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Dossier : 2013-1806(IT)G

ENTRE :

HELEN BELL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 23, 24, 25 et 26 février 2016 à Vancouver (Colombie‑Britannique) avec observations écrites reçues subséquemment

Devant : L’honorable juge Judith Woods


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me William S. Maclagan

Me Soraya Jamal

Avocats de l’intimée :

Me Raj Grewal

Me Pavan Mahil Pandher

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                 l’appel à l’égard des cotisations établies aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 est accueilli, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que la valeur des avantages conférés aux actionnaires aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi seront réduits de 22 278 $, de 52 975 $ et de 30 201 $ respectivement;

2.                 l’appel à l’égard des cotisations établies aux termes de la Loi applicable aux années d’imposition 2007 et 2008 est rejeté; et

3.                 les dépens sont accordés à l’intimée.

         Signé à Ottawa (Ontario), ce 27e jour de juillet 2016.

« J. Woods »

La juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016 CCI 175

Date : 20160727

Dossier : 2013-1806(IT)G

ENTRE :

HELEN BELL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

I. Introduction

[1]             Durant la période visée, Helen Bell, Indienne inscrite, avait droit à une exemption fiscale aux termes de la Loi sur les Indiens à l’égard des biens meubles situés dans une réserve.

[2]             Le présent appel en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu concerne le droit de Mme Bell à l’exemption concernant les primes annuelles qu’elle a reçues de Reel Steel Ltd. (« Reel Steel »). La question est de savoir si les primes sont situées dans une réserve.

[3]             Reel Steel est une entreprise de construction qui appartient à Mme Bell et à son époux Michael Bell et qu’ils exploitent. M. Bell n’est pas un Indien inscrit et ne peut bénéficier de l’exemption fiscale.

[4]             Reel Steel est un sous-traitant qui se spécialise dans la mise en place de barres d’armature (acier d’armature) dans les immeubles de grande hauteur. Durant la période visée, soit de 2005 à 2008, Reel Steel a employé jusqu’à 50 personnes sur divers chantiers situés surtout dans la région métropolitaine de Vancouver et dans la région intérieure sud de la Colombie-Britannique. Presque aucun des chantiers n’était situé dans des réserves.

[5]             M. Bell travaillait sur les chantiers situés dans la région métropolitaine de Vancouver. Mme Bell travaillait dans le bureau de Reel Steel qui, durant la période visée, était situé dans une réserve.

[6]             Reel Steel versait toutes les deux semaines à Mme Bell et à son époux une rémunération normale d’employé. Durant les années en cause, Reel Steel a également versé le solde de son revenu annuel à Mme Bell sous la forme de primes de fin d’année.

[7]             Aux fins de l’impôt sur le revenu, Reel Steel a demandé des déductions pour la paie normale ainsi que pour les primes, et ces déductions ont été accordées par le ministre. Mme Bell a quant à elle demandé une exemption de taxation à l’égard de sa paie normale et des primes. Le ministre a accordé l’exemption à l’égard de la paie normale et il refusé l’exemption à l’égard des primes.

[8]             La question à trancher consiste à savoir si le traitement des primes par le ministre était correct. Les montants des cotisations sont légèrement inférieurs aux primes réellement versées, mais cet aspect n’est pas déterminant en l’espèce.

[9]             Une nouvelle cotisation a également été établie à l’égard de Mme Bell relativement à la valeur présumée des avantages conférés à titre d’actionnaire et cette question a été réglée par les parties avant l’audition.

[10]        Afin d’éviter toute confusion dans l’analyse ci-dessous, je ferai référence à Mme Bell en tant que l’« appelante » et je désignerai M. Bell sous le nom de « Mike ».

II. Cadre législatif

[11]        Une exemption fiscale pour les biens situés dans une réserve est prévue à l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Le paragraphe 87(1) est libellé comme suit :

(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a)      le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b)      les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

[12]        Il s’est avéré difficile d’appliquer l’exemption à l’égard des biens incorporels, et bien entendu les primes en question sont des biens incorporels. La dernière orientation donnée par la Cour suprême du Canada à l’égard de cette question remonte à l’arrêt Succession Bastien c. Canada, 2011 CSC 38.

[13]        Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a résumé les principes généraux de l’arrêt Succession Bastien en sept principes de base, bien qu’elle ait remarqué qu’ils ne constituaient pas une liste exhaustive : arrêt Kelly c. Canada, 2013 CAF 171.

[14]        Les sept principes de base sont reproduits ci-dessous.

(a)        Toujours donner effet au libellé de la loi.

(b)        S’agissant de biens immatériels, certains facteurs, appelés facteurs de rattachement, sont d’utiles indices lorsqu’il s’agit de déterminer où le bien est situé.

(c)         La pertinence et le poids à attribuer aux facteurs de rattachement dépendent du type de bien en cause, de la nature de l’imposition du bien et des fins de l’article 87.

(d)        Le genre de bien doit être correctement défini et pris en compte lors de l’analyse de la pertinence et du poids à accorder aux divers facteurs.

(e)         La nature de l’imposition doit être correctement définie et prise en compte dans l’analyse de la pertinence et du poids à accorder aux divers facteurs.

(f)          L’objet de l’exemption prévue à l’article 87 doit être correctement défini et pris en compte dans l’analyse de la pertinence et du poids à accorder aux divers facteurs. En général, le but est de « protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits » (arrêt Kelly, au paragraphe 42).

