circulation d’Univar NV.

13.  La structure organisationnelle d’Univar NV et de ses filiales, aux fins pertinentes quant aux questions soulevées dans le présent exposé, se présentait comme suit avant les opérations décrites plus loin :

UNIVAR NV

                468 AO

Univar Inc (US)

UNAC (US)

UCL

JVM=889 000 000 $

PBR=10 000 $

CV=911 729 $

14.  Les entités qui ont participé aux opérations décrites plus loin étaient unies par un lien de dépendance.

15.  UHI, une filiale en propriété exclusive d’Univar NV, a été constituée comme société résidente des États-Unis, avec un capital-actions nominal. UHI a constitué l’appelante, UHC, comme filiale résidente du Canada, reprenant des actions à PBR, CV et JVM nominaux. Comme on l’a vu plus haut, les deux sociétés ont été constituées en septembre 2007.

16.  Le 12 octobre 2007, UNAC a fusionné avec Univar Inc. pour former Univar Inc., qui a ainsi acquis la totalité des actions d’UCL. UNAC a signifié son choix touchant la disposition des actions d’UCL en faveur d’Univar Inc. dans le cadre de la fusion en produisant une déclaration T2062 (Demande par un non-résident du Canada d’un certificat de conformité relatif à la disposition d’un bien canadien imposable) qui portait les éléments suivants :

Produit de la disposition

889 413 400 $

Moins

 

PBR

10 000 $

Gain en capital

889 403 400 $

Exemption prévue à l’art. XIII de la Conv. fiscale Canada-É.-U.

889 403 400 $

Gain en capital net

Zéro

 

17.  Le groupe Univar s’est ainsi trouvé restructuré comme suit :

>

 

UNIVAR NV

UHI

 

468 AO

$

 

$

$

 

Univar Inc.

(Amalco)

$

PBR/CV/JVM nominaux

 

$

UHC

 

PBR= 889 413 400 $

$      JVM=889 413 400 $

CV=911 729 $

 

 

ULC

 

18.  Le 18 octobre 2007, les opérations suivantes ont été exécutées :

                               i.            Univar NV a vendu à UHI 244,6 des actions ordinaires qu’elle détenait dans Univar Inc., en contrepartie d’un billet à ordre dont le principal s’élevait à 415 000 000 $US et d’actions ordinaires (AO) à JVM de 406 000 000 $US, ce qui faisait une contrepartie totale de 821 000 000 $US (800 967 600 $).

                             ii.            L’appelante, UHC, a alors acquis les 244,6 actions d’Univar Inc. qu’UHI avait achetées à Univar NV, ainsi que les 223,4 actions d’Univar Inc. que détenait Univar NV, en échange de billets à ordre et d’actions d’UHC, dont les valeurs sont indiquées dans le tableau suivant :

Nombre d’actions d’Univar Inc. :

223,4

244,6

    Provenance :

Univar NV

UHI

    En échange

 

 

        de billets à ordre :

731 700 000 $

589 262 400 $

        d’actions d’UHC :

 

211 705 200 $

 

731 700 000 $

800 967 600 $

La structure est alors devenue la suivante :

 

 

UNIVAR NV

 

$

(1)     BILLET=415 000 000 $US

ACTIONS=406 000 000 $US

 

 

UHI

 

$

(2)     BILLET=589 262 400 $

ACTIONS/CV=211 705 200 $

 

(3) BILLET : 731 700 000 $

 

UHC

 

$

244,6 AO PBR = 800 967 600 $

223,4 AO PBR = 731 700 000 $

468 AO PBR = 1 532 667 600 $

 

 

Univar Inc.

