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Dossier : 2014-2389(IT)G

ENTRE :

101139810 SASKATCHEWAN LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de 101139807 Saskatchewan Ltd. (2014-2391(IT)G),
le 22 juin 2016, à Regina (Saskatchewan).

Devant : L’honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me David Chodikoff et
Me Graham Purse

Avocate de l’intimée :

Me Suzanie Chua

 

JUGEMENT

L’appel relatif à la nouvelle cotisation datée du 10 avril 2014, établie sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.


Signé à Québec (Québec), ce 26e jour de janvier 2017.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Dossier : 2014-2391(IT)G

ENTRE :

101139807 SASKATCHEWAN LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de 101139810 Saskatchewan Ltd. (2014-2389(IT)G),
le 22 juin 2016, à Regina (Saskatchewan).

Devant : L’honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me David Chodikoff et
Me Graham Purse

Avocate de l’intimée :

Me Suzanie Chua

 

JUGEMENT

L’appel relatif à la nouvelle cotisation datée du 10 avril 2014, établie sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.


Signé à Québec (Québec), ce 26e jour de janvier 2017.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 3

Date : 20170126

Dossiers : 2014-2389(IT)G

2014-2391(IT)G

ENTRE :

101139810 SASKATCHEWAN LTD.,

101139807 SASKATCHEWAN LTD.,

 

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]  Les appelantes, 101139810 Saskatchewan Ltd. (« 810 ») et 101139807 Saskatchewan Ltd. (« 807 »), ont fait l’objet de nouvelles cotisations en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (la « Loi »), relativement à des dividendes qu’elles ont reçus dans le cadre d’une série d’opérations conçues pour dépouiller des surplus de société, avec report d’impôt, avant une vente d’actions dans des conditions de pleine concurrence.

[2]  Par la voie de nouvelles cotisations datées du 10 avril 2014, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a requalifié en tant que gains en capital, pour chacune des appelantes, les dividendes réputés qu’elles avaient reçus pour l’année d’imposition 2009 prenant fin le 1er avril 2009. Chacune d’elles s’est ainsi vu imposer un gain en capital de 1 299 999 $, en tenant pour acquis que la juste valeur marchande de 34 actions de 101008231 Saskatchewan Ltd. (« 8231 ») qu’elles détenaient était de 1 300 000 $, comme elles l’avaient déclaré.

[3]  Les appels que les appelantes ont interjetés ont été entendus sur preuve commune. Les avocats des appelantes ont appelé un témoin, M. Case, l’unique actionnaire des appelantes, et l’avocate de l’intimée a elle aussi appelé un témoin, Mary-Lou Saccary, la vérificatrice de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

LES FAITS

[4]  Les faits, non contestés, ont été présentés au moyen d’un exposé conjoint des faits, dont le texte est le suivant :

[TRADUCTION]
Les parties, par l’intermédiaire de leurs avocats respectifs, conviennent, aux seules fins du présent appel ainsi que de tout appel en résultant, que les faits exposés ci-après sont véridiques et que les documents contenus dans le recueil conjoint de documents sont une copie exacte de documents authentiques. Il est loisible aux parties de formuler des observations sur le degré de pertinence ou le poids à accorder à ces faits et à ces documents et il n’y a pas lieu de considérer qu’elles y souscrivent. Il leur est loisible aussi de chercher à présenter en preuve au procès des faits supplémentaires, mais ceux-ci ne peuvent être incompatibles avec ceux qui sont exposés dans les présentes, sauf accord entre les parties. La présente entente ne liera les parties dans aucune autre action.

  1. Century Sound & Music Ltd. (« CSM ») a été constituée en société en 1961 et a plus tard changé de nom pour « Audio Warehouse Ltd ».

  2. CSM vendait du matériel audio et électronique à des détaillants et à des grossistes. L’actionnaire initial de CSM était le beau-père de M. Blair Case. À la suite de cadeaux et d’acquisitions faits au fil du temps, en juin 2001, M. Case en était venu à posséder 33,33 % ou 34 actions de CSM.

  3. M. Brian Melby et M. Don Rae ont chacun travaillé pour CSM avant d’en devenir copropriétaires, avec M. Case.

  4. Le 17 mai 2000, 101008231 Saskatchewan Ltd. (« 8231 ») a été constituée en société, et M. Case en était l’unique actionnaire.

  5. Le 30 juin 2001 ou vers cette date, M. Case a transféré 34 actions de CSM à 8231 sous le régime du paragraphe 85(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et a reçu un billet à ordre de 560 999 $ ainsi que 100 actions ordinaires de 8231.

  6. Aussitôt après l’opération conclue sous le régime du paragraphe 85(1) avec 8231, M. Case possédait 101 actions ordinaires de 8231.

  7. M. Case et 8231 ont déclaré l’opération relative aux 34 actions de CSM comme suit : la juste valeur marchande était de 561 000 $, le prix de base rajusté était de 350 000 $ et la somme convenue aux fins du paragraphe 85(1) de la Loi était de 561 000 $.

  8. Dans l’année d’imposition 2001, M. Case a déclaré des gains en capital de 211 000 $ et il s’est prévalu d’une déduction pour gains en capital de 101 953 $ à l’égard de l’opération conclue le 30 juin 2001 avec 8231.

  9. À la fin de 2008, MM. Case, Melby et Rae détenaient chacun, indirectement par l’entremise de leurs sociétés de portefeuille, une part de 33,33 % ou 34 actions de CSM.

  10. Chacun des actionnaires s’occupait d’aspects différents des activités de CSM, et le chiffre d’affaires brut était d’environ 29 millions de dollars. Toutefois, MM. Case, Melby et Rae ne s’entendaient pas sur l’orientation commerciale future de CSM et, à l’automne de 2008, M. Case a décidé de se départir entièrement de son droit de propriété afférent à CSM. Il a entamé des négociations avec MM. Melby et Rae en vue de leur vendre, à parts égales, sa part indirecte d’un tiers.

  11. Pour déterminer le prix de vente de libre concurrence de la participation indirecte de M. Case dans CSM, Grant Thornton et Virtus Group ont été invités à fournir une évaluation estimative de CSM. Les rapports d’évaluation ont fixé la valeur de CSM à un montant se situant entre 7 420 000 $ et 7 970 000 $, et MM. Case, Melby et Rae ont accepté que la juste valeur marchande des 34 actions de CSM que détenait 8231 s’élevait à 2 600 000 $.

  12. Les actions émises et en circulation du capital de CSM, immédiatement avant le 6 mars 2009, étaient les suivantes :

    • a) 101006523 Saskatchewan Ltd. (« 6523 ») – 34 actions ordinaires de catégorie A;

    • b) 101008331 Saskatchewan Ltd. (« 8331 ») – 34 actions ordinaires de catégorie A;

    • c) 8231 – 34 actions ordinaires de catégorie A.

    • a) 101139810 Saskatchewan Ltd. (« 9810 ») et 101139807 Saskatchewan Ltd. (« 9807 ») ont toutes deux été constituées en société le 6 mars 2009 par M. Case à titre d’unique actionnaire.

    • b) 9810 et 9807 ont été constituées en société uniquement pour la réorganisation d’entreprise qui était effectuée afin que M. Case se départisse de ses actions de CSM en faveur des deux actionnaires restants.

    • c) Le 6 mars 2009 ou vers cette date, M. Case a transféré 34 actions ordinaires de 8231 à 9807 sous le régime du paragraphe 85(1) de la Loi et il a reçu une action ordinaire de catégorie C de 9807. M. Case et 9807 ont déclaré les opérations relatives aux 34 actions ordinaires de 8231 comme suit : la juste valeur marchande était de 1 300 000 $, le prix de base rajusté était de 1 $ et la somme convenue aux fins du paragraphe 85(1) de la Loi était de 1 $.

  13. 8331 était la propriété exclusive de M. Rae, et 6523 était la propriété exclusive de M. Melby.

  14. MM. Case, Melby et Rae n’avaient entre eux aucun lien.

  15. Avant la vente ultime de 34 actions de CSM à MM. Melby et Rae, 8231 détenait d’autres éléments d’actif dont la juste valeur marchande s’élevait en tout à 1 261 764 $, en plus des 34 actions de CSM.

  16. En prévision de la vente de la part indirecte de 33,33 % de CSM que détenait M. Case, vente effectuée en parts égales aux actionnaires restants, les parties ont obtenu les conseils fiscaux d’un cabinet comptable appelé Rotelick & Associates.

