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Dossier : 2015-3908(IT)G

ENTRE :

LAWRENCE MPAMUGO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 27 mai 2016 et poursuivie le 27 juin 2016,

à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge David E. Graham

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me David Piccolo

Avocats de l’intimée :

Me Craig Maw

Me Alisa Apostle

 

ORDONNANCE

La requête de la Couronne en annulation de l’appel est accueillie avec dépens.


Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de septembre 2016.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de février 2018.

François Brunet, réviseur


Référence : 2016 CCI 215

Date : 20161020

Dossier : 2015-3908(IT)G

ENTRE :

LAWRENCE MPAMUGO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

MODIFIÉS

Le juge Graham

[1]  La Couronne a présenté une requête en annulation de l’appel déposé par Lawrence Mpamugo à l’égard des années d’imposition 1998 à 2002 au motif que les conditions préalables au dépôt de l’appel n’ont pas été satisfaites. Nul contribuable ne peut interjeter appel d’une nouvelle cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt sauf s’il a d’abord déposé un avis d’opposition en temps opportun auprès du ministre du Revenu national et si le ministre a confirmé la nouvelle cotisation, a établi une autre nouvelle cotisation ou n’a pas résolu l’opposition dans un délai de 90 jours. La Couronne soutient que M. Mpamugo n’a déposé d’avis d’opposition en temps opportun pour aucune des nouvelles cotisations établies pour les années visées.

[2]  M. Mpamugo reconnaît que l’appel doit être annulé, mais pour un motif différent. Il soutient que les avis de nouvelle cotisation ne lui ont jamais été envoyés. Par conséquent, il soutient qu’il n’avait, au départ, aucun motif  d’interjeter appel. Il soutient que comme il ne pouvait s’opposer à rien, il ne pouvait pas satisfaire aux conditions préalables au dépôt d’un avis d’appel et que, par conséquent, son appel devrait être annulé.

I. Questions en litige

[3]  La présente requête soulève deux questions principales :

a)  Quel critère doit être appliqué lorsque le contribuable soutient qu’un avis de cotisation ne lui a jamais été posté? Plus particulièrement, à quelle  stade du critère la crédibilité du contribuable devrait-elle être examinée?

b)  D’après l’application de ce critère à la preuve, l’appel de M. Mpamugo doit-il être annulé?

II. Contexte

[4]  En 1998 et en 1999, M. Mpamugo dirigeait un collège en Ontario par l’intermédiaire d’une entreprise appelée Marygold Technologies Incorporated. Le collège recrutait un grand nombre d’« étudiants » et les aidait à présenter de fausses demandes de prêts étudiants auprès du Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario (« RAFEO »). En 2004, M. Mpamugo a été condamné pour fraude relativement à ces prêts étudiants [1] . Pour simplifier, la Cour a conclu que M. Mpamugo avait, de manière frauduleuse, obtenu un financement du RAFEO pour des étudiants qui n’avaient pas réellement fréquenté le collège. M. Mpamugo a également été reconnu coupable d’entrave à la justice pour avoir créé de faux documents après le début de l’enquête pour fraude. M. Mpamugo a finalement été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans et demi. Il a en outre été condamné à verser un dédommagement de l’ordre de 5 700 000 $ [2] .

[5]  Le ministre déclare qu’il a établi de nouvelles cotisations à l’endroit de M. Mpamugo pour les années d’imposition de 1998 à 2002. Les nouvelles cotisations établies pour 1998 et 1999 concernent un revenu supplémentaire d’environ 6,8 millions de dollars. Les nouvelles cotisations semblent se rapporter essentiellement au revenu que M. Mpamugo a reçu de la fraude ou de Marygold, selon le ministre. Les nouvelles cotisations établies pour 2000 à 2002 semblent, quant à elles, concerner des montants relativement peu élevés. Je dis « semblent » dans les phrases précédentes puisque, comme le ministre n’a pas encore déposé de réponse, je ne connais pas les hypothèses de fait sur lesquelles sont fondées les nouvelles cotisations en question. Des cotisations connexes ont également été établies à l’endroit de la femme, du fils et de la fille de M. Mpamugo en vertu du paragraphe 160(1).

III. Critère à appliquer lorsque le contribuable soutient qu’un avis de cotisation n’a jamais été posté

[6]   La jurisprudence de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale s’est prononcée à de nombreuses occasions sur ce qui se passe quand le contribuable soutient que le ministre ne lui a pas posté d’avis de cotisation. Dans ces affaires, il fallait rechercher si le contribuable avait déposé un avis d’opposition en temps utile ou rechercher si la cotisation à l’égard d’une année d’imposition avait été établie au-delà de la période normale de nouvelle cotisation. Voici le résumé des étapes qui ont été observées dans ces affaires :

a)  1re étape : Le contribuable doit confirmer que l’avis de cotisation n’a pas été posté [3] . Il le fait habituellement de deux façons. Il peut affirmer qu’il n’a pas reçu l’avis de cotisation et qu’il estime par conséquent que l’avis n’a pas été posté. Il peut également affirmer que l’avis a été posté à la mauvaise adresse sans qu’il ait commis quelque faute que ce soit et qu’ainsi, l’avis n’a effectivement pas été posté.

b)  2e étape : Si le contribuable affirme que l’avis de cotisation n’a pas été posté, le ministre doit produire suffisamment d’éléments de preuve dont il ressort, selon la prépondérance des probabilités, que l’avis de cotisation a effectivement été posté ou, si le contribuable affirme que l’avis a été posté à la mauvaise adresse, le ministre doit démontrer qu’il a été posté à l’adresse que l’ARC possédait légitimement au dossier. [4]

c)  3e étape : Si le ministre est capable de prouver que l’avis de cotisation a bel et bien été posté, il est alors présumé que l’envoi postal a eu lieu à la date énoncée sur l’avis (paragraphe 244(14)). Cette présomption est réfutable [5] . Le contribuable peut produire des éléments de preuve afin de prouver que l’avis a, en fait, été posté à une autre date. L’échéance pour déposer un avis d’opposition est calculée à partir de la date de l’envoi postal établie à cette étape (paragraphe 169(1)). La « période normale de nouvelle cotisation » pour une année d’imposition commence également à la date de l’envoi postal établie à cette étape (paragraphe 152(3.1)).