 

$

PBR/JVM = 889 413 400 $

CV = 911 729 $

 

 

UCL

 

                          iii.            UHI a pris en charge le billet de 731 700 000 $ émis par l’appelante, UHC, à l’ordre d’Univar NV en souscrivant d’autres actions ordinaires de l’appelante, évaluées à 731 700 000 $. Par conséquent, l’appelante avait des actions ordinaires en circulation détenues par UHI avec un CV de 943 405 200 $ (211 705 200 $ + 731 700 000 $) et une dette de 589 262 400 $, comme l’illustre le tableau suivant :

 

UNIVAR NV

 

(1)     BILLET = 415 000 000 $US

    (3)BILLET = 731 700 000 $

$                     AO = 406 000 000 $US

 

UHI

 

(2)     BILLET = 589 262 400 $

ACTIONS = 211 705 200 $

ACTIONS = 731 700 000 $

$                           CV = 943 405 200  $

 

UHC

244,6 AO PBR  = 801 000 000 $

223,4 AO PBR = 731 700 000 $

   $     

     468 ACTIONS = 1 532 700 000 $

 

Univar Inc

 

PBR/JVM=889 413 400 $

$                             CV=911 729 $

 

UCL

iv.      Univar Inc. a ensuite racheté 273 de ses 468 actions ordinaires détenues par l’appelante, UHC, et a payé le produit du rachat (891 698 400 $) en livrant la totalité des 627 actions ordinaires d’UCL à ladite appelante à leur juste valeur marchande. Cette opération a été déclarée comme suit dans le formulaire T2062 :

[Blank/En Blanc]

[Blank/En blanc]

Produit de la disposition

891 698 400 $

Prix de base rajusté

889 413 400 $

Gain en capital

2 285 000 $[2]

Exemption prévue à l’article XIII

 

de la Convention fiscale Canada-É.-U.

2 285 000 $

Gain en capital net

Zéro

La structure est alors devenue la suivante :

 

 

UNIVAR NV

 

 

 

(1)BILLET=415 000,000 $US

$                 AO 406 000 000 $US

(3)    BILLET= 731 700 000 $

 

 

UHI

 

 

 

(2)BILLET=589 262 400 $

$         ACTIONS=211 705 200 $

ACTIONS=731 700 000 $

CV=943 405 200 $

 

 

 

UHC

 

>

195 AO = 640 969 200 $ $

 

 

$      

 

PBR/JVM = 891 698 400 $

CV=911 729 $

 

Univar Inc.

 

UCL

 

v.       L’appelante, UHC, a ensuite autorisé l’attribution à UHI de 195 actions ordinaires d’Univar Inc. d’une valeur de 640 969 200 $ à titre de remboursement de capital et elle a effectué la réduction en livrant ces actions. Par conséquent, le CV des actions ordinaires de l’appelante détenues par UHI a été réduit à 302 436 000 $. Le groupe s’est alors trouvé restructuré comme suit :

 

 

UNIVAR NV

 

 

(1)BILLET=415 000 000 $US

$ (3)BILLET=731 700 000 $US

AO=406 000 000 $US

>

 

UHI

195 AO=640 969 200 $$

 

$

Univar Inc

 

$

 

 

(2)BILLET=589 262 400 $

ACTIONS/CV=302 436 000 $

 

 

UHC

 

 

$ PBR/JVM=891 698 400 $

CV=911 729 $

 

 

UCL

19.                        Le 19 octobre 2007, Univar Inc. et UHI ont fusionné pour former une société aussi dénommée Univar Inc. Il en est résulté la structure suivante :

UNIVAR NV

(1)BILLET=415 000 000 $US

$     (3)   BILLET=731 700 000 $

AO=406 000 000 $US

UHI

Fusion

Univar Inc

(2)BILLET= 589 262 400 $

$   ACTIONS/CV=302 436 000 $

UHC-CANCO

         PBR=891 698 400 $

$     CV=911 729 $

          JVM=891 698 400 $

UCL

LA COTISATION

20.                        Le 18 février 2013, le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2007 de l’appelante. Se fondant sur la règle générale anti-évitement (RGAE) énoncée à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la Loi), il lui a ainsi fixé en vertu de la partie XIII un impôt sur l’émission de son billet de 589 262 400 $ à l’ordre d’UHI et il a réduit le CV de ses actions pour le faire passer de 302 436 000 $ à 911 729 $.

