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Dossier : 2015-125(IT)I

ENTRE :

JOEL THEATRICAL RIGGING CONTRACTORS (1980) LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus le 4 juillet 2016 à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Don R. Sommerfeldt

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Harvey Consky

MJennifer Mendelsohn

Avocat de l’intimée :

MChristopher Bartlett

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2008 et 2009 sont rejetés, sans frais.

Signé à Edmonton (Alberta), ce 17jour de janvier 2017.

« Don R. Sommerfeldt »

Juge Sommerfeldt


 

Référence : 2017 CCI 6

Date : 20170117

Dossier : 2015-125(IT)I

ENTRE :

JOEL THEATRICAL RIGGING CONTRACTORS (1980) LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Sommerfeldt

I. PRÉSENTATION

[1]  Les présents motifs concernent les appels interjetés par Joel Theatrical Rigging Contractors (1980) Ltd. (« JTR ») à l’encontre des avis de nouvelle cotisation émis le 15 mars 2011 et le 6 janvier 2012, respectivement. Ces appels, qui ont été entendus à Toronto (Ontario) le 4 juillet 2016, concernent deux demandes pour les dépenses de recherche scientifique et développement expérimental (formulaire T661) (les « demandes au titre de la RS&DE ») présentées à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») par JTR pour ses années d’imposition se terminant le 30 avril 2008 et le 30 avril 2009, respectivement.

II. QUESTIONS EN LITIGE

[2]  L’ARC a refusé les demandes au titre de la RS&DE au motif que les activités qui ont fait l’objet de ces demandes ne constituaient pas des activités de « recherche scientifique et développement expérimental » (« RS&DE »), comme les définit le paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu [1] . Plus particulièrement, l’ARC a soutenu que les activités entreprises par JTR ne satisfaisaient pas aux exigences énoncées par le juge Bowman (tel était alors son titre), qui comprennent la prise en considération de cinq questions, ainsi résumées :

  a) l’observation de l’objet du problème;

  b) la formulation d’un objectif clair;

  c) la détermination et la formulation de l’incertitude technologique;

  d) la formulation d’une hypothèse ou d’hypothèses destinées à réduire   ou à éliminer l’incertitude;

  e) la vérification méthodique et systématique des hypothèses?

III. FAITS

[3]  JTR a entrepris deux projets, un durant l’année d’imposition 2008 et l’autre durant l’année d’imposition 2009, qui visaient à résoudre deux problèmes survenus dans le cadre de ses activités de conception, de production et d’installation de machinerie des cintres.

A. Projet de 2008

[4]  De juin 2007 à avril 2008, JTR a travaillé sur un projet (le [traduction] « projet de rideau pare-flammes ») afin d’élaborer un système pour contrôler la vitesse de descente du rideau pare-flammes, d’abord dans un théâtre à l’Université Ryerson, puis au Richmond Hill Theatre et au Persephone Theatre à Saskatoon. Jusque-là, JTR et d’autres intervenants du domaine de la machinerie des cintres avaient utilisé des contrepoids pour contrôler la vitesse de descente. Puisque les contrepoids occupaient un espace supplémentaire et encombraient davantage le théâtre, JTR espérait trouver un mécanisme qui ne nécessiterait pas l’utilisation de contrepoids, mais qui n’utiliserait qu’un moteur, une pompe hydraulique, des soupapes et de l’équipement connexe pour abaisser le rideau pare-flammes à une vitesse acceptable. Les règlements de protection incendie applicables exigent qu’un rideau pare-flammes descende en 30 secondes ou moins. Toutefois, s’il descend trop rapidement, il y a un risque de blessure si une personne reste prise sous le rideau et un risque que le public soit effrayé ou paniqué.

[5]  JTR a constaté que le système d’enroulement fonctionnant au moyen d’un moteur standard ne permettait pas une descente lente et contrôlée. Par conséquent, JTR a fait des expériences avec une variété de configurations de moteurs, de pompes hydrauliques, de soupapes et d’équipement connexe. JTR a finalement réussi à élaborer un système capable d’effectuer une descente contrôlée pour 95 % de tous les rideaux pare-flammes.

[6]  Dans le cadre de ses expérimentations, JTR a commencé par fixer un système de cintres à une poutre suspendue dans un atelier, puis a utilisé un moteur pour hisser un poids d’environ 800 livres, soit le poids approximatif du rideau pare-flammes du théâtre à l’Université Ryerson. Une fois le poids remonté, le mécanisme de freinage du moteur a été relâché, et les expérimentateurs ont observé la vitesse à laquelle le poids tombait, en s’assurant (le cas échéant) d’appliquer de nouveau le mécanisme de freinage avant que le poids ne s’écrase sur le sol. Rapidement, il a été évident que le système d’enroulement dans le moteur n’était pas suffisant en soi pour contrôler la vitesse de descente; par conséquent, diverses autres pièces d’équipement (comme une pompe hydraulique, des tuyaux et des soupapes) ont été ajoutées à la configuration de différentes façons jusqu’à ce que les expérimentateurs trouvent une configuration qui permettait de contrôler la vitesse de descente pour 95 % de tous les rideaux pare-flammes.

[7]  Dans la partie 2 intitulée « Données du projet » de la demande au titre de la RS&DE présentée à l’ARC par JTR au sujet du projet de rideau pare-flammes, JTR a indiqué que le titre du projet était [traduction] « Système d’enroulement hydraulique pour les rideaux pare-flammes dans les théâtres » et a précisé que le domaine de la science ou de la technologie était la mécanique appliquée, qui, selon le Guide pour le formulaire T661 de l’ARC, appartient à la catégorie génie mécanique, laquelle fait partie de la catégorie génie et technologie.

B. Projet de 2009

[8]  L’objectif du deuxième projet (le [traduction] « projet de commutation vers le fonctionnement manuel » entrepris par JTR était de concevoir et d’élaborer un système manuel d’ouverture et de fermeture de rideaux qui peut être utilisé en cas de panne d’électricité ou de défectuosité d’un mécanisme. Habituellement, le mécanisme qui fait fonctionner le rideau de scène lui permet de s’ouvrir et de se fermer horizontalement. Normalement, le rideau s’ouvre jusqu’à ce qu’il atteigne un interrupteur de fin de course, puis le processus est inversé pour la fermeture. L’interrupteur de fin de course est situé dans le moteur du rideau et est programmé pour comprendre le mouvement du rideau. Par le passé, lorsque le rideau était fermé ou ouvert manuellement (dans le cas d’une panne d’électricité ou d’une défectuosité d’un mécanisme), une fois que le problème était résolu et que le fonctionnement automatisé du rideau reprenait, l’interrupteur de fin de course ne savait pas où se trouvait la position initiale et n’était pas en mesure de guider adéquatement le mouvement du rideau. Le recalibrage était un processus exigeant en main-d’œuvre qui nuisait aux représentations théâtrales et qui nécessitait souvent un appel de service.

