Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2009-3506(IT)G

ENTRE :

JUANITA MARIANO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3516(IT)G

ET ENTRE :

DOUGLAS MOSHURCHAK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3498(IT)G

ET ENTRE :

SERGIY BILOBROV,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3503(IT)G

ET ENTRE :

MELBA LAPUS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3510(IT)G

ET ENTRE :

MYLYNE SANTOS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3514(IT)G

ET ENTRE :

LA SUCCESSION DE PENNY SHARP,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3515(IT)G

ET ENTRE :

JANICE MOSHURCHAK,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

L’honorable juge F.J. Pizzitelli

____________________________________________________________________

ORDONNANCE REMODIFIÉE

  APRÈS lecture des observations relatives aux dépens des parties;

  LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.  Le montant des dépens sera de 491 136,95 $, tel que l’a demandé l’intimée, moins une réduction pour les honoraires d’experts et les débours facturés par FTI en ce qui a trait à la présence de M. Mizrahi et M. Tobias à l’audition de la déposition des témoins au procès ou pour leur aide dans la préparation des avocats de l’intimée en vue du contre-interrogatoire des témoins des appelants, et réclamés à l’intimée par FTI au moyen des factures du 15 avril 2015. L’officier taxateur devra établir le montant de cette déduction en fonction des honoraires réels facturés par les personnes précitées, figurant sur lesdites factures, si les parties ne parviennent pas à une entente à cet égard dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

2.  Chacun des appelants, des appelants liés et le promoteur seront solidairement responsables des dépens, mais le montant maximal des dépens auxquels chacun des appelants et des appelants liés sera tenu sera plafonné, de manière à ce que la responsabilité de chacun à l’égard des dépens soit limitée à la partie des crédits d’impôt totaux pour don de bienfaisance que chacun a demandés dans le cadre du programme de dons de bienfaisance (le « programme »), pour toutes les années visées par le présent appel, considérant que lesdites parties additionnées devront s’élever au montant complet des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés par toutes les parties concernées réunies, dans le cadre du programme, pour les années visées par l’appel. Il n’y a aucune limite à la responsabilité du promoteur concernant les dépens.

Pour plus de précision, le total des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés par les appelants et les appelants liés devra comprendre tous les crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés ou exigibles à l’égard de leurs dons de bienfaisance demandés pour les années visées par l’appel qui concernent le programme, notamment tous les crédits d’impôt pour don de bienfaisance transférés à une autre personne pendant les années visées par l’appel, ou exigibles ou ainsi transférables dans les années à venir. Pour éviter une double comptabilisation, tout appelant ou appelant lié, notamment Janice Moshurchak, qui a bénéficié d’un transfert de crédit d’impôt pour don de bienfaisance d’une autre partie (notamment de son mari, Douglas Moshurchak), ne devra pas comptabiliser ces crédits d’impôt pour don de bienfaisance transférés dans son total des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés.

La présente ordonnance remodifiée et les présents motifs remodifiés de l’ordonnance remplacent l’ordonnance modifiée et les motifs modifiés de l’ordonnance du 4 août 2016.

  Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d’août 2016.

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli


Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mai 2018.

Francois Brunet, réviseur


Référence : 2016 CCI 161

Date : 201608XX

Dossier : 2009-3506(IT)G

ENTRE :

JUANITA MARIANO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3516(IT)G

ET ENTRE :

DOUGLAS MOSHURCHAK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3498(IT)G

ET ENTRE :

SERGIY BILOBROV,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3503(IT)G

ET ENTRE :

MELBA LAPUS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3510(IT)G

ET ENTRE :

MYLYNE SANTOS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3514(IT)G

ET ENTRE :

LA SUCCESSION DE PENNY SHARP,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2009-3515(IT)G

ET ENTRE :

JANICE MOSHURCHAK,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS REMODIFIÉS CONCERNANT LES OBSERVATIONS

SUR LES DÉPENS

Juge Pizzitelli

[1]  L’intimée a eu gain de cause à tous égards dans les procès des affaires précitées concernant un stratagème de dons de bienfaisance, lesquels procès ont nécessité plus de 25 jours d’audiences, notamment une semaine de débats, complétées par des observations écrites détaillées présentées par les deux parties. L’intimée s’est vu accorder les dépens, avec une seule réserve : si certaines parties n’étaient pas d’accord avec cette adjudication des dépens, elles étaient invitées à présenter des observations dans les 30 jours, laquelle période a été prolongée par la Cour, sur demande.

[2]  Selon l’ordonnance relative aux dépens, l’intimée a produit un mémoire de frais demandant les frais judiciaires selon le Tarif B de 41 075 $ et des débours totalisant 491 136,95 $, lesquels comprenaient des honoraires de témoins experts de 422 286,20 $ pour son expert, FTI. Il convient de signaler que chacune des parties a présenté le témoignage d’un témoin expert, après que chaque partie eut été déboutée de sa demande pour présenter le témoignage d’un second témoin expert. Dans le mémoire de frais précité, l’intimée n’a pas inclus les dépenses engagées relativement à JS, la personne présentée comme second témoin expert, dont les qualifications n’ont pas été reconnues par la Cour.

[3]  Bien que l’intimée n’ait demandé que les dépens selon le tarif B, les appelants, dans leurs premières observations et par la suite dans des observations en réponse, affirment que ces dépens ne devraient pas être adjugés, ou qu’ils devraient être réduits de manière importante, essentiellement pour les motifs suivants :

[traduction]

  1. il s’agissait de « causes types » et, par conséquent, chaque partie doit assumer ses propres dépens;

  2. le promoteur doit être seul responsable des dépens, laquelle thèse a été avancée seulement dans les observations en réponse;

3.  à titre subsidiaire, les dépens doivent être répartis entre les milliers de contribuables qui ont fait l’objet d’une cotisation similaire à l’égard de ce stratagème fiscal de dons de bienfaisance, ou qui ont été touchés par les décisions, notamment, par ailleurs, les contribuables qui se trouvent à l’étape de l’opposition ou ceux qui sont à l’étape de l’appel ou qui ont accepté d’être liés par la présente décision, aux termes des Règles des Cours fédérales ou selon une entente conclue avec l’intimée à l’étape de l’opposition, soit de manière proportionnelle ou de manière conjointe et proportionnelle;

4.  de toute manière, le total des dépens et des débours demandés ne correspond pas à l’attente raisonnable des appelants concernant la responsabilité des dépens, dans l’éventualité de leur rejet; et

5.  le montant des honoraires d’experts doit être réduit, nonobstant l’attente raisonnable des appelants précitée, au point 4.

[4]  L’intimée a avisé la Cour qu’elle était satisfaite de l’adjudication des dépens à l’égard de la décision, mais qu’elle se réservait le droit de présenter des observations si les appelants étaient en désaccord avec ces dépens. Par conséquent, les observations de l’intimée contestent en essence celles des appelants et demandent que les cinq appelants qui ont accepté d’être liés par la décision en l’espèce, notamment Sergiy Bilobrov, 2009‑3498(IT)G, Melba Lapus, 2009‑3503(IT)G, Janice Moshurchak, 2009‑3515(IT)G, Mylyne Santos, 2009‑3510(IT)G et Penny Sharp, 2009‑3514(IT)G (les « appelants liés »), soient tenus solidairement responsables de ces dépens et, qu’à titre subsidiaire, GLGI Inc. (le « promoteur ») soit également tenu responsable solidairement des dépens; toutes ces observations seront discutées ultérieurement, au moment de décider qui devrait être tenu responsable des dépens.

[5]  Il convient également de mentionner que les appelants liés ont été invités, à la fois par la Cour et par l’intimée, à présenter des observations sur les dépens, et certains l’ont fait, parfois plus d’une fois, en faisant valoir essentiellement des arguments similaires à ceux des appelants en l’espèce, c’est-à-dire qu’il s’agissait de causes types et que, par conséquent, aucuns dépens ne devraient être adjugés, que le montant des dépens n’était pas ce à quoi l’on pourrait raisonnablement s’attendre, et qu’ils avaient compris que le promoteur serait seul responsable de l’ensemble des dépens. Des observations ont aussi été présentées concernant la répartition des dépens entre ceux qui en sont potentiellement responsables, question que je discuterai dans les dispositions définitives de la présente ordonnance. Concernant ces questions, il va de soi que mes observations relatives aux appelants valent également pour les appelants liés.

[6]  L’un des appelants liés soutient aussi que, selon les règles d’interprétation des lois, étant donné que la formule 146.1, Acceptation d’être lié par la décision finale dans une cause type, ne contient aucune mention relative aux dépens,  l’appelant lié ne doit pas être tenu responsable de quelques dépens que ce soient et que, en tout état de cause, cette formule d’acceptation est ambiguë et résulte d’un pouvoir inégal de négociation et que, par conséquent, la doctrine contra proferentem doit s’appliquer, afin d’interpréter la formule d’acceptation en faveur de cet appelant lié. Le même appelant lié conteste également le montant correspondant aux frais juridiques contenu dans les dépens réclamés par l’intimée pour le motif qu’il devrait être réduit, par le juge chargé de la gestion de l’instance et moi-même, à titre de juge responsable de la gestion du procès, du montant prévu dans les ordonnances sur les dépens adjugés quelle que soit l’issue de la cause, afin d’éviter la duplication des frais. Ces observations seront également discutées dans mes motifs.

[7]  Comme les observations de l’intimée ainsi que celles présentées par certains appelants liés font référence à la responsabilité du promoteur en matière de dépens, la Cour a ordonné que le promoteur en soit informé et qu’il lui soit accordé la possibilité de présenter des observations sur les dépens, laquelle ordonnance a été signifiée au promoteur, accompagnée des observations. L’intimée a également signifié des copies de ses observations sur les dépens au promoteur, de même qu’à ses avocats et à certains de ses représentants, afin de s’assurer de la réception de celles-ci. Le promoteur n’a pas produit d’observations sur les dépens, en dépit du fait que les appelants, dans leurs observations en réponses ultérieures, préparées par leur avocat, dont les services avaient d’abord été retenus par le promoteur, demandent que les dépens soient adjugés seulement contre le promoteur en premier lieu, dans l’éventualité où il y aurait adjudication des dépens.

[8]  Essentiellement, il a été offert à toutes les personnes intéressées ou touchées la possibilité de se faire entendre sur la question des dépens.

[9]  Il convient de noter que ni les appelants ni les appelants liés n’ont contesté le caractère raisonnable du montant correspondant aux frais juridiques, comptant pour 41 075 $ du total des frais et dépens demandés par l’intimée dans son mémoire de frais précité, sinon pour faire valoir qu’aucuns dépens ne doivent être adjugés à l’égard de causes types ou, dans le cas d’un appelant lié, que ces frais juridiques doivent être réduits du montant des ordonnances préalables au procès relatives aux dépens, lequel s’élève à 13 000 $, et qui sera discuté plus tard, au moment d’aborder les questions du montant. En réalité, aucun d’entre eux n’a présenté d’observations concernant les facteurs à considérer aux termes des alinéas 147(3)a) à i.1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), applicables aux présents appels; ils se sont concentrés uniquement sur les « autres questions » de l’alinéa 147(3)j) des Règles pour étoffer leurs observations, abordant à cet effet d’autres questions pouvant influer sur la détermination des dépens. En revanche, l’intimée a fait référence à tous les facteurs dans ses observations, que je discuterai sous peu.

I. Le droit : article 147 des Règles

[10]  Il n’est pas controversé que l’article 147 des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire absolu de « fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter », et que le paragraphe 147(3) recense les facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, lequel doit être exercé conformément à certains principes. Eu égard aux observations sur les dépens présentées, les dispositions pertinentes de l’article 147 des Règles se lisent comme suit :

147 (1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

[...]

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a) du résultat de l’instance;

b) des sommes en cause;

c) de l’importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

[...]

(4) La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l’annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

[11]  L’espèce ne comporte pas d’offres de règlement auxquelles s’appliqueraient les dispositions des paragraphes 147(3.1) à (3.8) des Règles.

[12]   Je retiens les observations présentées par l’intimée concernant les facteurs des alinéas 147(3)a) à i.1), qui, à mon avis, auraient justifié une adjudication des dépens plus élevée que les dépens selon le tarif B demandés.

[13]  En vertu de l’alinéa 147(3)a) des facteurs, l’intimée a entièrement obtenu gain de cause à l’égard de toutes les questions en litige au procès : sur la question concernant l’intention de faire un don, sur la validité de la fiducie pour plusieurs motifs, sur l’absence de bien fiduciaire, sur la question  concernant le subterfuge du programme et sur la question de l’évaluation des dons de logiciels en nature. Je suis d’avis que ces diverses questions se sont traduites par un degré de complexité et une charge de travail correspondants aux facteurs recensés aux alinéas e) et f), ce qui ressort clairement de l’abondance de pièces qui comptent plus de 17 volumes de documents conjoints, quatre rapports de témoins experts proposés, un exposé conjoint des faits partiel concernant certains éléments de preuve et environ 30 pièces déposées séparément par l’intimée et quelques-unes, par les appelants. L’audience a nécessité plus de 25 jours de séance, notamment une semaine de débats. Les deux parties ont aussi déposé des observations écrites à l’appui de leurs thèses. L’audience s’est tenue dans trois villes, soit Vancouver, Toronto et Halifax (les séances tenues à Halifax visaient à accueillir les témoins des appelants, une séance a notamment été tenue un samedi), durant laquelle environ 12 témoins ont été appelés à la barre, notamment 6 témoins cités par les appelants, dont eux-mêmes.