d)  4e étape : Une fois établie la date de l’envoi postal (soit par la présomption, soit par la preuve indiquant une autre date), la cotisation est réputée avoir été établie à cette date (paragraphe 244(15)) et l’avis de cotisation est réputé avoir été reçu à cette date (paragraphe 248(7)). Ces dispositions déterminatives ne sont pas réfutables [6] . La date à laquelle la cotisation est établie est utilisée pour rechercher si une nouvelle cotisation a été établie après la « période normale de nouvelle cotisation » d’une année d’imposition (paragraphe 152(4)). La 4e étape n’est pas strictement pertinente pour déterminer l’échéance du dépôt d’un avis d’opposition. Cette détermination est effectuée à la 3e étape. La 4e étape vise simplement à préciser que le fait que le contribuable n’a pas concrètement reçu l’avis de cotisation n’est pas pertinent.

[7]  La principale controverse entre les parties en ce qui concerne ces étapes est de savoir si la crédibilité du contribuable doit être examinée à la première ou à la deuxième étape. Bien que cette question puisse sembler plutôt secondaire de prime abord, elle prend toute son importance dans une situation où le ministre ne dispose d’aucun élément de preuve dont il ressort que l’envoi postal a bel et bien été effectué, mais où la Cour ne croit pas l’affirmation du contribuable selon laquelle l’avis n’a pas été posté. Si sa crédibilité est appréciée à la première étape, le contribuable perd puisque l’examen du critère n’atteint pas l’étape où le ministre doit prouver l’envoi postal. Si sa crédibilité est appréciée à la deuxième étape, la Couronne perd puisqu’elle ne sera pas en mesure de s’acquitter du fardeau de la preuve.

[8]  La Couronne soutient que la crédibilité du contribuable doit être appréciée à la première étape. Elle soutient que si l’affirmation du contribuable n’est pas crédible, l’exigence de la première étape n’est pas satisfaite et, par conséquent, l’analyse ne peut passer à la deuxième étape et la Couronne n’a pas à prouver la date de l’envoi postal.

[9]  M. Mpamugo, pour sa part, fait valoir que la crédibilité du contribuable ne doit être appréciée qu’à la deuxième étape. Il soutient qu’il suffit que le contribuable fasse une affirmation, que la Cour la juge ou non crédible, pour que l’exigence de la première étape soit satisfaite. Il soutient que ce n’est qu’à la deuxième étape, lorsque la Cour doit décider si la Couronne a prouvé l’envoi postal, selon la prépondérance des probabilités, que la question de la crédibilité de l’affirmation du contribuable devient pertinente.

[10]  Je retiens le point de vue de M. Mpamugo. La crédibilité du contribuable doit être appréciée à la deuxième étape.

[11]  La Couronne invoque instamment une jurisprudence de notre Cour, Nicholls c. La Reine, laquelle enseigne que la Couronne « a la charge de prouver que les cotisations ont été envoyées seulement si le [contribuable] avance qu’il n’a pas reçu les avis de cotisation et si cette allégation est crédible » [7] . La jurisprudence Nicholls a été suivie à l’occasion des affaires Oddi v. The Queen [8] et Menzies c. La Reine [9] . En toute déférence, je ne suis convaincu par cette jurisprudence. À mon avis, la logique veut que la crédibilité soit appréciée au moment où la Cour le fait habituellement, c’est-à-dire au moment de l’examen de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[12]  Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de protéger davantage le ministre des contribuables peu scrupuleux qui pourraient faire de fausses affirmations. Le système actuel protège déjà suffisamment le ministre. Aux termes du paragraphe 244(10), il est facile pour la Couronne de prouver l’envoi postal. Conformément à ce texte, si l’agent de l’ARC présente un affidavit indiquant qu’il a la charge des registres appropriés, qu’il a connaissance de la pratique de l’Agence et qu’il ressort de l’examen des registres qu’un avis de cotisation a été expédié par la poste, ces déclarations prouvent, sous réserve de preuve contraire, que l’avis a bel et bien été expédié par la poste. Si la Cour conclut que le contribuable n’est pas crédible, il n’y a nulle preuve contraire et la Couronne doit donc arriver facilement à ses fins en s’appuyant uniquement sur un tel affidavit.

[13]  Même si la Couronne ne peut s’appuyer sur un affidavit présenté aux termes du paragraphe 244(10), il ne devrait tout de même pas être très difficile pour elle de parvenir à ses fins si la Cour conclut que l’affirmation du contribuable n’est pas crédible. Il suffit à la Couronne de démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’avis ait été posté. Si la Couronne peut produire un élément de preuve dont il ressort que l’envoi postal a bel et bien été effectué, et qu’aucun élément de preuve crédible n’est présenté pour le contredire, la conclusion devrait être que la Couronne a prouvé l’envoi postal.

[14]  En outre, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de compliquer davantage une situation déjà complexe en ajoutant une exigence selon laquelle l’affirmation faite par le contribuable doit être jugée crédible avant que la Couronne ne soit appelée à prouver l’envoi postal. À moins que l’audience d’une requête soit divisée et que la Cour rende un jugement sur la crédibilité de l’affirmation du contribuable avant de passer à l’étape 2, je vois mal comment il pourrait en être autrement d’un point de vue pratique. La Couronne devrait avoir la certitude que la Cour déclarera le contribuable non crédible avant de choisir de ne présenter aucun élément prouvant l’envoi postal. Même si l’audience était divisée en deux parties, la Couronne choisirait, la plupart du temps, de présenter des éléments de preuve à la première étape afin de mettre en doute la crédibilité du contribuable. Souvent, ces éléments de preuve seraient les mêmes ou seraient étroitement liés aux éléments de preuve sur lesquels la Couronne souhaiterait s’appuyer à la deuxième étape pour prouver l’envoi postal.