(g)        Il faut se méfier des liens artificiels ou trompeurs. S’il existe un lien artificiel ou trompeur, il peut être pertinent que le fond l’emporte sur la forme (arrêt Kelly, au paragraphe 48).

III. Exposé des faits

[15]        Une soumission conjointe partielle des faits a été déposée par les parties et est reproduite ci-dessous.

[TRADUCTION]

A.           L’APPELANTE

1.             Tout au long de la période 2005-2008 (les « années d’imposition ») et aujourd’hui, l’appelante était et est une Indienne inscrite conformément à la Loi sur les Indiens (Canada) (la « Loi sur les Indiens »).

2.             L’appelante n’est pas et n’a jamais été membre de la bande indienne Capilano.

3.             L’appelante est membre de la Première Nation Dakelh (Carrier) ainsi que de la bande indienne Nak’azdli.

4.             Tout au long des années d’imposition, l’appelante résidait hors réserve aux fins de la Loi sur les Indiens.

5.             Au cours des années d’imposition, l’appelante était mariée à Michael Bell, souvent appelé Mike (« Mike »).

6.             Mike n’est pas un Indien au sens de la Loi sur les Indiens.

7.             L’appelante et Mike ont trois filles : Angela (née en 1981), Jessica (née en 1983) et Teri-Ann (née en 1985).

8.             Au cours des années d’imposition, l’appelante était actionnaire majoritaire (51 %), unique administratrice, présidente, et employée de Reel Steel Ltd. (la « société »).

9.             Au cours des années d’imposition, l’époux de l’appelante, Mike, était actionnaire minoritaire (49 %), secrétaire-trésorier, et employé de la société.

B.            LA SOCIÉTÉ

10.    La société a été constituée en personne morale en 1987 en vertu des lois de la Colombie-Britannique.

11.    La société installe des barres d’armature pour des projets de construction, ce qui consiste à mettre en place l’acier avant de couler du béton.

12.    La société exerce ses activités dans la région métropolitaine de Vancouver et dans la région intérieure sud de la Colombie-Britannique.

13.    Jusqu’au 15 novembre 1996, l’appelante et Mike étaient actionnaires à parts égales de la société, chacun possédant 50 % de ses actions.

14.    En 1997, la société a déménagé son bureau de Coquitlam (Colombie‑Britannique) au 100, Park Royal Sud, Vancouver Ouest (Colombie‑Britannique) V7T 1A2 (le « bureau »), et en tout temps au cours des années d’imposition, le bureau était situé au 100, Park Royal Sud.

15.    En tout temps au cours des années d’imposition et aujourd’hui, le 100, Park Royal Sud, était et est situé dans la Réserve indienne Capilano 5, qui est une réserve au sens de la Loi sur les Indiens.

16.    Jusqu’au 19 juin 2002, Mike était l’unique administrateur et le président de la société. À cette date, Mike a démissionné et l’appelante est devenue l’unique administratrice et la présidente de la société.

17.    En tout temps au cours des années d’imposition, le siège social de la société était situé hors réserve, à Coquitlam.

18.    En tout temps au cours des années d’imposition, le compte bancaire de la société était situé hors réserve, à Coquitlam.

19.    Au cours des années d’imposition, tous les clients de la société se trouvaient hors réserve.

20.    Au cours des années d’imposition, la société n’avait aucun client membre des Premières Nations.

C.      REVENU DE L’APPELANTE

21.    En tout temps au cours des années d’imposition, l’appelante a exercé la majorité des fonctions de son emploi dans une réserve au bureau.

22.    Au cours des années d’imposition, la société a versé à l’appelante un salaire toutes les deux semaines ainsi que des montants forfaitaires, ce que représentent les sommes suivantes :

Année

Total du salaire aux deux semaines

Montants forfaitaires

2005

79 000 $

351 000 $

2006

105 600 $

257 500 $

2007

101 760 $

715 000 $

2008

232 150 $

2 037 000 $

 

23.    Pour toutes les années d’imposition, la contribuable a affirmé que ce revenu était exempt de taxation en application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

24.    Les sommes des montants forfaitaires payés par la société à l’appelante représentaient presque ou dépassaient 100 % du revenu net de la société.

25.    Les revenus nets de la société d’après ses états financiers, avant les paiements des montants forfaitaires, étaient de 358 636 $, de 215 970 $, de 697 870 $ et de 1 959 405 $ au cours de ses années d’imposition se terminant en 2005, en 2006, en 2007 et en 2008, respectivement.

26.    La société a caractérisé les montants forfaitaires comme étant un revenu d’emploi de l’appelante.

27.    Au cours des années d’imposition, la société a versé à Mike un salaire toutes les deux semaines, ce que représentent les sommes suivantes :

Année

Total du salaire aux deux semaines

2005

75 150 $

2006

101 282 $

2007

103 760 $

2008

137 800 $

 

28.    Au cours des années d’imposition, la société n’a versé aucun montant forfaitaire à Mike.

D.     NOUVELLES COTISATIONS VISÉES PAR L’APPEL

29.    Le 27 mai 2005, le 1er juin 2006, le 31 mai 2007, le 17 juillet 2008 et le 15 juin 2009, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi les cotisations initiales de l’appelante pour les années d’imposition 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008, respectivement, et a donc émis des avis de cotisation à ces dates.