[9]  De mai 2008 à septembre 2008, JTR a effectué diverses expérimentations et apporté diverses innovations et modifications au système d’ouverture et de fermeture de rideaux, ce qui a fini par mener à l’élaboration d’un système à manivelle facile à installer qui permettait de relâcher l’enrouleur de câble du rideau afin qu’il tourne librement sur l’axe sans endommager l’interrupteur de fin de course ni interférer avec ce dernier. Selon JTR et son conseiller, l’élaboration de ce dispositif de rechange manuel pour le système d’ouverture et de fermeture de rideaux était du jamais vu dans l’industrie.

[10]  Divers employés de JTR ont effectué des expériences à l’égard du projet de commutation vers le fonctionnement manuel, et ils ont commencé par retirer la chaîne du pignon qui contrôlait l’enrouleur de câble et par retirer l’interrupteur de fin de course. Lorsqu’ils ont découvert qu’il était trop difficile de rattacher le pignon de l’assemblage, ils ont ensuite retiré l’assemblage au complet de l’interrupteur de fin de course, sans résultat encore une fois. Ensuite, ils ont retiré l’enrouleur de câble de l’interrupteur de fin de course, mais ont encore échoué. Enfin, ils ont retiré les boulons de retenue et les ont remplacés par un système à manivelle qui permettait de relâcher l’enrouleur de câble et de le faire tourner librement sur l’axe, ce qui répondait à leurs objectifs.

[11]  Dans la partie 2 intitulée « Données du projet » de la demande au titre de la RS&DE présentée à l’ARC par JTR à propos du projet de commutation vers le fonctionnement manuel, JTR a intitulé le projet [traduction] « élaboration d’un système manuel d’ouverture et de fermeture de rideaux » et a indiqué que le domaine de la science ou de la technologie était la mécanique appliquée, qui, comme il a été mentionné plus haut, est considérée par l’ARC comme un type de génie mécanique.

IV. ANALYSE

A. Observations préliminaires

[12]  Seulement deux témoins ont témoigné à l’audition des appels. Il y avait Van Marineau, le président et le propriétaire de JTR, et Todd Louie, comptable et administrateur fiscal à Sheldon & Milstein Tax Consultants Ltd. (« Sheldon »), qui est le conseiller qui a préparé les deux demandes au titre de la RS&DE au nom de JTR. Ni M. Marineau ni M. Louie ne sont scientifiques ou ingénieurs. De fait, aucun scientifique ni ingénieur n’a témoigné à l’audience. Il n’y avait aucun témoin expert. L’intimée n’a appelé aucun témoin.

[13]  M. Marineau est compétent et expérimenté dans le domaine de la machinerie des cintres; il travaille pour JTR depuis 36 ans. Il a commencé à y travailler à titre d’installateur d’équipement et a monté les échelons pour devenir le propriétaire [4] et le président de JTR. M. Marineau a terminé sa 12e année scolaire. Il n’a pas fait d’études postsecondaires, encore moins dans le domaine de la science ou de l’ingénierie. M. Marineau a déclaré que JTR employait divers concepteurs qui avaient eu une certaine formation en ingénierie, mais qu’aucun d’eux n’avait de diplôme en ingénierie ou le titre d’ingénieur. Aucun des employés de JTR ayant reçu une formation en ingénierie n’a témoigné lors de l’audition des appels.

[14]  Comme il a déjà été mentionné, M. Louie est un comptable et non pas un scientifique ni un ingénieur. Même s’il a préparé des demandes pour les dépenses de RS&DE (formulaire T661) ou en a supervisé la préparation pour divers clients, il n’a aucune formation officielle en génie mécanique et ne possède pas de diplôme en ingénierie. M. Louie n’a pas pris part aux expériences de JTR et n’a pas observé leur réalisation. M. Louie a déclaré que Sheldon embauchait des titulaires de doctorat et des ingénieurs qui travaillaient pour lui. Aucun des titulaires de doctorat et des ingénieurs employés par Sheldon n’ont témoigné à l’audition des appels.

B. Exigences relatives à la RS&DE

[15]  Les avocats de JTR n’ont pas allégué ni soutenu que JTR avait fait de la recherche fondamentale ou appliquée. Par conséquent, je crois comprendre que, aux fins des appels, les passages pertinents de la définition de l’expression « recherche scientifique et développement expérimental », énoncée au paragraphe 248(1) de la LIR, sont les suivants :

activités de recherche scientifique et de développement expérimental Investigation ou recherche systématique d’ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d’expérimentation ou d’analyse, c’est‑à‑dire :

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l’intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l’amélioration, même légère, de ceux qui existent.

Pour l’application de la présente définition à un contribuable, sont compris parmi les activités de recherche scientifique et de développement expérimental :

d) les travaux entrepris par le contribuable ou pour son compte relativement aux travaux de génie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l’analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas […] c) qui sont entrepris au Canada par le contribuable [...]

[16]  Au moment de déterminer si le projet de rideau pare-flammes et le projet de commutation vers le fonctionnement manuel constituaient des activités de RS&DE, comme elles sont définies plus haut, je vais tenir compte des cinq exigences énoncées dans l’affaire Northwest Hydraulic et confirmées dans les affaires RIS‑Christie et C.W. Agencies.