[14]  Les appelants ont refusé d’admettre divers faits exposés à l’alinéa h), notamment que le programme a été promu sur la foi que les participants recevraient des crédits d’impôt plus élevés que les sommes versées pour participer, bien que les documents promotionnels présentés en preuve établissaient clairement ce fait. Cela a prolongé inutilement la durée du procès et a forcé l’intimée à déployer des efforts considérablement accrus.

[15]  Il ne fait aucun doute dans mon esprit, de même qu’aux termes du facteur figurant à l’alinéa i.1), que l’intimée a justifié la dépense engagée pour citer un témoin expert à déposer. Premièrement, la déposition de son témoin expert était nécessaire car elle portait sur le témoignage d’expert rendu par le témoin expert des appelants, et deuxièmement, sur la question de la valeur des logiciels est une question complexe, technique et commerciale que la Cour n’est pas en mesure de discuter sans l’aide des témoins experts.

[16]  Aux termes du facteur à l’alinéa d), soit « [...] toute offre de règlement présentée par écrit », je prends aussi note du fait que les appelants et les appelants liés en l’espèce ont reçu des offres de règlement écrites qu’ils n’ont finalement pas acceptées, nonobstant les nombreux reports d’échéance qui leur avaient été accordés. Ces reports totalisent presque huit mois. L’appelante, Mme Juanita Mariano (« Mariano »), avait en fait accepté cette offre au départ, puis elle a changé d’avis; pendant ce temps l’offre est devenue caduque – il était trop tard pour qu’elle change à nouveau d’avis.

[17]  Compte tenu de ce qui précède, il est clair que les questions en litige étaient complexes sur le plan factuel, au regard du facteur figurant à l’alinéa f), et que les évaluations techniques du témoin expert des appelants, les deux évaluations produites par les évaluateurs du promoteur, lesquelles faisaient partie des documents du programme, et la structure compliquée du programme de dons (le « programme ») les a rendues encore plus complexes; ce dernier impliquait des dons en espèces et en nature, des fiducies, la participation de divers partenaires en matière d’administration, de gestion et de fourniture, notamment des entités américaines et étrangères, et des allégations de trompe l’oeil. L’intimée a été forcée d’examiner et de tenir compte de tous ces documents et de tous ces faits.

[18]  Les avocats des parties se sont conduits de manière professionnelle et admirable tout au long du présent procès, de telle sorte qu’il est facile d’affirmer qu’aucune étape de l’instance n’a été inappropriée, vexatoire ou inutile dans le cadre de la présente procédure, conformément à l’alinéa i). Toutefois, le comportement compétent, professionnel et efficace des avocats des appelants dans la conduite des présentes actions ne change rien au long procès, complexe et inutilement prolongé, résultant en partie du comportement de leurs clients, à la fois de celui des appelants, par leur refus d’admettre certains faits, que de celui du promoteur du programme, dont il sera question plus tard.

[19]  Bien que les « sommes en cause », aux termes du facteur figurant à l’alinéa b), n’aient pas été discutées directement par leurs observations par les appelants, ils l’ont fait indirectement par leurs observations concernant les « autres questions » de l’alinéa j), à l’égard des attentes raisonnables des appelants, que je discuterai sous peu de manière plus détaillée. Toutefois, concernant ce facteur, figurant à l’alinéa h), il est manifeste que les appelants croient que le montant de l’impôt en cause n’est pas important, comparativement au montant des dépens réclamés, tel qu’ils le signalent au paragraphe 10 de leurs observations :

10. [traduction] […] L’exposition aux dépens aurait complètement éclipsé les avantages potentiels à poursuivre les appels […].

[20]  L’intimée admet que le montant de l’impôt en cause, même en comptant les montants concernant les appelants liés, n’est pas important; toutefois, elle signale également que le montant des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés par les appelants est important.

[21]  Il ressort aussi des éléments de preuve que Mariano a fait un paiement en espèces de 7 500 $, et qu’elle a demandé un reçu officiel de dons de 45 044 $, pour lequel elle s’attendait à recevoir un crédit d’impôt provincial et fédéral totalisant 16 362,99 $, en 2005. Douglas Moshurchak (« Moshurchak ») a fait un paiement en espèces de 14 250 $ en 2004, et il a demandé un reçu officiel de dons de 57 044 $, pour lequel il s’attendait à recevoir un crédit d’impôt combiné de 18 777,76 $. En 2005, Moshurchak a fait un paiement en espèces net de 100 000 $ (116 000 $ si l’on compte la commission occulte négociée de 16 000 $ reçue de son conseiller commissionné, qui a fait un don du même montant au nom de Moshurchak), et il a demandé un reçu officiel de dons de 928 052 $, pour lequel il s’attendait à recevoir un crédit d’impôt combiné de 357 208,44 $.

[22]  Mis ensemble, les crédits d’impôt fédéral et provincial combinés controversés ne totalisent pas la somme des dépens demandés, bien qu’ils s’en approchent, à environ 392 409 $ près. Toutefois, si l’on ajoute les crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés par les appelants liés, selon les actes de procédure pertinents, alors le montant total de crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés est très important par rapport aux dépens. Si l’on se penche sur les montants des dons proposés demandés donnant lieu aux crédits d’impôt, ceux-ci sont très importants par rapport aux dépens, soit plus du double. Compte tenu de ce qui précède, ce facteur précis n’est pas déterminant de toute manière, alors je lui accorderai peu de poids dans les circonstances.

[23]  En outre, je retiens les observations du juge Hogan dans l’arrêt Otteson c The Queen, 2014 TCC 362, 2015 DTC 1025, au paragraphe 17 :

[traduction] Je suis d’avis qu’il est inapproprié de tracer une simple ligne droite entre le montant en cause et le montant réel de l’adjudication des dépens. Pour décider d’une adjudication adéquate des dépens, il est plus approprié d’examiner quel pourcentage des frais engagés par les parties ayant obtenu gain de cause a été couvert par l’adjudication des dépens, accordée par la Cour. L’adjudication des dépens vise à indemniser la partie qui a gain de cause pour les frais judiciaires qu’elle a engagés.

[24]  Je suis d’avis que l’examen des seuls facteurs précités, avant même que soient soupesés les autres facteurs à considérer aux termes de l’alinéa 147(3)j), aurait de toute évidence justifié une demande, par l’intimée, pour frais juridiques bien supérieure aux dépens selon le tarif demandés, de même que pour les honoraires d’un témoin expert ayant dû être engagés, tout comme l’a soutenu l’intimée elle-même dans ses observations. Toutefois, pour compléter l’analyse factorielle, j’examinerai maintenant les autres facteurs à considérer en vertu de l’alinéa j), lesquels constituent le principal fondement des observations des appelants, notamment l’incidence d’une cause type sur les dépens, l’attente raisonnable des parties concernant les coûts et les questions d’interprétation soulevées à l’égard de la forme et de l’effet de l’acceptation d’être lié par la décision finale, en vertu de l’article 146.1 des Règles.

II. Autres facteurs : alinéa 147(3)j) des Règles

A. Causes types

[25]  L’alinéa 147(3)j) des Règles permet à la Cour de tenir compte « de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens ».

[26]  A l’occasion de l’affaire Velcro Canada Inc. c. La Reine, 2012 CCI 273, 2012 DTC 1222, le juge en chef adjoint Rossiter (tel était alors son titre) a clairement observé que cette disposition permet à la Cour de tenir compte, au cas par cas, de tout autre facteur qu’elle juge pertinent quant à la question des dépens, comme il l’explique aux paragraphes 12 et 13 :

[12]  Le paragraphe 147(3) des Règles énonce les facteurs que la Cour prend en compte lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Après avoir énuméré une liste de facteurs, cette disposition précise que la Cour peut tenir compte « de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens », accordant ainsi à la Cour un pouvoir discrétionnaire encore plus large qui lui permet d’examiner d’autres facteurs qu’elle estime pertinents dans chaque affaire. Ces autres facteurs susceptibles d’être pertinents pourraient comprendre :

1.  les frais réels qu’une partie a supportés et leur répartition, y compris l’expérience des avocats, les honoraires exigés et le temps consacré à l’appel;

2.  le montant des dépens que la partie perdante pourrait raisonnablement s’attendre à payer relativement à l’instance pour laquelle les dépens sont fixés;

3.  la question de savoir si les frais supportés pour la présentation du témoignage d’un témoin expert étaient justifiés.

[13]  Les facteurs dont la Cour doit tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire en matière d’adjudication des dépens sont extrêmement larges; ces facteurs dépendent des faits de chaque appel; de plus, comme je l’ai souligné, la Cour peut tenir compte de tout autre élément pertinent quant à la question des dépens.

[27]  Il convient également de mentionner que l’arrêt Velcro portait sur la question de savoir si les dépens doivent être adjugés au-delà des dépens selon le tarif. Je prends note du fait que la grande majorité des observations concernant le paragraphe 147(3) des Règles portant sur les décisions où des dépens supérieurs aux dépens selon le tarif ont été demandés, en plus de traiter davantage du montant des frais juridiques que des débours. Bien que le libellé large de l’alinéa 147(3)j) et la jurisprudence Velcro n’excluent pas une demande de dépens pour frais juridiques inférieure aux dépens selon le tarif ni une analyse de la justification du montant des honoraires de témoins experts, lesquels sont spécifiquement indiqués comme un facteur possible à considérer, il convient de mentionner que la jurisprudence canadienne enseigne depuis longtempsque, en principe, la partie ayant obtenu gain de cause a, règle générale, droit aux dépens selon le tarif, sous réserve de circonstances exceptionnelles dictant le contraire, et que « [l]a méthode adoptée par la Cour pour fixer les dépens[, en fonction de principes établis,] devrait être compensatoire et contributive, et non punitive ou extravagante », tel que l’a observé le juge Boyle, à l’occasion de l’affaire Martin c. La Reine, 2014 CCI 50, 2014 DTC 1072, au paragraphe 14, qui formule clairement l’objectif du processus décisionnel relatif aux dépens comme suit :

[…] La question qu’il faut se poser est la suivante : quelle serait la contribution appropriée de la partie déboutée aux dépens de la partie ayant eu gain de cause dans l’appel où la position de cette dernière l’a emporté?

[28]  Ces principes de base ont été repris par la doctrine de la Cour d’appel fédérale, comme l’arrêt Consorzio del prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, dans lequel le juge Rothstein (alors juge) a observé ce qui suit au paragraphe 8 :

Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s’agit que d’une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause […].

[29]  La Cour d’appel de l’Ontario à l’occasion de l’affaire R c Ciarniello, 81 OR (3d) 561 (Ont.C.A.), a conclu que jouaient des considérations différentes en matière d’adjudication des dépens en matière pénale et, d’autre part, en matière civile; elle a alors observé au paragraphe 32 :

[traduction] L’adjudication de principe des dépens à la partie ayant obtenu gain de cause est une caractéristique des affaires civiles, et non des procédures pénales. L’adjudication des dépens en matière civile sert plusieurs fins. Dans les affaires civiles, les dépens sont adjugés en vertu du principe indemnitaire selon lequel il est équitable d’accorder à la partie ayant obtenu gain de cause une indemnisation partielle pour les dépens de l’action [...].

[30]  A l’occasion de l’affaire Cherubini Metal Works Ltd. c Nova Scotia (A.G.), 2011 NSCA 43, au paragraphe 113, le juge Farrar de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a confirmé les principes bien établis de l’adjudication des dépens à la partie ayant obtenu gain de cause :

[traduction] La règle générale veut que les dépens suivent l’issue de la cause. Bien que le juge qui préside ait le pouvoir discrétionnaire de déroger à la règle générale, il s’agit d’une erreur de principe de ne pas adjuger les dépens à la partie ayant obtenu gain de cause, à moins d’avoir de bonnes raisons de le faire.

[31]  Les appelants soutiennent que cette jurisprudence porte sur des « causes types », soit l’autre question à considérer qui constitue une bonne raison de déroger à la règle générale qui veut que les dépens suivent l’issue de la cause. Les appelants affirment que leurs causes ont été retenues d’office comme causes types, que 16 000 contribuables, dont les oppositions n’ont pas été confirmées, ont pris part au programme promu par GLGI pour les années d’imposition 2004 et 2005 et qu’au milieu de 2015 seulement quelque 25 contribuables avaient interjeté appel, notamment les appelants et cinq autres appelants, représentés par le même avocat que les appelants en l’espèce, et qui ont acceptés d’être liés par la présente décision, alors que les appels de 27 000 autres donateurs, à la même date, étaient encore à l’étape de l’opposition. La thèse des appelants fondée sur les causes types est clairement énoncé au paragraphe 21 de leurs premières observations écrites, lequel est rédigé comme suit :

21.  [traduction] Il est soutenu que, dans le contexte d’un appel type, il est raisonnable qu’un appelant type (dont la cause servira à statuer sur possiblement des milliers de causes) s’attende à ne pas devoir défrayer des dépens supérieurs à sa juste part de ces derniers. En outre, il est également soutenu que s’il incombait aux appelants types d’assumer l’entière responsabilité des dépens d’un appel type, alors personne n’accepterait d’agir à titre d’appelant type. L’imposition d’une telle responsabilité, dans le cadre d’un appel type, serait punitive et contraire à l’objet et à l’esprit des dispositions de l’article 146.1 des Règles concernant les causes types.

