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Dossier : 2013-4696(IT)G

ENTRE :

CLAUDE GINGRAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 22 juin 2016, à Québec (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Bobby Doyon

Avocate de l’intimée :

Me Marie-Aimée Cantin

 

JUGEMENT

        L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 est accueilli avec dépens.

 

Signé à Calgary, Alberta, ce 3e jour de novembre 2016.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 


Référence : 2016 CCI 250

Date : 20161103

Dossier : 2013-4696(IT)G

ENTRE :

CLAUDE GINGRAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. INTRODUCTION

[1]             Il s’agit d’un appel d’une nouvelle cotisation établie le 16 octobre 2012 en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») relativement à l’année d’imposition 2008, par laquelle la ministre du Revenu national (la « ministre ») a refusé à M. Claude Gingras une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise (« PDTPE ») de 51 256 $.

[2]             La question en litige est de savoir si l’appelant satisfait aux critères de la LIR lui permettant de réclamer une PDTPE.

[3]             Lors de l’audience, trois personnes ont témoigné pour l’appelant, soit : l’appelant lui-même, M. Claude Gingras (« M. Gingras »), sa fille Mme Stéphanie Gingras (« Mme Gingras ») et le comptable de la société Le Groupe Rassurance inc., M. Gilles Gingras. Bien que le comptable porte le même nom de famille que M. Gingras, il n’y a aucun lien de parenté entre eux. L’intimée pour sa part a appelé comme témoin Mme Sylvie Gélinas de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »).

II. FAITS

[4]             Lors d’un voyage en Europe, plus particulièrement en Angleterre, Mme Gingras s’est intéressée à un nouveau type de restaurants, soit des restaurants qui offrent des soupes pour emporter dans un gobelet, et qui disposent de quelques places permettant aux clients de consommer les soupes sur les lieux.

[5]             De retour au Québec, Mme Gingras, qui à cette époque travaillait dans le domaine de l’hôtellerie, s’est demandé si ce type de restaurant fonctionnerait à Québec.

[6]             Ainsi, elle a discuté du concept avec M. Darras qui à l’époque était son collègue. Ce dernier a une vaste expérience dans le domaine de l’hôtellerie. M. Darras trouve le concept intéressant et décide de s’associer à Mme Gingras. Ensemble, ils préparent un plan d’affaires et organisent un « focus group » afin de déterminer si une demande existe pour ce type de restaurant. La réponse du « focus group » s’avère favorable.

[7]             Cependant, M. Darras reçoit une offre d’une importante chaîne d’hôtels. M. Darras ne pouvant refuser cette offre, ses nouvelles fonctions le forcent à abandonner le projet de restaurant.

[8]             Mme Gingras décide de poursuivre seule son projet de restaurant. Elle en discute avec son père, M. Gingras. M. Gingras examine le plan d’affaires et les résultats du « focus group » et encourage Mme Gingras à ouvrir le restaurant. Des fonds étant nécessaires pour le démarrage du restaurant, il dirige Mme Gingras vers la Caisse populaire de Ste-Foy (« Caisse de Ste-Foy »).

[9]             M. Gingras est un homme d’affaires; il est le seul actionnaire et administrateur d’une société, Le Groupe Rassurance inc. La principale activité de cette société est le règlement et l’évaluation de sinistres.

[10]        La réponse de la Caisse de Ste-Foy n’est pas positive. Elle n’accepte de prêter à Mme Gingras que 30% du montant requis pour le démarrage du restaurant, soit 75 000 $. Cependant, la Caisse de Ste-Foy accepte de prêter le montant de 75 000 $ si M. Gingras accepte de se porter caution.

[11]        M. Gingras n’est pas enchanté par l’offre de la Caisse de Ste-Foy. En se portant caution du prêt, il prend des risques sans en tirer aucun avantage. M. Gingras est d’avis qu’il est préférable qu’il prête directement les montants à Mme Gingras et qu’il reçoive un revenu d’intérêts. Ainsi, il aide sa fille à faire démarrer le restaurant et en même temps il obtient un rendement sur son investissement. Il en discute avec le comptable du Groupe Rassurance inc., M. Gilles Gingras. Ce dernier appuie M. Gingras dans sa démarche. Tous deux arrivent à la conclusion qu’un taux d’intérêt de 6 % pour le prêt est raisonnable. Ce taux d’intérêt correspond au taux bancaire usuel durant cette période.