[15]  La Couronne soutient que le ministre ne devrait pas devoir engager des dépenses afin de prouver l’envoi postal si la Cour conclut que l’affirmation du contribuable n’est pas crédible; ces dépenses pourraient être évitées si sa crédibilité était appréciée à la première étape. Si, dans une affaire donnée, la Couronne croit que l’affirmation invraisemblable du contribuable a fait perdre du temps à la Couronne et à la Cour, et que l’affirmation n’était fondée que sur l’espoir que la Couronne n’ait plus à sa disposition les registres requis pour prouver l’envoi postal, la Couronne peut demander des dépens plus élevés.

[16]  Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la crédibilité de l’affirmation du contribuable doit être examinée dans le cadre de l’analyse réalisée à la deuxième étape plutôt qu’à la première étape.

IV. Application du critère de l’envoi postal aux faits

[17]  J’appliquerai maintenant le critère précité aux faits de l’espèce.

1re étape : Affirmation selon laquelle l’avis n’a pas été posté

[18]  M. Mpamugo soutient qu’il a dit à l’ARC de modifier son adresse postale, mais que l’ARC ne l’a pas fait. Par conséquent, il affirme que les avis de nouvelle cotisation relatifs aux années d’imposition de 1998 à 2002 ne lui ont jamais été postés.

[19]  L’affirmation de M. Mpamugo devient délicate du fait que l’adresse figurant dans son dossier auprès de l’ARC est celle de son domicile. Sa femme et lui habitaient tous deux à cette adresse au moment où les avis de nouvelle cotisations sont censés avoir été postés. Par son affirmation, il soutient donc implicitement ne pas avoir reçu les avis de nouvelle cotisation à son domicile. Par conséquent, même si la position de M. Mpamugo sur cette question n’était pas parfaitement claire, je crois qu’il me faut présumer que M. Mpamugo soutient plutôt que les avis n’ont pas été postés du tout puisqu’il ne les a pas reçus alors qu’il habitait à l’adresse même à laquelle les avis auraient être postés.

[20]  Tant la position initiale de M. Mpamugo que ce que je présume être sa position subsidiaire satisfont à la première étape du critère.

Deuxième étape : Preuve de l’envoi postal

[21]  Puisque M. Mpamugo a affirmé que les avis de nouvelle cotisation n’avaient pas été postés, la Couronne doit prouver qu’ils l’ont bel et bien été, selon la prépondérance des probabilités.

Preuve de la Couronne

[22]  La Couronne s’appuie sur un affidavit présenté par Bruce Costigan pour prouver que les avis de nouvelle cotisation ont été postés. M. Costigan est agent du contentieux au sein de l’ARC. Les parties pertinentes de l’affidavit de M. Costigan ne satisfont pas aux exigences du paragraphe 244(10). Aux termes de ce texte, le déposant doit avoir la charge des registres en question. M. Costigan n’avait pas la charge de ces registres. Les parties principales de l’affidavit de M. Costigan concernant l’envoi postal des avis de nouvelle cotisation s’appuyaient sur des renseignements qu’il croyait vrais, obtenus de deux personnes au sein de l’ARC (Gwen Dugal et Dave Sheridan). Mme Dugal et M. Sheridan étaient chargés des registres pertinents. M. Costigan n’a pas été en mesure de consulter lui-même les registres en question.

[23]  Cependant, le fait que les sections de l’affidavit de M. Costigan qui concernent l’envoi postal ne satisfont pas aux exigences du paragraphe 244(10) ne signifie pas que je ne dois pas en tenir compte. Si le ministre n’est pas en mesure de présenter un affidavit qui satisfait aux exigences du paragraphe 244(10), la Cour doit apprécier la preuve présentée par le ministre par rapport à la preuve présentée par le contribuable afin de rechercher s’il est plus probable qu’improbable que les avis aient été postés [10] .

[24]  Étant donné l’importance des activités de l’ARC et le nombre considérable d’avis de cotisation qui sont postés chaque année, le ministre produit généralement des éléments de preuve exposant la procédure normale suivie par l’ARC pour l’envoi postal des avis de cotisation, de même qu’une explication indiquant pourquoi la Cour devrait considérer que cette procédure a été respectée dans le cas du contribuable [11] .

[25]  M. Costigan a déclaré que Mme Dugal est agente principale de programme pour la section chargée du traitement des déclarations des particuliers au sein de la Direction générale de cotisation, de prestation et de service de l’ARC. M. Costigan a exposé ce qu’il avait appris de Mme Dugal concernant la façon dont les avis de cotisation sont imprimés. Cette exposition figurait dans l’affidavit de M. Costigan et elle a été étoffée au cours de son contre-interrogatoire. Au dire de M. Costigan, Mme Dugal lui a expliqué que les avis de cotisation sont regroupés et envoyés par voie électronique pour être imprimés, qu’un numéro de cycle est attribué à chaque groupe, que la date imprimée sur les avis de cotisation est la date à laquelle ils seront postés et que les avis de cotisation sont imprimés quelques jours à l’avance. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Costigan a signalé qu’il avait été informé par Mme Dugal, de même que par d’autres personnes occupant des postes semblables, que des mécanismes étaient en vigueur pour veiller à ce que les avis de cotisation envoyés à l’impression soient bel et bien imprimés. Il a expliqué que le nombre d’avis de cotisation que doit comprendre un cycle est comparé au nombre d’enveloppes contenant des avis de cotisation produites à la fin du cycle et qu’en cas d’écart, les enveloppes sont jetées et le cycle est relancé. M. Costigan a fourni les numéros de cycle (soit les numéros de cycles du Système quotidien de cotisation) correspondant aux nouvelles cotisations en cause. Il a également fourni les dates auxquelles les avis associés à ces numéros devaient être imprimés, de même que les dates qui devaient être imprimées sur les avis de nouvelle cotisation (c’est-à-dire les dates auxquelles les avis de nouvelles cotisations étaient censés être postés).

[26]  M. Costigan a déclaré que M. Sheridan est gestionnaire au sein du service d’impression-courrier de l’ARC. M. Costigan a déclaré que M. Sheridan l’avait informé qu’en raison du temps important écoulé depuis l’impression des avis de nouvelle cotisation en cause, l’ARC ne disposait plus des registres dont on aurait pu tirer davantage de renseignements sur l’envoi postal des avis.

