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Dossier : 2015-2662(IT)G

ENTRE :

Pasquale Paletta,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête entendue le 24 mai 2016, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

Devant : L'honorable juge John R. Owen

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Justin Kutyan

Me Thang Trieu

Avocats de l'intimée :

Me Robert Carvalho

Me Elizabeth (Lisa) McDonald

 

ORDONNANCE

          VU la requête de l'appelant en vue d'obtenir une ordonnance afin que soit tranchée avant l'audience, en vertu de l'article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), la question de savoir si la déclaration des revenus et des pertes de l'appelant lors de ses opérations de change pour les années d'imposition 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007 était imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire au sens du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

       ET VU la preuve et les observations des parties;

          LA COUR ORDONNE, conformément aux motifs de l'ordonnance ci‑joints, que la requête soit rejetée avec dépens à l'intimée quelle que soit l'issue de la cause.

Signé à Toronto (Ontario), ce 13e jour de juillet 2016.

« J. R. Owen »

Le juge Owen


Référence : 2016 CCI 171

Date : 20160713

Dossier : 2015-2662(IT)G

ENTRE :

Pasquale Paletta,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Owen

I. Introduction

[1]             Les présents motifs abordent la requête de l'appelant visant à obtenir une ordonnance afin qu'une question (la « question ») soit tranchée avant l'audience, en vertu de l'article 58 des Règles[1]. Dans les observations écrites de l'appelant, la question est énoncée comme suit :

[TRADUCTION]

La déclaration des revenus et des pertes de M. Paletta lors de ses opérations de change pour les années d'imposition est‑elle imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire au sens du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

[2]             Les années d'imposition vont de 2000 à 2007 inclusivement et les opérations en cause sont des opérations de change de devises étrangères. Au moment où la présente requête a été déposée, aucun interrogatoire préalable n'avait été tenu. L'intimée conteste la requête.

[3]             L'avis d'appel, la réponse modifiée et la réplique produits par les parties (les « actes de procédure ») laissent penser qu'il s'agit d'un appel complexe dans lequel plusieurs questions importantes devront être traitées par le juge de première instance, notamment :

1.      Est‑ce que, en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR »), le ministre du Revenu national (le « ministre ») avait le droit d'établir de nouvelles cotisations pour les années d'imposition après la période normale de nouvelle cotisation selon l'alinéa 152(3.1)b) de la LIR? J'appellerai cette question la « question de la prescription ».

2.      Si le ministre avait le droit d'établir les nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation, les nouvelles cotisations devraient‑elles être maintenues, annulées ou renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte de conclusions précises? J'appellerai cette question la « question des nouvelles cotisations ». À la lumière des actes de procédure, pour répondre à cette question, la Cour devra notamment examiner :

a)      si les opérations de change étaient un trompe‑l'œil et, dans l'affirmative, quelle en est l'incidence en l'espèce;

b)      si les opérations de change n'étaient pas un trompe‑l'œil :

i)       les opérations de change étaient‑elles juridiquement valides?

ii)      les pertes que l'appelant a déclarées pour les années d'imposition de 2000 à 2006 en raison des opérations de change ont‑elles été subies par l'appelant?

iii)     les opérations de change étaient‑elles des opérations commerciales?

iv)     les opérations de change étaient‑elles une source de revenus de l'appelant?

v)      la réalisation des pertes de l'appelant a‑t‑elle eu lieu?

c)      si les opérations de change n'étaient pas un trompe‑l'œil, ont‑elles donné lieu au revenu déclaré par l'appelant pour son année d'imposition 2007?

d)      les pénalités imposées à l'encontre de l'appelant en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR devraient-elles être maintenues, modifiées ou annulées?

[4]             Le contribuable a le fardeau décrit dans la décision House c. Canada, 2011 CAF 234, [2011] 4 R.C.F. F‑3, quant à la question de savoir si les nouvelles cotisations établissent le montant d'impôt sur le revenu juste pour chacune des années d'imposition. Le ministre a le fardeau à l'égard de la question de la prescription[2] et à l'égard de l'imposition des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR[3].

II. Les thèses des parties

[5]             L'appelant prétend que la question de la prescription convient comme question distincte en vertu de l'article 58 car si la réponse est négative, cela éliminera les autres questions et, même si la réponse est positive, la preuve sur la question de la prescription ne sera plus requise.

