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Dossier : 2011-815(SLP)G

ENTRE :

OROVILLE REMAN & RELOAD INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 8 et 9 décembre 2015 à

Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge en chef Eugene P. Rossiter

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me P. John Landry

Me Jeffrey Horswill

Avocats de l’intimée :

Me Michael Taylor

Me Matthew Turnell

 

JUGEMENT

L’appel de la cotisation établie au titre de l’article 18 de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre, dont l’avis est daté du 11 août 2008, est accueilli et la cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Les dépens sont attribués à l’appelante. Les parties pourront aborder la question des dépens de l’appel à une date fixée par la Cour.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour d’avril 2016.

« E.P. Rossiter »

Le juge en chef Rossiter

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d’octobre 2019.

Mario Lagacé, jurilinguiste



MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Rossiter

Aperçu

[1] Le présent appel porte sur des questions de compétence en droit international.

[2] L’appelante est une société constituée aux États-Unis d’Amérique (les « É.‑U. »). Elle n’a jamais exercé d’activités commerciales au Canada. Ses activités ont strictement lieu aux É.-U.

[3] L’appelante était une « importatrice attitrée » de produits de bois d’œuvre canadiens importés aux É.-U. et, conformément à deux décrets américains actifs entre 2002 et 2006, elle versait au gouvernement américain des dépôts douaniers relatifs à ces importations particulières.

[4] En septembre 2006, les gouvernements du Canada et des É.-U. ont conclu un Accord sur le bois d’œuvre résineux, qui prévoyait un régime de remboursement des dépôts douaniers déjà versés conformément aux deux décrets américains. En vertu de ce régime, les remboursements étaient versés à l’appelante par le gouvernement des É.-U.

[5] Conformément au paragraphe 18(3) de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre (la « LDEPBO »), le ministre du Revenu national (le « ministre ») a imposé un droit de 18,06 p. 100 sur les remboursements de l’appelante. Ce droit, avec intérêts courus, s’établit à 927 700,75 $.

[6] L’appelante a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu de l’article 57 de la LDEPBO.

Les faits

[7] Voici l’exposé conjoint des faits :

[traduction]

Cotisation faisant l’objet de l’appel

1. La cotisation qui fait l’objet du présent appel est un avis de cotisation (la « cotisation ») daté du 11 août 2008, établi au titre de l’article 18 de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits du bois d’œuvre, L.R.C. 2006, ch. 13 (la « Loi »).

Oroville Reman & Reload Inc.

2. L’appelante, Oroville Reman & Reload Inc. (« Oroville »), est une société constituée en vertu des lois de l’État de Washington, aux États-Unis.

3. Le principal lieu d’affaires d’Oroville est le 301, 9e Avenue, Oroville, dans l’État de Washington. Oroville, dans l’État de Washington, se situe à environ 6,5 km au sud de la frontière canadienne et comporte un poste frontalier officiel pour se rendre à Osoyoos, en Colombie-Britannique.

4. Oroville n’est pas, et n’a jamais été, enregistrée ou exploitée dans une province ou un territoire du Canada. Oroville n’a pas d’installations ou de biens au Canada et n’y exerce aucune activité.

5. Les installations commerciales d’Oroville sont toutes situées à Oroville, dans l’État de Washington. Ces installations comprennent des cours d’entreposage et de rechargement comportant de nombreuses voies ferrées de desserte, des sites de chargement des camions, un espace d’entreposage limité et une usine de seconde transformation.

6. Oroville est une société de service qui offre, moyennant un droit, des services de rechargement, de remballage et de seconde transformation de produits de bois d’œuvre. Ces produits sont produits et vendus par des producteurs tiers (pour la plupart des producteurs de bois d’œuvre canadiens) à des clients tiers. Les produits sont importés aux États-Unis, où Oroville offre ses services, puis sont livrés au client. Dans la plupart des cas, les clients se trouvent aux États-Unis, mais certains d’entre eux sont situés outre-mer et, dans ces cas, le bois d’œuvre est retourné au Canada, puis acheminé à sa destination.

7. Oroville ne devient pas propriétaire des produits de bois d’œuvre livrés à ses installations. Elle ne transporte pas les produits de bois d’œuvre du Canada aux États-Unis, et n’organise pas non plus leur transport. Le transport des produits vers le client final est organisé par les producteurs de bois d’œuvre ou leurs clients.

8. Les services de rechargement fournis par Oroville comprennent généralement la réception, l’entreposage et le rechargement du bois d’œuvre délivré par camion aux installations d’Oroville. Lorsque le bois d’œuvre destiné à un client du producteur canadien est prêt, il est rechargé sur des wagons ou dans des camions, puis expédié à ce client. Les services de rechargement d’Oroville sont tous offerts aux États‑Unis.

9. Les services de remballage de bois d’œuvre fournis par Oroville comprennent généralement le remballage du bois d’œuvre reçu des producteurs canadiens de bois d’œuvre dans de plus petits emballages. Une fois emballé, le bois est entreposé, puis rechargé en vue de son expédition et de sa distribution. Les services de remballage d’Oroville sont tous offerts aux États-Unis.

10. Les services de seconde transformation fournis par Oroville comprennent généralement la seconde transformation du bois d’œuvre reçu des producteurs canadiens. Ces services comprennent l’éboutage et le reclassement du bois d’œuvre en bois d’œuvre de qualité supérieure ou en sciage raboté, ainsi que l’éboutage et l’apprêt (peinture) du bois d’œuvre. Les produits visés sont ensuite réemballés, rechargés et distribués. Les services de seconde transformation d’Oroville sont tous fournis aux États-Unis.

11. De 2002 à 2004, tous les produits de bois d’œuvre canadiens importés et traités par Oroville ont été rechargés, mais seulement environ le tiers des produits ont fait l’objet d’une seconde transformation.

12. Les services d’Oroville sont tous fournis à des producteurs de bois d’œuvre canadiens; toutefois, Oroville n’offre aucun service au Canada. Le travail réalisé par Oroville à cet égard est entièrement réalisé aux États-Unis.

13. Oroville produit des déclarations de revenus et paye des impôts sur le revenu aux États-Unis. Elle ne produit pas de déclarations et ne paye pas d’impôts au Canada.