  17. Les conseils fiscaux de Rotelick & Associates étaient axés sur la minimisation de l’impôt que M. Case avait à payer, dans les limites prévues par la loi telles que ce cabinet les entendait, sur les opérations de vente conclues avec les sociétés de portefeuille de M. Melby et de M. Rae.

  18. À la suite des conseils fiscaux de Rotelick & Associates, un certain nombre d’opérations de réorganisation d’entreprise ont eu lieu juste avant la vente ultime de 17 actions de CSM à chacune des sociétés de portefeuille de M. Rae et de M. Melby, comme suit :

    • e) Le 6 mars 2009 ou vers cette date, M. Case a échangé une action de catégorie C de 9810 contre 120 actions ordinaires de catégorie A de 9810 sous le régime du paragraphe 86(1) de la Loi, et la juste valeur marchande et le prix de base rajusté de cette action de catégorie C étaient de 1 300 000 $ et de 1 $, respectivement.

    • f) Le 6 mars 2009 ou vers cette date, M. Case a échangé une action de catégorie C de 9807 contre 120 actions ordinaires de catégorie A de 9807 sous le régime du paragraphe 86(1) de la Loi, et la juste valeur marchande et le prix de base rajusté de cette action de catégorie C étaient de 1 300 000 $ et de 1 $, respectivement.

    • g) Le 7 mars 2009 ou vers cette date, 8231 a transféré 17 actions ordinaires de catégorie A de CSM à 9810 sous le régime du paragraphe 85(1) de la Loi et elle a reçu 17 actions rachetables de catégorie B de 9810.

    • h) 9231 et 9810 ont déclaré l’opération relative aux 17 actions de catégorie A de CSM comme suit : la juste valeur marchande était de 1 300 000 $, le prix de base rajusté était de 280 500 $ et la somme convenue aux fins du paragraphe 85(1) de la Loi était de 280 500 $.

    • i) Le 7 mars 2009 ou vers cette date, 8231 a transféré 17 actions ordinaires de catégorie A de CSM à 9807 en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi et elle a reçu 17 actions rachetables de catégorie B de 9807.

    • j) 8231 et 9807 ont déclaré l’opération relative aux 17 actions de catégorie A de CSM comme suit : la juste valeur marchande était de 1 300 000 $, le prix de base rajusté était de 280 500 $, et la somme convenue en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi était de 280 500 $.

    • k) La valeur de rachat des 17 actions de catégorie B de 9810 et de 9807 était, respectivement, de 1 300 000 $.

    • l) Le 8 mars 2009, 9810 a racheté 17 actions de catégorie B du capital de 9810 que détenait 8231 au prix de rachat de 1 300 000 $ et elle a émis à 8231 un billet à ordre de 1 300 000 $, payable sur demande, créant ainsi en faveur de 8231 un dividende réputé d’une valeur de 1 299 999 $.

    • m) 8231 a déclaré aux fins de l’impôt le dividende réputé découlant du rachat des 17 actions de catégorie B de 9810 qu’elle détenait à titre de dividende imposable reçu de 1 019 500 $ et elle a réclamé une déduction pour dividendes de 1 019 500 $.

    • n) Le 8 mars 2009, 9807 a racheté 17 actions de catégorie B du capital de 9807 que détenait 8231 au prix de rachat de 1 300 000 $ et elle a émis à 8231 un billet à ordre de 1 300 000 $, payable sur demande, créant ainsi en faveur de 8231 un dividende réputé d’une valeur de 1 299 999 $.

    • o) 8231 a déclaré aux fins de l’impôt le dividende réputé découlant du rachat des 17 actions de catégorie B de 9807 qu’elle détenait à titre de dividende imposable reçu de 1 019 500 $ et elle a réclamé une déduction pour dividendes de 1 019 500 $.

    • p) Le 9 mars 2009, 8231 a racheté 34 actions de catégorie A du capital de 8231 que détenait 9807 au prix de rachat de 1 300 000 $ et elle a émis à 9807 un billet à ordre de 1 300 000 $, payable sur demande. Le rachat a donné lieu à un dividende réputé en faveur de 9807 de 1 299 999 $.

    • q) 9807 a déclaré aux fins de l’impôt le dividende réputé découlant du rachat des 34 actions de catégorie A de 8231 qu’elle détenait à titre de dividende imposable reçu de 1 300 000 $ et elle a réclamé une déduction pour dividende de 1 300 000 $.

    • r) Le 9 mars 2009, 8231 a racheté 34 actions de catégorie A du capital de 8231 que détenait 9810 au prix de rachat de 1 300 000 $ et elle a émis à 9810 un billet à ordre de 1 300 000 $, payable sur demande. Le rachat a donné lieu à un dividende réputé en faveur de 9810 d’une valeur de 1 299 999 $.

    • s) 9810 a déclaré aux fins de l’impôt le dividende réputé découlant du rachat des 34 actions de catégorie A de 8231 qu’elle détenait à titre de dividende imposable reçu de 1 300 000 $ et elle a demandé une déduction pour dividendes de 1 300 000 $.

    • t) Le 9 mars 2009 ou vers cette date, 8231 et 9810 ont compensé chacune le billet à ordre de 1 300 000 $ que l’une avait émis à l’autre.

    • u) Le 9 mars ou vers cette date, 8231 et 9807 ont compensé chacune le billet à ordre de 1 300 000 $ que l’une avait émis à l’autre.

    • v) À l’issue de la réorganisation décrite ci-dessus, M. Case possédait 100 % de 8231, 100 % de 9807 (qui détenait 17 actions du capital de CSM) et 100 % de 9810 (qui détenait 17 actions du capital de CSM), et pendant toutes les étapes de la réorganisation susmentionnées, il a détenu, directement ou indirectement, 34 actions du capital de CSM.

    Le 1er avril 2009 ou vers cette date, M. Case a disposé de 120 actions ordinaires de catégorie A de 9810 en faveur de 8331 au prix de 1 300 000 $, ainsi que de 120 actions ordinaires de catégorie A de 9807 en faveur de 6523, au prix de 1 300 000 $.

    20.  Pour ce qui est de la vente de 9810 et de 9807, M. Case a déclaré dans l’année d’imposition 2009 :

    a)  des gains en capital de 2 599 998 $;

    b)  une réserve pour gains en capital de 1 038 689 $;

    c)  une déduction pour gains en capital de 238 529 $, qui utilisait pleinement sa déduction à vie pour gains en capital.

    [5]  Le 5 avril 2012, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’endroit de 8231, la société de portefeuille de M. Case, mais, le 19 juillet 2013 ou vers cette date, il l’a annulée.

    [6]  Comme il est indiqué au paragraphe 15 des avis d’appel, les présents appels ont trait aux montants qui s’appliquent après que les appelantes et l’ARC ont convenu du calcul du « revenu protégé » et d’autres rajustements.

    LES QUESTIONS EN LITIGE

    [7]  Les principales questions qui sont en litige en l’espèce sont les suivantes :

    a)  Est-ce que le paragraphe 55(2) s’applique de manière à ce que les dividendes réputés que les appelantes ont reçus quand 8231 a racheté les actions doivent être requalifiés en tant que gains en capital? Une préoccupation sous-jacente dans les présents appels est le fait que l’application du paragraphe 55(2) donne lieu à une double ou à une triple imposition.

    b)  Est-ce que les appelantes ont droit à la désignation que prévoit l’alinéa 55(5)f)?

    LA THÈSE DES PARTIES

    [8]  Les appelantes contestent la décision du ministre pour les raisons suivantes :

    a)  si l’on considère les opérations dans leur ensemble, y compris les gains en capital réalisés par l’unique actionnaire de chacune des appelantes, M. Blair Case, il n’y a pas eu de diminution sensible de la partie des gains en capital, ainsi que l’exige le paragraphe 55(2);

    b)  l’intention législative qui sous-tend le paragraphe 55(2) n’est pas de multiplier l’obligation fiscale;

    c)  le paragraphe 55(2) est une disposition anti-évitement et il n’est pas analogue à une pénalité, de sorte qu’il n’est pas destiné à conférer aux autorités fiscales un pouvoir discrétionnaire administratif;

    d)  l’approche du ministre fait abstraction de la substance économique et de la réalité commerciale des opérations en cause;

    e)  le refus du ministre d’autoriser la désignation prévue à l’alinéa 55(5)f) de la Loi est contraire à l’intention du paragraphe 55(2).