[6]             L'appelant prétend que l'article 58 a évolué au fil des ans et qu'en interprétant la version actuelle, il faut appliquer les principes cernés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87 (« Hryniak »), pour établir si la question convient comme question en vertu de l'article 58[4]. Si on garde ces principes à l'esprit, il est évident que la question satisfait aux exigences de l'article 58. Par ailleurs, l'appelant a 85 ans, et un processus accéléré serait opportun vu les circonstances.

[7]             L'appelant affirme également que, tel qu'il est énoncé dans le jugement Rio Tinto Alcan Inc. c. La Reine, 2016 CCI 31[5], le fait que les parties ne soient pas d'accord sur les faits pertinents ne signifie pas que la question ne se prête pas à une détermination en vertu de l'article 58 et que j'ai le pouvoir, en vertu de l'alinéa 58(3)b) des Règles, de donner des directives sur la preuve relativement à la détermination de la question. L'appelant a renvoyé à la décision Inwest Investments Ltd. v. The Queen, 2015 BCSC 1375, à titre d'exemple d'un tribunal qui avait appliqué les règles en matière de jugement sommaire pour déterminer l'application du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR.

[8]             L'intimée affirme que les faits pertinents au présent appel sont complexes et que la question ne peut être déterminée sans une appréciation complète de tous les éléments de preuve qui seraient présentés lors de l'instruction complète de l'appel. Dans le cas de circonstances factuelles complexes où la crédibilité des témoins peut être en cause, ce n'est qu'à l'instruction complète que la Cour pourra avoir recours aux règles et aux procédures requises pour obtenir et examiner adéquatement la preuve. L'article 58 ne vise pas le contournement des mécanismes de protection qui existent lors d'une audience en bonne et due forme. La suggestion de l'appelant que la preuve soit déposée par voie d'affidavits et de contre‑interrogatoires est injuste pour l'intimée. Si, par contre, la Cour ordonne une preuve orale, l'audience fondée sur l'article 58 remplacera alors une audience, ce qui n'est pas l'objectif de l'article 58. Quoi qu'il en soit, cette approche soulève la question de savoir si les exigences du paragraphe 58(2) des Règles sont remplies.

III. Analyse

[9]             L'article 58 des Règles est libellé comme suit :

58(1) Sur requête d'une partie, la Cour peut rendre une ordonnance afin que soit tranchée avant l'audience une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure, ou une question sur l'admissibilité de tout élément de preuve.

(2) Lorsqu'une telle requête est présentée, la Cour peut rendre une ordonnance s'il appert que de trancher la question avant l'audience pourrait régler l'instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle‑ci ou résulter en une économie substantielle de frais.

(3) L'ordonnance rendue en application du paragraphe (1) contient les renseignements suivants :

a) la question à trancher avant l'audience;

b) des directives relatives à la manière de trancher la question, y compris des directives sur la preuve à consigner, soit oralement ou par tout autre moyen, et sur la méthode de signification ou de dépôt des documents;

c) le délai pour la signification et le dépôt d'un mémoire comprenant un exposé concis des faits et du droit;

d) la date, l'heure et le lieu pour l'audience se rapportant à la question à trancher;

e) toute autre directive que la Cour estime appropriée.

[10]        On a examiné l'article 58 dans un certain nombre de décisions. Par contre, seulement quelques décisions ont examiné la dernière version de l'article, qui est entrée en vigueur le 7 février 2014 (DORS/2014‑26, article 6). Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation décrit les modifications de 2014 à l'article 58 des Règles comme suit :

Des modifications sont apportées aux articles 53 et 58 afin de regrouper à l'article 53 les situations où la Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages et, à l'article 58, les situations où la Cour peut se prononcer sur une question de droit, une question de fait ou une question de droit et de fait. En raison de ces modifications, les articles 59, 60, 61 et 62 sont abrogés.