Propriété d’Oroville et son lien avec Gorman Bros.

14. Oroville est une filiale en propriété exclusive de Gorman Bros. Lumber Ltd. (« Gorman Bros. »). Gorman Bros. est une société canadienne située à Westbank, en Colombie-Britannique. Gorman Bros. est un producteur canadien de bois d’œuvre qui vend ses produits au Canada, aux É.-U. et dans d’autres marchés d’exportation.

15. Entre 2001 et 2007, Bill Reddy était président à la fois de Gorman Bros. et d’Oroville.

16. Entre 2002 et 2004, Oroville a offert environ 95 % de ses services de rechargement, de remballage et de seconde transformation à Gorman Bros., et le reste, à d’autres producteurs canadiens de bois d’œuvre.

Transport et courtage en douanes aux É.-U. relatif au bois d’œuvre traité par Oroville

17. Le transport du bois d’œuvre du Canada vers les installations d’Oroville, puis des installations d’Oroville vers le client final, est payé et organisé par le producteur canadien de bois d’œuvre ou son client final.

18. Oroville a accordé à Norman G. Jensen, Inc. (« Norman Jensen »), courtier en douanes américain, une procuration pour effectuer des services de courtage en douanes en son nom. Gorman Bros. a aussi retenu les services de courtage en douanes de Norman Jensen aux É.-U. Pendant la période visée, Norman Jensen se trouvait à Minneapolis, au Minnesota.

Différend commercial entre le Canada et les États-Unis sur le bois d’œuvre

19. Entre 2001 et 2006, le Canada et les États-Unis étaient parties à un important différend commercial concernant le bois d’œuvre canadien. Ce différend portait sur la légalité, sous le régime des lois applicables à l’Organisation mondiale du commerce et des lois internes des États‑Unis, de l’imposition de droits antidumping et compensateurs aux produits de bois d’œuvre canadiens importés aux É.-U. Les décrets pertinents pris par les autorités américaines étaient les suivants :

a. le texte intitulé Notice of Amended Final Determination of Sales at Less than Fair Value and Antidumping Order: Certain Softwood Lumber Products from Canada, 67 Fed. Reg. 36,068 (22 mai 2002), avec ses modifications;

b. le texte intitulé Notice of Amended Final Affirmative Countervailing Duty Determination and Notice of Countervailing Duty Order: Certain Softwood Lumber Products from Canada, 67 Fed. Reg. 36,070 (22 mai 2002), avec ses modifications.

(collectivement, les « décrets américains »)

20. De 2002 à 2006, les États-Unis ont recueilli environ 5,4 milliards de dollars américains en droits relativement à l’importation de produits de bois d’œuvre canadiens aux États-Unis. Même si quelques importateurs, y compris Oroville, étaient des entreprises américaines, la vaste majorité des importateurs ayant versé des droits (décrits aux termes des lois des É.-U. comme des [traduction] « importateurs attitrés ») étaient des producteurs de bois d’œuvre canadiens.

21. Le 12 septembre 2006, le Canada et les États-Unis ont conclu un accord mettant fin au différend sur le bois d’œuvre (l’« Accord sur le bois d’œuvre résineux »). L’Accord sur le bois d’œuvre résineux comprenait, en partie, la révocation rétroactive des décrets américains et le remboursement, intérêts en sus, des droits payés en vertu de ces décrets.

22. En ce qui concerne les questions relatives à la cotisation, l’Accord sur le bois d’œuvre résineux prévoyait que :

a. les États-Unis révoqueraient rétroactivement les décrets américains et rembourseraient tous les dépôts douaniers aux importateurs attitrés, avec les intérêts courus;

b. le Canada offrirait aux importateurs attitrés l’option d’attribuer à Exportation et développement Canada (« EDC ») tout remboursement que leur devaient les États‑Unis en raison de la révocation des décrets américains et de recevoir le paiement immédiat de ces sommes de la part d’EDC, moins une partie que conserverait EDC (le « régime des importateurs dépositaires »);

c. le Canada verserait à certaines parties nommées aux États-Unis un total de 1 000 000 000 $ US.

23. Le régime des importateurs dépositaires offrait aux importateurs attitrés la possibilité de recevoir un paiement immédiat d’environ 80 % du remboursement de droits prévu, alors que le remboursement direct par les États-Unis n’était pas prévu pour une période de six mois à deux ans.

24. Sous le régime des importateurs dépositaires, EDC conserverait un pourcentage de chaque remboursement attribué équivalant au pourcentage représenté par 1 000 000 $ [sic] par rapport à l’ensemble des droits remboursés par les États-Unis suivant la révocation des décrets américains. Le pourcentage devant être conservé par EDC a subséquemment été établi à 18,06 %.

25. L’Accord sur le bois d’œuvre résineux prévoyait que les importateurs dépositaires seraient tenus de confier irrévocablement à EDC le mandat de se servir des fonds retenus des remboursements de droits attribués pour financer la somme de 1 000 000 000 $ US devant être versée à certains destinataires aux États-Unis.

26. L’Accord sur le bois d’œuvre résineux stipulait que « [l]e Canada verse dans les comptes visés un montant équivalent à la différence entre le montant de 1 milliard de dollars américains et le montant global affecté par les importateurs dépositaires [c’est-à-dire les importateurs attitrés ayant pris part au régime des importateurs dépositaires] ».

27. L’Accord sur le bois d’œuvre résineux stipulait qu’il n’entrerait pas en vigueur avant que les importateurs attitrés qui comptent pour 95 % du total des dépôts douaniers aient accepté de participer au régime des importateurs dépositaires.

28. Le 18 septembre 2006, le ministre du Commerce international a déposé un avis de motion de voies et moyens annonçant son intention de promulguer la Loi pour mettre en œuvre l’Accord sur le bois d’œuvre résineux.

29. La Loi a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 20 septembre 2006, sous la désignation de projet de loi C-24.

30. Le 12 octobre 2006, le Canada et les États-Unis ont accepté de modifier l’Accord sur le bois d’œuvre résineux. Entre autres modifications, les parties ont accepté de supprimer l’exigence selon laquelle des importateurs attitrés comptant pour au moins 95 % du total des dépôts douaniers devaient participer au régime des importateurs dépositaires pour que l’Accord entre en vigueur.