    [9]  L’intimée fait valoir ce qui suit :

    a)  la Loi s’applique à toute personne résidant au Canada et rien au paragraphe 55(2), au paragraphe 84(3) et dans la définition du terme « disposition » qui figure au paragraphe 248(1) de la Loi n’autorise un allègement fiscal fondé sur de prétendues opérations « liées », par exemple lorsqu’une personne liée a déclaré une obligation fiscale découlant de la propriété antérieure des mêmes actions (revenu de dividende, gain tiré d’une disposition, etc.). Le préambule du paragraphe 55(2) est explicite. Cette disposition s’applique dans les cas où une société résidant au Canada a reçu un dividende imposable. Au vu des faits relatifs aux opérations déclarées par les parties, le ministre a appliqué correctement le paragraphe 55(2) aux appelantes;

    b)  à aucun moment les appelantes n’ont désigné, aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi, toute fraction du dividende imposable de 1 299 999 $ comme étant un dividende distinct. Cela étant, le ministre ne peut admettre qu’une fraction du dividende imposable constituait un dividende distinct. En conséquence, le paragraphe 55(2) s’appliquait à la totalité du dividende que le ministre, dans sa cotisation, a sous-estimé de 564 246 $, mais ce dernier n’interjette pas appel de sa propre nouvelle cotisation.

    LE DROIT APPLICABLE

    [10]  Les nouvelles cotisations du ministre sont fondées sur le paragraphe 55(2) de la Loi qui, à l’époque pertinente, était libellé comme suit :

    Dans le cas où une société résidant au Canada a reçu un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction en vertu des paragraphes 112(1) ou (2) ou 138(6) dans le cadre d’une opération, d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements dont l’un des objets (ou, dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l’un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande immédiatement avant le dividende et qu’il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose qu’un revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant le moment de détermination du revenu protégé quant à l’opération, à l’événement ou à la série, malgré tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l’exclusion de la partie de celui-ci qui est assujettie à l’impôt en vertu de la partie IV qui n’est pas remboursé en raison du paiement d’un dividende à une société lorsqu’un tel paiement fait partie de la série) :

    a)  est réputé ne pas être un dividende reçu par la société;

    b)  lorsqu’une société a disposé de l’action, est réputé être le produit de disposition de l’action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit;

    c)  lorsqu’une société n’a pas disposé de l’action, est réputé être un gain de la société pour l’année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d’une immobilisation.

    [11]  Le paragraphe 55(2) de la Loi est une disposition anti-évitement qui a été introduite dans le budget fédéral de 1979. Il visait les arrangements conçus pour utiliser l’exemption relative aux dividendes intersociétés de façon à réduire indûment un gain en capital sur la vente d’actions. Il traite les dividendes acquis dans ces situations soit comme le produit de la vente d’actions, soit comme des gains en capital, et non comme des dividendes reçus par la société.

    [12]  Le paragraphe 55(2) de la Loi s’applique quand les conditions suivantes sont réunies :

    a)  la contribuable est une société résidant au Canada;

    b)  la contribuable a reçu un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction aux termes des paragraphes 112(1) ou (2);

    c)  le dividende a été reçu dans le cadre d’une opération ou d’une série d’opérations, ce qui est réputé par le paragraphe 248(10) de la Loi inclure toute opération ou tout événement effectué en prévision de la série;

    d)  si une société a déclaré et payé les dividendes, l’un des objets du dividende était de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors de la disposition d’une action à sa juste valeur marchande; ou

    dans le cas de dividendes réputés aux termes du paragraphe 84(3) de la Loi, ce qui est le cas dans les présents appels, si le résultat (et non l’objet) du dividende était de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende réputé, aurait été réalisé lors de la disposition d’une action à la juste valeur marchande.

    [13]  En général, il existe trois exceptions au paragraphe 55(2). La première est incluse dans la disposition d’application et elle vise les situations où le dividende peut être raisonnablement attribuable à quelque chose d’autre qu’un revenu gagné ou réalisé par une société quelconque après 1971 (c’est ce qu’on appelle habituellement le dividende correspondant au « revenu protégé »). Le revenu protégé est protégé de l’application du paragraphe 55(2), parce qu’il a été assujetti à l’impôt sur le revenu des sociétés et qu’il devrait donc être possible de le payer sous la forme d’un dividende libre d’impôt à d’autres sociétés canadiennes (Notes explicatives concernant l’impôt sur le revenu, publiées en décembre 1997 par le ministère des Finances, à la page 184).

    [14]  Le paragraphe 55(3) de la Loi énonce les circonstances dans lesquelles le paragraphe 55(2) ne s’applique pas aux dividendes. Aux termes de l’alinéa 55(3)a), le paragraphe 55(2) ne s’applique pas aux dividendes reçus dans le cadre de certaines opérations conclues avec des parties liées à condition qu’il n’y ait pas eu, à un moment quelconque, une disposition de biens ou une augmentation sensible de la participation directe totale dans une société, et ce, dans les circonstances décrites aux sous-alinéas 55(3)a)(i) à (v). L’alinéa 55(3)b) comporte une exception à l’égard des dividendes reçus dans le cadre de certaines organisations d’entreprise dans les cas où, de façon générale, l’objectif consiste à distribuer des biens au prorata entre les sociétés actionnaires d’une société, avec report d’impôt, ce que l’on appelle habituellement une réorganisation visant à partager l’entreprise ou une réorganisation de type « papillon ». Aucune des exceptions mentionnées au paragraphe 55(3) ne s’applique en l’espèce.

    [15]  Les appelantes font valoir que le fait de refuser toute désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) serait contraire à l’intention du paragraphe 55(2). Plus précisément, l’alinéa 55(5)f) indique ce qui suit :

    (5) Règles applicables – Pour l’application du présent article : [...]

    f)  lorsqu’une société a reçu un dividende dont une partie est un dividende imposable :

    i)  la société peut désigner dans sa déclaration de revenu produite en vertu de la présente partie, pour l’année d’imposition au cours de laquelle le dividende a été reçu, toute fraction du dividende imposable comme étant un dividende imposable distinct,

    ii)  le montant de l’excédent du dividende qui est imposable sur la partie désignée en vertu du sous-alinéa (i) est réputé être un dividende imposable distinct.

    [16]  En général, l’alinéa 55(5)f) permet à une société qui a reçu un dividende de le scinder en deux dividendes imposables distincts. La désignation se fait habituellement dans la déclaration de la contribuable pour l’année d’imposition au cours de laquelle le dividende en question a été reçu.

    ANALYSE

    [17]  Il incombe aux appelantes de démontrer que le paragraphe 55(2) de la Loi ne s’applique pas. Dans l’arrêt Canada c. Brelco Drilling Ltd.,  [1999] 4 CF 35, [1999] 3 CTC 95, 99 DTC 5253 (CAF), le juge Linden, s’exprimant au nom de la majorité, a clairement appliqué cette règle :

    C’est au contribuable qui souhaite ne pas se voir appliquer le paragraphe 55(2) qu’il incombe « d’établir que le paragraphe 55(2) de la Loi ne s’applique pas ».

    [18]  Dans les présents appels, nul ne conteste que les appelantes sont des sociétés résidant au Canada et que chacune d’elles a reçu de 8231 un dividende imposable par suite du rachat d’actions au titre du paragraphe 84(3) de la Loi, rachat à l’égard duquel chacune était en droit de demander une déduction aux termes du paragraphe 112(1).

    [19]  Les appelantes ont reçu les dividendes réputés dans le cadre d’une série d’opérations qui ont débuté par la réorganisation du capital de 8231 et qui se sont soldées par la vente des actions des appelantes, par M. Case, à 101008331 Saskatchewan Ltd. (« 8331 ») et à 101006523 Saskatchewan Ltd. (« 6523 »), chacune de ces sociétés appartenant à des personnes non liées à M. Case. Il n’est pas contesté qu’il s’agissait d’une série d’opérations et les appelantes n’ont pas fait valoir que les dividendes tombent sous le coup d’une exception prévue au paragraphe 55(3).

    [20]  Il est donc nécessaire de déterminer si les opérations répondent aux autres exigences énoncées au paragraphe 55(2). Plus précisément, l’important en l’espèce est de savoir si les dividendes réputés ont eu pour résultat de diminuer sensiblement la partie des gains en capital qui, sans les dividendes, aurait été réalisée lors d’une disposition à la juste valeur marchande.