[27]  M. Costigan a fourni les renseignements susmentionnés non seulement au sujet des avis de nouvelle cotisation en cause, mais également au sujet de trois avis de nouvelles cotisations supplémentaires qui auraient été postés à M. Mpamugo à l’égard de l’année d’imposition 1999. Ces trois avis précédaient les avis de nouvelle cotisation de 1999 en cause et auraient été postés entre la date de l’envoi postal de l’avis de nouvelle cotisation de 1998 et celle du dernier avis de nouvelle cotisation de 1999. M. Mpamugo soutient qu’il n’a reçu aucun de ces trois avis.

[28]  Tous les éléments de preuve susmentionnés sont tenus pour véridiques sur la foi de renseignements. Aux termes de l’article 72 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), un affidavit fondé sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements peut être autorisé, pourvu que la source de ces renseignements et le fait qu’ils sont tenus pour véridiques y soient indiqués. Tout problème quant à la nécessité ou à la fiabilité de la preuve par ouï-dire ainsi obtenue relève de la valeur probante que la Cour doit accorder à l’élément de preuve [12] . L’affidavit de M. Costigan est conforme à l’article 72. Il y précise quelles déclarations sont fondées sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements et il y indique la source de ces renseignements et le fait qu’ils sont tenus pour véridiques. Par conséquent, je conclus que la preuve fournie par M. Costigan est admissible. Il reste toutefois à déterminer le poids que je dois y accorder.

[29]  Je retiens la thèse de l’avocat de M. Mpamugo portant qu’il aurait été préférable que l’affidavit soit déposé par Mme Dugal. La Couronne n’a pas fourni de raison convaincante pour expliquer pourquoi il était nécessaire que l’affidavit soit déposé par M. Costigan plutôt que par Mme Dugal. Cependant, je conclus que le témoignage de M. Costigan est relativement fiable. Il ressort clairement de son contre-interrogatoire concernant son affidavit qu’il avait déjà, par le passé, dans le cadre d’affaires semblables, parlé à d’autres personnes possédant des connaissances semblables à celles de Mme Dugal et que la compréhension du système d’impression qu’il avait acquise lors de ces conversations était conforme, voire supérieure, aux renseignements qu’il avait obtenus de Mme Dugal.

[30]  Compte tenu de tout ce qui précède, bien que je ne sois pas disposé à accorder beaucoup de poids aux parties de l’affidavit de M. Costigan portant sur l’envoi postal, je ne suis pas non plus disposé à ne leur en accorder aucun. Je ne suis pas prêt à conclure, en me fondant sur l’affidavit de M. Costigan, que les avis de nouvelle cotisation ont réellement été imprimés ou postés. Toutefois, je conclus que l’affidavit constitue un élément de preuve ne tendant que faiblement à établir que l’ARC avait prévu d’imprimer les avis de nouvelle cotisation et les poster à M. Mpamugo aux dates suivantes dans le cadre d’un cycle complet d’impression et d’envoi d’avis :

Année

Dates d’impression prévues

Dates d’expédition prévues

1998

16 mars 2000

23 mars 2000

1999

2 octobre 2000

10 octobre 2000

1999

4 décembre 2000

11 décembre 2000

1999

19 janvier 2001

26 janvier 2001

1999

1er mars 2001

8 mars 2001

2000

25 février 2002

4 mars 2002

2001

23 juin 2008

2 juillet 2008

2002

1er décembre 2003

8 décembre 2003

[31]  M. Costigan a déclaré qu’il avait examiné le rapport de l’ARC sur l’historique des adresses postales et qu’il avait conclu que l’adresse postale de M. Mpamugo pour la période de 1993 à 2013 était l’adresse de son domicile à Mississauga (Ontario). Il a également déclaré qu’il n’avait trouvé nul élément dont il puisse éventuellement ressortir que du courrier envoyé à cette adresse avait été retourné durant cette période. Ce témoignage n’était pas fondé sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements. Il était fondé sur l’examen du rapport en question réalisé par M. Costigan lui-même. Il n’a pas été mise en doute au cours de son contre-interrogatoire. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’adresse qui figurait sur les avis de nouvelle cotisation en question était celle du domicile de M. Mpamugo.

Témoignage de M. Mpamugo

[32]  M. Mpamugo ne m’a pas semblé crédible. Son témoignage (tant son témoignage de vive voix que ses affidavits) était truffé d’incohérences, d’exagérations et d’omissions. Il était, en majeure partie, invraisemblable. En outre, M. Mpamugo s’est montré évasif au cours de son contre-interrogatoire. Il a fréquemment pris de longues pauses durant son témoignage, donnant l’impression qu’il tentait d’inventer une explication relativement à une incohérence qu’il sentait sur le point d’être dévoilée. Ses souvenirs étaient inexplicablement vagues quant à certains faits dont il aurait dû se souvenir, à mon avis, étant donné qu’il se souvenait de manière précise d’autres faits.

[33]  Le témoignage de M. Mpamugo relativement à la modification de son adresse manquait totalement de crédibilité. Il a affirmé qu’il n’avait pas reçu les avis de nouvelle cotisation parce que l’ARC n’avait pas, comme il l’avait demandé de vive voix, modifié son adresse alors qu’il était détenu au centre de détention Maplehurst en attendant sa mise en liberté sous caution, et automatiquement changé son adresse à la suite de la détermination de sa peine à l’établissement correctionnel de Beaver Creek.

[34]  M. Mpamugo a expliqué en détail, tant par son affidavit qu’au cours de son contre-interrogatoire, qu’il avait vu une femme prendre des notes lors de sa première audience de mise en liberté sous caution, qu’il avait été présenté à cette femme lors de sa deuxième audience de mise en liberté sous caution, qu’il avait appris que la femme était agente de recouvrement de l’ARC nommée Jodi Roul, qu’il avait alors signalé à Mme Roul qu’il souhaitait que son adresse postale soit remplacée par l’adresse du centre de détention Maplehurst où il était détenu et que Mme Roul avait pris cette adresse en note.

[35]  Je conclus que cette conversation n’a jamais eu lieu. La première audience de mise en liberté sous caution de M. Mpamugo s’est tenue le 5 novembre 1999. Sa deuxième audience de mise en liberté sous caution s’est tenue le 17 novembre 1999. Cependant, ce n’est qu’en 2003 que le dossier de M. Mpamugo a été confié à Mme Roul.