31. La Loi a reçu la sanction royale le 14 décembre 2006. Tous les articles de la Loi, sauf cinq qui ne sont pas pertinents dans le cadre du présent appel, étaient considérés comme étant en vigueur le 12 octobre 2006.

32. Les importateurs attitrés n’ont pas tous participé au régime d’EDC. Oroville figurait parmi les sociétés qui n’y ont pas participé.

33. Vers la fin de 2006, les États-Unis ont révoqué les décrets américains et ont subséquemment remboursé complètement les dépôts douaniers versés par les importateurs attitrés.

Oroville était une « importatrice attitrée »

34. Pendant la période visée, Oroville avait la désignation d’importatrice attitrée pour les produits de bois d’œuvre canadiens importés aux États-Unis, selon les formulaires produits en application des lois des États-Unis.

35. Même si Oroville n’est pas devenue propriétaire des produits de bois d’œuvre, Norman Jensen a désigné Oroville comme importatrice attitrée conformément aux lois des É.-U.

36. Selon les lois des États-Unis, l’importateur attitré est chargé de verser des dépôts douaniers antidumping et compensateurs.

37. Entre 2002 et 2004, Norman Jensen a remis aux représentants douaniers des États-Unis les documents pertinents pour chaque importation pour laquelle Oroville avait la désignation d’importatrice attitrée et a versé les dépôts douaniers applicables au nom de la société.

38. Norman Jensen a facturé à Oroville environ 84 % des dépôts douaniers pour lesquels Oroville avait la désignation d’importatrice attitrée et a facturé à Gorman Bros. le solde d’environ 16 %. Les sommes ont toutes été versées par Gorman Bros. plutôt que par Oroville.

Importation de produits de Gorman Bros. et décision relative à la désignation d’importatrice attitrée

39. Gorman Bros. et Oroville étaient toutes deux désignées comme importatrices attitrées pour le bois d’œuvre produit par Gorman Bros. et importé aux États-Unis entre 2002 et 2004. Parfois, Gorman Bros. était désignée comme importatrice attitrée sur les formulaires douaniers des États-Unis et parfois, c’était Oroville qui l’était.

40. La décision de désigner Oroville ou Gorman Bros. comme importatrice attitrée pour une livraison particulière de bois d’œuvre était prise par Norman Jensen.

41. On ne sait pas pourquoi la désignation d’importatrice attitrée alternait entre Oroville et Gorman Bros.

42. Oroville n’a jamais été l’importatrice attitrée en 2005 ou en 2006.

Remboursements de droits à Oroville

43. Au moment de la révocation des décrets américains, les États-Unis ont remboursé à Oroville la somme de 3 967 905,16 $ US. Il s’agissait du plein montant de ses dépôts douaniers, plus les intérêts, tel qu’il est indiqué ci-dessous :

Date du remboursement Montant du remboursement ($ US)

3 nov. 2006 1 047 356,55 $

13 nov. 2006 2 095 008,75 $

17 nov. 2006 143 243,40 $

24 nov. 2006 558 701,03 $

1er déc. 2006 8 016,83 $

8 déc. 2006 115 578,60 $

TOTAL 3 967 905,16 $

44. Au moment de la révocation des décrets américains, comme l’exige la loi américaine, le gouvernement des États-Unis a payé les remboursements de son trésor à Philadelphie, en Pennsylvanie, à Norman Jensen de Minneapolis, au Minnesota.

45. Norman Jensen a payé à Oroville 3 354 123,83 $ US au titre des remboursements. Ces paiements ont été effectués au moyen de chèques, qui ont été reçus par Oroville, dans l’État de Washington, du 4 au 15 décembre 2006. Oroville a déposé ces paiements dans son compte bancaire à la banque Sterling Savings d’Oroville, dans l’État de Washington.

46. Norman Jensen a versé le solde de 617 888 $ US à Gorman Bros. en décembre 2006 et en janvier 2007. Norman Jensen a agi de la sorte parce qu’elle avait facturé le paiement de dépôts douaniers de cette somme à Gorman Bros.

47. De la somme de 3 354 123,83 $ US reçue de Norman Jensen, Oroville a versé 3 231 463,73 $ US à Gorman Bros., selon les directives de cette dernière. Oroville a gardé le reste de la somme.

Cotisation établie à l’égard d’Oroville par le ministre du Revenu national

48. Au moyen de lettres datées du 14 janvier 2008 et du 31 juillet 2008, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a avisé Oroville qu’elle devait verser au Canada 18,06 % des dépôts douaniers remboursés par le gouvernement des États-Unis, citant le paragraphe 18(3) de la Loi, qui lui confère le pouvoir d’exiger ceci.

49. Au moyen de lettres datées du 13 février 2008 et du 22 août 2008, Oroville a refusé de verser des droits au Canada au titre du paragraphe 18(3) de la Loi.

50. Au moyen de la cotisation, le ministre a imposé à Oroville, conformément au paragraphe 18(3) de la Loi, des droits de 814 483,44 $ CA, plus les arrérages d’intérêts calculés à compter du 11 août 2008, pour un montant total de 924 700,75 $ :

Date du Taux de Montant du Frais de Droits

remboursement change remboursement 18,06 % imposés ($ US) ($ US) ($ CA)

3 nov. 2006 1,1290 1 047 356,55 $ 189 152,59 $ 213 553,28 $

13 nov. 2006 1,1395 2 095 008,75 $ 378 358,58 $ 431 139,60 $

17 nov. 2006 1,1459 143 243,40 $ 25 869,76 $ 29 644,16 $

24 nov. 2006 1,1346 558 701,03 $ 100 901,41 $ 114 482,74 $

1er déc. 2006 1,1445 8 016,83 $ 1 447,84 $ 1 657,05 $

8 déc. 2006 1,1501 115 578,60 $ 20 873,50 $ 24 006,61 $

TOTAL 3 967 905,16 $ 716 603,67 $ 814 483,43 $

51. Le 4 novembre 2008, Oroville s’est opposée à la cotisation.

52. Le 14 décembre 2010, le ministre a confirmé la cotisation.

53. Oroville n’a toujours pas versé le montant de la cotisation.

Les questions en litige

[8] Les parties sont en désaccord quant à l’ordre dans lequel les questions devraient être abordées. La question générale est celle de savoir si le ministre a établi la cotisation de l’appelante de façon appropriée, selon l’article 18 de la LDEPBO.