(1) Incertitude technologique

[17]  Pour qu’un projet particulier relève de la RS&DE, il doit aborder un problème ou une incertitude quelconque (qu’on désigne habituellement dans la jurisprudence au moyen des termes « risque ou incertitude technologique » ou « incertitude technologique ») qui ne peuvent être éliminés par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles. Même s’il n’existe pas de définition de l’expression « études techniques courantes » qui fait autorité, de façon générale, l’expression « se rapporte aux techniques, aux procédures et aux données qui sont généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine [5]  ». Ce qui me pose un problème, c’est le fait qu’aucun scientifique ni ingénieur n’a témoigné, ce qui fait en sorte que je ne dispose d’aucun élément de preuve faisant autorité en ce qui a trait aux techniques, aux procédures et aux données concernant la machinerie des cintres, qui étaient généralement à la disposition des ingénieurs en mécanique en 2008 et en 2009 [6] .

a)Projet de rideau pare-flammes

[18]  Au moment de décrire l’incertitude à laquelle faisait face JTR, M. Marineau a expliqué que, lorsque JTS a commencé à travailler sur le projet de rideau pare‑flammes, ses collègues et lui-même n’avaient aucune idée de la façon de contrôler la vitesse de descente du rideau pare-flammes, en utilisant uniquement un système motorisé, sans contrepoids. Il ne connaissait pas d’autres technologies applicables élaborées ailleurs. Il a fait quelques recherches en ligne et a examiné divers brevets [7] , mais il n’a pas été en mesure de trouver quoi que ce soit qui aiderait JTR à surmonter la difficulté à laquelle elle faisait face.

[19]  M. Louie a déclaré que, lorsque Sheldon préparait les demandes au titre de la RS&DE, certains de ses employés ont examiné divers brevets afin de déterminer quelle technologie aurait été à la disposition de JTR lorsqu’elle avait entrepris le projet de rideau pare-flammes. Durant son interrogatoire principal, M. Louie a présenté quatre brevets [8] , qui ont été publiés les 7 décembre 1999, 10 mai 2005, 23 novembre 2005 et 27 septembre 2007, respectivement. M. Louie a dit que ces quatre brevets montraient [traduction] « les connaissances qui existaient avant […] 2008 [9]  ». M. Louie a aussi mentionné que les brevets représentaient [traduction] « l’ampleur de la technologie accessible en matière de machinerie des cintres ou de rideaux pare-flammes » et « les études techniques courantes qui étaient accessibles à ce moment-là [10]  ». Toutefois, comme il a déjà été mentionné, M. Louie est un comptable, et non pas un scientifique ni un ingénieur. Il n’était pas reconnu comme un témoin expert. Durant le contre-interrogatoire, il n’a pas pu décrire les termes de recherche utilisés par ses employés au moment de chercher les quatre brevets qu’il a présentés. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les quatre brevets déposés sous la cote A‑6 représentaient la totalité de la technologie disponible connue en 2007.

[20]  En résumé, je reconnais que, lorsque M. Marineau et ses collègues de JTR ont commencé à travailler sur le projet de rideau pare-flammes en juin 2007, ils ne savaient pas comment contrôler la descente du rideau pare-flammes sans l’utilisation de contrepoids. Toutefois, je n’ai pas été convaincu qu’il n’y avait aucune technologie à leur disposition et qu’ils n’en auraient pas trouvé s’ils avaient consulté un ingénieur [11] .

[21]  Au moment de déterminer si JTR avait droit aux crédits d’impôt à l’investissement au titre de la RS&DE, le ministre du Revenu national (le « ministre ») s’est fondé sur diverses hypothèses de fait, y compris les suivantes, qui sont énoncées au paragraphe 16 de la réponse à l’avis d’appel :

  [traduction]

o.  les activités de RS&DE alléguées dans le cadre du projet de 2008 [c.‑à‑d. le projet de rideau pare-flammes] se limitaient à la conception, à l’achat, aux rajustements, aux préparatifs, au choix de pompe et aux changements de soupape relativement aux trois contrats susmentionnés [c.‑à‑d. les contrats concernant les rideaux pare-flammes à l’Université Ryerson, au Richmond Hill Theatre et au Persephone Theatre à Saskatoon];

p.  les activités de RS&DE alléguées de l’appelante [c.‑à‑d. JTR] pour le projet de 2008 constituaient des travaux de routine pour l’appelante;

q.  aucune investigation ou recherche systématique n’a été effectuée dans le cadre du projet de 2008 […]

Je ne suis pas convaincu que JTR s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de réfuter les hypothèses précédentes.

[22]  En outre, selon moi, les travaux réalisés par JTR dans le cadre du projet de rideau pare-flammes pourraient bien avoir été des études techniques courantes. On ne m’a fourni aucun élément de preuve convaincant montrant que les expériences réalisées par JTR dans le cadre du projet de rideau pare-flammes ne constituaient pas des études techniques courantes.

b) Projet de commutation vers le fonctionnement

[23]  M. Marineau a expliqué que, en ce qui concerne les systèmes de contrôle de rideaux haut de gamme, il existait une technologie qui permettrait à un interrupteur de fin de course de diriger adéquatement le rideau lorsque le courant était rétabli après une manipulation manuelle du rideau dans le cas d’une panne d’électricité. Toutefois, cette technologie coûtait environ 25 000 $, alors que JTR espérait mettre au point une solution qui coûterait environ 5 000 $. Il a déclaré que, quand JTR a commencé à travailler sur le projet de commutation vers le fonctionnement manuel, personne n’avait encore trouvé de solution économique.

[24]  M. Marineau n’a pas expliqué le type de technologie employée dans les systèmes de contrôle de rideaux haut de gamme dispendieux, et n’a pas non plus dit si cette technologie aurait pu être adaptée à un système plus économique, et, le cas échéant, quels problèmes ou quelles incertitudes auraient pu se poser au moment de procéder à une telle adaptation. Selon moi, l’incertitude technologique relative au projet de commutation vers le fonctionnement manuel n’a pas été clairement énoncée. Par exemple, à la case 242 de la section B de la partie 2 de la demande au titre de la RS&DE pour 2009, l’incertitude technologique a été décrite en ces mots :

[traduction]

Le contrôle manuel du mécanisme du rideau était sans précédent et, ainsi, nous ne disposions d’aucune connaissance qui aurait pu nous aider à trouver une solution viable. Nous ne pouvions nous appuyer sur aucune information ni méthode pour faire progresser notre projet de système de commutation vers le fonctionnement manuel. La technologie existante consistait en un mécanisme automatisé de contrôle du rideau et ne comprenait aucun dispositif de rechange en cas de panne d’électricité ou de défectuosité du mécanisme […] Nous devions concevoir une méthode pour tirer manuellement une corde enroulée autour de l’enrouleur de câble du rideau afin de manœuvrer le rideau sans interférer avec l’interrupteur de fin de course ni le désorienter, car cela est essentiel à la reprise du fonctionnement automatisé normal du dispositif du rideau.