[11]        Par conséquent, l'article 58 actuel regroupe les articles 58, 59, 60, 61 et 62 des Règles dans un seul article qui, à certains égards, ressemble à l'ancien article 58, mais qui, à d'autres égards, en est assez différent. La version antérieure énonçait :

58(1) Une partie peut demander à la Cour,

a) soit de se prononcer, avant l'audience, sur une question de droit, une question de fait ou une question de droit et de fait soulevée dans une instance si la décision pourrait régler l'instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l'audience ou résulter en une économie substantielle des frais;

b) soit de radier un acte de procédure au motif qu'il ne révèle aucun moyen raisonnable d'appel ou de contestation de l'appel,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible à l'égard d'une demande,

a) présentée en vertu de l'alinéa (1)a), sauf avec l'autorisation de la Cour ou le consentement des parties;

b) présentée en vertu de l'alinéa (1)b).

(3) L'intimée peut demander à la Cour le rejet d'un appel au motif que,

a) la Cour n'a pas compétence sur l'objet de l'appel;

b) une condition préalable pour interjeter appel n'a pas été satisfaite;

c) l'appelant n'a pas la capacité légale d'intenter ou de continuer l'instance,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence[6].

[12]        À mon avis, les modifications apportées au texte et à l'économie de l'article 58, lorsqu'on le compare à la version précédente, justifient un nouvel examen de l'article sous sa forme actuelle.

[13]        L'article 58 continue de décrire une procédure en deux étapes. Le paragraphe 58(1) énonce que la Cour peut, sur requête d'une partie, rendre une ordonnance afin que soit tranchée avant l'audience :

1.       une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure;

2.       une question sur l'admissibilité de tout élément de preuve.

[14]        En vertu du paragraphe 58(2), la Cour peut rendre l'ordonnance s'il appert que de trancher la question avant l'audience pourrait :

1.       régler l'instance en totalité ou en partie;

2.       abréger substantiellement celle‑ci;

3.       résulter en une économie substantielle de frais.

[15]        À la première étape, la Cour détermine si elle devrait rendre une ordonnance, en tenant compte des exigences aux paragraphes 58(1) et 58(2), qui sont examinés en appliquant les règles habituelles d'interprétation des lois, tout en gardant à l'esprit, cependant, le paragraphe 4(1) des Règles, qui dispose : « Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d'assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse. »

[16]        En ce qui concerne les exigences aux paragraphes 58(1) et 58(2), le paragraphe 58(1) dispose qu'il doit y avoir soit une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure, soit une question sur l'admissibilité de tout élément de preuve.

[17]        Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, la Cour suprême du Canada a décrit ce qui constitue une question de droit, une question de fait et une question de droit et de fait (au paragraphe 35) :

[...] En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s'est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. Un exemple simple permettra d'illustrer ces concepts. En droit de la responsabilité civile délictuelle, la question de savoir en quoi consiste la « négligence » est une question de droit. Celle de savoir si le défendeur a fait ceci ou cela est une question de fait. Une fois qu'il a été décidé que la norme applicable est la négligence, la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence appropriée est une question de droit et de fait. [...]

[18]        La question de droit, de fait, ou de droit et de fait doit être soulevée dans un acte de procédure. L'article 58 ne prévoit pas de moyen pour examiner des questions qui ne sont pas soulevées dans un acte de procédure[7].

[19]        La seconde condition préalable possible en vertu du paragraphe 58(1) a été ajoutée lors des modifications apportées en 2014 à l'article 58. Elle étend l'application de l'article 58 aux questions sur l'admissibilité d'un élément de preuve. L'ajout de cette condition préalable confirme la portée large de l'article 58 actuel, puisqu'il peut maintenant porter sur pratiquement toute question qui pourrait survenir lors de l'audience de l'appel.

[20]        Selon le paragraphe 58(2), il suffit s'« il appert » que l'audience tenue en vertu de l'article 58 « pourrait » mener à l'un des résultats précisés. Le verbe « pouvoir » est utilisé dans deux sens au paragraphe 58(2). Le premier sens est permissif, et il s'agit également du sens qu'il a au paragraphe 58(1). La répétition du sens permissif montre clairement que la décision de rendre une ordonnance est entièrement discrétionnaire. Plus précisément, le fait qu'une question puisse satisfaire aux exigences des paragraphes 58(1) et 58(2) n'oblige pas la Cour à rendre une ordonnance en vertu de l'article 58.