30.    Le 3 avril 2009, le ministre a établi de nouvelles cotisations pour l’appelante pour les années d’imposition 2004, 2005, et 2006 et, le 25 mars 2010, il a établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2007 et 2008, et a donc émis à ces dates des avis de cotisation, entre autres montants qui ne sont plus en litige dans le présent appel, pour inclure dans le revenu imposable de l’appelante les montants forfaitaires de 351 000 $, de 257 500 $, de 613 240 $ et de 1 804 850 $ versés à l’appelante par la société pour 2005, 2006, 2007 et 2008, respectivement, aux termes de l’article 5 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

31.    Le ministre a accordé l’exemption en application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens sur le salaire versé toutes les deux semaines à l’appelante par la société.

32.    Pour chacune des années d’imposition 2005, 2006, 2007 et 2008 pertinentes, le ministre a établi une cotisation ou une nouvelle cotisation à l’égard de la société, étant entendu que le salaire aux deux semaines et les montants forfaitaires payés à l’appelante pouvaient être déduits du revenu de la société aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu.

33.    Le 30 juin 2009, l’appelante a signifié au ministre un avis d’opposition aux nouvelles cotisations susmentionnées à l’égard des années d’imposition 2004, 2005 et 2006 et, le 18 juin 2010, l’appelante a signifié au ministre un avis d’opposition aux nouvelles cotisations susmentionnées à l’égard des années d’imposition 2007 et 2008.

34     Le 19 février 2013, le ministre a ratifié les nouvelles cotisations susmentionnées, et a par conséquent émis à cette date un avis indiquant qu’il [traduction] « avait été conclu que [les montants forfaitaires] constituaient un revenu d’entreprise, un avantage conféré à un actionnaire, des crédits à un actionnaire ou des dividendes ».

[16]        Je compléterai les faits convenus par une mise en contexte.

[17]        Reel Steel a connu des débuts modestes en tant que société comptant deux employés, Mike et l’appelante. Mike était installateur de barres d’armature depuis un très jeune âge; en 1986, il était en arrêt de travail à la suite d’une blessure. Après environ six mois, Mike n’a pas obtenu l’autorisation de retourner au travail. C’est ainsi que la décision a été prise par lui et l’appelante de démarrer ensemble une entreprise d’installation de barres d’armature.

[18]        L’idée était que Mike travaillerait sur le terrain à placer les barres d’armature tandis que l’appelante s’occuperait de tous les aspects juridiques et financiers liés au démarrage d’une entreprise.

[19]        Au début, Reel Steel exécutait de petits ouvrages résidentiels pour une entreprise appelée Heritage Steel, à la suite d’une référence provenant du frère de l’appelante.

[20]        Reel Steel a ensuite décidé d’entreprendre de plus gros ouvrages et a délaissé Heritage Steel au profit de Lafarge, puis de son successeur Harris Steel. Au cours de la période pertinente, Harris Steel et ses filiales (collectivement appelées « Harris Steel ») étaient les principaux clients de Reel Steel.

[21]        Les projets de Reel Steel durant la période en question consistaient principalement en tours de bureaux et d’habitation, et la société a compté jusqu’à 50 employés sur le terrain. L’entreprise a pris de l’expansion grâce au bouche-à-oreille et Reel Steel avait une excellente réputation dans l’industrie. Cela était sans doute dû à plusieurs facteurs, mais une chose est ressortie des témoignages : Mike avait une éthique de travail extraordinaire et il était exigeant envers lui-même et envers les autres employés travaillant sur le terrain. Tout au long de l’histoire de Reel Steel, les employés de terrain, y compris Mike, ont tous continué de travailler comme installateurs en plus d’effectuer leurs autres tâches éventuelles (p. ex. comme contremaîtres ou superviseurs de chantier).

[22]        En 2007 et en 2008, Reel Steel a obtenu grâce à Harris Steel un très grand projet comprenant la mise en place de barres d’armature pour dix tours d’habitation faisant partie du Village olympique pour les Jeux olympiques de Vancouver. Ce projet a entraîné un bond important des revenus de Reel Steel en 2008.

[23]        Pendant les dix premières années d’existence de Reel Steel, l’appelante a quant à elle travaillé aux divers emplacements du bureau de Reel Steel à Coquitlam, en Colombie-Britannique, où les Bell résidaient.

[24]        L’appelante avait été informée que sa rémunération provenant de Reel Steel serait admissible à l’exemption de taxation aux termes de la Loi sur les Indiens si elle travaillait dans une réserve. Elle a décidé de donner suite à cette information en 1996, année où elle a obtenu sa carte de statut d’Indienne et où le bureau de Reel Steel a déménagé dans la réserve indienne Capilano 5 (la « réserve Capilano ») à Vancouver Ouest. L’endroit n’était pas pratique pour l’entreprise, mais c’était gérable. L’appelante n’avait aucun lien antérieur avec cette réserve.

[25]        Comme je l’ai déjà mentionné, les travaux de construction de Reel Steel s’effectuaient principalement à deux endroits : dans la région métropolitaine de Vancouver et dans la région intérieure sud de la Colombie-Britannique. Presque aucun de ces travaux n’a eu lieu dans une réserve.