Il me semble que les travaux visant à trouver un moyen de tirer manuellement la corde enroulée autour de l’enrouleur de câble du rideau, sans endommager l’interrupteur de fin de course ni le désorienter, constituent des études techniques courantes. JTS ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver le contraire.

(2) Formulation et vérification des hypothèses

[25]  La définition du mot « hypothèse » dans le Canadian Oxford Dictionary est la suivante :

 

[traduction]

1. une proposition faite comme base de raisonnement, sans aucune supposition de sa véracité.

2. une supposition faite comme point de départ en vue d’une recherche approfondie à partir de faits connus [12] .

[26]  Dans l’affaire Maritime-Ontario Freight Lines, le juge Sarchuk a fourni la définition judiciaire du terme « hypothèse » suivante :

Une hypothèse est une supposition ou une explication provisoire en ce qui concerne un problème de nature inconnue et, en règle générale, cette incertitude est résolue par un plan logique conçu pour observer et résoudre le problème hypothétique [13] .

Une autre définition judiciaire du terme « hypothèse » a été donnée par le juge Bonner dans l’affaire C.W. Agencies, après avoir présenté une description de l’hypothèse de l’appelante :

Je signale ici qu'il ne m’apparaît pas clairement que cette « hypothèse » soit une hypothèse pouvant être prouvée ou réfutée par voie de recherche scientifique. Il me semble qu'elle est simplement trop vague. Le mot « hypothèse » dans ce contexte est normalement considéré comme désignant une conjecture qui n'est pas incompatible avec des faits connus et qui sert de point de départ à des recherches plus poussées par lesquelles elle pourrait être prouvée ou réfutée objectivement [14] .

En d’autres mots, une hypothèse est un énoncé qui doit être vérifié au moyen d’une expérience ou d’un essai [15] .

a)Projet de rideau pare-flammes

[27]  Dans le cadre de ces travaux à l’égard du projet de rideau pare-flammes, JTR a réalisé huit expériences. Peu de temps après l’achèvement de toutes les expériences relatives au projet, Sheldon a rédigé un résumé d’une page pour chacune des expériences [16] . Le résumé de chacune des expériences décrit le problème à résoudre, la date et la nature de l’expérience, les employés qui ont pris part à l’expérience, les variables et les détails qui ont été abordés, les résultats de l’expérience et les prochaines étapes proposées. Dans de nombreux cas, la section relative aux prochaines étapes contenait une hypothèse formulée, possiblement en vue de la prochaine expérience, et non à propos de l’expérience venant tout juste d’être réalisée. Par exemple, à la fin du résumé de l’expérience no 1, dans la section relative aux prochaines étapes, l’hypothèse est la suivante : [traduction] « Faire des essais avec les mécanismes de freinage dans le boîtier. » Donc, si on présume qu’il s’agit de l’hypothèse pour l’expérience no 2, la pièce A‑1 ne présente pas d’hypothèse pour l’expérience no 1. Pour les huit expériences liées au projet de rideau pare-flammes, les entrées relatives aux prochaines étapes qui figurent à la fin du résumé de chaque expérience sont énoncées plus bas :

[traduction]

Numéro de l’expérience

Entrée relative aux prochaines étapes

1.

Faire des essais avec les mécanismes de freinage dans le boîtier.

2.

Mettre à l’essai des pompes hydrauliques et des soupapes.

3.

Faire des essais avec les mécanismes de freinage dans le boîtier.

4.

Mettre à l’essai diverses soupapes et le déplacement libre dans une direction et le déplacement contrôlé dans une autre direction pour essayer d’équilibrer le système.

5.

Mettre à l’essai différents moteurs.

6.

Mettre à l’essai différentes pompes hydrauliques.

7.

De meilleures pompes hydrauliques et soupapes permettraient de réduire l’utilisation de poids.

8.

Le projet est considéré comme terminé.

Même si les entrées relatives aux prochaines étapes figurant sur les résumés des expériences no 1, no 2, no 3 et no 7 (qui font vraisemblablement état des étapes à suivre aux expériences no 2, no 3, no 4 et no 8, respectivement) sont censées énoncer des hypothèses, les énoncés n’étaient pas formulés comme des propositions ou des suppositions à vérifier. Il n’y avait rien qui puisse être considéré comme une hypothèse pour les expériences no 1, no 5, no 6 ou no 7.

[28]  Dans la partie 2 [17] de la demande au titre de la RS&DE présentée par JTR au sujet du projet de rideau pare-flammes, la déclaration suivante a été faite à la case 246 (qui décrit les avancements scientifiques ou technologiques réalisés) :

[traduction]

À la fin de l’exercice 2007 et au début de l’exercice 2008, nous avons travaillé à l’élaboration d’un système de machinerie des cintres pour l’Université Ryerson doté d’un rideau pare-flammes contrôlé au moyen de pompes hydrauliques de sorte qu’il descende en toute sécurité. Nous avons compris que pour respecter les exigences de l’Université, nous avions besoin d’un moteur qui permettrait un enroulement suffisamment rapide pour créer une pression d’huile adéquate de sorte que l’équipement puisse être suffisamment contrôlé. Nous avons émis une hypothèse selon laquelle une pompe hydraulique fonctionnant à partir de l’extrémité du moteur où est situé le rotor au lieu de l’extrémité où est situé l’engrenage devrait suffire. En plaçant la pompe à cet endroit, nous pourrions obtenir la vitesse nécessaire pour créer la pression d’huile voulue.

Ainsi, il semble que, selon l’hypothèse, le fait de connecter la pompe hydraulique à l’extrémité du moteur où se trouve le rotor plutôt qu’à l’extrémité où se trouve l’engrenage permettrait de créer une pression d’huile suffisante dans la pompe pour contrôler la vitesse de descente. L’énoncé cité plus haut était peut-être une hypothèse répondant à la deuxième exigence énoncée dans l’affaire Northwest Hydraulic. Toutefois, comme il est mentionné plus haut, le fait de relier la pompe hydraulique à l’extrémité du moteur où se trouve le rotor (plutôt qu’à l’extrémité où se trouve l’engrenage) d’un moteur semble être une tâche d’étude technique courante.

b) Projet de commutation vers le fonctionnement manuel

[29]  JTR a réalisé cinq expériences alors qu’elle travaillait sur le projet de commutation vers le fonctionnement manuel. Une fois les cinq expériences terminées, Sheldon a rédigé un sommaire pour chacune des expériences [18] . Les entrées relatives aux prochaines étapes qui figurent sur le résumé des cinq expériences étaient les suivantes :

[traduction]

No de l’expérience

Entrée relative aux prochaines étapes

1.