[12]        Selon les témoignages de M. Gingras, de Mme Gingras ainsi que de M. Gilles Gingras, le taux d’intérêt annuel de 6 % a été convenu dès que M. Gingras a accepté de prêter à Mme Gingras.

[13]        M. Gingras est d’avis que, sur le plan des affaires, il vaut mieux qu’il prête lui-même à sa fille un montant pour le démarrage de son restaurant à un taux d’intérêt semblable à celui qu’offre la Caisse de Ste-Foy. De cette manière, il gagne un revenu d’intérêts et, de plus, cela lui permet de garder un contrôle sur les prêts. M. Gingras explique qu’il offre à Mme Gingras un prêt-ligne de crédit, et cette dernière doit à chaque fois expliquer pourquoi le montant demandé est requis.  

[14]        À la lumière de l’implication de M. Darras dans le plan d’affaires et la réponse du « focus group », qui semblait favorable, M. Gingras s’attendait à ce que le restaurant génère un profit. Il avait l’impression qu’il ne prêterait que les montants nécessaires pour le démarrage du restaurant et que les profits serviraient à payer les dépenses d’exploitation du restaurant.

[15]        Le 4 janvier 2007, Mme Gingras a enregistré auprès du Registraire des entreprises un restaurant ayant pour raison sociale Bol et Gobelet enr. En octobre 2007, le restaurant Bol et Gobelet enr. a commencé ses activités.

[16]        En 2007, aucune entente écrite constatant les prêts n’existe entre M. Gingras et Mme Gingras. Lors de leurs témoignages, M. Gingras et Mme Gingras indiquent qu’ils s’étaient entendus verbalement.  

[17]        Du 3 août 2007 au 14 janvier 2008, M. Gingras prête à Mme Gingras un montant de 69 393,04 $ pour l’exploitation de Bol et Gobelet enr.

[18]        Le 15 janvier 2008, suivant les conseils de son amie Marie-Sol, une ancienne collègue de travail, Mme Gingras décide de continuer ses opérations en cessant d’exploiter l’entreprise enregistrée et en constituant une société par actions ayant pour raison sociale Bol et Gobelet inc. Mme Gingras est la seule actionnaire et administratrice de Bol et Gobelet inc.

[19]        Au cours de l’année 2008, M. Gingras prête un montant de 33 119,40 $ à Bol et Gobelet inc.

[20]        Le concept de soupes à emporter dans un gobelet n’a pas le succès escompté. Malgré plusieurs tentatives de diversifier le menu afin de générer plus de ventes, Mme Gingras n’a pas d’autre choix que de fermer le restaurant à la fin de l’année 2008.

[21]        La situation financière de Bol et Goblet inc. est déplorable. Bol et Gobelet inc. possède peu d’actifs, occupe un local loué et son état des résultats affiche une perte de 42 846 $ pour la période du 1er août 2008 au 31 décembre 2008. De plus, Mme Gingras n’a pris aucun salaire durant l’année 2008. Bol et Gobelet inc. n’arrive pas à payer les salaires des employés ni les fournisseurs.

[22]        Le 30 juin 2010, Mme Gingras déclare faillite. Dans la déclaration de ses passifs au syndic de la faillite est inscrite la dette relative au bail commercial du restaurant, lequel était resté au nom de Mme Gingras. Les passifs incluent aussi des soldes impayés de cartes de crédit. Aucune réclamation des fournisseurs et des créanciers de Bol et Gobelet inc. ne fait partie de la liste des dettes déclarées au syndic de faillite.

[23]        Mme Gingras a témoigné que, n’étant pas personnellement responsable des montants dus par Bol et Gobelet inc., elle n’avait pas à inclure ceux-ci dans sa liste des passifs personnels. C’est pour le même motif qu’elle n’a pas inclus dans sa liste des dettes personnelles les montants dus à M. Claude Gingras, car, selon Mme Gingras, Bol et Gobelet inc. avait assumé toutes les dettes de son entreprise enregistrée.