[26]        En plus du bureau dans la réserve, Reel Steel utilisait des installations d’entreposage situées dans des réserves. La principale installation d’entreposage était une unité locative adjacente au bureau; elle était utilisée pour l’entreposage des fournitures générales du bureau et du matériel de construction. Une autre installation d’entreposage était louée dans une réserve située dans la région intérieure sud, pour le travail effectué dans cette région de la province.

[27]        Reel Steel a également employé, pour l’appelante, une adjointe administrative expérimentée. L’adjointe, Lil Saranchuk, était initialement une amie de l’appelante et elle était engagée à temps plein dans le bureau durant la période en question.

[28]        Lors de la constitution en personne morale de Reel Steel, les actions de cette dernière étaient détenues à parts égales par l’appelante et par Mike. À cette époque, Mike était l’unique administrateur et le président.

[29]        Autour du déménagement du bureau dans la réserve, les modifications qui suivent ont été apportées à la structure de gestion.

(a)        En novembre 1996, les participations dans Reel Steel ont été modifiées, passant de 50/50 à 51 pour cent pour l’appelante et à 49 pour cent pour Mike.

(b)        En 2002, l’appelante est devenue l’unique administratrice et la présidente de Reel Steel, remplaçant Mike à ces fonctions.

(c)         À partir du 1er janvier 1997, l’appelante et Mike ont chacun conclu une entente de services avec Reel Steel. Aux termes de ces ententes, les services de l’appelante devaient inclure la supervision et la gestion des activités commerciales et financières de Reel Steel, et les services de Mike devaient inclure la planification et la programmation des activités liées aux barres d’armatures et à leur mise en place. Pour ces services, l’appelante et Mike recevaient une rémunération identique de 4 500 $ par mois, en plus des avantages sociaux. De plus, l’appelante devait recevoir 50 pour cent du revenu annuel estimé de Reel Steel par l’entremise d’une prime. L’entente de Mike ne prévoyait pas de prime.

[30]        La somme véritablement payée en primes à l’appelante pendant les années d’imposition en cause était de 100 pour cent du revenu estimé, ce qui équivaut au double du montant prévu dans l’entente de 1997.

[31]        Les primes n’étaient pas payées en espèces, mais étaient plutôt versées par l’entremise d’une augmentation du compte de prêts aux actionnaires de l’appelante auprès de Reel Steel. Cette augmentation de la dette était réalisée sous la forme d’une écriture au grand livre faite par le comptable qui préparait chaque année le grand livre général, les états financiers et les déclarations de revenus de Reel Steel.

IV. Question en litige

[32]        La seule question à trancher est de savoir si les primes sont suffisamment liées à la réserve Capilano pour être situées dans une réserve aux fins de l’exemption.

V. Thèse des parties

A. Thèse de l’intimée

[33]        L’intimée soutient que les primes ne sont pas un revenu d’emploi, mais plutôt des revenus d’entreprise d’une entreprise qui installe des barres d’armatures. Ces revenus sont inclus au revenu de l’appelante en tant que revenu d’entreprise aux termes de l’article 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[34]        L’intimée fait également valoir que les primes, qu’elles soient caractérisées comme étant un revenu d’emploi ou un revenu d’entreprise, ne sont pas situées dans une réserve.

[35]        L’intimée soutient que, si les primes sont caractérisées comme étant un revenu d’entreprise, le revenu d’entreprise manque de facteurs de rattachement à une réserve, car les activités commerciales de Reel Steel n’ont pas eu lieu principalement dans des réserves.

[36]        L’intimée fait également valoir que, si les primes sont caractérisées comme étant un revenu d’emploi, elles ne sont pas fortement rattachées à une réserve. L’intimée soutient que, puisque l’établissement du bureau dans la réserve était motivé par des considérations fiscales, il s’agissait d’une manipulation inappropriée du critère des facteurs de rattachement et le bureau ne devrait pas être considéré comme étant un facteur de rattachement important.

B. Thèse de l’appelante

[37]        L’appelante prétend qu’il ne devrait pas être permis à l’intimée de soutenir que les primes sont des revenus d’entreprise. Elle soutient que cela serait injuste parce qu’elle avait reçu une cotisation établie sur le fondement que les primes étaient un revenu d’emploi et parce que l’intimée n’avait pas modifié sa thèse dans la réponse.

[38]        Pour ce qui est de savoir si les primes sont situées dans une réserve, l’appelante fait valoir que les facteurs de rattachement indiquent davantage que les primes seraient situées dans la réserve Capilano. C’est à cet endroit, soutient l’appelante, qu’elle a principalement exercé ses fonctions et que les décisions de gestion importantes ont été prises.

[39]        Enfin, l’appelante soutient que les questions de pratiques répréhensibles et de liens artificiels n’ont pas d’incidence sur une affaire comme celle-ci. Elles ne sont pertinentes que si la Couronne allègue une opération factice ou que la règle générale anti-évitement s’applique : Canada c. Shilling, 2001 CAF 178.

VI. Analyse

[40]        Pour qu’il soit fait droit au présent appel de l’appelante, il doit y avoir des liens importants entre les primes et la réserve Capilano.

[41]        L’appelante soutient que les tâches qu’elle effectuait au bureau et les importantes réunions qui ont eu lieu à cet endroit entre l’appelante et Mike sont des liens suffisamment importants.

[42]        La pertinence et le poids à attribuer aux facteurs de rattachement dépendent du type de bien en cause, de la nature de l’imposition du bien et des fins de l’exemption.