Hypothèse – retirer tout l’ensemble de pignons de l’interrupteur de fin de course.

2.

Hypothèse – retirer tout l’ensemble de pignons de l’interrupteur de fin de course.

3.

Hypothèse – retirer tout l’ensemble de pignons de l’interrupteur de fin de course.

4.

Hypothèse – système supplémentaire pour compléter le boîtier existant.

5.

La mise à l’essai et le projet sont terminés.

[30]  Les hypothèses énoncées dans les résumés des expériences no 1, no 2 et no 3 (qui étaient probablement les hypothèses pour les expériences no 2, no 3 et no 4) étaient toutes les mêmes, ce qui semble assez étrange. On aurait pu penser que, après l’échec d’une expérience particulière, l’hypothèse soit modifiée. L’autre aspect qui me pose problème tient au fait que, tout comme dans le cas du projet de rideau pare-flammes, les diverses hypothèses sont énoncées dans les entrées relatives aux prochaines étapes, ce qui veut dire qu’il n’y avait pas d’hypothèse énoncée pour l’expérience n1 menée dans le cadre du projet de commutation vers le fonctionnement manuel. De plus, les prétendues hypothèses énoncées dans le tableau plus haut ne sont pas formulées comme des propositions ou des suppositions à mettre à l’essai.

[31]  Dans la partie 2 de la demande au titre de la RS&DE [19] présentée par JTR à propos du projet de commutation vers le fonctionnement manuel, les descriptions d’hypothèses suivantes ont été consignées à la case 244 (qui décrit les travaux réalisés pour surmonter les incertitudes scientifiques ou technologiques) :

[traduction]

Notre hypothèse initiale consistait à réduire le plus possible les modifications au moment d’activer la fonction manuelle du dispositif du rideau. Notre première tentative supposait le retrait de la chaîne du pignon qui contrôle l’enrouleur de câble, puisque l’interrupteur de fin de course se trouve dans l’enrouleur de câble […] [Le document décrit alors un échec.] Ensuite, nous avons présumé que le retrait de tout l’ensemble de pignons de l’interrupteur de fin de course serait plus efficace […] [Le document décrit alors un autre échec.] Pour la troisième série d’expériences, nous avons retiré tout l’enrouleur de câble, de façon à créer un système fermé en boucle […] [Le document décrit alors un autre échec.] Après trois expériences qui ont échoué, nous avons décidé d’envisager le problème d’un angle différent. Au lieu de retirer des parties de l’assemblage et d’avoir de la difficulté à les remettre en place sans perturber le fonctionnement, nous avons prévu ajouter certaines pièces mécaniques pour favoriser le progrès. Nous avons essayé d’ajouter deux boulons de fixation pour immobiliser l’enrouleur de câble sur l’axe. Nous avions supposé qu’au moment du retrait des boulons, l’enrouleur de câble serait relâché et tournerait librement sur l’axe sans interférer avec le pignon et l’interrupteur de fin de course. Une manivelle a été intégrée à la place des deux boulons de fixation et a été utilisée pour faire pivoter l’enrouleur. Des expériences subséquentes ont permis de corroborer notre hypothèse.

Sur le même formulaire de demande, à la case 246 (qui décrit les avancements scientifiques ou technologiques réalisés), JTR a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Notre hypothèse initiale était de retirer la chaîne du pignon qui contrôle l’enrouleur de câble; nous croyions que cela nous permettrait d’éviter d’interférer avec l’interrupteur de fin de course ou de l’endommager grâce à un minimum de modifications apportées au dispositif du rideau.

[32]  Même si j’ai des préoccupations quant aux hypothèses énoncées dans les résumés d’expériences pour le projet de commutation vers le fonctionnement manuel, je suis d’avis que les hypothèses énoncées dans la partie 2 de la demande au titre de la RS&DE pour 2009 (c.‑à‑d. pièce A‑5) étaient formulées adéquatement comme des propositions ou des suppositions à mettre à l’essai. Toutefois, pour revenir à un point soulevé précédemment, les étapes particulières visées par ces hypothèses (c.‑à‑d. le retrait de la chaîne du pignon, le retrait, dans sa totalité, de l’ensemble de pignons de l’interrupteur de fin de course, le retrait de tout l’enrouleur de câble et l’ajout de pièces mécaniques (c.‑à‑d. les deux boulons de fixation qui ont été remplacés par une manivelle)) semblent avoir été des études techniques courantes, et non des activités de RS&DE.

(3) La méthode scientifique

[33] Il y a un certain chevauchement entre les deuxième et troisième exigences décrites dans l’affaire Northwest Hydraulic. La deuxième exigence comporte cinq étapes, la quatrième et la cinquième sont les suivantes :

La troisième exigence indique que les procédures adoptées devraient être conformes aux principes établis et aux principes objectifs de la méthode scientifique, définis par :

  • · l’observation scientifique systématique;

  • · la mesure et l’expérimentation;

  • · la formulation, la vérification et la modification d’hypothèses (c’est la troisième caractéristique de la troisième exigence qui recoupe les quatrième et cinquième étapes de la deuxième exigence).

Puisque la troisième caractéristique de la méthode scientifique porte sur les hypothèses, et comme j’ai déjà discuté plus haut des hypothèses formulées dans l’affaire Joel Theatrical Rigging, je n’ajouterai rien d’autre à propos de cette caractéristique ici.

[34]  En ce qui concerne la première caractéristique de la méthode scientifique (c.‑à‑d. l’observation scientifique systématique), M. Marineau et ses collègues de JTR semblent avoir fait de l’observation scientifique systématique; toutefois, puisque les équipes de recherche ne comportaient aucun ingénieur ni chercheur détenant un diplôme en ingénierie, et qu’aucun des chercheurs ayant suivi une formation limitée en ingénierie n’a été appelé à titre de témoin, je me demande si l’observation scientifique systématique a été faite par des personnes dûment formées.