[24]        En plus des témoignages à cet égard, il y a trois documents qui ont été déposés en preuve afin de confirmer que les personnes concernées avaient l’intention que soit substituée à la débitrice, Mme Gingras, une nouvelle débitrice, Bol et Gobelet inc. et que Mme Gingras soit déchargée de ses dettes relatives à l’année 2007 envers M. Gingras, et afin de confirmer que M. Gingras avait consenti à ces transactions. Ces documents sont en date du 15 janvier 2008, du 16 janvier 2008 et du 30 mars 2008.

III. QUESTION EN LITIGE

[25]        Est-ce que M. Gingras peut réclamer pour l’année d’imposition 2008 une PDTPE  de 51 256 $, soit la moitié de la perte au titre d’un placement d’entreprise (« PTPE ») de 102 512 $.

IV. POSITION DES PARTIES

i)       Appelant

[26]        L’avocat de M. Gingras, Me Doyon, fait valoir que l’appelant satisfait à toutes les conditions de la LIR à remplir pour qu’il puisse réclamer une PDTPE, soit[1] :

a)     Bol et Gobelet inc. avait envers M. Gingras à la fin de l’année 2008 une dette établie à 102 512 $;

b)    Les prêts avaient été consentis par M. Gingras en vue de gagner un revenu;

c)     Bol et Gobelet inc. était une société exploitant une petite entreprise (« SEPE »);

d)    la créance était devenue irrécouvrable en 2008.

[27]        De plus, Me Doyon fait valoir qu’en l’espèce une novation s’est opérée. Par conséquent, la dette antérieure à 2008 a été assumée par Bol et Gobelet inc. Selon Me Doyon, les témoignages vont tous dans ce sens.

[28]        Me Doyon fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que la novation soit formellement constatée par écrit pour qu’il y ait novation. Une novation s’opère quand il y a un changement de débiteur, qu’il y a consentement entre les parties et que l’intention du créancier d’opérer la novation est évidente. Il soutient qu’en l’espèce les témoignages ont établi qu’une novation s’est opérée.

[29]        Selon Me Doyon, il ressort du témoignage de M. Gingras que ce dernier, en tant que créancier, a consenti à ce qu’une nouvelle débitrice, la société Bol et Gobelet inc., soit substituée à la débitrice, Mme Gingras, et à ce que Mme Gingras soit déchargée de ses obligations envers M. Gingras. À cet égard, il fait valoir que l’ensemble des documents confirment les témoignages de M. Gingras et de Mme Gingras.

ii)    Intimée

[30]        L’intimée fait valoir que les témoignages de M. Gingras, de Mme Gingras et de M. Gilles Gingras ne sont pas crédibles et qu’ils devraient être écartés. De plus, l’intimée fait valoir que les ententes visant les prêts par M. Gingras à Mme Gingras ont été créées après que la PDTPE demandée eut été refusée par l’ARC en 2012. À titre d’exemple, elle fait valoir que le document daté du 15 janvier 2008 a été remis à l’ARC seulement après que la PDTPE eut été refusée. Selon l’intimée, l’ensemble de la preuve présentée par M. Gingras n’est pas fiable.

[31]        L’intimée fait valoir que M. Gingras ne peut réclamer une PDTPE pour les prêts effectués en 2007. L’intimée plaide que, pour qu’on soit en mesure de réclamer une PDTPE, il faut que les prêts aient été faits en faveur d’une société privée sous contrôle canadien. L’intimée fait valoir que, dans le présent dossier, les prêts ayant été faits en 2007 l’ont été à Mme Gingras. Cette dernière n’a incorporé Bol et Gobelet inc. qu’en 2008. Par conséquent, M. Gingras ne peut réclamer de PDTPE en ce qui a trait aux prêts effectués en 2007.

[32]        L’intimée fait également valoir qu’il n’y a pas eu de novation en l’espèce, puisque les documents relatifs au transfert des actifs et des passifs de Mme Gingras à Bol et Gobelet inc. ne respectent pas les règles de la novation. Selon l’intimée, Mme Gingras n’a pas été expressément libérée par M. Gingras de sa dette personnelle. L’intimée soutient qu’il s’agit d’une délégation imparfaite de paiement, car il n’y a pas eu création d’une nouvelle créance.

