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Dossier : 2013-2231(IT)I

ENTRE :

EUGENE JUDICKAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 25 août 2016, à London (Ontario)

Devant : L’Honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Alexander Nguyen

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2009 et 2010 est accueilli et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations au motif que l’appelant a droit au crédit d’impôt pour enfants à l’égard de son enfant Mar, né en 1993, pour les années d’imposition 2009 et 2010.

 

          L’appelant n’a droit à aucun autre redressement.

         

          L’appel est accueilli sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour d’octobre 2016.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray


Référence : 2016 CCI 225

Date : 20161012

Dossier : 2013-2231(IT)I

ENTRE :

EUGENE JUDICKAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. APERÇU

[1]             En l’espèce, la question en litige consiste à savoir si l’appelant a le droit de demander le crédit équivalent pour personne entièrement à charge et le montant pour enfant (les « crédits d’impôt ») en vertu des alinéas 118(1)b) et 118(1)b.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 2009 et 2010.

[2]             L’intimée est d’avis que l’appelant n’a pas droit aux crédits d’impôt puisque durant les années visées, il versait à son ex-épouse une pension alimentaire pour enfants.

II. LES FAITS

[3]             L’appelant et son ex-épouse, Mme Stuifbergen, se sont séparés en 1998 et ont divorcé en 2006.

[4]             L’appelant et Mme Stuifbergen ont eu six enfants : Ma (naissance en 1989), M et K (naissance en 1991), Mar (naissance en 1993), J (naissance en 1995) et M (naissance en 1998).

[5]             Conformément à une ordonnance du Tribunal de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, prononcée le 7 avril 2003 (l’« ordonnance d’avril »), l’appelant avait la garde juridique des trois enfants aînés et Mme Stuifbergen, la garde des trois benjamins. Plus précisément, les trois aînés devaient résider avec l’appelant qui assumait leur garde et leur surveillance en tout temps, et les trois benjamins devaient résider avec Mme Stuifbergen qui assumait leur garde et leur surveillance en tout temps.

[6]             Dans l’ordonnance d’avril, la Cour a ordonné qu’à compter du 1er juin 2003, l’appelant devait verser une pension alimentaire pour enfants à l’égard des trois benjamins conformément aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (les « Lignes directrices »). La pension alimentaire ne visait que les trois enfants et le calcul était basé uniquement sur le revenu de l’appelant puisqu’à ce moment, Mme Stuifbergen n’avait pas de revenus.

[7]             L’ordonnance d’avril contenait également une clause qui prescrivait que si Mme Stuifbergen trouvait un emploi, le montant de la pension alimentaire pour enfants serait rajusté de la différence entre les montants que les époux auraient à payer si chacun d’eux faisait l’objet d’une demande d’ordonnance alimentaire. L’ordonnance d’avril prescrivait également que tout enfant, dès l’âge de 12 ans, avait le droit de choisir lui-même son lieu de résidence.

[8]             L’ordonnance d’avril a été modifiée par une entente écrite datée du 15 septembre 2005 (l’« entente de septembre »). L’entente de septembre tenait compte du fait que Mme Stuifbergen occupait désormais un emploi et que l’un des aînés, qui résidait auparavant avec l’appelant, résidait dorénavant avec Mme Stuifbergen[1].

[9]             Aux termes de l’entente de septembre, l’appelant était tenu de payer à Mme Stuifbergen la somme de 894 $ par mois pour quatre enfants issus du mariage et Mme Stuifbergen était tenue de payer à l’appelant la somme de 415 $ par mois pour deux enfants issus du mariage. L’appelant versait la différence à Mme Stuifbergen.

III. DROIT ET ANALYSE

[10]        Aux fins des crédits d’impôt, les termes « personne entièrement à charge » et « montant pour enfant » sont définis comme suit au paragraphe 118(1) de la Loi :

118. (1) [...] dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition; [...]