A. Types de biens

[43]        Les biens en litige sont les primes qui ont été versées à l’appelante et dont le montant est équivalent au solde du revenu annuel estimé de Reel Steel.

[44]        L’intimée soutient que les primes sont un revenu d’entreprise imposable aux termes de l’article 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cet argument, si je le comprends bien, est que l’appelante exploitait une entreprise d’installation de barres d’armatures qui produisait des revenus permettant le versement de primes.

[45]        Le problème que pose cet argument tient au fait que l’entreprise de barres d’armature était exploitée par Reel Steel et non par l’appelante. Il s’agit d’un exemple classique de la levée du voile corporatif qui n’est pas opportune à moins que des faits soutiennent la conclusion selon laquelle l’appelante exploitait vraiment l’entreprise de barres d’armature. La preuve n’appuie pas une telle conclusion.

[46]        Je voudrais également ajouter que la décision judiciaire sur laquelle s’est appuyée l’intimée était fondée sur des faits différents. Dans cette affaire, le contribuable exploitait véritablement une entreprise : Pilfold (Succession) c. Canada, 2013 CCI 181, conf. par 2014 CAF 97. Mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

[47]        En outre, cet argument n’était pas inclus dans la réponse. Au contraire, on reconnaît dans la réponse que les primes sont versées en raison de l’emploi (paragraphe 1 de la réponse). Il serait injuste que l’intimée puisse changer de thèse lors du procès sans avoir avancé l’argument dans les actes de procédures.

[48]        L’intimée prétend que les admissions ne lient pas la Cour (Hammill c. Canada, 2005 CAF 252). Cela est sans doute vrai, mais ne règle pas le problème que les questions en litige entre les parties devraient être exposées dans les actes de procédures. Cela n’a pas été fait en l’espèce en ce qui concerne le type de bien. Je soulignerais également que, dans l’arrêt Hammill, la Cour signale qu’une fois placée devant un fait admis par une partie, elle ne cherchera généralement pas plus loin.

[49]        Pour ces motifs, je conclus que, pour les besoins du présent appel, le bien en litige est une rémunération d’emploi.

B. Nature de l’imposition du bien

[50]        Les primes sont incluses dans le revenu de l’appelante aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui se lit comme suit :

(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, tiré d’une charge ou d’un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année.

C. But de l’exemption

[51]        Tel qu’il a été mentionné précédemment, le but général de l’exemption prévue par l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens est de « protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits » (arrêt Kelly, au paragraphe 42).

D. Poids de l’emploi en tant que facteur de rattachement

Aperçu

[52]        L’appelante prétend que ses tâches de travail effectuées au bureau de Reel Steel sont un facteur de rattachement important qui lie les primes à la réserve.

[53]        Cette allégation est problématique, car, comme il sera précisé ci-dessous, l’appelante avait déjà reçu une rémunération adéquate pour son emploi sous la forme d’une paie toutes les deux semaines. Les primes s’ajoutent à la rémunération raisonnable.

[54]        Le but de l’exemption est de protéger les droits d’un Indien provenant des terres de réserve. Compte tenu des faits de l’espèce, les primes ne sont pas un droit provenant des terres de réserve en vertu de l’emploi de l’appelante parce qu’il n’y a pas de lien réel entre la terre et les primes.

[55]        Par ailleurs, je conclus que l’appelante abuse de l’exemption en recevant des primes allant au-delà d’une rémunération raisonnable. Reel Steel a effectué une opération qui présente toutes les apparences de lien important entre les primes et l’emploi. En réalité, il n’existe aucun lien important. Il s’agit d’un abus.

Les primes ne constituent pas une rémunération raisonnable.

[56]        Dans la section précédente, j’ai fait remarquer que les primes allaient au-delà d’une rémunération raisonnable. Je produis maintenant mes motifs pour en arriver à cette conclusion.

[57]        Premièrement, aucun élément de preuve ne permet de corroborer que les primes constituaient une rémunération raisonnable ou qu’elles avaient été prévues par les parties en vue de rémunérer raisonnablement l’appelante pour son travail. L’inférence raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, incluant le montant des primes, est qu’elles ont été payées à des fins fiscales, notamment pour éviter l’impôt sur le revenu de la société et de l’actionnaire.

[58]        Deuxièmement, l’appelante a reçu, par l’entremise de sa paie toutes les deux semaines, une rémunération à peu près équivalente à la paie de Mike, sauf en 2008 lorsque la paie normale de l’appelante a été supérieure à celle de Mike. Pour que les primes soient raisonnables compte tenu des circonstances, l’appelante aurait dû apporter une contribution plus élevée que celle de Mike à Reel Steel. Comme nous le verrons ci-après, je conclus que la preuve ne corrobore pas une telle conclusion.

[59]        L’appelante et Mike tenaient des rôles importants au sein de Reel Steel. C’est leur travail acharné à tous les deux qui a fait la réussite de Reel Steel. Toutefois, la preuve n’indique pas que le rôle de l’appelante était plus important.

[60]        Le rôle de Mike, en plus d’installer des barres d’armatures aux côtés des employés, était de gérer les travaux de construction, y compris de s’occuper des clients, de s’assurer que les projets étaient dotés de façon adéquate (incluant l’embauche des travailleurs de la construction) et d’assurer la gestion générale de tous les chantiers.