[9] L’appelante est d’avis que les questions devraient être abordées dans l’ordre suivant :

A. La tentative du Canada d’appliquer le paragraphe 18(3) de la LDEPBO représente-t-elle un exercice de compétence d’exécution inacceptable?

B. Si la réponse à la question A est non, la tentative d’appliquer le paragraphe 18(3) est-elle alors exclue par le principe selon lequel la législation nationale est présumée se conformer aux principes du droit international (la « présomption de conformité »)?

C. Si la réponse aux questions A et B est non, la tentative du Canada d’appliquer le paragraphe 18(3) de la LDEPBO est-elle alors exclue par la présomption selon laquelle la législation nationale n’est pas censée avoir de portée extraterritoriale (la « présomption contre l’extraterritorialité »)?

[10] Les présomptions visées aux questions B et C sont simplement des présomptions. Il est bien loisible au législateur d’adopter des lois qui les réfutent, mais ces lois doivent démontrer une intention sans équivoque de le faire.

[11] Les parties conviennent qu’il s’agit de questions mixtes de droit et de fait, compte tenu de l’exposé conjoint des faits.

[12] L’intimée, quant à elle, considère la question C comme étant la première à traiter, car, si le paragraphe 18(3) ne peut être interprété de façon à lui conférer un caractère extraterritorial, il ne s’appliquerait pas à l’appelante et il n’y aurait donc aucune raison de discuter de la compétence d’exécution ou des principes du droit international. Si la loi n’indique pas, par un libellé clair ou une déduction nécessaire, que le législateur souhaitait conférer au paragraphe 18(3) une portée extraterritoriale, l’appel doit être accueilli. Dans le cas contraire, les questions A et B entrent en ligne de compte.

Les dispositions législatives applicables

[13] Les dispositions législatives applicables figurent à l’annexe A des présents motifs.

Discussion

[14] J’aborderai les questions dans l’ordre proposé par l’appelante.

1) La tentative du Canada d’appliquer le paragraphe 18(3) de la LDEPBO contre l’appelante représente-t-elle un exercice de la compétence d’exécution inacceptable?

[15] Le droit international reconnaît trois types de compétence : la compétence normative, la compétence d’exécution et la compétence juridictionnelle. La Cour suprême du Canada (la « CSC »), dans l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 RCS 292 [l’arrêt Hape] a expliqué ce qui suit au paragraphe 58 :

La compétence normative (aussi appelée compétence législative ou fondamentale) confère le pouvoir d’établir des règles, des prescriptions ou des droits opposables à des personnes, physiques ou morales. La législature qui adopte une loi exerce sa compétence législative. La compétence d’exécution permet de recourir à des moyens coercitifs pour faire respecter règles, prescriptions ou droits. Pour reprendre les propos de S. Coughlan et autres dans « Global Reach, Local Grasp : Constructing Extraterritorial Jurisdiction in the Age of Globalization » (2007), 6 C.J.L.T. 29, p. 32, [traduction] « la compétence d’exécution s’entend du pouvoir de l’État de prendre des mesures pour donner effet à ses lois (y compris le pouvoir de la police ou d’autres acteurs étatiques de faire enquête, qui pourrait être appelé compétence d’enquête » (en italique dans l’original). La compétence juridictionnelle consiste dans le pouvoir des tribunaux d’un État de régler des différends ou d’interpréter la loi au moyen de décisions ayant force obligatoire.

[16] La première tâche est celle de déterminer le type de compétence qu’a exercée le Canada lorsque l’ARC a expédié certaines lettres à l’appelante. Cette dernière affirme que le Canada a exercé sa compétence d’exécution, alors que l’intimée maintient qu’il s’agissait de sa compétence normative.

[17] Cette distinction est importante, car différentes conditions préalables entrent en ligne de jeu selon qu’un État exerce sa compétence normative ou d’exécution. Selon l’arrêt Hape, au paragraphe 68, le Canada peut exercer sa compétence normative de façon extraterritoriale lorsqu’il le fait en conformité avec des principes coutumiers contraignants, ou même en contravention à ces principes lorsque le législateur annonce clairement son intention de le faire. Toutefois, le Canada ne peut exercer sa compétence d’exécution dans un pays étranger qu’avec le consentement de ce pays.

[18] Que signifie l’exécution dans le domaine fiscal? L’appelante affirme qu’une correspondance destinée à appliquer les lois sur le revenu constitue l’exercice d’une compétence d’exécution. Cette thèse est étayée par l’auteur F.A. Mann, qui distingue les documents d’avis, qui ne font que transmettre de l’information, sans menace de pénalité en cas de non-conformité, des documents comprenant une procédure obligatoire ou une ordonnance [1] . Selon F.A. Mann, cette dernière catégorie représente la compétence d’exécution. Michael Akehurst écrit que, comme le pouvoir d’imposition est un pouvoir souverain, les démarches entreprises pour donner effet à ce pouvoir sur le territoire d’un autre État représentent l’application d’une compétence d’exécution [2] .

[19] De l’autre côté, l’intimée affirme que l’exécution n’est pas possible avant l’envoi d’un avis de cotisation. La compétence d’exécution n’entre en ligne de compte qu’après cet envoi, lorsque l’ARC prend des mesures de perception sur sa créance fiscale. Cela me semble invraisemblable. Si l’exercice d’une compétence normative prend fin dès lors que le législateur adopte la LDEPBO (et les deux parties semblent avoir été d’accord sur ce point), et que l’exercice de la compétence d’exécution ne commence qu’après la délivrance d’un avis de cotisation, il y a alors une lacune quant à la compétence pour la période qui s’étend entre les deux. Selon mon interprétation de la correspondance de l’ARC dont il est question ci-dessous, il semble clair qu’en l’espèce le Canada a exercé sa compétence d’exécution.