21.                        Le ministre a invoqué la RGAE pour les motifs suivants :

(i)                le contribuable avait effectué une série d’opérations dont certaines n’avaient pas d’objets véritables, mais visaient seulement à lui procurer l’avantage fiscal d’une rentrée en franchise d’impôt de sommes en excédent du capital apporté à UCL, société canadienne, par le moyen d’un transfert indirect, entre parties unies par un lien de dépendance, à une autre société canadienne;

(ii)             ces opérations avaient contourné l’article 212.1 de la Loi, et entraîné un abus dans l’application de celui-ci, ainsi que, directement ou indirectement, un abus dans l’application des dispositions de la Loi lues dans leur ensemble.

22.  L’appelante reconnaît qu’il y a eu en l’espèce « avantage fiscal », à savoir l’évitement de l’impôt applicable en vertu de la partie XIII à la distribution de 589 262 400 $, ainsi que la majoration du CV, et qu’il y a eu « opération d’évitement » selon la définition que donne de cette expression le paragraphe 245(3) de la Loi.


Annexe A

[TRADUCTION]

No

Nature des documents

Date

  1.

Avis intitulé « Impôt des non-résidents – Avis de nouvelle cotisation », délivré à Univar Holdco Canada ULC

28 fév. 2013

  2.

T2062 – Demande par un non-résident du Canada d’un certificat de conformité relatif à la disposition d’un bien canadien imposable, et pièce jointe. Vendeur : Univar Inc.; acheteur : Univar Holdco Canada ULC.

19 oct. 2007

  3.

T2062 – Demande par un non-résident du Canada d’un certificat de conformité relatif à la disposition d’un bien canadien imposable. Vendeur : Univar North America Corp.; acheteur : Univar Inc.

19 oct. 2007

  4.

« CVC Capital Partners va absorber Univar » (9 juillet 2007), Forbes.

« CVC fait une offre de 2 milliards de dollars pour Univar » (9 juillet 2007), Newser.

« CVC Capital va acheter Univar pour 2,1 milliards de dollars » (9 juillet 2007), Marketwatch.

9 juillet 2007

  5.

Lettre d’engagement de Deloitte & Touche LLP aux administrateurs de CVC Capital Partners Limited et d’Ulysses Luxembourg SARL

6 sept. 2007

  6.

Mémoire sur la structure fiscale – Projet Monaco, rapport final daté du 11 octobre 2007

11 oct. 2007

  7.

Statuts d’Univar Canada Ltée

Industrial Materials Ltd. (10 août 1950)

Certificat de changement de dénomination (15 déc. 1980)

Certificat de changement de dénomination (2 avril 2001)

Certificat de changement de dénomination (2 juillet 2002)

Certificat de changement de dénomination (1er mars 1978)

Certificat de fusion (1er sept. 2007)

 

  8.

Certificat de constitution d’UI

(auparavant dénommée Pakhoed Holding USA Inc)

   Pakhoed Holding USA Inc. (20 novembre 1974)

   Certificat du Delaware (21 novembre 1974)

   Pakhoed USA Inc. (27 janvier 1975)

   Certificat du Delaware (29 janvier 1975)

   Vopak Americas Inc. (23 décembre 1999)

   Certificat du Delaware (22 mars 2000)

   Univar Americas Inc. (1er juillet 2002)

   Certificat du Delaware (9 juillet 2002)

   Univar Inc. (6 octobre 2002)

   Certificat du Delaware (19 décembre 2002)

20 nov. 1974

Dates diverses

  9.

Statuts d’Univar Holdco Canada ULC

21 sept. 2007

10.

Statuts d’ UNAC (auparavant dénommée New Univar Corporation)

24 oct. 1995

11.

Résolution extraordinaire de l’actionnaire d’Univar Canada Ltée (prorogation vers l’Alberta)

5 oct. 2007

12.

Certificat de prorogation d’Univar Canada Ltée de la C.-B. vers l’Alberta

11 oct. 2007

13.

Certificat de propriété et de fusion – Univar North American Corp. avec Univar Inc.