[36]  Plus important encore, la simple idée que l’adresse de M. Mpamugo ait pu être remplacée par celle du centre de détention Maplehurst est complètement invraisemblable. M. Mpamugo a affirmé qu’il avait passé [traduction] « une très longue période » au centre de détention Maplehurst entre sa première et sa deuxième audience de mise en liberté sous caution [13] . Il y est resté durant 13 jours. Sa mise en liberté sous caution lui a été refusée lors de l’audience du 5 novembre 1999 et lui a finalement été accordée le 17 novembre 1999 [14] . M. Mpamugo voudrait me faire croire qu’il a fait remplacer l’adresse de son domicile, où sa femme a continué d’habiter tout au long de la période visée, par l’adresse d’un centre de détention où il n’a passé que 13 jours, alors qu’il était sur le point d’être libéré du centre de détention au moment où la prétendue conversation au sujet de son changement d’adresse aurait eu lieu. C’est comme si un contribuable, de retour chez lui après deux semaines de vacances à Whistler, décidait d’envoyer un formulaire de changement d’adresse à l’ARC pour demander que son adresse soit remplacée par celle de l’hôtel où il a séjourné à Whistler au cas où il y retournerait l’an prochain. Entre le moment de son arrestation, le 4 août 1999, et le moment où sa peine a été prononcée, 5 ans plus tard, M. Mpamugo n’a passé, en tout, que 67 jours en prison. Il y a passé les 13 premiers jours pendant qu’il attendait sa mise en liberté sous caution en 1999. Il y a ensuite passé 54 jours en 2001 après avoir violé les conditions de sa mise en liberté sous caution [15] . Au moment où M. Mpamugo aurait modifié son adresse, il ne s’attendait pas à passer ces 54 jours en prison puisque ces jours d’emprisonnement ont découlé de la violation de ses conditions de mise en liberté sous caution. En résumé, l’idée que M. Mpamugo aurait pu demander que son adresse soit remplacée par celle du centre de détention Maplehurst dans ces circonstances est tout simplement absurde, et le fait qu’il était disposé à raconter cette histoire nuit considérablement à sa crédibilité.

[37]  L’avocat de M. Mpamugo m’a demandé de tirer une inférence défavorable du fait que la Couronne n’avait pas présenté comme preuve les notes de l’agent de recouvrement qui était chargé du dossier de M. Mpamugo aux dates où ce dernier affirme s’être entretenu avec Mme Roul. Je ne suis pas disposé à le faire. J’estime plus probable que la Couronne n’a pas présenté les notes en question eu preuve parce qu’elle ne jugeait pas nécessaire d’accumuler les éléments de preuve démontrant le manque de crédibilité de M. Mpamugo plutôt que pour en dissimuler le contenu. Si l’avocat de M. Mpamugo croyait que ces notes constituaient des éléments de preuve importants, il aurait pu demander qu’elles soient présentées.

[38]  L’idée que l’ARC savait qu’elle devait modifier l’adresse de M. Mpamugo pour la remplacer par celle de l’établissement correctionnel de Beaver Creek au moment où il a été condamné comporte deux problèmes. Premièrement, il ne revient pas au ministre de modifier l’adresse d’un contribuable sans instructions de la part de celui-ci. Deuxièmement, le ministre n’avait aucun moyen de savoir où M. Mpamugo serait incarcéré après sa condamnation. M. Mpamugo lui-même ne savait pas où il serait incarcéré. Il n’a pas été envoyé à Beaver Creek dès le départ. Il a été détenu dans quatre établissements différents au cours d’une période d’au moins deux mois avant d’être finalement transféré à Beaver Creek. Et d’ailleurs, il a purgé plusieurs années de sa peine en  maison de transition en liberté conditionnelle de jour ou à son domicile en liberté conditionnelle totale. En outre, durant toute sa période d’emprisonnement, sa femme a continué d’habiter à leur domicile et lui a transmis son courrier [16] .

[39]  M. Mpamugo a déclaré dans son affidavit qu’il avait échangé du courrier avec diverses parties avec lesquelles il faisait affaire durant les années visées en utilisant ses adresses en prison. Des documents dont il ressort que cette affirmation était fausse ont été présentés en preuve lors du contre-interrogatoire. M. Mpamugo a utilisé l’adresse de son domicile pour communiquer avec la Cour supérieure de justice de l’Ontario [17] , pour interjeter appel de sa condamnation au criminel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario [18] et pour communiquer avec la Cour d’appel de l’Ontario [19] . Les avocats de l’aide juridique qui avaient initialement été chargés de cet appel [20] de même que le ministère du Procureur général de l’Ontario [21] ont également communiqué avec M. Mpamugo en utilisant l’adresse de son domicile. M. Mpamugo a même utilisé l’adresse de son domicile pour envoyer de la correspondance à l’ARC [22] .

[40]  Ce n’est qu’après que la Couronne eut demandé l’annulation de son appel que M. Mpamugo a affirmé qu’il n’avait pas reçu les avis de nouvelle cotisation. L’avis d’opposition présenté par M. Mpamugo ne signale pas qu’il n’a pas reçu les avis de nouvelle cotisation ou que ceux-ci n’ont pas été postés. Par cet avis, M. Mpamugo signale seulement qu’il ne sait pas de quelle façon a été calculé le montant de l’impôt qu’il doit payer. Il en va de même dans son avis d’appel. L’avis d’appel présenté par M. Mpamugo ne signale pas non plus qu’il n’a pas reçu les avis de nouvelle cotisation ou que ceux-ci n’ont pas été postés. Par cet avis, M. Mpamugo signale simplement qu’il ne sait absolument pas pourquoi le total de l’impôt, des pénalités et des intérêts qu’il devrait prétendument payer est aussi élevé. D’ailleurs, il y fait même une déclaration qui contredit sa position. Il déclare que son appel n’a pas pu être présenté dans le délai prescrit de 90 jours parce qu’il se trouvait en prison. Or, il ressort de cette déclaration qu’il avait bel et bien reçu les avis de nouvelle cotisation, mais qu’il n’a pas été en mesure de s’y opposer à temps parce qu’il était en prison. Ce n’est qu’après que la Cour eut déposé sa requête en vue d’obtenir l’annulation de son appel que M. Mpamugo a, pour la première fois, déclaré qu’il n’avait pas reçu les avis de nouvelle cotisation et qu’il a raconté son histoire concernant le changement d’adresse.