[20] Que les démarches qui sont alléguées avoir été des mesures d’exécution aient été prises avant ou après l’établissement de la cotisation est sans intérêt. L’intimée n’a pas été en mesure d’offrir d’explication raisonnable pour contrer la suggestion selon laquelle la compétence d’exécution survient immédiatement après la compétence normative et que celle-ci prend fin lorsque le texte législatif reçoit la sanction royale et entre en vigueur.

[21] Le ministre a expédié à l’appelante deux lettres, datées du 14 janvier et du 31 juillet 2008, accompagnées du formulaire B277 pour le paiement des droits.

[22] La lettre datée du 14 janvier 2008, ci-jointe à titre d’annexe B, expliquait le droit découlant du paragraphe 18(3) et indiquait que [traduction] « [p]our produire la déclaration et payer les dépôts douaniers, Oroville Reman & Reload Inc. doit produire le formulaire B277 ci-joint, Déclaration de droits sur les remboursements de dépôts douaniers, et poster le formulaire rempli à l’adresse indiquée ci-dessous ». La lettre se terminait par la phrase [traduction] « Veuillez fournir les renseignements ci-dessus dans les 30 jours de la date de la présente lettre » .

[23] Le formulaire B277 ci-joint se passe d’explication et contient le texte suivant : « En vertu du paragraphe 18(3) de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre, toute personne qui reçoit le remboursement d’un dépôt douanier dans le cadre de l’entente sur le bois d’œuvre de 2006 est tenue de payer un droit équivalent à 18,06 % du remboursement. Ce droit s’applique sur les remboursements émis directement du gouvernement des États-Unis d’Amérique ou en vertu du mécanisme de remboursement de Exportation et développement Canada [...] ». Ce formulaire figure à l’annexe C.

[24] La lettre datée du 31 juillet 2008 utilise un libellé plus ferme et soulève la menace de pénalités. Elle commence par : [traduction] « La présente a pour but de vous informer que, malgré une lettre précédente, datée du 27 mars 2008, vous n’avez toujours pas produit de Déclaration des droits sur les remboursements de dépôts douaniers (formulaire B277) pour déclarer le remboursement des dépôts douaniers et les droits exigibles pour la société ci-dessus conformément aux articles 18 et 26 de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre (la «Loi»). L’article 26 de la Loi exige la production d’une déclaration, le calcul du montant total des droits exigibles et le versement de la somme, le cas échéant, au Receveur général. Par conséquent, nous établissons une cotisation des droits exigibles en vertu de l’article 50 [...] ». La possibilité que des pénalités soient imposées a alors été soulevée : [traduction] « De plus, des pénalités pour omission de présenter une déclaration pourraient être imposées aux termes de l’article 64, ainsi que des intérêts sur les sommes qui n’ont pas été payées dans les délais prévus aux articles 34 et 35 de la Loi. » La lettre indique aussi : [traduction] « [n]ous vous encourageons fortement à produire la déclaration et à effectuer votre paiement [...] ».

[25] Il n’y aurait aucun doute dans l’esprit du destinataire des lettres, en particulier de la lettre du 31 juillet 2008, que l’ARC présentait des demandes coercitives. La correspondance démontre clairement que l’objectif de l’ARC était de percevoir des fonds qu’elle affirmait être dus. Elle souhaitait en tout premier lieu déterminer la somme due, puis la percevoir. Le fait qu’un avis de cotisation n’avait pas été établi à l’époque ne change en rien la nature des mesures qui ont été prises. Simplement dit, la correspondance indiquait une procédure obligatoire (de produire une déclaration), et la possibilité de pénalités pour omission de s’y conformer. Il s’agit nécessairement d’une compétence d’exécution.

[26] L’intimée a affirmé que le fait de conclure que l’ARC exerçait une compétence d’exécution serait chaotique et révolutionnaire. Je ne suis pas d’accord. Le gouvernement du Canada, s’il avait voulu appliquer la LDEPBO de façon extraterritoriale, aurait pu prendre des mesures pour s’assurer de pouvoir le faire, en particulier à l’aide de conventions fiscales ou de négociations et d’accords avec l’autre État.

[27] Comme je l’ai déjà mentionné, la compétence d’exécution ne peut être exercée dans un pays étranger qu’avec le consentement de celui-ci. En l’espèce, rien n’indique, directement ou indirectement, que les É.-U. aient accordé au Canada le droit de percevoir de l’appelante, aux É.-U., des fonds qui, selon le Canada, doivent être payés aux termes de la loi en question.

[28] En réponse à la première question soulevée par les parties, je conclus que le Canada a tenté d’appliquer la LDEPBO à l’appelante, en contravention du droit international. Je remets à plus tard la question de savoir si le fait d’envoyer un avis de cotisation représente une tentative d’exercer une compétence d’exécution, car je conclus que les autres arguments de l’appelante tranchent l’affaire en sa faveur.

ii) La question de savoir si la présomption de conformité et la présomption contre l’extraterritorialité empêchent le Canada de percevoir de l’impôt de l’appelante

[29] La présomption de conformité et la présomption contre l’extraterritorialité sont utiles pour interpréter la loi. L’appelante affirme que ces présomptions font en sorte que le paragraphe 18(3) doit être interprété de façon à ne pas s’appliquer à une entité comme l’appelante.

[30] L’appelante soulève les deux présomptions de façon distincte. Cependant, comme je l’expliquerai plus loin, l’idée maîtresse des deux présomptions est semblable en l’espèce. Par conséquent, je les examinerai ensemble de la façon suivante. J’examinerai d’abord la question de savoir si l’application du paragraphe 18(3) contre l’appelante enfreindrait la présomption de conformité ou la présomption contre l’extraterritorialité. S’il n’y a aucune violation des présomptions, l’intimée aura gain de cause pour les questions B et C. S’il y a violation des présomptions, la deuxième étape est celle de déterminer si le législateur avait l’intention manifeste de violer les présomptions.