[61]        L’appelante jouait généralement deux rôles principaux. L’un d’entre eux était d’être responsable des tâches administratives, notamment les achats, la facturation, les comptes clients, les comptes fournisseurs, la paie, les affaires bancaires et la comptabilité. L’autre rôle important était de s’assurer du bien-être des employés, en s’occupant notamment des avantages sociaux, de la formation en matière de sécurité et du signalement des accidents. La contribution de l’appelante, à l’égard des employés, allait plus loin puisqu’elle était très active dans la création d’une culture d’entreprise positive. L’appelante a organisé plusieurs événements sociaux, comme des soupers et des dîners, et a même prévu la fourniture de fleurs pour les épouses et les conjointes le jour de la Saint-Valentin.

[62]        En ce qui concerne l’interaction entre Mike et l’appelante, la preuve démontre qu’ils travaillaient en étroite collaboration, principalement au téléphone, au sujet des tâches administratives quotidiennes, notamment l’achat de produits liés à la construction, la location de remorques pour les chantiers et l’organisation des déplacements d’employés pour le travail à l’extérieur de la ville. Compte tenu de la nature de l’entreprise, il y avait de nombreux aspects administratifs pour lesquels Mike dépendait nettement du soutien de l’appelante.

[63]        L’avocat de l’appelante a soutenu que l’appelante et Mike prenaient ensemble les décisions importantes quant à l’entreprise. Cela exagère un peu le rôle de l’appelante, à mon avis.

[64]        Mike appréciait véritablement la contribution de l’appelante au sujet des décisions commerciales complexes, mais je ne suis pas convaincue que ce genre de décisions arrivait très souvent. Mike a confirmé l’existence de deux décisions commerciales complexes : le contrat du village olympique, qui date de la période en question, et un contrat potentiel pour le centre d’achats Brentwood survenu plus récemment.

[65]        Reel Steel est en activité depuis plus de 30 ans. J’ai l’impression que la vaste majorité des travaux de construction n’impliquait aucune décision commerciale complexe et que ces décisions étaient prises par Mike, avec la contribution administrative de l’appelante.

[66]        Le témoignage suivant illustre ce point (transcription, aux pages 333 et 334).

[TRADUCTION]

 Q      D’accord. Et à cette période, de quelle façon décidiez-vous si vous vouliez ou non accepter un chantier offert par Harris?

R        Même scénario. Il -- nous -- je regardais les dessins, et on déterminait si oui ou non c’était quelque chose qui nous intéressait. Le calendrier des travaux était toujours un gros facteur, la planification des ouvrages était une grosse affaire. Et après on déterminait nos heures-personnes par tonne. Si on faisait des ouvrages résidentiels, et qu’après on en faisait cinq d’affilée, on savait dès le premier ouvrage sur quel tonnage compter, en se laissant un peu de marge pour, vous savez, l’augmentation des prix, des salaires, du coût de la vie. Donc on pouvait déterminer si oui ou non, c’était plus logique d’en faire plus à ce même montant, ou si le montant devait être changé.

Q       Et qui prenait part à ce processus de décision?

R        Moi principalement. Principalement, oui.

Q       D’accord. Vous le faisiez vous-même, principalement? Ou --

R        En réalité -- s’il s’agissait d’un immeuble résidentiel sur lequel on allait continuer à travailler, alors oui, je prenais part aux décisions. S’il y avait quelque chose de différent, un pépin, si on faisait des ouvrages à l’extérieur de la ville... Quand on embarque dans des choses comme ça, avec Harris, ça change tout, parce qu’il faut tenir compte du coût de l’hébergement à l’extérieur de la ville, et on doit chiffrer tout ça. Et ça, c’était fait par Helen, au bureau. On le faisait ensemble.

Q       D’accord. Et comment le faisiez-vous ensemble?

R        Au bureau, normalement, ou au téléphone. Je lui téléphonais et je lui disais, « Voilà ce qu’on va faire. Il faut qu’on trouve un logement pour un an dans cette ville-là. » Je sais qu’on a loué – ou qu’elle a loué, pardon – quelques logements à l’extérieur de la ville. On a fait des ouvrages à Vernon, d’autres à Princeton, d’autres à Whistler. Et c’était le genre de choses que la compagnie devait prévoir, l’hébergement pour nos gars pendant qu’ils étaient là.

Q       D’accord. Et c’est donc ainsi que vous avez procédé pour les travaux confiés par Harris de 2005 à 2008.

R        Oui. C’est ça.

[67]        Je conclus que l’appelante jouait un rôle administratif relativement aux contrats de construction, à quelques rares exceptions près.

[68]        Les importantes conclusions de fait ci-dessus sont fondées en grande partie sur le témoignage de Mike, que je considère de manière générale comme étant fiable. Par contre, je n’ai pas trouvé le témoignage de l’appelante fiable de manière générale. Elle avait tendance à minimiser le rôle de Mike et à exagérer son propre rôle, à tel point que j’ai manqué de confiance quant à certaines parties clés de son témoignage.

[69]        En voici quelques exemples :

(a)             L’appelante a déclaré qu’elle était la propriétaire de Reel Steel (témoignage, à la page 32). Ceci minimise la participation de Mike.

(b)             L’appelante a dit que Reel Steel avait obtenu ses premiers ouvrages par des appels de sollicitation (témoignage, à la page 42). Ceci n’a pas été mentionné dans le témoignage de Mike. Il a déclaré que les affaires de Reel Steel avaient commencé par un contrat de Heritage Steel à la suite d’une référence provenant du frère de l’appelante.