Crédit équivalent pour personne entièrement à charge

b) le total de [...] si le particulier ne demande pas de déduction pour l’année par l’effet de l’alinéa a) et si, à un moment de l’année :

(i)

d’une part, il n’est pas marié ou ne vit pas en union de fait ou, dans le cas contraire, ne vit pas avec son époux ou conjoint de fait ni ne subvient aux besoins de celui-ci, pas plus que son époux ou conjoint de fait ne subvient à ses besoins,

 

(ii) d’autre part, il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient réellement aux besoins d’une personne qui, à ce moment, remplit les conditions suivantes :

(A) elle réside au Canada, sauf s’il s’agit d’un enfant du particulier,

(B) elle est entièrement à charge soit du particulier, soit du particulier et d’une ou de plusieurs de ces autres personnes,

(C) elle est liée au particulier,

(D) sauf s’il s’agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, elle est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique.

 

 

[Montant pour enfant]

(b.1) celle des sommes suivantes qui est applicable :

(i) 2 000 $ pour chaque enfant du particulier qui est âgé de moins de 18 ans à la fin de l’année et qui réside habituellement, tout au long de l’année, avec le particulier et un autre parent de l’enfant,

(ii) sauf en cas d’application du sous-alinéa (i), 2 000 $ pour chaque enfant du particulier qui est âgé de moins de 18 ans à la fin de l’année et à l’égard duquel le particulier peut déduire une somme en application de l’alinéa b), ou pourrait déduire une telle somme si l’alinéa 118(4)a) ne s’appliquait pas à lui pour l’année et si l’enfant n’avait pas de revenu pour l’année;

[...]

(4) Les règles suivantes s’appliquent aux déductions prévues au paragraphe (1):

[...]

b) un seul particulier a droit pour une année d’imposition à une déduction prévue au paragraphe (1), par application des alinéas (1)b) ou b.1), pour la même personne ou pour le même établissement domestique autonome; dans le cas où plusieurs particuliers auraient droit par ailleurs à cette déduction, mais ne s’entendent pas sur celui d’entre eux qui la fait, elle n’est accordée à aucun d’eux pour l’année;

[...]

(5) Aucun montant n’est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition si le particulier, d’une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait pour la personne et, d’autre part, selon le cas :

a) vit séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l’année pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait;

b) demande une déduction pour l’année par l’effet de l’article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait.

(5.1) À supposer que la présente loi s’applique compte non tenu du présent paragraphe, dans le cas où personne n’a droit, par le seul effet du paragraphe (5), à la déduction prévue aux alinéas (1)b) ou b.1) pour une année d’imposition relativement à un enfant, le paragraphe (5) ne s’applique pas relativement à l’enfant pour l’année en cause.

[Non souligné dans l’original.]

[11]        Le terme « pension alimentaire » est défini de la façon suivante au paragraphe 56.1(4) de la Loi :

56.1 (4) pension alimentaire  Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a) le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

b) le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

[12]        Le paragraphe 118(5) de la Loi empêche un contribuable de demander les crédits d’impôt s’il a payé une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi.

[13]        Cependant, le paragraphe 118(5.1) de la Loi dispose que si personne n’a droit à la déduction des crédits d’impôt en raison de l’application du paragraphe 118(5) de la Loi, le paragraphe 118(5) peut ne pas être pris en compte.

[14]        L’intimée a fait valoir que l’appelant n’avait pas le droit de demander les crédits d’impôt parce qu’il payait une pension alimentaire à son ex-épouse, conformément au paragraphe 118(5) de la Loi. Pour étayer sa thèse, l’intimé a cité l’arrêt Verones c. Canada[2].

[15]        Dans cette affaire, M. Verones et son ex-conjointe avaient deux enfants. Les enfants vivaient 50 p. 100 du temps avec chacun de leurs parents aux termes d’une entente de garde partagée. Le montant de la pension alimentaire pour enfants était basé sur le revenu des deux parties. La personne ayant le revenu le plus élevé, soit M. Verones, devait payer la différence (un montant de « compensation ») à son ex-conjointe pour les enfants issus du mariage. M. Verones a déclaré que comme lui et son ex-conjointe payaient tous les deux une pension alimentaire, il aurait dû avoir droit aux crédits d’impôt. Dans l’arrêt Verones, la juge Trudel de la Cour d’appel fédérale a expliqué que le mécanisme de compensation ne s’appliquait pas puisque le revenu des deux conjoints est toujours pris en compte pour établir le montant de la pension alimentaire pour enfants. Voici les observations de la juge Trudel, au paragraphe 8 de cet arrêt :

[8] Une fois que l’obligation de chacun des parents par rapport aux enfants a été précisée, le parent dont les revenus sont les plus élevés peut être obligé de verser une pension alimentaire pour enfants au parent dont les revenus sont moins élevés dans le cadre de l’exécution de son obligation. Cependant, au bout du compte, le concept de la compensation ne transforme pas l’obligation respective des parents de contribuer à l’éducation des enfants en une « pension alimentaire » au sens de la Loi.