[21]        Le fait que l'article soit discrétionnaire est complètement compatible avec le fait que la Cour canadienne de l'impôt a le pouvoir implicite de contrôler sa procédure. Dans l'arrêt R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, la Cour suprême du Canada a déclaré :

De même, dans le cas d'un tribunal d'origine législative, le pouvoir de faire respecter sa procédure et le droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions s'infèrent nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice. Notre Cour a confirmé que les pouvoirs d'un tribunal d'origine législative peuvent être déterminés grâce à une « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » :

[...] sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l'objectif du régime législatif [...]

(ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51)

Même si, dans cet arrêt, le juge Bastarache renvoie à un tribunal administratif, la même règle de la compétence par déduction nécessaire vaut pour un tribunal d'origine législative[8].

[22]        Outre qu'elle reflète le pouvoir implicite de la Cour de contrôler ses propres procédures, la répétition de l'aspect permissif de l'article 58 confirme qu'il peut très bien y avoir d'autres considérations en jeu lorsque la Cour décide de rendre ou non une ordonnance. L'utilisation répétée d'un libellé permissif aux paragraphes 58(1) et 58(2) confirme que la Cour n'est pas tenue d'examiner uniquement les exigences établies à ces paragraphes[9].

[23]        Le second sens du verbe « pouvoir » au paragraphe 58(2) exprime une possibilité. Plus précisément, s'« il appert » au juge qui entend la requête que le fait de trancher la question « pourrait » (c.‑à‑d. pourrait possiblement) mener à l'un des trois résultats précisés au paragraphe 58(2), alors le juge peut (et non doit) rendre une ordonnance.

[24]        Les décisions rendues en vertu de la version antérieure de l'article 58 sont bien résumées par le juge en chef dans le jugement Suncor, précité. Comme l'a fait observer le juge en chef, dans certaines décisions rendues en vertu de la version antérieure de l'article 58, la Cour a jugé qu'une question ne satisfait pas à l'exigence qui est maintenant au paragraphe 58(2) si seulement l'une des deux réponses possibles menait aux résultats escomptés.

[25]        À mon sens, ces décisions n'énoncent pas de règle stricte qu'il faut appliquer à la version actuelle de l'article 58. Par ailleurs, le libellé discrétionnaire général dans la version actuelle du paragraphe 58(2) appuie la thèse selon laquelle une question n'échoue pas nécessairement au critère de ce paragraphe si l'une des réponses possibles ne menait pas aux résultats escomptés. La Cour devrait plutôt tenir compte de la possibilité d'une telle réponse lorsqu'elle examine si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 58. À mon avis, une telle approche est conforme au libellé discrétionnaire du paragraphe 58(2), au mandat prévu au paragraphe 4(1) des Règles et aux principes généraux énoncés par la Cour suprême du Canada dans Hryniak.

[26]        En tenant compte de ces facteurs, je vais maintenant examiner la requête de l'appelant. Il est clair que la question est une question mixte de droit et de fait soulevée dans l'avis d'appel déposé par l'appelant. Par conséquent, la question satisfait à l'une des exigences du paragraphe 58(1).

[27]        Pour ce qui est de l'exigence du paragraphe 58(2), la question exigera que la Cour examine l'application du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR à la situation de l'appelant. Le sous‑alinéa 152(4)a)(i) dispose qu'une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ne peut être établie après la période normale de nouvelle cotisation d'une année d'imposition que si l'appelant ou la personne produisant la déclaration a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la LIR.

[28]        Dans la décision Boucher c. Canada, 2004 CAF 46, [2004] 4 R.C.F. D‑32, au paragraphe 5, la Cour d'appel fédérale a énoncé que le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR impose deux exigences. D'abord, une présentation erronée doit avoir été faite. Ensuite, cette présentation erronée doit être imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire.

[29]        Dans la décision Nesbitt c. La Reine, [1996] A.C.F. no 1470 (QL), la Cour d'appel fédérale a déclaré :

[...] Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. Cela demeure une présentation erronée de fait même si le ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs[10]. [...]

[30]        À la lumière de cet énoncé, il est évident que, pour que la Cour puisse conclure à une présentation erronée, l'intimée doit établir qu'il y avait un ou plusieurs faits erronés dans les déclarations de l'appelant pour les années d'imposition en cause. Puisque l'exactitude des déclarations de revenus est le nœud de la question des nouvelles cotisations (à l'exception des pénalités aux termes du paragraphe 163(2)), il m'apparaît difficile de trancher cette question sans une audience complète qui examine toutes les questions soulevées dans les actes de procédure.