[35]  Je vais aborder la deuxième caractéristique de la méthode scientifique (c.‑à‑d. la mesure et l’expérimentation) de manière distincte pour les deux projets.

a)Projet de rideau pare-flammes

[36]  En termes simples, la méthode utilisée pour mener des expériences relativement au projet de rideau pare-flammes consistait à utiliser un moteur (relié à diverses configurations de pompes, de soupapes et d’autre équipement) pour soulever un poids, lequel était ensuite relâché, afin de déterminer, en observant la chute, si la vitesse était contrôlée ou non. Au moment de préparer ces expériences, M. Marineau et ses collègues ont [traduction] « estimé au jugé » [20] que le poids du rideau pare-flammes du théâtre de l’Université Ryerson était probablement de 800 à 1 000 livres. Par conséquent, à l’arrière de l’atelier de JTR, ils ont installé un système de machinerie des cintres sur l’une des poutres suspendues, ont utilisé un moteur pour soulever un poids d’environ 800 livres [21] aussi haut que possible, puis ont relâché le frein du moteur et regardé le poids tomber. Si le poids tombait trop rapidement (comme c’était habituellement le cas lors des expériences antérieures), ils appliquaient rapidement le frein afin d’éviter que le poids s’écrase sur le sol. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire à quelle vitesse le poids tombait, M. Marineau a dit qu’il ne le savait pas et que son équipe et lui n’avaient aucun moyen de mesurer la vitesse. Il a aussi déclaré qu’ils n’avaient pris aucune mesure quant à la vitesse à laquelle le poids tombait [22] . Ils ont simplement observé la chute à l’œil nu.

[37]  Il me semble que, si la méthode scientifique avait été utilisée (c.‑à‑d. s’il y avait eu de l’observation scientifique systématique, de la mesure et de l’expérimentation), M. Marineau et ses collègues auraient déterminé le poids précis utilisé durant les expériences et auraient mesuré avec précision la durée de la descente dans chaque expérience afin de pouvoir déterminer si la durée de la descente augmentait ou diminuait d’une fois à l’autre. En contre-interrogatoire, M. Marineau a répété que leur objectif était d’arriver à faire descendre le rideau pare-flammes en 30 secondes. Il a déclaré que la limite de 30 secondes était la seule mesure qui les préoccupait. Toutefois, rien n’indique qu’ils ont utilisé un chronomètre ou même l’aiguille de seconde d’une montre-bracelet pour déterminer dans quelle mesure la durée d’une descente donnée se rapprochait de l’objectif de 30 secondes. Rien ne montre qu’il y a eu un suivi quant à la durée de la descente pour chacune des expériences ni que les données ont été comparées d’une expérience à l’autre.

[38]  Dans le cadre de leurs expériences, M. Marineau et ses collègues ont commencé par relier une pompe hydraulique à l’extrémité du moteur où se trouve le rotor, puis ils ont ajouté un mécanisme de freinage. Ils ont ensuite déployé un mécanisme de freinage supplémentaire, puis ils ont fait des essais avec une variété de pompes hydrauliques, de soupapes et de tuyaux. Lorsqu’il a semblé qu’ils avaient trouvé une façon de contrôler la durée de la descente, ils ont ensuite fait des expériences avec des rideaux de diverses tailles et de divers poids, et également avec du Zetex (le tissu utilisé pour les rideaux pare-flammes) de diverses qualités. Ils ont fait des essais avec un nouvel ensemble moteur et de nouveaux engrenages et, enfin, avec de nouveaux systèmes hydrauliques de soupapes et de tuyaux et un moteur et des engrenages plus puissants. Durant l’interrogatoire principal, M. Marineau a reconnu que les moteurs, les boîtes d’engrenages, les pompes, les soupapes et le reste de l'équipement utilisé étaient tous des produits courants. Le défi auquel ses collègues et lui-même ont fait face consistait à assembler ces éléments de sorte à contrôler la durée de la descente. Même si je reconnais qu’ils ont été confrontés à un défi, il me semble qu’il s’agissait d’un défi qui a été résolu par des études techniques courantes ou des procédures habituelles. Autrement, il s’agissait d’un processus d’essais et d’erreurs.

[39]  Le terme « essais et erreurs » est défini dans le Canadian Oxford Dictionary comme suit :

[traduction]

une méthode permettant de trouver la façon la plus efficace de réaliser une tâche, de résoudre un problème, etc., en mettant à l’essai diverses approches qui échouent jusqu’à ce qu’il y en ait une qui réussisse [23] .

[40]  À ma connaissance, il n’existe pas de jurisprudence qui a établi que les essais et erreurs ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une méthode scientifique et qu’ils n’étaient pas admissibles au titre de la RS&DE; toutefois, il y a plusieurs cas où, même si ce n’était pas dit explicitement, on laissait entendre que les essais et erreurs pouvaient bien ne pas relever de la méthode scientifique. Par exemple, dans l’affaire R&D Pro‑Innovation, un conseiller en recherche et technologie de l’ARC a mentionné que les activités entreprises par l’appelant avaient été réalisées de manière non systématique et par essais et erreurs. Le juge Masse était en désaccord et a conclu que le programme expérimental de l’appelant était méthodique et systématique; toutefois, il a rejeté l’appel pour d’autres motifs [24] . Dans l’affaire ACSIS EHR, les représentants de l’appelante (dont l’appel a été accueilli) ont déclaré que ses chercheurs avaient eu recours à une démarche systématique plutôt qu’à une méthode désordonnée ou à une méthode de tâtonnement dans le cadre de leurs expériences [25] . Dans l’affaire Puissance de recherches générales Novalia, l’ARC était d’avis que l’appelante (dont l’appel a été rejeté) avait employé une démarche d’essais et erreurs au lieu d’un processus d’investigation systématique [26] .

[41]  Durant l’interrogatoire principal, lorsqu’on a demandé à M. Marineau d’expliquer les hypothèses de JTR, la solution possible et les diverses variables en ce qui concerne le projet de rideau pare-flammes, il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Essentiellement, nous avons fini par tenter d’obtenir une pompe. Nous savions que nous ne pouvions pas seulement enrouler le câble. Nous laissions le poids tomber en chute libre et exercions un certain contrôle de sorte que nous pouvions mesurer nos progrès et voir quels étaient les résultats la première fois que nous avons élaboré un système et laissé tomber le poids librement [27] […]

Nous avons simplement pris des mesures supplémentaires quant aux éléments pour essayer d’arriver à faire la même chose également. Seulement, c’est une approche plus expérimentale. Le changement de pièces et la chute libre [28] […]

Nous avons mis à l’essai plus de formats de pompes, de soupapes, et de poulies et d’autres pièces semblables pour voir quel genre de contrôle (inaudible) nous pouvions avoir, pour faire quelque chose, mais la question était de savoir comment nous pouvions procéder de la bonne façon [29] .