12 oct. 2007

14.

Accord de fusion d’Univar North America Corp. avec Univar Inc.

12 oct. 2007

15.

Certificat de modification du certificat de constitution d’Univar Inc. modifié et mis à jour

7 mars 2008

16.

Résolution des administrateurs d’Univar Canada Ltée portant approbation du transfert de 627 actions ordinaires d’Univar North America Corp. à Univar Inc.

12 oct. 2007

17.

Résolution des administrateurs d’Univar Canada Ltée concernant le transfert de 627 actions ordinaires d’Univar Inc. à Univar Holdco Canada ULC

18 oct. 2007

18.

Avis de rachat d’actions entre Univar Holdco Canada ULC et Univar Inc., avec accusé de réception

18 oct. 2007

19.

Convention d’achat d’actions entre Univar NV (vendeur) et Univar Holdco Canada ULC (acheteur)

Annexe A : Description des actions – 223,4 actions ordinaires d’Univar Inc.

Annexe B : Formule du billet par lequel UHC s’engage à payer 750 000 00 $US à Univar NV

18 oct. 2007

20.

Convention d’achat d’actions entre Univar Holdco Inc. (vendeur) et Univar Holdco Canada ULC (acheteur)

Annexe A : Description des actions – 244,6 actions ordinaires d’Univar Inc.

Annexe B : Formule du billet par lequel UHC s’engage à payer 589 262 400 $CAN à UHI

18 oct. 2007

21.

Résolution des administrateurs d’Univar Holdco Canada ULC concernant le certificat d’actions de remplacement délivré à Univar Holdco Inc. (943 405 201 actions ordinaires)

19 oct. 2007

22.

Résolution des administrateurs d’Univar Holdco Canada ULC concernant 223,4 actions ordinaires d’Univar Inc. et billet de 750 000 000 $US

Octobre 2007

23.

Résolutions des administrateurs d’Univar Holdco Canada ULC reconnaissant la dette envers Univar NV et autorisant l’émission, directement à l’ordre d’Univar Holdco Inc., d’un nouveau billet de 750 000 000 $

Octobre 2007

24.

Résolutions des administrateurs d’Univar Holdco Canada ULC autorisant un accord de compensation entre Univar Holdco Canada ULC et Univar Holdco Inc.

Octobre 2007

25.

Résolution des administrateurs d’Univar Holdco Canada ULC concernant 244,6 actions ordinaires d’Univar Inc. et le billet de 589 262 400 $CAN

Octobre 2007

26.

Résolutions des administrateurs d’Univar Holdco Canada ULC portant qu’Univar Holdco Inc. est l’actionnaire unique d’UHC et que le CV s’élève à 640 969 200 $CAN

Octobre 2007

27.

Convention d’achat de billets à ordre entre Ulysses Luxembourg S.A.R.L., Ulysses Financial S.A.R.L., Ulixes Acquisition B.V., Univar Inc. et Goldman Sachs Investments Ltd.

11 oct. 2007

28.

Convention de crédit fondé sur le financement sur actif à la somme de 1 100 000 000 $

11 oct. 2007

29.

Convention de crédit

11 oct. 2007

 


Annexe B

[TRADUCTION]

Les parties conviennent uniquement de l’authenticité des documents suivants :

1.

Mémoire adressé au comité de la RGAE et observations du contribuable y annexées

14 décembre 2011

 


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 159

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-2834(IT)G

INTITULÉ :

UNIVAR HOLDCO CANADA ULC et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Valerie Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 juin 2016

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Matthey G. Williams

Me Michael Colborne

Avocats de l’intimée :

Me Ronald MacPhee

Me Tamara Watters

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Noms :

Me Matthew G. Williams

Me Michael Colborne

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Sauf indication contraire, tous les montants sont exprimés en dollars canadiens.

[2] Ce gain était attribuable à une variation du cours des changes.



[1] Tous les montants sont exprimés en dollars canadiens, sauf indication contraire.

[2] Ce gain était attribuable à une variation du cours des changes.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de juin 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste

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