    [21]  Comme il est établi dans l’analyse qui suit, à mon avis le paragraphe 55(2) s’applique aux dividendes réputés que les appelantes ont reçus.

    A. Le dividende réputé a-t-il eu pour résultat, notamment, de diminuer sensiblement le gain en capital?

    [22]  Les appelantes sont d’avis que, pour déterminer s’il y a eu diminution sensible du gain en capital ou non, il est nécessaire de considérer les opérations dans leur intégralité, et non séparément. Plus précisément, elles soutiennent qu’étant donné que M. Case a déclaré personnellement les gains en capital découlant de la vente de ses actions des appelantes à 8331 et à 6523, il n’y a pas eu de diminution sensible et, de plus, il n’y a pas eu d’évitement de la « plus-value non réalisée » en recourant à des dividendes intersociétés. Les appelantes ont proposé à la Cour d’apporter une modification à la partie réalisant le gain en capital.

    [23]  Les appelantes se fondent sur la décision de la Cour canadienne de l’impôt 729658 Alberta Ltd c. La Reine, 2004 CCI 474, 2004 DTC 2909, à l’appui de la thèse selon laquelle l’approche qu’il convient de suivre consiste à examiner l’ensemble des gains en capital qui ont été déclarés à l’égard de la série d’opérations.

    [24]  De plus, elles soutiennent qu’il n’y a pas eu atteinte à l’objectif qui sous-tend le paragraphe 55(2), tel que décrit dans la décision Nassau Walnut Investments Inc. c. Canada, [1995] ACI no 288 (QL), [1995] 2 CTC 2057, 1995 CarswellNat 444 (CCI), confirmée par [1998] 1 CTC 33, [1997] 2 CF 279 (CAF). Dans la décision Nassau Walnut, la Cour canadienne de l’impôt a déclaré, au paragraphe 12, que le paragraphe 55(2) a été adopté pour :

    [...] empêch[er] les contribuables d’éviter de payer de l’impôt sur les gains en capital lorsqu’ils se prévalent des paragraphes 84(3) et 112(1), qui leur permettent de recevoir un dividende en franchise d’impôt au lieu d’un produit de la disposition d’actions.

    [Non souligné dans l’original.]

    [25]  Les appelantes sont d’avis que les dividendes intersociétés qui ont été transférés de 8231 aux appelantes l’ont été de pair avec le produit de la disposition plutôt qu’au lieu de celui-ci, de sorte qu’il n’y a pas eu d’évitement de l’impôt sur les gains en capital.

    [26]  À mon avis, il ressort clairement d’une lecture simple et ordinaire du paragraphe 55(2) que cette disposition est conçue pour s’appliquer à une société et non à un particulier détenteur d’actions et que, de ce fait, les gains en capital que M. Case a réalisés ne sont pas pertinents dans l’analyse. De plus, je ne souscris pas à l’approche que proposent les appelantes, à savoir qu’il faut examiner les opérations dans leur intégralité pour déterminer si un dividende réputé a eu pour résultat de diminuer les gains en capital, car cela va au-delà du libellé de la disposition. Souscrire à l’approche des appelantes reviendrait à faire abstraction de la diminution du gain en capital fictif par suite d’un dividende réputé aux termes du paragraphe 84(3), ce qui est contraire au libellé du paragraphe 55(2).

    [27]  De plus, l’argument des appelantes ne concorde pas avec les considérations d’ordre public explicites qui sous-tendent le paragraphe 55(2). Comme nous le verrons plus loin, les opérations tombent sous le coup des arrangements que le législateur a voulu éviter en adoptant le paragraphe 55(2).

    (i) Le sens simple et ordinaire du paragraphe 55(2)

    [28]  Pour déterminer le sens du paragraphe 55(2), il convient d’examiner les principes d’interprétation législative qui s’appliquent aux lois fiscales.

    [29]  Depuis l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 RCS 536 (CSC), l’approche stricte n’est plus considérée comme valable pour ce qui est de l’interprétation des lois fiscales, et c’est l’approche moderne, qui requiert une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, qui prévaut.

    [30]  Compte tenu de la nature particulière des lois fiscales, et dans l’optique de permettre aux contribuables de se fier en toute sécurité au libellé des dispositions lorsqu’ils administrent leurs affaires fiscales, les tribunaux ont déclaré qu’il est nécessaire de mettre en balance l’approche moderne avec un examen attentif du libellé proprement dit de la Loi. Ainsi que l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601, au paragraphe 10 :

    Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » [...] L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

    [Non souligné dans l’original]

    [31]  Comme l’a déclaré la juge Lamarre (avant d’être nommée juge en chef adjointe) dans la décision Ottawa Air Cargo Centre Ltd. c. La Reine, 2007 CCI 193, [2007] 3 CTC 2577, au paragraphe 14, décision confirmée par 2008 CAF 54, l’approche moderne n’est pas une « autorisation à réécrire la loi » et « la magistrature ne doit pas usurper le rôle du législateur ».

    [32]  Les tribunaux ont déclaré que l’article 55 est une disposition complexe et ils ont conclu que certains passages du paragraphe 55(2) manquent de clarté et sont ambigus (voir la décision D & D Livestock Ltd. c. La Reine, 2013 CCI 318, 2013 DTC 1251, au paragraphe 26, ainsi que l’arrêt Lamont Management Ltd. c. Canada, [2000] 3 CF 508, [2000] 54 DTC 6256 (CAF), au paragraphe 20). Dans l’arrêt Brelco Drilling Ltd., précité, une affaire dans laquelle le calcul du revenu protégé disponible était en litige, la Cour d’appel fédérale a écrit, au paragraphe 30, que le libellé du paragraphe 55(2) est difficile à comprendre.

    [33]  Des passages de l’article 55 sont effectivement complexes et ambigus, mais si l’on applique les faits de l’espèce au passage suivant : « […] l’un des résultats […] a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande immédiatement avant le dividende […] », il n’y a pas d’ambiguïté. Comme l’a indiqué le juge Robertson dans l’arrêt Placer Dome Inc. c. Canada, [1996] ACF no 1435 (QL), [1997] 1 CTC 72, l’objet visé ne peut remplacer un texte législatif clair. Je privilégie donc la thèse de l’intimée selon laquelle le texte de la disposition devrait prévaloir.

    [34]  La question découlant du paragraphe 55(2) consiste à savoir si un dividende visé au paragraphe 84(3) qu’une société a reçu a pour résultat de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende réputé, aurait été réalisée lors d’une disposition à sa juste valeur marchande immédiatement avant le dividende.

    [35]  Conformément à l’arrêt Placer Dome Inc., précité, il est clair que le critère de l’« objet » dont il est question au paragraphe 55(2) requiert une compréhension subjective, tandis que le critère des « résultats », au paragraphe 23, requiert une approche objective.

    [36]  Si l’on examine le libellé de la disposition, il est possible d’inférer des premiers mots de cette dernière, « [d]ans le cas où une société résidant au Canada […] », que le gain en capital auquel il est fait ensuite référence dans la disposition d’application doit être déterminé en fonction de la société résidant au Canada qui a reçu le dividende. Il n’est pas fait mention d’un particulier dans la disposition.

    [37]  Quoi qu’il en soit, je souscris à la thèse de l’intimée selon laquelle les appelantes et M. Case ne sont pas le même contribuable pour l’application du paragraphe 55(2). Ce dernier commence par les mots « une société » et, ensuite, à l’alinéa a), il indique : « est réputé ne pas être un dividende reçu par la société ». Je suis d’avis que ce choix de mots étaye l’interprétation selon laquelle on ne peut utiliser une autre entité à la place de la société pour les besoins de l’analyse fondée sur le paragraphe 55(2).

    [38]  Par ailleurs, l’emploi des mots « aurait été réalisée lors d’une disposition » donne à penser que la disposition fait référence à un gain en capital hypothétique de la société qui a reçu un dividende. Autrement dit, le paragraphe 55(2) demande : si la société avait vendu des actions avant d’avoir reçu le dividende, quel aurait été le montant du gain en capital? Ce gain en capital est le point de départ de la comparaison.