Selon la description qui précède des activités entreprises par JTR, j’estime qu’une méthode d’essais et erreurs, plutôt qu’une méthode scientifique, a été utilisée.

(a) Projet de commutation vers le fonctionnement manuel

[42]  Comme il est mentionné plus haut, les expériences entreprises dans le cadre du projet de commutation vers le fonctionnement manuel semblaient inclure diverses reconfigurations des mécanismes contrôlant le câble du rideau. Plus particulièrement, les personnes qui ont réalisé les expériences ont apporté une série de modifications et de rajustements, y compris les suivants :

Selon moi, ces étapes de reconfiguration ne supposaient pas la prise de mesures et me semblent correspondre davantage à une méthode d’essais et erreurs plutôt qu’à une méthode scientifique.

(4) Progrès technologiques

[43]  Pour satisfaire à cette exigence, la recherche ou le développement allégué doit aboutir un progrès technologique ou à un progrès en ce qui concerne la compréhension générale, c’est‑à‑dire quelque chose que les personnes qui s’y connaissent dans le domaine savent ou peuvent savoir [30] . Ce qui me pose problème, c’est le fait qu’aucun scientifique ni ingénieur n’a témoigné à l’audience, ce qui fait en sorte que je n’ai aucun élément de preuve fiable sur lequel m’appuyer en ce qui concerne la compréhension générale de 2007 à 2009 des personnes qui s’y connaissent dans le domaine du génie mécanique.

a)Projet de rideau pare-flammes

[44]  À la case 246 de la partie 2 de sa demande au titre de la RS&DE concernant le projet de rideau pare-flammes, JTR a décrit le progrès technologique comme suit :

[traduction]

À la fin de l’exercice 2007 et au début de l’exercice 2008, nous avons travaillé à l’élaboration d’un système de machinerie des cintres pour l’Université Ryerson doté d’un rideau pare-flammes contrôlé au moyen de pompes hydrauliques de sorte qu’il descende en toute sécurité. Nous avons compris que pour respecter les exigences de l’Université, nous avions besoin d’un moteur qui permettrait un enroulement suffisamment rapide pour créer une pression d’huile adéquate de sorte que l’équipement puisse être suffisamment contrôlé. Nous avons émis une hypothèse selon laquelle une pompe hydraulique fonctionnant à partir de l’extrémité du moteur où est situé le rotor au lieu de l’extrémité où est situé l’engrenage devrait suffire. En plaçant la pompe à cet endroit, nous pourrions obtenir la vitesse nécessaire pour créer la pression d’huile voulue. Le Code de prévention des incendies impose une autre contrainte à l’égard du projet : il exige que le rideau tombe en 30 secondes ou moins.

Notre principal objectif était de mettre au point une technologie universelle afin de contrôler au moyen de pompes hydrauliques des systèmes d’enroulement pour rideaux pare-flammes. En 2008, nous avons ciblé deux autres projets de rideaux pare-flammes qui pourraient nous permettre d’atteindre cet objectif : le Richmond Hill Theatre et le Persephone Theatre à Saskatoon, en Saskatchewan. Plus précisément, nous voulions élaborer un système unique qui pourrait supporter des rideaux de toute taille et, par conséquent, être assemblé à notre atelier à Mississauga, puis expédié au théâtre à des fins d’installation, partout en Amérique du Nord.

Dans chacun de ces cas, un nouveau matériau léger appelé Zetex a été utilisé. Par le passé, les rideaux pare-feu habituels étaient lourds et faits d’amiante. Cela voulait dire que le rideau ne serait pas très lourd, puisque sa taille serait régie par le cadre. Le respect de ces exigences s’est avéré être une tâche difficile, puisque le poids du rideau était proportionnel à la force d’inertie qui pouvait être appliquée par le moteur; plus le rideau était lourd, plus vite il pouvait tomber.

Selon moi, les commentaires plus haut ne semblent pas décrire un progrès technologique.

b) Projet de commutation vers le fonctionnement manuel

[45]  À la case 246 de la partie 2 de la demande au titre de la RS&DE présentée par JTR à l’ARC à propos du projet de commutation vers le fonctionnement manuel, JTR a décrit les avancements technologiques comme suit :

[traduction]

Notre entreprise, Joel Theatrical Rigging (JTR), cherche à réaliser des avancements technologiques dans le domaine de la mécanique appliquée […] plus particulièrement en ce qui concerne la machinerie des cintres, grâce à la création d’un système de contrôle de rideaux manuel qui pourrait être utilisé en cas de panne d’électricité ou de défectuosité d’un mécanisme […] La conception d’un dispositif de rechange manuel pour le système de rideau était sans précédent dans l’industrie compte tenu des problèmes susmentionnés; l’expérimentation était donc nécessaire pour nous permettre de trouver une solution […] Il était important que la solution soit conviviale afin que l’activation et le contrôle puissent être faits par des utilisateurs ayant suivi un minimum de formation.

Même si l’énoncé qui précède décrit un possible progrès technologique de manière peut-être plus descriptive que l’énoncé correspondant relatif au projet de rideau pare-flammes, il me semble qu’il s’agit davantage d’un énoncé des objectifs plutôt que du résumé d’un progrès technologique. Ainsi, je ne suis pas convaincu que la description de l’avancement technologique allégué du projet de commutation vers le fonctionnement manuel suffit pour me permettre de conclure qu’il y a eu un progrès quant à la compréhension des personnes qui s’y connaissent dans le domaine du génie mécanique.

