Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2015-2712(EI)

2015-2713(CPP)

ENTRE :

SISTEMA TORONTO ACADEMY INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

YVANNA O. MYCYK,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Appel entendu le 2 juin 2016,

à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Jamie Knight

Avocat de l’intimé :

Me Peter Swanstrom

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

 

JUGEMENT

Les appels interjetés en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») et de l’article 28 du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») sont rejetés, et la décision du ministre du Revenu national datée du 19 mars 2015 à l’égard de l’appel interjeté en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la LAE et la détermination du ministre relativement à la demande déposée en vertu de l’alinéa 6(1)a) du RPC, sont confirmées.

Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de septembre 2016.

« B. Paris »

Le juge Paris


Dossiers : 2015-3212(EI)

2015-3211(CPP)

ENTRE :

SISTEMA TORONTO ACADEMY INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Appel entendu le 2 juin 2016,

à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Jamie Knight

Avocat de l’intimé :

Me Peter Swanstrom

 

JUGEMENT

Les appels interjetés en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») et de l’article 28 du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») sont rejetés, et la décision du ministre du Revenu national datée du 19 mars 2015 à l’égard de l’appel interjeté en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la LAE et la détermination du ministre relativement à la demande déposée en vertu de l’alinéa 6(1)a) du RPC, sont confirmées.

Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de septembre 2016.

« B. Paris »

Le juge Paris


Référence : 2016 CCI 193

Date : 20160908

Dossiers : 2015-2712(EI)

2015-2713(CPP)

2015-3212(EI)

2015-3211(CPP)

ENTRE :

SISTEMA TORONTO ACADEMY INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

YVANNA O. MYCYK,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

Introduction

[1]  L’appelante est une organisation sans but lucratif qui donne des cours de musique gratuits après l’école aux jeunes défavorisés des écoles primaires de Toronto. L’appelante embauche des musiciens professionnels pour donner ces cours.

[2]  Il s’agit d’un appel des décisions rendues par le ministre du Revenu national (le « ministre »), considérant que Laurissa Chitty, Julia Hambleton, Veronica Lee, Michele Jacot, Joaquin Nunez Hidalgo et Yvanna Mycyk, qui ont été embauchés par l’appelante pour donner des cours de musique, avaient occupé des emplois ouvrant droit à pension et assurables chez l’appelante, au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE et de l’alinéa 6(1)a) du RPC. Je vais référer à ces travailleurs collectivement comme étant les « professeurs ».

[3]  La question en litige est de déterminer si les professeurs ont été embauchés par l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services ou d’un contrat d’entreprise pendant les périodes couvertes par les décisions, comme suit :

Laurissa Chitty, Julia Hambleton, Veronica Lee et Yvanna Mycyk : du 1er septembre 2013 au 24 mars 2014;

Michele Jacot : du 1er septembre 2013 au 18 mars 2014;

Joaquin Nunez Hidalgo : du 1er janvier 2013 au 24 mars 2014.

[4]  La petite variation des périodes couvertes par les décisions n’est pas pertinente.

[5]  Une des professeurs, Yvanna Mycyk, est intervenue dans les appels 2015‑2712 (EI) et 2015-2713 (CPP), et étaye la position du ministre selon laquelle les professeurs ont été embauchés par l’appelante aux termes de contrats de louage de services.

[6]  Le seul témoin de l’appelante est son président-directeur général, M. David Visentin. Mme Mycyk a également témoigné.

Critères applicables

[7]  Dans la décision 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, le juge Major a écrit que, même si aucun critère universel ne permet de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, « [l]a question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte ». Le juge Major a également renvoyé à certains critères qu’un tribunal doit également prendre en considération, comme suit :

Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

[8]  Dans la décision 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu National), 2013 CAF 85, la Cour d’appel fédérale a examiné la question du poids à attribuer à l’intention des parties quant à la nature de leur relation pour déterminer l’existence d’un contrat de louage de services ou d’un contrat d’entreprise. Elle a conclu, conformément à deux décisions qu’elle avait rendues ultérieurement (Wolf c. La Reine, 2002 CAF 96, 2002 D.T.C. 6853, et Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 87), qu’une méthode en deux étapes pour l’examen des questions devait être suivie. D’abord, il faut établir l’intention subjective de chaque partie. Ensuite, il faut établir si une réalité objective confirme l’intention subjective des parties.