[32]  Les appelants sont d’avis que les causes types retenues dans la cause type de notre Cour, selon l’article 146.1 des Règles, [traduction] « s’apparentent » aux causes types mentionnées dans l’arrêt Law Society of British Columbia c Mangat, [1997] BCJ no 2694, et la décision Vennell c Barnado’s, 73 OR (3d) 13, où les tribunaux n’ont pas adjugé les dépens contre la partie perdante. Chaque partie a assumé ses propres dépens.

[33]  Concernant les appelants, l’adjudication des dépens dans l’affaire Mangat n’a pas été accordée sur le fondement que les causes des intimés avaient été retenues, parmi plusieurs causes potentielles, à titre de causes types, bien que ce fut un facteur, mais, plus précisément, parce que les intimés avaient été forcés d’entamer des procédures pour obtenir une injonction afin de pouvoir continuer à offrir leurs services de consultation en immigration et à se livrer à d’autres activités leur ayant permis de gagner leur vie au cours des 15 dernières années jusqu’à ce la province juge qu’ils étaient assujettis à la Legal Profession Act (la « Loi »). L’injonction a été accordée compte tenu [traduction] « du régime législatif imprécis consacré par la Loi sur l’immigration », soit une question d’interprétation des lois découlant du défaut du gouvernement fédéral de s’être assuré de l’entrée en vigueur du système d’attribution du droit d’exercice pour ces consultants, prévu par cette Loi. L’espèce ne met pas en cause des questions sérieuses relevant de l’interprétation des lois ni d’éléments importants de politiques gouvernementales, mais porte sur des questions de fait où le droit est à mon sens bien fixé, tant en matière de donations que de fiducies.

[34]  De même, l’affaire Vennell n’a pas non plus été décidée au motif qu’il s’agissait d’une cause type. Était en cause une requête en conversion d’un recours collectif en action en dommages-intérêts individuelle contre le défendeur pour négligence alléguée à titre d’agence ayant facilité l’immigration au Canada d’enfants du Royaume-Uni pendant la Seconde Guerre mondiale, après quoi il a été allégué que ces enfants immigrés avaient été maltraités et victimes d’abus. La Cour a accueilli la requête et a refusé d’accorder les dépens à la partie ayant obtenu gain de cause, à l’endroit de qui le recours collectif avait été abandonné. Bien qu’il n’ait pas été conclu que l’action constituait une cause type, aucuns dépens n’ont été adjugés, puisque l’action individuelle était toujours d’intérêt public pour deux motifs. Aux paragraphes 44 et 45, le juge Cullity a expliqué pourquoi il était dans l’intérêt du public, de même que dans celui des enfants survivants, de leurs descendants et des descendants des enfants décédés :

[traduction]

[44] […] que de telles questions retiennent l’attention des tribunaux judiciaires et du public. La reconnaissance publique d’actes répréhensibles passés est, en soi, une forme de réparation, et elle peut constituer la première étape d’un examen permettant d’établir s’il y a lieu d’accorder d’autres mesures réparatoires.

[45]  L’intérêt public aurait également été touché par un recours collectif, puisque les questions soulevées concernaient l’exploitation et l’abus d’enfants par ceux à qui ils avaient été confiés. Le dossier public comporte bon nombre d’éléments de preuve dont il ressort qu’il s’agit d’une question qui préoccupe sans cesse le public. Il tient au bien-être de ses enfants, notamment à celui de ceux qui sont confiés à des agences recevant des aides gouvernementales, de même qu’à l’élaboration de politiques publiques concernant leur bien-être à l’avenir. L’examen ne doit pas être entrepris sans qu’il soit tenu compte de l’histoire de l’immigration d’enfants au Canada, s’il y a des leçons à en tirer [...].

[35]  En outre, le paragraphe 25 de la décision Vennell, rendue par le juge Cullity, définit clairement une cause type comme celle où une partie est impliquée dans les autres instances, et qu’il existe une acceptation d’être lié :

[traduction] […] Selon ma compréhension, une cause type fait ordinairement référence à une procédure qui tranchera des questions litigieuses qui seront soulevées dans d’autres instances en cours ou qui seront, à tout le moins, envisagées. Je pense que le plus souvent une partie à une cause type est également partie dans les autres instances, et elle a consenti à accepter la décision rendue dans la cause type, aux fins des autres instances. Par exemple, cela s’est produit lorsque, plutôt que d’examiner les questions communes en vertu du recours collectif, une action individuelle a été intentée à titre de cause type, laquelle lie le défendeur aux fins des revendications des autres membres au recours collectif, qui inclut le demandeur agissant seul.

[36]  L’article 146.1 des Règles ne lie ni le ministre du Revenu national (le « ministre ») ni le contribuable, si celui-ci n’accepte pas d’être lié par la décision d’une telle cause type, rendue en vertu dudit article des Règles. Les appelants font erreur en observant, au paragraphe 15 de leurs observations écrites :

[traduction] […] Cette définition d’une « cause type » s’apparente à la situation des appelants à titre d’appelants types, de même qu’à celle des milliers d’autres appelants qui seront liés par la décision de la Cour.

[37]  Nul doute qu’une cause type peut l’être également lorsque tous les appelants pouvant être touchés par la décision acceptent d’être liés, mais en l’espèce, comme pour toute cause type désignée, conformément à l’article 146.1, seuls les contribuables qui sont à l’étape de l’appel et qui acceptent d’être liés sont ainsi liés. Les milliers de contribuables qui sont à l’étape de l’opposition ne sont pas liés par la décision en l’espèce, et ils ont le droit d’interjeter appel, lequel droit ne sera pas annulé par la décision en l’espèce, à moins évidemment qu’ils aient convenu avec le ministre d’être liés, abstraction faite de toute règle.

[38]  Une décision rendue dans une cause type peut bien sûr avoir une importante valeur jurisprudentielle, qui pourra concrètement fixer l’issue des affaires ultérieures; toutefois, comme l’a observé le juge Rip dans l’arrêt Brown c. La Reine, [2002] ACI no 204, 2002 DTC 1925, au paragraphe 20 :

[…] Le fait que la décision d’une cour relativement à un appel en matière d’impôt puisse aider à régler d’autres cotisations et à réduire les frais de la Couronne ne constitue pas un motif suffisant pour obliger la Couronne à prendre en charge les frais et dépens de l’appel.

[39]  En fait, notre Cour a déclaré que lorsqu’un appel fait jurisprudence, la partie obtenant gain de cause a droit à  l’adjudication des dépens [traduction] « légèrement supérieure aux dépens selon le tarif [...] ». Voir Otteson, au paragraphe 21. En dépit de ce qui précède, les appelants ne demandent essentiellement que les dépens selon le tarif. Dans un même ordre d’idée, notre Cour a conclu, dans l’arrêt Teelucksingh c The Queen, 2011 TCC 253, que dans le cas d’une cause type pouvant toucher des milliers d’autres contribuables, le montant de l’impôt payable était exponentiellement plus élevé que le montant de l’impôt en litige dans cet appel précis, et il s’agit aussi d’un facteur justifiant l’adjudication des dépens supérieure aux dépens selon le tarif, plutôt qu’inférieure, comme semble le soutenir l’un des appelants liés dans ses observations.

[40]  En dépit de ce qui précède, le fait que les appels des appelants puissent être des causes types ou éventuellement faire jurisprudence constitue un facteur dont le juge peut tenir compte aux termes de l’alinéa 147(3)j) des Règles, soit les « autres questions »; toutefois, la jurisprudence enseigne clairement que pour constituer des raisons spéciales ou valables de déroger à la règle générale voulant que les dépens suivent l’issue de la cause, les questions litigieuses déférées à la Cour doivent transcender les intérêts des parties au litige et être d’intérêt public, ou il doit y avoir inconduite de la partie ayant obtenu gain de cause. Voir David Polowin Real Estate Ltd. c Dominion of Canada General Insurance Co., 93 OR (3d) 257. Dans l’arrêt Brown, le juge Rip, au paragraphe 20, a discuté cette question litigieuse dans le cadre de conclusions similaires, présentée par les appelants de cette affaire, selon laquelle, considérant le grand nombre d’appels en suspens et de cas à l’étape de l’opposition, dont le total pouvait excéder 3 000, leur cause, à titre de premier appel à être entendu, devait être considérée comme une cause type, et la Couronne devait assumer ses propres dépens :

[...] Je ne puis en convenir. Ce n’était pas une cause type. Le simple fait qu’une disposition de la Loi soit considérée par la Cour pour la première fois et que cela puisse avoir des répercussions pour d’autres contribuables ne confère pas à cet appel les caractéristiques d’une cause type. L’appel normal en matière d’impôt sur le revenu – ce qu’était cet appel – n’est pas une question d’ordre public (voir l’affaire Lachine General Hospital Corp. c. P.G. du Québec) ni ne concerne des principes constitutionnels et l’intérêt public (comme dans l’affaire Singh c. Canada (Procureur général) (1re inst.). Il s’agit tout simplement d’un différend entre un contribuable et la Couronne, à savoir si le montant d’impôt établi était correct. Le principal objet de ces appels était de régler un litige entre les parties, pas nécessairement de trancher une question de droit [...].

[41]  Il n’y a pas en l’espèce de questions importantes d’interprétation des lois, de questions constitutionnelles ou de questions graves d’intérêt public. Le droit relatif aux fiducies, au trompe l’œil et à l’intention libérale, applicable en l’espèce, était bien fixé. Bien que le public ait toujours un intérêt général à ce que toutes les lois soient respectées et à ce que les contribuables paient leurs impôts exigibles, cet intérêt général, présent dans toutes les affaires fiscales, ne fait pas de chaque cas un cas de l’importance envisagée ci-dessus. Les appelants n’ont pas démontré que ces questions entrent dans la catégorie des questions soulevées par la jurisprudence : Polowin, Vennell et Mangat, précités, ou dans celle à laquelle fait référence le juge Rip dans l’arrêt Brown, précité.

[42]  Je retiens également la thèse de l’intimée portant que le fait que le ministre était saisi de milliers d’affaires à l’étape de l’opposition, n’ayant pas été confirmées, ne constitue pas des circonstances particulières justifiant une dérogation à la règle générale de l’adjudication des dépens. Sur le plan administratif, il serait impossible au ministre de confirmer toutes les affaires en instance portant sur des questions similaires avant que toute cause ne soit entendue, surtout des affaires comme la présente espèce, où des donateurs ont participé au présent programme pendant plusieurs années, lesquelles donneraient lien à de longs retards si le ministre devait accomplir cette tâche avant que quiconque ne soit entendu, sans parler de la longue liste de plaintes déposées par les contribuables qui voudraient que leur audience soit tenue; je tiens pour fait notoire que cette situation se produit fréquemment. En termes simples, il doit y avoir un premier appelant, et le contribuable qui interjette appel doit manifestement s’attendre à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. Je retiens l’argument de l’intimée selon lequel s’il était exigé du ministre qu’il confirme toutes les oppositions en même temps ou avant la tenue du procès, mise à part la faisabilité sur le plan administratif, ce dernier serait placé dans la position déraisonnable de ne pas presque jamais avoir droit aux dépens.

B. Attentes relatives aux dépens

[43]  À titre d’[traduction] « autre question » supplémentaire à considérer, les appelants soutiennent que les dépens de l’intimée doivent être réduits de manière importante, afin qu’il soit tenu compte des attentes raisonnables des appelants quant à leur responsabilité eu égard aux dépens, dans l’éventualité où leurs causes types seraient rejetées. Aux paragraphes 5 et 10 de leurs observations écrites, les appelants déclarent :

  [traduction]

5.  […] A aucun moment les appelants ne se sont raisonnablement attendus à être tenus responsables de dépens supérieurs à 500 000 $, dans le cas où notre Cour rejetterait les appels types.

[...]

10.  Si les appelants s’étaient raisonnablement attendus à ce qu’une adjudication des dépens comme celle demandée par l’intimée soit rendue contre eux, ils n’auraient jamais interjeté appel. Ils se seraient désistés. L’exposition aux dépens aurait complètement éclipsé les avantages potentiels à poursuivre les appels. En effet, une telle responsabilité éventuelle les aurait privés de l’accès aux tribunaux. Bien que les appels des appelants aient finalement été rejetés, une telle exposition aux dépens, est-il soumis, dissuaderait toute partie d’interjeter appel d’une décision qui pourrait par ailleurs obtenir gain de cause.

[44]  Il convient de noter qu’une partie des observations des appelants, et de celles des appelants liés qui ont présenté des observations, concernant l’attente raisonnable va dans le sens de leur thèse quant à l’équité selon laquelle il est raisonnable qu’un appelant type ne s’attende qu’à payer sa juste part des dépens, compte tenu des milliers de contribuables touchés, et il serait punitif pour un appelant type d’assumer l’entière responsabilité des dépens, ce qui, en plus de présenter une difficulté, dissuaderait les contribuables d’agir à titre d’appelants types et serait contraire à l’objet et à l’esprit des dispositions régissant les causes types, contenues à l’article 146.1 des Règles. Je discuterai aussi ces observations plus tard.

