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Dossier : 2016-277(GST)I

 

ENTRE :

JANE GIBB,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 19 octobre 2016, à Lethbridge (Alberta)

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller


Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

David Lowry

Avocat de l’intimée :

Me Peter Basta

 

JUGEMENT

          L’appel portant sur la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes de déclaration allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, au moyen d’un avis de nouvelle cotisation daté du 15 août 2013, est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de novembre 2016.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 


Référence : 2016 CCI 249

Date : 20161103

Dossier : 2016-277(GST)I

ENTRE :

JANE GIBB,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Juge C. Miller

[1]             Mme Gibb fait appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA ») pour les périodes de déclaration de 2010 et de 2011. Le ministre a rejeté la demande de crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») de Mme Gibb au motif qu’elle n’exerçait pas d’activité commerciale.

[2]             Le paragraphe 123(1) de la LTA définit une activité commerciale comme l’exploitation d’une entreprise « à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier ». Cette définition suppose qu’il peut y avoir deux types d’entreprises : celles qui sont exploitées avec une attente raisonnable de profit, et celles qui sont exploitées sans attente raisonnable de profit, ces dernières ne pouvant prétendre aux CTI. Par souci de clarté, il ne s’agit pas de décider si Mme Gibb exerçait ou non une activité, mais plutôt de décider si son entreprise était exploitée avec ou sans attente raisonnable de profit. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une question d’impôt sur le revenu qui peut être présentée comme une distinction entre une activité commerciale et un loisir; il s’agit en réalité d’une question de TPS dans laquelle la loi exclut précisément des activités commerciales une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit. La question tourne donc autour du critère d’attente raisonnable de profit décrit par la Cour suprême du Canada dans Moldowan c. La Reine[1] :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l’expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s’en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s’appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l’état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s’engager, la capacité de l’entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l’allocation à l’égard du coût en capital. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l’importance de l’entreprise : La Reine c. Matthews. Personne ne peut s’attendre à ce qu’un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

[3]             J’aborderai l’entreprise de Mme Gibb selon les facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada.

I. Profits et pertes passés

[4]             Mme Gibb affirme qu’elle travaille depuis 30 ans dans le domaine de l’élevage des chevaux et des courses hippiques; elle a commencé pendant ses études, lorsque son futur mari lui a fait découvrir le domaine équin. C’est en 1993, lorsqu’elle et son mari ont déménagé à Lethbridge, que les activités ont commencé à se développer. Toutefois, je ne dispose de preuve de profits et de pertes qu’à partir de l’année 2000. Mme Gibb a déclaré des pertes dans ses déclarations de revenus personnels pour les années 2000, 2001, 2002, 2004, 2005, 2007, 2009, 2010, 2011 et 2012. En 2003, elle a déclaré un revenu d’agriculture net de 1 250 $; en 2008, elle n’a déclaré aucun revenu d’agriculture net. Mme Gibb a affirmé que l’activité avait été transformée en société en 2013. L’historique des profits et des pertes ne va pas dans le sens d’une attente de profit, raisonnable ou non, à l’avenir.

[5]             Au cours des années en question, Mme Gibb a déclaré des dépenses de 144 000 $ en 2010 et de 216 000 $ en 2011, les revenus au cours de cette dernière année s’élevant à 108 000 $ (environ 92 000 $ découlant de la vente de chevaux, 10 000 $ de gains aux courses et 5 000 $ de primes d’éleveur). Ces résultats ont été obtenus avec une écurie rassemblant 20 à 30 chevaux. Mme Gibb a souligné, à juste titre, qu’il n’existait aucune garantie dans le milieu des courses hippiques. Selon moi, il s’agit d’une admission du fait que l’attente de profit, si elle existe, ne proviendra pas de l’élevage ou de la vente des chevaux, mais uniquement des succès à l’hippodrome. C’est également une admission du fait que les profits pourraient tarder à venir. Mme Gibb a fait valoir qu’il fallait de nombreuses années pour mettre sur pied une activité fructueuse et rentable d’élevage de chevaux et de courses hippiques. Elle exerce cette activité depuis de très nombreuses années, et pourtant, il n’y a aucun signe de rentabilité.

[6]             Mme Gibb me semble passionnée par son activité, au point d’admettre qu’elle ne l’abandonnerait pas même si elle ne réalisait aucun profit, ce qui semble justement être le cas. Tout ceci m’amène à penser que ses attentes peuvent au mieux être qualifiées de faible espoir, ou peut-être de rêve, mais certainement pas d’attente raisonnable de profit, si l’on se fonde uniquement sur les chiffres. Les autres critères exposés par la Cour suprême du Canada surpassent-ils cette conclusion claire, d’après l’historique des profits et des pertes?