[33]        L’intimée plaide que, de toute manière, pour l’année 2007, M. Gingras ne pourrait réclamer une PDTPE, car les prêts ont été faits uniquement pour aider sa fille, Mme Gingras, et non pas en vue de gagner un revenu.

[34]        Quant aux prêts effectués en 2008, l’intimée fait valoir que, même si Bol et Gobelet inc. était une société par actions privée dont le contrôle était canadien, plus particulièrement une SEPE, M. Gingras ne pourrait réclamer une PDTPE, car les prêts faits par M. Gingras à Bol et Gobelet inc. l’ont été uniquement pour aider sa fille, Mme Gingras, et non pas en vue de gagner un revenu.  De plus, selon l’intimée, les prêts ne portaient pas intérêt.

V. ANALYSE

[35]        M. Gingras sera en mesure de déduire une PTPE si les conditions suivantes sont remplies:

1.                 il y avait une créance en sa faveur à la fin de 2008, selon le sous‑alinéa 39(1)c)(ii) et l’alinéa 50(1)a);

2.                 la créance a été acquise par M. Gingras en vue de gagner un revenu, selon le sous-alinéa 40(2)g)(ii);

3.                 la débitrice est une SEPE selon la division 39(1)c)(iv)(A);

4.                 la créance est irrécouvrable à la fin de l’année, selon l’alinéa 50(1)a).

[36]        Cependant, avant de déterminer si ces conditions sont remplies, je dois d’abord examiner si, en l’espèce, une novation s’est opérée. S’il y a eu novation, Bol et Gobelet inc. sera la nouvelle débitrice. Par conséquent, Bol et Gobelet inc. sera responsable des prêts effectués en 2007 par M. Gingras à Mme Gingras.

i)       Novation

[37]        En droit civil québécois, la novation s’opère notamment lorsqu’une dette est substituée à l’ancienne dette et qu’avec le consentement du créancier un nouveau débiteur est substitué à l’ancien, lequel est déchargé par le créancier. L’article 1660 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit ce qui suit :

1660. La novation s’opère lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l’ancienne, laquelle est éteinte, ou lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien, lequel est déchargé par le créancier; la novation peut alors s’opérer sans le consentement de l’ancien débiteur.

Elle s’opère aussi lorsque, par l’effet d’un nouveau contrat, un nouveau créancier est substitué à l’ancien envers lequel le débiteur est déchargé.

[38]        Dans son ouvrage Les obligations[2], l’auteur Vincent Karim résume les conditions relatives à la novation par substitution de débiteur. Il écrit ce qui suit:

3075. La novation par substitution de débiteur exige cependant la réunion de trois conditions. D’abord, il doit y avoir un nouveau débiteur qui se substitue à l’ancien. Ensuite, il doit y avoir un consentement express [sic] par le créancier à la novation. Par ailleurs, bien qu’un créancier accepte expressément que la dette soit assumée par un nouveau débiteur, il n’y a pas nécessairement novation, mais plutôt une simple délégation de paiement au sens de l’article 1667 C.c.Q. Dans cette hypothèse, le nouveau débiteur qui est une autre personne sera, avec le débiteur originaire, redevable de la dette due au créancier.

3076.   Pour qu’il y ait novation, le créancier doit exprimer l’intention de décharger le débiteur de son obligation au sens de l’article 1668 C.c.Q. Cette intention de nover peut toutefois être inférée des circonstances ou du comportement des parties. C’est le cas, par exemple lorsqu’il y a incompatibilité entre les obligations engendrées et les recours intentés. […]

3077.   En somme, pour qu’il y ait novation par substitution du débiteur, il doit y avoir une libération par le créancier de l’ancien débiteur de son obligation. Cette dernière condition exige en fait l’approbation du créancier; sans cette formalité, on sera en présence d’une délégation imparfaite. Le débiteur ne peut unilatéralement se faire remplacer par un nouveau débiteur et ainsi causer préjudice à son créancier.