[45]  Il ne fait cependant aucun doute que si le juge n’estime pas raisonnables les dépens ou conformes aux attentes raisonnables des parties perdantes, selon lesquelles les frais demandés ont été engagés et la Cour peut réduire les frais, notamment les débours, tel qu’il est énoncé dans la décision Balasundaram c Alex Irvine Motors Ltd., [2012] OJ No. 6323. Toutefois, en l’espèce, il m’est difficile de retenir les observations générales des appelants, sans indication de ce qu’il juge raisonnable et pourquoi. L’argument des appelants conteste bel et bien le montant des honoraires du témoin expert de l’intimée au motif qu’ils sont déraisonnables par rapport aux attentes mêmes de l’intimée, mais il n’est pas expliqué pourquoi les appelants estiment que les dépens de 491 000 $ demandés par l’intimée, et plus précisément les honoraires de 422 000 $ du témoin expert, auxquels les appelants s’opposent principalement, sont au-delà de leurs attentes quant aux frais ayant pu être engagés par l’intimée.

[46]  Les appelants n’ont pas contesté directement le caractère raisonnable du montant des frais juridiques demandés selon le tarif par l’intimée. En réalité, les appelants contestent la demande de l’intimée concernant les honoraires des témoins experts, au motif qu’ils ne s’y étaient pas raisonnablement attendus. En toute honnêteté, j’estime, pour plusieurs motifs énoncés ci-dessous, que l’argument des appelants selon lequel un tel montant d’honoraires était inattendu n’est pas fondé :

1.  Les appelants ont produit deux rapports d’experts et ils ont appelé deux témoins au procès. Les questions en litige sont bien énoncées dans les deux actes de procédure, et il est clair que les appelants s’attendaient à recourir à des témoignages de témoins experts, ce qu’ils ont fait, afin d’étayer leur propre thèse concernant la valeur des licences en litige, soit la partie en nature du soi-disant don. Leurs thèses et leurs actions, notamment le recours à des témoins experts, sont ce qui a forcé l’intimée à faire appel à des témoins experts, afin de réfuter efficacement les témoignages des leurs, ce qu’elle a très bien réussi à faire.

2.  Les appelants n’ont pas produit de renseignements concernant les dépenses qu’ils ont engagées, ou avaient engagées en leurs noms, pour les honoraires des témoins experts, rendant ainsi toute comparaison d’honoraires d’experts impossible; sans compter que leurs observations concernant le montant de l’intimée sont quelque peu dépourvues de sens. A l’occasion de l’affaire Hague c Liberty Mutual Insurance Co., [2005] OJ no 1660, citée par Mark M. Orkin dans son ouvrage intitulé The Law of Costs (2e édition, volume 1, aux pages 2-37 et 2-38), la Cour a observé :

[traduction] Il est raisonnable de se demander comment décider de l’attente des parties dans le cadre de l’adjudication des dépens. Je suis d’avis qu’elle ne peut être obtenue auprès des parties, au moyen, disons, d’affidavits déposés. Une telle preuve par affidavits serait inévitablement en tout point intéressée et de nulle utilité pour la Cour. Il semblerait plutôt que l’attente des parties peut être jugée de deux façons. La divulgation par la partie ayant obtenu gain de cause des frais qu’elle a engagés pour la même question peut servir de mesure pour déterminer ce à quoi l’on devait s’attendre. La partie perdante n’est bien sûr pas tenue de divulguer ces renseignements, mais si elle choisit de ne pas le faire, elle peut nuire à sa capacité de présenter des observations significatives à l’égard de cet aspect de l’adjudication [...].

3.  Les appelants ont été représentés, à divers moments, par trois équipes d’avocats expérimentés en matière de contentieux fiscal, et les actes de procédure, en particulier la réponse de l’intimée, étaient longs et détaillés, de sorte que les appelants et leurs avocats connaissaient les moyens qui leur étaient opposés et les nombreuses questions litigieuses devant être discutées, notamment celles concernant l’évaluation de la licence d’utilisation d’un logiciel, lesquelles nécessitaient la déposition d’un témoin expert. J’estime qu’il est assez incroyable que les appelants n’aient pas su, ou n’aient pas été informés, qu’il s’agirait d’un contentieux coûteux et chronophage, qui avait, au départ, été inscrit au rôle pour une période de huit semaines, et qui devait être tenu dans deux villes, Vancouver et Toronto, sans compter que la Cour s’est déplacée à Halifax pour entendre, à la demande des appelants, leur propre témoin. Comme il est clairement exprimé dans l’arrêt 155569 Canada Ltd. c 248524 Alberta Ltd, [1999] AJ no 623 (Cour du banc de la Reine de l’Alberta), au paragraphe 48 :

[traduction] […] L’approche de la common law en matière de dépens est structurée et cohérente. Il est entendu qu’une partie à un contentieux sait, ou devrait savoir que, mis à part des cas exceptionnels, elle devra payer non seulement ses propres frais, mais également une grande partie de ceux de la partie adverse, si elle est déboutée [...].

Je suis d’accord avec l’intimée que si les appelants allèguent qu’ils n’étaient pas pleinement informés de tels risques, il s’agit alors d’une affaire entre eux et leurs avocats.

4.  Les appelants ont signé une directive, contenue dans les documents relatifs au programme, qui mentionnait expressément le versement de 3 % des dons en espèces au fonds de défense juridique de la fondation du programme, jusqu’à un montant maximal de 750 000 $, devant servir à payer les frais juridiques, dans l’éventualité où l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») établirait une nouvelle cotisation. L’existence d’un fonds de défense juridique de 750 000 $ constitue sans contredit une preuve que les coûts relatifs au contentieux seraient très élevés.

Je ne retiens pas l’affirmation selon laquelle les appelants ne s’attendaient raisonnablement pas à des dépens de cet ordre dans les circonstances. Au contraire, il est clair que les appelants s’attendaient à ce que les coûts relatifs au contentieux soient très élevés, et ils auraient dû savoir que les chances d’obtenir gain de cause étaient incertaines, sinon faibles, compte tenu de l’abondante jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale concernant la question de l’intention libérale.

En outre, je rejette l’affirmation des appelants selon laquelle même l’intimée ne s’attendait raisonnablement pas à ce que ses frais de contentieux soient si élevés. Bien entendu, les appelants avancent cette thèse seulement à l’égard des honoraires de témoins experts demandés par l’intimée, faisant valoir que le devis présenté à l’intimée par FTI, daté du 20 juin 2011, pour un montant entre 235 000 $ et 325 000 $, a été dépassé puisque, de toute évidence, les factures finales totalisaient 422 000 $. Les observations des appelants mentionnent que les honoraires réels du devis étaient inférieurs aux honoraires effectivement facturés. Par exemple, le tarif de témoin expert de M. Neil Mizrahi s’élevait à 400 $ l’heure dans le devis de 2011, mais le tarif effectivement facturé se situait entre 400 $ et 500 $ l’heure. À vrai dire, comme l’a fait valoir l’intimée, le devis datait de juin 2011, date à laquelle le procès, selon ce devis, était censé avoir lieu entre le 21 novembre et le 2 décembre 2011. Nous savons que le procès a ensuite été remis au mois de juin 2012, mais les appelants ont demandé deux ajournements, qui ont reporté la date finale du procès au mois de mars 2015, il n’est donc pas inattendu que les tarifs augmentent en quatre ans. En outre, le devis mentionne clairement que les frais seraient facturés en fonction du temps réel consacré à l’exécution du mandat, selon les tarifs horaires indiqués, en vigueur en 2011, et qu’il ne s’agissait que d’une estimation des frais totaux à facturer. Quoi qu’il en soit, aucun fondement juridique n’est invoqué pour soutenir que les débours réels de l’intimée ne devraient pas servir de base à sa demande, sous réserve des droits des appelants de contester le caractère raisonnable du montant.

[47]  Les appelants n’ont présenté aucun élément de preuve eu égard aux honoraires estimés de leur propre témoin expert, plus précisément M. Dobner, et au montant facturé, alors il est impossible d’apprécier le caractère raisonnable des honoraires du témoin de l’intimée par rapport aux honoraires de leur propre témoin, ou d’établir, à titre comparatif, si leurs dernières factures dépassaient le devis soumis.

[48]  Vu les observations des appelants, je ne suis pas disposé à conclure que les honoraires du témoin expert de l’intimée n’étaient pas raisonnablement prévisibles pour les appelants ni pour l’intimée elle-même. Je discuterai sous peu les observations des appelants concernant le montant des honoraires d’experts demandé par l’intimée.

[49]  Toutefois, ce qui m’apparaît clair n’est pas que les appelants ne s’attendaient raisonnablement pas à ce que les frais juridiques et les débours s’élèveraient à la somme demandée par l’intimée, mais plutôt que les appelants s’attendaient, comme les appelants liés, à ce que le promoteur du programme les paie. Il ressort clairement des directives signées par les appelants, mentionnant le fonds de défense juridique, présentées en preuve au procès, de même que des éléments de preuve, que les honoraires du témoin expert des appelants ont été payés par le promoteur, lequel avait retenu les services de ce dernier. C’est également ce qui ressort clairement de la lettre de l’appelante Mariano à notre Cour concernant les dépens, datée du 22 février 2016, dans laquelle elle affirme [traduction] « avoir cru que GLGI supporterait les frais associés au contentieux ». De plus, les admissions contenues dans les observations, de même que les observations de certains des appelants liés, démontrent que le promoteur a payé les honoraires d’avocat des appelants, dont il avait retenu les services. Je discuterai cette question de manière plus détaillée lorsque j’examinerai la question de savoir quelles personnes doivent payer les dépens, aux termes du paragraphe 147(1) des Règles, précité.

C. L’esprit, l’objet et l’interprétation de l’article 146.1 des Règles

[50]  Je voudrais également discuter l’argument des appelants selon lequel il serait contraire à l’esprit et à l’objet de la disposition relative aux causes types de l’article 146.1 de tenir un appelant type entièrement responsable des dépens d’une action rejetée, et du fait que cela dissuaderait les appelants d’accepter d’agir à titre d’appelants types. L’article 146.1 des Règles se lit comme suit :

146.1 (1) Le présent article s’applique si les conditions ci-après sont réunies :

a) au moins deux appels ont été interjetés devant la Cour;

b) aucun de ces appels n’a fait l’objet d’une décision le réglant;

c) ces appels soulèvent une ou plusieurs questions communes ou connexes de fait ou de droit.

(2) La Cour peut, par une directive :

a) désigner parmi ces appels une cause type ou des causes types;

b) suspendre les appels connexes.

(3) Si la Cour donne une directive, toute partie dans un appel connexe qui accepte d’être liée — en tout ou en partie — par le jugement rendu dans la cause type, dépose la formule 146.1 auprès de la Cour dans les dix jours.

(4) Dans le cas où une partie refuse d’être liée, en tout ou en partie, par le jugement rendu dans la cause type ou ne dépose pas la formule 146.1 auprès de la Cour, celle-ci donne une directive qui annule la suspension de l’appel.

(5) La Cour peut, de son propre chef ou à la demande d’une partie, donner des directives concernant tout appel connexe, prévoir le règlement de ces appels ou prendre toute autre mesure relative à ceux-ci.

(6) Si la cause type ou les causes types sont retirées ou réglées avant qu’elle ne rende une décision relativement aux questions communes ou connexes, la Cour donne des directives :

a) sur la question de savoir si un autre appel ou d’autres appels doivent être entendus à titre de cause type ou de causes types;

b) sur la question de savoir s’il convient d’annuler ou de modifier toute directive ayant une incidence sur les appels connexes.

[51]  Comme on le constate aisément à la lecture de cet article, il ne comporte aucune référence à des règles spéciales concernant les dépens. Manifestement, il est prévu que la question des dépens soit examinée au regard de l’article suivant des Règles, soit l’article 147, lequel confère à la Cour les vastes pouvoirs discrétionnaires dont il a été question plus tôt concernant l’adjudication des dépens, leur montant et à qui ils incombent, notamment le pouvoir de tenir compte d’autres facteurs, comme celui de savoir si l’affaire consiste en une cause type.

[52]  Tel qu’il a été mentionné précédemment, le seul fait que les appels dont la Cour a été saisie puissent être des causes types n’exempte pas les appelants du paiement des dépens. Toutefois, je retiens la thèse des appelants selon laquelle la cause type constitue un facteur, aux termes de l’alinéa 147 (1)j) des Règles, auquel il a été fait allusion précédemment, dont la Cour peut tenir compte pour la détermination et l’adjudication des dépens, et qui doit être considéré conformément à certains principes, comme tous les autres facteurs.

[53]  Manifestement, le libellé de l’article 146.1 des Règles permet à la Cour d’émettre des directives selon lesquelles certains appels sont désignés comme causes types, alors que d’autres sont suspendus. L’esprit et l’objet de la disposition relative aux causes types sont évidents. La Cour, par le contrôle de sa procédure, peut recourir à cette disposition pour entendre des affaires sélectionnées vraisemblablement pour leur valeur jurisprudentielle importante, dans l’espoir que celle-ci permette de régler au moins la majorité des appels potentiels, sinon tous, afin la Cour ne se retrouve pas submergée par possiblement des milliers de cas semblables, de même que par les coûts et les ressources nécessaires s’y rattachant.