Analyse

A.  Intention

[9]  M. Visentin a témoigné que l’appelante avait commencé à offrir son programme de cours à l’école primaire Parkdale Elementary School en septembre 2011 puis à l’école primaire Yorkdale Elementary School en septembre 2013.

[10]  M. Visentin a affirmé qu’au début du programme en 2011, les professeurs étaient embauchés par l’appelante en tant qu’employés. M. Visentin a dit que c’était parce que le principal mécène de l’appelante et le comptable du mécène, qui s’occupait également de la comptabilité de l’appelante, étaient d’avis que les professeurs étaient des employés. Après avoir été embauchés par l’appelante, les professeurs ont reçu une lettre de mission énonçant les [traduction] « modalités et conditions de leur emploi ». Les professeurs devaient signer la lettre et la renvoyer pour indiquer leur agrément à ces modalités et conditions, et ils l’ont tous fait.

[11]  En septembre 2012, M. Visentin a décidé que les nouveaux professeurs seraient des entrepreneurs indépendants plutôt que des employés. Cependant, il a dit que l’appelante a continué à tort à utiliser le même modèle de lettre de mission. M. Visentin a également mentionné que les professeurs embauchés initialement par l’appelante avant 2012 et qui ont été embauchés de nouveau pour les années suivantes ont continué à être traités comme des employés par l’appelante.

[12]  La seule différence importante dans la façon dont les deux groupes de professeurs étaient traités semble résider dans les retenues à la source. M. Visentin a indiqué que dans le cas des professeurs embauchés pour la première fois en septembre 2012 ou après, aucune retenue à la source n’était prélevée sur leur paie, alors que des retenues à la source étaient prélevées pour ceux embauchés en 2011.

[13]  M. Visentin a affirmé que la lettre de mission avait été modifiée en janvier 2014 pour préciser que les professeurs étaient des entrepreneurs indépendants. La nouvelle version a été envoyée à l’ensemble des professeurs, qui devaient la signer et la renvoyer. M. Hidalgo, Mme Chitty, Mme Lee et Mme Hambleton l’ont apparemment signée, mais Mme Jacot et Mme Mycyk ne l’ont pas signée. Les éléments de preuve présentés ont démontré que Mme Jacot et Mme Mycyk souhaitaient demeurer des employées de l’appelante.

[14]  Dans la lettre de mission révisée, certaines des principales modalités de l’entente ont été modifiées, notamment :

  • Le terme [traduction] « emploi » a été changé pour [traduction] « entente ».

  • L’appelante ne payait plus les vacances des professeurs ni les jours fériés.

  • L’appelante ne payait plus d’indemnité de départ et ne donnait plus d’avis de résiliation.

  • Les professeurs devaient maintenant utiliser leurs propres instruments de musique.

  • La lettre de mission révisée indiquait précisément qu’aucun impôt ni aucune retenue à la source ne seraient prélevés et que les professeurs devaient déterminer leurs obligations concernant la TVH.

  • La clause qui les empêchait d’accepter un autre travail qui pouvait entrer en conflit avec leurs tâches à titre de professeur a été supprimée.

[15]  M. Visentin a indiqué qu’aucun des professeurs, autres que Mme Jacot et Mme Mycyk, ne lui a fait part de préoccupations à propos des modifications apportées à la lettre de mission. Il a également mentionné qu’aucun des professeurs embauchés à compter de septembre 2012 n’avait exprimé de préoccupations quant au fait qu’aucune retenue à la source n’était prélevée.

[16]  L’appelante soutient que dans le cas de chaque professeur, à l’exception de Mme Mycyk, l’intention commune de l’appelante et du professeur était de travailler en vertu d’un contrat d’entreprise.

[17]  Dans le cas de Mme Mycyk, l’appelante reconnaît que les parties avaient une intention commune qu’elle soit une employée de l’appelante.