(c)              L’appelante a déclaré que les travailleurs de la construction ont été embauchés par les superviseurs de chantier ou par les contremaîtres (témoignage, à la page 46). Selon le témoignage de Mike, il assumait habituellement la responsabilité d’embaucher les travailleurs et d’établir leur rémunération (témoignage, aux pages 343 et 346).

(d)             L’appelante a déclaré qu’elle « dirigeait » Reel Steel à partir du bureau. Elle a ensuite déclaré que le rôle de Mike était d’installer les barres d’armature (témoignage, à la page 57). L’avocat de l’appelante a ensuite incité l’appelante à répondre de façon plus détaillée et il a posé une question pour confirmer que Mike s’occupait également des clients. Ce genre de questions suggestives par l’avocat de l’appelante pour restreindre son témoignage exagéré est survenu à plus d’une reprise.

(e)              L’appelante a parlé de Reel Steel comme étant « son » entreprise (témoignage, à la page 74).

(f)               En ce qui concerne le contrat du village olympique, l’appelante a déclaré qu’elle et Mike s’étaient rencontrés au bureau pendant deux jours pour discuter de sa faisabilité (témoignage, aux pages 88 et 89). Je retiens ce témoignage, mais l’appelante a omis de dire que Mike avait également discuté de la faisabilité de l’ouvrage avec d’autres employés.

[70]        Ce problème m’a fait douter de l’importance à accorder au témoignage de l’appelante concernant les questions principales soulevées dans le présent appel.

[71]        Je signale également que deux témoins qui étaient des employés de Reel Steel avaient tendance à exagérer le rôle de l’appelante au sein de Reel Steel ou à minimiser le rôle de Mike. Ceci est compréhensible compte tenu de la relation d’emploi.

[72]        Un de ces témoins était l’adjointe administrative, Lil Saranchuk. Elle a déclaré que l’appelante prenait toutes les décisions et que Mike relevait de l’appelante (transcription, aux pages 436 et 437). L’autre témoin était Glenn Watkins, contremaître de longue date chez Reel Steel. Il a déclaré que le travail de l’appelante consistait à faire tout ce qui concernait l’entreprise, sauf lever les barres d’armature et les mettre dans la dalle. Ce témoignage exagère nettement le rôle de l’appelante et sous-estime le rôle de Mike.

[73]        Concernant les formalités relatives au pouvoir décisionnel, l’appelante est devenue l’unique administratrice et la présidente de Reel Steel en 2002 et elle a signé un contrat d’emploi entré en vigueur en 1997 selon lequel elle devait superviser et gérer les activités de l’entreprise. J’estime que ces documents ne reflétaient pas la réalité. Lorsque Reel Steel a été constitué, les Bell ont décidé du fonctionnement de l’entreprise et cette division de tâches n’a pas fondamentalement changé lorsque l’appelante est devenue l’unique administratrice et présidente en 2002, l’exception à ceci étant la signature des chèques, qui était effectuée moins fréquemment par Mike (témoignage de Mme Saranchuk). La décision de Mike de signer moins de chèques a probablement été influencée par l’emplacement peu pratique du bureau.

[74]        Il convient également de mentionner que Mike consacrait de longues heures à l’entreprise et qu’il n’existe aucun élément de preuve fiable concernant le nombre d’heures travaillées par l’appelante. L’appelante a manifestement apporté une contribution importante à l’entreprise, mais il n’est pas clair que ses efforts, sur le plan des heures, étaient aussi importants que ceux de Mike. Je tiens à souligner que Reel Steel n’était pas l’unique centre d’intérêt de l’appelante, qui menait en outre des études universitaires et exploitait une entreprise de location avec sa fille. De plus, Glenn Watkins a déclaré dans son témoignage que soit l’appelante ou Mme Saranchuk étaient au bureau chaque jour.

[75]        L’avocat de l’appelante a ajouté que Reel Steel avait le droit de déduire des primes dans le calcul de son revenu. Ceci n’aide pas l’appelante dans le présent appel puisque le ministre avait permis à Reel Steel de déduire les primes même si, de l’avis du ministre, elles n’étaient pas raisonnables par rapport aux tâches exécutées.

[76]        Compte tenu de l’ensemble de la preuve, j’ai conclu que la paie versée toutes les deux semaines à l’appelante était une rémunération suffisante (ou plus que suffisante) pour les tâches qu’elle avait effectuées.

L’emploi n’est pas un facteur de rattachement important en ce qui concerne les primes.

[77]        Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je conclus que l’emploi de l’appelante n’est pas un facteur de rattachement fort pour les primes. Comme je l’ai déjà mentionné, il serait contraire à l’objet visé par l’exemption prévue par la Loi sur les Indiens de tenir compte d’une rémunération qui excède ce que l’on peut raisonnablement gagner dans la réserve.

[78]        Enfin, j’énoncerais que je ne suis pas d’accord avec l’observation de l’intimée selon laquelle il était abusif de déménager le bureau de Reel Steel dans la réserve. Il n’est pas tout à fait clair, selon la preuve, que le bureau a été déménagé dans l’objectif de tirer avantage de l’exemption. Ceci n’est pas abusif selon moi. Il ne s’agit pas d’une situation où le bureau possède peu d’importance; le bureau de Reel Steel était important.