[39]        L’intimée demande que j’écarte, en déterminant s’il y a eu novation, les documents mis en preuve par M. Gingras, car, selon l’intimée, ces documents ont été créés après que la ministre eut refusé la PDTPE. Selon l’intimée, je devrais aussi faire abstraction des témoignages, car ces deniers ne sont pas crédibles.

[40]        Je suis d’avis que la preuve n’a pas établi que les documents ont été créés postérieurement à la vérification en 2012 à la suite de laquelle la PDTPE réclamée par M. Gingras a été refusée. Au contraire, durant l’audience il a été établi que l’entente du 30 mars 2008 entre M. Gingras et Bol et Gobelet inc. faisait partie intégrante de la déclaration de revenus de 2008 de M. Gingras, produite le 29 avril 2009[3]. En avril 2009, M. Gingras ne pouvait savoir que la ministre refuserait sa réclamation d’une PDTPE.

[41]        De toute manière, tel que l’a indiqué l’auteur Vincent Karim, il n’est pas obligatoire que la novation soit constatée par écrit. L’intention de nover peut être inférée des circonstances ou du comportement des parties.

[42]        À cet égard, le juge Baudouin de la Cour d’appel du Québec, dans la décision Banque Laurentienne du Canada c Mackay[4], énonce bien que la novation ne se présume pas, mais qu’elle peut tout de même être tacite et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit constatée par écrit. Au paragraphe 24 de la décision, il écrit ce qui suit :

[24]   Certes, si la novation ne se présume pas, elle peut, malgré tout, être tacite (par exemple, résulter du comportement ou de la conduite du créancier qui démontre clairement son intention de décharger le débiteur original. (Voir: Rémy c. Gagnon, [1971] C.A. 554 p. 557; Nadeau-Mercier c. Barbeau, [1988 CanLII 555 (QC CA),] [1988] R.J.Q. 1159 (C.A.); Trust Général du Canada c. Immeubles Restau-bar inc., J.E. 94-706 (C.S.); Trust Royal c. Entreprises B.M. St-Jean, [1997 CanLII 8959 (QC CS),] J.E. 97-1158 (C.S.); Caisse Populaire Desjardins c. Auclair, [1998 CanLII 11729 (QC CS),] R.E.J.B. 1998-09747 (C.S.); Banque Laurentienne du Canada c. Adeclat,  J.E. 99-1643 (C.S.); [1999 CanLII 12173 (QC CS),] R.E.J.B. 1999-13740 (C.S.).) Cependant, là encore, l’intention de ce faire ne doit pas être équivoque et, en cas de doute, on doit préférer la solution contraire qui préserve les droits au créancier. Il n’est sûrement pas nécessaire, par contre, que la novation soit formellement constatée par un écrit.

[43]        Je suis d’avis que les témoignages de M. Gingras et de Mme Gingras ont été clairs quant à l’intention de nover. La crédibilité des témoins, soit M. Gingras, Mme Gingras et M. Gilles Gingras, n’a pas été mise en doute lors de l’audience.

[44]        M. Gingras et Mme Gingras ont tous les deux témoigné qu’ils s’étaient entendus qu’avec l’incorporation de Bol et Goblet inc. en 2008 Mme Gingras serait libérée de toutes les dettes antérieures à 2008 relatives à l’entreprise Bol et Gobelet enregistrée. Il ressort également de la preuve que M. Gingras a consenti à ce que la société Bol et Gobelet inc. assume tous les actifs et passifs de Mme Gingras, incluant ceux de l’année 2007, et à ce que la société Bol et Gobelet inc. soit substituée à l’ancienne débitrice, Mme Gingras.

[45]        Les comportements des personnes concernées, soit M. Gingras et Mme Gingras, confirment également qu’une novation s’est opérée. Par exemple :

i)       je constate que, dans le cadre de la faillite de Mme Gingras, dans le bilan des dettes attribuables à Mme Gingras il ne figure aucune créance attribuable au restaurant Bol et Gobelet inc.;

ii)    dans le bilan au 31 décembre 2008 de Bol et Gobelet inc., préparé par Marie-Sol, la créance de M. Gingras de 104 330,30 $ était inscrite au poste « Passif à long terme » et représente la totalité des prêts pour 2007 et 2008;

iii)  dans sa déclaration de revenus de 2008, produite le 29 avril 2009, M. Gingras réclame une PTPE de 102 512 $, représentant la totalité des prêts pour les années 2007 et 2008, donc une PDTPE de 51 256 $.