[41]  Je note au passage que l’allégation invraisemblable de M. Mpamugo selon laquelle il avait modifié son adresse ne constituait même pas une bonne explication quant au fait qu’il n’avait pas reçu les avis de nouvelles cotisations. En fin de compte, M. Mpamugo ne se trouvait tout simplement pas en prison aux dates auxquelles le ministre affirme que les avis de nouvelle cotisation ont été postés [23] . À chacune des dates auxquelles le ministre affirme avoir produit les avis de nouvelle cotisation, M. Mpamugo se trouvait en liberté sous caution ou en liberté conditionnelle. Dans chacun des cas, il résidait à son domicile.

[42]  En résumé, compte tenu du manque de crédibilité de M. Mpamugo, je conclus qu’il n’avait pas fait modifier son adresse auprès de l’ARC pour les années en question.

[43]  Étant donné mes constatations générales quant à la crédibilité de M. Mpamugo, je ne crois pas son autre affirmation selon laquelle il n’avait pas reçu les avis de nouvelle cotisation à son adresse domiciliaire. Il est toutefois important de préciser que le fait que je ne crois pas l’affirmation de M. Mpamugo selon laquelle il n’avait pas reçu les avis ne signifie pas que je conclus qu’il ne les a pas reçus. Cela signifie seulement que rien ne prouve que les avis n’ont pas été reçus et que, par conséquent, rien ne me permet de déduire qu’ils n’ont pas été postés.

Preuve non liée à l’envoi postal

[44]  Deux des principaux éléments de preuve présentés par la Couronne ne  tendant pas à établir que les avis de nouvelles cotisations ont bel et bien été postés, mais nuisent à la crédibilité de M. Mpamugo. Le premier élément de preuve concerne les discussions de M. Mpamugo avec des agents de recouvrement de l’ARC. Le deuxième élément de preuve concerne le travail effectué par les comptables de M. Mpamugo.

[45]  Examinons d’abord les discussions avec des agents de recouvrement. La Couronne a présenté des éléments de preuve dont il ressort que M. Mpamugo avait rencontré des agents de recouvrement et communiqué avec eux par téléphone et par écrit au sujet du recouvrement des montants prétendument établis dans les avis de nouvelles cotisations, et qu’il avait effectué des versements à l’égard de ces montants. Par l’arrêt Aztec Industries Inc. v. The Queen [24] , la Cour d’appel fédérale enseigne clairement que bien que le contribuable sache que le ministre croit avoir établi une cotisation à son endroit, bien qu’il soit au courant des mesures prises par les agents de recouvrement pour recouvrer le montant de la cotisation prétendument établie et bien qu’il ait effectué des versements à l’égard du montant de la prétendue cotisation, cela ne prouve pas qu’un avis de cotisation a été posté. Par conséquent, à mon sens, ces discussions ne tendent par à prouver que les avis de nouvelle cotisation ont été bel et bien été postés.

[46]  Toutefois, je conclus bel et bien que le témoignage de M. Mpamugo concernant ces discussions avec des agents de recouvrement met gravement en doute à sa crédibilité. M. Mpamugo a déclaré qu’il n’avait appris qu’il avait des problèmes fiscaux que lorsqu’il a tenté de vendre sa maison en 2014 et qu’il avait découvert que l’ARC avait fait enregistrer une sûreté sur celle-ci. M. Mpamugo a reconnu avoir discuté avec des agents de recouvrement de l’ARC au sujet des demandes de paiement qui avaient été délivrées à son encontre de même qu’à l’encontre de sa femme et de ses enfants. Il a expliqué que ces conversations n’avaient porté que sur la question de savoir si les demandes de paiement l’emportaient sur des ordonnances eu vigueur de la Cour supérieure de l’Ontario gelant ses actifs, et sur la situation financière difficile dans laquelle les demandes de paiement plaçaient sa famille. M. Mpamugo a déclaré qu’il n’avait pas discuté de sa dette fiscale ni de celle de sa femme et de ses enfants avec des agents de recouvrement puisqu’il n’était pas au courant de ces dettes. Je trouve absurde l’idée que M. Mpamugo aurait pu avoir des conversations avec des agents de recouvrement de l’ARC qui cherchaient à recouvrer plus de 5 000 000 $ auprès de lui et de sa famille, mais qu’il n’aurait posé aucune question au sujet de la dette fiscale au fond. Il ne s’agit pas d’un contribuable qui aurait déjà une dette fiscale de 100 000 $ et à l’égard duquel l’ARC aurait établi une cotisation supplémentaire de 3 000 $. Dans une situation comme celle-là, j’aurais pu croire que le contribuable n’a pas demandé d’où venait le montant supplémentaire. En l’espèce, le montant que l’ARC cherchait à recouvrer était si important qu’il est impossible de croire que M. Mpamugo n’aurait pas cherché à savoir d’où il venait. M. Mpamugo voudrait me faire croire que même s’il faisait l’objet de demandes de paiement pour une somme aussi importante alors qu’il n’était absolument pas au courant du fait qu’il avait une dette envers l’ARC, il aurait rencontré des agents de recouvrement et n’aurait discuté que du fonctionnement des demandes de paiement et de sa situation financière sans jamais poser de questions au sujet des dettes sous-jacentes. Il voudrait me faire croire que l’ARC poursuivait ses enfants pour une somme s’élevant, si j’en crois les motifs du jugement prononcés dans le cadre du procès criminel, à 500 000 $ chacun, et qu’il n’a pas pris la peine de demander comment il était possible que ses enfants, qui étaient étudiants à l’université à l’époque, puissent devoir autant d’argent à l’ARC. Le fait que M. Mpamugo ait pu raconter une histoire aussi ridicule met gravement eu doute sa crédibilité. Il est tout simplement inconcevable que M. Mpamugo ait pu avoir les conversations qu’il affirme avoir eues avec des agents de recouvrement. Si un représentant de la Banque TD se présentait à ma porte un jour pour m’annoncer que mon salaire allait être saisi parce que j’étais en retard dans mes versements hypothécaires, la première chose que je dirais serait « Quelle hypothèque? Je n’ai jamais contracté d’emprunt auprès de la Banque TD de ma vie! », et non « Le montant que vous saisissez est un peu trop élevé compte tenu de ma situation financière actuelle. Pourriez-vous envisager de le réduire? »