[79]        L’argument présenté par l’intimée tente de déceler un critère d’objet commercial dans l’exemption de la Loi sur les Indiens. Ceci n’est ni explicite ni implicite dans la loi. Si un Indien choisit de situer un bien dans une réserve, le revenu devrait être admissible à l’exemption, quelle que soit la motivation de la personne.

[80]        J’ai conclu que le paiement de primes est abusif, mais il n’est pas abusif d’implanter le bureau dans une réserve.

E. Les primes sont-elles liées aux activités commerciales menées dans une réserve?

[81]        L’appelante reconnaît que le fonctionnement de l’entreprise peut également être un facteur de rattachement important puisque les primes sont versées à des parties ayant un lien de dépendance. Il est soutenu que les décisions importantes en matière de gestion ont été prises dans la réserve et que cela constitue un facteur de rattachement important liant les primes à la réserve.

[82]        Je conviens que les activités de l’entreprise sont un facteur de rattachement important en l’espèce. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle les primes sont déraisonnables, en substance les primes étaient simplement des montants distribués par la société à un actionnaire clé. En examinant les montants distribués aux propriétaires exploitants, les activités de l’entreprise devraient être un facteur de rattachement important aux fins de l’exemption.

[83]        Le problème est que je ne suis pas d’avis que les activités de l’entreprise sont principalement liées à une réserve. Au contraire, les activités sont liées plus étroitement à des emplacements hors réserve.

[84]        Presque toutes les activités commerciales de Reel Steel sont générées et effectuées hors réserve. Mike s’occupe des contrats commerciaux et embauche les employés hors réserve. Les ouvriers en bâtiment de Reel Steel travaillent surtout hors réserve. Seulement deux employées travaillent principalement dans la réserve et leur rôle est surtout de nature administrative.

[85]        Deuxièmement, il ne s’agit pas d’un cas où les mesures prises en commun par les propriétaires exploitants jouent un rôle clé dans les activités. La plupart du temps, les occasions d’affaires sont venues à Reel Steel et il n’était pas difficile pour Mike de prendre des décisions d’affaires en bénéficiant de l’assistance administrative de l’appelante. Ces circonstances ne sont pas les mêmes que dans l’arrêt Pilfold, où un facteur clé de l’activité était le travail du propriétaire pour obtenir des contrats commerciaux, travail qui avait eu lieu dans une réserve. L’activité commerciale de Reel Steel était exploitée d’une manière complètement différente. Pour l’essentiel, le travail venait à Mike et celui-ci prenait les dispositions nécessaires pour que le travail soit effectué, avec l’aide du bureau.

[86]        J’estime que l’activité commerciale de Reel Steel était plus étroitement liée aux emplacements hors réserve. Ce facteur pèse lourdement dans le rattachement des primes aux emplacements hors réserve là où les activités de construction étaient gérées et effectuées.

F. Autres facteurs de rattachement

[87]        L’avocat de l’appelante a cité d’autres facteurs de rattachement, comme la résidence de Reel Steel, la résidence de l’appelante et l’endroit où l’appelante était payée.

[88]        À mon avis, la résidence de Reel Steel n’est pas un facteur de rattachement important en l’espèce. L’examen de la résidence de la société, qui est le critère de la gestion centrale et du contrôle, est un critère jurisprudentiel conçu pour déterminer le lien relativement à la capacité d’un pays de prélever de l’impôt sur le revenu. L’exemption prévue par la Loi sur les Indiens est essentiellement la recherche de liens importants. Cette recherche serait brouillée inutilement si le critère complexe de la gestion centrale et du contrôle était ajouté à l’analyse.

[89]        Quoi qu’il en soit, je juge que la gestion centrale et le contrôle de Reel Steel sont partagés entre Mike et l’appelante. Ils ont tous deux pris des décisions dans leur sphère de responsabilité, et occasionnellement les décisions étaient communes. Par ailleurs, le rôle d’administrateur n’est pas un rôle important en l’espèce. La gestion centrale et le contrôle ne sont pas exercés principalement dans la réserve.

[90]        Pour ce qui est de la résidence de l’appelante, qui se trouve hors réserve, je conclus qu’il ne s’agit pas d’un facteur de rattachement important à l’égard des primes. En réalité, la résidence de l’appelante possède très peu de liens avec les primes.

[91]        Pour ce qui est du lieu du paiement des primes, je conclus également qu’il ne s’agit pas d’un facteur de rattachement important. Le fait de payer est une action de nature administrative que l’on peut aisément manipuler. Il serait contraire à l’objectif de l’exemption d’y accorder un poids important.

G. Conclusion

[92]        Je conclus que les primes payées à l’appelante ne sont pas admissibles à l’exemption aux termes de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Cet appel est accueilli seulement à l’égard de questions convenues entre les parties. Les dépens sont accordés à l’intimée.

         Signé à Ottawa (Ontario), ce 27e jour de juillet 2016.

« J. Woods »

La juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 175

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1806(IT)G

INTITULÉ :

HELEN BELL c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 23, 24, 25 et 26 février 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me William S. Maclagan

Me Soraya Jamal

Avocats de l’intimée :

Me Raj Grewal

Me Pavan Mahil Pandher

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me William S. Maclagan

 

Cabinet :

Blake, Cassels & Graydon LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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