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Dossier : 2014-3831(IT)G

ENTRE :

JEAN-CLAUDE MAJOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 6 septembre 2016, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif


Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Kévin Lampron

Avocat de l'intimée :

Me Emmanuel Jilwan

 

JUGEMENT

        L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2009, 2010 et 2011 est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée et les pénalités imposées sont confirmées comme étant bien‑fondées, selon les motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’octobre 2016.

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


Référence : 2016 CCI 243

Date : 20161027

Dossier : 2014-3831(IT)G

ENTRE :

JEAN-CLAUDE MAJOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]             Il s’agit d’un appel suite à un avis de cotisation établie pour les années d’imposition 2009, 2010, 2011 dont les fondements sont : des dépenses d’emploi refusées dont notamment des dépenses reliées à l’occupation d’un bureau à la résidence personnelle de l’appelant, des dépenses reliées à l’usage d’une auto et à des honoraires payés à sa conjointe pour les années 2009 et 2010.

[2]             L’appelant a admis le bien-fondé de toutes les composantes de la cotisation qui fait l’objet du présent appel à l’exception toutefois de la question des honoraires payés à sa conjointe soit 76 190 $ pour l’année d’imposition 2009 et de 93 235 $ pour l’année d’imposition 2010, lesquels montants ont été réclamés comme déboursés à titre d’honoraires payés à sa conjointe et considérés par l’appelant comme dépenses admissibles. Les montants étaient facturés au mois par une facture peu détaillée.

[3]             Selon l’appelant, les déboursés de 76 190 $ et 93 235 $ ont été faits à titre d’honoraires en contrepartie de travail de soutien, de collaboration et développement de ses affaires, le tout ayant pour objectif ultime d’augmenter ses revenus d’où sa qualification de dépenses admissibles devant être soustraites de ses revenus d’entreprise.

[4]             L’appelant a d’abord travaillé comme agent d’assurance pour devenir rapidement courtier. Sa carrière s’est finalement définie comme planificateur financier. À cet effet, il a travaillé pour plusieurs entreprises dont le bureau chef était à Toronto.

[5]             Son territoire était généralement l’est du Canada à partir de l’Ontario; en d’autres termes, le Québec et les provinces maritimes étaient le territoire où il faisait affaires.

[6]             Il était généralement rémunéré par un salaire de base auquel s’ajoutaient des commissions. Le salaire de base et le pourcentage des commissions variaient en fonction des compagnies qui retenaient ses services.

[7]             Il a expliqué que sa conjointe, madame Nathalie Scott, avec laquelle il était marié depuis plus de dix ans, lui facturait des honoraires au moyen d’une facture mensuelle d’une entreprise qui portait son nom soit Nathalie Scott, sa conjointe.

[8]             Les honoraires étaient payés pour deux genres de services. Lors du témoignage de l’appelant, il en a ajouté un troisième. Le travail consistait notamment à faire et préparer des cadeaux corporatifs pour ses clients et d’éventuels clients.

[9]             À cet effet, sa conjointe devait se servir de son imagination pour faire des achats personnalisés, particuliers et distinctifs et préparer divers ensembles ce qui exigeait une bonne connaissance de celui et de celle visés par les cadeaux. Il pouvait s’agir de fruits, de vin, de cigares, de cognac, dépendamment de la situation.

[10]        Madame Scott faisait, toujours selon l’appelant, également de la prospection, l’organisation de rendez‑vous, gestion de l’agenda et de soutien administratif tel la réservation de chambre, de billet d’avion, etc.

[11]        L’appelant a aussi indiqué que sa conjointe préparait et s’occupait de la logistique lors de certaines présentations comme la location de salle, invitation, traiteur, trousse de renseignements, etc.

[12]        L’appelant a aussi fait mention que son épouse s’occupait d’organiser certaines rencontres à caractère social et récréatif, soit des compétitions de karting, de motoneige, de tir au pigeon d’argile et d’une très importante activité à Bromont, hôte d’un Festival équestre de réputation internationale. De plus, de façon générale, il se faisait accompagner par cette dernière à la plupart des activités auxquelles il participait de manière à projeter une image positive sur ses valeurs familiales auprès de ses clients et éventuels clients.

[13]        Malgré ses talents d’organisatrice, malgré sa discipline et son grand sens à s’occuper des nuances et détails, l’appelant a expliqué que sa conjointe, madame Scott, n’aimait pas la gestion au point qu’il a dû lui‑même faire les procédures en incorporation, lui‑même a obtenu les numéros de la taxe de vente du Québec (la « TVQ ») et de la taxe sur les produits et services (la « TPS ») de madame; il a lui‑même fait les rapports auxquels sont assujettis les inscrits, lui‑même fait les rapports d’impôts de madame Scott. Fait très significatif et particulier, il s’occupait de même faire les factures et le contenu qui y apparaissait. En d’autres termes, il s’occupait lui‑même de tout ce qui avait trait à l’entreprise de madame Scott. Madame Scott n’avait strictement rien à faire dans ou pour la gestion de son entreprise, l’appelant s’occupait de tout.