(5) Compte rendu détaillé des hypothèses, des essais et des résultats

[46]  Même s’il est mentionné dans l’affaire Northwest Hydraulic que l’un des critères de la RS&DE est un compte rendu détaillé des hypothèses, des essais et des résultats, dans certains cas, on a mentionné que ce critère en particulier n’était pas absolument essentiel. Par exemple, dans l’affaire 116736 Canada Inc., le juge Archambault a déclaré ce qui suit :

À mon avis, des rapports contemporains fournissant des détails précis de chaque expérience tentée par un chercheur devraient constituer une preuve d'une investigation systématique. Tout contribuable qui tenterait de convaincre le Ministre qu'il a droit de déduire des dépenses de R-D sans fournir une telle preuve se placerait dans une position très précaire. Un contribuable serait dans une position semblable s'il se présentait devant la présente cour pour contester le refus du Ministre de permettre la déduction de ses dépenses de R-D. Toutefois, la Loi et le Règlement n'exigent pas la production de tels rapports écrits pour permettre à un contribuable de déduire de telles dépenses. Il est possible de présenter une preuve par témoignage verbal. Que le Ministre ou le juge puisse conclure que les activités censément exécutées par un contribuable l'ont réellement été devient alors une question de crédibilité [31] .

[47]  De la même façon, dans l’affaire Les Abeilles Service, le juge Jorré a déclaré que, même si des documents contemporains sont pertinents à la résolution par la Cour d’un débat de faits, « l’existence de documentation contemporaine, ou de documents contemporains avec un contenu particulier, n’est pas une condition à la reconnaissance de la recherche scientifique ou du développement expérimental [32]  ».

[48]  De plus, la juge D’Auray a déclaré ce qui suit dans l’affaire 6379249 Canada Inc. :

L’appelante n’a pas produit de documents exposant son investigation systématique. Bien que la LIR n’oblige pas le contribuable à produire de tels documents, j’estime qu’il aurait été préférable que l’appelante les fournisse, ou, s’ils étaient trop volumineux, qu’elle en fournisse au moins une partie.

L’intimée a déclaré que l’appelante n’avait produit en preuve nul document prouvant qu’elle avait appliqué une démarche systématique dans le cadre de ses travaux de RS&DE. Comme je l’ai déjà mentionné, la LIR n’exige pas le dépôt de documents prouvant la réalisation d’une investigation systématique. Elle exige que l’appelante prouve qu’elle a effectué une investigation systématique pour dissiper une incertitude technologique dans l’intérêt du progrès technologique [33] .

[49]  Toutefois, même si la présence d’éléments de preuve documentaire n’est pas une exigence de la loi, comme l’a mentionné la juge Campbell dans l’affaire ACSIS EHR, le fait de ne pas fournir de tels éléments de preuve documentaire peut poser un risque :

Je ne veux pas laisser entendre par là que les contribuables ne devraient pas se soucier de tenir des dossiers détaillés. Une preuve documentaire détaillée est toujours préférable, et chaque cas est différent en ce qui concerne l'appréciation qui est faite de la preuve. Les contribuables qui se présentent devant la Cour sans avoir les documents nécessaires auront toujours l'obligation peu enviable de persuader la Cour qu'une enquête systématique a été effectuée [34] .

[50]  La déclaration précédente s’appuie sur le fondement énoncé par le juge Archambault dans l’affaire 116736 Canada (précitée) et par le juge Robertson dans l’affaire RIS‑Christie (voir la citation ci-dessous) :

Bien que les preuves testimoniales soient admissibles au même titre que les preuves documentaires à cet égard, le seul moyen infaillible d'établir que la recherche scientifique a été effectuée de façon systématique consiste à produire des preuves documentaires qui font ressortir la progression logique entre chaque essai et les essais précédents ou subséquents [35] .

L’omission de JTR de fournir des notes, des esquisses, des dessins et d’autres documents préparés durant ses expériences nuit à sa capacité de montrer qu’elle a entrepris de la recherche scientifique ou du développement expérimental de manière systématique.

a)Projet de rideau pare-flammes

[51]  À l’audience, M. Marineau a expliqué que, lorsque les chercheurs de JTR travaillaient sur le projet de rideau pare-flammes, ils n’ont pas conservé de notes d’esquisses, de dessins ou d’autres documents qu’ils ont pu préparer durant le processus d’expérimentation. Il a expliqué que, après avoir déterminé qu’une conception donnée ne fonctionnait pas, ils jetaient les plans de cette conception pour s’assurer qu’aucune personne de l’organisation ne pouvait concevoir la même chose. Durant le contre-interrogatoire, M. Marineau a déclaré que, puisque les chercheurs de JTR changeaient des variables dans le cadre de leurs travaux sur le projet de rideau pare-flammes, ils n’ont conservé aucun compte rendu des changements apportés aux variables et des résultats subséquents. Les documents accessibles pour l’audience, c’est‑à‑dire les résumés d’expériences qui ont été déposés sous la cote A‑1, ont été préparés par Sheldon quelque temps après la réalisation des expériences.

b) Projet de commutation vers le fonctionnement manuel

[52]  À l’audience, M. Marineau a reconnu que JTR n’avait pas conservé de documents concernant le projet de commutation vers le fonctionnement manuel. Les résumés d’expériences de ce projet (c’est‑à‑dire la pièce A‑4) ont été préparés par Sheldon quelque temps après la réalisation des expériences.

C. Fardeau de la preuve

[53]  Il incombait à JTR de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les activités entreprises dans le cadre du projet de rideau pare-flammes et du projet de commutation vers le fonctionnement manuel constituaient des activités de RS&DE [36] . Même si je reconnais que les activités entreprises par JTR étaient innovatrices et créatives [37] , JTR a omis de présenter des éléments de preuve suffisants pour établir que ces activités ne constituaient pas des études techniques courantes, qu’il y avait une incertitude technologique relativement au projet de rideau pare-flammes et au projet de commutation vers le fonctionnement manuel, que la méthode scientifique a été suivie et que des progrès technologiques ont été réalisés pour chacun des projets.

V. CONCLUSION

[54]  Pour les motifs énoncés plus haut, les appels de JTR concernant le projet de rideau pare-flammes et le projet de commutation vers le fonctionnement manuel sont rejetés.

[55]  Aucuns dépens ne sont adjugés.

Signé à Edmonton (Alberta) ce 17e jour de janvier 2017.

« Don R. Sommerfeldt »




[14]   C.W. Agencies Inc. c La Reine, [2000] 4 CTC 2272, 2000 DTC 2372 (CCI), par. 23; confirmé (CAF), précité à la note 3.

[15]   Advanced Agricultural Testing Inc. c La Reine, 2009 CCI 190, par. 30-31.

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