    [39]  C’est là une interprétation que confirme la jurisprudence. Dans l’arrêt Canada c. Kruco Inc., 2003 CAF 284, [2003] ACF no 1012 (QL), au paragraphe 35, la Cour d’appel fédérale a traité des méthodes que le législateur a prises en considération afin d’éviter d’avoir à payer de l’impôt sur la plus-value non réalisée des éléments d’actif sous-jacents d’une société en recourant à des dividendes intersociétés libres d’impôt :

    Le Parlement a opté pour une méthode plus ciblée et moins encombrante. Le paragraphe 55(2) prévoit (lu de pair avec l’alinéa 55(5)f)), en effet, que lorsqu’un dividende (versé ou réputé) a [entraîné] une réduction substantielle du gain en capital qu’aurait produit une vente fictive des actions à leur juste valeur marchande, et lorsque ce gain peut être raisonnablement attribué à autre chose qu’un « revenu gagné ou réalisé » après 1971, le dividende est réputé être un gain en capital pour ce qui concerne la proportion ainsi attribuée. Théoriquement, cette méthode permet de dégager l’impôt applicable à la portion du gain fictif attribuable à la plus-value des actifs sous-jacents tout en maintenant le régime d’exonération pour la partie du gain attribuable à un « revenu gagné ou réalisé » depuis 1971.

    [Non souligné dans l’original]

    [40]  L’examen ne va pas au-delà d’une vente fictive et d’un gain en capital fictif.

    [41]  Le fait que le critère de la « réduction substantielle » s’applique à un gain en capital fictif plutôt qu’à un gain réel est davantage renforcé par la spécificité du moment où le gain en capital est réalisé, comme il est énoncé au paragraphe 55(2). Plus précisément, cette disposition indique que le moment pertinent est immédiatement avant le dividende (réputé). En conséquence, le paragraphe 55(2) ne prend pas en considération les gains en capital réels que M. Case a réalisés, un événement qui est survenu après les dividendes réputés et, de ce fait, on ne peut retenir l’approche que préconisent les appelantes.

    [42]  En tenant pour acquis qu’une lecture simple du paragraphe 55(2) clôt l’analyse, il s’ensuit que cette disposition s’applique, car les dividendes réputés ont eu pour effet de diminuer sensiblement les gains en capital hypothétiques des appelantes, comme nous le verrons ci-dessous.

    [43]  On calcule un gain en capital en prenant la différence entre le produit de la disposition et le prix de base rajusté du bien en question. En faisant abstraction du dividende réputé, le gain en capital fictif de chacune des appelantes à l’égard de la disposition d’une action quelconque du capital-actions immédiatement avant le dividende aurait été de 1 299 999 $ (1 300 000 $, moins un prix de base rajusté de 1 $). Par suite de la définition du « produit de la disposition », à l’alinéa 54j), qui n’inclut pas le montant des dividendes réputés par les paragraphes 84(2) ou (3), le produit de la disposition (1 300 000 $) est réduit du montant du dividende réputé visé au paragraphe 84(3) (1 299 999 $), ce qui donne un produit de disposition de 1 $ et, au bout du compte, un gain en capital de zéro. En conséquence, le gain en capital qui aurait été réalisé est sensiblement diminué, passant de 1 299 999 $ à zéro, par suite du dividende réputé.

    [44]  Le résultat d’une lecture simple et ordinaire du paragraphe 55(2) est tel qu’il y a lieu de requalifier les dividendes réputés que les appelantes ont reçus.

    (ii) Une analyse téléologique

    [45]  Une bonne part des observations des appelantes font référence à l’intention et à l’objet du paragraphe 55(2). Les avocats des appelantes laissent entendre qu’une interprétation téléologique (ou fondée sur l’objet visé) convient mieux et que la Cour devrait donc prendre en compte les réalités commerciales et économiques des opérations. Ils soutiennent également que l’application du paragraphe 55(2) mènerait à des résultats absurdes, contraires à l’intention de la disposition.

    [46]  Un certain nombre de décisions ont tenté de décrire l’objet général du paragraphe 55(2). Il est évident qu’il s’agit d’une disposition anti-évitement qui a pour but d’éviter ce que l’on appelle habituellement un « dépouillement des gains en capital » ou la conversion de gains en capital imposables en dividendes intersociétés libres d’impôt (voir l’arrêt Placer Dome, précité, au paragraphe 1).

    [47]  De façon à éviter une double imposition au niveau de la société, la Loi prévoit que, de façon générale, les dividendes qu’une société paie à une autre sont en fait libres d’impôt sur le revenu aux termes du paragraphe 112(1) de la Loi. Sans cette disposition, la société gagnant un revenu donnant lieu à un dividende serait imposée, et la société recevant un dividende serait elle aussi imposée sur le revenu de dividende.

    [48]  Cependant, en raison de ces dividendes intersociétés libres d’impôt, il y a une incitation à payer de tels dividendes pour réduire la juste valeur marchande des actions et diminuer ainsi le gain en capital qui découlerait de la disposition des actions. Le paragraphe 55(2) est conçu pour imposer des limites à l’utilisation des dividendes intersociétés libres d’impôt afin de s’assurer que la plus-value non réalisée, depuis 1971, des éléments d’actif sous-jacents de la société ne fasse pas l’objet d’un évitement. Dans l’arrêt Lamont Management Ltd., précité, le juge Rothstein a décrit, aux paragraphes 3 et 4, le problème que le paragraphe 55(2) vise à éviter :

    3 La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que, conformément à certaines dispositions déterminées, les dividendes reçus par une société d’une autre société sont exonérés de l’impôt sur le revenu6. Cette exonération a pour but d’empêcher la double imposition au niveau de la société, c’est-à-dire une première fois entre les mains de la société qui gagne le revenu à l’origine du dividende et une seconde fois, entre les mains de la société qui reçoit un revenu sous forme de dividende.

    4 Dans les cas où la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que les dividendes versés par une société à une autre sont exonérés d’impôt, la compagnie actionnaire est incitée à toucher le gain en capital en résultant sous forme de dividendes. L’article 55 est une disposition anti-évitement qui vise à limiter le recours au versement de dividendes exonérés d’impôt entre sociétés lorsque ces dividendes seraient autrement imposables. Lorsque cette restriction s’applique, le dividende entre sociétés est réputé être, non pas un dividende, mais le produit de la disposition d’un bien ou encore un gain réalisé par la société bénéficiaire, imposable au taux applicable aux gains en capital. Toutefois, lorsque le dividende entre sociétés est imputable à un « revenu gagné ou réalisé par une corporation », la disposition anti-évitement ne s’applique pas et le dividende entre sociétés continue à être considéré comme un dividende. C’est ce qu’on appelle parfois un « revenu protégé ».

    [Non souligné dans l’original]

    [49]  La juge Lamarre Proulx, dans la décision Gestion Jean-Paul Champagne Inc. c. Canada (ministre du Revenu national) [1995] ACI no 1187 (QL), 97 DTC 155, [1996] 2 CTC 2537 (CCI), au paragraphe 51, a interprété l’intention du législateur sous un angle plus large :

    C’est sûrement une disposition qui a pour but de réglementer l’évitement fiscal et plus particulièrement une disposition qui apporte un complément à l’effet du paragraphe 84(3) de la Loi. Dans le cas de rachat de ses actions par une corporation, dans le cas où ces actions sont détenues par une autre corporation, le législateur veut éviter que tout ne devienne un dividende intercorporatif non imposable.

    [Non souligné dans l’original]

    [50]  Dans la décision 729658 Alberta Ltd, précitée, la juge Woods (alors juge de notre Cour) a exprimé l’avis que le régime législatif exposé au paragraphe 55(2) n’était pas évident et elle s’en est remise à la description du gouvernement que le juge Noël avait énoncée dans l’arrêt Kruco Inc., précité :

    Il s’agissait de s’assurer que le gain en capital inhérent aux actions d’une corporation, attribuable à une plus-value non réalisée des actifs sous-jacents de la corporation depuis 1971, ne fasse pas l’objet d’un évitement par l’utilisation des dividendes non imposables versés à une société (paragraphe 112(1)).

    Parallèlement, le Parlement ne voulait pas freiner le flux de dividendes exemptés d’impôt attribuables à des revenus déjà imposés.

    Théoriquement, cette méthode permet de dégager l’impôt applicable à la portion du gain fictif attribuable à la plus-value des actifs sous-jacents tout en maintenant le régime d’exonération pour la partie du gain attribuable à un « revenu gagné ou réalisé » depuis 1971.