[31]        L'appelant affirme, cependant, qu'il accepte que l'examen de la question se fasse en tenant pour acquis qu'il y avait eu une présentation erronée dans la déclaration de ses revenus et de ses pertes pour les années d'imposition (paragraphe 26 du mémoire de l'appelant)[11]. L'appelant affirme que cela laisserait uniquement la question de savoir si la présentation erronée est imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire. L'appelant affirme qu'il s'agit d'une question distincte dont la résolution ne requiert pas 15 jours d'instruction.

[32]        Je ne suis pas de cet avis. À mon avis, la question de savoir si la présentation erronée admise est imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire ne peut être réglée sans examiner toutes les circonstances entourant la production des déclarations de l'appelant pour les années d'imposition en cause. Les parties ne se sont pas entendues sur ces circonstances et, en fait, elles sont au cœur de la question hautement contestée des nouvelles cotisations.

[33]        L'appelant renvoie à la décision Inwest Investments, précitée, et au jugement Rio Tinto, précité, à l'appui de sa thèse que l'existence de questions de fait en litige ne signifie pas que sa requête doive être rejetée. Je suis d'accord que l'absence de preuve au moment de la requête présentée en vertu de l'article 58 n'a pas pour effet de faire que l'on doive la rejeter, puisque l'alinéa 58(3)b) des Règles donne à la Cour le pouvoir de donner des directives sur la preuve. Dans Rio Tinto, la juge D'Auray a déclaré ce qui suit :

À la lecture de l'alinéa 58(3)b) de la version de 2014, il n'y a plus d'obstacles quant à la preuve. Le juge peut émettre des directives quant à la preuve à consigner, soit documentaire ou orale[12].

[34]        Cela ne veut pas dire, cependant, qu'une audience fondée sur l'article 58 peut remplacer une audience complète simplement parce que l'ordonnance peut traiter des questions de preuve. Il est important de se rappeler les principes généraux cernés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hryniak (aux paragraphes 49 et 50)[13] :

Il n'existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d'un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d'appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d'arriver à un résultat juste.

Ces principes sont interreliés et reviennent tous à se demander si le jugement sommaire constituera une décision juste et équitable. Lorsqu'une requête en jugement sommaire permet au juge d'établir les faits nécessaires et de régler le litige, la tenue d'un procès ne serait généralement ni proportionnée, ni expéditive, ni économique. [...]

[Non souligné dans l'original.]

[35]        Dans le jugement Suncor, le juge en chef Rossiter a noté (au paragraphe 26) qu'une décision fondée sur l'article 58 ne remplace pas une audience, et il a souligné : « Bien qu'il soit possible d'appliquer l'article 58 des Règles aux questions de fait et aux questions de droit et de fait, le processus suivi pour trancher de telles questions ressemble beaucoup à un procès, sauf qu'un véritable procès procure les avantages associés à une audience juste et aux protections en matière de preuve. »

[36]        Il y a également lieu de noter que si la preuve requise afin de trancher la question est semblable à la preuve qui serait produite à l'audience, l'exigence du paragraphe 58(2) ne serait pas satisfaite. Cela confirme une fois de plus qu'une détermination fondée sur l'article 58 n'est pas destinée à remplacer une audience.

[37]        Dans le jugement Rio Tinto, l'appelant a formulé deux questions, mais aucune d'entre elles ne soulevait la question de l'application du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR. En examinant la première question, qui portait sur la validité des nouvelles cotisations, la juge D'Auray a conclu, au paragraphe 62 : « Les faits entourant l'établissement des nouvelles cotisations n'ont rien de commun avec la question de fond, soit celle de savoir si les activités d'AAI constituaient de la RS&DE. » La seconde question soulevait une étroite question de droit concernant ce dont les nouvelles cotisations pouvaient traiter. Par conséquent, la situation dans Rio Tinto était assez différente de celle de la présente requête.