[31] Dans l’arrêt Hape, la CSC a décrit la présomption de conformité comme suit, au paragraphe 53 :

Selon un principe d’interprétation législative bien établi, une loi est réputée conforme au droit international. Cette présomption se fonde sur le principe judiciaire selon lequel les tribunaux sont légalement tenus d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat. Dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 422, R. Sullivan explique que la présomption comporte deux volets. D’une part, l’organe législatif est présumé agir conformément aux obligations du Canada en tant que signataire de traités internationaux et membre de la communauté internationale. Appelé à choisir entre diverses interprétations possibles, le tribunal doit éviter celles qui emporteraient la violation de ces obligations. D’autre part, l’organe législatif est présumé respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel. Le tribunal privilégie donc l’interprétation qui reflète ces valeurs et ces principes, lesquels font partie du contexte d’adoption des lois. La présomption est toutefois réfutable. La souveraineté du Parlement exige que le tribunal donne effet à une loi qui exprime l’intention non équivoque du législateur de manquer à une obligation internationale [...] »

[32] Bref, la loi devrait, dans la mesure du possible, être interprétée d’une façon conforme aux principes du droit international et de la courtoisie.

[33] L’appelante maintient que les principes du droit international en question ici sont l’égalité souveraine, la non-intervention et le respect de la souveraineté territoriale des États étrangers.

[34] Dans l’arrêt Hape, la CSC a expliqué qu’il y a des limites à la compétence de l’État :

57 [L]a compétence se différencie du principe de la souveraineté des États, tout en faisant partie intégrante. Les principes en matière de compétence découlent de l’égalité souveraine et de l’obligation corollaire de non‑intervention. De façon générale, la compétence renvoie au pouvoir de l’État d’exercer son autorité et ses attributions publiques à l’égard de personnes, d’actes et d’événements : Cassese, p. 49.

[…]

59 Le droit international — et en particulier le principe coutumier primordial de l’égalité souveraine — délimite la compétence de l’État, tandis que le droit interne établit de quelle manière et dans quelle mesure l’État se prévaudra de sa compétence ainsi délimitée. Un État peut exercer l’une ou l’autre de ses compétences sur plusieurs fondements reconnus en droit international.

Les fondements reconnus de la compétence auxquels on fait allusion dans la citation ci-dessus sont les suivants :

1. le principe de la territorialité;

2. le principe de la nationalité;

3. le principe de la passivité;

4. le principe de la protection;

5. le principe universel.

[35] En l’espèce, le seul fondement en fonction duquel la LDEPBO s’appliquerait à l’appelante est le principe de la territorialité. En voici l’explication offerte dans l’arrêt Hape :

59 [...] Le principe de la territorialité se rattache à deux assises connexes de la compétence : la territorialité objective et la territorialité subjective. Suivant le principe de la territorialité objective, un État peut revendiquer sa compétence à l’égard d’un acte criminel qui débute ou se déroule à l’étranger, mais qui prend fin ou dont un élément constitutif se produit à l’intérieur de ses frontières, rattachant ainsi suffisamment l’événement à son territoire : Brownlie, p. 299. Voir également l’arrêt Libman, p. 212‑213. La territorialité subjective s’entend de la compétence à l’égard d’un acte qui survient ou débute dans un État, mais dont les conséquences se produisent dans un autre.

[36] En résumé, la présomption de conformité en l’espèce présuppose que la LDEPBO sera conforme aux principes de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de la courtoisie. Cela ne peut se produire que si l’application de la LDEPBO à l’appelante est justifiée sur le fondement de la territorialité.

[37] Dans l’arrêt R. c. Libman, [1985] 2 RCS 178, 21 DLR (4th) 174 [arrêt Libman], la CSC a énoncé ce que signifiait pour le Canada le principe de la territorialité. La question dans cette affaire était de savoir si le Canada avait compétence sur un acte criminel dont certaines parties avaient été commises dans divers pays. La CSC a conclu, à la page 212 :

Je pourrais résumer ainsi ma façon d’aborder les limites du principe de la territorialité. Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu’une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada. Comme l’affirment les auteurs modernes, il suffit qu’il y ait un « lien réel et important » entre l’infraction et notre pays, ce qui est un critère bien connu en droit international public et privé; voir Williams et Castel, ainsi que Hall, précités.

[38] Dans le cas qui nous occupe, la question est de savoir s’il existe un « lien réel et important » entre le Canada et les activités donnant lieu à la créance fiscale du Canada.

[39] Les facteurs qui établissent un « lien réel et important » varient en fonction des faits et des questions de l’affaire. Dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45 [2004] 2 RCS 427 [SOCAN], la CSC a suggéré que, lorsque la question de compétence consiste à déterminer si la Loi sur le droit d’auteur s’applique aux communications sur Internet entre participants internationaux, les facteurs pertinents comprennent le situs du fournisseur de contenu, du serveur hôte, des intermédiaires (comme les fournisseurs d’accès Internet) et de l’utilisateur final.

[40] L’intimée maintient qu’un « lien réel et important » existe en l’espèce. Elle mentionne l’harmonisation des intérêts du Canada et de l’appelante, soit la fin du différend sur le bois d’œuvre, les avantages monétaires obtenus par l’appelante grâce aux efforts du Canada pour régler ce différend, et le fait que le paiement concerne l’exportation de produits du bois d’œuvre canadiens.

[41] À mon avis, ces facteurs ne suffisent pas pour créer un lien réel et important, en particulier compte tenu de certains faits importants dont est saisie la Cour. L’appelante n’a jamais été enregistrée ou exploitée dans une province ou un territoire du Canada. Elle n’a pas d’installations ou de biens au Canada et n’y exerce aucune activité. Ses installations commerciales sont toutes situées dans l’État de Washington. L’appelante est une entreprise de services qui n’offre aucun de ses services au Canada. Le transport des produits de bois d’œuvre en direction et en provenance de ses installations était organisé et payé par les fournisseurs en question. L’intimée a porté mon attention sur le fait que l’appelante appartient à la société canadienne Gorman Bros Lumber Ltd (« Gorman ») et que le président de l’appelante était aussi président de Gorman, mais, à mon avis, cela n’est pas suffisant pour établir un lien réel et important. De plus, même si l’appelante était désignée comme importatrice attitrée, elle versait des droits au gouvernement des États-Unis, non pas à celui du Canada. Ces faits démontrent qu’une partie importante, sinon la totalité, des activités donnant lieu à la créance fiscale ont eu lieu à l’extérieur du Canada.