Rémunération ou paiement des honoraires

[14]        L’appelant ne donnait strictement rien à sa conjointe soit ni chèque ni argent comptant ni dépôt dans son compte bancaire. Il a expliqué au moyen de ses relevés de carte de crédit dont il était le titulaire, que madame Scott faisait des achats en utilisant une carte de crédit à son nom propre à partir de son propre dossier de crédit.

[15]        En guise de paiements des honoraires ou en contrepartie des honoraires, il acquittait, à la fin du mois, les comptes réclamés dont une partie des dépenses avait été effectuée par madame Scott. La preuve a démontré qu’il s’agissait de dépenses souvent personnelles mais aussi des dépenses familiales dont notamment la nourriture. Les états de compte en question font état de dépenses essentiellement personnelles tant de madame, que de monsieur, de dépenses de loisirs, de dépenses familiales.

[16]        En d’autres termes, tout passait par la carte de crédit y compris les dépenses d’épicerie. L’appelant payait sans distinction le montant réclamé. Il a soutenu qu’il s’agissait là de la méthode retenue pour le paiement des honoraires dus à madame Scott. Madame Scott n’avait aucun contrôle ni latitude quant aux montants supposément payés pour ses honoraires.

L’imputabilité

[17]        La comptabilité, la répartition ou l’attribution des responsabilités des items indiqués sur les relevés de carte de crédit n’ont jamais été établies en détails. En d’autres termes, toutes les dépenses de l’appelant et de sa conjointe étaient payées par une carte de crédit : chacun avait sa carte de crédit à partir du seul compte et dossier de l’appelant. À échéance, l’appelant payait tous les montants correspondant aux dépenses effectuées. La partie qui concernait madame Scott était aussi payée et cela tenait lieu du paiement des honoraires. La preuve n’a pas été faite mais je présume que l’appelant préparait une facture d’honoraires en fonction du montant payé. L’appelant a soutenu qu’il s’agissait de la seule manière dont il assumait le coût des honoraires. À des questions du Tribunal, il a indiqué n’avoir jamais fait de chèque ou donné d’argent comptant à son épouse, ajoutant toutefois avoir du cash dans un coffre‑fort auquel madame pouvait et avait accès. Dans les faits, il semble que madame Scott n’en ait jamais profité.

[18]        Madame Scott a également témoigné à la demande de l’intimée. D’entrée de jeu, elle a contredit l’appelant. Elle a affirmé avoir fait effectivement certaines tâches et responsabilités que l’appelant avait précédemment décrites. Par contre, elle a essentiellement soutenu qu’il s’agissait là d’une collaboration, de sa participation normale en sa qualité d’épouse. Elle a même affirmé qu’au départ de leur union, l’appelant s’attendait d’elle qu’elle agisse comme elle l’avait toujours fait avant le mariage c’est‑à‑dire aucune responsabilité à l’extérieur du foyer familial.

[19]        Elle a mentionné que l’appelant avait un comportement très contrôlant à son égard; il s’occupait de tout non pas à sa demande mais par habitude. Elle a soutenu avoir accepté de collaborer, de l’appuyer et le soutenir à la hauteur de ses qualités. Elle a reconnu qu’elle acceptait l’encadrement dicté par l’appelant. Elle a aussi admis avoir collaboré, contribué et participé à certaines activités dans le cours des affaires de l’appelant.

[20]        Madame Scott a été très claire quant aux montants des honoraires. Elle a affirmé n’avoir jamais discuté, négocié ou transigé sur la valeur des services. Elle a reconnu que l’appelant payait les factures ajoutant qu’elle n’avait jamais d’argent à elle; son compte bancaire personnel avait comme seule utilisation la réception d’une pension indemnitaire pour ses deux enfants issus d’un mariage précédent.

[21]        Elle a reconnu avoir signé tous les documents à la demande de l’appelant mais clairement indiqué ne pas être l’auteure.

[22]        Malgré le climat manifestement tendu entre elle et l’appelant à la suite d’un divorce difficile, madame Scott a semblé assez sereine; elle n’a manifesté aucune malice qui soit de nature à discréditer son témoignage.

[23]        L’appelant et madame Scott ont, à la lumière de la preuve, traversé une période de grande turbulence dans leur relation à la suite de leur divorce.

Analyse

[24]        À première vue, le premier réflexe serait de déterminer la crédibilité des deux principaux témoins soit celui de l’appelant et celui de madame Scott. Certes, certaines affirmations, certains énoncés étaient empreints de tension au point d’affecter quelque peu la fiabilité. Par contre, je ne crois pas qu’il y ait là quoi que ce soit de nature à écarter l’un ou l’autre de ces deux témoignages.

[25]        En effet, la preuve des faits non litigieux est largement suffisante pour disposer de l’appel.