[38]        Dans la décision Inwest Investments, l'appelante avait déposé une requête à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique afin d'obtenir un procès sommaire en vertu des règles de procédure civile (Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009). La Cour a décrit la question centrale de l'appel comme étant [TRADUCTION] « si Wesbild possédait un établissement stable [...] en Colombie‑Britannique »[14], ce qui constitue une question assez distincte. Le procès sommaire avait pour but d'examiner si le ministre était autorisé à établir une cotisation à l'égard de Wesbild Capital Corporation (« Wesbild ») en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR et, à ces fins, l'appelante a reconnu que Wesbild avait pris une position inexacte au moment de la production de sa déclaration de revenus de 2002.

[39]        La Cour a dit [TRADUCTION] « qu'il est apparent que peu ou aucun fait ne sont en litige »[15] et, après avoir indiqué qu'il y avait « une preuve abondante »[16], elle a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] Je conclus qu'il y a lieu de procéder au procès sommaire sur la question de la prescription. Il y a suffisamment d'éléments de preuve susceptibles de fonder une décision sur cette question[17]. [...]

[40]        En l'espèce, les actes de procédure décrivent des faits complexes et plusieurs questions en litige pertinentes à l'appel, notamment celles de savoir si les opérations de change étaient un trompe‑l'œil, si les opérations de change étaient valides juridiquement et s'il s'agissait d'opérations commerciales. Je ne suis pas d'accord avec l'affirmation de l'appelant que ces questions peuvent être aisément séparées de la question relative à la prescription.

[41]        Pour évaluer si l'appelant a agi de façon sage et prudente[18] dans les circonstances complexes de la présente affaire, il est nécessaire à mon avis que la Cour comprenne toutes les circonstances dans lesquelles les gestes pertinents de l'appelant ont été posés. Cela exige une audience en bonne et due forme dans laquelle la Cour aura l'occasion de voir et d'évaluer tous les témoins des parties et tous les éléments de preuve produits par ces témoins[19]. Une telle audience fournira également aux parties l'entière possibilité de présenter leur preuve au moyen d'un interrogatoire principal, d'un contre‑interrogatoire, du dépôt de la transcription des interrogatoires préalables, et ainsi de suite, d'une façon qui fournit les garanties des règles de la preuve et des règles et procédures de la Cour. Cela est manifestement dans l'intérêt de la justice dans une affaire où les faits sont complexes et hautement contestés et où chaque partie a le fardeau de la preuve à l'égard de ces faits.

[42]        Dans ses observations écrites, l'appelant mentionne que la preuve nécessaire pour traiter la question de la prescription pourrait être produite au moyen d'affidavits, de contre‑interrogatoires sur les affidavits et, si nécessaire, de témoignages oraux. L'appelant indique les témoins qu'il convoquerait et résume la preuve qu'il espère établir par l'entremise de ces témoins. L'appelant suggère que de cette façon, l'audience relative à la question ne nécessiterait qu'une ou deux journées par rapport à quinze jours d'audience pour l'appel complet.

[43]        Simultanément, l'appelant met l'accent sur le fait que la charge de la preuve concernant la question de la prescription incombe à l'intimée. Il est donc évident qu'il existe une contradiction fondamentale dans la thèse de l'appelant. D'un côté, l'appelant affirme que la preuve nécessaire pour trancher la question devrait être présentée d'une façon précise. De l'autre côté, l'appelant met l'accent sur le fait que le fardeau d'établir les faits justifiant l'application du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR incombe à l'intimée. En réalité, l'appelant cherche à décider la façon dont l'intimée peut présenter les éléments de preuve pour s'acquitter de son fardeau. La façon de présenter la preuve suggérée par l'appelant n'offrirait pas une adjudication juste et équitable de la question de la prescription[20].

[44]        Pour les motifs précédents, la requête est rejetée et les dépens sont adjugés à l'intimée, quelle que soit l'issue de la cause.

Signé à Toronto (Ontario), ce 13e jour de juillet 2016.

« J.R. Owen »

Le juge Owen


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 171

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-2662(IT)G

INTITULÉ :

Pasquale Paletta c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 24 mai 2016

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

L'honorable juge John R. Owen

DATE DE L'ORDONNANCE :

Le 13 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelant :

Me Justin Kutyan

Me Thang Trieu

Avocats de l'intimée :

Me Robert Carvalho

Me Elizabeth (Lisa) McDonald

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Justin Kutyan

 

Cabinet :

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »).