[18]  Dans le cas de Mme Jacot, l’appelante a maintenu que même si elle n’avait pas signé la lettre de mission révisée, elle avait accepté que des retenues à la source ne soient pas prélevées de sa paie. Pour ce qui est des autres professeurs, l’appelante demande à la Cour de déduire leur intention en se fondant sur leur agrément à la lettre de mission révisée et au traitement des retenues à la source.

Analyse

[19]  À l’égard de Mme Jacot, je suis incapable de conclure qu’elle avait l’intention d’exécuter son travail pour l’appelante en vertu d’un contrat d’entreprise. Les éléments de preuve montrent qu’elle n’a pas signé la lettre de mission révisée parce qu’elle souhaitait être une employée. Son intention déclarée et la lettre de mission qu’elle a signée quand elle a commencé à travailler pour l’appelante révèlent indubitablement une intention de travailler à titre d’employée.

[20]  Je suis également d’avis que les éléments de preuve sont insuffisants quant à l’intention des autres professeurs (Mme Chitty, Mme Hambleton, Mme Lee et M. Hidalgo) de travailler comme entrepreneurs indépendants pour l’appelante avant l’exécution des nouvelles lettres de mission en janvier 2014. Leur acquiescement à n’avoir aucune retenue à la source prélevée ne constitue pas un élément de preuve convaincant de leur intention, notamment compte tenu des modalités de la lettre de mission originale qu’ils ont signée, laquelle établissait clairement une relation employeur-employé. En outre, je ne puis retenir que la signature de la lettre de mission révisée en janvier 2014 a mené à l’acceptation rétroactive du statut d’entrepreneur indépendant, en particulier puisque la lettre elle-même indique qu’elle entre en vigueur à la date à laquelle elle est signée.

[21]  Pour la période postérieure à janvier 2014, je conclus que Mme Chitty, Mme Hambleton, Mme Lee et M. Hidalgo avaient tous l’intention de travailler pour l’appelante à titre d’entrepreneurs indépendants, selon l’exécution de la lettre de mission révisée. L’intimé n’a pas contesté cet élément de preuve.

B.  Réalité objective du comportement des parties

[22]  Je me penche maintenant sur la seconde étape de l’examen en deux parties sur la nature du contrat conclu entre l’appelante et les professeurs, à savoir, la détermination de la réalité objective du comportement des parties d’après un examen des facteurs à prendre en compte mentionnés par le juge Major dans la décision Sagaz.

(1) Contrôle

[23]  Dans la décision Wolf, au paragraphe 74, le juge Desjardins a décrit le critère du contrôle comme suit :

Le critère de contrôle, comme on le désigne communément, consiste à se demander qui contrôle le travail et comment, et quand et où cela doit être fait. En théorie, si le travailleur a un contrôle total sur l’exécution de son travail une fois qu’il lui a été attribué, ce facteur pourrait faire que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Par ailleurs, si l’employeur contrôle en fait l’exécution du travail ou a le pouvoir de contrôler la façon dont l’employé exécute ses fonctions (Gallant c. Canada (Ministère du Revenu national) (C.A.F.), [1986] A.C.F. nº 330 (Q.L.), le travailleur sera considéré comme un employé.

[24]  La Cour poursuit et mentionne que lorsqu’il s’agit de travailleurs spécialisés, le critère du contrôle peut être inadéquat parce que les capacités et l’expertise du travailleur peuvent être plus grandes que celles de l’employeur. Par conséquent, une surveillance minimale peut être exercée sur la façon dont le travail est exécuté.

[25]  Les éléments de preuve présentés ont démontré que chaque professeur avait un haut niveau d’expertise et une formation spécialisée en musique et en interprétation musicale. Ils ont été embauchés par l’appelante pendant l’été pour l’année scolaire suivante, et dans plusieurs cas, les professeurs qui avaient travaillé pour l’appelante pendant l’année scolaire précédente ont été embauchés de nouveau et ont dû signer une nouvelle lettre de mission.

[26]  Avant le début des classes en septembre, les professeurs devaient suivre une ou deux séances d’orientation en matière de sécurité organisée par les directeurs respectifs des écoles où les programmes de musique étaient offerts. Les professeurs devaient également se soumettre à une vérification de casier judiciaire, payée par l’appelante, et devaient accepter de respecter les conditions de la politique de gestion de crise de l’appelante, de ses normes éthiques et de son code de conduite. Le contenu de ces politiques était principalement tiré des politiques de la Commission scolaire de Toronto, mais M. Visentin a dit qu’environ 20 % du document venait de l’appelante elle-même.