    [Non souligné dans l’original]

    [51]  Dans la décision Ottawa Air, précitée, la juge Lamarre a conclu que le budget fédéral de 1979 avait clairement décrit l’objet du paragraphe 55(2) comme étant une disposition anti-évitement permettant de s’assurer qu’un gain en capital était reconnu dans la mesure de la plus-value non réalisée et non imposée, depuis 1971, des éléments d’actif sous-jacents :

    27 Le méfait que le paragraphe 55(2) vise à corriger est clairement décrit dans le budget fédéral de 1979, où cette disposition a été présentée. À cause de son importance dans ces appels, je reproduis le passage pertinent en entier :

    D’importantes dispositions seront instaurées pour clarifier et renforcer l’esprit des mesures visant à prévenir une diminution artificielle ou indue des gains en capital.

    Certains ont formulé des doutes sur la portée législative et le champ d’application de ces dispositions. Un certain nombre de régimes ont été mis en place pour permettre à une société d’extraire, avant certaines ventes d’actions, ce qui constitue essentiellement le produit de la vente sous forme de dividendes versés entre sociétés en franchise d’impôt ou de dividendes réputés versés et touchés, afin de diminuer suffisamment la valeur – ou augmenter le coût de base – des actions pour éviter l’impôt sur les gains en capital. Ces dividendes, qui dépassent souvent les gains de la société à vendre, sont habituellement motivés uniquement par le désir du vendeur d’éviter l’impôt sur les gains en capital.

    En règle générale, dans la plupart des ventes d’actions entre sociétés sans lien de dépendance – et, dans certains cas, avec lien de dépendance – un gain en capital doit apparaître au moins dans la mesure où le produit de la vente reflète la hausse non réalisée et non imposée, depuis 1971, de la valeur des actifs correspondants. Cette règle est généralement respectée quand les versements de dividendes en franchise d’impôt sont limités aux bénéfices non distribués et imposés, postérieurs à 1971.

    Des changements clarifieront l’esprit de la loi à cet égard en précisant que, lorsqu’on peut raisonnablement considérer que l’une des principales raisons d’un dividende versé en franchise d’impôt entre sociétés est de réduire le produit de la disposition d’une action, le gain en capital autrement déterminé sera rajusté dans la mesure où les dividendes globaux en franchise d’impôt dépassent les gains non distribués et imposés, postérieurs à 1971.

    [Non souligné dans l’original]

    [52]  Il ressort clairement des éléments qui précèdent que le législateur entendait restreindre les dividendes intersociétés libres d’impôt, mais uniquement dans la mesure où la plus-value non réalisée et non imposée des éléments d’actif sous-jacents était réalisée, de façon à ce que le revenu déjà imposé ne tombe pas sous le coup du paragraphe 55(2). La thèse des appelantes est axée sur cet objectif. Invoquant la décision 729658 Alberta, précitée, elles expriment l’avis que cette exception a été respectée, car M. Case a déclaré des gains en capital et que, de ce fait, la plus-value a été imposée sauf pour ce qui est du montant de la déduction pour gains en capital de 238 529 $ que M. Case a déclarée en vertu de l’article 110.6 de la Loi. 8231 n’aurait pas pu se prévaloir de cette disposition si elle avait vendu 34 actions de CSM, car la déduction pour gains en capital ne s’applique qu’aux particuliers contribuables.

    [53]  Dans la décision 729658 Alberta, précitée, les sociétés appelantes avaient fait l’objet d’une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 55(2). Dans cette affaire, dans le cadre d’une série d’opérations menant à la vente d’actions à un acheteur sans lien de dépendance, les deux appelantes avaient acheté des actions d’une société en exploitation auprès de deux particuliers actionnaires, chacun propriétaire unique de l’une des deux appelantes, en échange de billets à ordre et d’actions des appelantes sous le régime du paragraphe 85(1). Les parties avaient choisi, comme somme convenue, le montant du billet à ordre. Par suite de ces opérations, les particuliers actionnaires avaient réalisé chacun des dividendes imposables (vraisemblablement à cause de l’article 84.1). La société en exploitation avait ensuite déclaré et payé aux appelantes des dividendes imposables, à la suite de quoi ces dernières avaient vendu leurs actions respectives de la société en exploitation à un acheteur sans lien de dépendance, en échange d’une somme d’argent égale à la somme convenue. La juge Woods a conclu que le paragraphe 55(2) ne devait pas s’appliquer de manière à requalifier les dividendes au motif qu’aucun impôt n’avait été évité puisque les particuliers actionnaires avaient réalisé la plus-value sous la forme de dividendes imposables :

    Les opérations ont également entraîné le paiement d’un impôt sur la plus-value non imposée des actifs sous-jacents de Comcare. MM. Lauterstein et Nickerson ont réalisé ce revenu sous la forme de dividendes imposables. La Couronne n’a pas soutenu qu’il y avait eu fuite fiscale du fait que cet impôt était payé par MM. Lauterstein et Nickerson plutôt que par les sociétés de portefeuille ou du fait que le gain était réalisé sous la forme de dividendes plutôt que d’un gain en capital. Le montant de l’impôt qui a été payé semble donc être celui que le législateur envisageait.

    [Non souligné dans l’original]

    [54]  La juge Woods est arrivée à sa conclusion parce que la Couronne n’avait pas semblé se soucier d’une fuite fiscale, ni du fait que les appelantes avaient essentiellement changé la partie assujettie à l’impôt ou la forme sous laquelle le gain avait été réalisé (c.-à-d. des dividendes, par opposition à des gains en capital). La question se pose donc : la juge Woods serait-elle arrivée à une autre conclusion si la Couronne avait invoqué l’argument de la fuite fiscale?

    [55]  À mon avis, on ne peut appliquer à la présente affaire l’approche que la juge Woods a suivie, compte tenu de la série de faits que celle-ci comporte.

    [56]  Dans l’affaire 729658 Alberta, les particuliers contribuables avaient fait un choix prévu au paragraphe 85(1) avec leurs sociétés de portefeuille, de sorte que le produit réputé, pour eux, et les coûts réputés, pour leurs sociétés de portefeuille, des actions de la société en exploitation était la juste valeur marchande moins le revenu protégé, et l’impôt avait été payé par les auteurs du transfert visé au paragraphe 85(1) au moyen de dividendes imposables reçus, et seule une petite partie du gain accumulé, un montant égal à l’estimation du revenu protégé, avait été transférée aux sociétés de portefeuille. Le paragraphe 55(2) s’appliquait à 729658 Alberta, mais le dividende était exempté à titre de dividende correspondant au « revenu protégé » au sens de l’alinéa 55(5)f).

    [57]  Par contre, M. Case a transféré 34 actions ordinaires de 8231 à chacune des appelantes avec report d’impôt intégral sous le régime du paragraphe 85(1) et 8231 a transféré à chacune des appelantes 17 actions de CSM qui comprenaient le gain accumulé non imposé, là aussi avec report d’impôt intégral, de façon à ce que 8231 ne réalise aucun gain en capital. En conséquence, l’« impôt impayé sur la plus-value de l’actif sous-jacent » a été évité par le dividende réputé qui découlait du rachat et, comme les appelantes ont appliqué la déduction prévue à l’article 112, l’analyse visée par le paragraphe 55(2) a été déclenchée.

    [58]  L’argument des appelantes selon lequel les gains en capital n’ont pas diminué sensiblement parce que la déduction pour gains en capital demandée par M. Case était relativement minime par rapport au montant total du gain accumulé (c.-à-d. 238 529 $/2 600 000 $, ou 10 %) n’est pas pertinent : premièrement, parce que M. Case et les appelantes ne sont pas les mêmes contribuables pour les besoins de l’analyse fondée sur le paragraphe 55(2) et, deuxièmement, parce que le paragraphe 55(2) ne s’applique qu’à une société.

    [59]  Comme il a été mentionné plus tôt, il existe trois exceptions générales au paragraphe 55(2) : (i) la partie du gain en capital qu’il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable au revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant le moment de la détermination du revenu protégé quant à l’opération, à l’événement ou à la série (paragraphe 55(2)), (ii) les dividendes reçus dans certaines opérations entre parties liées (alinéa 55(3)a)), et (iii) les dividendes reçus lors de certaines réorganisations de type « papillon » (alinéa 55)(3)b)). Pour éviter l’application du paragraphe 55(2), il incombait aux appelantes de s’assurer que les dividendes réputés payés par 8231 tombaient sous le coup de l’une des exceptions prévues par la loi. Au lieu de cela, les appelantes se sont orientées directement vers une situation que le législateur voulait clairement voir tomber sous le coup du paragraphe 55(2).