[42] Je conclus qu’il n’y a pas de « lien réel et important ». Par conséquent, la présomption de conformité est violée si la LDEPBO est interprétée comme si elle s’appliquait à l’appelante.

[43] L’appelante a aussi soulevé séparément la présomption contre l’extraterritorialité.

[44] Comme je l’ai mentionné plus tôt, en l’espèce, l’idée maîtresse de la présomption contre l’extraterritorialité et de la présomption de conformité est semblable. Essentiellement, l’appelante affirme que les deux présomptions seraient enfreintes si la LDEPBO s’appliquait de façon extraterritoriale, et la question concernant les deux présomptions se réduit à la question de savoir si l’interprétation de la LDEPBO de façon à ce qu’elle s’applique à l’appelante constitue une exécution extraterritoriale. Comme je l’ai indiqué précédemment, je crois que c’est le cas. Par conséquent, la présomption contre l’extraterritorialité a aussi été violée.

iii) La LDEPBO manifeste-t-elle une intention non équivoque de violer les présomptions?

[45] Pour ce qui est de la présomption de conformité, le paragraphe 53 de l’arrêt Hape est ainsi libellé :

[...] La présomption est toutefois réfutable. La souveraineté du Parlement exige que le tribunal donne effet à une loi qui exprime l’intention non équivoque du législateur de manquer à une obligation internationale.

[46] De même, la présomption contre l’extraterritorialité est réfutée lorsqu’il y a un « libellé clair ou [...] une déduction nécessaire à l’effet contraire » : arrêt SOCAN, au paragraphe 54.

[47] La question, au fond, est celle de savoir s’il est possible de déduire, à partir d’un libellé clair ou d’une déduction nécessaire, que le législateur avait l’intention non équivoque de violer les deux présomptions.

[48] La barre pour réfuter les présomptions est élevée. L’appelante a invoqué deux sources relativement à ce point en particulier. Dans l’arrêt Metcalfe v. Yamaha Motor Powered Products Co, 2012 ABCA 240 [arrêt Metcalfe], une déclaration a été signifiée ex juris à une société japonaise aux termes d’une ordonnance d’un tribunal en vertu de l’alinéa 11.26(1)b) des Alberta Rules of Court. L’ordonnance du tribunal exigeait que la signification soit conforme à la Convention de La Haye, ce qui n’était pas le cas. La Cour d’appel de l’Alberta devait déterminer si la signification était valide. On a soulevé un argument selon lequel le paragraphe 11.27(1) des Alberta Rules of Court, dont l’extrait figure ci-dessous, accordait au tribunal la discrétion de valider la signification en dépit de son défaut :

[traduction]

Si le tribunal est convaincu que le mode de signification a porté l’acte à l’attention de la personne devant recevoir la signification ou a été susceptible de le faire, il peut [...] ordonner la validation de la signification de l’acte en Alberta et à l’extérieur de cette province d’une façon que ne prévoient pas les présentes.

[49] La Cour d’appel de l’Alberta a conclu que ce libellé n’était pas suffisamment clair pour permettre à une cour de valider une signification enfreignant la Convention de La Haye. La Cour a statué, au paragraphe 48, ce qui suit :

[traduction]

Pour se conformer au droit international [de la façon requise par la décision Hape], l’article 11.27 ne devrait pas être interprété comme permettant un mode de signification contrevenant à la Convention de La Haye, sauf si le libellé de l’article 11.27 est clair et sans équivoque. L’article 11.27 ne contient pas tel libellé clair et sans équivoque.

[50] Il est intéressant de noter que l’article 11.27 des règles de procédure de l’Alberta mentionne expressément la signification [traduction] « à l’extérieur [de l’Alberta] », et pourtant la Cour a conclu que l’article 11.27 ne contenait pas un libellé clair et sans équivoque. Dans l’arrêt Khan Resources Inc. v. Atomredmatzolotocjsc, 2013 ONCA 189, après avoir cité l’arrêt Metcalfe, la Cour d’appel de l’Ontario en est venue à une conclusion semblable relativement à une question semblable.

[51] En l’espèce, je ne discerne aucun libellé clair qui pourrait le moindrement être qualifié de réfutation des présomptions en question.

[52] Si on examine la LDEPBO dans son ensemble, il y a des cas où le législateur avait l’intention d’étendre la portée de la LDEPBO à l’extérieur des frontières territoriales du Canada. Il semble que, lorsque c’est en effet l’intention du législateur, le libellé l’indique expressément. Par exemple, le paragraphe 22(5) exige que les non-résidents fournissent une garantie à l’égard des droits d’exportation, ce qui fait état de l’intention du législateur d’appliquer les dispositions sur les droits d’exportation (articles 10 à 17) de façon extraterritoriale. Toutefois, ces dispositions ne nous intéressent pas. C’est le paragraphe 18(3) qui nous intéresse, et celui-là ne contient pas de libellé exprès.

[53] L’intimée a ensuite soutenu, par déduction nécessaire, que le législateur avait voulu que l’article 18 s’applique aux entités comme l’appelante. Cependant, l’intimée n’a pas été en mesure d’invoquer des décisions où la doctrine de la déduction nécessaire avait été appliquée à des lois de nature fiscale. L’intimée a invoqué l’arrêt Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 RCS 225, qui portait sur la question de savoir si une loi particulière pouvait, par déduction nécessaire, lier l’État en dépit de sa prérogative d’immunité. L’intimée invoque cet arrêt à l’appui de la proposition selon laquelle un résultat peut être nécessairement déduit si la loi vise de façon manifeste ce résultat ou lorsque l’objet de la loi serait privé de toute efficacité sans ce résultat.

[54] J’ai examiné la loi en détail et je conclus que l’intention d’appliquer le paragraphe 18(3) de façon extraterritoriale n’est pas « manifeste » et que l’objet de la LDEPBO ne serait pas privé de toute efficacité si le paragraphe 18(3) ne s’appliquait pas à l’appelante.