[27]  De la mi-septembre à la mi-juin environ, les professeurs devaient offrir leurs services quatre jours par semaine, à compter de 15 h 45. Les classes étaient divisées par instrument de musique. Ils devaient aller chercher leurs élèves à la cafétéria de l’école, après leur collation, et se rendre avec eux dans une salle de classe pour leur donner une heure de cours. Après, certains étudiants participaient à des ensembles musicaux, et certains participaient à des cours en petits groupes donnés par les professeurs. Le temps passé à préparer et à nettoyer la classe n’était pas payé. Chaque professeur visé par les appels en l’espèce donnait sept heures de cours par semaine, à l’exception de Mme Mycyk, qui travaillait une heure de plus.

[28]  Même si M. Visentin a dit que les professeurs n’avaient pas à présenter des plans de cours, Mme Mycyk a indiqué qu’elle a dû présenter des plans de cours hebdomadaires pour un certain nombre de semaines au début des deux années pendant lesquelles elle a enseigné.

[29]  L’appelante choisissait le répertoire des morceaux qui seraient joués aux représentations trimestrielles, mais autrement, elle ne fixait pas le cursus des cours donnés par les professeurs. Mme Mycyk a dit qu’à la fin de sa première année d’enseignement avec l’appelante, celle-ci a organisé une réunion pour les professeurs dans le but d’élaborer un cursus commun. Les professeurs devaient également utiliser une « terminologie universelle » dans toutes les classes, laquelle, selon Mme Mycyk, consistait à une utilisation uniforme et cohérente des termes musicaux.

[30]  M. Visentin a mentionné qu’il y avait des réunions spéciales chaque semaine ou chaque deux semaines pour transmettre de l’information aux professeurs, mais la présence à ces réunions n’était pas obligatoire. Toutefois, dans un courriel fourni par Mme Mycyk et envoyé par le coordinateur des professeurs à son école, il était question des réunions hebdomadaires auxquelles tous les professeurs devaient assister. Ce courriel a été envoyé en septembre 2013. L’appelante organisait aussi un ou deux ateliers de perfectionnement professionnel par année pour les professeurs, mais les professeurs n’étaient pas obligés d’y participer.

[31]  Les professeurs devaient préparer des évaluations de leurs élèves, lesquelles étaient révisées par M. Visentin avant d’être remises aux parents, et les professeurs eux-mêmes faisaient l’objet d’évaluations informelles et de visites de classes aléatoires par le coordinateur des professeurs. Des vérifications avaient lieu pour effectuer un suivi des sujets qui devaient être améliorés.

[32]  Si un professeur avait de la difficulté à discipliner un élève, il devait communiquer avec le coordinateur des professeurs, qui lui donnait des conseils et de l’aide. Si le problème s’intensifiait, M. Visentin était informé et pouvait intervenir. Les professeurs avaient des émetteurs-récepteurs portatifs fournis par l’appelante ou par la Commission scolaire de Toronto à des fins de sécurité.

[33]  Si un professeur ne pouvait donner un cours, il devait communiquer avec le coordinateur du centre, qui s’occupait de trouver un remplaçant. Dans la plupart des cas, les remplaçants étaient payés par l’appelante, mais apparemment, M. Hidalgo payait lui-même ses remplaçants à même l’argent qu’il recevait de l’appelante. M. Visentin a mentionné que l’appelante essayait de traiter les demandes de congé dans un esprit de coopération et qu’aucune demande n’avait été refusée. Il a également indiqué que l’appelante s’attendait à ce que les professeurs soient engagés auprès de leurs élèves et que l’horaire des cours ne permettait pas une très grande flexibilité.