    (iii) Les réalités commerciales et économiques

    [60]  Les appelantes soutiennent que l’approche suivie par le ministre est [traduction] « dissociée des réalités commerciales et de la substance économique de l’opération ». Elles citent à l’appui de leur thèse l’arrêt Cie Trust National c. H & R Block Canada Inc., 2003 CSC 66, [2003] 3 RCS 160, au paragraphe 29, où le juge Bastarache a déclaré, en partie :

    L’obligation de rendre compte à laquelle l’acheteur est assujetti par le par. 16(2) doit être interprétée au regard des règles d’interprétation des lois et, en particulier, des réalités du commerce.

    [61]  Il faut toutefois concilier ces commentaires avec ceux qu’a faits la juge McLachlin (tel était alors son titre) dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] ACS no 30, [1999] 3 RCS 622, au paragraphe 40 :

    Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l’examen de la « réalité économique » d’une opération donnée ou de l’objet général et de l’esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l’obligation d’appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée : Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.

    [Non souligné dans l’original]

    [62]  La réalité commerciale est que M. Case voulait vendre sa part de CSM à M. Melby et à M. Rae, des parties qui n’avaient aucun lien avec lui. La réorganisation et la vente ont été structurées par les comptables de M. Case en vue d’économiser de l’impôt et de lui permettre d’utiliser le reste de sa déduction à vie pour gains en capital. Il ressort de la preuve que M. Case a reçu de l’argent et des biens en échange de 120 actions ordinaires de catégorie A de chacune des appelantes, vendant effectivement sa part indirecte de 33,33 % de CSM, ce qui était la raison pour laquelle le cabinet comptable Rotelick & Associates avait effectué la planification fiscale. À l’évidence, les opérations contestées étaient liées à la vente des 34 actions de CSM des appelantes à des parties non liées.

    B. La double ou la triple imposition

    [63]  Les avocats des appelantes soutiennent que, à première vue, l’interprétation du ministre donne lieu, pourrait-on dire, à la multiplication de l’impôt sur les gains en capital et ne concorde pas avec l’objectif d’éviter la double imposition. C’est, selon eux, un résultat absurde. Les appelantes soutiennent que les nouvelles cotisations sont analogues à une mesure de nature pénale et que le fait de les accepter reviendrait à conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire administratif de décider quel contribuable doit être assujetti à l’impôt qui en découle.

    [64]  La principale question qui nous est soumise est la suivante : l’imposition du paragraphe 55(2) en vue de requalifier deux dividendes réputés, l’un réputé avoir été payé à chacune des appelantes, et à l’égard duquel l’impôt sur les gains en capital a été payé par un particulier actionnaire, va-t-elle à l’encontre de la règle générale, en droit fiscal, concernant l’évitement de la double imposition? Par ailleurs, le résultat de la double imposition est-il absurde dans la présente affaire?

    [65]  Si l’on interprète de manière étroite le concept de la double imposition, il peut être soutenu que le résultat que l’on obtient en faisant droit aux nouvelles cotisations du ministre ne constitue pas, en fait, une double imposition, car l’on n’impose pas le même montant deux fois entre les mains du même contribuable. Je suis toutefois conscient que, si l’on applique le paragraphe 55(2), on se trouve à imposer le même montant entre les mains de plus d’une personne, soit M. Case et les appelantes, et on peut donc dire qu’il peut y avoir ce qui paraît être une double imposition. Il s’agit effectivement d’un résultat regrettable. Je signale, à cet égard, les commentaires qu’a faits la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Scott Jones c. Canada, [1995] ACF no 1636 (QL), [1996] 1 CTC 384, 96 DTC 6015 (CAF) :

    15 […] Comme l’a signalé le juge Le Dain (tel était alors son titre) dans l’arrêt Perrault [Ibidem, p. 6277 et 6278] :

    […] L’incidence fiscale dépend de la façon dont le contribuable arrange ses affaires. Il peut les arranger de façon à devoir le moins d’impôts [possible]; il peut aussi les arranger malheureusement de façon à en devoir plus qu’il n’est nécessaire.

    [66]  Si l’on applique ces commentaires à la présente espèce, les appelantes et les parties concernées avaient la possibilité de structurer les opérations d’une autre façon. Malheureusement, l’arrangement que ces parties ont établi a donné lieu à un impôt supplémentaire. La conséquence injuste qu’est la double imposition ne me convainc toutefois pas qu’il serait erroné d’appliquer le paragraphe 55(2) aux deux appelantes.

    [67]  De plus, il m’est impossible de souscrire à l’observation des appelantes selon laquelle il y a une triple imposition. Si le paragraphe 55(2) s’applique de manière à requalifier les deux dividendes réputés des appelantes, il suffit de signaler que chaque appelante ne serait redevable que des gains en capital sur la moitié de la valeur sous-jacente totale.

    [68]  Dans la mesure où l’on conclut que le paragraphe 55(2) s’applique et que les deux appelantes sont assujetties à des gains en capital, ce sont en fin de compte les acheteurs, indirectement par l’entremise des appelantes, qui seraient redevables de l’impôt, un résultat que l’on pourrait considérer comme injuste. Néanmoins, selon moi, l’injustice perçue que crée la requalification des dividendes réputés en tant que gains en capital que chacune des appelantes a reçus ne devrait pas être déterminante pour ce qui est du règlement de la question en litige. Conclure que le paragraphe 55(2) ne devrait pas s’appliquer pour des raisons d’équité serait contraire à l’intention expresse du législateur. Ce dernier a clairement prévu ce résultat, vraisemblablement pour limiter le risque que l’on évite l’impôt en recourant à des techniques de planification fiscale.

    [69]  Cela soulève aussi la question de savoir si le résultat serait moins absurde si le ministre appliquait le paragraphe 55(2) de façon à requalifier un seul des deux dividendes réputés, ou encore s’il n’appliquait pas du tout le paragraphe 55(2), même si, à mon avis, le législateur entendait que cette même structure tombe sous le coup de cette disposition. Je dirais que non.

    [70]  Par conséquent, à mon avis, il n’y a pas de double imposition si l’on présume que la double imposition consiste à imposer deux fois le même montant entre les mains du même contribuable, et si c’était le cas, cela ne devrait pas empêcher d’appliquer le paragraphe 55(2).

    [71]  Il existe un principe fiscal général selon lequel la double imposition est un résultat inacceptable. Comme l’a signalé le juge Hamlyn dans la décision Carlson & Associates Advertising Ltd c. Canada, [1997] ACI no 366 (QL), 1997 CarswellNat 589, au paragraphe 29, décision confirmée par [1998] ACF no 423 (QL) :

    Il y a une présomption générale, en droit, selon laquelle le même revenu ne peut être imposé deux fois. Il ne peut y avoir double imposition que lorsque c’est équitable et (ou) le libellé de la loi de l’impôt est clair et sans équivoque.

    [72]  Au paragraphe 30 du même jugement, le juge Hamlyn a déclaré :

    Il y a souci réel d’empêcher que le même montant soit taxé deux fois, que ce soit entre les mains d’un seul et même contribuable [Voir Perrault v. The Queen, 78 D.T.C. 6272, aux pages 6277 et 6278)] ou entre celles de deux « personnes » dans l’esprit de la disposition de taxation particulière, à moins que cela soit explicitement prévu dans la loi.

    [Non souligné dans l’original]

    [73]  Dans la décision Prosperous Investments Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1992] ACI n6 (QL), [1992] 1 CTC 2218, au paragraphe 28 (CCI), le juge Bowman a fait état d’un point de vue plus restrictif sur la double imposition :

    La question de la « double imposition » a été commentée par certains auteurs et étudiée par les tribunaux. Il s’agit d’une expression chargée de connotations utilisée pour attaquer ce qui est perçu comme étant l’iniquité que représente la double imposition des mêmes dollars. En tant que telle, elle sert essentiellement à brouiller les pistes, du moins lorsque la même somme n’est pas imposée deux fois aux mains du même contribuable. La question fondamentale qui se pose est, non pas de savoir si une somme correspondante est imposée aux mains de l’actionnaire/employé, mais de savoir s’il s’agit vraiment d’une partie des frais d’exploitation de la corporation.