[46]        De plus, je suis d’avis que les documents, bien qu’incomplets, confirment les témoignages de M. Gingras, de Mme Gingras et de M. Gilles Gingras quant à la novation.

[47]        Le premier document, soit l’entente datée du 15 janvier 2008 entre Bol et Gobelet inc., M. Gingras et Le Groupe Rassurance inc., prévoit que « les montants déjà empruntés ainsi que tout montant additionnel seront remboursable [sic] par 120 versements mensuellement à compter du 1 janvier 2009 plus les intérêts à un taux d’intérêt annuel de 6%. »

[48]        Le deuxième document, celui daté du 16 janvier 2008, rédigé par Mme Gingras mais non signé, « confirme que le restaurant Bol et Gobelet est passé d’une entreprise enregistrée à une entreprise incorporée […]. Tous les actifs, les passifs et les opérations depuis juillet 2007 sont donc assumés par l’entreprise incorporée à compter du 15 janvier 2008. »

[49]        Le troisième document est l’entente datée du 30 mars 2008 entre M. Gingras et Bol et Gobelet inc. représentée par Mme Gingras. Dans cette entente, « [i]l est convenu par le prêteur de consentir un prêt sous forme de marge de crédit, qui sera déboursé selon les besoins de l’emprunteur afin de faciliter le lancement de l’entreprise, l’acquisition d’équipement et d’améliorations locatives. Ce prêt portera intérêt au taux de 6% l’an  et sera remboursable à compter de janvier 2009, par 120 versements mensuels. » Cette entente faisait partie intégrante de la déclaration de revenus de 2008 de M. Gingras, produite auprès de l’ARC le 29 avril 2009.

[50]        L’intimée fait valoir qu’il y avait des contradictions dans les témoignages. Les témoins ne pouvaient dire quand les documents avaient été signés. Premièrement, tel que je l’ai déjà indiqué, une novation n’a pas à être constatée par écrit. De plus, on ne peut passer outre au fait que M. Gingras a appris en novembre 2007 qu’il avait un cancer et qu’à partir de ce moment les traitements de chimiothérapie ont commencé. Sa priorité à cette époque était de vaincre le cancer. À cet égard, M. Gingras n’a pas tenté de cacher qu’il ne pouvait pas dire exactement quand les documents ont été signés. Mme Gingras a indiqué que les documents n’ont pas été signés de manière contemporaine, car elle n’osait pas déranger son père, eu égard à sa maladie. L’audience a eu lieu en 2016, soit huit ans après les événements, et on peut comprendre que les témoins n’aient pu se rappeler toutes les dates de façon précise.

[51]        Quant à savoir pourquoi il y avait deux documents reprenant sensiblement les mêmes termes, soit les ententes du 15 janvier 2008 et du 30 mars 2008, M. Gingras a expliqué qu’il ne voulait pas semer de confusion chez l’ARC par l’inclusion de sa société Le Groupe Rassurance inc. Ainsi, il a préféré signer une autre entente sans le Groupe Rassurance inc. comme partie à l’entente. Cette explication n’est pas insensée.

[52]        Pour ces motifs, je suis d’avis qu’en l’espèce une novation s’est opérée.

ii)    Est-ce que les prêts en 2007 et en 2008 ont été effectués en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien?

[53]        L’intimée a fait valoir que M. Gingras avait prêté des sommes d’argent à Bol et Gobelet inc. uniquement pour aider sa fille. Selon l’intimée, la créance n’avait pas été acquise par M. Gingras en vue de gagner un revenu. Par conséquent, M. Gingras ne peut pas réclamer une PDTPE.

[54]        Selon le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR, M. Gingras ne peut réclamer une PDTPE que s’il établit que la créance a été acquise en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[55]        M. Gingras et Mme Gingras ont témoigné qu’ils s’étaient entendus dès le départ que les sommes prêtées généreraient un revenu d’intérêt de 6 %. Les ententes du 15 janvier et du 30 mars 2008 sont cohérentes à cet égard.