[34]  En l’espèce, l’avocat de l’appelante a affirmé que l’appelante exerçait un contrôle sur les professeurs seulement dans la mesure nécessaire pour atteindre ses objectifs, qui étaient de présenter quatre concerts des élèves pendant l’année scolaire et d’assurer la sécurité des enfants qui participaient au programme et leur prise en charge. Il a indiqué que personne ne disait aux professeurs comment enseigner, qu’il y avait une évaluation minimale de leur travail, que les professeurs n’étaient pas limités quant à un autre travail qu’ils pouvaient occuper et qu’il n’y avait aucune incidence négative s’ils étaient incapables d’enseigner une journée en particulier. Enfin, l’appelante a affirmé que les professeurs sont des professionnels très compétents qui ont besoin de peu de directives, voire aucune, pour s’acquitter de leurs tâches.

[35]  À mon avis, les éléments de preuve concernant la question du contrôle favorisent le point de vue selon lequel les professeurs ont été embauchés aux termes d’un contrat de louage de services et selon lequel le niveau de contrôle exercé par l’appelante ou qu’elle avait le droit d’exercer sur les professeurs, correspondait davantage à une relation employeur-employé. La capacité de l’appelante à contrôler les professeurs me semble être relative à la nature du programme de l’appelante, qui place les professeurs en contacts fréquents avec des élèves vulnérables du primaire.

[36]  Le code de conduite et les autres politiques que les professeurs devaient respecter étaient une forme de contrôle de leur rendement, tout comme les évaluations de rendement et les vérifications ponctuelles en classe. Même si les évaluations et les vérifications n’étaient pas fréquentes, elles illustrent le droit maintenu par l’appelante de surveiller le rendement. On peut dire la même chose des examens des plans de cours et des réunions du personnel. Je retiens le témoignage de Mme Mycyk, qui estimait que certaines des réunions étaient obligatoires. Cela est corroboré par le courriel qu’elle a présenté, envoyé par le coordinateur des professeurs. Je retiens également qu’elle devait soumettre des plans de cours, même si la pratique de l’appelante à cet égard n’était pas uniforme.

[37]  La conclusion selon laquelle l’appelante a maintenu le droit de superviser et de contrôler le rendement des professeurs est également étayée par les modalités de la lettre de mission, telles qu’elles se lisaient avant et après janvier 2014. Plus précisément, l’annexe A de la lettre énumère les tâches des professeurs, comme suit :

[traduction]
ANNEXE A – DESCRIPTION GÉNÉRALE DES TÂCHES

Vos tâches seront déterminées par l’Academy, à l’occasion, et peuvent comprendre ce qui suit :

a)  Être un « professeur de (insérer l’instrument de musique) » pour le programme de l’Academy Toronto, à Toronto (Ontario), et donner des cours à des élèves de niveau débutant, intermédiaire et avancé, comme il est exigé à l’occasion.

b)  Préparer, en collaboration avec le directeur artistique et le coordinateur, des plans de cours et des horaires de cours qui transmettent les principaux éléments du programme offert.

c)  Faire des démonstrations et jouer des extraits musicaux au besoin.

d)  Respecter les politiques et les procédures établies, notamment les politiques et procédures relatives aux problèmes comme les abus, le harcèlement, l’intimidation et la santé et la sécurité.

e)  Faire des rapports hebdomadaires et indiquer le total d’heures travaillées pendant la semaine au coordinateur des professeurs ou au directeur exécutif.

f)  De façon générale, guider les élèves qui peuvent être vulnérables ou à risque et s’occuper d’eux.

Vos tâches non liées à l’enseignement peuvent comprendre la participation à des fonctions en matière de relations publiques pour accroître la notoriété et la reconnaissance de l’Academy. Ces tâches peuvent comprendre des participations à titre d’interprète dans des numéros solo ou en groupe.

[38]  Cette description des tâches démontre l’existence d’un niveau permanent de supervision et de contrôle qui correspond davantage à un contrat de louage de services qu’à une relation avec un entrepreneur indépendant.

[39]  Bien que l’avocat de l’appelante ait raison de souligner que les professeurs étaient hautement qualifiés dans leur domaine, ce facteur a également été mentionné dans deux affaires semblables visant des professeurs de musique dans lesquelles la Cour avait déterminé qu’ils étaient des employés : Lippert Music Centre Inc. c. M.R.N., 2014 CCI 170, et Menoudakis c. M.R.N, 2015 CCI 248. Le degré d’expertise d’un travailleur est seulement un facteur à prendre en compte dans l’évaluation du degré de contrôle exercé par la partie pour laquelle le travail est exécuté.