    [Non souligné dans l’original]

    [74]  Dans l’arrêt Scott Jones c. Canada, précité, la Cour d’appel fédérale a exprimé un point de vue semblable à celui du juge Bowman au sujet du paragraphe 56(2) de la Loi :

    Je ne suis pas d’accord avec l’avocat pour dire que l’application du paragraphe 56(2) mènerait à un cas de double imposition. Il y a double imposition lorsqu’un paiement unique est imposé deux fois entre les mains d’un même contribuable. [Voir Perrault c. La Reine, 78 D.T.C. 6272 (C.A.F.).] Dans le cas qui nous occupe ici, l’avantage serait imposé une fois entre les mains d’Ascot en vertu du sous-alinéa 69(1)b)(i), et une fois entre les mains du requérant aux termes du paragraphe 56(2).

    [Non souligné dans l’original]

    [75]  Dans la décision Sochatsky c. La Reine, 2011 CCI 41, [2011] 3 CTC 2055, au paragraphe 43, le juge Jorré de notre Cour a expliqué qu’il n’existe pas de règle générale contre l’imposition d’un même montant entre les mains de deux contribuables différents :

    En ce qui concerne la double imposition, il n’existe aucune règle générale interdisant l’imposition d’une même somme entre les mains de deux contribuables différents. L’exemple le plus courant en est peut‑être lorsque les bénéfices d’une société sont imposés entre les mains de celle‑ci, puis le sont encore entre les mains de l’actionnaire au moment où il les reçoit sous forme de dividendes.

    [76]  Je suis enclin à privilégier une interprétation étroite de la double imposition : celle-ci survient quand le même montant est imposé entre les mains de la même personne. M. Case et les appelantes ne sont pas les mêmes personnes. Si l’on adopte une approche stricte, il s’ensuit donc qu’il n’y a pas eu de double imposition en l’espèce. À cette fin, je signale les commentaires qu’a faits le juge Archambault dans la décision Produits Forestiers Donohue Inc. c. R., 2001 CanLII 562 (CCI), [2003] 1 CTC 2010, 2001 DTC 823, au paragraphe 76, décision confirmée par 2002 CAF 422, où il fait remarquer à juste titre que la Loi n’a pas pour effet d’annuler le fait qu’une société a une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires :

    Selon le droit des sociétés, les biens d’une société par actions appartiennent à la société et non aux actionnaires de cette société. Une société a une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires. La Loi ne crée aucune fiction juridique qui aurait pour effet d’annuler cette distinction ou de faire en sorte que les biens d’une société soient considérés comme ceux des actionnaires. Au contraire, la Loi reconnaît qu’un gain ou une perte peuvent être réalisés au même moment par un actionnaire à l’égard de ses actions et par la société à l’égard de ses propres biens. S’il existait une règle empêchant la double imposition d’un gain ou la déduction double d’une perte (qu’il y ait concomitance ou non) à l’égard des actions d’une société et des actifs sous-jacents de cette société, la position de l’intimée pourrait être défendable. Toutefois, tel n’est pas le cas.

    [77]  Dans une affaire plus récente, JDI 2000 Transport Ltd. c. La Reine, 2010 CCI 310, [2010] 5 CTC 2374, la juge Woods a été saisie de la question de la double imposition à l’égard de déductions de dépenses et d’avantages conférés à un actionnaire, et elle est arrivée à un résultat dur. Dans cette affaire, le ministre avait refusé certaines déductions qu’avait demandées la société appelante au motif qu’il s’agissait de dépenses personnelles de l’administrateur et actionnaire de l’appelante et il avait également imposé des pénalités pour faute lourde. Le ministre avait également établi une cotisation à l’endroit de l’administrateur en vue d’inclure les montants dans le revenu à titre d’avantages conférés à un actionnaire aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi. L’appelante avait admis que ces montants avaient été inclus à bon droit dans le revenu de l’administrateur/actionnaire mais elle laissait entendre que, pour éviter la double imposition, elle devait être admissible à une déduction. La juge Woods a fait droit à l’appel en partie au sujet de la réduction des pénalités, notant ce qui suit aux paragraphes 13 et 15 :

    L’évitement de conséquences fiscales dures n’est pas suffisant pour justifier une déduction. Si les dépenses en question constituaient des sommes que M. Dhillon s’était attribuées en sa qualité d’actionnaire, la loi ne donne pas droit à une déduction, car ces sommes n’avaient pas été dépensées en vue de générer un revenu.

    […]

    […] La loi tient manifestement compte du caractère dur de ce résultat, sans doute pour décourager ceux qui seraient tentés de commettre des abus.

    [Non souligné dans l’original]

    [78]  Dans le contexte de dispositions anti-évitement précises, le juge Marceau, de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Winter c. Canada (CA), [1991] 1 C.F. 585, [1991] 1 CTC 113, 90 DTC 6681 (CAF), au paragraphe 14, a déclaré qu’une telle disposition est de nature subsidiaire et a pour but d’empêcher qu’on évite l’impôt à l’égard d’une opération particulière et « non de doubler l’impôt normalement payable ni d’accorder aux autorités fiscales une discrétion administrative qui leur permettrait de choisir entre deux contribuables possibles ».

    [79]  À l’article 55 de l’arrêt Brelco Drilling Ltd., précité, le juge Linden s’est penché sur la question de la double imposition. Plus précisément, il a écrit, au paragraphe 32 :

    La Cour a expliqué que l’article 55 vise à prévenir le dépouillement de gains en capital. Cet objet n’est pas antinomique au dessein d’éviter la double imposition. Au contraire, cette disposition a été édictée afin d’éviter le recours abusif à la disposition visant expressément à éviter la double imposition.

    [80]  Comme il a été développé plus tôt, le législateur a adopté au paragraphe 55(2) une règle expressément conçue pour éviter d’imposer deux fois le même montant de revenu que gagne une société. Le mécanisme utilisé est la déduction pour dividende correspondant au revenu protégé. En l’espèce, le ministre ne double pas l’impôt habituellement perçu. Il a appliqué les mesures fiscales appropriées pour séparer des opérations réalisées par des contribuables différents.

    C. La désignation prévue à l’alinéa 55(5)f) est-elle disponible?

    [81]  L’avocate de l’intimée a fait valoir que le ministre ne peut admettre qu’une partie du dividende imposable était un dividende distinct au motif que les appelantes n’ont procédé à aucun moment à une désignation. Les avocats des appelantes soutiennent que le ministre s’est trompé en refusant d’autoriser une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi.

    [82]  Il est bien établi dans l’arrêt Nassau Walnut Investments Inc., précité, que le droit qu’ont les contribuables de se prévaloir de l’alinéa 55(5)f) est disponible une fois qu’ils font l’objet d’une cotisation établie en vertu du paragraphe 55(2).

    [83]  Étant donné que les appelantes ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 55(2), elles sont en droit de se fonder sur l’alinéa 55(5)f) pour désigner un dividende distinct, mais, en l’espèce, ce choix de dividende ne servirait à rien, car une déduction correspondant au revenu protégé de 564 246 $ a été accordée à chaque appelante (voir le paragraphe 6 et l’alinéa 9b) de la présente décision).


    Pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés, avec un seul mémoire de dépens pour les deux appels.

    Signé à Québec (Québec), ce 26e jour de janvier 2017.

    « Réal Favreau »

    Le juge Favreau

    Traduction certifiée conforme

    ce 31e jour de mai 2018.

    Mario Lagacé, jurilinguiste


    RÉFÉRENCE :

    2017 CCI 3

    Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

    2014-2389(IT)G

    2014-2391(IT)G

    INTITULÉS :

    101139810 Saskatchewan Ltd. c La Reine

    101139807 Saskatchewan Ltd. c La Reine

    LIEU DE L’AUDIENCE :

    Regina (Saskatchewan)

    DATE DE L’AUDIENCE :

    Le 22 juin 2016

    JUGEMENT ET MOTIFS :

    L’honorable juge Réal Favreau

    DATE DU JUGEMENT :

    Le 26 janvier 2017

    COMPARUTIONS :

    Avocats de l’appelante :

    Me David Chodikoff et
    Me Graham Purse

    Avocate de l’intimée :

    Me Suzanie Chua

    AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

    Pour les appelantes :

    Noms :

    David Chodikoff et Graham Purse

    Cabinet :

    Miller Thompson LLP

    Toronto (Ontario)

     

    Pour l’intimée :

    William F. Pentney

    Sous-procureur général du Canada

    Ottawa, Canada

     

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