[55] Il s’agit d’une loi fiscale. À mon avis, pour que les lois fiscales s’appliquent à un contribuable, le gouvernement doit faire en sorte que le comportement du contribuable, et le contribuable lui-même, se situent dans le cadre de la loi. En l’espèce, les assertions de l’intimée n’appuient aucunement une telle conclusion.

[56] Je note aussi qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle l’appelante était mandataire pour Gorman.

[57] En résumé, je conclus que le législateur ne voulait pas que le paragraphe 18(3), qui s’applique à « [t]out intéressé », s’applique à des entités comme l’appelante.


Conclusion

[58] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli, la cotisation est annulée, et l’appelante a droit aux dépens du présent appel. Les parties pourront aborder la question des dépens de l’appel à une date fixée par la Cour.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour d’avril 2016.

« E.P. Rossiter »

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d’octobre 2019.

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE « A »

Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre (L.C. 2006, ch. 13)

Définitions

18(1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

décret douanier américain Selon le cas

a) le texte intitulé Notice of Amended Final Determination of Sales at Less Than Fair Value and Antidumping Duty Order : Certain Softwood Lumber Products from Canada, 67 Fed. Reg. 36,068 (22 mai 2002), avec ses modifications;

b) le texte intitulé Notice of Amended Final Affirmative Countervailing Duty Determination and Notice of Countervailing Duty Order : Certain Softwood Lumber Products from Canada, 67 Fed. Reg. 36,070 (22 mai 2002), avec ses modifications. (United States duty order)

dépôt douanier Somme donnée en dépôt au titre du décret douanier américain. (duty deposit)

importation non tarifée Importation pour laquelle un dépôt douanier a été fait et à l’égard de laquelle les droits n’ont pas été déterminés au 12 octobre 2006. (covered entry)

intéressé Personne qui a présenté les documents et renseignements exigés par la législation américaine pour l’importation, aux États-Unis, de produits de bois d’œuvre durant la période commençant le 22 mai 2002 et se terminant le 11 octobre 2006. (specified person)

remboursement S’agissant de l’intéressé, le remboursement de tout dépôt douanier et des intérêts afférents courus, selon le droit applicable aux États-Unis, jusqu’au premier en date des jours suivants :

  • a) le jour où le remboursement est fait à l’intéressé ou à la personne désignée par celui-ci;

  • b) le jour où l’intéressé cède à titre onéreux son droit au remboursement à Sa Majesté du chef du Canada. (duty deposit refund)

révocation S’agissant de tout décret douanier américain, sont assimilées à la révocation l’instruction de mettre fin à toute suspension de la tarification des importations non tarifées et celle de rembourser tout dépôt douanier. (révocation)

Le paragraphe 18(3) prévoit ce qui suit :

Tout intéressé à l’égard duquel une importation non tarifée sera tarifée, pour cause de révocation, est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada le droit au taux applicable sur le montant de tout remboursement relatif à l’importation non tarifée.


ANNEXE « B »

Agence du revenu du Canada

Le 14 janvier 2008

Oroville Reman & Reload Inc.

301 9th Avenue

Oroville, Wa, USA 98844

[TRADUCTION]

Monsieur ou madame,

Objet : Examen de la déclaration des droits sur les remboursements de dépôts douaniers pour la période du 12 octobre 2006 au 31 décembre 2006.

Un examen de nos dossiers révèle que Oroville Reman & Reload Inc. a reçu un remboursement de dépôts douaniers du gouvernement des États-Unis d’Amérique et qu’Oroville Reman & Reload Inc. n’a pas vendu ses droits sur le remboursement de dépôts aux termes d’une entente avec Sa Majesté du chef du Canada, représentée par Exportation et développement Canada («EDC»).

Le paragraphe 18(3) de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre prévoit l’imposition d’un droit de 18.06% sur tous les remboursements de dépôts douaniers. Ce droit est exigible de toute personne admissible à un remboursement de dépôt douanier en vertu de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux (ABR) entre le Canada et les États-Unis entré en vigueur le 12 octobre 2006.

Ce droit s’applique également aux intérêts afférents sur les remboursements de dépôts douaniers courus jusqu’au jour où le remboursement est fait, ce jour pouvant être postérieur au 11 octobre 2006. Pour plus de renseignements sur les dépôts douaniers, consultez

http:www.cra-arc.gc.ca/E/pub/et/swln2/README/html

Pour produire la déclaration et payer les dépôts douaniers, Oroville Reman & Reload Inc. doit produire le formulaire B277 ci-joint, Déclaration de droits sur les remboursements de dépôts douaniers, et poster le formulaire rempli à l’adresse indiquée ci-dessous.

Vous recevrez un avis, sous pli séparé, de toute remise applicable à votre compte.

Décret de remise no 1 – En vertu de ce décret est accordée la remise d’un droit payé ou à payer en vertu de l’article 18 de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre sur le montant du remboursement des dépôts douaniers et de tout intérêt payé ou payable à la remise à la personne qui vend à titre onéreux ses droits sur le remboursement de dépôts douaniers à Sa Majesté du chef du Canada, représentée par Exportation et développement Canada («EDC»), et au nom de qui EDC verse un montant aux bénéficiaires à ce titre.

Décret de remise no 2 – En vertu de ce décret est accordée la remise de la partie d’un droit payé ou à payer en vertu de l’article 18 de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits du bois d’œuvre sur le montant du remboursement des dépôts douaniers courus après le 11 octobre 2006 et de tout intérêt payé ou à payer sur la partie de ce droit si la personne ne vend pas ses droits sur le remboursement de dépôts douaniers aux termes d’une entente avec Sa Majesté du chef du Canada, représentée par Exportation et développement Canada («EDC»).

Veuillez fournir les renseignements précisés ci-dessus dans les 30 jours de la date de la présente lettre. Veuillez communiquer avec Brian Kaake, au numéro de téléphone ci-dessous si vous avez des questions. Les appels à frais virés seront acceptés.

Veuillez agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Brian Kaake

Droits d’accise et impôts

Direction du bois d’œuvre résineux

Vancouver (BSF)

Numéro de téléphone 604 587-2577


ANNEXE « C »




 

 

 

 





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