[47]  Maintenant, examinons le travail effectué par les comptables de M. Mpamugo. La Couronne a aussi présenté des éléments de preuve documentaire provenant des comptables de M. Mpamugo dont il ressort qu’ils savaient que ce dernier faisait l’objet de nouvelles cotisations et qu’ils oeuvraient en vue d’une contestation. Ces documents ne faisaient pas précisément mention d’un examen des avis de nouvelle cotisation. Dans une feuille sommaire préparée par les comptables, il me semble y avoir eu confusion entre les avis de nouvelle cotisation et les états de compte, et ce, à plusieurs reprises. Bon nombre de documents qualifiés d’avis de nouvelle cotisation portaient des dates différentes des dates en question. Si l’on m’avait fourni la preuve que les comptables avaient réellement examiné les avis de nouvelle cotisation, j’en aurais conclu que les avis avaient bel et bien été postés. En l’absence d’une telle preuve, bien que je n’aie aucun doute quant au fait que les comptables croyaient que le ministre avait établi de nouvelles cotisations à l’endroit de M. Mpamugo, je ne peux que conclure que M. Mpamugo savait que le ministre croyait avoir établi de nouvelles cotisations à son endroit. Je ne peux conclure que les avis ont bel et bien été postés.

[48]  Toutefois, je conclus bel et bien que le témoignage de M. Mpamugo concernant le travail effectué par ses comptables met gravement eu doute sa crédibilité. Les documents fournis par les comptables de M. Mpamugo indiquaient qu’ils oeuvraient en vue de [traduction] « contester les cotisations fiscales existantes » établies à l’endroit de M. Mpamugo, de sa femme et de Marygold, et qu’ils prévoyaient interjeter appel [25] . Les documents indiquaient aussi que M. Mpamugo, dont les actifs avaient été gelés et qui devait faire des choix financiers difficiles, leur avait versé des dizaines de milliers de dollars pour leur travail sur une période de deux ans. M. Mpamugo a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait eu aucune discussion avec ses comptables au sujet de ce qu’ils croyaient être des nouvelles cotisations en souffrance, qu’il ne savait rien du travail qu’ils effectuaient, qu’il n’était pas au courant du fait que ses comptables croyaient que de nouvelles cotisations avaient été établies et que ces nouvelles cotisations n’avaient jamais été mentionnées au cours d’une réunion que lui et un de ses comptables auraient eue avec un agent de recouvrement. Ces affirmations ne sont pas crédibles et elles mettent également en doute la crédibilité de M. Mpamugo.

Sommaire

[49]  En résumé, comme je conclus que l’affirmation de M. Mpamugo selon laquelle il avait modifié son adresse postale n’est pas crédible, nul élément de preuve ne me permet de conclure que les avis ont été postés par le ministre à la mauvaise adresse. De même, aucun élément de preuve ne me permet de conclure que les avis de nouvelle cotisation n’ont pas été reçus par M. Mpamugo à son domicile. En outre, même si les avis n’avaient réellement pas été reçus, rien ne me permettrait de déduire qu’ils n’ont jamais été postés.

[50]  En revanche, il y a des preuves dont il ressort que le ministre a transmis les avis de nouvelle cotisation afin qu’ils soient traités en lots avec les avis de cotisation et de nouvelle cotisation d’autres contribuables non liés, et ce, à huit reprises au cours de cinq années distinctes, des preuves dont il ressort que le ministre présumait que tous ces avis seraient imprimés et postés dans le cours normal des activités, des preuves dont il ressort que le ministre disposait de mécanismes pour s’assurer que les avis envoyés à l’impression seraient bel et bien imprimés et postés, des preuves dont il ressort que l’adresse figurant sur les huit avis de nouvelle cotisation destinés à M. Mpamugo était l’adresse du domicile de celui-ci et des preuves dont il ressort qu’aucun courrier envoyé à l’adresse du domicile de M. Mpamugo n’avait été retourné sans avoir été livré au cours des années en question.

[51]  J’estime qu’il est hautement improbable que le ministre ait, à huit reprises au cours de cinq années distinctes, transmis des avis de nouvelle cotisation au nom de M. Mpamugo afin qu’ils soient imprimés avec les avis d’autres contribuables non liés et qu’aucun des avis de M. Mpamugo n’ait été imprimé et posté.

[52]  Au cours d’affaires antérieures dans le cadre desquelles la Cour a conclu que le ministre n’avait pas réussi à prouver l’envoi postal, soit le ministre n’avait nul élément de preuve tendant à établir l’envoi postal, soit les faibles éléments de preuve du ministre avaient été surjetés vu le témoignage crédible du contribuable soutenant qu’il n’avait pas reçu l’avis en question. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Les éléments de preuve qui m’ont été présentés ne sont ni complets ni idéaux, mais ce sont les éléments de preuve dont je dispose et sur lesquels je dois m’appuyer afin de rechercher si les avis de nouvelles cotisations ont été postés. Comme il a été signalé précédemment, la Couronne doit uniquement prouver qu’il est plus probable qu’improbable que les avis aient été postés. Compte tenu de la faiblesse des éléments de preuve concernant l’envoi postal des avis, l’absence d’éléments de preuve crédibles démontrant qu’ils n’ont pas été reçus et la très faible probabilité qu’aucun des avis n’ait été posté, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable qu’ils ont effectivement été postés.

3e étape : date de l’envoi postal

[53]  M. Mpamugo concède que si je conclus que les avis de nouvelle cotisation ont été postés, ils l’ont été aux dates indiquées par le ministre. Par conséquent, je conclus que les avis de nouvelle cotisation en question ont été envoyés à M. Mpamugo aux dates avancées par la Couronne.