(2) Qui fournissait le matériel?

[40]  Dans la décision Lippert, la Cour a déclaré, au paragraphe 23, que dans une affaire de ce genre, le critère « ne consiste pas à savoir si les travailleuses fournissaient les outils nécessaires à l’exploitation d’une école de musique, mais plutôt de savoir si elles fournissaient les outils nécessaires pour fournir des services d’enseignement de la musique à une école ».

[41]  En l’espèce, jusqu’au 14 janvier 2014, l’appelante fournissait les instruments utilisés par les professeurs, mais certains professeurs choisissaient d’utiliser leurs propres instruments. L’appelante fournissait également les partitions utilisées. En outre, M. Visentin a indiqué que l’appelante encourageait les professeurs à avoir recours à des jeux et à des activités artistiques dans le cadre de leurs cours, et qu’elle offrait de rembourser le matériel utilisé par les professeurs.

[42]  Même si l’avocat de l’appelante a soutenu que la connaissance de la musique des professeurs était un outil dont il faudrait tenir compte en appliquant ce critère, et qu’il s’agissait du principal outil qu’ils utilisaient, je ne crois pas qu’une telle connaissance constitue un bien au sens envisagé par le présent critère.

[43]  En résumé, les professeurs utilisaient peu d’outils dans le cadre de leur travail. Étant donné que pour la majorité des périodes visées, l’appelante et les professeurs fournissaient les instruments de musique utilisés par les professeurs, le présent critère ne permet pas de conclure si les professeurs étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants.

(3) La possibilité de profit et l’étendue du risque

[44]  Les professeurs étaient payés un montant fixe de 50 dollars par heure de cours. La seule occasion, pour eux, d’augmenter leur revenu était de travailler un plus grand nombre d’heures. Par conséquent, ils n’avaient pas la possibilité de réaliser un profit comme cela devrait normalement être le cas pour un entrepreneur indépendant (voir : City Water International Inc. c. Canada, 2006 CAF 350, au paragraphe 24).

[45]  De plus, ils ne couraient aucun risque de perte. Ils n’étaient pas tenus d’engager des dépenses de matériel dans le cadre de leurs cours. Il convient également de noter que l’appelante avait une assurance couvrant les professeurs et que le coût de cette assurance était à la charge de l’appelante.

[46]  Ces facteurs étayent également la position selon laquelle les professeurs étaient des employés.

(4) Autres facteurs

[47]  Les autres facteurs pertinents sont : savoir si les professeurs embauchaient leur propre assistant et déterminer le niveau de responsabilité en matière d’investissement et de gestion assumé par les professeurs. Aucun élément de preuve ne démontre que les professeurs ont déjà embauché des assistants ou qu’ils ont eu une responsabilité en matière d’investissement ou de gestion à l’égard de l’appelante. Par conséquent, ces facteurs étayent également la conclusion selon laquelle les professeurs étaient des employés de l’appelante.

Décision

[48]  L’examen de tous les facteurs pertinents m’a permis de conclure que les professeurs étaient des employés aux termes de contrats de louage de services pendant les périodes visées et qu’ils n’ont pas fourni les services en tant que personnes travaillant à leur compte.

[49]  Même si l’appelante et Mme Chitty, Mme Hambleton, Mme Lee et M Hidalgo avaient une intention commune de travailler en tant qu’entrepreneurs indépendants après janvier 2014, cette intention n’est pas conforme à la réalité objective des modalités et conditions de la relation de travail.

[50]  Les appels sont rejetés pour l’ensemble de ces motifs.

Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de septembre 2016.

« B. Paris »

Le juge Paris


 

 

RÉFÉRENCE :

2016 CCI 193

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2015-2712(EI), 2015-2713(CPP)

2015-3211(CPP), 2015-3212(EI)

INTITULÉ :

SISTEMA TORONTO ACADEMY INC. ET LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET YVANA O. MYCYK

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 8 septembre 2016

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jamie Knight

Avocat de l’intimé :

Me Peter Swanstrom

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Jamie Knight

Cabinet :

Filion Wakely Thorup Ageletti LLP

Hamilton (Ontario)

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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