[16]        L’appelant a fait valoir que son ex-conjointe et lui étaient tous deux obligés de payer une pension alimentaire pour enfants. Par conséquent, il affirme qu’il faudrait lui accorder les crédits d’impôt.

[17]        À mon avis, la thèse de l’appelant est exacte; le présent appel peut être distingué de l’arrêt Verones. Dans le présent appel, les deux parents ont l’obligation légale, aux termes de l’entente de septembre, de payer une pension alimentaire pour enfants, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Verones.

[18]        Dans l’affaire Verones, le montant de la pension alimentaire pour enfants était fondé sur les Lignes directrices en tenant compte des deux enfants. Le montant de la pension alimentaire pour enfants a été établi au prorata selon le revenu respectif des parents. Seul M. Verones avait l’obligation de payer une pension alimentaire pour enfants.

[19]        Dans le présent appel, les deux parents ont l’obligation de payer une pension alimentaire pour enfants aux termes de l’ordonnance de septembre. L’appelant doit payer une pension alimentaire pour les quatre enfants confiés à la garde de Mme Stuifbergen, et cette dernière doit payer une pension alimentaire pour les deux enfants confiés à la garde de l’appelant.

[20]        Le présent appel s’apparente au premier exemple cité par le juge Miller, de cette cour, dans la décision Letoria c. La Reine[3] :

[9]        J’ai été saisi d’une situation quelque peu semblable dans l’affaire Ochitwa, où j’ai déclaré ce qui suit :

[traduction]
8.         Il m’est impossible de ne pas souscrire aux conclusions de l’intimé, mais je suis étonné de constater que, dans le cadre d’une situation de garde partagée, un parent pourra ou non demander le crédit au titre du montant pour personne à charge admissible simplement en raison de la façon dont une ordonnance ou un accord est rédigé. Par exemple, lorsqu’une entente de garde partagée vise deux enfants, il me semble qu’il y a trois façons possibles de prévoir comment sera payée la pension alimentaire pour enfants lorsque chacun des parents gagne un revenu :

1.         Les parents conviennent, ou il leur est ordonné, de payer une pension alimentaire pour un enfant (l’un doit payer 400 $, par exemple, et l’autre 300 $ – le montant net étant de 100 $) : les deux parents pourraient demander le crédit au titre du montant pour personne à charge admissible. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[21]        Ce type d’entente entraîne l’application du paragraphe 118(5.1) de la Loi. Si le paragraphe 118(5.1) de la Loi n’existait pas, l’appelant et son ex-épouse n’auraient pas eu le droit de réclamer, pour les enfants Ma et Mar, le montant pour enfants, puisque Ma et Mar ne résidaient pas habituellement avec Mme Stuifbergen durant les années d’imposition visées et que l’appelant payait une pension alimentaire pour enfants.

[22]        Par conséquent, l’appelant a droit de demander les crédits d’impôt pour les années d’imposition 2009 et 2010 puisqu’il tombe sous le coup du paragraphe 118(5.1) de la Loi. Cependant, comme Ma avait plus de 18 ans à la fin de l’année 2009, l’appelant ne peut demander les crédits d’impôt qu’à l’égard de Mar pour les deux années d’imposition visées. L’appel est donc accueilli pour ce motif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour d’octobre 2016.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 225

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-2231(IT)I

INTITULÉ :

EUGENE JUDICKAS c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

London (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 août 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Alexander Nguyen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]               Au cours du procès, l’appelant a déclaré que plus tard en 2015, un des enfants qui résidait auparavant avec son ex-épouse avait décidé de résider avec lui.

[2]               2012 CCI 291, 2013 CAF 69.

[3]               2015 CCI 221, [2015] ACI no 180, au paragraphe 9.

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