[54]  Aux termes du paragraphe 169(1), le contribuable peut contester une nouvelle cotisation au plus tard le 90e jour suivant la date de la mise à la poste de l’avis de nouvelle cotisation. M. Mpamugo a déposé un avis d’opposition le 3 juillet 2014. Le délai de 90 jours prescrit pour contester les nouvelles cotisations était largement dépassé puisque le délai relatif au dernier avis avait expiré en 2008. M. Mpamugo n’a obtenu aucune prorogation du délai pour déposer des avis d’opposition auprès du ministre ou de la Cour, et il est beaucoup trop tard pour le faire maintenant. Par conséquent, il n’a déposé aucun avis d’opposition valide. En l’absence d’avis d’opposition valide, M. Mpamugo ne satisfait pas à une des conditions préalables principales pour interjeter appel devant la Cour.

[55]  Compte tenu de tout ce qui précède, la requête est accueillie. L’appel est annulé.

V. Dépens

[56]  Des dépens sont adjugés à l’intimée. J’espère que les parties parviendront à un accord sur les dépens. Dans le cas contraire, elles disposent de 30 jours à compter de la date du présent jugement pour me présenter leurs observations sur les dépens. En vue de parvenir à un accord, je suggère à M. Mpamugo de garder à l’esprit les observations que j’ai formulées au paragraphe 15 ci-dessus.

[57]  Les présents motifs de l’ordonnance modifiés remplacent les motifs de l’ordonnance datés du 28 septembre 2016.


Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d’octobre 2016.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de février 2018.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 215

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-3908(IT)G

INTITULÉ :

LAWRENCE MPAMUGO c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DES AUDIENCES :

Les 27 mai et 27 juin 2016

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DE L’ORDONNANCE :

DATE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS :

Le 28 septembre 2016

Le 20 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me David Piccolo

Avocats de l’intimée :

Me Craig Maw

Me Alisa Apostle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me David Piccolo

Cabinet :

Tax Chambers LLP

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   Les précisions de l’accusation de fraude et de l’accusation connexe d’obstruction à la justice sont énoncées dans les motifs du jugement de la décision 2004 CanLII 31794 (ON SC).

[2]   Les précisions concernant la détermination de la peine (y compris le dédommagement) sont énoncées dans la décision 2004 CarswellOnt 6685 (ON SC).

[3]   Aztec Industries Inc. v. The Queen, (CAF) 1995 CarswellNat 278; Schafer v. The Queen, (CAF) 2000 CarswellNat 1948

[4]   Schafer (CAF); Scott v. MNR (1960) [1961] Ex. C.R. 120; Canada c. 236130 British Columbia Ltd., 2006 CAF 352; Bowen v. The Queen, (CAF) 1991 CarswellNat 520

[5]   McGowan v. The Queen, (CAF) 1995 CarswellNat 381, remarque incidente au paragraphe 19.

[6]   Schafer (CAF).

[7]   2011 CCI 39, au paragraphe 15.

[8]   2016 TCC 102

[9]   2016 CCI 73

[10]   Carcone; Central Springs Limited et A & E Precision Fabricating And Machine Shop INC. c. La Reine, 2006 CCI 524

[11]   Schafer c. La Reine, (CCI) 1998 CarswellNat 1002; citée avec approbation dans l’arrêt Kovacevic, au paragraphe 16

[12] Carcone c. La Reine, 2011 CCI 550; Williamson c. La Reine, 2009 CCI 222; Gould v. Lumonics Research Ltd., 1983 CarswellNat 7; Buhler Versatile Inc. v. The Queen, 2016 FCA 68.

[13]   Affidavit de M. Mpamugo daté du 29 décembre 2015, paragraphe 3.

[14]   Lors de son contre-interrogatoire, M. Mpamugo a tenté de faire paraître sa période d’incarcération légèrement plus longue en laissant entendre qu’il n’avait pas été libéré immédiatement parce qu’il avait eu besoin d’une ou deux semaines supplémentaires afin de réunir les fonds nécessaires pour payer sa caution. La pièce « A » de l’affidavit de M. Mpamugo daté du 16 mai 2016 est une lettre du centre de détention Maplehurst. Cette lettre indique que M. Mpamugo a été libéré le 17 novembre 1999. M. Mpamugo n’a fait aucune référence aux semaines supplémentaires dont il aurait prétendument eu besoin dans son affidavit. Je préfère la preuve documentaire claire du centre de détention Maplehurst que M. Mpamugo a jointe à son propre affidavit au témoignage de vive voix que M. Mpamugo a fait pour la première fois lors de son contre-interrogatoire.

[15]   M. Mpamugo a fourni des réponses évasives lorsqu’il s’est vu demander de quelle façon il avait contrevenu aux conditions de sa mise en liberté sous caution. Il a laissé entendre qu’il avait manqué une rencontre avec un agent de libération conditionnelle. Avant que la Couronne ne le mentionne au cours de son contre-interrogatoire, il n’a jamais indiqué que sa mise en liberté sous caution avait été révoquée parce qu’il avait été accusé d’une nouvelle fraude.

[16]   Les déclarations de M. Mpamugo au cours de son contre-interrogatoire et dans ses affidavits semblaient vouloir faire croire qu’il avait passé, après la détermination de sa peine, beaucoup plus de temps en prison que l’année qu’il y a réellement passée avant d’être mis en liberté conditionnelle de jour. Le fait qu’il soit demeuré évasif relativement à cette question nuit à sa crédibilité.

[17]   Pièce R-8

[18]   Pièce R-2, onglet 2B

[19]   Pièce R-11

[20]   Pièces R-6 et R-7

[21]   Pièce R-9

[22]   Pièce R-4

[23]   Je conclus que M. Mpamugo a été détenu du 5 au 17 novembre 1999 dans l’attente de sa mise en liberté sous caution, qu’il a été détenu du 29 octobre au 1er décembre 2001 après avoir manqué aux conditions de sa mise en liberté sous caution et qu’il a été emprisonné du 9 décembre 2004 au 9 décembre 2005 à la suite de la détermination de sa peine.

[24]   1995 CarswellNat 278, [1995] 1 CTC 327

[25]   Pièce R-13

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