[2]           M.N.R. v. Taylor, [1961] R.C.É. 318.

[3]           Paragraphe 163(3) de la LIR.

[4]           Dans l'arrêt Hryniak, la Cour suprême s'est penchée sur l'article 20.04 des Règles de procédure civile de l'Ontario, qui prévoit que le tribunal rend un jugement sommaire s'« il est convaincu qu'une demande ou une défense ne soulève pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d'une instruction ». Il semble que cet examen se fasse généralement selon une preuve par affidavit (article 20.02 des Règles de l'Ontario). Le paragraphe 20.04(2.1) des Règles de l'Ontario confère au juge le pouvoir d'apprécier la preuve, d'évaluer la crédibilité de l'auteur de l'affidavit et de tirer une conclusion raisonnable de la preuve « à moins qu'il ne soit dans l'intérêt de la justice de [n'exercer ces pouvoirs] que lors d'un procès ».

[5]           La traduction anglaise officielle de ce jugement a été publiée après l'audition de la requête.

[6]           L'alinéa 58(1)a) a été modifié par DORS/2004-100 pour ajouter « une question de fait ou une question de droit et de fait ». Avant cette modification, l'article visait uniquement une question de droit.

[7]           Quant à ce que signifie le terme « soulevée dans un acte de procédure », voir, par exemple, les commentaires de la juge Woods dans le jugement Sentinel Hill Productions IV Corporation c. La Reine, 2013 CCI 267, aux paragraphes 27 à 31, un jugement cité par le juge en chef Rossiter dans le jugement Suncor Énergie inc. c. La Reine, 2015 CCI 210, au paragraphe 14. Le libellé de cette exigence n'a pas changé dans la version actuelle de l'article 58.

[8]           Au paragraphe 19. Voir également la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Compagnie d'assurance vie RBC, 2013 CAF 50, [2013] 2 R.C.F. F‑9, aux paragraphes 35 et 36.

[9]           Dans le jugement McIntyre c. La Reine, 2014 CCI 111, la juge Campbell a confirmé que ce pouvoir discrétionnaire existait également en vertu de la version antérieure de l'article 58 (voir le paragraphe 25). Le juge en chef a cité et approuvé cette observation dans le jugement Suncor, précité (au paragraphe 16), en traitant de la version actuelle de l'article 58. Dans le jugement Rio Tinto Alcan Inc. c. La Reine, 2016 CCI 31, la juge D'Auray a énoncé ce qui suit, au paragraphe 55 : « [...] le juge a toujours un pouvoir discrétionnaire et peut décider, en s'appuyant sur d'autres motifs, que la question ne se prête pas à une détermination en vertu de l'article 58 des Règles ».

[10]          Au paragraphe 8.

[11]          L'appelant n'accepte que cela soit tenu pour acquis qu'aux fins de la détermination de la question.

[12]          Au paragraphe 64.

[13]          Même si la Cour examinait d'autres règles de procédure, les principes généraux sont tout de même pertinents à l'article 58.

[14]          Au paragraphe 46.

[15]          Au paragraphe 3.

[16]          Au paragraphe 64.

[17]          Au paragraphe 69.

[18]          R. c. Regina Shoppers Mall Limited, [1991] A.C.F. no 52 (QL), au paragraphe 7, et Johnson c. Canada, 2012 CAF 253, [2013] 1 R.C.F. F‑3, au paragraphe 55.

[19]          Voir, de façon générale, la décision Vachon c. La Reine, 2014 CAF 224, au paragraphe 9.

[20]          Si j'écartais la suggestion de l'appelant concernant la façon de présenter la preuve et que j'ordonnais que tous les éléments de preuve nécessaires soient présentés oralement, en personne, avec un contre‑interrogatoire complet, je remplacerais une audience par une décision fondée sur l'article 58, ce qui, tel qu'il a été mentionné, n'est pas l'objet de l'article 58. Cela est confirmé par le fait qu'une ordonnance en vertu de l'article 58 se traduirait fort probablement par une violation de l'exigence du paragraphe 58(2), puisqu'aucun des résultats désirés ne résulterait d'une telle ordonnance.

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