[54]  Les contribuables au stade de l’appel qui acceptent d’être liés peuvent également éviter, en se joignant à l’appel collectif, le risque de dépens accrus, sans parler de l’économie de temps et d’efforts. Les contribuables qui n’en sont pas au stade de l’appel peuvent apprécier la décision finale et décider par eux-mêmes s’ils peuvent distinguer leur cause de cette jurisprudence et intenter un procès, compte tenu des chances inhérentes d’obtenir gain de cause et des risques associés aux dépens. Les contribuables retenus comme appelants types peuvent obtenir, à titre de parties à un groupe important, le règlement de leurs appels plus rapidement, sans les complications et le temps requis avant d’être entendus.

[55]  De même, Sa Majesté peut se fonder sur la jurisprudence faite par la décision rendue dans la cause type pour décider si elle poursuit l’action à l’égard d’autres contribuables ou si elle s’en désiste, ou si elle établit une nouvelle cotisation; ainsi, en évitant de poursuivre tous les appels potentiels, elle ne bénéficie pas seulement de cette autorité jurisprudentielle, mais elle profite également de possibles économies importantes en matière de coûts et de ressources.

[56]  En somme, les dispositions relatives aux causes types sont conçues pour profiter potentiellement ou concrètement à tous les intervenants intéressés : la Cour, la Couronne, les appelants et l’ensemble des contribuables. Mais, je le répète, on ne peut forcer les non-appelants à être liés par la décision rendue, et ils peuvent de plein droit procéder à l’audience, tout comme les appelants des présentes causes types l’ont fait. En conséquence, je suis d’avis qu’il est fondamentalement erroné de soutenir, comme l’a fait l’un des appelants liés dans ses observations, qu’aux termes du droit des contracts, une acceptation d’être lié selon une telle disposition n’est pas exécutoire, au motif que la partie qui accepte ne reçoit aucune contrepartie. Paradoxalement, cet appelant lié semble convenir que la contrepartie reçue par l’intimée consisterait en des économies de temps, d’efforts et de coûts grâce à l’absence de contentieux à l’égard de nombreuses affaires, mais il fait fi du même bénéfice que tirent les appelants ayant accepté d’être liés. Quoi qu’il en soit, cet appelant lié dénature également l’acceptation d’être lié en la qualifiant d’accord bilatéral exigeant une contrepartie, et par laquelle les parties négocient une entente. À mon avis, c’est tout simplement inexact, et je le discuterai sous peu.

[57]  En désignant les causes types, la Cour tient compte des observations des avocats des deux parties. La décision de la Cour n’est pas prise dans l’abstraction du contexte. De manière générale, comme c’était le cas en l’espèce, la Cour se voit présenter un groupe d’appels ou plus, et elle tente, après avoir entendu les observations des parties, d’obtenir si possible un consensus sur quelles causes constitueront des causes types, puis elle instruit les causes types qui représentent, elle l’espère, le plus large groupe de causes similaires. Dans certains cas, les derniers appelants acceptent que leur cause soit une cause type, et dans d’autres, ils refusent et plaident l’exclusion. Toutefois, il est clair que sans la disposition relative aux causes types chaque contribuable interjetant appel procéderait à l’audience dans tous les cas, à moins qu’il ne se désiste de l’action ou qu’il conclue à une transaction avec l’intimée.

[58]  À ce stade, il semble approprié de discuter les observations de l’un des appelants liés qui a soutenu qu’étant donné que la formule 146.1 – Acceptation d’être lié par la décision finale dans une cause type – soit muette sur la question des dépens, et qu’il s’agit d’une entente avec l’intimée qui est à prendre ou à laisser, donnant ainsi lieu à une situation où le pouvoir de négociation est inégal, il est justifié d’appliquer la doctrine portant que, dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé. Il n’est pas controversé que cette doctrine joue dans le cas où une condition d’un contrat présente une ambiguïté ou pour interpréter une condition d’un contrat à l’encontre de la partie qui l’a stipulée, en particulier lorsque le pouvoir de négociation entre les deux parties est inégal, comme l’enseigne la jurisprudence suscite ledit appelant lié, soit  Ironside c Smith, 1998 ABCA 366, une décision de la Cour d’appel de l’Alberta portant sur un contentieux relatif à une convention d’honoraires pour le commerce de titres, et Non-Marine Underwriters, Lloyd’s London c Scalera, [1997] B.C.J. No. 2481, qui portait sur un contentieux concernant un contrat d’assurance. En toute honnêteté, j’estime que cette observation ne tient pas.

[59]  Toutefois, l’acceptation d’être lié qu’un appelant peut signer au moyen de la formule 146.1 des Règles ne constitue pas un accord bilatéral négocié entre un appelant et l’ARC ou le ministre de la Justice, au nom de celle-ci. L’intimée ne négocie ni ne commente, de quelque manière que ce soit, le contenu de cette formule ou le dépôt de celle-ci par un appelant. Seul un appelant, vraisemblablement après avoir obtenu l’avis de son avocat, peut décider de déposer la formule prévue à la disposition des Règles discutée précédemment, laquelle a été conçue par le Comité des règles de la Cour canadienne de l’impôt, aux termes de son pouvoir légal de créer et de modifier des règles, sous réserve de l’approbation du gouverneur en conseil seulement, afin d’aider la Cour à gérer et à administrer ses processus. En conséquence, il ne peut y avoir inégalité à l’égard du pouvoir de négociation, lorsqu’aucune négociation ne peut avoir lieu et lorsqu’aucune tentative de négociation n’a lieu, au sens classique du mot. Il peut en effet s’agir d’une entente qui était à prendre ou à laisser, mais qu’un appelant ne peut être forcé de signer et qui est seulement de la nature d’une entente conclue avec la Cour concernant l’un de ses processus. Tout appelant choisissant de ne pas signer la formule pourra obtenir que sa cause soit entendue. Conclure autrement reviendrait à soutenir que toute règle d’une juridiction pourrait être inapplicable simplement parce que le plaideur ne l’aurait pas négociée; il en découle un résultat absurde qui ignore totalement l’objectif et l’avantage de disposer de règles de procédure, dans l’intérêt non seulement du ministre, mais également dans celui de tous les appelants potentiels. Les règles de procédure d’une juridiction ne peuvent être assimilées à des clauses contractuelles bilatérales dont les parties ont convenu, au sens commercial.

[60]  En outre, je rejette la thèse portant que la disposition des Règles relative aux dépens est ambiguë. La disposition des Règles porte sur l’acceptation d’être lié par la décision finale rendue dans la cause type. En termes simples, une décision comporte une ordonnance relative aux dépens, qui en est une partie intégrante. Le libellé de la toute première phrase de l’article 147 des Règles en est la preuve, puisqu’il permet à la Cour de « fixer les frais et dépens » [...].

[61]  Je souhaite également commenter l’observation de l’appelante liée Penny Sharp (« Sharp ») selon laquelle elle n’a pas consenti à signer l’acceptation d’être liée, mais plutôt que la Cour lui a ordonné de le faire, plus précisément moi-même, en vertu de l’ordonnance rendue le 11 septembre 2014, par laquelle 10 jours lui ont été accordés pour déposer cette acceptation, sinon son appel serait rejeté. Ladite ordonnance a été rédigée par l’avocat des appelants liés à la suite d’une requête préliminaire en, entre autres choses, rejet de l’appel de Sharp pour le non-respect de l’ordonnance de notre Cour de répondre à l’interrogatoire préalable par écrit avant une date donnée. Sharp et les autres appelants liés étaient représentés par un avocat compétent et réputé, et c’est ce dernier qui a soutenu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la requête en rejet de l’appel de Sharp, puisque sa cliente était prête à signer une acceptation d’être liée. Puisque l’avocat de Sharp n’avait pas encore obtenu la signature de cette acceptation, il a demandé qu’il soit accordé à sa cliente le délai susmentionné pour lui permettre de signer et de déposer ladite acceptation, à défaut de quoi son appel serait rejeté, et la Cour a accueilli cette demande. En conséquence, son avocat a déposé ladite formule d’acceptation, en son nom. Soutenir que la Cour lui a ordonné de signer l’acceptation d’être lié sans qu’elle y ait consenti et que, par conséquent, elle ne doit pas être tenue responsable des dépens est, à mon avis, à la fois malhonnête et non fondé dans les circonstances.

[62]  En résumé, après avoir analysé tous les facteurs du paragraphe 147(3) des Règles, je conclus que les appelants n’ont pas droit à une ordonnance de non-adjudication des dépens, et qu’ils seront assujettis à une ordonnance relative aux dépens, laquelle comportera des frais juridiques et des débours selon le montant que je déterminerai sous peu.

III. Montant et caractère raisonnable des frais et débours

A. Montant des frais juridiques

[63]  Seul un appelant lié a mis en cause le montant de 41 075 $ pour frais juridiques demandé par l’intimée, selon le Tarif B pour une instance de la catégorie A, au motif que l’intimée n’a pas produit d’éléments de preuve concernant ses frais juridiques, et que, quoi qu’il en soit, il doit être déduit de ce montant les 13 000 $ accordés dans les ordonnances préalables au procès relatives aux dépens, afin d’éviter la duplication des frais.

[64]  Je conviens que l’intimée, dans sa demande d’un montant pour les dépens en fonction du Tarif, n’a pas produit de liste détaillée de ses frais réels engagés, notamment les honoraires d’avocat et le coût du temps consacré à l’appel. A l’occasion de l’affaire Velcro, le juge en chef adjoint Rossiter (tel était alors son titre) a considéré ces frais réels et leur répartition comme un autre facteur pertinent dont la Cour pouvait tenir compte, si elle le souhaitait. Les arrêts Velcro et Spruce Credit Union c. La Reine, 2014 CCI 42, 2014 DTC1063, portant sur le plein pouvoir discrétionnaire de notre Cour d’examiner les dépens avec ou sans référence au Tarif, comme le juge en décide au cas par cas. Par conséquent, je ne suis pas tenu et je ne juge pas nécessaire, compte tenu des circonstances de l’espèce et de quelques motifs très convaincants, d’évaluer le montant des frais juridiques réels engagés par l’intimée ni sa ventilation pour ce qui est du nombre d’heures consacrées à l’appel, des taux horaires et de l’expérience des avocats. J’ai la ferme conviction que les frais juridiques de l’intimée se situaient bien au-delà des dépens selon le tarif demandés.

[65]  Premièrement, il découle de mon analyse des facteurs du paragraphe 147(3) des Règles que si l’intimée avait choisi de demander des dépens bien supérieurs aux dépens selon le tarif demandés, elle aurait eu de solides arguments pour le faire, comme j’y ai fait allusion précédemment, et en toute honnêteté, je conclus que les appelants et les appelants liés ont de la chance que l’intimée n’ait pas choisi de le faire.

[66]  Deuxièmement, il est on ne peut plus clair, grâce à de simples calculs mathématiques et en tenant pour acquis de manière prudente que les avocats ont travaillé seulement huit heures par jour, que cinq avocats auraient consacré à un procès de 25 jours un total de 1 640 heures, donc un taux horaire moyen de 41,00 $. Même si les honoraires d’un seul avocat avaient été accordés, et je peux affirmer sans équivoque que je n’aurais pas été aussi restrictif, le nombre total d’heures se serait élevé à 200, soit un taux horaire moyen d’environ 200 $. Je retiens la thèse de l’avocat de l’intimée portant que le [traduction] « bon sens » dicte que les frais juridiques de celle-ci ont excédé le montant des dépens qu’elle a demandé dans son mémoire de frais.

[67]  Dans les circonstances, je ne crois pas qu’il était nécessaire que l’intimée présente des observations concernant le nombre d’heures consacrées à l’affaire, les honoraires de ses avocats et leur expérience, puisque contrairement à l’affaire Velcro, la partie ayant obtenu gain de cause ne demande pas des dépens supérieurs à ceux prévus au tarif, lequel, comme la Cour l’a clairement reconnu dans l’arrêt Velcro, « n’est nullement censé compenser entièrement les frais juridiques supportés par une partie lors d’un appel » (paragraphe 9).

[68]  En outre, je rejette la thèse portant que les dépens demandés par l’intimée doivent être réduits du montant des adjudications de dépens totalisant 13 000 $, indépendamment de l’issue de la cause à l’égard des appelants. Le juge Boyle a adjugé des dépens de 5 000 $ contre les appelants lors d’une séance de gestion de l’instance, au motif que le procès serait retardé une fois de plus en raison de la production tardive de documents par les appelants. Ces frais résultent de la conduite des appelants. J’ai adjugé des dépens de 8 000 $ contre les appelants, à la suite d’une requête présentée par l’intimée en rejet des appels de certains appelants et appelants liés pour défaut non justifié de se conformer aux ordonnances précédentes de la Cour concernant des réponses écrites à l’interrogatoire préalable, et compte tenu de la demande d’un nouvel avocat pour un autre ajournement, lequel a été accordé, et de modifications quant aux appelants types. Le dossier à l’appui de la requête était volumineux et comprenait plusieurs affidavits, de même qu’un recueil de jurisprudence, et il appellait la discussion de nombreuses questions. Ces dépens sont attribuables à la conduite des appelants, et ils ne visaient pas à indemniser l’intimée pour les heures supplémentaires qu’elle avait consacrées, et qu’elle consacrerait, pour se préparer de nouveau au procès, et pour lesquelles elle a demandé des dépens entre 10 000 $ et 20 000 $. Il ne fait pour moi nul doute que si mon adjudication des dépens avait eu pour but d’indemniser l’intimée pour les heures supplémentaires consacrées à l’affaire et les dépenses engagées ou à venir, en raison des abus de procédure des appelants retardant le procès, j’aurais probablement adjugé les dépens à l’intimée sur la base d’une indemnisation substantielle, comme demandé. J’ai toutefois refusé de procéder de la sorte, et j’ai conclu que les dépens pour ces heures supplémentaires suivraient l’issue de la cause.