[26]        Ces faits sont notamment les suivants :

                     l’absence de contrat réel entre les parties;

                     l’absence de définition précise des tâches;

                     l’absence de preuve précise quant aux moments où a été effectué le travail;

                     l’absence manifeste de travail justifiant de pareils montants d’honoraires;

                     l’absence de preuve de corrélation entre le travail décrit et l’augmentation ou même effets sur les revenus;

                     l’absence de preuve quant à la nécessité et/ou l’utilité du travail;

                     l’absence de négociations, pourparlers, discussions quant à une entente relative à une offre de service;

                     l’absence de preuve quant à la raisonnabilité des montants réclamés à titre d’honoraires;

                     l’absence totale de preuve quant au paiement des honoraires;

                     l’absence totale de lien entre les factures et les supposés paiements d’honoraires.

[27]        Il n’y a aucun doute que la conjointe de l’appelant a collaboré, contribué et fait sa part en tant qu’épouse pour ce dernier. Dans le cadre des affaires de l’appelant, madame Scott était disponible et très flexible et de façon générale, elle collaborait pleinement sans doute avec spontanéité et enthousiasme.

[28]        Elle participait et contribuait à l’organisation d’activités de promotions sociales et mondaines. Elle comprenait et acceptait son rôle qui consistait notamment à faire la démonstration que l’appelant était quelqu’un de fiable, sérieux, avec de solides valeurs humaines et familiales. En d’autres termes, elle était totalement d’accord pour contribuer à la volonté de l’appelant de projeter une image de très bon père de famille.

[29]        La prépondérance de la preuve est à l’effet que madame Scott, épouse de l’appelant, a agi au cours des années 2009 et 2010 comme une conjointe généreuse, responsable qui profitait pleinement du niveau de vie que lui offrait l’appelant.

[30]        L’empressement de madame auprès de l’appelant était simplement une gratuité purement consentie. Elle n’avait jamais négocié ou exigé quelque honoraire que ce soit en contrepartie d’une prestation de travail défini et déterminé par l’appelant seulement; en effet, madame Scott n’a jamais perçu, compris, demandé ou exigé des honoraires. Il s’agissait là essentiellement d’un stratagème imaginé, conçu et mis en place de façon unilatérale par l’appelant.

[31]        Conséquemment, l’absence de consentement contredit totalement l’existence d’un quelque contrat de travail que ce soit.

[32]        D’autre part, même si madame Scott avait voulu monnayer sa disponibilité ou sa participation, cela aurait dû être défini, encadré, et la contrepartie aurait dû être correspondante à la valeur des services rendus, raisonnable et conforme au marché.

[33]        La contrepartie aurait dû lui être payée réellement, totalement et régulièrement; finalement il aurait été nécessaire qu’elle dispose elle-même d’une totale liberté quant à l’utilisation des montants reçus. Il n’appartenait pas à l’appelant seul de tout décider.

[34]        Dans un véritable contrat de quelque nature que ce soit, les parties doivent être libres et mises à contribution au niveau de toutes les composantes, ce qui évidemment n’était pas le cas dans le présent dossier.

Pénalités

[35]        Contrairement à ce qu’il a tenté de démontrer, l’appelant n’est pas novice en matière de fiscalité. Il a touché un salaire fort important de la vente de produits financiers qu’il a lui‑même décrite comme « abri fiscal ».

[36]        D’autre part, il est tout à fait impossible qu’une personne avec de telles connaissances en matière financière, ne connaissait pas les règles fiscales élémentaires qui régissent les dépenses d’entreprise admissibles.

[37]        Il a même affirmé avoir entendu pour la première fois l’expression « fractionnement de revenu » utilisée par son ex‑conjointe.

[38]        Le stratagème mis en place et utilisé par l’appelant a été pensé, réfléchi d’une manière unilatérale par ce dernier. Les montants en cause étaient fort importants au point d’avoir également gardé la main mise sur les mêmes montants par le biais de la carte de crédit. De cette façon, il gardait en tout temps le contrôle total sur les dépenses et pouvait rapidement intervenir.

[39]        Il préparait lui‑même les déclarations de revenus, celle de la société créée pour sa conjointe et finalement, celle de sa conjointe. Il s’agissait là d’une stratégie volontaire et sciemment établie pour réduire son fardeau fiscal sachant très bien que dans les faits, il gardait la jouissance de la totalité de ses revenus.

[40]        D’autre part, son système lui permettait de rendre déductibles des dépenses essentiellement personnelles telle la nourriture. Toutes ses charges familiales étaient ainsi couvertes.

[41]        La nette prépondérance de la preuve est à l’effet que l’appelant a sciemment commis une faute lourde quant au traitement de ses revenus justifiant aussi pleinement l’application des pénalités établies par l’article 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), c. 1 (5e Suppl.).

[42]        Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée et les pénalités imposées sont confirmées comme étant bien‑fondées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’octobre 2016.

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 243

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-3831(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JEAN-CLAUDE MAJOR c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2016

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 octobre 2016

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Kévin Lampron

Avocat de l'intimée :

Me Emmanuel Jilwan

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Kévin Lampron

Cabinet :

Jodoin Associés

Bromont, Québec

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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