[56]        De plus, lors de son témoignage, M. Gingras a indiqué que c’est seulement quand la Caisse de Ste-Foy a demandé qu’il se porte caution relativement au prêt de Mme Gingras qu’il a décidé de prêter directement à Mme Gingras. M. Gingras a expliqué qu’il était avantageux pour lui de prêter directement à Mme Gingras, car le risque était le même, mais au moins il gagnerait un revenu d’intérêts. Ainsi, il assisterait sa fille à se lancer en affaires et en même temps il gagnerait un revenu d’intérêts.  

[57]        La juge Miller, dans la décision MacCallum c Canada[5], a énoncé que l’intention du contribuable d’aider son fils ne l’empêchait pas de satisfaire à l’exigence du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR. Dans cette affaire, les parties n’avaient pas rédigé de contrat de prêt. La réponse à la question concernant l’intention de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien reposait donc uniquement sur la crédibilité des témoins. La juge Miller a conclu qu’il n’y avait pas eu d’entente écrite entre les parties, mais que l’appelant avait l’intention d’obtenir un revenu d’intérêts[6].

[58]        En l’espèce, les témoignages de M. Gingras, de Mme Gingras et de M. Gilles Gingras vont tous dans le même sens, soit que M. Gingras a prêté des sommes à Bol et Gobelet inc. en vue de gagner un revenu d’intérêts.

[59]        Les documents confirment ces témoignages; en vertu des ententes du 15 janvier 2008 et du 30 mars 2008, les prêts portaient intérêt au taux annuel de 6 %. Je suis d’avis que l’intention de M. Gingras de gagner un revenu d’intérêts était évidente.

[60]        L’intimée fait cependant valoir que les intérêts sur la dette ne couraient qu’à partir du 1er janvier 2009. Elle s’appuie sur l’état des résultats de Bol et Gobelet inc. pour la période du 1er août 2008 au 31 décembre 2008 établi par Marie-Sol, dans lequel il n’est fait état d’aucun intérêt.

[61]        Je ne suis pas d’accord avec l’intimée. À cet égard, M. Gingras et M. Gilles Gingras ont témoigné que les intérêts sur les prêts commençaient à courir dès le versement des prêts à Bol et Gobelet inc. Selon les ententes du 15 janvier 2008 et du 30 mars 2008, les paiements sur les prêts étaient exigibles à partir du 1er janvier 2009. Cependant, cela n’empêche pas les intérêts de commencer à courir dès que les prêts sont effectués.

[62]        Lors de l’audience, il a été expliqué pourquoi les intérêts ne faisaient pas partie de l’état des résultats préparé par Marie-Sol. Selon l’avocat de M. Gingras, les intérêts n’étaient pas inscrits parce que Mme Gingras avait l’impression que les intérêts ne courraient qu’à partir du 1er janvier 2009. 

[63]        Cependant, on constate que, dans le bilan préparé par Marie-Sol, dans le passif à long terme, la dette due à M. Gingras inclut les intérêts puisque la dette envers lui se chiffre en date du 31 décembre 2008 à 104 330,30 $[7]. Ce montant inclut les intérêts.

[64]        Par conséquent, les témoignages de M. Gingras et de M. Gilles Gingras selon lesquels les intérêts couraient dès que les prêts étaient effectués sont également confirmés par les documents déposés en preuve.

[65]        Je conclus donc que la créance a été acquise par M. Gingras en vue de gagner un revenu d’intérêts.

iii)  SEPE et créance irrécouvrable

[66]        Deux autres conditions doivent être remplies afin que M. Gingras puisse être en mesure de réclamer une PDTPE.

[67]        La première condition est que la société doit être une SEPE, soit une société exploitant une petite entreprise, selon le sous-alinéa 39(1)c)(iv) de la LIR.

[68]        En l’espèce, il n’y a aucun doute que Bol et Gobelet inc. était une SEPE.

[69]        Selon la deuxième condition, M. Gingras doit établir que sa créance était irrécouvrable à la fin de l’année 2008.