[69]  Les dépens accordés indépendamment de l’issue de la cause sont généralement ceux adjugés en regard de la conduite des parties, afin d’aider la Cour à contrôler ses procédures, et ils ne devraient pas être automatiquement déduits de ceux qui suivent l’issue de la cause, à moins que la partie qui s’oppose à ceux-ci arrive à démontrer une duplication claire des frais à l’égard des dépenses et du temps réels engagés par l’autre partie, dans le contexte où l’abus de procédure n’est pas le motif principal sous-jacent de l’adjudication de tels dépens. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, les dépens qui pourraient être considérés comme une possible duplication de frais pour la même question sont ceux de 350 $ selon le Tarif que l’intimée s’est contentée de demander dans son mémoire de frais pour la requête que j’ai entendue le 11 septembre 2014. Comme je l’ai dit, l’intimée s’est vue forcée de présenter une requête pour que soit exécutée une ordonnance de la Cour que certains appelants concernés, notamment l’appelante liée Sharp, n’ont pas respectée, sans produire de justification. La requête concernait également d’autres questions, notamment la confirmation des appelants types une fois de plus, l’ajournement encore une fois du procès prévu et l’établissement de nouvelles dates de procès, dans plusieurs villes. Dans les circonstances, je ne suis pas disposé à réduire les dépens accordés à l’intimée de la somme de 350 $, demandée pour la requête, puisque les autres questions discutées auraient donné lieu à des dépens d’un montant supérieur à cette somme.

[70]  Les dépens de 41 075 $ demandés par l’intimée pour les frais juridiques en l’espèce ne seront réduits d’aucune somme.

B. Montant des honoraires de témoin expert

[71]  J’ai déjà décidé que les dépens de l’intimée n’étaient pas déraisonnablement attendus, et que l’intimée avait le droit de demander les dépens fondés sur ses débours réels. En outre, j’ai conclu que les honoraires réels facturés, supérieurs aux premiers devis, ne sont pas nécessairement déraisonnables compte tenu du temps écoulé, au cours duquel il était prévisible que les tarifs augmentent. Cependant, les appelants ont le droit de contester, pour plusieurs motifs, le montant et le caractère raisonnable des honoraires des témoins experts de l’intimée, qui s’élèvent à 422 000 $, et ils le font. Les autres débours ne sont pas contestés.

[72]  Premièrement, les appelants soutiennent que les taux horaires facturés par les experts sont excessifs en observant, au paragraphe 23 de leurs observations, [traduction] « [...] [qu]’ils ne doivent pas être excessifs ni extravagants, et que les taux facturés ne doivent pas échapper à tout contrôle », et en citant à l’appui la décision Eli Lilly Canada inc. c. Novopharm limited, 2007 CF 708, au paragraphe 10, où la Cour fédérale a observé :

Quant aux honoraires de ces experts, ils devraient être raisonnables et être inférieurs aux honoraires réels facturés ou au taux exigé pour les services de l’avocat principal de Novopharm pour la même période de temps que celle consacrée à l’affaire par les experts. Les taux payables aux experts ne devraient pas échapper à tout contrôle. Les débours doivent être raisonnables et non extravagants.

[73]  Malheureusement, les appelants n’ont présenté aucune observation concernant les taux réels raisonnables qui auraient dû être facturés, le cas échéant, de sorte que la Cour doit rendre une décision en se fondant sur d’autres moyens.

[74]  Contrairement à l’affaire Eli Lilly, précitée, où deux parties privées pouvaient invoquer des honoraires concurrentiels d’avocats chevronnés et comparer ces derniers, l’espèce implique que l’intimée recourt aux avocats du ministère de la Justice, dont les tarifs, au bénéfice d’un autre ministère, ne peuvent être comparés à ceux du marché. Une approche plus raisonnable consisterait à comparer les honoraires des témoins experts sur le marché libre ou à se servir du tarif de l’avocat principal des appelants, afin de juger du caractère raisonnable des tarifs des témoins experts sur le marché libre. Comme il a été signalé précédemment, les appelants ont choisi de ne pas présenter d’éléments de preuve concernant les honoraires de témoin expert facturés par leur témoin expert, un concurrent du témoin expert de l’intimée, FTI Consulting Canada, ni les honoraires facturés par leurs avocats dans les présentes affaires, ainsi il n’y a pas non plus de comparaison possible sur ces bases, afin de décider du caractère raisonnable.

[75]  Les taux horaires facturés par FTI ont été établis selon une échelle de taux destinée à son personnel, se situant entre 700 $ et 740 $ pour M. Howard Rosen, directeur général principal de FTI, entre 400 $ et 500 $ pour M. Mizrahi et s’élevant à 240 $ pour M. Eddie Tobias, un jeune assistant de M. Mizrahi, parmi d’autres dont les honoraires ne sont pas contestés. Outre l’argument précédent des appelants selon lequel les taux horaires facturés excédaient les taux des devis, et que par conséquent ils n’étaient pas raisonnablement attendus, argument que j’ai jugé peu convaincant, les appelants ne contestent pas directement le taux horaire de ces personnes, dont les heures figuraient sur les diverses factures comme telles, mais ils mettent plutôt en cause le caractère nécessaire ou remboursable de leurs heures, de sorte que je ne peux pas conclure que ces taux horaires sont déraisonnables, dans les circonstances. En outre, la jurisprudence semble enseigner que tous ces taux se trouvent dans les limites de taux acceptées par la jurisprudence. Dans l’affaire Canada Trustco Mortgage Company v. The Queen, 2007 CCI 500, la Cour a accordé des taux horaires de 1 000 $ et de 874 $ pour deux témoins experts « forts compétents en ce qui concerne les actifs titrisés ». Cette affaire concernait l’évaluation de l’octroi de licences de logiciels, ce qui me semble être un actif très difficile à évaluer également. En outre, je prends connaissance judiciaire du fait que les honoraires facturés par les avocats principaux en matière de contentieux fiscal sont comparables aux honoraires d’expert facturés par le personnel de FTI, précités, voire plus élevés.

[76]  Deuxièmement, les appelants s’opposent aux honoraires facturés par M. Mizrahi et M. Tobias pour leur présence au procès, qui étaient chargés d’entendre le témoignage du témoin expert des appelants, M. Dobner, de même que les témoignages des autres témoins cités par les appelants lors des sept premiers jours du procès, et ils se fondent sur la décision GlaxoSmithKline Inc. c. Pharmascience Inc., 2008 CF 849, où la Cour a donné des instructions précises à l’officier taxateur, au paragraphe 6, selon lesquelles :

[…] Le temps consacré par les témoins de Pharmascience à expliquer aux avocats de celle-ci comment interroger les témoins experts de GSK, et à assister à l’interrogatoire d’autres témoins ne peut pas faire l’objet d’un remboursement.

[77]  L’intimée soutient que les lacunes graves contenues dans le rapport du témoin expert des appelants ont rendu nécessaire la présence de son propre témoin expert à cette partie des audiences, afin de l’aider à contre-interroger plus efficacement le témoin expert. En toute honnêteté, le rapport du témoin expert et lesdites lacunes ont été présentés à l’intimée avant le procès, et le témoignage du témoin expert des appelants a consisté de manière générale à présenter son rapport d’expert à la Cour. Non seulement suis-je convaincu que cette présence n’était pas nécessaire pour permettre à l’avocat compétent de l’intimée de contre-interroger convenablement le témoin expert des appelants, mais je suis également convaincu que l’avocat des appelants n’aurait pas consenti à la demande inhabituelle de l’intimée de permettre à son témoin expert d’assister aux autres témoignages si l’intimée avait signalé à ce moment-là qu’elle demanderait les dépens relatifs à un tel arrangement.

[78]  En conséquence, tous les frais et débours facturés par M. Mizrahi et M. Tobias pour leur présence au procès, afin d’entendre les témoignages des témoins au procès, ou pour la préparation de l’avocat de l’intimée en vue du contre-interrogatoire des témoins des appelants ne peuvent être accordés. Bien que la copie de la facture du 15 avril 2015, couvrant la période concernée, ait été jointe aux observations sur les dépens des appelants, elle ne contient pas de précisions pouvant aider la Cour à établir le montant de la déduction à l’égard des honoraires de ces témoins experts. Par conséquent, l’officier taxateur devra déterminer le montant de cette déduction en fonction des honoraires réels des personnes précitées, figurant sur lesdites factures, si les parties ne parviennent pas à une entente à cet égard dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

[79]  Troisièmement, les appelants contestent la demande d’honoraires d’expert de M. Rosen, totalisant 51 916 $, avant la TVH, calculés selon un taux horaire se situant entre 700 $ et 740 $, pour un total de 71,2 heures, au motif qu’il n’a produit aucun rapport et que rien n’indique qu’il a participé à la préparation du rapport déposé à la Cour par M. Mizrahi. Toutefois, je note qu’il est mentionné, dans le devis de juin 2011 que FTI a communiqué à l’intimée, que la participation de M. Rosen était envisagée, et que différentes factures précisent le nombre d’heures réclamées, tout au long du mandat. Je n’ai aucun problème à ce que le personnel supérieur et subalterne réclame des honoraires pour ses services et sa contribution dans la préparation et la supervision du rapport, de même que pour les conseils prodigués à son client avant le procès. À titre d’expert-conseil principal, le nombre d’heures total que M. Rosen a consacré au dossier constitue une petite partie de l’ensemble des services rendus par FTI, principalement par l’entremise de M. Mizrahi, et je ne vois aucun motif de soustraire ses efforts ou de les mettre en doute.

[80]  De même, les appelants s’opposent au paiement des frais pour les 88,5 heures de travail de M. Tobias, à titre de temps de préparation en collaboration avec M. Mizrahi, lesquels figurent sur la facture du 31 juillet 2015, émise par FTI. Cependant, le recours au personnel subalterne pour aider à la préparation est une pratique courante au sein de toutes les professions, et elle est acceptable. Tel que l’a souligné l’intimée, M. Dobner signale aussi avoir reçu un aide de son personnel pour l’exécution de son mandat, et il est également raisonnable de supposer que le témoin expert de l’intimée a fait la même chose, et qu’il s’attend à être indemnisé. Ses heures de travail sont expressément recensées sur les factures fournies par l’intimée dans ses observations sur les dépens, et il ne doit pas en découler une déduction à l’égard des honoraires qu’il a demandés.

[81]  De manière générale, l’intimée s’est montrée tout à fait raisonnable dans son approche concernant les dépens en l’espèce, plus précisément dans sa demande des seuls frais juridiques prévus au Tarif. Elle n’a pas demandé de frais, à juste titre, pour le témoin expert proposé, M. J.C., qui n’a pas été retenu comme témoin expert par la Cour. Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce et de l’examen de tous les facteurs à soupeser pour décider du montant des dépens, aux termes du paragraphe 147(3) des Règles, j’adjuge la totalité des dépens, comme l’a demandé l’intimée, moins une déduction pour les honoraires d’experts et les débours facturés par FTI pour la présence de M. Mizrahi et M. Tobias à l’audition de la déposition des témoins au procès ou pour leur aide dans la préparation des avocats de l’intimée en vue du contre-interrogatoire des témoins des appelants, et réclamés à l’intimée par FTI au moyen des factures du 15 avril 2015.

[82]  Je rechercherai maintenant quelles parties devront être tenues responsables des dépens, tel qu’il a été discuté par les deux parties dans leurs observations, de même que de la répartition de ceux-ci entre les parties concernées.

IV. Parties responsables des dépens

[83]  Je passerai maintenant à la question de savoir qui est tenu aux dépens, notamment s’il se peut que d’autres personnes en soient tenues et pour quel motif.

[84]  Comme il a été signalé précédemment, le paragraphe 147(1) des Règles confère à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire pour « fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter ». Il est manifeste, selon le libellé clair de ce paragraphe des Règles, que la Cour peut imposer des dépens à des personnes n’étant pas parties à une instance, tel que les appelants et l’intimée l’ont soutenu. Comme je l’ai aussi signalé précédemment, ce pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour doit être exercé conformément à certains principes.

[85]  Les appelants soutiennent, au paragraphe 6.b de leurs observations, que si les dépens sont adjugés, ils devraient être appréciés de façon proportionnelle parmi les quelque 16 000 contribuables qui ont participé au programme :

[traduction]

6.b.  Subsidiairement au point a., précité, que les dépens relatifs aux appels soient fixés en tenant pour acquis que les appelants ne sont responsables que de leur part proportionnelle des dépens raisonnables découlant des appels, relativement aux 16 000 contribuables touchés par la décision rendue dans ces appels types, ou selon toute autre part que cette Cour juge équitable[.]