II. Formation

[7]             Mme Gibb travaille dans l’industrie équestre depuis trois décennies. Des membres de sa famille exercent des activités similaires. Sa passion pour son travail est évidente. Bien qu’elle n’ait eu aucune formation en la matière, elle a décrit en détail le travail qu’elle a elle-même accompli, qu’il s’agisse de s’occuper des poulains, de nourrir les chevaux, d’effectuer les travaux de fenaison, de trouver des entraîneurs, d’organiser des consultations avec des vétérinaires, d’expédier des chevaux aux États-Unis ou encore de faire des recherches sur la lignée des chevaux; elle s’est effectivement occupée de tous les aspects de son activité. Elle connaît son travail, bien que cela ne lui ait pas permis de savoir comment mener efficacement ses activités. Elle n’a soumis aucun état financier, aucun budget ni aucun plan officiel. Son objectif était d’améliorer la qualité de son écurie et d’avoir plus de chevaux, mais elle ne m’a fourni aucune composition d’écurie assurant un équilibre optimal entre les juments poulinières et les chevaux de course, aucun calcul de seuils de rentabilité possibles, ni même une estimation prudente des gains aux courses hippiques. Elle semblait mener ses activités à l’aveuglette.

[8]             Certes, elle avait plusieurs années d’expérience ou de formation, mais je ne suis pas convaincu qu’elle disposait pour autant des outils nécessaires pour créer et gérer une entreprise rentable.

III. Voie sur laquelle Mme Gibb entend s’engager

[9]             Comme je l’ai déjà mentionné, Mme Gibb avait l’intention d’avoir plus de chevaux et d’en améliorer la qualité. Elle a consacré beaucoup de temps à rechercher des étalons convenables pour ses juments poulinières. Elle a affirmé posséder à l’heure actuelle des chevaux dont le prix pouvait atteindre 20 000 $ à 50 000 $ chacun. Cependant, encore une fois, elle ne m’a fourni aucune projection financière illustrant la manière dont ces chevaux pourraient maintenant générer des profits, ni aucune preuve de vente de cette nature. Elle avait l’intention d’améliorer les stalles, et elle l’a fait, en installant de l’éclairage pour favoriser la saison de reproduction et la rendre plus homogène. Elle avait également l’intention d’embaucher un ouvrier agricole à temps plein, ce qu’elle a fait.

[10]        Ces mesures étayent la thèse selon laquelle elle exploitait une entreprise, mais aident-elles à prouver une éventuelle rentabilité? Un peu. L’aide d’un ouvrier agricole et l’efficacité d’une période de reproduction homogène favorisée par une amélioration de l’éclairage, bien qu’entraînant une hausse des coûts, pourraient également réduire d’autres coûts, par exemple en évitant d’avoir à envoyer les juments ailleurs pour la reproduction. Cette ligne de conduite appuie quelque peu l’amélioration de l’efficacité et, par conséquent, l’attente de profit.

IV. Capacité de l’entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit

[11]        Comment cette entreprise a-t-elle été financée? Là encore, Mme Gibb ne m’a présenté aucun état financier qui m’aurait été utile à cet égard. Elle a affirmé, en revanche, que son mari, un médecin qui exploite une clinique, a appuyé financièrement l’entreprise, bien qu’il n’ait pas été précisé s’il l’avait fait au moyen d’un prêt, d’un cadeau ou autre. Il ne fait aucun doute que, quelle que soit la manière dont l’entreprise a été structurée financièrement, elle n’était pas parvenue à devenir rentable.

[12]        Mme Gibb aurait également investi une partie de son revenu d’emploi annuel de 45 000 $ gagné à la clinique de son mari en effectuant la tenue des comptes (mais il est intéressant de noter qu’elle affirme confier à un comptable la tenue des comptes pour son activité équestre). Je dispose de peu d’éléments de preuve pour évaluer pleinement ce facteur, mais je ne crois pas que le fait de compter sur les finances familiales dénote une capacité à dégager des profits, en terme de capital.

V. Autres considérations

[13]        La détermination d’une attente raisonnable de profit doit se faire objectivement. Si l’on replace les choses en perspective et que l’on examine l’entreprise de Mme Gibb objectivement plutôt que du point de vue clairement passionné de l’appelante, je conclus, tout bien pesé, qu’il n’y a pas suffisamment d’indices appuyant une attente raisonnable de profit. La formation de Mme Gibb et la voie sur laquelle elle entend s’engager témoignent bien de l’exploitation d’une entreprise, mais absolument pas d’une entreprise exploitée avec une attente raisonnable de profit. Tout bien pesé, ces autres facteurs ne me semblent pas l’emporter sur la triste réalité d’une entreprise qui perd sans cesse de l’argent sans aucune attente raisonnable de profit dans un avenir prévisible. Tant que Mme Gibb ne présente pas de plan décrivant la manière dont cette activité, en terme de capital, peut finalement sortir de cette situation, il est difficile de conclure qu’elle exploitait une entreprise avec une attente raisonnable de profit. Par conséquent, aux fins de la LTA, son entreprise ne peut pas être considérée comme une activité commerciale et n’est donc pas admissible aux CTI.


[14]        L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de novembre 2016.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 249

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-277(GST)I

INTITULÉ :

JANE GIBB c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Lethbridge (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

David Lowry

Avocat de l’intimée :

Me Peter Basta

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]               [1978] 1 RCS 480 (CSC).

 

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