[70]        Dans la décision Rich v Canada[8], le juge Rothstein, alors qu’il siégeait à la Cour d’appel fédérale, a indiqué que c’est le contribuable qui est le mieux placé pour déterminer si une dette est irrécouvrable. De plus, il n’est pas nécessaire que le créancier ait épuisé tous ses recours avant de conclure qu’une créance est devenue irrécouvrable. Selon le juge Rothstein, « [c]e qu’il faut, c’est une évaluation honnête et raisonnable ». Il énonce également « [qu’u]ne relation de dépendance pourra justifier un examen plus attentif qu’une relation sans lien de dépendance. Mais l’existence d’une relation de dépendance ne permet pas à elle seule, sans plus, d’affirmer que le créancier n’a pas décidé honnêtement et avec raison que la créance était irrécouvrable. »

[71]        En l’espèce, le restaurant Bol et Gobelet inc. a cessé d’exercer ses activités à la fin de décembre 2008. Le restaurant affichait une perte de 42 846 $ pour une période de cinq mois. Le matériel du restaurant a été vendu, selon les témoignages, à des prix inférieurs au coût d’achat. D’ailleurs, les sommes obtenues ont servi à payer les employés. De plus, Mme Gingras a déclaré faillite.

[72]        À la lumière de ces faits, qui n’ont pas été contestés, je suis d’avis que M. Gingras a fait une évaluation honnête et raisonnable qui lui a permis de conclure que les prêts qu’il avait faits en faveur de Bol et Gobelet inc. étaient devenus irrécouvrables au cours de l’année 2008. M. Gingras peut donc réclamer une PDTPE de 51 256 $.

[73]        L’appel est accueilli avec dépens.

Signé à Calgary, Alberta, ce 3e jour de novembre 2016.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


ANNEXE

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Sens de gain en capital et de perte en capital

39(1) Pour l’application de la présente loi :

c) une perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien quelconque s’entend de l’excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l’année résultant d’une disposition, après 1977:

[…]

(ii) soit en faveur d’une personne avec laquelle il n’avait aucun lien de dépendance,

d’un bien qui est :

[…]

(iv) soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A) une société exploitant une petite entreprise,

[…]

40(2) Malgré le paragraphe (1):

[…]

g) est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d’un bien, dans la mesure où elle est :

[…]

(ii) une perte résultant de la disposition d’une créance ou d’un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (qui n’est pas un revenu exonéré) d’une entreprise ou d’un bien, ou en contrepartie de la disposition d’une immobilisation en faveur d’une personne avec qui le contribuable n’avait aucun lien de dépendance,

Créances reconnues comme irrécouvrables

50 (1) Pour l’application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

a) un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition (autre qu’une créance qui lui serait due du fait de la disposition d’un bien à usage personnel) s’est révélée être au cours de l’année une créance irrécouvrable;


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 250

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-4696(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CLAUDE GINGRAS c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2016

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Bobby Doyon

Avocate de l’intimée :

Me Marie-Aimée Cantin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelante:

Nom :

Me Bobby Doyon

Cabinet :

Joli-Cœur Lacasse s.e.n.c.r.l.

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]               Les dispositions législatives applicables sont jointes en annexe à mes motifs.

[2]               Vincent Karim, Les obligations, vol. # 2, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, aux paragraphes 3075 à 3077.

[3]               Signalons à ce propos que, durant l’audience, c’est l’intimée qui a avisé la Cour que l’entente du 30 mars 2008 faisait partie intégrante de la déclaration de revenus de 2008. Ce fait semble ne pas avoir été pris en compte par l’ARC lors de sa vérification.

[4]               [2002] RJQ 36, 2002 CanLII 41095 (QC CA).

[5]           MacCallum c La Reine, 2011 CCI 316, au paragraphe 40.

[6]           Ibid., aux paragraphes 33 à 35.

[7]               On n’a pas expliqué à l’audience pourquoi ce montant est supérieur au montant réclamé par M. Gingras, soit des prêts de 94 513 $ et des intérêts de 3 180 $, pour un montant total de PTPE de 102 693 $.

[8]               2003 CAF 38, [2003] 3 CF 493.

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