[86]  Au paragraphe 18 de leurs observations, les appelants citent une correspondance provenant du ministère de la Justice, laquelle fait référence à [traduction] « [...] 27 000 donateurs supplémentaires dont les causes sont toujours à l’étape de l’opposition ».

[87]  Peu importe le nombre réel de contribuables concernés, il est manifeste que les appelants soutiennent que le ministre aurait pu facilement mener ces opposants à l’étape de l’appel, en leur délivrant des avis de confirmation.

[88]  Au paragraphe 19 des observations des appelants, ils affirment [traduction] « [...] que la Cour canadienne de l’impôt est actuellement saisie d’au moins 25 appels concernant le promoteur, GLGI Inc. [...], et que si les dépens de 532 211,95 $ demandés par l’intimée (faisant fi de toutes les autres observations contenues aux présentes) étaient partagés de manière proportionnelle entre seulement les 25 appels dont les appelants sont au courant (les 23 appels mentionnés au paragraphe 18, précité, [qui comprennent les appelants liés] plus les appels de M. Moshurchak et de Mme Mariano) le montant des dépens dont chaque appelant serait proportionnellement responsable s’élèverait à 21 288,48 $, soit un montant se rapprochant de l’attente raisonnable des appelants ».

[89]  De toute évidence, les appelants ratissent large en ce qui concerne les personnes responsables des dépens, notamment les appelants liés, soit tous les autres contribuables à l’étape de l’appel et même les contribuables encore au stade de l’opposition. Bien que je note que les premières observations des appelants ne faisaient pas référence à la responsabilité du promoteur quant aux dépens, mais qu’il en était question dans leurs observations en réponse (le tout dans le cadre de leurs observations selon lesquelles une telle répartition concorderait davantage avec l’attente raisonnable des appelants concernant les dépens, et avec le fait qu’il serait inéquitable que les appelants financent le contentieux au profit de tous ceux touchés par la décision), ce dernier argument est essentiellement le même que celui invoqué plus tôt pour appuyer leur thèse selon laquelle aucuns dépens ne devraient être adjugés dans des causes types.

[90]  J’ai déjà discuté la question de l’attente des parties quant aux dépens, de même que des observations des appelants selon lesquelles aucuns dépens ne devraient être adjugés à l’égard de causes types, et il n’est pas nécessaire d’y revenir ici, si ce n’est que pour réitérer que je rejette les observations des appelants à cet égard.

[91]  Quant à la question concernant la gamme des personnes à qui la Cour peut imposer les dépens incombant aux appelants, je retiens la thèse de l’intimée portant qu’il n’y a tout simplement nulle règle selon laquelle il faut imposer les dépens aux contribuables simplement parce qu’ils sont au stade de l’opposition, pas plus qu’aux contribuables au stade de l’appel qui n’ont pas accepté d’être liés par la décision en l’espèce. Le droit est bien fixé : notre Cour n’a pas compétence sur les contribuables qui n’ont pas déposé un avis d’appel, tel que l’a  confirmé le juge Little à l’occasion de l’affaire Caputo c The Queen, 2011 TCC 364, 2011 DTC 1268, pas plus qu’il n’est conféré à la Cour le pouvoir de forcer le ministre à délivrer des avis de confirmation aux contribuables, lequel relève du pouvoir administratif du ministre, dont le caractère raisonnable n’est pas susceptible de révision par notre Cour. En outre, comme l’a souligné l’intimée, selon l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu, les noms de ces contribuables de même que d’autres renseignements les concernant sont confidentiels, de sorte que la Cour ne serait même pas en mesure de connaître leur identité.

[92]  L’article 241 dispose :

241(1)  Communication de renseignements – Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

(2) Communication de renseignements dans le cadre d’une procédure judiciaire – Malgré toute autre loi ou règle de droit, nul fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale ne peut être requis, dans le cadre d’une procédure judiciaire, de témoigner, ou de produire quoi que ce soit, relativement à un renseignement confidentiel.

(3) Communication de renseignements en cours de procédures – Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent :

a) ni aux poursuites criminelles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou sur acte d’accusation, engagées par le dépôt d’une dénonciation ou d’un acte d’accusation, en vertu d’une loi fédérale;

b) ni aux procédures judiciaires ayant trait à l’application ou à l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui prévoit l’imposition ou la perception d’un impôt, d’une taxe ou d’un droit.

[93]  Il est manifeste que nulle exception concerne la communication de renseignements confidentiels, aux fins d’adjudication des dépens précités.

[94]  Toutefois, le principe selon lequel des personnes incapables d’exercer une influence sur le déroulement d’un appel ne peuvent être tenues responsables des dépens est plus important encore. Je soutiens qu’il s’agit là du corollaire de bon sens de  la common law,  sinon de la loi, portant que la Cour a la compétence inhérente, d’imposer des dépens à des tiers dans certains cas, notamment si ceux-ci financent ou soutiennent l’instance, ou s’ils conduisent l’instance à partir des coulisses, cas que je discuterai de manière plus détaillée. Voir 155569 Canada Ltd. et Richards c. Canada (Ministre du Revenu national), [2005] ACF no 21, 2005 DTC 5155. Il n’y a nul élément de preuve dont il ressort que des contribuables à l’étape de l’opposition, ou même ceux du stade de l’appel qui n’ont pas accepté d’être liés, ont participé, exercé une influence ou un contrôle, ou joué un autre rôle à l’égard des appels concernés.

[95]  Inversement, les appelants liés doivent aussi être tenus responsables des dépens de l’espèce, au motif qu’ils ont accepté, aux termes de l’article 146.1 des Règles, d’être liés en tout par la décision rendue dans les présents appels, laquelle comprend manifestement l’adjudication des dépens, et au motif que ces appelants liés faisaient partie du même groupe d’appels, qu’ils ont été en tout temps représentés par les mêmes avocats, soit trois formations au total pour toute la durée de la procédure, et qu’ils ont déposé des actes de procédure presque identiques en nature à ceux des appelants en l’espèce, à l’exception des différences concernant leur identité et les montants en litige. Ces appelants liés ont pleinement participé au groupe d’appels, et ils avaient de toute évidence la capacité d’exercer une influence sur leurs avocats ou l’espèce, s’ils choisissaient de le faire. Ils tireraient parti de l’accueil de l’appel et, de la même manière, ils doivent être tenus responsables des dépens découlant du rejet de l’appel, à l’égard duquel ils ont accepté d’être liés. En conséquence, je rejette l’idée que les appelants liés doivent être tenus des dépens en fonction d’une base distincte de celle des appelants, comme l’a soutenu l’un des appelants liés, dans ses observations.

[96]  Ici, il est important d’opérer une distinction essentielle entre les appelants liés et les contribuables au stade de l’opposition qui peuvent avoir conclu une entente avec l’ARC pour être liés par les causes types. Les appelants soutiennent, dans leur suivi aux observations en réponse, que ces opposants doivent aussi être considérés comme des appelants liés, et être tenus individuellement ou solidairement responsables des dépens. Je ne saurais abonder dans ce sens. Comme je l’ai déjà signalé, la Cour n’a pas compétence sur ces opposants, dont les affaires sont confidentielles, et ceux-ci ne pouvaient manifestement pas exercer une influence sur les appels types ni prendre part aux activités administratives du ministre concernant des offres ou des ententes. En outre, dans l’exemple d’offre de transaction ou d’acceptation d’être lié que les appelants ont joint à leurs observations en réponse à titre de pièce, l’acceptation d’être lié par la décision finale rendue dans les causes types fait mention des taxes, des intérêts et des pénalités, et non des dépens; ainsi, il n’existe aucun fondement permettant d’affirmer qu’il y a acceptation de payer les dépens. Toutefois, les appelants liés ont signé une formule 146.1, acceptant d’être entièrement liés par la décision finale rendue dans les causes types, laquelle comprend l’adjudication des dépens.

[97]  J’examinerai maintenant la question de la responsabilité du promoteur quant aux dépens.

[98]  Les arrêts 155569 Canada Ltd. et Richards, précités, rendus respectivement par la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et la Cour fédérale, ont confirmé la compétence inhérente d’une cour supérieure d’archives d’adjuger les dépens contre des tiers. En ce qui concerne l’affaire, 155569 Canada Ltd., la juge Veit, en discutant la question de savoir si les associés commanditaires d’une société en commandite ayant investi des fonds dans le but de financer et de soutenir la poursuite de la société, en retour d’un rendement du capital investi supplémentaire, pouvaient être tenus responsables des dépens, a résumé l’état du droit concernant les cas où les tiers pouvaient être tenus responsables des dépens, aux paragraphes 35 à 37 :

[traduction]

35  Le droit enseigne que les tiers peuvent, dans des cas exceptionnels, être tenus responsables des dépens. Selon le droit canadien, la compétence de rendre de telles ordonnances relève de la compétence inhérente de la juridiction. A l’heure actuelle, selon le droit britannique l’équivalent de notre Judicature Act (Loi sur la magistrature de l’Alberta) confère ce droit aux juridictions à titre de pouvoir légal. Au final, quel que soit le raisonnement employé, il est manifeste que les juridictions canadiennes peuvent imposer aux tiers l’obligation de payer les dépens. Ainsi, la question en l’espèce consiste à rechercher si le juge doit exercer sa compétence et son pouvoir discrétionnaire pour ordonner aux tiers, plus précisément certains associés commanditaires ayant financé la poursuite, de payer les dépens.

36  Tout en reconnaissant qu’ils ont financé la poursuite, certains associés commanditaires ont affirmé ne pas s’être livrés aux autres activités mentionnées dans certaines décisions, notamment Symphony Group plc. Par exemple, ils soutiennent ne pas avoir :

– intenté la procédure : McColeman;

– recommandé d’intenter la procédure : Alexanian;

– demandé à des parties de poursuivre la procédure contentieuse: Canadian Tire;

– créé la société en commandite afin que celle-ci poursuivre la procédure contentieuse,  pour ainsi éviter d’être tenus responsables des dépens : Tradewinds;

– laissé entendre qu’ils étaient les 4 véritables « parties au litige » : Canadian Tire;

– conduit la procédure depuis les coulisses : décision Alexanian.

37  La réponse simple à cette thèse est que pour être tenu responsable des dépens d’une poursuite, il n’est pas nécessaire d’avoir fait plus que soutenir ou financer la poursuite :Singh. Il existe d’autres cas où les tiers peuvent être tenus responsables des dépens : par exemple, s’ils ont conduit la poursuite depuis les coulisses, mais ces cas sont distincts de la question du financement de la poursuite.

[99]  Par la décision précitée, la juge Veit a conclu qu’en essence les associés commanditaires s’étaient vu offrir une participation dans une poursuite, et ils s’en étaient porté acquéreurs, ce qui constituait une conduite de l’instance ou quelque chose qui s’y apparentait et que, par conséquent, ils étaient potentiellement responsables des dépens, mais elle a conclu, compte tenu des circonstances de l’espèce, que ces associés commanditaires n’avaient pas été informés qu’une demande de dépens avait été déposée contre eux. Au paragraphe 62, la juge Veit a observé:

[traduction]

62  En résumé, bien que des associés commanditaires finançant des poursuites dans des cas similaires à l’espèce soient potentiellement tenus responsables de payer les dépens de l’instance, il n’y pas d’adjudication des dépens en l’espèce, au motif que le demandeur n’a pas dûment avisé les associés commanditaires visés du dépôt de sa demande de dépens contre eux. Lorsque la demande de dépens est déposée pour la première fois immédiatement après la clôture de la poursuite, comme en l’espèce, les associés commanditaires n’ont aucun pouvoir de changer quoi que ce soit dans le déroulement de l’instance. Il est inéquitable de leur imposer les dépens à cette étape. La situation pourrait être différente si, dès le début de l’instance, il avait été clair, d’un point de vue juridique, que certains associés commanditaires étaient responsables des dépens, même en l’absence d’une demande explicite quant aux dépens : article 120 des Règles. Mais le cadre législatif et factuel de la demande, possiblement dans tous les cas concernant une société en commandite, mais certainement en l’espèce, n’était pas clair.

[100]  Il ressort clairement de la décision précitée que les associés commanditaires ayant financé la poursuite ne l’ont fait qu’en qualité [traduction] « d’investisseurs », et qu’ils n’exerçaient aucune influence ni aucun contrôle sur le déroulement de l’instance, par conséquent, ils ne pouvaient être tenus responsables des dépens sans qu’un préavis leur soit dûment signifié. Le cas en l’espèce est loin d’être similaire.

[101]  Je partage le point de vue que l’intimée exprime au paragraphe 134 de ses observations relatives aux dépens :

[traduction] Il est difficile d’imaginer des faits qui se prêtent plus à l’adjudication des dépens contre le promoteur tiers que ceux des présents appels [...].

[102]  Le promoteur a non seulement financé la présente action, mais il l’a également conduite depuis les coulisses, voire directement à l’audience. Je note les éléments suivants :

1.  Le promoteur a préparé une directive et il a pris les mesures nécessaires pour que les appelants et, de fait, tous les participants au programme, la signent, comme faisant partie des documents transactionnels, en vertu de laquelle l’appelante Mariano, à titre d’exemple, a consenti à ce qui suit :

[traduction] Global Learning Group Inc. (le « promoteur ») créera un fonds de défense juridique égal à 3 % du montant des sommes collectées pour la fondation (jusqu’à un maximum de 750 000 $), afin de payer les frais juridiques advenant le cas où l’Agence du revenu du Canada établirait une nouvelle cotisation. Pour se prévaloir du fonds de défense juridique, la soussignée doit consentir à ce que le promoteur voit à la conduite de son appel, en son nom, au moyen des services d’un avocat choisi par le promoteur, par voie de cause décisive exécutoire, si ce dernier le désire.

La directive signée par l’appelant Moshurchak ne contient pas la mention « par voie de cause décisive exécutoire, si ce dernier le désire », mais je note qu’au moyen de son matériel promotionnel, déposé en preuve, le promoteur a avisé les participants que s’ils faisaient l’objet de nouvelles cotisations par l’ARC, il choisirait une cause type et l’ensemble du programme serait assujetti à cette seule cause.

2.  Il ressort clairement de l’élément de preuve précité et d’autres éléments de preuve présentés au procès que le promoteur a créé un fonds de défense juridique en prévision d’une contestation de la part de l’ARC, qu’il a publicisé le fait qu’il pourrait y avoir contestation, de même qu’une cause type, qu’il a vu à la conduite complète de l’action, qu’il avait le droit de nommer, ce qu’il a fait, et payer les avocats chargés de l’action à titre de causes types, au nom des appelants, et qu’il a non seulement instruit directement ses avocats, mais, de fait, par l’entremise de son représentant, il a aussi assisté aux conférences préparatoires à l’audience.

3.  Le promoteur a retenu les services des témoins experts présentés au procès par les appelants, et il a payé le rapport de M. Dobner. Le promoteur, par l’intermédiaire de son directeur, M. Robert Lewis, a signé la lettre de mission retenant les services du cabinet PricewaterhouseCoopers pour la préparation du rapport d’expert, et il a accepté d’être seul responsable du paiement de sa prestation de services. Lors de l’instruction, il était évident que M. Dobner, l’expert qui a préparé le rapport, avait reçu des instructions du promoteur, ou de ses représentants, et non des appelants, qui semblent n’avoir joué absolument aucun rôle à cet égard.

4.  Le promoteur n’a pas uniquement payé les honoraires des avocats dont il a retenu les services pour mener la cause type, mais il a aussi payé les dépens adjugés par le juge Boyle lors des conférences de gestion de cas, de même que ceux que j’ai accordés lors de la conférence de gestion de l’instruction, lesquels ont été acceptés en principe, mais dont ses avocats n’ont alors pas établi le  montant.

5.  Les observations sur les dépens des appelants selon lesquelles le promoteur n’avait pas convenu de payer ceux-ci contredisent la thèse avancée par l’appelante Mariano dans sa lettre à la Cour, où elle signale qu’elle s’attendait à ce que le promoteur paye les dépens, de même que celle d’autres appelants liés qui ont, dans leurs observations, confirmé avoir compris que le promoteur paierait les dépens et intenterait l’action. À vrai dire, je trouve plutôt illogique de soutenir que le promoteur n’a nulle obligation légale de payer les dépens en l’espèce, compte tenu du libellé général de la directive prévoyant le fonds de défense juridique précité, afin de pourvoir aux honoraires d’avocat, sans restreindre ceux-ci aux honoraires de ses propres avocats, de même que du matériel promotionnel qui porte sur la gestion des contentieux au moyen de causes types. Il ne s’agit pas seulement d’une preuve de prime abord dont il ressort que le promoteur a affirmé qu’il paierait tous les dépens associés à la [traduction] « défense » et a y consenti, mais, tel qu’il est indiqué, il a bel et bien payé les dépens précités, conformément à cette obligation.

6.  Il est manifeste que le promoteur voyait à tous les aspects du programme, soit la négociation des licences maîtresses, les mesures prises et les paiements versés relatifs aux évaluations et aux avis juridiques qu’il a sollicités concernant les documents liés au programme, l’embauche de personnel pour l’administration du programme, la collecte de fonds, la délivrance de reçus officiels et la gestion de la fiducie, dont la création a permis de donner des instructions à ses avocats, le paiement de tous les honoraires des experts et des avocats concernés, et même la préparation et la mise à disposition de modèles destinés aux participants, pour le dépôt d’avis d’opposition auprès de l’ARC, lesquels ont été utilisés par deux des appelants de l’espèce, en plus d’avoir financé le contentieux de la cause type. Il contrôlait tous les aspects du programme, de même que le contentieux qui en est découlé. À vrai dire, les témoignages des appelants portaient principalement sur la question de l’intention libérale et sur leur compréhension du programme, et s’y limitaient en essence. Il est manifeste que les appelants n’avaient nul rôle à jouer quant aux autres questions en litige en l’espèce, notamment la préparation et la défense des évaluations, des rapports d’experts et de la validité de la fiducie et du programme lui-même, que je juge être un trompe l’oeil, pas plus qu’ils n’ont été à l’origine des éléments de preuve produits à l’appui, notamment certaines factures douanières frauduleuses produites pour justifier les conversions des licences en cédéroms. En bref, le promoteur a pris part à l’action et a exercé une influence à son égard d’une manière bien plus importante que l’ont fait les appelants eux-mêmes.

[103]  Considérant ce qui précède, je suis d’avis que le promoteur doit également être tenu responsable des dépens de l’espèce. Même sans la référence susmentionnée à la jurisprudence relative à l’adjudication des dépens contre des tiers, j’aurais tiré la même conclusion, aux termes du large pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 147 des Règles. Enfin, je me pencherai sur la répartition des dépens parmi les parties qui en sont responsables.

V. Répartition des dépens

[104]  Je conclus que les appelants, les appelants liés et le promoteur sont responsables des dépens de l’intimée, comme ils ont été calculés précédemment. Même si je conviens que le promoteur peut être tenu directement responsable du trompe l’oeil commise à l’égard des appelants et de la population canadienne en général, dont il a tiré profit grâce à des contributions en espèce s’élevant à des millions de dollars, les appelants et les appelants liés ont saisi aveuglément ou de plein gré l’occasion offerte par le programme de tirer un avantage pécuniaire de leurs dons. Tel que je l’ai indiqué au paragraphe 88 de mes motifs en l’espèce :

[traduction] [...] Quand, par ailleurs, de bonnes personnes ferment les yeux sur la réalité évidente devant eux, ils ne peuvent s’en prendre aux autres pour les conséquences découlant de la fraude ou de l’imposture commise par des tiers. Ils ne peuvent certainement pas s’attendre à ce que la population canadienne paie pour leurs pertes.

En conséquence, je ne suis pas disposé à limiter la responsabilité des dépens au promoteur, comme les appelants et les appelants liés l’ont demandé.

[105]  La règle générale veut que la répartition des dépens soit la responsabilité conjointe et solidaire des parties tenues responsables de ceux-ci. Voir Makuz c. La Reine, [2007] 1 CCI 2370, 2006 DTC 3464, au paragraphe 3.

[106]  Toutefois, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’adjudication simplement conjointe et solidaire quant à la responsabilité à l’égard de toutes les parties précitées serait, à mon avis, contraire au principe énoncé par le juge Boyle à l’occasion de l’affaire Martin, précitée, selon lequel « [l]a méthode adoptée par la Cour pour fixer les dépens[, en fonction de principes établis,] devrait être compensatoire et contributive, et non punitive ou extravagante ». Les appelants et les appelants liés, en contribuant de manière très différente au programme, se sont exposés à plus ou moins de risques fiscaux en découlant. Comme je l’ai déjà stipulé, Mariano a versé pour une seule année une somme de 7 500 $, en espèces, alors que Moshurchak a versé, sur deux ans, une contribution totale en espèces d’au moins 114 000 $. Les appelants liés ont versé des contributions comparables à celles des appelants. En outre, bien que les appelants et les appelants liés aient cotisé au même programme, ils ont obtenu un nombre différent de licences d’utilisation d’un logiciel, se situant entre 3 à 8 fois la contribution versée en espèces, et l’appelant Moshurchak, à tout le moins, a négocié une distribution plus importante compte tenu de son deuxième don en espèces plus élevé. En conséquence, les reçus pour dons de bienfaisance étaient calculés différemment. Tenir toutes ces personnes responsables des dépens dans la même proportion serait, à mon avis, punitif à l’égard de certains et insuffisamment contributif pour d’autres.

[107]  Par conséquent, compte tenu de la réalité à laquelle le juge Rothstein (alors juge) a fait allusion à l’occasion de l’affaire Consorzio, précitée, selon laquelle l’adjudication des dépens n’est pas une science exacte, je conclus que chacun des appelants, des appelants liés et le promoteur sont solidairement responsables des dépens, tel qu’il a été déterminé plus tôt, mais le montant maximal des dépens auquel chacun des appelants et des appelants liés sera tenu sera plafonné, de manière à ce que la responsabilité de chacun à l’égard des dépens soit limitée à la proportion correspondant au total des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés relatifs au programme de dons de bienfaisance (le « programme »), pour toutes les années visées par le présent appel, considérant que lesdits totaux additionnés devront s’élever au montant total des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés par toutes les parties concernées réunies à l’égard du programme, pour les années visées par l’appel. Pour plus de clarté, le total des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés par les appelants et les appelants liés devra comprendre tous les crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés ou exigibles à l’égard de leurs dons de bienfaisance demandés pour les années visées par l’appel qui concernent le programme, notamment tous les crédits d’impôt pour don de bienfaisance transférés à une autre personne pendant les années visées par l’appel, ou exigibles ou ainsi transférables dans les années à venir. Pour éviter une double comptabilisation, tout appelant ou appelant lié, notamment Janice Moshurchak, qui a bénéficié d’un transfert de crédit d’impôt pour don de bienfaisance d’une autre partie (notamment de son mari, Douglas Moshurchak) ne devra pas comptabiliser ces crédits d’impôt pour don de bienfaisance transférés dans son total des crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés. Il n’y a aucune limite à la responsabilité du promoteur concernant les dépens. Cette méthode de calcul vise à traiter les appelants et les appelants liés différemment entre eux, afin d’éviter que les dépens soient punitifs pour quiconque et de permettre une contribution équitable aux dépens, mais aussi de les traiter comme groupe, qui, de concert avec le promoteur, sera tenu solidairement responsable du montant complet des dépens.

VI. Conclusion

[108]  Tel qu’il a été établi précédemment, le montant des dépens sera de 491 136,95 $, comme l’a demandé l’intimée, moins une déduction pour les honoraires d’expert et les débours facturés par FTI pour la présence de M. Mizrahi et M. Tobias à l’audition de la preuve des témoins au procès ou pour leur aide dans la préparation des avocats de l’intimée en vue du contre-interrogatoire des témoins des appelants, et réclamés à l’intimée par FTI sur les factures datées du 15 avril 2015. L’officier taxateur devra établir le montant de cette déduction en fonction des honoraires réels facturés par les personnes précitées, figurant sur lesdites factures, si les parties ne parviennent pas à une entente à cet égard dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance. Les présents dépens sont adjugés conformément au paragraphe [107], ci-dessus.

La présente ordonnance remodifiée et les présents motifs remodifiés de l’ordonnance remplacent l’ordonnance modifiée et les motifs modifiés de l’ordonnance rendue le 4 août 2016.


Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d’août 2016.

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mai 2018.

Francois Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 161

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2009-3506(IT)G

2009-3516(IT)G

2009-3498(IT)G

2009-3503(IT)G

2009-3510(IT)G

2009-3514(IT)G

2009-3515(IT)G

INTITULÉS :

JUANITA MARIANO et SA MAJESTÉ LA REINE

DOUGLAS MOSHURCHAK et SA MAJESTÉ LA REINE

SERGIY BILOBROV et SA MAJESTÉ LA REINE

MELBA LAPUS et SA MAJESTÉ LA REINE

MYLYNE SANTOS et SA MAJESTÉ LA REINE

LA SUCCESSION DE PENNY SHARP et SA MAJESTÉ LA REINE

JANICE MOSHURCHAK et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEUX DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario), Halifax (Nouvelle‑Écosse), Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 7, 8, 9, 10, 13 et 14 avril 2015, à Toronto (Ontario); les 8 et 9 mai 2015, à Halifax (Nouvelle‑Écosse); les 25, 26, 27, 28, 29 mai, les 15, 16, 17, 22, 23, 24, 25 juin et les 14, 15, 16, 17 et 18 septembre 2015, à Vancouver (Colombie-Britannique).

MOTIFS REMODIFIÉS CONCERNANT LES OBSERVATIONS SUR LES DÉPENS :

L’honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DES MOTIFS REMODIFIÉS CONCERNANT LES OBSERVATIONS SUR LES DÉPENS :

Le 13 août 2016

COMPARUTIONS :

Avocats des appelants :

Me Howard Winkler

Me Rahul Shastri

Avocats de l’intimée :

Me Gordon Bourgard

Me Lynn M. Burch

Me Matthew Turnell

Me Zachary Froese

Me Selena Sit

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelants :

Nom :

Me Howard Winkler

 

Cabinet :

Winkler Law

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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